Sardines satinées [PV Satine & Hector]

Le port était un des lieux de Marbrume qu'Hector n'avait point encore visité. Pourquoi y allait-il aujourd'hui alors ? Car il avait besoin de neuf. Tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, pouvait lui rappeler son passé lui donnait la nausée. Ici, alors, le long de cette côte encore fertile, dans cette forte odeur de sardines satinées, Hector regardait d'un œil intéressé les les gaillards marins s'affairer.

Il s'était assis sur une caisse de bois semblable à mille autres et, tel un peintre auquel on aurait volé son matériel, contemplait l'immensité bleu-gris qui lui faisait face, les voiles des bateaux et les hommes. Dans son lourd et luxueux manteau bordeaux il était remarquable. Il ne cachait même pas la grande hache de guerre des Sombrebois. Il se fichait pas mal d'être reconnu comme un noble. Personne d'ailleurs ne semblait s'étonner de voir ici, dans ce port marchant un noble esseulé. Certains le reconnaissait sûrement mais ils le laissaient tranquille. Il avait tout loisir de laisser ses pensées vagabonder - ce qu'il ne souhaitait guère, d'ailleurs car tout ce qu'il pouvait penser le ramenait inévitablement à quelque mauvais souvenir.

Et puis un pauvre enfant passa par là. Il souriait, jouant avec une petite roue de bois, se racontant une histoire qu'il semblait être le seul à comprendre. De parent il ne semblait pas dépendre. Il était là, un peu comme Hector, seul et inintéressant pour tous les autres acteurs de cette scène bien commune. Au bout d'un moment, l'enfant disparu et Hector pensa à Mérédith. Tiens, c'était bien la seule pensée qui pouvait encore le faire sourire. Il se leva de la caisse en bois et fit quelques pas vers la mer. Là il sentait la délicieuse odeur iodée qu'il aimait tant manger dans les huîtres des auberges de l'esplanade. Il inspira à plein poumon et son sourire s'élargit. Par chance, le soleil était avec les habitants de Marbrume ce jour là et c'était mieux ainsi.

- Poussez vous, M'sieur !

Hector se décala pour laisser passer deux marins qui portaient justement une caisse d’huîtres.

Deux écus pour une demi-douzaine d’huîtres ! Proposa le noble.

Les deux marins se regardèrent d'un air stupéfait. C'était pour eux le salaire de plusieurs jours qu'ils risquaient de gagner là en un instant. Ils examinèrent Hector et, ayant vu qu'il était effectivement habillé comme un riche noble, lui tendirent les six huîtres en échange de deux belles pièces d'or. Hector fourra les huîtres dans ses poches - et oui, il n'avait pas pensé qu'il ferait des emplettes ce jour là. Mais, finalement, le soleil au zénith, une petite faim s'était faite sentir et les doux coquillages lui faisaient envie.

Il fit demi-tour pour rentrer chez lui. Mais à peine avait il fait quelques pas vers la Hanse qu'une incroyable chevelure flamboyante, volant dans les vents côtier, barra sa route. Lorsqu'il leva les yeux, c'était deux joyaux couleur glace qui l'éblouirent à leur tour. Hector s'arrêta net.

Satine sortait d'une passe qui avait eu lieu tôt dans la matinée. Certaines fantaisies n'attendaient pas... Et l'homme avait payé plus que grassement pour les horaires plutôt inconventionnels.
La jeune femme ressortit, les cheveux attachés et tressés comme toute jeune femme respectable aurait pu le faire. Depuis qu'elle avait appris davantage sur son père, elle se détachait petit à petit des attributs de la prostituée classique pour se donner des airs plus imposants. Dans sa robe couleur bleu nuit, sa parure en argent toujours présente, elle arpenta le port pour regagner sa maison de passe. Puis le soleil radieux de cette journée que marquaient les premiers printemps la ravisa. Au fond pourquoi ne pas profiter un peu du bon air marin ?

