Qui va à la chasse... [Avril 1165 - PV Ilhanne]

« Très bien, messieurs... Vous le savez aussi bien que tout le monde à Marbrume mais le Haut-Prêtre n'a toujours pas été retrouvé. Monseigneur Philippe de Tourres reste porté disparu, et le retrouver reste une de nos priorités en tant que miliciens de l'extérieur. »

La voix du sergent Caster était nette, forte, parfaitement maîtrisée. Cette histoire de disparition chamboulait les esprits de tout un chacun. Le statut d'un homme sain aussi imposant que Monseigneur Philippe de Tourres ne pouvait pas rester indéfini aussi longtemps. Les fidèles continuaient d'espérer. Serus devait l'avoir protégé d'une façon ou d'une autre. Le Haut-Prêtre avait forcément trouvé un refuge, il fallait de toute urgence aller l'aider, voilà tout. Et pour les plus sceptiques, savoir que son corps avait été retrouvé et que des funérailles décentes lui seraient données restait important. Aux yeux d'Arthur, le clerc était mort et il ne comprenait pas l'intérêt de vouloir déterrer son corps, s'il en restait quelque chose. Le temple avait d'ores et déjà honoré sa mort, il ne faisait nul doute qu'Anür s'était occupée de l'homme pieux. C'était impensable qu'un homme seul puisse survivre aussi longtemps à l'extérieur des murs.
De nombreuses excursions avaient été lancées lors des dernières semaines, mais toutes étaient rentrées bredouille. Pourtant, la milice extérieure continuait d'envoyer des hommes à sa recherche. On racontait même que le capitaine en personne avait tenu un discours quelques jours plus tôt pour motiver les troupes et les inciter à retrouver le prêtre, mort ou vif.

« Je ne vous parlerai pas de récompense, si ce n'est celle d'avoir la gratitude éternelle de tout un peuple. Toutes les voix des vivants vous remercieront de l'avoir retrouvé. Ramenez un homme en vie, et vous serez des héros pour le reste de votre vie. Ramenez un cadavre et vous apaiserez enfin l'esprit de nombreux croyants. »

Arthur n'avait rien entendu après le mot "héros". Il n'avait pas le choix quant à cette expédition dangereuse. Il avait été choisi, il devait y aller. Autant se raccrocher aux avantages d'en faire partie, non ? S'il parvenait à retrouver le Haut-Prêtre... Oui, il serait récompensé et reconnu à sa juste valeur ! Un sourire satisfait illumina son visage, comme si l'affaire était déjà faite. Le sergent continuait son petit discours d'encouragement.

« Nous nous rendons dans les tourbières qui entourent Traquemont. Qui parmi vous s'y est déjà rendu ? interrogea Caster.
— Moi, sergent, fit un soldat à la droite d'Arthur.
— Comment tu t'appelles, mon garçon ?
— Lars, sergent. Lars Whitton.
— Très bien, Lars. La vie de tous ces hommes dépendra en grande partie de toi. Tu seras le dirigeant du régiment, et tu devras m'adresser un rapport toutes les deux heures lors des recherches. »

Arthur se mordit la lèvre en toisant Lars. C'était un gringalet, frêle et pâle, avec une paillasse noire sur le crâne en guise de cheveux. Son armure avait l'air plus lourde que lui, et son épée était de toute évidence trop longue... Il n'aurait jamais parié le moindre sou sur cet homme-là pour une excursion aussi périlleuse.


Il avait eu raison de se méfier. Tellement raison... Des Bannis leur étaient tombés dessus quelques heures après le départ de Marbrume. Les provisions qu'ils avaient emmenés avec eux avaient été perdues presque en totalité, emportées par le feu des flèches qu'on leur avait tirées dessus. La débandade qui avait suivi manquait totalement de discipline. Le sergent avait rugi des ordres, engloutis par les cris des Bannis, par le vrombissement macabre des flammes, par les hurlements d'agonie de certains soldats touchés, par tant d'autres choses également...
Arthur avait tailladé avec hargne plusieurs de ses ennemis avant de s'enfoncer dans la végétation, cherchant à poursuivre sa route en direction de Traquemont. Il avait plus de chance d'y arriver que de faire demi-tour.
Pestant contre Lars, mort d'une flèche entre les deux yeux avant même qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit, il progressait difficilement parmi les plantes hautes et les arbres massifs. Sa chemise était gorgée de sang de Bannis, son visage maculé lui aussi d'hémoglobine mais aussi de sueur, de poussière, de terre... Ses bottes étaient foutues, tout comme le reste de sa tenue de toute façon. Il avait un sac avec lui mais qui, complètement éventré, lui était tout juste bon à transporter trois bricoles à manger qu'il avait pris avant de partir. Il pataugeait dans la tourbe des marais quand un son inquiétant retentit derrière lui. Peu rassuré, il déglutit et pressa le pas. Il enjambait les racines traîtresses, tendant l'oreille pour repérer éventuellement des sons annonciateurs de l'arrivée de Fangeux, d'autres Bannis, de survivants du massacre ou de bêtes sauvages, mais hormis un vent timide qui faisait bruisser délicatement le feuillage des arbres environnants, rien du tout...

