Une rencontre fortuite. (PV Barral Trell) - (Début Avril 1165)

La tension retomba comme elle était venue. Barral subissait encore le contre-coup de la baston, à moitié dans un état second, comme hébété de ce qu'il venait de faire. Cela ne lui ressemblait pas de s'en sortir avec presque rien. Ces quelques jours au sein de la milice étaient déjà en train de le changer, même s'il était très peu adroit pour le moment encore, cette bagarre anodine avait démontrer qu'il n'était plus le même petit être inoffensif. L'air frais et le fait de faire quelques pas pour s'éloigner de la taverne en soutenant Dante qui le guidait , vers où il n'en avait pas la moindre idée, lui fit le plus grand bien. Ça devait valoir le détour de les voir les deux se traîner dans les rues. Barral faisait attention à ne pas meurtrir son compagnon plus que ce qu'il ne l'était déjà marchant aussi vite qu'il le pouvait tout en suivant ses indications. Enfin une maison se dessina. Une forge.

« Bienvenue chez les Nuitnoire, enfin ce qui l’en reste. Ma sœur vie seule ici, mais bon maintenant elle passe la plupart de son temps chez son nouveau copain. Ce sale coureur de jupons, ah si je l’attrape, enfin bref… »

-Merci de m'accueillir chez toi. Tu as bien de la chance d'avoir une maison. Je suppose qu'il faut qu'elle se fasse son idée de la chose...on en a tous fait l'expérience non ?

Ainsi Dante avait une sœur. Barral sourit, lui n'avait vécu qu'avec des frères, la seule présence féminine étant sa mère, qui s'occupait de lui quand elle le pouvait, autant très peu, entre ses clients, ce père qui n'avait jamais pu le supporter, et ses deux frères. Peut-être que son caractère aurait été différent s'il avait eu des sœurs à protéger.

« Tu l’as bien maitrisé le géant ! S’attaquer à son épaule fragile c’était la bonne solution. »

-Oh...j'étais loin de m'imaginer qu'il avait une blessure...j'ai juste trouver ça bizarre qu'il ne me frappe qu'avec sa gauche, d'ailleurs il tapait fort.

Mais mine de rien, il était plutôt ravi de recevoir des compliments sur son comportement. Barral s'installa donc à la table retournant la chaise de façon à être face à la seule source de lumière de la pièce. Il écouta Dante

« Si j’avais su ce qu’il allait arriver, je pense que je serai monté sur un bateau et j’aurai mis les voiles très loin d’ici. »

-Pour aller où ? On ne sait même pas si y'a d'autres survivants ailleurs...je te rappelle que les gens sont venus vers Marbrume et pas l'inverse...y'en a bien qui ont tenté de partir mais de ceux-là à ce qui se dit on a jamais eu de nouvelles. Tu me diras peut-être parce qu'ils ne peuvent pas, ou peut-être parce qu'ils sont tellement mieux là où ils sont qu'ils ont oublié dans quelle merde on était...

Son hôte lui paraissait peu rassuré, comme s'il redoutait quelque chose, pour preuve lorsqu'un bruit, un grattement, se fit entendre il se leva précipitamment avant de revenir comme si de rien n'était déposant une miche de pain sur la table.

- Dante tu es sur que tout va bien ? Tu sais il ne peux rien nous arriver ici, la porte m'a l'air suffisamment solide...

Un regard sur Dante qui d'un coup avait l'air d'être bien moins redoutable que dans la taverne, plus humain.

- Mon père, enfin celui qui m'a élevé, était pêcheur alors quand il m'a foutu dehors je me suis tourné vers la seule chose où j'avais des connaissances. C'était ça ou vivre dangereusement. Bref je te fais pas un dessin.
La première fois que j'ai mis les pieds sur un bateau j'ai été malade comme un chien, incapable de faire la moindre tache. J'ai cru que j'allais mourir...d'ailleurs le capitaine m'a débarquer sitôt rentré au port. Autant te dire qu'il m'a fait une sale réputation, j'ai mis un moment à trouver un autre capitaine. Mais j'ai fini par trouver ma place, je n'ai plus jamais changer de capitaine. Aujourd'hui mes compagnons ne sont plus là...au moins ils ne seront pas de futurs fangeux.