La jeune prostituée s'abrita sur un banc en pierre taillée, à l'abri du monde et se laissa aller à la rêverie. Elle aurait bien emporté de la lecture mais déplier un parchemin en ces lieux était bien risqué... Aussi se contenta-t-elle de laisser son regard courir au gré des passants. Elle devinait aisément les vies des uns et des autres par ces petites manies, ces petits détails qui nous échappaient si souvent à moins de les chercher... La jeune femme qui achetait son poisson était suffisamment riche pour se permettre des mets frais assez souvent. C'était une habituée, le poissonnier semblait la reconnaître. Mais l'état de ses vêtements surannés et rapiécés, qui avaient autrefois été beaux, lui indiqua que sa famille préférait certainement vivre et manger confortablement, au détriment de leur apparence. Choix judicieux s'il en était. Satine, même si elle n'était pas à plaindre, était essentiellement nourrie de gruau pour permettre l'achat de robes et d'atours sensés attiser les clients.

Un homme, là bas, l'intrigua. Seul, perdu sur une caisse, le regard vague. C'était un noble à n'en pas douter : il ne cachait pas le moins du monde ses attributs chevaleresques. Elle se demanda un instant ce que cela pouvait faire de vivre dans une maison aussi prestigieuse que ce que la sienne semblait être. Un moment passa, elle détourna ses yeux vers le ciel. Pour combien de temps ? Elle n'en avait aucune idée.En réalité elle s'interrogeait sur un moyen d'alimenter la ville en eau de mer, afin de pouvoir se protéger en cas d'attaque de fangeux. Depuis son expédition dans les marais, elle était persuadée que le seul moyen de lutter efficacement contre ces bêtes résidait dans l'immensité bleue de l'océan.

Soudain, le vent la releva de sa torpeur. Une violente bourrasque venue dans son dos fit claquer sa coiffure. Le ruban qui enserrait ses cheveux se mit à virevolter comme pour la narguer tandis que sa chevelure libérée se mit à flotter comme un étendard victorieux.
Exaspérée, la putain se releva pour rattraper le morceau de tissus mais elle dû arrêter sa course pour ne pas entrer dans la silhouette qui arrivait vers elle. Laissant tomber l'étoffe, elle s'arrêta, confuse et regarda l'homme. Elle reconnut le noble de tout à l'heure. Il devait avoir la trentaine et dégageait une formidable prestance. Un lion, victorieux et digne mais qu'elle devina également las et d'une certaine façon, blessé.

Avec un air contrit, elle inclina la tête.

- Je vous prie de m'excuser, mon ruban m'a échappé à cause du vent... J'aurais dû regarder où j'allais.

Ses yeux de glace s'arrêtèrent dans les siens. Mais que faisait-elle ? On pouvait la punir pour avoir dévisagé un noble de la sorte ! Cependant, la jeune femme ne voulait pas non plus jouer la soumise et s'effacer devant lui. Aussi choisit-elle l'humour lorsqu'elle se rendit compte que de l'eau de mer maculait les poches de l'homme et qu'un fumet d'huîtres fraîches émanait de sa personne.

- Je reconnais que la saison est propice à la dégustation de fruits de mer mais ne craignez-vous pas de ruiner votre pourpoint ?

Elle avait dit ça en riant, d'un air frais et malicieux. Voir cet homme si bien vêtu avec de tâches d'humidité partout avait quelque chose de plutôt amusant. Afin de ne pas risquer de froisser la personne qui se tenait devant elle, elle changea son rire en sourire mutin.

- Veuillez excuser mon impertinence monseigneur, je dois certainement vous retarder.

Après tout, que savait-elle des obligations de ce noble ? Il pouvait bien avoir envie de solitude plutôt que de lui faire la conversation ! Aussi s'écarta-t-elle du chemin, sans pour autant le quitter des yeux.

Par un heureux réflexe, Hector rattrapa de justesse le beau ruban qui s'était détaché de la chevelure de feu et le tendit à la belle jeune femme.


- Tenez, mademoiselle...
- Je vous prie de m'excuser, mon ruban m'a échappé à cause du vent... J'aurais dû regarder où j'allais.


Leurs regards restèrent un instant l'un dans l'autre. Le baron n'avait pas encore eu le temps de se pencher sur l'étude des signes extérieurs de richesse de la demoiselle - pour connaître son ordre - que déjà, elle enchaînait :


- Je reconnais que la saison est propice à la dégustation de fruits de mer mais ne craignez-vous pas de ruiner votre pourpoint ?


