Sombre accord en eaux troubles [Grâce de Sombrebois, Azhim Khalil, Wilhem Terrefière]

C'est avec un peu d'avance que je prit place sur le lieu de rendez vous, une auberge miteuse dans un coin reculé du Larbourg, où les habitants ne se poserait pas de questions sur la présence d'une noble en de tels quartiers, eux mêmes trop occupés à leurs sombres affaires.

Appuyé contre la table branlante, un des rares meubles occupant la chambre minuscule, ma main tirait nerveusement sur le bas de mon gilet de cuir usé, signe bien trop visible de mon agitation. Comment ne pas être fébrile ? Cette rencontre pourrait changer mon existence bien plus rapidement que je n'osais l'espérer.
Selon moi mon test était réussi. Un peu plus d'une semaine me fut nécessaire pour arracher la précieuse information de la bouche de Victoire, par la Trinité, cette fille est plus fermé qu'un tombeau ! Mais j'y étais parvenu.
La question était : est-ce que Grâce ne trouvera pas le délai trop long ? Et si elle avait changé d'avis entre temps, ne me trouvant plus autant d'attrait que l'autre fois ? Et si elle s'était payé ma tête ? Ce dernier point me laissait sceptique, elle ne m'aurait pas envoyé à sa sœur si c'était le cas. Trop de risque, ainsi qu'une perte de temps supplémentaire. Et puis, c'est elle qui a fixé le lieu et l'heure du rendez vous, pourquoi se donnerait t-elle autant de mal pour si peu ? Sa position est telle qu'elle ne doit certainement pas manquer de distractions..

Un soupir agacé franchit mes lèvres. Il fallait que j'arrête de réfléchir et me concentrer pour paraître serein en sa présence. Il est nécessaire de lui montrer que sa mission n'était pas d'une difficulté insurmontable. Je n'affirmerai pas l'avoir trouvé facile pour autant, mais la persévérance aura payé.

La porte s'ouvrit en grinçant sur deux silhouette encapuchonnés. Cela ne pouvait être personne d'autre que ma futur alliée mais qui était la personne qui l'accompagnait ? Un garde pour s'assurer de ma bonne conduite envers sa maîtresse ?
Je fis un léger salut du menton et elle s'approcha de moi, exposant son visage à la faible lumière parvenant à percer la crasse accumulé sur la fenêtre. Ses traits arboraient une expression curieuse.

« Je tiens à présenter mes excuses pour ce délai, mais si vous m'avez confié cette mission, c'est que vous connaissez votre sœur et sa réserve je suppose.. »

Une étincelle malicieuse fit briller son regard, ce que je j'interprétai comme une confirmation de mes dires..

« Il m'a fallu de l'acharnement mais.. J'y suis parvenu. Et je ne suis nullement coupable de ses dires, plutôt.. Amer. Selon elle, vous êtes une garce sans pitié qui n'hésite pas à jouer de ses charmes, avec peu de morale. Si je me souviens bien, vous voulez toujours briller, selon elle, ce qui montrerai que vous êtes assez imbue de votre personne. Oh et puis, que vous êtes une ingrate pour finir.»

Mon sourire devient légèrement sarcastique après mon exposé des pensées virulentes de Victoire.

« Votre sœur dresse de vous un portrait très positif ! »

Qu’est-ce qui lui avait pris de donner rendez-vous dans le Labourg ?
La réponse à cette question, qui n’en était pas réellement une, était assez évidente. Dans les quartiers plus aisés, on la connaissait, du moins on la reconnaissait, le Dame de Sombrebois, l’envoyée de la famille Brasey. Il n’avait donc été un bon choix pour une rencontre en toute discrétion. Cependant, la prochaine fois trouverait-elle une autre alternative. Certes cette partie du bas-quartier n’était pas encore trop délabrée, pourtant, un certain malaise habitait la Baronne.

L’auberge choisie était réputée pour être une des plus respectables du quartier. En poussant la porte, au moins, s’était propre, en très grande partie.

Comme si tout cela était parfaitement naturel, Azhim se dirigea au comptoir, s’enquérir du numéro de la chambre réservée, sous un nom d’emprunt, il allait de soi, tandis que Grâce passa sans hésitation, laissant croire qu’elle logeait déjà dans l’établissement. Le gérant, trop occuper à renseigner le domestique ne lui prêta même pas attention. Il fallait dire que drapée dans sa cape de tissu ordinaire, elle ne payait pas de mine, seul les plus observateurs pouvaient voir de temps à autre un petit pan de tissu précieux dépasser.

La jeune femme attendit son confident dans les escaliers. Visiblement leur rendez-vous était déjà arrivé. Il était en avance, appréciable.

En entrant dans la chambre Grâce abaissa son capuchon, découvrant son minois, toujours aussi harmonieux, paré avec soin, mais pas de pierre précieuse, rien de tape à l’œil, seulement un maquillage savamment posé pour en sublimer les traits.

Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de la jeune femme lorsque que le chasseur s’excusa du délai qu’il avait mis.

« Que vous ayez mis moins de temps m’aurais paru suspect pour tout vous dire. Je ne vous ai pas orienté vers ma sœur par hasard, je sais très bien qu’elle est plus fermée qu’une huître et que l’amener à s’ouvrir, même sur un sujet aussi trivial que celui-là, peut être un processus plutôt long. »

Il avait même était plutôt rapide dans son entreprise, la jeune femme se serait presque attendue à quelques jours de plus.Il avait même était plutôt rapide dans son entreprise, la jeune femme se serait presque attendue à quelques jours de plus.

Effectivement, Victoire n’était pas tendre lorsqu’elle parlait de son aînée et cette dernière en était parfaitement au fait. De toute manière, on ne pouvait dire que la tendresse fut un terme qui définissait avec précision la fratrie Brasey, compétition, à la limite…

« Comment aurait-il pu en être autrement de la part d’une frigide, incapable de s’imposer même si sa vie en dépendait. Sans compter qu’elle n’a même pas le recul pour comprendre correctement la manipulation qu’elle subit tacitement. Disons que lorsqu’elle aura retiré ses œillères, nous pourrons parler… »

C’était un acte de bonne foi, plutôt plaisant, il fallait bien l’avouer, mais donner ainsi l’impression à son interlocuteur d’avoir quelque chose sur elle, aussi minime soit-il donnait une certaine impression de sceller leur accord.

Faisant un pas sur le côté, pour laisser complètement apparaître son domestique, la jeune femme repris de la même voix douce, égale, posée et avenante. Désignant l’homme qui l’accompagnait de la main.