Lors de ce voyage, il n'avait été bon qu'à une seule chose et il se gardait bien de l'évoquer tellement il avait honte. Il n'avait pas oublié ce qu'on lui avait fait mais il savait qu'il ne devait en parler à personne. Personne ne devrait savoir qu'il avait couché avec des hommes, pauvre petit être naïf et sans défense qu'il était à l'époque.

- Regarder l'océan est fascinant, tant de couleur, d'odeur, de liberté. La mer il faut arriver à la dompter, toujours se remettre en question, ne pas croire qu'une chose est acquise, car la mer est traître aussi, elle ne tolère aucun relâchement mais si on sait lire, interpréter les signes, les avertissements d'Anür alors on évite de sortir et de défier la déesse....chaque jour est différent.

Et donc tu sais forger toi ?

Barral avait parlé avec passion. Il aimé les tempêtes , affronté la colère de la déesse, lui faisait prendre conscience que sa vie ne lui appartenait pas vraiment. Après tout ça lui semblait logique. Alors qu'il tendait la main pour se saisir du pain, il s'aperçut qu'elle était pleine de sang séché. D'où il était blessé ? Il se souvient alors du coup qui avait projeté sa tête contre le sol.

-Merde je saigne...

Les paroles de Barral étaient pleines de sens, depuis la Fange personne n’avait eu de nouvelle de l’extérieur, mais si on lui avait donné le choix, Dante serait parti sans hésiter sur la mer plutôt que de rester dans cette ville pourrissante.

- Dante tu es sur que tout va bien ? Tu sais il ne peut rien nous arriver ici, la porte m'a l'air suffisamment solide...

- Ne fais pas attention, c’est une sale habitude que j’ai, les bruits étranges m’agaces.

Les bruits inattendus étaient une chose que ne supportait pas Dante, surtout la nuit. Le seul grincement de porte, gémissements d’animaux ou autres pouvaient le réveiller dans son sommeil. À force cela devint maladif chez lui, pour se calmer l’esprit il cherchait l’origine des sons.

- Mon père…pas de futurs fangeux

Dante compris mieux l’homme en face de lui, sa personnalité, sa façon d’agir. Comme il le pensait il avait eu une jeunesse difficile mais s’en était sorti et c’est la seule chose qu’il retiendrait.

- Regarder l'océan…chaque jour est différent.

Barral avait parlé avec passion, ses mots résonnaient dans la tête de Dante comme un écho, il pouvait au fur et à mesure s’imaginer cette force incontrôlable qu’est la mer, il se voyait sur un bateau sous une tempête infernale, la pluie, les vagues, le vent, tout lui frappait le visage dans un tourbillon violent. Son compagnon le sortit de ses songes en reprenant la parole.

-Merde je saigne...

- À ça pour saigner, tu saignes !

Il se leva rapidement voyant la trainer de sang qui coulait le long de la nuque de son compagnon. Dante attrapa un tissu qu’il imbiba d’eau, il pencha la tête de Barral en avant, celui-ci s’était ouvert l’arrière du crâne, heureusement ce n’était que superficiel. Il lui nettoya la plaie.

- Bon t’as de la chance pas besoin de recoudre, le sang est déjà sec.

Dante alla chercher une vieille bouteille d’eau de vie qui trainait dans la cuisine, il revint rapidement se placer derrière le milicien.

- Vaut mieux désinfecter tout ça, je te préviens ça va piquer, un peu…

Il lui versa l’alcool chaud directement sur le crâne en lui tenant le sommet de la tête pour éviter qu’il ne bouge trop. L’odeur du breuvage le fit grimacer, un relent de bière lui laissa un sale gout dans la bouche. Il finit par tendre un morceau de tissu propre à son compagnon avant de se rasseoir.

- C’est de l’eau-de-vie qui est dans la famille depuis trois générations, rien de mieux pour nettoyer les plaies !

Ses cotes lui faisaient encore mal, *Je vais avoir un sacré hématome demain…*, il but une gorgée d’eau fraiche avant de prendre la parole.

- J’ai appris à forger dès mon plus jeune âge, tu aurais vu cet endroit à l’époque, ah c’était autre chose, on travaillait jour et nuit, les clients affluaient sans cesse, le four, les marteaux, l’acier, toute la forge était animée, elle prenait littéralement vie. Il prit une pause, tous ses souvenirs lui rappelaient à quel point il pouvait être heureux avant. Mais bon voilà où nous en sommes...

