Perspective cavalière [pv Grâce & Hector ]

L’extérieur était plus décrépi que l’intérieur. Seulement un peu de poussière, un peu désordre, les derniers instants que devait avoir vu le manoir avaient dû être mouvementés. Hector semblait envahi d’une triste nostalgie. S’était tout ce qu’il y avait de plus normal prenant en compte le caractère de l’homme. Ici était tout son passé, tous les souvenirs de son si heureuse famille. Grâce consentait parfaitement à admettre qu’elle ne pouvait comprendre ce vide, cette douleur, elle n’avait perdu personne de sa faille directe, la famille plus éloignée elle semblait bien plus décimée, mais cela ne lui faisait ne l’affectait guère. S’était ces temps tragiques qui voulaient cela, se laisser abattre n’allait pas l’aider elle à survire.

Des portes closes et des couloirs, tant de choses à voir, le tout dans un silence pesant. La charmante promenade promise n’était plus qu’un lointain mirage. Cependant, aussi agacée d’être ici que soit la jeune femme, elle se tue, affichant une mine quelque peu contrite. Il ne manquait plus qu’une scène de ménage pour parfaire ce tableau fort maussade.

Les bibliothèques avaient toujours un certain cachet, même dans une sombre demeure abandonnée. Pourtant, Hector ne semblait pas décidé.

Ils n’avaient pas de temps à perdre. Elle n’avait pas de temps à perdre.

« Et bien, rentre, c’est ta bibliothèque… »

Elle avait enlevé ses gants pour délicatement poser la main sur le bras de son époux en même temps qu’elle avait prononcé ses mots avec une certaine douceur. La bousculer oui, mais le brusquer un peu pour le faire réagir, le faire avancer, d’accord, mais le brusquer n’était pas une tactique à adopter.

« C’est pour ça que tu es là après tout, non ? »

Sa main avait glissé le long du cuir de la veste pour trouver cette main légèrement froide.

« Tu ne vas pas rester à la porte de ton projet, si ? »

Entrant elle-même dans la pièce, Grâce tira l’homme avec elle. Elle se dirigea vers la table pour s’y asseoir dans un geste souple. Là, elle posa les gants qu’elle avait tenus de sa main libre et se défit de l’étole qu’elle avait autour des épaules, découvrant sa veste.

« Il semble que cette machine soit ce dont tu as besoin, peut-être ce dont l’humanité a besoin, pour reprendre le dessus, pour accepter le passé, le présent et préparer l’avenir. »

En réalité, elle ne savait pas si il y avait un après, elle n’était ni assez pessimiste, ni assez optimiste pour avoir un avis et trancher. Mais Hector lui avait besoin de croire, besoin d’avoir la promesse d’un beau ciel bleu et dégager à venir, une carotte pour le faire avancer. Attendant de voir ce qu’il allait faire, elle ouvrit, sans sembler avoir d’arrières-pensées, son manteau du moins les quelques premiers boutons, laissant découvrir un décolleté quelque peu aguicheur.

Hector se laissa mener par la main de Grâce, cette main douce et chaude qui lui avait fait tant de bien depuis qu'ils se connaissaient. Ce contact sembla rappeler à l'inconscient du baron les si bons moments qu'ils avaient vécu ensemble. Comme anesthésié, le grand homme s'avança vers la bibliothèque consacrée aux sciences et techniques.


- Il semble que cette machine soit ce dont tu as besoin, peut-être ce dont l’humanité a besoin, pour reprendre le dessus, pour accepter le passé, le présent et préparer l’avenir.


Ces mots firent sourire Hector. Croyait-il en son idée ? Certainement... Il ne savait seulement pas si le duc payerait pour équiper sa milice de la machine qu'il mettrait au point. Pour le convaincre, Hector lui ferait une petite démonstration personnelle...


Et s'il n'est pas convaincu, il partira en flammes ! S'amusa Hector, intérieurement.


Assez rapidement, le baron trouva un ouvrage sur la découpe et l'assemblage du bois pour des machines de précisions. Le deuxième ouvrage qu'il cherchait fût plus difficile à trouver. Il fallait quelque chose au sujet de la confection d'outres... Et ce n'était pas là la spécialité de Sombrebois. Heureusement la bibliothèque était grande et dans un ouvrage zoologique au sujet des animaux d'élevages, était abordé les différentes utilisations de ces animaux. Et un petit chapitre expliquait sommairement comment les outres était fabriquées. Hector réfléchit un instant...


De quoi d'autre aurai-je besoin ?