Seule une femme de condition supérieure ou égale à la sienne pouvait lui faire une telle remarque ! Aussi, les yeux du baron ne s'attardèrent pas sur la robe bleu-nuit ou la parure d'argent. Il s'agissait pour lui d'une noble femme. Il ne s'étonna pas même de ne point la connaitre, lui qui était à Marbrume depuis quelques temps déjà. Il faut dire qu'il avait été pris en défaut et cela accaparait tout son esprit. Il rougit même légèrement en voyant les tâches qu'avaient faites ses huîtres sur son cher habit.


- Quel idiot je fais ! Je... J'étais ailleurs... Se justifia-t-il tandis qu'un petit rire s'échappait de la gorge de la demoiselle.


Et il regarda autour de lui pour trouver quelque chose pour porter ses fruits de mer. Malheureusement, pour l'heure, il ne trouva rien. Il les garda donc dans ses mains. Et lorsqu'il ramena ses yeux sur le beau visage qui lui faisait face, celui-ci se para d'un sourire enjôleur.


- Veuillez excuser mon impertinence monseigneur, je dois certainement vous retarder.
- Ne vous en faites pas, j'ai tout mon temps aujourd'hui...


Il lui sourit à son tour, et reprit un peu de contenance. Il remarqua alors qu'une cicatrice rayait son visage autour de son œil gauche. C'était bien le seul défaut qu'il pouvait trouver à ce charmant visage.


- Mais je ne crois pas que nous nous connaissions... Je suis Hector de Sombrebois.


Il laissa un instant de silence pour que la jeune femme puisse lui répondre. Puis il ajouta.


- Enchanté de faire votre connaissance. Je sais que je déroge à quelques règles en vous le demandant si directement mais... mais j'aimerais, si vous le souhaitez, partager ces quelques huîtres avec vous.


Il marqua une pause pour regarder le ciel.


- J'ai horreur de déjeuner seul... Et comme le temps ne se prête guère à une dégustation en extérieur, accepteriez-vous de m'accompagner jusqu'en ma demeure ?

Le noble en face d'elle était plutôt galant et il rattrapa son ruban. Touchée par cette attention, la jeune femme rougit en replaçant ses cheveux dans une coiffure convenable avant de faire quelque mot d'esprit sur les huîtres qui envahissaient d'eau de mer les poches de l'homme. Son embarras la fit sourire plus encore, il était vraiment adorable comme ça...

Il les garda donc dans ses mains, l'air assez déconfit, ne trouvant visiblement rien pour les ranger. C'était sans compter sur la débrouillarde jeune femme qui avisa un couvercle en osier délaissé qu'elle retourna et tendit à l'homme pour faire office de plateau.

- Tenez, ce sera toujours mieux que rien !

Après quelques excuses et s'être assurée qu'elle ne dérangeait en rien le charmant noble, elle le laissa se présenter. Elle ne connaissait pas les Sombrebois... Quoi de plus normal en même temps, pour une ribaude ? Même si elle essayait d'avoir une attitude éduquée, elle n'en restait pas moins une batarde. Que devait-elle faire ? Se présenter sous son véritable patronyme ? C'était ce qu'il y avait encore de mieux à faire... Mieux vallait être reconnue comme une enfant illégitime plutôt que comme une fille de joie.

- Je m'appelle Blanche. Blanche de Marchellier.

Prononcer le nom de son père lui écorcha la bouche et le coeur mais elle se cacha derrière une révérence et un joli sourire.
Son charme faisait visiblement effet sur l'homme qui lui proposa de partager son repas. Cette attention toucha Satine autant qu'elle la décontenança. Elle ? A la table d'un noble ? Et... Et après tout pourquoi pas ? Elle avait l'occasion inespérée de se faire connaître pour ce qu'elle était et non pas par ses apparences ou son emploi.

Elle le regarda pendant que ses yeux se rivaient dans le ciel diurne. Il avait la tête d'un fin esthète et penseur, un être qui semblait fin, cultivé et délicat sans pour autant manquer de virilité. Elle hoqueta de surprise quand il l'invita à manger dans sa propre demeure. Satine se sentirait comme un furoncle dans un luxe qu'elle ne connaissait pas... Mais elle sentait qu'un refus aurait fait de la peine à cet homme troublé.

- Volontiers messire Hector.

