Hématomancie et pilleurs de tombes, rituels nocturnes insensés [Abandonné]

- Janvier 1165

Ils s’étaient rassemblés au Labourg, à quelques rues du cimetière, tous en civil afin de ne pas attirer l’attention. La nuit était fraîche et portait avec elle les promesses de sang et de justice, cette mascarade dégénérée n’avait que trop duré, et le groupe de miliciens réuni ici entendait bien mettre un terme à tout cela, définitivement.

Plus personne ne se servait du cimetière aujourd’hui, les bûchers avaient remplacé les pierres tombales, et tandis que l’endroit avait été abandonné aux pilleurs de tombes et aux animaux, la nature reprenait lentement ses droits. Entre les rangées de tombes, celles qui n’avaient pas été pillées avaient également été ouvertes, mais de l’intérieur, l’herbe et le chiendent poussaient hors de contrôle, les racines des arbres autrefois bien taillés avaient eu raison des murs et portails des caveaux, désormais ouverts au quatre vents. Cet endroit jadis tranquille et propice au recueillement était désormais sauvage et inquiétant.

C’était l’endroit parfait pour la pièce sordide qui s’y jouait, un théâtre craint et isolé, l’idéal repaire de bannis sanguinaires. Du moins pour l’instant…

Séraphin ne s’était que partiellement remis de son aventure dans l’horrible cave, il ne s’était écoulé que quelques jours, le temps de rentrer à la caserne faire son rapport en compagnie de Siegfried et Vuk, de vérifier le matériel, préparer l’expédition. Le sergent avait tenu à leur dépêcher trois miliciens supplémentaires : Hérald, qui haïssait cordialement Séraphin après un épisode malencontreux dans une taverne, Arthur et Revan, qu’il ne connaissait que de vue.

Le petit groupe avait attendu que la nuit soit bien entamée pour pénétrer dans le cimetière, ils s’étaient avancés les sens aux aguets, aussi discrètement que six miliciens armés jusqu’au dents peuvent le faire, et avaient commencé à fouiller les lieux. Au détour d’une allée, un caveau à la porte éventrée vomissait une lueur tremblotante et nappait les alentours d’ombres sinistres, ils étaient là, cachés sous terre comme des rats.

La chasse avait commencé.

"...Patron y'a maaarée basse, fais-moi voir la p'tite soeur... Y'a mon gosier qui s'laaasse, d'être tout sec quelle horreur..."

Pour se détendre un peu avant de péter du genou, le balafré chantonnait vaguement une mélodie qu'il avait entendu un soir, à la taverne. Cela lui permettait de minimiser son excitation et de se clarifier l'esprit, en quelque sorte. Il accorda un regard en biais à la fière équipe qui le suivait, ça promettait d'être convivial. On avait de la tête connue, de la moins connue, mais ce n'était visiblement que du bon.

Séraphin, son sympathique collègue d'enquête, semblait avoir une affection prononcée pour les bourre-pifs, qu'il en soit auteur ou victime. Vuk était tête en l'air, mais il avait du flair et savait tirer comme un chef. Dreit ne brillait pas par son amabilité, mais il était efficace sur le terrain et savait faire preuve d'une rigueur bien rare en ces temps troublés. Derrière se trouvait Arthur, un ami également, qui jouait des poings comme pas deux. Le dernier membre de la troupe était inconnu au bataillon, mais Siegfried sentait qu'il saurait se montrer efficace.

C'était donc sans peur, mais bien énervé que l'Exécuteur pénétra dans le cimetière en révélant son épée au clair de lune, prêt à en découdre. Après avoir découvert la planque de leurs opposants potentiels, la belle brochette de combattants s'agença en cercle pour passer en revue la stratégie prévue, ou du moins son brouillon, chose dont s'était chargé le borgne à défaut de trouver un volontaire.

"Bon mes gaillards, on s'apprête à foncer droit dans un traquenard. Je ne vous le cache pas, ça risque d'être épineux, 'va falloir se serrer les coudes et profiter de l'effet de surprise pour porter un premier assaut. Pour c'qui s'agit des explications techniques au sujet des ennemis, je laisse ça à mon compère Vuk..."

Tendant son bras en avant tout en serrant le poing, il enchaîna :

"On rentre dans ce terrier comme des bêtes de somme, on décapite les premiers qu'on croise et on avise pour achever les lurons qui restent. Quelqu'un a mieux à proposer ?"