Il s'en fût alors chercher un ouvrage général sur la mécanique et notamment les éléments de fer. Peut-être en aurait-il besoin pour quelque mécanisme... Après quelques minutes de recherches, Hector trouva donc son troisième livre et s'en retourna, satisfait, auprès de sa femme. Elle était tranquillement installée et feuilletait un livre. Hector la trouvait toujours aussi belle et désirable. Il posa ses livres sur la table et s'approcha d'elle. A un mètre d'elle environ, il s'arrêta, interdit. Il prit une longue inspiration en voyant le beau décolleté que Grâce avait dévoilé en enlevant son étole. Combien de temps lui faudrait-il pour qu'elle lui pardonne sa faute ? Il n'en avait aucune idée. Et comment saurait-il que ce serait le cas ? Toutes ces questions décourageaient un peu le baron. Et il se dit qu'il ne devrait plus poser de questions trop personnelles à Grâce. Elle lui avait dit qu'elle essayerait de lui dévoiler un peu plus ses pensées et ses sentiments alors il voulait la laisser faire, lui laisser le temps nécessaire pour qu'elle se sente assez en confiance avec lui pour le faire.


- Veux-tu emporter ce livre avec nous ? Tu peux... Il sera bien plus utile rue des Aiglons qu'ici.


Lorsqu'elle leva ses yeux de biches vers lui, Hector posa sa main sur la joue de Grâce et son cœur s'emballa légèrement.

Tandis qu’Hector réunissait ses quelques livres, son épouse n’était pas sagement resté à l’attendre le regardant d’un doux air satisfait, pas réellement. La jeune femme, patiemment malgré un certain agacement récurant, avait laissé ses yeux sillonner les rayonnages, tirant de temps à autre un livre, pour l’ouvrir à une page aléatoire et en parcourir le contenu avant de le reposer. Aussi intéressant que puisse être un ouvrage technique, à ce moment, elle n’était guère d’humeur pour plus que prétendre s’intéresser à leur contenu.

Grâce parcourrait distraitement un ouvrage d’astrologie lorsque son mari lui adressa la parole, caressant sa joue. Elle connaissait bien ce regard, le décolleter semblait faire son petit effet.

« Pourquoi pas, il a l’air un peu daté, mais intéressant. »

Posant sa main sur celle du Baron, la Dame la saisit doucement tandis qu’elle posait son livre avec les autres. Embrassant doucement ce qu’elle tenait elle se blotti contre Hector. Ce n’était pas qu’elle en avait particulièrement envie, mais elle sentait que c’était ce qu’il désirait à cet instant.

« J’aimerais qu’on oublie, à défaut de pouvoir effacer ce qui s’est passé. »

Elle avait pris une petite voix faible et aimable. Qu’il était doux de savoir mentir avec autant d’aplomb. Evidemment elle ne voulait pas oublier, pas pardonner du moins pas maintenant. Aussi plaisant que soit l’idée de voir son mari torturer, même partiellement par sa faute, Grâce savait qu’elle devait sacrifier ce petit plaisir pour avoir un peu de tranquillité, une meilleur marge de manouvre. Avoir un homme repentant, voulant de faire pardonner pouvait être étouffant.

Contre lui, la jeune femme laissa ses mains vagabonder ses mains où elles le voulaient. Ses lèvres se posèrent apparemment hésitante sur celles de l’homme.

« Tu n’aimerais pas, que cela redevienne comme avant ? Personne ne sait de quoi l’avenir sera fait, pourquoi ne pas au moins essayer ? »

Son ton s’était fait plus suave et ses mains plus entreprenantes, sans pour réellement prendre les devants.

Oublier plutôt qu'effacer. Voilà une idée intéressante ; intéressante mais plus facile à dire qu'à faire... Heureusement, Grâce maîtrisait à la perfection l'art de la diversion et ses mains qui parcouraient avec savoir-faire le corps - pourtant encore couvert - d'Hector commençaient à le détendre. Le baiser qu'elle déposa avec délicatesse sur les lèvres de son mari arriva au moment propice et la phrase qu'elle prononça l'instant suivant, alors qu'Hector tentait de rattraper ces lèvres volages, acheva d'endormir toutes les rancœurs qui erraient dans l'esprit du baron.


- Essayons, ma douce... Dit-il tendrement.

Rester coincer avec lui tout le reste de cette journée et toute la nuit dans une cave obscure et lugubre, certainement pas. La seule perspective qui aurait pu faire accepter une telle proposition aurait été qu’une meute de fangeux rôde déjà aux alentours du bourg, ce qui, elle espérait, n’était pas le cas.

D’ailleurs, pourquoi parlait-il de passer la nuit ici ? Ils étaient partis à l’aube, deux heures, peut-être deux heures et demies séparaient Sombrebois de Marbrume, ils y avaient passé une heure tout au plus, et encore était-elle généreuse. Cela ne les rendait pas le soir, d’ailleurs le soleil dans le ciel était encore loin de l’horizon.

