Une rencontre fortuite. (PV Barral Trell) - (Début Avril 1165)

Le soleil disparaissait petit à petit de l’horizon, les rues de la Hanse fourmillaient de personne de tous genres, s’attelant à rentrer chez eux au plus vite. En quelques minutes la foule s’était dissipée, les marchands pour la plupart fermaient boutique. Dante se trouvait là, déambulant sans but dans les rues pavées, les épaules courbées comme-si tout le poids du monde reposait sur lui, *Sale journée…* pensa-t-il. Il se dirigea vers la forge familiale, espérant y trouver sa sœur, seule cette dernière pouvait lui remonter le moral dans des jours comme celui-ci. Malheureusement la forge était fermée, il resta planta là sans bouger les yeux dans le vide, *Elle a surement dû aller voir son nouveau copain, ce coureur de jupons bien habillé, ah si je l’attrape celui-là !! Mais qu’est-ce que je fais là ? *, le jeune reprit son interminable marche repensant aux événements de la matinée.

Ce matin-là Dante était resté une bonne heure planté dans le bureau du coutilier de la caserne, celui qui attribue les missions hebdomadaires, le fixant du regard avec l’espoir de le rendre tellement mal à l’aise que celui-ci finirait par lui donner quelque chose à faire. Cette tactique d’usure était efficace, en effet le coutilier envoya le jeune homme escorter quelques prisonniers. La mission était simple, récupérer les prisonniers aux cachots et les amener à la place des pendus afin qu’ils puissent recevoir leurs châtiments. Dante s’empressa d’aller au cachot ou se trouvait déjà deux autres milicien, ils étaient trois pour escorter cinq condamnés à mort, il remarqua rapidement que l’un d’eux était vraiment costaud et dépassait tout le monde d’au moins deux têtes, mais bon ils étaient tous attachés. Alors que le petit convoi sortait de la caserne pour se frayer un chemin vers la grande place, le géant se mit à grogner tel un animal enragé, il envoya valdinguer le garde se trouvant à côté de lui dans le décor, l’un des autres prisonnier, assez svelte mais agile, attrapa aussitôt le second milicien par le coup, l’étranglant avec la corde qui lui liait les mains. Le jeune Nuitnoire en tête de convoi, se retourna aussitôt et d’un geste vif et précis il lança sa dague en plein dans l’épaule du premier bandit, l’obligeant à relâcher son étreinte sur le soldat qui se dégagea de son emprise et lui assaini un coup de poing en pleine figure, ce qui le mit à terre. Il ne restait plus que le géant au grognement bestial, Dante dégaina son épée et tourna autour de son adversaire, l’autre milicien s’occupait de regrouper le reste des prisonniers qui s’était réfugiés contre un mur n’ayant pas eu le temps d’essayer de s’enfuir tellement l’action fut violente et rapide. Les yeux rivés sur le géant attendant que celui-ci passe à l’attaque, le jeune soldat avait tous ses sens en éveille et une seule envie lui parcourait le corps * Allez mon grand viens par-là que je te tranche la gorge…*. Son souhait fut vite exaucé, le prisonnier fonça sur lui, Dante l’esquiva en pivotant sur le côté, alors que sa rotation n’était pas encore terminée, il leva son épée, la rabattant au moment de se retrouver dans le dos de son adversaire, la lame vint trancher l’épais dos de l’assaillant qui tomba à genoux, le jeune homme s’approcha d’un pas sûr, se positionna derrière le géant et d’un coup sec il le décapita, sa tête roula par terre projetant du sang un peu partout. La suite vous la connaissait, les autres prisonniers furent pendus un par un sur la place principale devant la foule qui regardait sans broncher.

La journée ne s’était pas arrêtée à ces événements mais une idée sortit Dante de ses songes, * Une bière ! Une bonne bière, bien fraiche ! Voilà ce qui va me relaxer ! *, sur cela il partit en direction du hérisson mélomane, ce n’était pas dans ses habitudes d’aller boire comme cela le soir, mais bon au diable les habitudes ! A peine arrivé au coin de la rue, les hurlements, les rires et les fracas de chaise vinrent titiller les oreilles du jeune homme, il était au bon endroit. La taverne était bien éclairée, Dante rentra à l’intérieur, il eut l’impression que toute la foule qu’il avait croisé plutôt dans la rue c’était réuni ici, buvant, criant et chantant sans retenue. Il se fraya un passage jusqu’au comptoir, jouant des épaules au milieu des ivrognes, il commanda une pinte de bière, commande qu’il dut réitérer plusieurs fois tant le bruit autour de lui venait envelopper sa voix. Son breuvage enfin en mains Dante alla s’asseoir à une petite table qui avait repéré dans un coin de la taverne, de là il pouvait regarder le spectacle qui se déroulait autour de lui. Il faut dire qu’il n’était pas habitué à cela, d’un tempérament froid et solitaire, surtout depuis qu’il s’était engagé dans la milice, il n’avait pas beaucoup d’amie, voire pas du tout, sa vie se résumait à la vie à la caserne, à l’entrainement et aux missions qu’on voulait bien lui confier. En temps normal cela lui convenait parfaitement, mais ce soir-là, ne sachant pas trop pourquoi, il avait envie de compagnie, il avait envie de discuter avec quelqu’un.

