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 Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]

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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyMer 30 Nov 2016 - 16:56
Suite du RP : De Rikni le coeur, du sang félon nourriras.

Tenant difficilement en place, Morion était assis dans sa chambre, sur le rebord de son lit. Il assistait, silencieux, au spectacle de sa femme allongée, sur le ventre pour épargner à son dos la douleur d’être appuyé contre quelque surface que ce fût. Elle était toujours inconsciente, après plusieurs heures. Il avait pour sa part prévenu ses soeurs qu’il mettrait du temps à venir les voir. Peu de temps après qu’il eût accompagné Ambre et l’eût déposée sur le lit, le guérisseur avait fait son entrée. Visiblement il n’avait jamais vu de flagellations de sa vie, car la vision du dos éclaté d’Ambre l’horrifia sur place un moment. Les quelques secondes qu’il mit avant d’apercevoir le regard hargneux du comte, qui le conjurait d’émettre un diagnostic, de lui dire comment cela allait se dérouler pour elle. Son inquiétude, bien que masquée par le soulagement d’être ici, de voir sa femme en vie, et la colère qui s’était fait un nid permanent en lui, nid s’embrasant à chaque fois que ses yeux se posaient sur la peau lacérée de sa femme, était tout de même visible. Ainsi le vieil homme, d’une bonne soixantaine d’années, vint observer le dos, refusant cependant d’y toucher. Il jaugea les dégâts que le cuir avait infligé à la peau, vérifia que les plaies n’étaient pas trop profondes. En certains endroits, elles l’étaient. Les marques les plus brutales étaient aux croisements, là où l’épaisse lanière avait frappé sur une plaie déjà ouverte. Après avoir demandé d’un regard l’approbation du comte, qui l’y autorisa, il passa sa main sur le visage inerte de la comtesse, jaugeant sa température. Comme il le craignait, élevée. Elle avait passé un trop grand nombre d’heures dans une cellule insalubre, les plaies ouvertes à tous les germes que l’on pouvait imaginer. Il aurait été miraculeux qu’elle ne contracte aucun mal.

Il était parti. Durant son absence, Morion avait retiré, usant de mille précautions, la robe de sa femme, tout en se faisant chauffer de l’eau pour se laver. Il avait encore dans les narines l’odeur putride des geôles et celle, plus diffuse, peut-être imaginée même, de la sueur rance qu’ils avaient déversé, eux comme ces immondes porcs. Il avait d’abord fait glisser le tissu détruit autour des ses bras, puis avait bataillé de longues minutes pour retirer le tout. Il l’avait ensuite recouverte d’épais linges, propres, puis avait rabattu la couverture par dessus ses jambes, jusqu’au bas de son dos. Il se faisait un sang d’encre, c’était évident.

Le guérisseur était revenu plus tard, les bras chargés de bandages, de pots de terre cuite remplis d’onguents, de cataplasmes et d’une fiole contenant même du lait de pavot, au cas où elle se réveillerait. Quelques linges visant à boire les quelques gouttes de sang qui perleraient forcément, en sus de pouvoir aussi conserver les plaies à l’abri de l’air, une fois imbibés par les onguents, leur furent amenés.

Il ne bougea pas d’un iota lorsque le guérisseur s’appliqua à la tâche. Il ne chercha même pas à faire montre de la froide distance ou de la dignité hautaine pour lesquelles il était d’ordinaire réputé. Au contraire, il passait la main contre la joue d’Ambre, la caressant du dos de ses doigts, glissant le bout de ses derniers sur ses paupières, longeait l’arête de son nez, passait parfois la pulpe d’un pouce sur ses lèvres pâles et sèches. La douleur physique était une chose. Mais la douleur morale qu’il expérimentait là, elle était toute nouvelle, et c’était une sensation qu’il espérait ne jamais avoir à ressentir à nouveau. Le mélange entre la peine pour Ambre et sa propre culpabilité formaient un cocktail bileux, impossible à avaler, amer. Pendant que l’homme s’appliquait, ignorant fermement les marques d’attention du comte, qu’il comprenait tout à fait mais qui le mettaient un tantinet mal à l’aise, Morion essayait de s’empêcher de penser. Une tâche bien difficile, il fallait l’avouer.

Et il était reparti. Aucun mouvement, laisser les linges en place pendant au moins trois ou quatre heures, et le faire mander si besoin était pour les changer. Dans l’immédiat, une suture n’était pas envisageable. Il faudrait, plus tard, bander les plaies, et changer les bandages plusieurs fois par jour, entrecoupés par l’application des cataplasmes qu’il avait laissé à disposition du comte. De même, faire venir un dignitaire de Sérus pour bénir les plantes qui avaient été utilisées, afin de maximiser les chances de guérison, ne serait peut-être pas une mauvaise idée.

Marianne passa une heure après le départ du vieillard, pour prendre des nouvelles. Accompagnée par Estrée, cette fois. Ils faisaient une belle paire, elle et Morion, dans un sale état tous les deux. Elle se remettait de mieux en mieux, mais avait encore du mal à se déplacer sans appui, et la maigreur de son corps indiquait qu’il ne s’était clairement pas remis du traumatisme qu’il avait subi. Néanmoins, au contraire de celui de son frère aîné, son regard brillait à nouveau d’un éclat vivace, si typique aux Ventfroid. Elle resta un moment silencieuse, puis vint étreindre Morion, soulagée bien au delà de ce qu’elle affichée de le voir de retour entre les murs sombres mais sûrs de leur château.

«Edric est rentré il y a quelques minutes… Marianne m’a dit ce que tu avais demandé de faire aux captifs. Penses-tu vraiment que cela soit nécessaire ? Vous êtes en vie, et ils ont été faits prisonniers à leur tour. Vas-tu t’abaisser à leur niveau en leur faisant… Elle serra légèrement les dents. Ta colère t’aveugle, Morion.

Non, Estrée. Je réclame vengeance, c’est tout. J’aurais agi d’une exacte manière s’il s’était agi de toi ou de Marianne. Il y a des personnes pour lesquelles je ne tolère aucun forfait. Ils ont eu la bêtise d’ignorer mes avertissements, et en paieront le prix. Fin de la discussion, je ne veux plus entendre parler d’eux. Sa voix finit sur un ton tranchant et glacial. Simplement penser à eux suffisait encore à le mettre dans une colère noire. Peu désireuse d’aggraver la fureur de son frère, au risque d’en pâtir aussi, Estrée obtempéra, changeant le sujet de la discussion.