« Oh, pardonnez-moi, j’en ai oublié mes manières, Monsieur Terrefière laissez-moi vous présenter Azhim Khalil, il est comme mon ombre. Vous serez sûrement amené à le rencontrer plus souvent que moi. Ce n’est pas que ce genre d’endroit … bucolique … me déplaît, cependant, j’ai des obligations et je ne pourrais hélas toujours me libérer. »

Si Azhim avait envie d’ajouter quelque chose, de poser une question, il le pouvait et le savait.

De toute manière, Azhim, il suivait sa maîtresse. Peu importait ce qu'elle pouvait bien lui raconter, ce qu'elle pouvait lui expliquer, ou si même elle ne lui disait rien. Son travail, à lui, c'était de la combler en tout point, c'était d'obéir à la moindre de ses exigences. Si, au beau milieu de la nuit, elle réclamait sa présence, il y allait. Si, sans crier gare, elle lui demandait de le suivre sans lui expliquer le pourquoi du comment, et bien, il y allait aussi. C'était ça, être domestique. C'était oublier sa propre personne pour s'abreuver de son maître ou de sa maîtresse.

Ce jour-ci, elle lui avait brièvement expliqué. Il était question d'une 'possible nouvelle recrue' à qui elle avait fait un 'test', et elle devait le revoir pour savoir s'il avait réussi cette mission. D'abord passablement ennuyé par la situation, le regard d'Azhim s'était quelque peu animé lorsque la jeune femme lui dit que l'homme, un certain Wilhem, allait sûrement lui plaire.

Sûrement pas, non, avait-il manqué de rétorquer d'une voix glaciale.

Il n'appréciait, déjà, de base, personne. Alors se dire qu'un homme tentait de rentrer dans les petits papiers de sa maîtresse, ça n'allait pas arranger les choses. Sans même le connaître, Azhim voyait ce Wilhem comme un rival. Une satanée bestiole qui n'avait pas intérêt à trop s'accrocher à sa maîtresse sous peine de se voir écraser entre ses mains.
Mais, soit. Il rencontrerait Wilhem. Il n'allait tout de même pas manquer l'occasion de mettre un visage sur ce rapace.

Tout le plan se déroula calmement. Azhim se contenta de faire ce qu'il devait faire, sans rechigner à l'idée d'aller dans les Bas-quartiers, sans râler, comme toujours. À présent, ils étaient tous deux dans la chambre miteuse de cette auberge moisie à attendre la venue d'un homme probablement aussi pourri que l'endroit.

Il resta derrière sa maîtresse quand elle ouvrit la porte. À dévisager l'inconnu. Il haussa un sourcil, sceptique, et détailla l'homme des pieds à la tête comme le ferait une commère, en suivant l'échange d'un air égale.

- Oh, pardonnez-moi, j'en ai oublié mes bonnes manières, monsieur Terrefière. Laissez-moi vous présenter Azhim Khalil, il est comme mon ombre.

Le désigné se redressa un peu, tentant de se grandir un maximum. Tête haute, regard en biais, il ne laissa filtrer sur son visage aucune émotion. Tout ce qui transparaissait de cette silhouette élancée était une froideur presque palpable. Il se doutait que sa maîtresse, fourbe et malicieuse, devinait les pensées de son suivant. Et qu'elle prenait plaisir à ressentir les mauvaises ondes qui émanait de lui. Elle ne devait pas être déçue.

- Vous serez sûrement amené à le rencontrer plus souvent que moi. Ce n'est pas que ce genre d'endroit … bucolique … me déplaît, cependant, j'ai des obligations et je ne pourrais hélas toujours me libérer.

Azhim n'hocha même pas la tête pour saluer Wilhem. Il n'était pas un bourgeois, ne possédait aucun pouvoir. Il n'avait donc pas droit à ces politesses d'usage. À vraie dire, il hésitait grandement à garder le silence. Il n'avait rien à dire, après tout. Pas devant sa maîtresse. Ç'aurait été irrespectueux pour elle.

- Je m'occuperai de vos commissions avec monsieur Terrefière avec plaisir, Madame, répliqua-t-il sans détacher ses yeux de Wilhem.

Un sourire ressemblant plus à une sorte de rictus forcé se dessina sur son visage quand il s'adressa à l'autre homme :

- Vous devez être enchanté d'avoir accompli le défi que vous a attribué ma maîtresse, n'est-ce pas ?

La silhouette caché dans l'ombre jusqu'ici finit par rentrer en scène, et de quelle manière ! Ce qui me frappa en premier fut son regard glacial et perçant. Un regard en lame d'acier capable de vous retourner les entrailles. Un regard qui n'avait l'air de ne jamais avoir connu la chaleur, et qui laissait penser que son propriétaire n'était pas disposé à l'être non plus. Je me composai un masque imperturbable, dans l'espoir de ne rien laisser transparaître devant ma nouvelle alliée.

Transparaître quoi d'ailleurs ? Cet homme était grand mais sans avoir une carrure colossale. Il n'était pas lourdement armé et ne paraissait pas ouvertement agressif. Mais sans être une montagne de muscle belliqueuse comme on croise souvent, il était.. Presque effrayant. Un blog de glace visiblement peut disposer à m'aider. Ou plutôt à me laisser approcher de sa maitresse.
Le message était clair.

" Je m'occuperai de vos commissions avec monsieur Terrefière avec plaisir, Madame. "

Mais bien sûr, cause toujours..

" Vous devez être enchanté d'avoir accompli le défi que vous a attribué ma maîtresse, n'est-ce pas ? "

Son sourire, ou plutôt sa grimace, dénotait totalement avec son ton courtois, illustrant assez bien le fond de sa pensée. Pensait-il que je serai un danger pour lui ? Un rival peut-être ? Plutôt mourir qu'être obligé de me plier aux quatre volontés de quelqu'un. Un service, d'accord. De l'espionnage, aussi. Mais devoir obtempérer à tous les caprices de quelqu'un.. Très peu pour moi.

" Je ne suis pas certain qu'enchanté soit le terme approprié.. Je suis plutôt satisfait voyez vous. Très satisfait même étant donné que cet échange peut être très profitable à votre maitresse mais aussi bénéfique pour moi. "

Sur ces paroles, j'adressai un sourire charmant à Grâce avant de me retourner vers.. Azhim. Prénom étrange.. Exotique non ? Je le dévisageai dans l'espoir d'apercevoir une émotion quelconque passé sur son visage. En vain. Je compris pourquoi Grâce l'avait choisi pour être son suivant. Notre arme de prédilection commune, et certainement notre unique point commun, était notre faciès et l'art de jouer de notre corps. Simplement, nous l'utilisions à l'inverse : j'étais aussi courtois et "chaleureux" qu'il était froid et distant. Nous étions aux antipodes l'un de l'autre et forcer à travailler ensemble.