Faire dans la dentelle n'avait jamais été son affaire, il laissait ça aux couturières. En revanche, déchiqueter et broyer, il savait gérer. Un sourire idiot aux lèvres, le soldat détaillait ses acolytes du soir, espérant bien sûr que son plan fasse l'unanimité. Déjà, sa lame se lassait d'attendre.

La brise fraîche venait embrasser sa peau, la lueur de ses yeux se reflétait dans celle de la lune, et inversement. Devant lui, ils attendaient. L'élite de la milice, les meilleurs, les plus aptes pour accomplir cette quête.
Le milicien se baissa, s'accroupit, posa une main par terre, d'un mouvement gracieux, il commença l'élaboration d'un dessin au sol. Un plan peut être, une stratégie d'assaut, ou peut être une rune, pour protéger son groupe.
Les autres l'observaient en silence, attendant le plan. Personne n'osait parler.
Il se releva, visiblement fier de lui en contemplant ce qu'il avait écrit au sol.

"Vuk c'est le meilleur."

"Bon, les gars, maintenant, j'vais vous dire, ces gars, si ils sont dans le cimetière, ils veulent visiblement pas être vus, donc ils apprécieront pas qu'on vienne les faire chier. Alors je veux qu'on soit les plus silencieux possible, la priorité numéro 1, c'est de trouver les gars qui font des sacrifices humains. Donc à partir de maintenant, on va faire trois groupes de deux."

Joignant le geste à la parole, il agrippa Siegfried par l'épaule, mais n'arriva pas le ramener vers lui. Un peu gêné, il le laissa donc à sa place.

"...Bon moi je suis avec Sieg. Vous mettez vous par deux. L'idéal serait d'avancer en ligne, séparer les binômes de quelques mètres, pour pouvoir avancer sans un être vu."

Pendant que les groupes se formaient, il rajouta

"Ah ouai, juste pour dire, je pense que ces mec la dedans sont des fou furieux, donc on va peut être mourir."

"Ça pue le fangeux ton histoire."

Le Sergent de Dreit se tenait assis dans son bureau, la tête dans les mains comme s'il allait s'arracher les cheveux. La pièce était peu spacieuse, c'était l'une des rares pièces personnelles accordées aux gens "de la hiérarchie". Il releva la tête vers le grand pâle qui se tenait adossé au mur, les bras croisé et le regard perdu sur le plancher poussiéreux.

"C'est cet imbécile de Chantebrume qui a élaboré cette idée. Enfin, nous pouvons lui reconnaître son sens de la justice à vouloir jouer les héros sur son temps de permission. Mais si je ne vais pas avec le comité de perdants à qui il a fait appel, ils seront tous morts inutilement." Il soupira d'un air provocateur. "Et puis si ça n'était pas eux, personne d'autre n'irait enliser la menace découverte. D'une, parce que nos effectifs sont réduits, de deux, parce que nos effectifs sont trouillards. A l'image de leur supérieur."

Après cette petite prose d'éloquence, le milicien tourna la tête vers le sergent, un sourire narquois.

"T'as pas eu assez d'corvée d'patates toi. Et puis allez tu m'emmerdes, je te jure que si jamais tu dérouilles, y aura personne pour repêcher ni tes camarades, ni ta sale tête de con. Je me ferai un plaisir de brûler ta vieille carcace d'enfant de pourri, Dreit. Maintenant sors de mon bureau, je ne veux plus voir ta sale gueule pour ce soir !"

"Profitez bien de votre grand cru pendant que les vrais s'en iront au casse pipe."

"DEHORS !"

Les instructions étaient claires : il s'agissait d'une opération clandestine et la milice ne voulait pas se mouiller. Seule une demi-douzaine de valeureux avaient décidé de sévir ce soir. Dreit avait refermé d'un geste sec la porte du bureau de son supérieur, se dirigeant le pas décidé vers ses casiers afin de s'équiper. Il avait prévu pour une coup une tenue de cuir légère, sous laquelle il avait enfilé des mailles au cas où une lame attenterait à sa chair. Pour le reste, il n'embarqua que son épée courte et son gantelet droit. D'autres miliciens le regardaient avec un air ébahi, se disant qu'il s'agissait d'un idiot de plus dans leur rang.

Il avait attendu une bonne partie de la nuit pour rejoindre ses acolytes d'infortune. Il les passa en revue : Chantebrume, qui était bien plus présentable que depuis leur dernière rencontre ; Siegfried plus laid que jamais ; et d'autres qu'il n'avait que trop peu côtoyés. Il regarda faire l'homme à la crête de coq qui se mit à dessiner sur le sol. L'on aurait cru à un plan, mais Dreit pouvait lire distinctement ce dont il en retournait. Et puis le voilà qu'il enlaçait Siegfried, ou tout comme. Un idiot fini de plus.