Plusieurs miliciens se trouvaient dans l’établissement, rigolant entre eux, se racontant des anecdotes. Dante les connaissait pour la plupart car ils étaient tous affiliés à la milice extérieure. L’espace d’un instant il eut envie de les rejoindre, alors quand l’un d’eux lui fit signe de la main, il se leva pour aller les saluer.

- Alors Sang-Froid on m’a dit que tu as encore tué quelqu’un aujourd’hui ? Que s’est-il passé ? Lui demanda le premier homme.
- Tu ne pouvais pas attendre qu’on le pende, non tu voulais t’en charger toi-même ! Après tu te demandes pourquoi on ne t’emmène plus en mission à l’extérieur avec nous ! Cracha un autre.
- C’est clair, on ne sait jamais, tu pourrais avoir envie de nous égorger pendant notre sommeil, Sang-Froid ! Déblatéra l’un d’eux, alors que de l’alcool coulait le long de sa barbe.

Les miliciens se mirent à rires de toutes leurs forces regardant le jeune Nuitnoire comme une bête de foire. Mais celui-ci ne se laissa pas faire et répliqua sans plus attendre.

- Je vous conseille de faire attention les gars, il se pencha vers ses semblables afin qu’il puisse mieux l’entendre, je n’ai pas encore étanché ma soif de sang aujourd’hui et ma dague me démange ! Sur ces derniers mots il lança un regard froid à chacun des hommes se trouvant en face de lui.

Cela fit son effet, tout le monde dans la milice savait de quoi était capable le jeune soldat et aucun d’entre eux ne voulait se retrouver avec une dague plantée entre les deux yeux, après quelques minutes de silence, les miliciens se détournèrent de Dante, faisant comme si rien ne s’était passé. Il esquissa un sourire et repartit s’asseoir à sa place, seul avec sa bière comme lot de consolation. Au final ce qui venait de se passer ne l’étonna guère, limite cela lui faisait plaisir, il avala d’une traite sa pinte et fit signe à une jeune fille qui passait par là, un plateau à la main, de lui en apporter une autre. Cela fait il retourna se perdre dans ses songes, scrutant la foule, se délectant de leurs attitudes malsaines.

L’ambiance était toujours aussi festive au hérisson mélomane, le brouhaha général provoquait, aussi bizarre que cela puisse être, une atmosphère chaleureuse où tout le monde s’y sentait bien. L’œil aiguisé, scrutant chaque personne se trouvant dans la taverne, Dante remarqua rapidement que les gens présents s’étaient instinctivement réunis par petits groupes, ceux-ci constitués a priori suivant leurs rangs et fonctions sociales.

D’un côté un groupe de gaillards en armes plus bruyants que les autres, des miliciens, de l’autre un groupe d'hommes bien habillés, des femmes assises sur eux, buvant à opulence, surement de riches marchands. Un autre composé d’honnêtes travailleurs fatigués par leur dure journée de labeur qui n’avaient pas forcément le cœur à la fête, alors ils buvaient pour oublier l’espace d’un instant ces temps de malheur.

Enfin le jeune homme s’arrêta sur un groupe se trouvant à une table de l’autre côté au fond de la taverne un peu à l’écart, leurs attitudes assez étranges avaient attiré son attention. En effet, ils parlaient tout bas entre eux, regardant par-dessus leurs épaules à chaque fois que quelqu’un passait à proximité, ils portaient de longues capes, surement le meilleur moyen qu’ils avaient trouvé de passer incognito et en plus de cela, ils ne buvaient pas beaucoup. Tout cela était étrange, surtout que ces hommes semblaient ne rien avoir en commun.

Le premier ressemblait à un mercenaire, grand, musclé, le dos vouté, une main toujours dissimulé sous sa cape, à tous les coups posés sur le pommeau d’une épée et puis vêtu d’habits en mauvais état. Le second portait des habits propres et raffinés avec une bague assez imposante au doigt, sa gestuelle était élégante et il faisait tout le temps signe à ses compagnons de baisser le ton. Mais le plus intrigant était le troisième, sa vieille cape bleue nuit décorée de fil gris sur les bords et sa façon de parler en bougeant les mains pour suivre ses propos faisaient penser à un homme de religion. Quant au quatrième qui se dissimulait sous sa longue cape verte, fut trahi par ses jambières en cuir qui laissaient entrevoir une dague. Une dague que reconnut aussitôt le jeune Nuitnoire, en effet l’armurerie de la milice en est remplie et ce sont presque toutes les mêmes.