Cette collaboration forcer me réjouissait autant que lui, visiblement. Cela handicapait mes projets de ne pas pouvoir être en contact avec Grâce autant que je l'avais prévu. Mais je n'avais guère le choix, alors autant faire bonne figure et gagner des points..

" Maintenant que vous avez eu un aperçu de mes capacités, en quoi puis-je vous être utile ? "

Je me tournai vers Grâce, occultant la présence de son domestique. J'allais suffisamment le voir à l'avenir pour faire attention à lui plus longtemps..

Azhim n’était pas heureux d’être ici, d’être ici, présenter à quelqu’un qui semblait en bonne voie pour devenir un collaborateur. Grâce le savait très bien, il avait horreur qu’un homme tourne de près ou de loin autour de sa maîtresse quel que soit intentions. S’amusant particulièrement de la situation, la jeune femme regardait son domestique échanger quelques mots plutôt froids avec monsieur Terrefière. Ce dernier d’ailleurs n’avait pas abandonné son attitude charmeuse. Soit se berçait-il encore de douces illusions, ce qui semblait fort peu probable à la demoiselle, après tout, il avait montré plus d’esprit que cela. Soit cela était sa nature profonde, ce masque qui était bien plus facile à arborer que les autres comme cela l’étaient pour Grâce.

Leurs points communs avaient quelque chose de troublant. A le voir ainsi elle avait l’impression qu’il lui renvoyait son image ce qui était incurablement attirant comme irréversiblement repoussant.

« Je vais vous confier une tâche que vous allez sûrement trouver fort amusante. Au lieu de vous faire confier un secret, je vais vous demandez d’en confier un. Bien entendu il ne s’agira pas de l’un de vos petits points noirs, soyez tranquille. »

Un petit sourire amusé s’était dessiné sur les lèvres de la Baronne. Ce n’était que sa nature curieuse qui aurait souhaité connaître les petits travers caché du chasseur, elle n’en avait aucune utilité pratique, du moins pas pour l’instant.

« Il se dit assez officiellement dans l’Esplanade que deux maison qui n’apprécient guère les Brasey sont en tractation pour un mariage entre leur héritier. J’aimerais que vous approchiez la Châtelaine Cauvac, pour lui souffler que la fille à laquelle elle envisage de marier son fils est d’une fertilité douteuse, tout comme l’était sa propre mère qui a mis presque dix avant de donner naissance à un enfant viable. »

Si une partie de la rumeur était factuellement vraie, l’autre n’était qu’une odieuse supposition. Cependant, ne serait-ce qu’un soupçon de faible fertilité était suffisamment grave pour fragiliser les plans des deux familles. Surtout en ce moment où il semblait si aisé et rapide de rejoindre le domaine d’Anür. Cet ordre n’était pas réellement de son fait, il était plus de celui de sa mère qui lui avait confié comme tâche de ne trouver un moyen de contrarier ce mariage. Mais quoi qu’elle fasse elle-même Grâce serait limitée dans son impact par son nom et sa réputation. D’où l’utilité de Wilhem.

« J’espère que vous n’aurez aucun scrupule à tâcher légèrement la réputation d’une petite dinde suffisante. »

La victime du coup monté était plus une petite biche qui ne savait trop quoi faire d’elle-même. Mais cela, il n’avait besoin de la savoir. Si le monde des mondains n’était pas aussi ouvertement violent que celui des guerriers. Il fallait lui reconnaître une certaine brutalité.

« Si tel est le cas, vous trouverais-je une tâche plus … Appropriée. »

Elle devait bien avoir quelques petites innocentes à qui fallait arracher leurs petits secrets pour leur apprendre les règles du jeu et marquer son territoire. Cela serait une plus facile pour le séducteur.

« Gageant que, de par votre éducation, vous sachiez lire, je me lui permise vous faire un petit récapitulatif pour que vous soyez crédible. Ayez simplement la présence d’esprit de le brûler lorsque vous n’en aurez plus l’utilité qu’il ne reste de trace de cet entretien. »

Grâce ouvrit sa cape, laissant apparaît une robe de tissu précieux mettant remarquablement en valeur les courbe graciles de son corps tandis qu’elle sortait d’une poche intérieure un petit parchemin plié qu’elle remit à Terrefière.

« Malheureusement, je ne peux rester plus longtemps, cependant Azhim répondra à vos éventuelles questions. J’espère cependant avoir l’occasion de traité à nouveau en personne avec vous Monsieur. Je préfère éviter les intermèdes quand je le peux. »

Sans réellement plus de cérémonie, et après des courtoises salutations la jeune femme se dirigea ver la porte. Avant de la franchir, elle jeta un regarde entendu à son domestique. Bien entendu, il lui raconterait tout lorsqu’ils se retrouveraient. Puis elle remit son capuchon et s’engouffra dans le couloir, refermant la porte derrière elle.

Le bruit de ses pas s’éloigna avant de disparaître dans les escaliers.

- Je ne suis pas certain qu'enchanté soit le terme approprié... Je suis plutôt satisfait voyez-vous. Très satisfait même étant donné que cet échange peut être très profitable à votre maîtresse mais aussi bénéfique pour moi.

Azhim souffla du nez, ce qui devait s'apparenter à un petit rire moqueur et dissimulé. Satisfait, disait-il ? Sûrement pas pour longtemps. Sa maîtresse n'avait pas besoin d'un adolescent prépubère pour régler ses comptes. Elle savait très ben se débrouiller seule, et si jamais elle ne le pouvait pas, lui, Azhim Khalil, en était parfaitement capable.
Alors que Wilhem s'adressait de nouveau à Grâce, le domestique leva les yeux au ciel et croisa ses bras sur son buste avant de darder un regard en biais à la Baronne. Pourquoi s'encombrait-elle d'un boulet comme Terrefière ?!

La tâche qu'elle lui confia rassura quelque peu son servant. À première vue, c'était une mission simple. Néanmoins, Wilhem risquait gros à colporter ainsi des rumeurs. Il suffisait qu'une personne se rende compte de la supercherie, et tout lui retombera dessus.

Grâce prit finalement congé, laissant les deux hommes seuls dans la chambre. Une lourde atmosphère, jusqu'à présent mise de côté par la présence de la jeune femme, venait de leur tomber sur les épaules. Bien entendu, cela ne dérangeait en rien Azhim puisque c'était lui qui la créé de toutes pièces.
Il demeura ainsi à fixer Wilhem comme un affamé regarderait un bout de pain, avant de laisser échapper un léger rire pas spécialement chaleureux.