Un craquement le fit se retourner subitement. Puissant comme un destrier de guerre, épais comme un tronc d'arbre, un sanglier se ruait sur lui. Arthur bondit sur le côté et s'étala de tout son long dans la boue infecte des marais et dégaina son épée pour faire face au monstre, qui entamait un demi-tour.

« Un sanglier, ici ? Fils de... » grogna Arthur alors que la bestiole lui fonçait une nouvelle fois dessus.

Dans une nouvelle cabriole, il l'évita et en profita pour lui asséner un coup de lame dans le flanc. La créature poussa un cri de souffrance tellement bruyant qu'il devait avoir rameuté toutes les créatures vivantes ou non à des kilomètres à la ronde.

« Tais-toi, stupide porc ! Tu vas nous faire tuer ! s'emporta Arthur en tenant son épée courte face à lui, priant pour qu'aucune goule ne l'attaque par derrière.
— GROIIIIIINK ! répliqua le sanglier, visiblement indifférent à la situation dramatique dans laquelle ils étaient. Et, de surcroît, le cochon velu passait à l'attaque pour la troisième fois.
— Par les trois dieux, quelle tête de lard ! » tonna Arthur en attendant le bon moment pour frapper.

Cependant, l'animal sauvage se stoppa net dans sa course, flaira l'air ambiant et, terrifié comme jamais, repartit dans l'autre sens à toute vitesse. Arthur fit volte-face.

« Un sanglier qui a peur, c'est une mauvaise nouvelle... » marmonna le milicien en fixant les frondaisons, à la recherche du ou des Fangeux qui devait forcément approcher.

Le temps était pas si clair, la brume s’était plutôt courante dans les marais, puis les nuages au-dessus de Marbrume, c’était pas vraiment exceptionnel. Dire que j’avais pas envie de mettre un pied dehors, ça aurait été mentir, j’avais aucune envie de mettre un cheveu plus loin des portes du port. Mais on avait la dalle et la chasse avait pas été concluante ces derniers jours. Fallait bien essayer de se remplir le ventre avant que ça rende tout le monde fou. Tous les chasseurs étaient dehors.

Avec mon groupe, ça devait bien faire deux, trois heures qu’on crapahutait dans la vase. On était quoi ? trois, quatre . Pas plus, mais vu le temps pas bien clément on avait préféré pas faire des groupes plus petits. De toute façon je le sentais pas, je l’avais jamais senti, mes tripes, elle me disait que s’étaient par le bon plan, puis elles avaient pas changé d’avis quand on avis vu de la fumée, trop pour être juste un feu de camp, même un gros. C’était trop loin d’une route pour être un convoi. On était arrivé, sur les lieux, c'était un carnage. Des miliciens criblés de flèches, tout ce qui pouvait brûler et qu'avait pas été détrempé par l’humidité de marais qui achevait de se consumer doucement. Ça devait pas faire si longtemps qu’ils étaient là, sans vie, au sol, mais sûrement assez pour les mauvaises surprises. Tout arc à la main, on avait en menait pas large.

Essayer de comprendre ce qui leur était vraiment arrivé au gars-là, ça aurait pas été si mal, c’était même notre idée, vite interrompu par deux mordeur qui avaient surgi. Les fourbasses s’étaient tapis à moitié dans la gadoue à moitié recouverte des feuilles de l’année dernière pas encore décomposées. Par chance pour nous, ils avaient été trop pressé, et avaient raté leur coup de pas grand-chose. On s’était dispersé pour courir. Sauver notre peau.

Je m’en étais collé un, merde, s’était bien ma journée !
Il était tenace, mais c'était toujours tenace en même temps, pas comme si ça m’étonnait vraiment. Pas non plus comme si j’en avais vu tant, et j’en étais assez satisfaite comme ça. Aucune idée de comment j’allais m’en sortir.