Dante recula sa chaise contre le mur, le plongeant dans l’ombre afin de pouvoir observer en toute discrétion. *Mais pourquoi un mercenaire, un noble, un prêtre et un milicien se réunissent à cette heure-ci dans une taverne…*. Un homme s’essaya brusquement à côté de lui, le sortant de sa réflexion. Il était tellement plongé dans ses pensées qu’il ne l’avait pas vu s’approcher.

Il resta silencieux et observa du coin de l’œil son voisin qui apparemment ne s’était pas rendu compte de la présence du jeune Nuitnoire. Assez grand et svelte, une face marquée de cicatrice du côté droit, sans oublier le cache-œil, un visage que l’on n’oublie pas. Pour le coup Dante reconnu l’homme, un milicien qui s’était engagé il y a peu de temps, il le voyait souvent s’entrainer la journée mais aucun mot n’avait encore été échangé entre les deux hommes. Sur le moment il hésita à sortir du silence, n’étant plus trop habitué à avoir de la compagnie, il ne savait pas trop comment s’y prendre, et puis si l’homme en question était idiot il n’avait pas envie de se le coltiner toute la nuit, mais bon une petite discussion ne lui ferait pas de mal. Avant de prendre la parole il jeta un dernier coup d’œil au groupe qu’il espionnait plutôt, ils étaient toujours là et ne semblaient pas près de partir.

- Hum…humm, il se racla la gorge en rapprochant sa chaise de la table pour que son interlocuteur puisse le voir. Salut moi c’est Dante, je vois que tu ne te fais pas prier pour t'asseoir ! Il prit sa pinte et but une bonne gorgée avant de reprendre. On s’est déjà croisé plusieurs fois à la caserne… Il regarda l’homme qui avait l’air d’avoir mal un peu partout. Sale journée ?

Maintenant qu’il le voyait de plus près, une seule question trottait dans sa tête, *Est-il vraiment borgne…*, Dante senti que son regard était trop insistant et s’il voulait engager une conversation amicale ce n’était pas forcément une bonne chose, afin de d’étendre un peu plus l’atmosphère il fit signe à la serveuse d’apporter deux autres bières.

Dante observa son interlocuteur, sa façon de parler, sa gestuelle, son regard… Celui-ci l’intriguait, il avait déjà rencontré des borgnes aux pars avant, du temps de la forge on lui avait même demandé de fabriquer un casque pour un officier de l’armée qui avait perdu un œil pendant une bataille, mais cet homme n’était pas comme les autres, son regard était vif et son œil encore valide restait immobile, il ne bougeait pas instinctivement, comme il aurait dû le faire, quand quelque chose passait de l’autre côté. Cette curiosité qui s’emparait du jeune Nuitnoire lui donna l’envie pendant un instant de sortir sa dague et d’arracher ce cache-œil qui était au centre de son attention. Il secoua la tête comme pour chasser cette idée de son esprit.

- Je cherchais un coin tranquille, je vois qu'on a eu la même idée.

Avec ces quelques mots Dante comprit qu’il n’était pas le seul à préférer rester un peu à l’écart des autres, pour mieux observer. En parlant d’observer, il jeta rapidement un coup d’œil vers la table de l’autre côté de la pièce, le groupe de personnages suspects était toujours là, mais l’un d’eux était parti, celui avec la grosse bague, * Il commence à se faire tard, un noble dans une taverne, accompagné de personnages louches à cette heure-ci, il a bien fait de parti avant que quelqu’un d’autre le remarque *.

- Mouais...une de plus...je suis nul alors je déguste.

Ça pour déguster, il dégustait. Sang-Froid l’avait vu plusieurs fois s’entrainer au combat en duel, et à chaque fois il mordait la poussière, mais malgré cela il était toujours là, continuant à s’entrainer, ce qui lui faisait honneur. Dante se souvint d’une chose que lui disait souvent son père, * Il ne faut jamais abandonner, quand tu décides de faire quelque chose il faut s’impliquer à fond et tout donner. Tu peux tomber, encore, encore et encore, mais le plus important est de se relever à chaque fois, cela t’endurcit et au final tu atteindras ton objectif. * Les paroles de son paternel raisonnaient dans sa tête, il avait toujours été de bon conseil, toujours le mot juste.

- Comment t'as fait pour t'en sortir ?