- Des questions, monsieur Terrefière ?

Il leva le menton et bomba légèrement le torse, en position de défi, de provocation, prêt à rebondir sur chacun des mots de son nouveau rival. Wilhem n'était pas bien tombé. Aussi longtemps qu'il restera au service de Grâce et qu'il lui léchera les bottes, Azhim se fit la promesse qu'il ferait de sa vie un enfer. Il était très doué pour ça.

Tout chez le domestique suintait l'hostilité. Son regard froid, sa position fermée, ses petits ricanements sarcastiques.. Je fis cependant comme si il n'existait pas, en tournant mon entière attention vers sa maitresse. Mais je dois avouer que ses petites réactions plus ou moins silencieuses m’exaspéraient au plus haut point.

Le départ de sa Grâce n'arrangea rien bien au contraire. L'atmosphère était si lourde de tension qu'on avait la sensation de pouvoir y plonger un poignard. Acte qu'Azhim rêvait de faire avec ma personne, visiblement.. Étant aux antipodes l'un de l'autre, je ne doutais pas que réagir de façon amicale, ou du moins sympathique, à ses assauts agressifs ne l'énerverait que plus. Ce qui me réjouissait.

Il me fixa longuement tandis qu'un silence glacial s'installait. Je souris courtoisement à son regard malveillant, et un rire froid, si l'on pouvait qualifier ce son ainsi, s'échappa de ses lèvres jusqu'ici hermétiquement close.

" Des questions, monsieur Terrefière ? "

Il changea d'attitude, passant de l'agressivité à la provocation. Qu'attendait-il de ma réaction ? Que je m'écrase ? Il en rêvait, c'était certain. A vrai dire, je comprenais cette réaction. Si j'avais été à sa place, je n'aurai pas non plus apprécié un nouveau.. Collaborateur. Malheureusement pour lui, il n'était pas le seul à avoir déceler le potentiel et les utilités de sa chère maîtresse..

Je répondis d'un ton jovial, faisant de mon mieux pour ne pas paraître impressionné. Car au fond, je l'étais. Une telle attitude, si pleine d'assurance froide, révélait qu'il pouvait être dangereux. Bien plus que je ne l'étais..

" Non, aucune ! Cette mission est tout ce qu'il y a de plus simple à comprendre, mais merci pour votre sollicitude. "

La crispation de ses mâchoires confirma ce que j'avais pressenti. Ma réaction l'insupportait. Et je pris un malin plaisir à continuer sur cette voie..

" Peut être une en effet ! Plus.. Personnelle. Mais étant donné que nous allons être amené à travailler ensemble, il est préférable de nous connaître un peu mieux. Depuis combien de temps êtes vous au service de Mlle de Brasey, Azhim ? "

C'était risqué, certes. Mais je pariais sur le fait qu'il n'oserait pas répliquer physiquement, sa maîtresse ayant besoin de moi pour le moment. Les conséquences en serait néfaste pour lui, et ce n'est certainement pas ce qu'il cherchait. Du moins, j'en étais persuadé.

Et il répondit, le Terrefière, le plus innocemment du monde. Il jouait bien, l'enflure. Il camouflait bien ses émotions. Azhim n'avait guère apprécié cette réponse pourtant simple et joviale. Il n'appréciait guère cette attitude trop assurée, trop confiante. Lui allait se faire un malin plaisir à le faire redescendre sur terre. Il n'était peut-être qu'un simple domestique, mais il n'était pas né de la dernière pluie. Jamais personne ne prendrait sa place, ou même ne partagerait la sienne aux côtés de Grâce.

- Peut-être une en effet ! Plus ... personnelle.

Azhim haussa les sourcils, l'air faussement intéressé.

- Mais étant donné que nous allons être amené à travailler ensemble …

Pincement de lèvres du côté du domestique suivit d'un petit tic nerveux du visage. Décidemment, il avait le chic pour faire bouillir le sang dans ses veines.

- Il est préférable de nous connaître un peu mieux. Depuis combien de temps êtes-vous au service de Melle de Brasey, Azhim ?

Il laissa échapper un claquement de langue agacé. Tout le monde l'appelait par son prénom, c'était un fait. Il n'était pas d'une classe sociable assez élevée pour avoir le privilège d'être nommé 'monsieur' ou par son nom de famille. Ce n'était jamais arrivé, et cela n'arrivera sans doute jamais. Mais venant de Wilhem, de ce chasseur, de cet ancien bourgeois tombé plus bas que terre, cela peinait à passer. Ça sonnait presque faux. C'était presque fait exprès.

Le domestique passa près de son interlocuteur et vint s'assurer que la porte de la chambre était bien fermée. Il s'appuya ensuite dessus, croisa les bras sur son buste et toisa le jeune homme un instant, un air snob peint sur son visage. Le masque du parfait petit serviteur tombait et révélait l'homme pétri de vices qui sommeillait en lui. Il n'avait pas envie de tourner autour du pot pendant des heures et encore moins de faire semblant pour un être aussi inintéressant que Wilhem.

- Qu'est-ce que cela peut bien vous faire ? Répliqua-t-il d'un air égal. Voulez-vous aussi savoir en quelle tenue dort Madame ?

Il secoua lentement la tête.

- Qu'est-ce que vous voulez ? Trancha-t-il finalement. De l'argent ? Des étoffes ? De la renommée ?

Son dos se décolla de la porte pour se raidir un peu. Azhim fit un pas vers Wilhem et pointa un doigt accusateur vers lui.

- Vous n'obtiendrez rien. Tant que je serai là, soyez certain que jamais, ô grand jamais, vous n'obtiendrez quoique ce soit de ma maîtresse. J'y veillerai. Et si jamais vous osez faire quelque chose à son encontre …

Son indexe vint toucher – un brin brutalement – le torse de Wilhem.

- Sachez que tout ce qui vous est arrivé jusqu'à présent vous semblera être une simple rigolade tant je ferai de votre vie une longue et pénible descente aux Enfers.

Que c'était bon de pouvoir enfin parler librement ! Cela faisait des années qu'il n'avait pas eu la chance de cracher ainsi son venin.
Poussé par l'adrénaline, la main d'Azhim vint attraper le visage de Terrefière au niveau de son menton pour qu'il le regarde dans les yeux.

- Et si j'apprends que vous êtes allé pleurer dans les jupons de Madame – car je l'apprendrai, soyez-en certain - …

Il prit une grande inspiration pour se calmer :

- Qu'est-ce qui est pire que la pendaison, à votre avis ?

Venait-il de vérifier que la porte était bien fermé ? Pourquoi ce besoin de s'en assurer soudainement ? Que prévoyait-il de faire ? Ma petite provocation l'avait-elle agacé au point de s'en prendre à moi ? Impossible. Ou du moins peu probable.