Evan de Mirail a également envoyé une missive, en réponse à celle que nous lui avons envoyé pour signaler la disparition de sa soeur. Il sera là dans la journée. Dans peu de temps, si tu veux mon avis.

Morion soupira doucement. Il ne savait pas comment il allait pouvoir expliquer l’état de sa femme. Il n’y était pour rien dans le sens où il avait été maintenu en respect tout le long de leur captivité, mais il se sentait responsable. Et il n’aurait guère été surprenant qu’Evan soit également de cet avis. Elle était sous sa responsabilité et sous sa protection. Qu’il ait pu faire ou non quelque chose, le fait était qu’il avait failli à sa mission. Il finit par hocher doucement la tête.

Je vais me laver, en ce cas. Sortez, elle a besoin de repos. Si je ne suis pas descendu à l’arrivée d’Evan, faites-le monter. Il ne vient que pour sa soeur, inutile qu’il attende plus que nécessaire.»

Après une brève étreinte à ses soeurs, il les regarda partir, puis se rassit sur le bord du lit. Il rajusta la couverture, aplanit légèrement l’oreiller pour éviter au dos d’Ambre d’être cambré et de tirailler sur les plaies. Il passa un linge humide sur ses lèvres légèrement fendues à cause de la sécheresse, et prit sa température. Effectivement, elle était fiévreuse. Il eut un léger mouvement de recul lorsque ses yeux bougèrent sous ses paupières, et que sa gorge laissa échapper quelques paroles insensées, fruit d’un délire latent qui risquait en plus de s’aggraver. Il serra les dents, et continua à prendre soin d’elle, mortifié par la culpabilité.

«Je suis vraiment désolé. Je mettrai tout en oeuvre pour que tu ailles mieux, et que cette journée finisse oubliée, pourrissant dans les méandres les plus nébuleux de ton esprit. Il fit glisser une mèche défaite et volatile derrière l’oreille de sa femme. Je les anéantirai tous. Et tu n’auras plus jamais à subir pareille épreuve, je t’en fais le serment mon amour.»

Il se pencha, ignorant la douleur fulgurante qui éclata un bref instant dans ses côtes, et embrassa le coin de ses lèvres. Il s’assura qu’elle était bien placée, vérifia que les linges n’avaient pas bougé. Le réveil serait sûrement atrocement douloureux, il le savait bien. Après avoir remis quelques bûches dans la cheminée qui flamboyait depuis qu’ils étaient rentrés, il alla se laver sommairement. Il ne saignait plus, lui. Les boursouflures dues aux coups étaient toujours présentes, douloureuses, ses lèvres étaient toujours fendues, mais c’était supportable. Son buste était victime quant à lui de douleurs plus lancinantes et plus profonde, ses muscles et os ayant probablement été sérieusement atteints à plusieurs reprises, mais il n’y pourrait pas grand chose.

L’arrivée d’Evan coïncida à une dizaine de minutes près avec sa sortie du bain, qu’il laissa en plan dans la salle de toilette. Il fut directement conduit dans la chambre. Tout comme Marianne lorsqu’elle avait assisté à leur arrivée, il était mort d’inquiétude. Et le fait de savoir sa soeur sauve et en vie lui avait inspiré du soulagement, il fut vite douché en la voyant inconsciente. Bien que ses plaies eurent été recouvertes par les linges du guérisseur, l’on voyait en de nombreux endroits la peau rougie, voire presque bleue, et les quelques marques de sang séché qui n’avaient pas encore été nettoyées.

Silencieux, Morion le laissa d’abord quelques minutes, seul, avec sa soeur. Il sortit de la pièce, à contrecoeur, restant près de la porte. Cet étage du château, réservé au seul usage des Ventfroid et de ceux qui étaient directement convoqués ou invités par l’un d’eux, était totalement désert. Il rentra peu de temps après, lorsqu’il entendit du mouvement dans la chambre. Inquiet, et en colère, Evan demanda à ce que tout lui soit raconté, sans omettre de détails. Ce que Morion fit. Tout du moins il lui exposa les actes des brigands. Décrivit leur captivité, et expliqua l’état d’Ambre. Il négligea sciemment les attouchements qu’elle subit de la part de Chris et Raël. Il sentait le jeune comte prêt à descendre les exterminer lui-même, et cela, il ne l’accepterait pas. Son ton, au fur et à mesure qu’il contait, et de fait revivait ces heures horriblement longues, son ton se faisait de plus en plus monocordes. Impossible de ne pas voir que Morion avait été tout autant marqué par les événements, alors qu’il était pourtant un homme habitué à des situations bien plus désastreuses.

Soucieux de laisser Ambre sans bruit aucun alentour, afin de ne point la réveiller par mégarde, il convia Evan à le suivre au sommet des remparts. Deux vigies étaient postés à l’extrémité de ceux-ci, surveillant les allées et venues sur le domaine. Ils saluèrent les deux nobles lorsques ceux-ci passèrent devant eux, ayant assisté à leur arrivée, puis se reconcentrèrent sur leur tâche. Bien que Morion se fut lavé avant de recevoir Evan, les marques de coups sur son visage restaient parfaitement visibles, la moitié de sa face était enflée, et l’autre arboraient toutes les nuances variant entre le bleu-vert et l’indigo. Il rassura d’ailleurs Evan à ce sujet. Il allait bien. Son visage lui causait des douleurs provoquant elles-mêmes des mirgaines fulgurantes, mais son sort était bien moins préoccupant que celui de son épouse. D’après le guérisseur, elle resterait inconsciente encore un moment. Elle avait subi un choc émotionnel extrêmement violent, et l’épuisement avait été au-dessus de ce qu’elle aurait dû pouvoir supporter en temps normal.