Devant ! Un bosquet dense, des branches serrées, un maillage dans lequel il faudrait un peu de jugeote pour se guider. J’avais à peine eu le temps de m’y engouffrer que le fangeux s’était écrasé pour un tronc plus épais, poussant un cri qui avait dû résonner loin. Il s’acharnait.

Puis je l’avais perdu de vu, un moment, mais je l’entendais encore il essayait, arrachait, grognait. Combien de temps j’avais courus comme ça en regardant derrière, n’entendant que les craquements qui risquaient de faire manquer un battement à mon cœur.

« Fangeux ! FANGEUX !!! »

Juste le temps de s’extirper de quelques buissons pas bien hauts, ni même très d'agrippant. À peine arrivé à côté de l’homme, je m’étais arrêté, pour lui dire quelques mots de plus, essayer de le convaincre de se bouger parce que sinon il était bouffé.
Je l’avais pas bien vu mais là, à peine j’avais vu son visage que j’avais complètement perdu mes moyens.

« Finn … mais qu’…. »

Nan, mais … qu’est ce que … oui … nan … merde !
C’était lui ? Vraiment ?! Oui … non

Même pas le temps de prendre un instant pour savoir si ce que je croyais avoir vu, ce que j’avais sous les yeux était bien ce que je pensais. Un nouveau craquement, pas loin. Ça l’avait pas retenu bien longtemps le maillage de branchage. La vue était assez dégagée, je pouvais essayer, je devais essayer. Mais putain, j’avais pas le temps.
Tant pis.

Tiré une flèche de mon carquois, l’encocher, bander, viser sommairement, et lâcher. Bien sûr elle était passée à côté. Bordel de … C’était pas le moment de rager, j’avais encore un peu de temps, juste celui d’un nouvel essai. J’avais retenu mon souffle, court, erratique à cause de la course, prit le temps de visée, juste une seconde de plus. Une cible en mouvement je touchais, je touchais souvent, y avais pas de raison que cette fois je ne touche pas. Si, bien sûr que si y avait une raison que ça passe pas cette fois, ça avait pas été souvent ou par cible se rapprochait si vite tout crocs dehors pour essayer de me bouffer vivante !

Touchée, juste à la base de la gorge. Mais il en avait littéralement rien à battre. Qu’est-ce que j’avais cru vraiment ? Le seul moyen pour qu’il se soit écroulé, là, raide mord, ça aurait été de ficher la flèche bien au milieu de son crâne entre les deux yeux … Ce que j’avais bien essayé de faire.

« Putain fait chier … »

Ça pissait le sang, et lui il avançait encore. Saloperie de monstre à la con !
On avait plus le temps de trainer, vraiment plus, il fallait courir. J’avais attrapé la main de Finn, sans hésitation aucune, pour le tirer loin de ça.

« Suit-moi ! »

Pour moi, notre seule chance, était qu’il se vide de son sang. Ce qui allait arriver, dans pas longtemps, il fallait juste espérer assez tôt.

On pourrait pas jouer à chat avec un mordeur bien longtemps.

« Fangeux ! FANGEUX ! »

Le cri avait résonné dans les marécages d'une façon si surnaturelle qu'Arthur en avait sursauté. Il était tellement préparé à affronter une goule que voir débouler la silhouette fine et élancée d'une femme, belle, rousse et svelte, l'avait déconcerté.

« Finn … mais qu’…. commença l'inconnue, apparemment choquée, peut-être encore plus que le beau milicien.
— Finn ? répéta Arthur sans comprendre. Vous faites erreur, je m'appelle... »

Un craquement interrompit sa phrase qui, de toute façon, n'avait même pas été entendue. La rouquine, une chasseuse à en croire sa tenue, avait déjà décoché une flèche et tirait. Le projectile fusa et fendit l'air mais passa complètement à côté d'une goule. Arthur écarquilla les yeux et brandit son épée devant lui. L'apparition de la beauté aux cheveux de feu l'avait désarçonné, au point qu'il en avait baissé sa garde, et voilà qu'il était incapable de repérer une de ces bestioles qui s'avançait vers eux.
En voyant la flèche disparaître dans la brume, le milicien fronça les sourcils. Est-ce qu'il devait vraiment faire confiance à cette intruse ? Maintenant qu'il savait où se trouvait précisément la monstruosité putride, il pouvait s'enfuir dans la même direction que le sanglier. Il pouvait aussi choisir d'affronter la créature et jouer les héros, mais en terre inconnue, sur un sol aussi inégal et traître, c'était presque du suicide. La jeune femme attrapait déjà une seconde flèche et ajustait son tir.
La flèche bondit une nouvelle fois et se ficha dans la gorge du Fangeux. C'était déjà mieux, mais pas suffisant pour terrasser la bête. Il entendit la chasseuse pousser un juron juste avant qu'elle ne lui saisisse la main.