Le silence reprit place dans la pièce, Dante fixa le plafond un moment. Il se sentait un peu nostalgique, * Les dieux sont-ils cruels à ce point ? Nous faire ressentir un bonheur que nous ne connaîtrons plus jamais !*, son esprit était tourmenté, il ferma les yeux quelques secondes pour chasser ses pensées. Dante revint enfin à la réalité, il soupira un bon coup pour évacuer les émotions qu’il venait de ressentir.

- Bon arrêtons de ressasser le passé, cela ne sert à rien ! Dis-moi je ne t’ai pas demandé, tu as une femme et des enfants ?

Une plaie à la tête c'était le genre de blessure qui pissait le sang aussi petite que soit l'entaille. Aussi lorsque Dante entreprit de lui nettoyer l'arrière du crane avec de l'alcool, Barral se laissa manipuler docilement serrant les dents quand l'eau de vie entra en contact avec ses chairs meurtries. C'était pour son bien, et uniquement pour cela qu'il se laissait faire.

-Bordel ! Ca ne pique pas , ça arrache...

Trente ans d'age ! Ce n'était pas tout le monde qui pouvait se targuer de posséder un tel breuvage dans ses possessions de nos jours. C'était même un crime de s'en servir comme désinfectant, même si c'était toujours mieux que rien, Barral était convaincu que certain serait prêt à commettre le pire pour en boire ne serait-ce qu'une cuillerée.

-C'est dommage de gaspiller ce précieux nectar.

Se tamponnant délicatement le crane avec le morceau de tissu, Barral en profita pour se nettoyer les mains leur rendant un semblant de propreté. Il écouta alors le récit de Dante sur sa jeunesse et le passé glorieux de la forge. Il n'eut aucun mal à imaginer la pièce s'animer au gré des morceaux de fer qu'on façonnait. Au final, si leur enfance était radicalement différente, l'arrivée de la Fange les avait poussé tous deux vers la milice. Vient alors une question à laquelle il ne s'attendait pas du tout et qui le fit éclater de rire.

-Tu m'a bien regardé ? Est-ce que j'ai la tête à avoir une femme ?

Barral ne se trouvait pas du tout attirant, ce n'était pas maintenant qu'il changerait d'avis, surtout avec cette supercherie de cache-oeil. Et puis il se souvenait que trop du regard de sa mère lorsque son mari partait pendant des jours et il s'était juré de ne pas faire subir le même sort à celle qu'il aimerait, si d'aventure il trouvait quelqu'un.

-Je tiens à ma liberté...je ne restais jamais bien longtemps à terre

Il détestait les adieux, aussi s'il avait eu des relations elles étaient la plupart du temps sans lendemain. En fait il n'avait jamais abordé une femme en dehors des maisons closes...

-Et maintenant...bah...je ne veux pas m'attacher à quelqu'un pour lui laisser ensuite de faux espoir si je ne reviens pas...

La vérité était tout autre. Il avait beaucoup changé depuis quelques mois. Seule Gisèle avait décelé en lui ce changement, ils évitaient d'aborder le sujet tous les deux sachant pertinemment que cela ne servirait à rien, ils se connaissaient depuis trop longtemps pour se le cacher et ils savaient aussi qu'ils ne seraient jamais ensemble.

-Et toi t'as quelqu'un ?

Ce n'était pas évident, vu sa réputation à la caserne, mais en le regardant bien Dante avait un certain charme. Il se surprit à le détailler ce qui lui arracha un sourire.

Dante commençait à se sentir fatigué, la journée avait été agitée, son corps se relâcha peu à peu, il étira ses muscles en se courbant légèrement sur la chaise la faisant craquer en même temps. Il sortit sa dague, posa la pointe de la lame sur la table et la fit tourner comme une toupie du bout de son doigt, une chose qu’il avait pris l’habitude de faire pour travailler sa concentration. Barral éclata de rire ce qui étonna Dante.

-Tu m'a bien regardé ? Est-ce que j'ai la tête à avoir une femme ?