Je me rassurais du mieux que je le pouvais, dans une pitoyable tentative de conserver mon masque assuré en dépit de l'angoisse qui m'envahissait peu à peu. Son dos collé à la porte et son regard froid, allumé tout de même par une étincelle de colère me mettait bien plus mal à l'aise que je l'aurai voulu.
Si tout à l'heure, le domestique avait l'air menaçant, maintenant il paraissait dangereux. Était-ce dû au fait qu'il bloquait volontairement la seule issue possible de la misérable mansarde ? Ou à son visage, dont le masque impassible se fissurait pour laisser place à son véritable aspect ?

Cet aspect était celui d'un homme froid, calculateur, ambitieux, prêt à tout pour garder sa place. Et moi, j'osais intervenir, grignoter un morceau de son pain afin de gagner un nom, m'interposer sur sa route déjà longue et difficile dans les affres de la noblesse. Je ne ressentais aucune culpabilité vis-à-vis de cet homme, après tout c'était chacun pour soi.. Le sentiment qui m'animait était la peur. Peur des représailles de ce domestique, bien plus vieux et surtout bien plus expérimenté que moi au jeu dangereux dans lequel je m'étais jeté à corps perdu.
Malgré ça, je ne regrettai pas mon choix. Les règles m'étaient encore obscures, mais je savais qui était mon adversaire.

" Qu'est-ce que cela peut bien vous faire ? Voulez-vous aussi savoir en quelle tenue dort Madame ? "

Cette dernière remarque manqua m'arracher un sourire ironique, mais il ne me laissa pas le temps de répliquer, me faisant ravaler ma remarque moqueuse en enchaînant :

" Qu'est-ce que vous voulez ? De l'argent ? Des étoffes ? De la renommée ? "

Finalement, il allait droit au but, agacé par mon attitude fausse, pressé de tirer les choses aux clairs avec moi. En sa position de domestique, pouvoir poser librement les questions et remarques qui lui traversaient l'esprit ne devait pas arriver très souvent. Cette frustration accumulée rejaillissait, l'enhardissait : il s'approchait de moi, un index accusateur pointé dans ma direction.

" Vous n'obtiendrez rien. Tant que je serai là, soyez certain que jamais, ô grand jamais, vous n'obtiendrez quoique ce soit de ma maîtresse. J'y veillerai. Et si jamais vous osez faire quelque chose à son encontre … "

Menaces appuyés par son index venant s'enfoncer dans mon torse, ne faisant aucun doute sur ses intentions. Je tentais de garder mon regard assuré et calme, sans grand succès : je déglutis. Preuve était faite qu'il n'avait cure de me frapper. Après tout, pourquoi aurait-il dû craindre les conséquences ? Il était au service de sa maitresse depuis bien plus longtemps que moi. Et je n'étais certainement pas irremplaçable..

" Sachez que tout ce qui vous est arrivé jusqu'à présent vous semblera être une simple rigolade tant je ferai de votre vie une longue et pénible descente aux Enfers. "

Sa main attrapa brutalement mon menton, me forçant à plonger mon regard dans les pics de glace qu'étaient ses yeux. Il était plus grand que moi, plus imposant, et certainement plus fort. Comment réagir si il levait la main sur moi ?

" Et si j'apprends que vous êtes allé pleurer dans les jupons de Madame – car je l'apprendrai, soyez-en certain.. Qu'est-ce qui est pire que la pendaison, à votre avis ? "

Sa main rejeta mon menton en arrière, me faisant reculer, ce qui n'était pas pour me déplaire.. Je devais être pitoyable dans une telle position de faiblesse, mais je repris mon masque confiant, même si il était certainement fissuré.

" Nous sommes partis sur de mauvaise bases non ? petit sourire ironique Mais si ça peut vous rassurer, je ne recherche pas la richesse. Pas auprès de votre maitresse du moins.. "

Je croisais les bras sur ma poitrine, dans le but de me donner plus de force. Je ne pouvais pas me laisser abattre de telle façon. Il était effrayant, et il le savait. Mais je ne lui ferai pas le plaisir de m'écraser sous ses menaces..

" Je ne convoite pas votre place non plus. Domestique ? Je vous le laisse volontiers, je ne m'abaisserai pas à ça, très peu pour moi. Ce que je cherche ? Ça ne vous concerne pas. Mais sachez que votre maîtresse est déjà toute disposé à me l'offrir.. Donc pourquoi vouloir me mettre des bâtons dans les roues ? Je ne suis pas un danger pour vous, et vous ne m'intéressez guère. "

Je poussai un soupir affligé, secouant légèrement la tête.

" Quel dommage de réagir de cette manière.. Vu notre position à tous les deux, ne serait-il pas plus logique de s'entraider ? Sans me donner votre amitié et votre confiance, rien ne vous empêche d'être cordial. "

A ce stade, je ne savais plus si ma tirade tenait de la provocation ou si j'étais sincère dans mes propos. J'essayais de l'apaiser, afin de le convaincre de ne pas m'attirer d'ennuis, mais sans trop d'espoir. Ce qui expliquait la petite pointe cynique qui transparaissait dans mes paroles..

Il vit une faille dans son regard provocateur. C'était léger, furtif, mais Azhim l'avait vu. Ses menaces tapaient là où il fallait, et il n'en était que plus satisfait. Le petit Wilhem s'aventurait-là dans la cour des grands, il fallait bien qu'il se fasse latter. Et si Azhim devenait son rival, à coup sûr qu'il allait se prendre quelques coups bien placés.
Quand il le lâcha, le domestique du se contenir pour n'en rester qu'à là. Il mit néanmoins toute sa rage dans son mouvement de bras, sans pour autant y mettre toute sa force.

Wilhem tenta de garder une certaine contenance, ce qui était assez louable. Les menaces d'Azhim étaient violentes et directes, et pour lui, il s'agissait plus de promesses.

- Nous sommes partis sur de mauvaises bases, non ? Mais si ça peut vous rassurer, je ne recherche pas la richesse. Pas auprès de votre maîtresse du moins.

Le domestique passa une main dans ses cheveux en lâchant un long et nerveux soupir, peu convaincu par ses paroles qui peut-être étaient censées le calmer.

- Je ne convoite pas votre place non plus. Domestique ? Je vous le laisse volontiers, je ne m'abaisserai pas à ça, très peu pour moi.

Voilà, la provocation reprenait, alors.

- Ce que je cherche ? Ca ne vous concerne pas.

Oh que si.