Elle lui sourit aimablement et marcha à ses côtés. Elle entendit vaguement quelques personnes se retourner sur leur passage et le nom de la famille De Brasey vint à ses oreilles. Un scandale quelconque avait-il donc éclaboussé ces deux familles ? Elle ne voulait pas s'en mêler ni poser de questions mais elle savait toute la peine que pouvaient faire les quolibets. Aussi se contenta-t-elle de poser sur lui un regard plein d'assurance et de douceur en lui signifiant qu'elle se moquait comme d'une guigne du qu'en-dira-t-on.

Elle décida de lui parler, pour le distraire un peu des mauvaises pensées qui auraient pu l'envahir.

- Dites moi, messire, lisez-vous beaucoup ? Vous m'avez l'air d'être une personne très sensible aux arts intellectuels et aux arts de la vie...

La jeune femme eut l’œil plus aiguisé qu'Hector. Elle trouva un couvercle d'osier qui pouvait faire office de plateau. Hector le prit et y déposa ses huîtres. Voilà qui l'arrangeait bien !


- Merci beaucoup mademoiselle...
- Je m'appelle Blanche. Blanche de Marchellier.
- Enchanté de faire votre connaissance, mademoiselle de Marchellier.


Malgré sa bonne connaissance de la noblesse, Hector ne savait pas grand chose de la famille de Marchellier. Ils venaient de terres assez éloignée, à l'ouest et ils avaient - ou du moins le chef de famille - la réputation d'être d'une "belle" couardise. Mais, à en croire la réponse de Blanche à sa proposition, elle n'avait pas hérité de ce trait de caractère !


- Volontiers messire Hector.


Et oui, accepter si simplement un rendez-vous - aussi casuel soit-il - n'était pas chose si commune de la part d'une noble demoiselle. D'ailleurs, quelques instants après l'acceptation de sa proposition, le baron se dit que son invitation était quelque peu triviale. Néanmoins, en ce jour bizarre où son esprit était triste et troublé, il se fichait pas mal des convenances. Il était heureux d'être accompagné par cette belle demoiselle et heureux de pouvoir partager de bonnes huîtres avec elle.


Souriant, il prit le chemin de la porte des Anges, tranquillement, avec Blanche. Celle-ci était souriante et visiblement aussi libérée que lui. D'une voix légère et agréable, elle lui demanda :


- Dites-moi, messire, lisez-vous beaucoup ? Vous m'avez l'air d'être une personne très sensible aux arts intellectuels et aux arts de la vie...


Un rayon de soleil sur ses cheveux rougeoyant encouragea Hector :


- Excusez-moi si je vous parais trop familier, mais votre prénom, comme votre personne, m'est sympathique. Que diriez-vous si je vous appelais Blanche et que vous m’appeliez Hector ? Je serais ravi de pouvoir échanger avec vous plus simplement que l'usage le requiert. Pour tout vous dire, je suis légèrement hors de mon état normal et... je crois avoir besoin d'un peu de... naturel. C'est d'ailleurs pour ça que je vous ai ainsi proposé ce repas...


Ils approchaient de l'esplanade. Hector s'approcha des gardes de la porte du quartier noble pour les saluer et glisser un petit mot gentil à l'un des deux - qu'il connaissait - et après cela, il s'en retourna auprès de la jeune femme et lui offrit son bras.


- Pour répondre à votre question, j'aime assez la lecture. Plus jeune, j'ai lu beaucoup d'ouvrages, aussi bien pour mon instruction que pour mon loisir. Et, aujourd'hui encore, la littérature fait partie de mon quotidien. D'ailleurs j'aime autant les épopées que les essais techniques.


Il ne voulait pas détailler ses lectures... et surtout celles du moment car il pensait que la demoiselle ne serait pas intéressée par le traité de mécanique sur lequel il planchait pour concevoir - avec l'aide d'ingénieurs - sa machine à lancer le feu.


- Quant aux arts... Je ne suis pas un grand esthète. Il m'est arrivé d'entendre quelques belles mélopées, de voir quelques fins tableaux. Mais j'avoue qu'à mes yeux, rien ne remplace les beautés du réel.