Dreit balaya de quelques gestes du pied les inscriptions, puis redessina une forme plus probante.

"Nous avons affaire à des fanatiques, à des psychopathes dénués de toute empathie. Le plan de Siegfried me semble le plus approprié et j'ai moi-même une propension à éliminer le mal à la racine. Crime, punition expéditive MAIS... Une approche non létale apporterait peut être de l'eau à votre moulin, Chantebrume. Un traquenard aussi dangereux que celui-là... C'est peut-être l'arbre qui cache la forêt. Si nous pouvions en capturer ne serait-ce qu'un, je saurai le faire parler."

Il dessina ensuite deux flèches qui pointaient vers le rectangle.

"Ici, c'est l'entrée par laquelle nous allons attaquer. En revanche, ici, il désigne l'autre flèche, , il s'agit d'une autre issue potentielle ; une autre trappe discrète qui donne sur une impasse au milieu d'un pâté résidentiel et désert. Je suis d'avis de passer par cette seconde issue, à défaut de la surveiller et de cueillir les éventuels fuyards. Ceux qui se sentent l'âme d'un guerrier et qui souhaitent aller au devant de la menace sans faire cas de leur vie, allez avec Siegfried ; lui-même sera plus à même de juger qui saurait tenir tête à ces gueux. Les discrets qui savent jouer de l'effet de surprise iront avec moi. Ils seront faits comme des rats."

Il échangea un regard dur et perçant à l'assemblée.

"Je me répète : ne tuez qu'en cas d'extrême nécessité. Si nous pouvions capturer ne serait-ce qu'un de ces pourris, peut-être que nous ne serions pas au bout de nos surprises."

Un rassemblement bien particulier dans un environnement bien particulier... Il ne manquait que la pluie et le tonnerre pour faire danser de façon morbide les ombres des six gaillards réunis ici. Il fallait avouer que la nature même de la mission était insolite, même pour Arthur. Il fallait investir un cimetière, apparemment envahi par des Bannis qui s'initiaient à des réunions nébuleuses. Le beau milicien ne craignait pas les prétendus rituels auxquels s'adonnaient leurs proies du soir. Magie, rites maléfiques et diaboliques, pactes avec l'occulte obscur... Non, il s'agissait simplement de criminels et de fugitifs devenus complètement fous, qui essayaient de se donner un genre. Voilà tout.
Lorsqu'on était venu le trouver en lui parlant de Bannis cachés, Arthur avait bondi sur ses deux jambes. Est-ce qu'il avait envie de prendre part à une expédition punitive destinée à châtier des renégats ? Et comment ! Il avait aussitôt accepté. Il n'avait pensé à poser les questions importantes que par la suite : qui serait de la partie ? Qui avait organisé tout cela ? Pourquoi l'avoir choisi lui ? Y avait-il une récompense ? Quel était l'effectif ennemi ? Quels étaient les objectifs de la mission ? Quand fallait-il partir ? Comment...

« La ferme, Arthur, nom d'Anür ! J'suis juste un messager, fous-moi la paix ! T'auras tes réponses quand t'y seras ! J'te file le rendez-vous avec la date, l'heure et le lieu et tu te démerdes ! T'es déjà pas malin de te lancer dans une histoire de magie noire et de Bannis, si tu veux mon avis... »

C'était la seule réponse qu'il avait obtenu. Enfin, la plus complète, en tout cas. Et à présent, il était là, à l'orée du cimetière abandonné - ou presque - à contempler ses compagnons de jeu. À l'exception de Sieg', qu'il connaissait bien depuis leur petite escapade dans une taverne des bas-fonds de Marbrume, il ne savait pas qui étaient les autres.
Arthur avait sorti son épée courte et jonglait avec tout en regardant la scène se dérouler sous ses yeux. Fidèle à lui-même, le Brûlé désirait pénétrer dans le repaire des bandits pour les occire des pieds à la tête en passant par les tripes. Le bellâtre hocha la tête d'un air approbateur. Un bon Banni était un Banni éventré. Alors que sa lame virevoltait pour la énième fois en l'air, le dénommé Vuk s'accroupit par terre pour dessiner un plan.