Cela amusa le jeune Nuitnoire, il pensait exactement la même chose de lui, mais cela ne concernait pas son physique, non, il n’était pas du tout le genre de personne à s’amouracher d’une femme et son caractère froid ne l’aidait pas à construire ce serait-ce que les prémices d’une relation, au contraire il les éloignait toutes.

-Je tiens à ma liberté...je ne restais jamais bien longtemps à terre

La liberté ? Dante eut un léger rictus sur le visage qui aurait pu s’apparenter à un sourire. C’était ironique de croire encore pouvoir être libre dans ce monde où la seule chose importante était la survie. Pour lui, ils étaient tous prisonniers de cette ville maudite, les Fangeux étant leurs geôliers.

-Et maintenant...bah...je ne veux pas m'attacher à quelqu'un pour lui laisser ensuite de faux espoir si je ne reviens pas...

Une façon de pensée que beaucoup ne partageaient pas, au contraire les derniers survivants de l’humanité voulaient profiter à tout prix du reste de leur temps, les couples se formaient rapidement, en même temps il n’avait pas totalement tord, pourquoi ne pas profiter de chaque instant quand notre future reste plus qu’incertain. Mais Dante comprenait les arguments de son compagnon car il pensait la même chose.

-Et toi t'as quelqu'un ?

- Non personne, je n’ai pas le temps pour ça, et puis je dois déjà me préoccuper de ma sœur, cela me suffit ! Je veux garder les idées claires pour les combats à venir.

Dante était ce qu’on pouvait appeler un loup solitaire, à part sa sœur qui était sa seule raison de vivre, il n’avait pas d’attaches. Ne pas savoir ce que nous réserve l’avenir était une raison suffisante pour lui de ne pas s’ancrer émotionnellement, sans compter le fait que ses chances de survie, ainsi que celle de tous les êtres vivants s’amoindrissaient de jour en jour. Mais malgré tous ses arguments, au plus profond de lui il ressentait un vide.

- Bon j’ai compris en gros la raison pour laquelle tu t’es engagé mais tu dois bien avoir un but ou chose qui te pousse à continuer… La plupart des miliciens sont soit des anciens soldats qui n’ont connu que cela ou des meurtriers qui veulent abreuver leur soif de sang en toute légalité.

Dante fixa de son regard froid Barral, essayant de le percer à jour, il sentait bien que quelque chose de plus intéressant et peut-être de plus sombre se cachait derrière tout ça.

Encore des questions ?? C'est qu'il commençait légèrement à devenir agaçant à force le Dante. Barral le regarda se demandant bien ce qu'il voulait lui faire dire avant de soupirer et de secouer la tête. Personne ne devait savoir. Jamais il ne lui dirait. Il n'était pas question de lui avouer ça. Peut-être qu'il finirait par le comprendre tout seul mais le dire de vive voix était impensable.

-Tu veux me faire abandonner c'est ça ?

Même pas en rêve. Il s'était donné beaucoup trop de mal pour que Taidor lui laisse sa chance malgré sa performance en demi-teinte à l'épée. Barral se leva pour être plus libre de ses mouvements en cas de souci. Il repoussa l'idée d'en venir aux mains chez son hôte pour le moment.

-Je ne suis ni l'un ni l'autre.

Un ancien soldat avec de si piètre qualité de combat, c'était d'un ridicule. Un être assoiffé de sang encore moins. Il n'avait jamais fait de mal à quelqu'un délibérément. Les seuls qui pouvaient s'en plaindre c'étaient les poissons.

-Je n'aime pas rester à ne rien faire. Personne ne viendra me pleurer si je disparais. J'aurais pu choisir autre chose, je sais, mais je ne veux plus ressentir ce que j'ai éprouvé face à ses choses...

Le regard de Dante lui glaçait le sang mais il le trouvait tout aussi attirant. Rhaa...c'était pas le moment d'avoir ce genre de penser mais quand ça s'imposait à son esprit il était impuissant. Dante correspondait à son plus grand regret au type de compagnon qu'il appréciait. Les femmes ne savaient pas ce qu'elles loupaient avec lui. Barral s'approcha.

-Tu devrais t'occuper de tes côtes tant que c'est encore frais.

C'était du vécu et en même temps qui sait, il pourrait peut-être en profiter pour détailler ce corps de plus près.