- Mais sachez que votre maîtresse est déjà toute disposée à me l'offrir. Donc pourquoi vouloir me mettre des bâtons dans les roues ? Je ne suis pas un danger pour vous, et vous ne m'intéressez guère.

Un instant, Azhim regarda ailleurs, juste pour pouvoir mettre ses idées aux claires. Wilhem semblait bien parti pour continuer à parler, à son grand désarroi. Et, si le chasseur n'était pas disposé à s'aplatir devant le domestique, il était clair que lui non plus. À voir qui flancherait le premier.

- Quel dommage de réagir de cette manière ...Vu notre position à tous les deux, ne serait-il pas plus logique de s'entraider ? Sans me donner votre amitié et votre confiance, rien ne vous empêche d'être cordial.
- Je n'ai pas. Besoin d'aide. Et encore moins venant d'un morveux dans votre genre. Et pour ce qui est de ma condition de domestique et du fait que vous ne souhaitez pas vous abaisser à cela, sachez, en toute franchise, que je vous emmerde, et ce avec toute la détermination du monde. Oh, et, si, tout ceci me concerne.

Il avala sa salive et se mordit la lèvre inférieure.

- Tout ceci me concerne beaucoup plus que ce que vous pouvez imaginer. Vos grands airs ne m'impressionnent pas, et je suis tout à fait capable de vous mettre le soufflet de votre vie, juste là, tout de suite, pour vous faire descendre de votre siège en or. Sûrement la correction que votre père aurait dû vous donner lorsque vous étiez un gamin.

Le sentiment de toute puissance qu'il ressentait était grisant. Le fait de dire, sans pour autant faire, tout en sachant qu'il le pouvait, c'était ça, qui lui plaisait. Il contrôlait. Il avait Wilhem à sa merci, dans cette chambre miteuse. Alors qu'à l'accoutumée, Azhim n'était qu'un meuble parmi les autres n'ayant pas vraiment plus d'importance qu'un autre, là, c'était lui, le Grand. Il aurait aimé que cela dure une éternité. Il voulait voir le chasseur flancher doucement en face de lui, perdre lui aussi son masque pour révéler la petite créature sans défense qu'il était réellement.
Alors, poussé par cette sensation, le domestique s'approcha de son rival, le forçant à reculer contre un coin du mur, à sa merci. Puis il plaqua ses mains de chaque côté, englobant Wilhem de ses bras comme une pucelle entre les griffes de son violeur. Peut-être était-il armé, mais l'homme avait confiance. S'il venait à l'utiliser contre lui, Grâce l'apprendrait, d'une manière ou d'une autre. Et alors, c'est une toute autre colère qu'il devra affronter.

- Tant que vous serez entre mes pattes, soyez certain que chaque petit geste deviendra pénible à accomplir. Ce sera facile pour moi. Une vraie partie de plaisir. J'arriverai si bien à vous contrôler que vous finirez bien par ne devenir qu'une petite boule malléable. Je suis doué avec les mots, vous savez. Et même si, pour l'instant, ça vous paraît impensable, vous craquerez. Lentement. Sans même vous en rendre compte.

Il détaillait le visage trop parfait de Wilhem à mesure qu'il parlait, n'oubliant aucune petite parcelle de peau, aucun reflet dans son regard, aucune mèche rebelle. Il se tenait si proche de lui qu'il pouvait sentir son souffle chaud et régulier, peut-être un brin angoissé.

- Pour ça, oui, vous pouvez avoir confiance en moi.

Frappe-moi. Vas-y, juste un petit mouvement à mon encontre. Pour que j'ai une excuse pour surenchérir.
Un fin sourire étira ses lèvres.

- Je ne suis pas le domestique attitré de Grâce de Brasey pour rien.

Cette phrase était à double sens: certes, Grâce et lui se ressemblaient sur plusieurs points. Sur presque tous les points. Mais c'était lui, et lui seul, qui s'était dit qu'il allait un jour se mettre la Baronne dans la poche. Grâce à elle, il pouvait presque tout se permettre, il était sous sa protection, sous son aile protectrice. En retour, il devait se comporter comme un père, un proche prêt à combler tous ses désirs. Pour l'instant, elle lui était d'une aide précieuse, peut-être même sans le savoir. Et puis, un jour, lui prendrait les devants. Et alors ce sera fini, d'offrir se vie aux autres.

Visiblement, l'objectif était atteint, le domestique était en colère. Si il l'était déjà tout à l'heure, il faisait son possible pour ne rien laisser paraître, rien de trop excessif du moins. Comparable à un bloc de glace.
Glace que mes mots et insultes à demi masquées venaient de parvenir à briser. Il m'emmerdait avec toute la détermination du monde, eh bien ! Comme quoi, il suffisait juste de le pousser un peu pour faire tomber son masque de froide courtoisie..

" Tout ceci me concerne beaucoup plus que ce que vous pouvez imaginer. Vos grands airs ne m'impressionnent pas, et je suis tout à fait capable de vous mettre le soufflet de votre vie, juste là, tout de suite, pour vous faire descendre de votre siège en or. Sûrement la correction que votre père aurait dû vous donner lorsque vous étiez un gamin. "

J'étais peut-être aller trop loin. Je m'étais trompé, il serait donc capable de s'en prendre moi, comme il venait de le signifier. Mais quelles sont mes autres solutions ? Il ne se laissera pas apaiser, et pour ce qui est d'un conflit physique.. Je n'avais aucune chance, j'en étais bien conscient. Alors avais-je d'autres choix que de continuer sur ma lancée ? D'être arrogant jusqu'au bout ?

Non. Je pouvais m'écraser aussi. Mais je n'avais pas envie de m'y résoudre. Hors de question même, il ne manquerait plus que ça ! Mon arrogance me coûterait cher, mais voir un petit sourire satisfait sur cette bouche pleine de venin me ferait bien plus mal.

Mais il ne me laissa pas le temps de répliquer, le serpent ! Sa carcasse me força à reculer jusqu'à ce que mon dos percute violemment le mur. Il ne me laissait aucune issue, ses deux mains d'une part et d'autre de ma tête, son regard froid surplombaant cette tnt ma faiblesse.

" Tant que vous serez entre mes pattes, soyez certain que chaque petit geste deviendra pénible à accomplir. Ce sera facile pour moi. Une vraie partie de plaisir. J'arriverai si bien à vous contrôler que vous finirez bien par ne devenir qu'une petite boule malléable. Je suis doué avec les mots, vous savez. Et même si, pour l'instant, ça vous paraît impensable, vous craquerez. Lentement. Sans même vous en rendre compte. "

Je déglutis devant cette tirade. Quelque chose en lui, dans son regard, dans sa voix, me faisait croire à ses paroles, les gravait dans ma mémoire. Il se trompait, ça ne me paraissait pas impensable, au contraire. Pour le moment, j'étais un jouet entre ses mains. Un jouet qu'il pourrait briser très facilement.
J'avais beau faire le fier, je ne pouvais plus cacher ma peur, mon cœur tambourinant dans ma poitrine. Une seule question tournait en boucle dans ma tête, m'empêchant de réfléchir de façon rationnelle : QUE FAIRE ?!