«Bon, les gars, maintenant, j'vais vous dire, ces gars, 'ils sont dans le cimetière, ils veulent visiblement pas être vus, donc ils apprécieront pas qu'on vienne les faire chier. Alors je veux qu'on soit les plus silencieux possible, la priorité numéro un, c'est de trouver les gars qui font des sacrifices humains. Donc à partir de maintenant, on va faire trois groupes de deux. »

Il conclut son petit discours en attrapant Siegfried par l'épaule. Arthur se détourna et commença à avancer en direction des cryptes - qui l'aime le suive - jusqu'à ce qu'une seconde voix s'élève. Le milicien se retourna en grommelant. Pourquoi est-ce qu'on l'empêchait d'aller éviscérer du Banni ?
C'était Hérald Dreit qui s'exprimait. Il avait balayé le plan de Vuk pour en produire un autre. Il abordait à présent une autre approche, une "approche non létale" pour reprendre ses mots. Les derniers mots qu'il adressait à l'assemblée firent pouffer Arthur, plus fort qu'il n'aurait voulu.

« Je me répète : ne tuez qu'en cas d'extrême nécessité. Si nous pouvions capturer ne serait-ce qu'un de ces pourris, peut-être que nous ne serions pas au bout de nos surprises.
— Magouillez vos affaires comme vous l'entendez, Messire Dreit. Sachez que je n'aurai aucune pitié à l'égard de ces raclures et qu'ils passeront tous au fil de mon épée. Si d'aventure vous parvenez à en capturer un vivant, assurez-vous qu'il ne croise pas ma route par la suite ou je me sentirai obligé de le... libérer. Inutile de préciser que je passerai par la porte d'entrée et que je ferai un maximum de bruit et de morts. »

Janvier. Un mois synonyme de froid et de faim en ces temps troubles. Les récoltes de l'année passée et les réserves de la cité suffisaient pour passer ce premier hiver. Heureusement, la fange avait réduit un bon nombre de la population humaine ; qui disait moins de bouches à nourrir disait plus de nourriture en stock ; ce qui fut démontré.

Ce fut donc avec à peine le ventre plein que Revan, milicien récemment engagé et affilié à l'exploration des terres, fut envoyé en mission en interne. N'était-ce pas contradictoire avec son affiliation ? Peu importe, les ordres étaient les ordres ; et il avait appris à ne pas désobéir ces derniers ; sinon quoi, il lui serait encore plus difficile de partir explorer les zones hostiles du monde.

Les instructions étaient aussi claires que floues. On lui avait dit qu'il ferait partie d'une équipe de six hommes spécialement désignés pour l'occasion. Il s'agissait d'une sorte de mission sans queue ni tête qui faisait suite à une enquête des plus déroutantes. Une chose était cependant sûre : le danger existait bel et bien. On parla d'une bande de bannis qui aurait élu domicile dans le cimetière du Labourg. Eh bien. En voilà une surprise.

Camouflant sa tenue de cuir par une tenue de civil, il lui parut bien inutile de se dissimuler de la sorte alors qu'il gardait son arc, ses flèches et son épée en évidence. D'ailleurs, quand il rencontra ses collègues, il était quasi certain qu'ils ne passeraient pas inaperçus.

Séraphin, Siegfried, Vuk, Hérald et Arthur. La première impression que Revan eut de ses actuels camarades de fortune fut très simple : il n'en connaissait aucun. Evidemment, dans ce genre de contexte où aucun ne semblait avoir un grade clairement distinctif, n'importe lequel d'entre eux avait un plan en tête et une stratégie à adopter pour dénicher des brigands cachés dans un cimetière abandonné. En d'autres termes, ils allaient rentrer en zone ennemie : la balle n'était en aucun cas dans leur camp.

Siegfried le balafré proposa de rentrer dans le lard ; au moins ils n'auraient pas à réfléchir d'une stratégie ; et de toute évidence ils avaient bien trop peu d'informations pour en préparer une. Vuk suggéra de faire des groupes de deux ; une solution comme une autre ; puis il entreprit de s'agglutiner au balafré. Enfin, Hérald nota qu'il fallait en capturer un et qu'un groupe devrait passer par la seconde issue, de manière furtive. Ce dernier point était plus intéressant pour Revan.

- J'passerai par la seconde issue dans ce cas. Je préférerais être moins voyant... Ces bannis, ou quoi que ce soit, connaissent mieux l'coin que nous ; et j'ai pas vraiment de bouclier... Autre que vous, je veux dire, intervint Revan.

Il pensait faire meilleur usage de son arc en prenant la seconde issue. De plus, les autres feraient une parfaite diversion : cela lui laisserait une chance de s'échapper plus facilement si la situation devenait désespérée ; et il était hors de question, pour lui, de crever ici.