Ses yeux s'étaient posées, à l'occasion de cette dernière phrase, sur sa charmante accompagnatrice et, même s'il avait dit cela sans - consciemment - penser à elle, il se rendit compte de l'interprétation à laquelle pouvait mener ses mots... Il rougit légèrement derrière sa barbe. Ses yeux retournèrent vers les pavés. Pourquoi se sentait-il gêné ? Après tout, il pouvait bien complimenter la jeune femme !


- Rien que ce matin, j'ai vu bien des choses qu'aucun artiste n'a jamais su me montrer avec une splendeur ne serait-ce que proche de la réalité : Ces quelques rayons de soleil, la mer, les bateaux, ... vous.


Il avait bien décidé de faire fi des convenances alors, après tout, pourquoi ne pas lui dire clairement qu'il la trouvait gracieuse ? D'ailleurs elle ne semblait ni idiote ni aveugle, elle devait bien savoir l'effet qu'elle pouvait produire sur les hommes !


Enfin, alors qu'ils approchaient de la rue des Aiglons, il lui retourna la question :


- Et vous-même, Blanche - il sourit en prononçant ce prénom qu'il trouvait si délicat - aimez-vous les arts ? Il marqua une pause avant d'ajouter, de manière presque philosophique : Ou préférez-vous le réel ?


Voilà une question qui les mènerait sans doute jusqu'à l'imposante façade de son manoir et sa tour haut perchée, voire même au delà !

La jeune femme sourit. Visiblement, son interlocuteur était à la recherche de naturel et de spontanéité. Elle feinta d’avoir l’air surprise de cette demande, bien qu’en réalité, elle était habituée à appeler les gens par leurs prénoms plutôt que leurs titres.

- Eh bien soit ! Je serais ravie de vous appeler Hector.

Elle rit délicatement et attendit qu’il réponde à la question qu’il lui avait posé, laissant ses yeux vagabonder sur la rue et ses habitants qui grouillaient malgré le climat de crise qui flottait depuis quelques temps.
Apparemment, il était un lecteur assidû et semblait s’intéresser au fantastique autant qu’à la science. Peut-être pourrait-elle se tourner vers lui afin de faire réaliser son projet de puits d’eau salée pour lutter contre les invasions de Fangeux…. Peut-être même pourrait-il lui prêter quelques livres !

Pourtant, il était moins sensible à l’art qu’à la beauté tangible, palpable. Elle n’ignora pas le compliment qui lui était fait et sourit, mutine alors qu’il continuait. Un nouveau compliment sortit de la bouche de l’homme, qui lui arracha un filet de rire.

- N’exagérons rien, vous auriez pu croiser une jeune femme bien plus exquise… Ou du moins, moins amochée.

Elle désigna sa cicatrice avec un geste d’autodérision avant d’arborer un air sérieux et penseur lorsqu’il lui renvoya la question.

- Eh bien… J’aime lire, comme vous. Je passe beaucoup de temps à la bibliothèque… en réalité j’ai fait toute mon éducation à l’aide de livres plutôt que de précepteurs. Je pense que l’on n’apprendra jamais mieux qu’en découvrant le monde par nous mêmes. J’ai eu l’occasion d’admirer quelques fresques, mosaïques ou peintures, dans les Temples et aux Thermes. Pour moi… Les beautés du réel doivent être appréciées pour ce qu’elles sont mais l’Art que l’on tire d’elles est tout autant appréciable. J’aime comprendre comment un artiste s’est inspiré de ces choses que nous voyons pour en proposer sa vision personnelle. C’est une façon de voir différemment le monde et je la trouve tout aussi intéressante.

Elle regarda le ciel et les bâtisses cossues de la rue des Aiglons.

- Très peu de choses ne m’intéressent pas en réalité… On m’a toujours dit que j’étais beaucoup trop curieuse étant petite !

Un instant, son regard s’abîma. Elle repensa à son père, sa mère, tout ce temps perdu à errer, loin de sa famille, à donner son corps pour pouvoir survivre… Que lui serait-il arrivé si elle avait été moins jolie ?

Blanche était une demoiselle des plus agréable. Simple et fraîche comme il seyait à Hector ce jour là ! Elle l’appellerait donc par son prénom et il en ferait de même. Son sourire était doux et son rire primesautier. Certes, sa cicatrice n'était pas des plus esthétique mais, comme elle-même ne semblait vouloir gâcher sa joie de vivre en s’apitoyant sur ce défaut, comme elle continuait d'arborer un sourire délicieux, elle était, aux yeux d'Hector, une femme d'une grande beauté.