" Pour ça, oui, vous pouvez avoir confiance en moi. Je ne suis pas le domestique attitré de Grâce de Brasey pour rien. "

Je pouvais le repousser, je n'étais pas non plus totalement dénué de force physique. Mais ce qui en découlerait me faisait peur. Car Azhim n'attendait que ça. Une excuse, un prétexte, une infime menace qui justifierait qu'il me saute à la gorge. Que faire, que faire, que faire ?
Continuer à parler. Et ne pas se démonter. Ce qui était plus dur à dire qu'à faire. Bien plus dur.

" Dans ma position, je suis bien obligé de vous croire il me semble. "

Malgré mes efforts, ma voix tremblait. Pitoyable. Il allait falloir que je fasse mieux que ça. Mais comment ? Je ne voyais aucune issue. Incapable de bouger, à peser le pour et le contre de mes paroles pour ne pas dépasser les limites, ces dernières étant bien floues.

" Cependant, même si pour le moment, il est clair que vous avez l'avantage, ça ne durera pas éternellement. "

Je tentai d'accrocher mon regard au sien, dans l'espoir d'être un peu plus .. Impressionnant ne serait pas le mot, vu la position dans laquelle je me trouvais actuellement. Disons, convaincant, même si c'était peine perdue. Au moins, je gardais un minimum la face.

" Un homme a forcément des failles, vous ne devez pas faire exception. "

Ce domestique était bien pire qu'une épine dans le pied, c'était un constant couteau poser sur ma gorge. Et je n'avais pour le moment aucun moyen de m'en débarrasser. Le jour ou Grâce n'aurait plus besoin de moi, Azhim ne donnerait pas cher de ma peau.

" Mais.. Je prends comme un compliment le fait de représenter une telle menace à vos yeux. Se pourrait-il que je sois plus dangereux que je le pensais moi même ? "

L'ironie, c'était peut être pas une bonne idée. Plutôt une très mauvaise oui. Mais cette remarque avait fusé toute seule, par habitude de jouer la grande gueule. Mes mains s'agitèrent d'un tremblement léger. Comment allait-il réagir ?

- Dans ma position, je suis bien obligé de vous croire il me semble.
- Sage décision.

S'il admettait cela et commençait à s'aplatir, la discussion allait vite toucher à sa fin. C'était ce qu'il souhaitait, après tout, Azhim. Que l'autre craque et se rende à l'évidence. Il martèlerait jusqu'à ce que ce soit efficace.
Fausse joie, peut-être. Car Wilhem surenchérit de nouveau.

- Cependant, même si pour le moment, il est clair que vous avez l'avantage, ça ne durera pas éternellement.

Quel culot, tout de même. Le domestique regrettait de ne pas avoir sur lui une petite lame, minuscule, surplombée d'une petite fiole. Lame à planter directement dans la chair, lame qui ne blesse pas, mais qui empoisonne. Il songerait à s'offrir ce trésor, la prochaine fois qu'il irait voir l'alchimiste Feuerhart.

- Un homme a forcément des failles, vous ne devez pas faire exception.

Wilhem émit l'idée qu'il était flatté qu'Azhim le voit comme une menace, ce qui n'eut pas pour effet d'apaiser sa rancœur. Son buste se souleva vivement sous la grande inspiration qu'il prit subitement. Sa main gauche, jusqu'à présent plaquée contre le mur, se glissa brutalement dans les cheveux du chasseur. Les doigts crispés se refermèrent sur cette tignasse, et balança la tête en arrière pour faire perdre les repères.

- Idiot présomptueux et égocentrique ! Grinça-t-il. Sur ma route, des ronces peuvent représenter un obstacle. J'ai le choix entre les contourner ou les aplatir. Elles ne représentent pas pour autant un danger. J'en garderai tout juste quelques éraflures.

Son pied vint appuyer fortement contre l'articulation de la jambe de Wilhem pour le faire tomber à genoux devant lui. Oh, Azhim n'était pas un combattant. À vrai dire, il ne s'était jamais réellement battu. À peine quelques accrochages lorsqu'il vivait dans la rue. Avant ça, il se prenait régulièrement des coups de fouet ou autres claques humiliantes quand il était chez Vitéric. Jamais il ne se défendait, car il savait que ça serait pire ensuite.
La situation actuelle présentait une toute autre issue, et le domestique misait sur la peur qui émanait de lui. Pour pouvoir contrôler le monde, il n'était pas forcé d'être un grand tueur. Les bons mots et quelques attitudes intimidantes pouvaient suffire à calmer les gens. Il y avait de grandes chances pour que Wilhem ne réagisse pas. Et s'il réagissait, et bien … Azhim devra alors faire preuve de plus de ressources. Si ce n'était pas ce jour, ça serait un autre. Mais il ne restait jamais sur un échec.

- Si tu sers ma main, je la serrerai plus fort encore, souffla-t-il à son oreille. On verra alors qui sera le premier à abandonner. Et comme tu l'a si bien annoncé : tu pars avec des lacunes.

Il lâcha finalement la tignasse de Wilhem et s'écarta de lui, satisfait. Il vint ensuite fouiller dans sa petite sacoche pour en sortir les sucreries préférées de sa maîtresse, et en tendit une devant lui. Sur son visage, le masque venait d'être replacé, bien que l'on pouvait remarquer une lueur mauvaise dans son regard. Ses doigts étaient agitées d'un léger tremblement dû à l'adrénaline.

- Une douceur, monsieur Terrefière ? S'enquit-il comme s'il n'avait rien dit de menaçant.

Je n'eus pas le temps de voir sa main s'élancer vers moi qu'une vive douleur irradiait de mon cuir chevelu malmené. Douleur accentuée par son geste brutal pour faire basculer ma tête en arrière. Douleur et peur. Peur et douleur. Je ne songeais même plus à ce que j'aurai pu faire, ce que j'aurai DU faire pour m'en sortir, paralysé par la terreur que me faisais ressentir le domestique.

Je n'avais pas su la fermer et là était le résultat. Etait-il armé ? Allait-il me frapper ? Où était sa limite, si elle existait ? Incapable de bouger et de réfléchir pleinement, j'attendais ma sentence, le regard fixé sur mon rival.