« Suis-moi ! lui intima-t-elle d'une voix mi-autoritaire mi-paniquée.
— Mais... mais... » balbutia Arthur en se faisant entraîner vers il ne savait quelle destination.

Plus de force que de gré, le milicien suivit la jeune femme au cœur de la tourbe, serpentant à travers les racines qui tentaient d'attraper les coureurs, à travers les buissons qui dissimulaient des pièges en tout genre, à travers des branches basses, des lianes qui voulaient vous attraper... Ils couraient, couraient et couraient, les grognements rauques du Fangeux s'estompant peu à peu.
Au bout d'un long moment, Arthur en eut assez. Qu'est-ce qui lui prouvait que la charmante demoiselle qui le guidait ainsi n'était pas une Bannie, après tout ? Il jeta un coup d'œil en arrière pour s'assurer que la voie était libre puis freina, se libérant de l'étreinte de sa "compagne" de route.

« Bon, ça suffit, maintenant. On est assez loin, la goule aura fini par s'effondrer ou aura perdu notre trace. Où est-ce qu'on va, là ? » interrogea Arthur en toisant la rouquine.

S'il se souvenait bien, elle l'avait appelé Finn quand elle avait débarqué de nulle part. Avant de lui révéler sa véritable identité, il devait savoir qui elle était et qui était ce Finn dont elle parlait. Il croisa les bras sur sa poitrine en la regardant, attendant ses réponses.

 
Il était là, sur nos talons, là à fracasser les branches, à hurler tout ce qu’il pouvait. Merde ! Il allait rameuter toute sa bande s'il s’y mettait. Un s’était déjà largement plus que ce que j’avais voulu voir, alors deux, voire trois, voire encore d’autres, c’était même pas la peine d’y songer. On serait cuit, complètement.

Il était retissant. Je l’avais senti plus que perçu, cette raideur ce léger trainement, mais j’étais trop occupée. Occupée à courir, fuir, glisser, risqué de trébucher. Y'avais plus important que ça, nous mettre à l’abri tous les deux, tant pis si ça froissait un peu son petit orgueil de mâle.

L’air d’un froid encore légèrement piquant semblait ma brûler la fond de la bouche. Tant pis si les jambes protestaient, ça ne serait ni la première, ni la dernière fois, il fallait continuer, encore un peu, encore plus loin. On ne l’entendait déjà plus, mais qui savait, un mordeur c’était con, con comme un placard, mais parfois, ça devait se rappeler que ça avait un humain avant et ça devenait fourbe. S'il nous suivait encore, toujours discret, si la rage était tombée ?

Non, non, il devait s’être vidé de son sang maintenant. Il n’y avait qu’à espérer.

J’avais failli m’étaler dans la gadoue quand il c’était arrêter brusquement, reprenant sa main sans vraiment de tact visiblement agacé. Tout doux mon grand, c’était pas la fin de sa virilité de s’être fait guider, loin d’un mort probable par un membre de prétendu foute sexe faible. Une connerie de merde encore, ‘fin fallait avouer, que je jouerais pas au bras du fer avec lui, j’avais tout pour perdre avec son physique de brindille. Mais là était pas la question.

Quelque chose m’avait choqué dans sa façon de parler, sa façon de me regarder, sa façon d’être simplement. Quelque chose allait pas, pas du tout. Il était trop … ou pas assez …

Il m’avait jamais parlé comme ça, même quand je m’étais comporté comme une parfaite conne avec lui. Y'avait quelque chose qui allait pas, en plus du fait que j’avais du mal à reprendre une respiration régulière.

« À Traquemont, et si on a pas de pots dans une espèce d’avant post installer par la milice pour ceux qui doivent passer des jours dans les marais. »

Levant le nez vers le ciel par habitude, pour voir où se trouvait le soleil, j’avais rien vu avec les branchess d'arbre. Avec un peu de chance ait pas eu l’air trop idiot, sinon, j’étais plus à ça près de toute façon.