La serveuse arriva et posa sur la table deux nouvelles pintes, apparemment l’alcool commençait à faire son effet, car à ce moment Dante détourna son regard du borgne pour le poser sur la serveuse, * Humm… Jolie la petite…*, il ne regardait pas souvent les femmes, ce n’est pas qu’elles ne l’intéressaient pas, au contraire, mais avec la vie qu’il menait une femme n’aurait été qu’une distraction qui ne pourrait avec le temps que l’empêcher d’atteindre son objectif. Il prit une bonne gorger de bière afin de calmer les quelques pulsions qui lui parcouraient le corps. Après un petit moment de réflexion il se tourna vers le milicien.

- On va dire que j’ai toujours était doué pour le maniement des armes et surtout j’ai eu la chance d’avoir un bon professeur, qui m’a pris sous son aile quand je me suis engagé et qui a fait de son mieux pour m’enseigner tout ce qu’il savait.

Ces mots firent resurgir des souvenirs douloureux à la surface, des souvenirs qu’il essayait d’oublier. Avant de reprendre la parole, il se rendit compte que l’homme en face de lui ne lui avait toujours pas dit son nom, * ouais bon, c’est peut-être mieux comme ça, au moins le jour de ta mort tu ne seras qu’un visage de plus à oublier…*, il posa son regard froid sur son voisin.

- Mais dis-moi, quand je te regarde comme ça tu n’as pas forcément l’air d’un combattant sans vouloir te vexer bien sûr… Alors, je me pose une question, mais que fais-tu dans la milice ?

En effet l’homme en face de Dante n’avait rien d’un milicien, il n’avait pas l’air serein ou même sûr de lui, et de ce qu’avait pu voir le jeune homme aux cheveux gris, malgré son entêtement et sa ténacité, le maniement des armes et le combat ne semblaient pas être sa spécialité. Il y avait beaucoup de gens qui s’engageaient dans la milice ces derniers temps, notamment dû au manque d’effectifs et à la menace pesante des Fangeux, mais toutes ces recrues avaient généralement un but derrière la tête. Quel était le sien ? Ce personnage devenait de plus en plus intrigant, la soirée semblait devenir intéressante.

Dante était de plus en plus décontracté, cela faisant longtemps qu’il n’avait pas ressenti pareille sensation, la musique, les chants, la serveuse… Tout cela lui redonnait du baume au cœur, il eut même l’espace d’un instant l’envie de sourire, mais c’était une chose trop difficile pour lui. Son compagnon de boisson, quant à lui, avait aussi une bonne descente.

-Je suis marin, pêcheur.

Le jeune Nuitnoire fut un peu surpris de cette réponse, même si maintenant il comprenait mieux la gestuelle de son voisin. Il avait connu quelques marins auparavant, des hommes avec une véritable volonté de fer, pour cause leur travail était vraiment dur et entre eux ils ne se faisaient pas de cadeau, mais pour la plupart c’était des bons gars qui subissaient tant bien que mal les épreuves de la vie. * Un marin devenu milicien, chose intéressante de voir comment les trajectoires de chacun peuvent changer juste à cause d’un événement…*

-J'étais dans le convoi du Labret....un carnage...dès que j'ai pu rentrer à Marbrume j'ai poussé les portes de la caserne. Je ne le comprends pas encore, mais je sais une chose, je veux lutter.

Lutter, c’était le bon mot pour d’écrire le comportement qu’avait adopté toute personne encore un peu saine d’esprit pour survivre dans ce monde hostile. Une lutte interminable, lutter pour se faire sa place, lutter pour se nourrir, lutter pour ne pas se faire égorger au tournant d’une ruelle, lutter pour ne pas se faire dévorer une fois la nuit tombée, lutter pour vivre…

- Le monde change, si tu n'es pas capable de t'adapter alors tu te fais bouffer...

Dante fixa un moment le sol, son compagnon avait des paroles justes, cela toucha le jeune soldat. * S’adapter…*, c’était exactement ce qu’il avait fait lorsqu’il avait pris part à la bataille en s’engageant dans la milice. Mais s’il n’avait pas pris cette décision, s’il était resté à la forge avec sa sœur, quand serait-il alors ? Avait-il fait le bon choix, il avait l’impression des fois de ne rien avoir connu d’autre que la vie de milicien, comme quoi son adaptation avait été un succès.

- T'a déjà vu ces sales bêtes à l'œuvre ?

Des souvenirs assez pénibles lui remontèrent à l’esprit en forme de flash, des images saccadées qui lui brulaient la rétine. D’un coup le bien-être qu’il avait ressenti plutôt laissa place à un sentiment douloureux, mais il surmonta cela, il ne voulait plus penser au passé,* maintenant il faut avancer mon grand…*.

- Euh… Oui j’ai déjà eu affaire aux monstres des marais, une longue histoire que je n’ai pas forcément envie de raconter, mais pour résumer, beaucoup de bons hommes, de soldats aguerris et d’amis sont morts ce jour-là. Une sacrée boucherie… Dante prit une pause afin de souffler un bon coup. Mais moi je suis toujours là, comment je ne sais pas trop, peut-être une malédiction ou peut-être que les dieux ont des plans plus ambitieux pour moi, je ne sais pas…

Au début le ton du jeune homme était assez mélancolique, mais à la fin il devint monotone, comme si son sort lui importait peu.