Quand il était là, Morion l’avait questionné, au sujet de l’enfant. Y avait-il un risque ? Ambre serait-elle capable d’enfanter, avec son dos blessé et les chocs qu’elle avait subi ? C’était difficile à dire, lui avait-on répondu. Tant qu’elle serait évanouie, aucun pronostic sérieux n’était envisageable. Le médecin avait vu un grand nombre de cas dans sa vie, et parfois, un embryon ne survivait pas à ne serait-ce qu’une mauvaise surprise. Parfois c’était la mère qui succombait, alors qu’elle était en parfaite santé. Et parfois, les plus misérables et malades d’entre elles arrivaient à donner la vie sans qu’il n’y ait de complication. Le domaine de l’accouchement était nébuleux, et si l’on voulait s’assurer toutes les chances, il fallait tant prendre soin de la mère que prier les Dieux avec ferveur pour qu’ils leur accordent leur bénédiction. Il n’y avait malheureusement rien d’autre à faire. Cela dépendait beaucoup d’Ambre, en définitive.

Il confia tout ceci à Evan, également.

Puis vint le sujet des bandits. Là par contre… Morion avoua à Evan qu’ils avaient été faits captifs, tous ceux qui étaient encore en vie, en tout cas, et croupissaient pour l’heure dans les cachots.
Ses dents se serrèrent de contrariété, lorsque son beau-frère lui demanda l’exécution, voire même sa participation à l’acte, de façon publique. Il l’avait prévu pour Henri, de toute façon. Même s’il dirigeait les hommes, tout ce qu’ils avaient fait contrevenaient à ses principes et ordres initiaux. Il avait en outre fait montre d’une certaine… clémence, à l’égard de sa femme, et n’avait, contrairement aux autres, pas été qu’un monstre. De fait, il méritait une mort digne. Il en allait de même pour les bandits qui n’avaient pas été présents dans le cachot à l’heure des sévices. Ceux-là Morion ne leur accordait aucune espèce d’importance. Mais Chris, Raël, Euverne, et le dernier archer, dont le trait avait encore ajouté à la souffrance déjà abjecte de son épouse, ils méritaient un traitement très particulier, en sus du refus d’une mort dans les règles et suivant les codes les plus élémentaires de la dignité et de l’honneur. Il les ferait pourrir, il les briserait, comme ils avaient brisé Ambre.
Le ton s’échauffa légèrement, lorsque le comte de Ventfroid refusa net à Evan la possibilité de voir les prisonniers, de même que celle de les exécuter lui-même. Il n’avait pas été là, il n’avait pas vu tout ce qu’il s’était passé. Assister à l’exécution, voire même en tuer un lui-même s’il le voulait, pourquoi pas. Mais le reste lui appartenait. L’on se trouvait sur ses terres, et il était le premier à réclamer le prix du sang, à demander réparation pour les horreurs qui avaient été perpétrées. C’étaient aux Ventfroid qu’ils en avaient voulu, et les Ventfroid prononceraient et appliqueraient la sentence.
Devant le léger mais réel compromis que faisait Morion, conjugué à la ténacité dont il faisait preuve, brute et aveugle de colère, il finit par rendre les armes. Ni l’un ni l’autre ne voulaient en arriver à une quelconque forme d’animosité. Ils avaient bien autre chose à penser à l’heure actuelle, ces détails pourraient même être réglés plus tard.

«Vous pouvez rester ici tant que vous le voulez, Evan. J’ai également besoin de repos, Marianne vous fera aménager une chambre pour le temps qu’il faudra. Si jamais Ambre montre le moindre signe de réveil, vous serez le premier averti. Il laissa échapper un soupir las, et montra d’un geste ample l’étendue du domaine qui s’étendait en contrebas. En attendant, considérez-vous ici chez vous. Allez où bon vous semble.»

Ils finirent par rentrer, se séparant à la sortie de la cage d’escalier menant au toit. Comme promis, Marianne ferait aménager une chambre, prévoyant une durée aussi longue que possible dans le cas où il y aurait des complications avec l’état d’Ambre, et la jeune soeur de Morion montra même au comte de Mirail où se trouvait la volière, notifiant au fauconnier qu’il était libre de l’utiliser à volonté, sans l’aval des deux soeurs Ventfroid. Sa femme restée à Marbrume, elle aurait également besoin de nouvelles aussi fréquentes que possible, tout comme sa mère. D’autant plus qu’elles devaient être toutes deux mortes d’inquiétude pour l’aînée de la famille.

Morion, laissant volontiers à ses soeurs toutes les tâches d’administration, d’aménagement, l’entièreté de la gestion du domaine en fait, chose qu’il ne faisait jamais quand il était là, retourna dans sa chambre, où sa femme demeurait toujours, inconsciente. La fin de l’après-midi arrivait, l’on sentait la chaleur diminuer progressivement, et le soleil, petit à petit, décliner.
Il fut incapable de dormir, en vérité. Son corps avait atteint les confins de la fatigue, mais il refusait de laisser sa présence s’évanouir en présence de sa femme. Il s’allongea à son côté, encore habillé, et s’il ferma effectivement les yeux, laissa sa main au visage de sa femme, le caressant, espérant que là où son esprit s’était réfugié, elle sentirait sa présence. Il glissait ses doigts entre quelques mèches de cheveux, rendues légèrement humides par la fièvres. Ecoutait la régularité de son souffle, ténu, mais bien présent. Ses doigts passaient sur ses tempes, goûtaient leur température, toujours élevée, puis venaient mesurer les pulsations de son coeur, se collant aux veines de son cou, espérant que son état restât stable. Bien qu’ils fussent tous en sécurité, l’attente de son réveil restait terriblement dure à supporter. Tout pouvait encore arriver, le mieux comme le pire, et à part espérer que ses prières seraient entendues et exaucées, il ne pouvait guère faire grand chose.

Impossible pour lui de dire combien d’heures il resta ainsi, murmurant parfois quelques mots rassurant à une femme qui ne l’entendait pas, passant une main légère sur ses épaules découvertes, jetant un oeil aux linges gras posés sur son dos. Mais le soleil s’était déjà couché depuis un moment lorsque son souffle se modifia. En bas, les torches brûlaient déjà, recouvrant le domaine de la myriade d’étincelles flamboyantes que Morion connaissait si bien. Il ouvrit les yeux, se redressant, inquiet quant aux premières réactions de sa femme. Les plantes astringentes devaient normalement toujours faire effet, mais comment savoir ?