« Mais on devrait avoir le temps de rentrée au fort… »

Ce qui aurait été le cas, une fois que j’aurais trouvé de quoi m’orienter décemment. Savoir où on allait et comment, c’était bien, mais malheureusement il fallait un peu de repères.

« Qu'est ce que tu fous là, en plus milieux des marécage ? »

Parce que, bordel, quand même, la question méritait un peu d'être posée. Mercenaire ou pas, c'était pas pour rien qu'on envoyait quelqu'un risqué la beau de ses fesses dans la boue !

Arthur écouta calmement le discours de son amie de fortune. Elle n'avait rien d'une milicienne, s'il devait uniquement juger sur son comportement et son accoutrement, pourtant elle faisait mention d'un avant-poste aux alentours de Traquemont mis en place par la milice. Autrement dit, elle n'était pas une Bannie, ce qui était toujours une bonne chose de prise. Elle avait aussi l'air de savoir où elle se trouvait, sinon comment aurait-elle pu supposer que le fortin en question pouvait être rejoint avant la tombée de la nuit ? Et puis, quelqu'un qui ignorait tout de la région ne prendrait même pas la peine de vérifier la position du soleil en levant la tête en l'air de façon si naturelle. Elle ne se promènerait pas équipée de la sorte non plus.

« Qu'est-ce que tu fous là, en plein milieu des marécages ? » demanda-t-elle alors, toujours en essayant de se repérer dans l'immensité verte et brune de la jungle poisseuse.

Une façon bien familière de s'adresser à lui. Elle le tutoyait, elle s'exprimait de façon un peu rustre... pas que cela le dérange, bien au contraire, il préférait les gens au naturel, qui ne faisaient pas dans la dentelle. Mais elle, elle le prenait définitivement pour quelqu'un d'autre. Ce fameux Finn, sans doute.
Il avait deux choix, à partir d'ici. Lui révéler qu'il n'était pas réellement Finn et risquer un changement brusque de comportement - elle se montrerait peut-être violente si elle apprenait la vérité - ou bien jouer le jeu et essayer de broder là-dessus. Mais si elle finissait par l'apprendre, ou qu'elle s'en rendait compte... Elle se montrerait sans doute très énervée. Il fallait quand même prendre en compte le fait que, même le stress du Fangeux passé, elle continuait de le confondre.

« Eh bien... hésita Arthur en la dévisageant. Je suis à la recherche du corps d'un haut-prêtre de Marbrume qui aurait disparu dans les environs. Peut-être que tu as des pistes ? »

C'était choisir un entre-deux. Si elle venait à percer sa véritable identité à jour, il n'avait pas prétendu s'appeler Finn. Il pourrait toujours lui dire qu'il n'avait pas compris le malentendu et se présenter officiellement plus tard. Si elle continuait d'y croire, elle pouvait peut-être lâcher une ou deux infos la concernant : son nom, ses occupations, ses intentions, ce genre de choses.

À son tour, Arthur leva le nez au ciel et se déplaça de côté, jusqu'à trouver une trouée dans les branchages de la forêt. Le milieu de la journée était déjà passé, compte tenu de la disposition du soleil et de l'heure à laquelle il avait quitté Marbrume.

« On devrait profiter de la lumière pour aller jusqu'à l'avant-poste. On pourra discuter plus tranquillement là-bas. suggéra le milicien en lui adressant un léger sourire. Oh, et merci de m'avoir aidé avec le Fangeux. Pas que j'aurais eu du mal à m'en occuper mais un coup de main est toujours le bienvenu ! »

Dur de dire que je m’étais vraiment attendu à ça en fait.
J’avais entendu parler de la disparition du père de Tourres, c’était moche, il était bizarre, puis pessimiste, puis j’avais pas tout pigé à ce qu’il avait essayé de me dire la seule fois où je lui avais confié le fond de ma pensée. Ce qu’il m’avait dit, sur le moment ça avait semblé claire, un peu apaisante, mais maintenant à y avoir réfléchi ça ressemblait à des foutaises enrobées da jolis mots pour que je me pose pas de questions.
Je comprenais pas pourquoi on cherchait le corps, ou le mordeur qu’était devenu le haut prêtre. Je comprenais bien que c’était un haut dignitaire tout ça, mais de là à mettre la vie d’hommes pour ça. Avant, j’aurais compris, mais plus maintenant, maintenant qu’on semblait trop et trop peu.