« Il semble que vous ayons le temps de rentrer, il est à peine la mie journée, sans compter qu’il fait encore lumineux dehors… Notre lit ne serait pas mieux pour cette nuit ? »

Elle força un petit sourire amusé, cependant, au fond, elle n’avait qu’une envie, rentrer et se trouver un prétexte pour passer la journée loin d’Hector. Au pire dirait-elle que sa chère mère voudrait la voir pour avoir l’excuse de profiter du calme du manoir de Restellis quelques heures. Après cette matinée, elle en aurait nerveusement besoin.

Moins impressionnée, plus à l’aise, la jeune femme était plus à l’aise sur le dos de sa monture. Bien entendu, prudente comme elle était, elle n’allait certainement pas faire une folie, se lancer dans un galop sans retenue sans raison, mais au moins n’avait-elle plus d’appréhension.

Sous la lumière froide du soleil voilà, Sombrebois était lugubre, parfait témoin de la destruction du monde telle qu’elle était en train de se jouer. Les maisons à l’abandon le bruit des sabots raisonnant dans les rues désertes. La nature qui songeait à reprendre ses droits.
La lourde porte en bois grinça à nouveau lorsque le seigneur des lieux l’ouvrit pour prendre la route. Il la refermait sans ce strident et désagréable bruit.

Plus loin sur le chemin venant de Haldonores un groupe d’hommes approchait. À en voir leur silhouette drapée pour résister au froid légèrement mordant de l’air, ils étaient une petite dizaine. Au fur et à mesure qu’ils approchaient, on pouvait distinguer ce qui semblait être des armes, il ne semblait pas être seulement légèrement équipé pour se défendre.

« Bien le bonjour sa Seigneurie !
Vous semblez bien perdu ? Vous cherchez déjà un endroit pour vous abriter ?... Mes gars serait pas contre la réchauffer, la mignonne fräulein. »

Un rire gras et lubrique agita la petite troupe.
Le chef du groupe avait parlé, un homme d’une trentaine bien tassé, dont le physique traduisait bien son expérience de la vie à la dure et du combat. Il n’avait eu aucun mal à penser que l’homme imposant à qui il s’était adressé était un noble, ou du moins, un notable, peu avaient de quoi s’offrir des montures dans ce monde où tout se faisait rare.

Pendant qu’il avait parlé les hommes avait commencé à se placer autour du couple ne l’encerclant pas encore complètement.

Pas à l’aise Grâce serrait la bride de son cheval.

Elle avait raison. Il n'était peut-être pas si tard que cela, après tout. Hector n'aurait pas su dire combien de temps avait duré leur petit plaisir... mais, visiblement, Grâce, si ! Le baron fit confiance à sa femme et donc, rapidement, ils retournèrent jusqu'à leur monture pour quitter le bourg de Sombrebois.


Malheureusement, le trajet du retour ne se passa pas aussi bien que celui de l'aller. A peine avaient ils fait deux ou trois kilomètres qu'un groupe d'hommes leur barrait la route et, même, les encercla.


- Bien le bonjour sa Seigneurie ! Vous semblez bien perdu ? Vous cherchez déjà un endroit pour vous abriter ?... Mes gars serait pas contre la réchauffer, la mignonne fräulein.


Le baron n'avait guère envie de plaisanter avec de tels malandrins. Il se pencha à l'oreille de Grâce et lui dit:
- Je vais créer une brèche, suis moi...


Et, sans plus attendre, il prit sa hache d'une main et lança son cheval au galop, lui intimant l'ordre d'aller tout droit, en direction de celui qui devait être le chef du groupe, à en croire le fait qu'il avait parlé et qu'il tenait la bride du seul cheval en leur possession. Avec obéissance, Gris-Poil fonça tout droit ! Hector arma sa hache pour frapper le bavard brigand, mais ce dernier, avec adresse évita le cheval et le coup de hache !


Grâce, semble-t-il, parvint à suivre son mari et ils distancèrent rapidement le gros de la bande des hors-la-loi. Cependant, l'habile chef de celle-ci avait grimpé sur son cheval et s'était lancé à la poursuite des deux fuyards.


Hector ralentit un peu l'allure pour se positionner à coté de sa femme.
- Quoi qu'il arrive, continue, ne t'arrête pas, rentre à Marbrume le plus vite possible !


Le bandit cavalier revint rapidement à hauteur des nobles et tenta, avec son épée de frapper le baron. Heureusement pour Sombrebois, la monture de l'assaillant galopait trop vite et il ne put viser correctement. Son épée ne fendit que l'air laissant au baron la possibilité de contre-attaquer... mais lui aussi rata sa cible. Sur leurs montures les combattants faisaient preuve de beaucoup de maladresse !