«Ambre, je suis là. Tu m’entends ? Demanda-t-il à voix basse. Sa main revint vers son visage, posée contre sa joue. Son regard, soulagé de la voir enfin éveillée, brillait tout de même d’un éclat diffus d’inquiétude. Ne bouge pas, s’il te plaît, ton dos a été pansé, mais il ne faut pas faire bouger les linges.»
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyJeu 1 Déc 2016 - 17:49
Ballotée dans les méandres de son esprit, Ambre percevait parfois quelques sons, des paroles autour d’elle, voire même les gens qui la déplaçaient et s’afféraient autour de son corps inerte. Sa conscience tenta de refaire surface à plusieurs reprises, luttant contre l’ensommeillement de son cerveau, mais à chaque fois, elle sombrait à nouveau, incapable de comprendre ce qui se passait autour d’elle, oubliant même les quelques informations que son esprit avait pu percevoir. L’inconscience était salvatrice, éloignant ses sens de la douleur. Mais toutes les bonnes choses avaient une fin. Ambre de Ventfroid devait se réveiller, à un moment ou à un autre. Le coma n’était pas viable au long terme, et une journée était déjà énorme, pour elle qui n’avait jamais souffert d’aussi grands maux.

La respiration de la comtesse se modifia doucement lorsqu’elle revint à elle. Mais il fallut encore de nombreuses secondes, voire minutes, pour que la jeune femme ne refasse complètement surface. Oh, ses tympans avaient noté les appels de son mari, mais son esprit était encore trop vaporeux pour saisir correctement les informations. La jeune femme évoluait dans une brume agréable, confuse.
Les yeux encore fermés, la première chose que nota la comtesse fut la douceur. Sa joue déposée contre le tissu doux d’un oreiller, son corps tendrement enfoncé dans un matelas moelleux. Une sensation loin, bien loin du sol poisseux et dur de sa cellule de Sarrant. La jeune femme n’était restée captive qu’une journée et une nuitée, mais elle avait l’impression d’avoir quitté Marbrume depuis une éternité, et d’avoir connu douleur et souffrance durant des semaines. Aussi, cette sensation de confort puissant lui fit du bien à sa manière, et participa un peu à rendre son émergement difficile.
Ensuite, ce fut l’odeur. Des effluves parfumées, florales ; celles des draps peut-être, ajoutées à l’odeur générale de la pièce, du bois des meubles, et quelque chose de plus discret comme… une odeur saline. Rien d’étonnant puisqu’elle se trouvait dans un château construit face à la mer, mais elle l’ignorait encore. Cependant encore une fois, c’étaient là une ambiance olfactive bien éloignée de celle de Sarrant, où n’avaient régné que sueur et immondices.
Toutes ces informations se présentèrent à elle en une fraction de secondes. La jeune rousse eut à peine le temps de les assimiler toutes, ni le temps de ressentir la caresse de son mari sur son visage, avant que son esprit ne s’éveille complètement. Et avec cet éveil, le retour en force de ses sensations physiques, et celle, terrible et persistante, de la douleur. Elle prit conscience à nouveau de son dos en feu, tiraillé et picotant, qui explosait à chaque inspiration. Son mollet gauche également, pulsait douloureusement malgré les soins. Si les tourments n’étaient pas aussi vifs qu’à l’instant où elle avait reçu les coups, c’était désormais une douleur sourde, continue et puissante qui ne semblait jamais vouloir disparaître. Les traits de son visage quittèrent aussitôt la quiétude de l’inconscience pour reprendre un air tourmenté, fatigué. Ajouté à tout cela existait désormais une migraine carabinée, conséquence de la fièvre qui laissait une pellicule fine de sueur sur sa peau.

Ambre tressaillit légèrement, puis ouvrit enfin les yeux. Elle battit plusieurs fois des paupières pour réussir à ne plus voir flou et se concentrer sur un point précis. La première chose qu’elle vit fut Morion. Allongé auprès d’elle, inquiet et penché au-dessus de son visage, ses mèches volages se balançaient autour de ses joues. La comtesse posa les yeux sur les hématomes sur les pommettes du comte, et ses yeux s’humidifièrent soudainement malgré elle. Alors, tous les souvenirs qui l’assaillaient d’un coup, c’était réel. Cette douleur lancinante n’était pas un délire de son imagination, non. Elle avait effectivement été fouettée jusqu’au sang, pourri dans une cellule sale, et subit des sévices qui avaient mis la vie de son enfant en danger. Constater la condition de Morion ramena la jeune femme dans un état d’angoisse profonde. Comme si les bandits étaient là, tous proches, prêts à les achever une bonne fois pour toute.

- Où… sommes-nous ? Où sont-ils ?

La voix de la comtesse était terriblement faible ; elle s’en rendit compte elle-même et s’arrêta dans un souffle pour tenter de retrouver une meilleure condition. Sa bouche était sèche, fendillée, et sa langue pâteuse, empêchant une élocution correcte. Elle soupira doucement. Sa main se mit doucement à fourailler contre les draps, mais elle n’osa pas relever son bras qui avait été placé le long de son corps. Faire simplement rouler ses omoplates lui arracherait des décharges si pénibles que la simple appréhension la figeait sur place. Pourtant, elle n’avait jamais eu autant besoin de proximité physique avec son époux qu’à cet instant précis. Mais l’enlacer dans un câlin salutaire était proscrit.
Ambre bougea encore doucement les lèvres.

- J’ai soif…

La vision de la comtesse était réellement déchirante. Même Evan de Mirail, qui avait grandi toute sa vie avec sa sœur, ne l’avait jamais vue dans un tel état. Même les grippes et les fièvres d’hiver ne l’avaient jamais rendue si faible.

Quand Morion lui porta de l’eau, elle but doucement, mais avec une certaine forme de voracité. Sa position termina par avoir raison d’elle cela dit, malgré toute l’aide de son époux. Elle avala un peu de travers et se mit à tousser. La quinte fut aussitôt suivie d’une plainte faible : ces simples perturbations avaient déclenché l’horreur dans son dos. Une larme s’échappa brièvement d’un de ses yeux pour glisser sur sa joue et aller se perdre sur l’oreiller.

- Comment faisais-tu, Morion ? Pour supporter, jour après jour, pendant dix-sept ans ? Comment n’es-tu pas mort de douleur ?