« Bah … euh … non, de fait … »

Parce que j’avais d'autres chat à fouetter. Entre autres, trouver de quoi manger. J’espérais que le reste du groupe avait eu plus de chances que moi, ce qui avait sûrement été le cas. Après tout, le mordeur, c’était moi qu’il avait suivi.

Je m’étais retournée un peu anxieux. S'il s’était pas effondré vider de son sang, ça aurait dû faire longtemps qu’il nous aurait sautés dessus, mais j’étais pas tranquille.

Sa présence, celle de Finn, ça me ferait pas de mal… sauf que…

Sauf que …

Il avait juste fallu faire quelques pas, un ou deux vers lui pour se rendre compte de ce qui me chiffonnait depuis le début, plus que sa façon de se comporter, plus que les petits changements physiques. Il était plus petit ! C’était pas Finn !
À côté de mon mercenaire j’avais parfois, souvent cette impression d’être toute petite, une brindille qu’on pourrait casser à son envie, petite fine, fragile, tellement lui avait l’air grand et solide, plus grand que beaucoup. Cette impression à la foi rassurante et parfois un peu oppressante qu’il était là pour me protéger. Mais ne lui, là, ce type devant moi, il me faisait pas vraiment ce ressenti. Lui, il était moins grand, il n’y avait pas ça.

J’aurais pu me sentir un peu con, un gêné, puis je l’avais fait, un peu, pas longtemps, avant de me dire qu’à ce niveau de ressemblance c’était humain. Me rassurant en me disant que ça le ferait sûrement rire, Finn si je lui disais un jour. En réalité j’en savais foutrement rien, mais ça m’aidait à me dire que j’étais pas si bête.

« T’es qui au fait ? … Moi c’est Ilhanne. »

Autant pas vraiment laisser voir qu’on avait eu fait qu'une grande partie de la ligne et être naturelle. De toute façon, le sujet reviendrait bien sûr la table à un moment ou à un autre. Mais j’avais pas vraiment envie de m’attarder, la nuit pas si tard, pis on ne savait pas trop sur quoi on pouvait tomber dans les marécages, donc si on pouvait y être avant que ça décline trop c’était pas pour me déplaire.

La chasseuse se présenta à Arthur. Visiblement, elle n'avait pas l'air hostile, et surtout elle avait mis fin au malentendu qu'elle avait elle-même créé. Le mercenaire l'observa faire pendant qu'elle le jaugeait du regard.

« Enchanté Ilhanne. Je m'appelle Arthur Melville, membre de la milice extérieure de Marbrume. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, je suis parti avec une petite troupe à la recherche du corps d'un Haut-Prêtre, Monseigneur Philippe de Tourres. Il est prétendument mort et, dans tous les cas, il aurait disparu dans les environs de Traquemont. Mais le commandement de l'expédition a été confié à un idiot, un blanc-bec incapable d'assumer son rôle de dirigeant. Nous avons été attaqués par des Bannis, et j'ai eu la chance de pouvoir m'échapper. La plupart des autres sont morts, j'imagine. »

Il soupira sombrement. Cette sortie n'était clairement pas sa plus réussie. Le beau soldat s'en voulait énormément d'avoir succombé aux attraits d'une gloire potentielle aux suites de cette mission suicidaire. Mais, encore une fois, la religion était devenue plus importante que tout dans cet univers chaotique. Un élément primordial dans l'existence de tout un chacun. On distinguait trois types de personnes, pour parler grossièrement : ceux qui avaient perdu toute foi en la Trinité, qui en voulait aux déités de les avoir ainsi abandonnés, ceux qui pensaient que l'apparition des Fangeux était soit une sorte de châtiment soit une mise à l'épreuve, et enfin ceux qui, par désespoir ou par peur, s'étaient rattachés plus fortement au culte des Trois...
En sachant cela, il comprenait l'importance que le sort du Haut-Prêtre revêtait pour le petit peuple. Au-delà de l'idée d'être reconnu comme un héros par la populace croupissant en ville, Arthur avait envie de leur apporter des réponses. Un peu d'espoir, dans le meilleur des cas.

La nuit s'apprêtait à tomber sur les tourbes. L'idée de rester ici lui déplaisait vraiment. Il regarda Ilhanne d'un air neutre puis :

« Est-ce qu'on va rester ici jusqu'à demain matin ? Je préférerais franchement qu'on poursuive la conversation ailleurs. »

Arthur avait encore des questions à poser à la jeune femme, mais il fallait attendre, pour l'instant...