- Une chose dont je suis sûr, c’est qu’à notre époque nous n’avons pas le luxe de nous projeter dans le futur, il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier !

Dante prit une bonne gorger de bière pour laver sa bouche de toutes les conneries qu’il venait de déblatérer, le breuvage faisait vraiment son effet. Son voisin commanda à manger, ce qu’il apprécia vu que son ventre commençait à crier famine. Il lui fit un signe de la tête en remerciement.

- Au fait moi c'est Barral.

L’homme finit par lui dire son nom, Dante aurait préféré ne pas le connaitre, tous les matins il entendait les noms des personnes mortes la veille et maintenant il serait obligé d’y prêter attention. La serveuse revint rapidement avec deux assiettes remplies de fayots avec un peu de viande, ce n’était pas grand-chose mais par rapport à ce qu’on pouvait trouver à la caserne, cela ressemblait à un festin de roi. Il remercia encore une fois son voisin et commença à manger, après quelques bouchés il releva la tête de son assiette.

- Hum… Si tu as besoin de quelqu’un pour t’entrainer au combat je serai honoré de pouvoir t’aider.

Dante se surprit lui-même, il n’avait pas pour habitude de prêter attention aux personnes l’entourant, certes son nouveau compagnon était intéressant, mais de là à lui proposer son aide, décidément cette soirée prenait une tournure assez imprévisible. Des voix s’élevèrent au-dessus de vacarme qui régnait dans la taverne, une embrouille entre deux hommes assez costauds pointait le bout de son nez.

- Oh nous allons avoir droit à une bagarre…

« Rêver », voilà un mot dont Dante avait oublié la signification. Les nuits étaient longues, le sommeil le fuyait et quand celui-ci parvenait à fermer l’œil, des cauchemars épouvantables venaient le faire suer. Il lui arrive pendant certains moments d’égarement lors de ses longues rondes sur les remparts, de s’imaginer une autre vie, une vie luxueuse et heureuse, mais cela relevait plus de la fantaisie que du rêve, le but étant de faire passer le temps, un peu trop long à son gout.

« La prière », apparemment son nouveau compagnon était assez croyant. Le jeune Nuitnoire avait une tout autre philosophie, après avoir contemplé et admiré les dieux dans toutes leurs splendeurs durant son enfance, le doute s’était insinué en lui le jour ou la Fange était arrivée. * Comment des dieux auraient pu créer des bêtes immondes afin de détruire l’humanité. Certes l’homme est mauvais dans son ensemble mais il reste bon de nature…*, c’était un sujet délicat dont il ne voulait surtout pas parler.

- Tu dois bien avoir un but tout de même non ?

Dante préféra ne rien répondre à cela, pour lui chaque homme agit en fonction d’un but bien précis, ses motivations ils les gardaient pour lui, en parler risquait de lui donner la poisse et puis surtout il ne connaissait encore presque rien de Barral, alors pourquoi lui révéler des choses personnelles. Ce ne serait que se mettre en danger.

- Vraiment ?

Son voisin semblait être choqué de la proposition de Dante, pourtant cela ne cacher rien, c’était juste une proposition amicale d’un homme seul qui venait de s’enfiler trois bières. Une suggestion qu’il n’aurait surement pas faite en temps normal, mais bon étant un homme de parole il ne reviendrait pas dessus.

Les deux hommes qui avaient haussé le ton, s’étaient rapidement lever pour en venir aux mains. Le hérisson mélomane était une taverne de renom, les bagarreurs et autres ivrognes intenables n’y avaient pas leur place, mais en ces temps de disettes le standing habituel avait légèrement baissé. Un cercle s'était formé entre les deux hommes, les empêchant de saccager la salle et leur laissant assez d’espace pour se battre, personne ne semblait vouloir les stopper, une bonne bagarre cela ne faisait de mal à personne. Dante remarque que l’un des deux n’était autre que le mercenaire bizarre qu’il avait observé plutôt, son adversaire était un marchand surnommé tête de pioche, connu dans le coin pour avoir la mainmise sur toutes les transactions suspectes, mais il était surtout connu pour être l’un des meilleurs combattants à mains nues.

- Ça risque d’être intéressant, les deux hommes m’ont l’air d’être de sacré combattant, il faut que j’aille voir ça de plus près !