Ambre était peinée. De sa propre affliction, mais aussi celle de son époux, qui avait été cent fois pire que la sienne. Et c’était à peine imaginable qu’il ait vécu pire, quand elle vivait ça. Elle ne pouvait pas imaginer pire sort encore. Elle n’arrivait pas à ressentir autre chose qu’un puits sans fond de douleur, à un tel point qu’elle se demandait si elle en guérirait un jour. Pourquoi les dieux avaient-ils laissé faire ça ? Qu’avait-elle fait pour mériter un tel sort ? Combien de temps faudrait-il pour que les plaies ne se referment correctement ? De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête, mais une demeurait, plus grande et importante que les autres encore. Une question qui lui serrait le ventre, la plongeait dans une angoisse pire encore que les bandits. Mais elle ne pouvait pas la laisser de côté. La réponse était terriblement redoutée, mais indispensable.

- Ai-je… Elle s’arrêta, plongeant le regard dans les yeux de son époux, essayant d’y déceler n’importe quelle lueur possible, n’importe quel indice, n’importe quelle trace de mensonge éventuel. Ai-je saigné ?

Tendue, dans un désespoir imminent, Ambre attendit, les yeux légèrement écarquillés. Elle ne parlait pas des saignements de son dos, de toute évidence.
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyJeu 1 Déc 2016 - 19:58
Le soulagement. Ce fut la première chose qu’il ressentit dès que les paupières de sa femme se décollèrent, laissant apparaître ses prunelles céruléennes, certes un peu vitreuses, mais bien vivantes. La journée avait vraiment été longue, il n’avait pas honte à l’avouer. Ses soeurs et Evan avaient représenté des distractions temporaires, mais là encore, de toute façon, les discussions avaient soit tourné autour d’Ambre, soit autour des bandits et du sort qu’il leur réservait, motivé en grande partie par son épouse donc. Et après le départ du guérisseur, qui avait promis de repasser dès qu’elle serait réveillée - comme s’il avait le choix, tiens - tout ce qu’il avait pu faire c’était attendre et prier. Les soins étaient de première urgence, ils ne garantissaient en rien sa survie, il en était parfaitement conscient. Et les maux, aussi bien physiques que moraux, pouvaient fort bien empirer, même maintenant qu’elle reposait en sûreté. Alors oui, quand elle montra les premiers signes d’éveil, ce fut une véritable bouffée d’oxygène.

De son côté, cela pouvait aller. Il était nettement plus résistant à la douleur et aux divers sévices que l’on avait pu lui faire subir plus tôt, et malgré les douleurs persistantes et sourdes qui couvaient en de nombreux endroits de son abdomen, de son dos et de son visage, il s’en tirait plutôt bien. Il avait pris soin durant son bain de passer quelques doses d’onguent, les laissant macérer aux endroits de son visage les plus touchés, puis s’était rincé, gageant qu’il ne pouvait de toute façon rien faire de plus; et il n’était pas tout à fait dans le faux.

Il avait envie de la prendre dans ses bras, là tout de suite, et de chasser la douleur aussi bien que les mauvais souvenirs, la rappeler à la réalité de la sûreté du foyer dans lesquels ils avaient fini par revenir. Mais dans son état, c’était juste impossible. Le moindre mouvement de sa part pouvait déclencher des douleurs bien plus violentes que celles qu’elle ressentait déjà; il avait expérimenté la chose de nombreuses fois. Alors, malgré l’envie poignante, il se contenta de caresser son visage doucement, avec une tendresse rassérénante, qui se voulait ainsi, au moins.

«Calme toi, mon amour. Nous sommes au château, personne ne peut te faire de mal, ici. Il passa son pouce contre sa joue, les sourcils légèrement froncés. Les… Ils sont dans les cachots, pieds et poings liés, en attente d’être jugés, et sous bonne garde. Sois tranquille.»

Elle ne risquait rien, c’était un fait. Il lui épargnait les éventualités d’une attaque de fangeux massive, comme cela pouvait parfois arriver. Dans ce château, ils étaient en sécurité, mais cette sûreté dépendait en partie de la chance. Si les bêtes attaquaient, ils ne pourraient tenir un siège longtemps. Sans peine jusqu’au matin mais… Il secoua la tête, chassant ces pensées stupides de son esprit.
Il la retrouvait, et les murs étaient solides. Les brigands, hors d’état de nuire. Toute autre pensée était parasite et superflue.

Il se leva un moment bref, dans le seul but d’aller piocher dans un broc d’argile l’eau quémandée par sa femme. Il en versa une demi-coupe, et la lui apporta, tenant le récipient tant qu’elle buvait.
Après l’avoir soustraite aux lèvres de son épouse, craignant qu’elle ne finisse par s’étouffer dans cette position tout sauf adéquate, il serra légèrement les dents quand elle toussa, attendant que le mal passe avant de passer une main dans ses cheveux. Il surveilla d’un regard méfiant la bonne tenue des linges, qui n’avaient toujours pas - et heureusement - bougé, puis baissa les yeux vers elle. Saigné ? Lorsqu’il avait déshabillé son épouse, retirant le tissu putride qui collait à sa peau, et libérant son corps avant de le recouvrir, il avait attentivement regardé chaque parcelle de peau. Il avait lui-même eu des pertes de conscience, durant la nuit, et son attention était parfois partie bien loin du monde réel, s’aventurant dans des confins oniriques dont il n’avait aucun souvenir, mais qu’il avait su confinant au délire. Il n’avait rien vu de plus que ce à quoi il avait lui-même assisté. A dire vrai, la pensée que les brigands eussent profité de ses propres errances pour faire subir des obscénités à sa femme l’avait taraudé un moment, mais Talen l’en aurait averti.
Il n’avait pas pu pousser l’examen. Sa femme avait beau être profondément enfoncée dans les abysses de l’inconscience, il ne voulait provoquer aucune douleur, fusse-t-elle purement théorique. Il n’avait cependant rien remarqué au niveau de ses jambes. Néanmoins, il fut pris d’un léger doute. La question était lourde de sens et d’implications, et il préférait en avoir le coeur net. Il se leva, silencieux, pour aller inspecter le tissu de la robe sous tous les angles. Aucune trace de quelque fluide que ce fut. Ni sang, ni rien. Et il en fut soulagé. Il lâcha la robe, avant de revenir s’asseoir auprès d’elle.

«Rien. Et il n’y avait rien non plus lorsque j’ai retiré la robe. Sois rassurée.»