- Tant que vous garderez ce sourire, Blanche, personne ne pourra me faire penser que vous n'êtes pas exquise...


Il sourit lui-même à Blanche avant de lui poser sa question philosophique... à laquelle, d'ailleurs, elle répondit avec un bel à-propos.


- Vous m'intéressez... Si, un jour, l'occasion se présente pour que nous puissions apprécier ensemble quelque oeuvre d'art, j'en serais ravi. Vous semblez bien plus éclairée que moi en matière artistique !


Quand la jeune femme parla de sa curiosité, Hector perçut un soupçon de tristesse affecter la bonne humeur de la demoiselle. C'était au moment où ils arrivaient devant son manoir alors il tenta de lui rendre sa gaieté :


- C'est ici le manoir que j'habite... J'espère que votre curiosité sera comblée en y pénétrant !


Il sortit sa grande clé et la fourra dans la serrure de la porte. Puis, une fois le verrou défait, d'un geste fastueux, il ouvrit la lourde porte de bois qui donnait sur le hall du manoir.


- Soyez la bienvenue, ajouta-t-il gentiment.


Son sourire retomba en voyant que dans l'entrée traînait, comme par hasard, la bonne de la maison, Gertrude, sans doute moins intéressée par le retour de son maître que curieuse de voir pour quelle raison il avait raté l'heure habituelle de son déjeuner.


- Mademoiselle de Marchellier, laissez-moi vous présenter Gertrude. Gertrude, Blanche de Marchellier.


Ainsi les convenances étaient - presque - respectées. Malgré le froncement de sourcil de Gertrude, Hector lui sourit d'un air naïf et lui ordonna de faire préparer un petit en-cas pour deux personnes, servi dans le petit salon.


- Ah et j'oubliais : Trouvez-nous une bonne bouteille de vin blanc !


Hector ne souhaitait pas s'installer dans la salle à manger ni dans le grand salon. Son petit salon personnel - qui faisait office de bureau - serait bien plus agréable pour ce petit repas sur le pouce, improvisé et "légèrement" inapproprié.


Il passa donc devant le grand escalier qui menait aux chambres et ouvrit la porte de son petit salon. C'était une petite pièce éclairée par une fenêtre qui donnait sur la rue - évidemment cachée d'un fin rideau de lin - et qui contenait un canapé et deux fauteuils entourant une table basse, un bureau et une chaise et une petite bibliothèque. Sur le mur qui faisait face à la bibliothèque, un portrait du grand-père d'Hector était accroché.


Hector posa son plateau d'huîtres sur la table basse et enleva son surcot taché.


- Asseyez-vous, Blanche, j'espère que ce petit salon est à votre convenance...


Il se dirigea ensuite vers la bibliothèque et y prit deux petits verres et une bouteille d'eau de vie de mirabelle. S'il n'y avait rien à manger dans son bureau, le maître des lieux avait toujours de quoi se rafraîchir le gosier... et s'embrumer l'esprit ! Il se retourna vers son invitée et, en lui tendant l'un des verres, lui demanda avec un large sourire :


- Un petit apéritif ?


Il s'assit ensuite dans un fauteuil et leva son verre pour trinquer.


- A cette agréable rencontre !


Il avisa ensuite le plateau de fruits de mer. Il salivait déjà à l'idée de déguster ces huîtres. Aurait-il le courage d'attendre le vin blanc pour s'en régaler ? Rien n'était moins sûr...


- Ah un couteau !


Hector se leva et fouilla le tiroir de son bureau pour en prendre un couteau. Pressé, il ouvrit rapidement les coquillages. Il tendit ensuite une des huîtres ouvertes à Blanche et en prit une lui-même.


- Bonne dégustation, Blanche ! Fit-il, enthousiaste.


Il ferma les yeux et laissa tout le goût, toute la saveur de l'huître, lui caresser les papilles. Quel régal ! C'était la mer qu'il engloutissait avec délice. Il plongeait dans l'océan et s'échappait de la noirceur de la maudite Marbrume pour retrouver la clarté des vagues et leurs embruns passionnés.


Toc, toc, toc...