Le jeune milicien se dépêcha d’avaler les deux trois cuillères de ragout qui lui rester et se leva à toute allure pour aller voir le combat. Dans sa précipitation il tamponna au passage un homme qui apparemment n’apprécia pas et le poussa à son tour, le faisant tomber au milieu du cercle, il se prit un coup de poing au passage, coup qui était à l’origine pour le mercenaire. Le poing de tête de pioche vint s’écraser contre la mâchoire du jeune Nuitnoire, un bruit assourdissant s’en échappa, provoquant un silence dans l’assistance. Dante tomba par terre complètement sonné, du sang coulé d’une coupure au niveau de sa lèvre. En temps normal il se serait relevé pour laisser les deux hommes finir leur action, mais l’alcool avait déjà fait son effet et son corps se réchauffa, il fixa l’homme face de lui et se releva lentement. Le mercenaire se trouvant derrière lui s’approcha et lui mit une main sur l’épaule pour le pousser.

- Allez pousse toi petit, laisse les grands régler leurs problèmes ! Grogna l’homme.

Le géant avait à peine fini sa phrase que Dante se retourna et lui envoya un uppercut en pleine bouche le faisant tomber à la renverse, tête de pioche le plaqua au sol et lui décrocha trois coups qu’il parât sans mal avant de se dégager de son étreinte au le faisant valser en arrière avec un coup de pied dans le thorax. Cette fois si les deux hommes qui étaient adversaire il n’y a même pas quelques secondes, se trouvaient côte à côte, prêts à faire rougir la jolie petite tête de Dante.

- Sang-Froid ! Sang-Froid ! Sang-Froid ! Commencèrent à crier à l’unisson les quelques miliciens qui se trouvaient dans la pièce.

Il était prêt à en découdre, même si ses adversaires semblaient bien plus aguerris et forts que lui, il ferait de son mieux pour les envoyer au tapis, s’incliner devant un obstacle n’était pas dans sa nature. Il jaugea les deux hommes, les regardant de haut en bas, le premier avait un bras plus fort que l’autre, sans doute une faiblesse à exploiter, quant au second il semblait avoir des problèmes avec sa jambe droite, essayant de dissimuler un léger boitement qui n’échappa pas au jeune milicien. Malgré cela il n’était pas fou, s’il ne voulait pas finir aux charpies, il fallait égaliser les forces, enfin du moins essayer.

- Alors les gars, ça se passe comment ? Vous deux contre moi ? Vous n’avez pas honte de vous en prendre à moins fort que vous ! Lança Dante, espérant obtenir une réaction d’orgueil venant de leurs parts.

- Très bien petit ! Que quelqu’un le rejoigne ! Cria le mercenaire.

Personne ne bougea, le silence était revenu dans la salle, tout le monde regardait son voisin, les miliciens présents baissèrent la tête, il n’était pas question pour eux de se faire éclater la tronche pour les beaux yeux de Dante, * Bon apparemment personne ne veut venir m’aider… Je ne vais pas faire long feu tout seul…*.

Dante s'était résigné à devoir affronter les deux hommes seuls, jusqu'au moment où Barral fit son apparition au milieu du cercle. Il le regarda avec un peu de surprise, son nouveau compagnon ne semblait pas être du genre à prendre part à un miséreux combat de taverne et puis d'après ce qu'avait pu observer le jeune milicien, son voisin n'était pas un très bon combattant, mais bon peu importe. Il lui mit une petite claque dans le dos histoire de le faire réagir.

- Ah bah te voilà, j'allais commencer sans toi ! Bon aller ne fait pas cette tête ce n'est qu'une petite bagarre, prend le comme un entrainement !

Les deux hommes en face d'eux étaient beaucoup plus costauds et apparemment plus habitués à ce genre de rencontre sportive. Dante les jaugea pour en choisir un, tête de pioche semblait plus compétent que l'autre, alors il leva son doigt vers lui comme pour lui montrer qu'il avait fait son choix.

- Je prends celui-là, je te laisse l'autre armoire il est trop lent pour moi. Allez viens par là le Moche !

Tête de pioche s'approcha de Dante, il avait l'air sûr de lui et pour cause il était plus grand et plus costaud que le jeune homme, sans oublier sa réputation de combattant à mains nues émérite. Mais le jeune homme ne partait pas perdant pour autant, il avait lui aussi quelques qualités qui pouvaient peser dans la balance. En effet son adversaire était beaucoup plus lent que lui et il allait en profiter. Tête de pioche lança les hostilités en envoyant un coup de poing accompagné d'un grognement montrant qu'il avait mis beaucoup de force dans son coup, Dante esquiva d'un pas sur le côté se penchant légèrement, une flexion du buste qui lui permit de riposter aussitôt d'une droite dans les cotes suivit d'un coup du gauche au même endroit. Son adversaire recula et lâcha un sourire, il venait de comprendre que le jeune homme serait peut-être un adversaire de taille au final. Dante tourna autour de lui esquivant du mieux qu'il pouvait chaque frappe lourde de son assaillant, à force de taper dans la vide tête de pioche commença à se fatiguer sans compter que Dante ripostait à chaque esquive avec des petits coups bien placés.