Cela ne pouvait pas dire que l’enfant était en bonne santé, mais hors de question pour de laisser flancher leur espérance et leur détermination. Ils prieraient autant qu’il le fallait, feraient autant d’offrandes que nécessaire si besoin était, mais leur enfant vivrait. Là-dessus, Morion n’envisageait aucune autre option que celle de la vie.

Il devait prévenir Evan, faire venir le guérisseur. Ils pouvaient bien attendre quelques minutes. Il avait passé la journée à contempler son épouse sans être dérangé, certes, mais il voulait profiter du premier instant seul à seul qu’ils avaient depuis qu’ils avaient quitté Marbrume. Talen, contrairement à ce que l’on aurait pu pensé, n’avait pour l’heure pas donné signe de vie. Et son maître avait été bien trop accaparé en pensées par Ambre pour s’autoriser le luxe de se demander où il était. La dernière fois qu’il l’avait vu, le domestique partait, abattu, vers les écuries, et depuis son frère était rentré. Nul doute qu’ils devaient avoir une sacrée discussion, toutes les deux, mais pour l’heure cette question ne lui importait en aucune manière.
Au lieu de quoi il s’allongea à nouveau, après un énième regard en direction du dos découvert, puis soupira. Il n’avait pas répondu à sa question, qui aurait tout aussi bien pu être une rhétorique à la souffrance qu’elle éprouvait.

Un pli, un peu amer, un peu triste, barra ses lèvres. Puis disparut, quand les remembrances des souffrances qu’il avait lui même enduré s’en furent aussi vite qu’elles étaient venues.

«Je ne l’ai pas supporté. La réponse pouvait manquer de sens, il était après tout plutôt bien portant. Et je ne suis pas encore certain d’y avoir survécu. Moralement, en tout cas, j’ai l’impression d’être mort à de nombreuses reprises. Il eut un faible sourire, marque surtout désabusée. De nombreuses choses avaient changé après cette… éducation à l’ancienne, comme le disait si bien Isidore. Ce n’était pas forcément quelque chose à quoi l’on pouvait s’habituer sans concéder d’irréparables sacrifices. Mais ne t’inquiète donc pas. Pour toi comme pour moi, c’est terminé.»

Il se pencha en avant, glissant une main sous le menton de sa femme qu’il souleva très légèrement, afin de ne pas tirer sur sa nuque, et aggraver la douleur provoquée par ses blessures. Il l’observa un petit moment. Son état faisait peine à voir, sincèrement. S’il n’avait pas été dans le même état de nombreuses fois, il aurait même probablement été horrifié. Quoique le fait que sa femme soit victime de ce même état était en soi une vision à laquelle il ne voulait plus jamais avoir à assister. Il laissa ces considérations de côté un moment et l’embrassa tendrement sur les lèvres. Un baiser long, simple et tendre, qui exprimait juste le bonheur de la voir éveillée et le soulagement. La colère en lui ne s’oubliait pas une seule seconde, mais elle eut la décence de s’effacer quelques temps pour laisser Morion profiter de ces retrouvailles, un peu tristes mais ô combien bienvenues.

Il finit par la relâcher, cantonnant son attention à de douces caresses sur la surface de son visage et dans ses cheveux, puis eut le souvenir d’Evan. Ambre l’avait presque occulté.

«Ton frère est ici et va rester quelques temps. Veux-tu que je le fasse venir tout de suite ?»
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyLun 12 Déc 2016 - 20:57
Le soulagement fut intense, et elle en lâcha presque une larme de gratitude, quand Morion lui annonça qu’elle n’avait pas saigné. Il n’y avait que ça pour qu’elle termine de perdre espoir, en plus de son esprit : savoir son enfant mort. Les blessures, elle parviendrait à s’en remettre. Celles de sa chair autant que celles de son ego. Mais ça, elle ne pourrait pas. Vraiment pas.

Quant au récit des blessures qu’il avait supportées, Ambre n’ajouta rien de plus. Elle comprenait tout à fait ce qu’il voulait dire. Et maintenant qu’elle pouvait comprendre encore mieux toute l’étendue de la douleur qui avait été la sienne durant son enfance, elle ne condamnait que plus de tels traitements. Jamais, au grand jamais, ses propres enfants subiraient cela.

Evan ? En toute honnêteté, son frère était sorti de son esprit. Oh, elle avait pensé à lui, durant sa captivité. A lui, à sa mère, à sa sœur. A tous ceux qui s’inquièteraient de sa disparition, sans la comprendre, à ceux qui ne la retrouveraient peut-être jamais. Mais ses tourments avaient à maintes reprises pris le pas sur ces considérations. Elle n’était pas restée enfermée assez longtemps pour avoir le temps de penser et repenser en boucle à sa famille – les dieux soient loués. Maintenant cela dit, elle était sortie. Les actes des brigands avaient eu des conséquences sur elle, mais aussi ses proches, qui avaient attendu des nouvelles sans savoir où Ambre de Ventfroid avait disparu. Peut-être avaient-ils cru qu’ils ne la reverraient jamais, perdue dans les marais, quelque part où un fangeux aurait pu dévorer sa chair tendre. Ambre imaginait aisément le sang d’encre qu’ils avaient dû se faire, et l’impatience de son frère à la voir réveillée. Malgré tout, elle se découvrit embêtée. Honteuse. Elle rechignait beaucoup à être vue ainsi. La peau lacérée, la peau hâve et l’air maladif. Si elle pouvait rester dans son coin jusqu’à être remise, elle le ferait. Se faire enlever et molester, il n’y avait rien de plus humiliant. Rien de plus violent pour rappeler que derrière ses avantages de femme de bonne famille, elle n’était qu’un insecte incapable de se défendre. A cet instant, elle se sentait tellement… insignifiante et faible. Et la venue de son frère avait tout fait ressortir d’un coup.

La jeune femme prit donc quelques secondes pour répondre.

- Oui. Fais-le venir, avant que je sois trop fatiguée et que je me rendorme. Sinon il va s’inquiéter…

Ainsi, l’on fit venir Evan de Mirail, et l’on envoya au passage quelqu’un pour chercher le guérisseur. Dès qu’on lui ouvrit la porte, Evan s’avança prestement devant la couche, accrochant aussitôt le regard ouvert de sa sœur. Il s’agenouilla près de la couche, agrippant la main de la rousse dans une étreinte qui se voulait rassurante.