" Idiot présomptueux et égocentrique ! Sur ma route, des ronces peuvent représenter un obstacle. J'ai le choix entre les contourner ou les aplatir. Elles ne représentent pas pour autant un danger. J'en garderai tout juste quelques éraflures. "

Nouvel éclair de douleur remontant le long de ma jambe. Impact brutal de mes genoux sur le sol. Jamais je n'avais ressenti une telle humiliation, agenouillé devant cet homme, à la merci d'un simple domestique. Peur, douleur et haine.
Mon masque était tombé, et je lui offrais mon angoisse en spectacle, incapable de prendre le dessus sur lui et sur mes émotions.

Il approcha sa bouche pleine de venin près de mon oreille, pour me susurrer tel le serpent qu'il était :

" Si tu sers ma main, je la serrerai plus fort encore. On verra alors qui sera le premier à abandonner. Et comme tu l'a si bien annoncé : tu pars avec des lacunes. "

Il était trop proche de moi pour ne pas entendre mon déglutissement. Énième preuve de son écrasante victoire sur ma personne. Il finit par me libérer de son emprise, me laissant me relever difficilement, les membres tremblants. En avait-il terminé, ou préparait-il un coup en douce ?

Azhim se dirigea vers sa sacoche, me tournant le dos afin d'y chercher quelque chose. Une arme peut être ? D'un coup d’œil rapide et paniqué, j'évaluai mes chances d'atteindre la porte. Elles étaient quasi-nulle, le domestique se trouvant entre elle et moi.
Il ne me laissa d'ailleurs pas le temps de trouver une nouvelle solution, se tournant vers moi une friandise à la main, son masque de domestique courtois et distant de nouveau affiché sur son visage.

" Une douceur, monsieur Terrefière ? "

Où était le piège, si piège il y avait ? Je serrai les dents, essayant tant bien que mal de me recomposer une expression neutre. Malheureusement, mes yeux devaient certainement me trahir. Je fixai la friandise qu'il me tendait. Elle devait être destiné à sa maitresse, de tels mets ayant des prix exorbitants de par leur rareté. Cela m'étonnerait qu'elle soit empoisonné, mais pourquoi courir le risque ?

" No.. Non merci. C'est aimable à vous de proposer. "

Maudit soit cette foutue angoisse qui rendait ma voix chevrotante et me faisait bégayer ! Il était clair que j'avais perdu toute ma superbe, et ça me laissait un goût amer en travers de la gorge. Goût que toutes les friandises de Marbrume ne sauraient effacer.

" Avez vous d'autres informations dont vous aimeriez me faire part, Azhim ? "

Si il désirait mettre fin à la conversation, il saisirait cette occasion pour se débarrasser de moi. Après tout, pourquoi continuer cette entrevue ? Il connaissait mes intentions, je connaissais les siennes. Nous n'avions rien de plus à nous dire, du moins je l'espérais.
Je tenais mes mains croisés dans le dos, le dos droit et le menton en avant. On aurait pu croire que rien ne s'était passé, mais c'était démenti par mon menton tremblant ainsi que mon regard de proie acculé.

Un jour, ce foutu domestique se retrouvera face à face avec la pointe d'une de mes flèches et nous verrons qui jouera le rôle de la proie..

Bien évidemment qu'il refusa la friandise. Un petit sourire mesquin aux lèvres, Azhim déballa la douceur et la glissa dans sa bouche, jouant dessus avec sa langue pour en libérer toutes les saveurs.
Tout en dégustant la douceur, le domestique dévisageait Wilhem, satisfait. Totalement satisfait. Il venait d'obtenir ce qu'il désirait : le chasseur ne ressemblait plus qu'à une petite biche égarée qui tentait de se donner un peu de contenance.

- Avez-vous d'autres informations dont vous aimeriez me faire part, Azhim ?

Emprisonnant la sucrerie entre ses molaires, le domestique croqua et prit le temps de mâcher un instant, faisant mine de réfléchir.
Puis, lentement, il se dirigea vers la porte tout en lui répondant :

- Pour l'instant, j'ai terminé. Mais n'ayez crainte, monsieur Terrefière. Si j'ai la moindre petite chose à ajouter, je vous tiendrai au courant. Après tout, nous sommes plus ou moins partenaires, maintenant. Pas de secret entre nous.

Sa main abaissa la poignet. Il ouvrit et s'effaça dans le pan de la porte en se tournant vers le chasseur.

- Je vous souhaite une fin de journée agréable, monsieur. Nous nous reverrons très bientôt.


Prends garde, sale insecte. Tu viens de te faire prendre dans une toile.

Après avoir enfourné la friandise dans sa bouche, le domestique me fixa quelques instants, perdue en pleine réflexion. Qu'était-il en train de manigancer ..? Je serrai légèrement la mâchoire, attendant avec impatience la fin de cette.. Douloureuse entrevue.

" Pour l'instant, j'ai terminé. Mais n'ayez crainte, monsieur Terrefière. Si j'ai la moindre petite chose à ajouter, je vous tiendrai au courant. Après tout, nous sommes plus ou moins partenaires, maintenant. Pas de secret entre nous. "

Partenaires oui. Si il n'était pas resté aussi neutre, il aurait certainement craché ce mot. Eh bien, quel duo fabuleux nous formons. Cette chère Grâce risque d'être ravie ! Encore que, à bien y réfléchir, cette pensée ironique avait certainement un fond de vérité. Elle gagnait surement plus à exploiter cette rivalité qu'à voir une amitié, voir une alliance, se former entre Azhim et moi.
Elle avait de la chance, elle était totalement en sécurité pour le coup. Mis à part une haine encore plus profonde, rien ne risquait de grandir entre le domestique et moi même..

Finalement, il se décida à ouvrir la porte, m'invitant à sortir. Cette attitude un peu hautaine me déplaisait, mais mon envie de m'échapper de cette mansarde étouffante était bien trop grande pour que je me formalise du reste..

" Je vous souhaite une fin de journée agréable, monsieur. Nous nous reverrons très bientôt. "

" Bonne soirée à vous aussi, Azhim. "

Ma sortie fut comme tout le reste : pitoyable. Aucune dernière bravade pour lui montrer qu'il ne m'avait pas atteint. Il allait falloir faire mieux que ça la prochaine fois..
Je retrouvais la fraicheur du soir avec délectation, m'éloignant le plus vite possible de l'auberge crasseuse. Retrouver un terrain connu, là où je mènerai la danse. Cela faisait longtemps que je n'avais pas rendu visite à une de mes conquêtes. Cela m'empêcherait de penser à cette désastreuse entrevue.
Il ne perdrait rien pour attendre.