Il prenait de plus en plus confiance en lui, peut-être un peu trop, un mauvais mouvement en avant lui fit baisser sa garde trop rapidement et son adversaire en profita pour lui en coller une bonne en pleine tempe, il réussit à garder son équilibre en reculant, bloqué par la corde humaine que formaient les spectateurs, il ne put se dégager de l'entrave de son assaillant qui lui assainit des coups à répétitions toujours plus intenses et plus puissantes.

Dante était dans une mauvaise posture, encore quelques coups et il allait tomber inconscient par terre, mais il n'en était pas question, gardant son sang-froid il encaissa les coups sans broncher attendant le moment parfait pour contre-attaquer. Une brèche se fit alors que tête de pioche ralentissait ses coups, il manquait de souffle et Dante en profita. Il para le bras droit de l'homme le repoussant avec un coup de boule avant de lui envoyer un coup de pied en pleine cuisse, l'obligeant à tomber sur son genou, voilà le moment parfait qu'il attendait, la position de l'homme permit au jeune milicien de lever son genou d'un geste fluide et rapide, celui-ci vint s'écraser sous le menton de tête de pioche provoquant un bruit de craquement. Il tomba en arrière se roulant de douleur, Dante n'avait plus d'énergie il se pencha pour reprendre son souffle, plissant les yeux de douleur. Son adversaire eut du mal à se relever, une fois cela fait il regarda Dante droit dans les yeux en crachant le sang qu'il avait dans la bouche.

- AHHHHAHAHAH bien joué mon jeune garçon, c'est rare de voir quelqu'un encaisser les coups comme toi ! Bien j'ai apprécié notre combat ! Allez vient boire avec moi, c'est ma tournée !

Dans un sens Dante fut totalement soulagé, car un assaut de l'homme aurait suffi à le mettre à terre. Il passa le revers de sa main sous son nez qui saignait abondamment, * J'ai encore tapé avec mon nez au lieu du front !*, avant de rejoindre son adversaire à la table où il s'était assis, il se tourna pour voir on en était Barral avec son vis-à-vis.

Dante ne se sentait pas très bien, sa tête lui faisait un mal de chien, en se tournant il vit Barral se débattant au sol avec le géant, apparemment il avait réussi à trouver une faiblesse à exploiter et même si son adversaire lui envoyait des coups assez puissants, il ne semblait pas en si mauvaise posture que cela, au contraire il avait partiellement pris l’avantage. Un des spectateurs s'avança furieusement vers le milicien levant les bras en l’air, marmonnant des mots presque incompréhensibles, apparemment il connaissait l’homme au sol.

- Lâche son bras petit con tu vas lui casser ! Lança-t-il.

Dante s’interposa rapidement entre l’homme et son compagnon lui faisant signe de se calmer, * S'il lui casse le bras on risque d'avoir de gros problèmes...*, il lança un regard froid aux autres miliciens, leurs faisant comprendre qu'il était peut-être temps d'arrêter ce cirque avant que cela ne dégénère. Les hommes en armes lâchèrent d'abord un soupir de mécontentement avant de se rendre à l’évidence que Sang-Froid n’avait pas tord. Ils écartèrent rapidement les spectateurs, les priant avec insistance de se rasseoir, les réticents furent jetés à l’extérieur.

- Allez tout le monde à sa place, le spectacle et terminé ! Cria l'un d'eux.

La foule se dissipa dans la pièce, chacun reprit son activité du soir, c’est-à-dire boire pour la plupart. Le jeune Nuitnoire s'approcha de Barral pour s'éparer les deux hommes, mais dans le feu de l'action il se prit un coup qui le fit tomber sur les fesses. Il s'allongea sur le sol de la taverne regardant le plafond qui tournait un peu, essayant encore de reprendre son souffle. L'adrénaline qui lui avait permis d'encaisser les coups de tête de pioche était redescendu et son corps lui faisait de plus en plus mal, il posa une main sur le côté de son ventre appuyant légèrement pour évaluer les dégâts, * Ah putain le con, il a dû me fêler une ou deux côtes...*, il se redressa pour cracher une boule de sang qui lui obstruait la bouche, * Je m'en suis encore prit une bonne, fait chier faut vraiment que j’évite de boire, au moins je vais bien dormir ce soir !*. Le constat était évident il avait eu de la chance de sans sortir ainsi, mais s’il n’avait pas bu autant il s’en serrait sortie beaucoup plus facilement, même si son adversaire possédait beaucoup de force, sa lenteur montrait bien qu’au final ce n’était qu’un bagarreur de taverne, habitué à se battre avec des ivrognes.