- Tu es réveillée.
Le comte était plus soulagé que la comtesse elle-même. Son autre main, inquiète, vint prendre la température sur le front humide de la jeune femme. La fièvre est toujours là, lança-t-il en coin à Morion, le guérisseur va-t-il pouvoir lui donner quelque chose contre ça ? Puis il se reconcentra définitivement sur sa sœur. Ambre. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux qu’Anür ne t’ait pas emportée. J’aurais dû être là pour t’escorter – l’attente insoutenable de ta disparition me permettra au moins de ne plus faire la même erreur. Jamais.

Ambre protesta faiblement.

- Je ne suis pas un bijou à garder précieusement dans un coffret, mon frère. Tu n’as pas le droit de te sentir coupable pour chaque embûche que je rencontre sur ma route.

- Une embûche,
répéta Evan, un peu stupéfait. Il attribua l’absence de réaction de sa sœur à son état fiévreux et sa faiblesse. En d’autres circonstances, une pointe de colère aurait percé à travers la voix de la comtesse à propos de ces bandits. A l’instant cependant, c’était Evan qui la portait plus que sa sœur, trop exténuée pour se fatiguer dans d’autres sentiments que l’hébétude. Eh bien cette embûche sera bientôt supprimée. Ils seront punis – exécutés –, et sois sûre que ni ton mari ni moi ne laisserons échapper ces raclures à la justice de Rikni.

- Je serai là pour l’exécution, ajouta simplement Ambre.

Evan tiqua légèrement.

- Tu n’es pas en état, Ambre.

- Eh bien cela attendra que je le sois.

Malgré sa faiblesse, nul ne put rater la détermination qui se lisait dans son regard fatigué. Evan jeta un regard discret à Morion – le comte de Mirail n’avait pas réellement son mot à dire là-dessus, la date et l’organisation de l’exécution publique comme officieuse pour quelques-uns ne tenait qu’au seigneur de Ventfroid. Il était simplement visible qu’Evan n’appréciait pas spécialement l’idée – autant parce que cela retarderait le sort de ces pourritures que parce qu’il craignait une confrontation directe de sa sœur avec ses bourreaux, même si elle était simplement visuelle.

- Je suis devenue comtesse, Evan. Je refuse que la première impression que j’aie laissée à mes gens soit celle d’une victime à l’aube de la mort. J’assisterai à la justice du comté qui est devenu le mien, car là est mon rôle. Et je tiens à être présente pour cette exécution pour des raisons personnelles, aussi.

Après cela, Ambre se tut, fermant les yeux. Ces simples phrases, bien que courtes, l’avaient fatiguée et drastiquement diminué la force de sa voix. Evan s’en rendit compte et n’insista pas plus. Il baisa le front de sa sœur et la regarda quelques derniers instants.

- Repose-toi. Que Rikni veille sur ton sommeil. Je ne rentrerai à Marbrume que lorsque je serai certain que ta santé est sauve et que ta guérison ira bon train. Tu peux compter sur moi.

Après quoi, il remercia Morion chaudement mais discrètement, laissant son regard courir sur sa sœur à maintes reprises. Son visage usé, son dos recouvert de cataplasmes odorants, son incapacité à bouger correctement. Mais surtout, l’absence de son sourire naturel et spontané. Lui vivant, jamais les responsables de cette horreur ne pourraient aspirer à rédemption.

Après une vingtaine de minutes, Evan sortit donc avec regret, mais il se savait de trop pour le repos de sa sœur. A peine eut-il quitté les lieux que le guérisseur faisait son entrée. Tranquillement, il observa sa patiente, son état, sa capacité à parler malgré le brasier de la fièvre. Il lui fit boire l’une de ses concoctions, rassurant Ambre mais surtout Morion, la jeune femme étant trop fatiguée pour s’inquiéter réellement elle-même. A dire vrai, encore une fois, un seul sujet de préoccupation franchit les lèvres de la comtesse : son enfant. Elle ne demanda pas même combien de temps il lui faudrait rester dans cet état, ni si des cicatrices persisteraient. Non, à nouveau, elle demanda au guérisseur de la rassurer sur la bonne santé de son bébé.

Là, le mire fut légèrement confus.

- Je ne puis rien vous dire, comtesse, je suis réellement navré. Votre grossesse n’est pas assez avancée pour que mon examen puisse être certain… Tout ce que je suis enclin à affirmer, c’est que tant que vous ne saignez point ni n’avez de douleurs importantes au bas-ventre, c’est bon signe.

Ambre se tut, légèrement déçue, mais elle n’avait pas attendu de réponse miracle. Le temps le dirait, et elle n’avait plus qu’à espérer que son corps ne la trahisse pas. Elle en avait assez d’attendre. Mais elle pouvait s’exhorter encore et encore, elle n’était plus en état.

- En attendant, reposez-vous. Et buvez ça
– il posa sa mixture légèrement épaisse sur la petite table de nuit – toutes les six heures. Là, il lança un regard à Morion. Toutes les six heures, même s’il faut pour cela la réveiller pour qu’elle prenne le traitement, et j’insiste. Je reviendrai changer les cataplasmes demain matin, mais après cela, si vous le souhaitez, vous serez en mesure de le faire vous-même, tant que vous observez bien comment je fais. En tous les cas, je passerai tous les jours m’assurer de la bonne évolution de sa santé.

Après être sûr de s’être bien fait comprendre, et après avoir vérifié une dernière fois l’état actuel d’Ambre, le vieil homme laissa le couple seul. Les premiers jours seraient les plus décisifs. Si la comtesse devait succomber à la fièvre, ça ne serait pas un mois plus tard, ça non.

Après ces deux visites, Ambre se sentait prête à replonger dans ses rêves et cauchemars. Mais elle lutta. Elle ne voulait pas dormir tout de suite. Elle posa ses yeux légèrement vitreux sur son mari, l’invitant à se rapprocher d’elle. La comtesse voulait le sentir près d’elle, s’imbiber de son odeur. Ces simples éléments la calmaient et l’aidaient à oublier la douleur.

- Parle-moi, termina-t-elle par dire. Parle-moi jusqu’à ce que je m’endorme.