La présence du groupe de pillards n’était pas réellement rassurante, loin de là. Ils avaient presque encerclé les époux lorsque qu’Hector réagit fonçant sur ce qui semblait être l’alpha de la bande. La jeune femme ne se fit guère prier pour ce qui s’agissait de fuir. Le début du galop ne fut pas réellement évident, ni même une partie de plaisir, mais une fois que le corps de la cavalière se fut fait au mouvement du cheval, la chevauchée se fit moins chaotique.

Heureusement, un seul, le chef du groupe pu les poursuivre. La jeune femme ne s’arrêta que le temps d’écouter la recommandation de son mari, juste avant qu’il n’essaye de gagner du temps. Peut-être qu’un jour, cet acte chevaleresque lui vaudrait de remonter dans son estime, mais pour l’heure, se sauver était la principale priorité.

« On se retrouve à Marbume. »

Lâcha-t-elle avant de reprendre son galop.

La route avait pâti de l’hiver, mais ce ne fut pas ce qui fit prendre le mauvais embranchement à la Baronne, la cause en revenait au fait les chemins n’étaient pas toujours indiqué et à la précipitation de la fuite. Elle était déjà hors de portée de vu d’Hector depuis un moment lorsque cela se produisit. Peut-être que quelqu’un d’habituer au environ aurait vu qu’il se trompait de chemin. Malheureusement pour elle, Grâce n’était pas à proprement ce genre de personne. Si elle avait déjà passé un certain temps dans la cité de Marbrume, elle n’en avait que très peu visité les environ et surtout, jamais à cheval. Les paysages, les chemins, rien ne lui étaient familiers, et ce n’était pas l’allée et la désagréable discussion qui l’avait distraite qui avait aidé à prendre des repères le l’itinéraire qu’ils avaient emprunté.

Ni persuader d’être sur la bonne voie, ni consciente de s’être trompée, la jeune femme s’enfonça dans son erreur et dans les terres.

Le soleil à peine voilé entamait doucement sa descente vers l’horizon. Elle ne le savait pas, mais elle était déjà loin, trop loin pour qu’Hector ait le temps de la trouver et de rentrer à Marbrume avant le coucher du soleil.

Le combat que se livrèrent Hector et le chef des brigands fût mouvementé : des coups dans le vent, un ralentissement des chevaux - qui permit à Grâce de fuir - et un coup d'épée du brigand qui fit tomber Hector de cheval et le désarma ! Le brigand descendit du sien pour achever le baron mais au moment où il approcha d'Hector allongé au sol, ce dernier lui envoya un violent coup de botte dans les roubignoles ! Le hors-la-loi hurla de douleur et lâcha instinctivement son arme pour se tenir les bijoux de famille. C'était un coup bas, certes, mais contre ce genre d'adversaires, tous les coups sont permis, n'est-ce pas ?


Toujours est-il que le baron récupéra son arme, remonta sur Gris-Poil et laissa là le vilain castra.


Touché à l'épaule lors de sa chute, Hector ne put rentrer bien vite à Marbrume. Tout juste arriva-t-il avant que les portes de la grande cité ne se ferment. Il interrogea les gardes pour savoir s'ils avaient vu sa femme mais aucun ne put le lui assurer. Les équipes avaient tourné et l'information des allées et venues n'avait point été transmises. Inquiet, le baron se rua jusqu'à la rue des Aiglons où, malheureusement, il ne trouva pas sa femme.


Sombrebois fit donc demi-tour mais la nuit tombait déjà lorsqu'il parvint de nouveau au mur de Marbrume, pour y quémander des nouvelles des derniers arrivants. Personne n'avait vu Grâce entre temps et les gardes recommandèrent à Hector de ne point quitter la ville : l'obscurité, les nuages, tout cela ne l'aiderait pas à retrouver sa femme. Il n'aurait, par contre, aucun souci à rencontrer des fangeux. Le baron pesta mais il savait que les miliciens avaient raison. Aussi décida-t-il de se coucher tôt pour partir à la recherche de Grâce dès le lever du soleil.


Le sommeil d'Hector fût agité, il vit sa femme, sur son cheval, dans une ville qui possédait la bibliothèque de Sombrebois, le pavillon de Haldonorès, les termes de Marbrume et le temple de Hauteville. Elle descendait lentement de son cheval dans sa robe de mariée et entrait dans une auberge plus sale encore que les Six Roses. Là, elle s'installait derrière le comptoir et faisait l'amour avec le patron, une sorte de grand gaillard d'une cinquantaine d'années, un homme fort mal habillé mais qui s'avérait avoir les traits du conte d'Alexandre de Terresang !