Dans un dernier effort qui lui parut surhumain tant il avait mal un peu partout, il secoua la tête pour reprendre ses esprits et il se leva pour attraper Barral par le bras, le relevant avec le peu de force qu’il lui restait. Les autres miliciens s'occupèrent de l'homme à l'épaule fragile qui n'avait pas l'air de vouloir coopérer. Une fois tout le monde calmé le jeune milicien se tourna vers la sortie de la taverne faisant signe à son camarade de le suivre.

- Viens Barral vaut mieux pas qu'on reste ici, en plus l'autre con m'a bien amoché, je tiens à peine debout !

Dante sortie rapidement de la taverne, il avait besoin de prendre l'air. Une fois dans la ruelle il s'adossa contre le mur froid de la bâtisse, profitant des petites bourrasques de vent qui venaient lui rafraichir le visage rougi de coups. Il respira profondément, à chaque inspiration il avait l'impression qu'on lui enfonçait un clou dans les côtes, * Que c'est bon d'être en vie ahh !*. Pour Dante la douleur n’était pas totalement désagréable, car à ce moment précis il se sentait bien vivant.

Dante se remettait doucement mais surement des coups qu’il avait encaissés. Son compagnon lui offrit son épaule comme soutien et ils se mirent en route. Le jeune Nuitnoire guida Barral jusqu’à la forge familiale, il le mena à l’arrière de la bâtisse devant une porte qui donnait directement sur la maison, au pas de l’entrée il lui fit signe d’attendre une minute. Il entra dans la maison faisant le tour des pièces, * Elle n’est toujours pas rentrée hum…*, il revint rapidement à l’extérieur invitant son compagnon à entrer.

La pièce principale était presque vide, juste une table, quelques chaises et une cheminée qui illuminait la zone avec quelques braises encore chaudes. Pas de décoration, pas de tapis, juste le strict nécessaire, sans oublier l’odeur de fer chaud qui embaumait la pièce. Dante prit une bonne inspiration, cette odeur lui rappelait tant de souvenirs, il soupira en se retournant vers son compagnon.

- Bienvenue chez les Nuitnoire, enfin ce qui l’en reste. Ma sœur vie seule ici, mais bon maintenant elle passe la plupart de son temps chez son nouveau copain. Ce sale coureur de jupons, ah si je l’attrape, enfin bref…

Dante raviva le feu avec quelques buches qui trainaient par-là, il attrapa un seau d’eau et plongea la tête dedans pour se laver le visage. L’effet de l’alcool commençait à se dissiper, *Mais quelle idée j’ai eu de boire autant de bière…*. Dante prit place sur une chaise faisant attention à ses côtes endolories en se baissant, il versa de l’eau dans deux tasses qui se trouvaient sur la table.

- Je t’en prie fais comme chez toi ! Tu l’as bien maitrisé le géant ! S’attaquer à son épaule fragile c’était la bonne solution.

Il but une bonne gorgée d'eau pour se rincer la bouche. La soirée avait pris une tournure particulière, alors qu’il devait juste venir voir sa sœur pour lui parler après une rude journée, il avait fini dans une taverne à boire, puis il avait fait la rencontre d’un personnage intéressant avant de prendre part à une bagarre inutile.

- Bon voilà l’endroit où j’ai vécu depuis ma naissance… Tu m’as dit que tu étais pécheur avant, c’est comment d’être sur un bateau ? De naviguer sur des eaux qui s’étendent jusqu’à pertes de vue… Je ne suis jamais monté sur un bateau, quand j’étais jeune j’allais souvent voir un ami de mon père qui vivait, enfin qui vit encore au port. Je pouvais passer des heures à regarder les bateaux au loin.

Il prit une grande inspiration, encore un rêve infaisable qu’il avait jeté aux oubliettes. Avec l’arrivée de la Fange il dut renoncer à tous ses rêves de jeune garçon, comme toutes personnes encore vivantes, seuls les fous continuaient à se perdre dans des songes insaisissables.

- Si j’avais su ce qu’il allait arriver, je pense que je serai monté sur un bateau et j’aurai mis les voiles très loin d’ici.

Dante secoua la tête essayant d’oublier toutes ces pensées mélancoliques, la réalité était autre et il fallait faire avec. Un bruit provenant de la pièce adjacente le fit sursauter. Il se leva rapidement et entra dans sa chambre, enfin son ancienne chambre qui maintenant n’était plus qu’un débarra rempli de vieux meubles et outils rouillés. Il jeta rapidement un coup d’œil, * Sûrement un rat…*, il revint dans le salon passant devant la cheminée pour prendre un morceau de pain enveloppé dans tissu blanc.

- Tiens si tu as faim ! Il posa le pain sur la table en s’assaillant. Bon où j’en étais, ah les bateaux, donc raconte-moi un peu…

La fatigue se faisait sentir, mais il voulait en savoir un peu plus sur son nouveau compagnon certains que son histoire devait être intéressante.