Peu lui importait le sujet. Tant qu’elle pouvait entendre les intonations calmes et rassurantes de sa voix. Tant qu’elle pouvait oublier la douleur.
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyMar 13 Déc 2016 - 0:07
Quand Evan arriva, Morion resta dans un silence et retrait polis, bras croisé, non loin de la fenêtre la plus proche du lit. Et bien que laissant Evan et Ambre s’entretenir comme bon leur semblait sans intervenir, il demeurait très attentif. Si son épouse semblait stable, il savait par expérience que les choses et l’état de son corps comme de son esprit, enfiévré de surcroît, pouvait dégénérer sans raison apparente, et avec une grande fulgurance. Tout comme Evan ne quitterait pas le domaine avant d’être certain que sa soeur était sauve, le comte n’arrêterait de se défier des aléas du sort que lorsque sa femme serait, effectivement, en voie de réelle guérison. Et il n’entendait pas par là la seule guérison de son dos. Il craignait grandement pour la vie de l’enfant. Fort heureusement, son visage encore sévèrement tuméfié, ses traits encore durcis par l’expérience récente qu’ils venaient de vivre, dissimulaient fort bien tout type d’émotion qui pouvait vouloir filtrer. Quoique son regard était à lui seul, pour qui savait lire dans l’adamant de ses prunelles les gravures discrètes laissées par ses pensées vivaces, un véritable livre. Sa femme et ses soeurs étaient capable de s’y perdre et d’y trouver des réponses, mais les autres non. Et c’était important. Jamais Morion n’avait montré de crainte ou de peur face à qui que ce soit, même lorsque celle-ci lui avait tordu les boyaux à presque l’en faire vomir. C’était une question d’honneur, mais également de confiance; quel serf aurait confiance en un seigneur couard et incapable de maîtrise ? Aucun.

Il accorda à Evan un hochement de tête distrait lorsqu’il lui demanda si le guérisseur était en mesure d’atténuer sa fièvre. Techniquement oui, il l’était. Mais la douleur elle-même pouvait engendrer de nouveaux maux, et tant qu’elle ne commencerait pas à refluer, il serait bien difficile d’adoucir son tourment, à moins de la forcer à dormir en permanence. Et ça n’était pas non plus une solution viable.

Il tiqua aussi, à dire vrai, lorsqu’il entendit Ambre confirmer sa présence à l’exécution. Néanmoins, cela ne lui posait pas vraiment de problème. Sur le principe en tout cas. Il rendrait le jugement et exécuterait lui même la sentence, aussi estimait-il normal que sa femme soit là pour assister aux… festivités. Ceux qui auraient la chance de monter à l’échafaud seraient tués par décapitation, un fait qui arrangeait bien Morion, depuis l’arrivée du fléau. L’on ne prenait plus aucun risque. Et n’étant pas un partisan des séances de tortures purement gratuites - il hiérarchisait ses traitements à la hauteur des crimes commis - étêter les brigands les plus innocents pour ainsi dire, était pour lui le plus simple. Un bûcher aurait convenu, mais il n’aimait guère entendre les cris de ceux qui y étaient ligotés. Bien qu’il se réjouît d’avance de ce qu’il allait faire subir à ceux qui pourriraient dans ses geôles.

Un mince sourire, à peine visible, étira ses lèvres pâles lorsque son épouse affirma son rang et sa volonté de prendre ses responsabilités en tant que comtesse de Ventfroid. Il la salua d’autant plus qu’elle n’était guère en état de faire la fière, et avait bien d’autres choses dont elle devait se préoccuper, à commencer par sa propre santé.

«Soyez serein, Evan. Tout ce qui est humainement possible sera fait pour que tout se passe pour le mieux, et le plus rapidement possible. Je m’y engage personnellement.»

Ce furent les seuls mots que Morion prononça à voix haute à l’issue de cette entrevue. Il ne quitta même pas sa position pour raccompagner le comte de Mirail. Pour l’heure, plus de quelques mètres de distance avec Ambre était tout simplement inconcevable. Et cela durerait le temps qu’il faudrait. Donc jusqu’à ce qu’elle montre des signes visibles de rétablissement. A cette pensée, comme en réponse à ses prières, le guérisseur entra. Morion le salua d’un signe bref de la tête, par pur réflexe. Il se rapprocha d’autant plus de son épouse, restant à son côté durant tout le long de l’examen.

Aux paroles du guérisseur il fut cependant légèrement dubitatif. Peut-être était-ce la crainte qui à ce moment guidait ses pensées, ou tout simplement sa propre ignorance. Il ne connaissait pas grand chose à ces mystères de femme. Il avait beau avoir eu deux enfants, il s’était bien gardé d’accompagner Cassandre lors de sa grossesse. Là-dessus il s’était montré d’une parfaite inflexibilité. La honte sûrement, ou le travail, peu importaient les excuses; de fait, il manquait cruellement d’expérience dans ce domaine, poser lui-même un diagnostic ou un simple pronostic lui était impossible. Mais le sang et les douleurs étaient-isl réellement les seuls prémices d’un enfant mort-né ? N’y avait-il rien d’autre ? Cette fièvre était tout à fait normale, bien qu’à craindre, mais ne pouvait-elle dissimuler quelque mal sous-jacent, qu’il ne leur serait possible de trouver qu’une fois toutes les autres blessures résorbées ? C’était une problématique très épineuse, et surtout très inquiétante.
Problématique qu’il garda pour lui. Il n’était point le moment des angoisses, mais celui de se focaliser sur la guérison de sa femme. L’espoir et leur prières devaient réussir à faire ce que les décoctions ne pouvaient, à savoir attirer les faveurs des dieux et leur protection.

«Je suis déjà en mesure de le faire, j’ai une solide expérience de ce genre de blessures, laissa échapper Morion d’un ton sec. C’est noté pour le remède. Merci d’être passé, tenez vous près des portes du château, s’il y a une urgence c’est à vous que je ferai appel.»

Le ton impérieux du comte se fit plus doux lorsqu’il l’éconduit, le raccompagnant à la porte, et une fois seuls, revint au côté de son épouse. Il s’installa tout près d’elle, allongé sur le flanc, se servant de son coude fléchi, posé sur le matelas, pour supporter sa tête, posée sur le plat de sa main. Il goûta de sa main libre la tempe légèrement humide de sueur de son épouse, encore bien trop fiévreuse à son goût, les sourcils légèrement froncés. Il finit par l’abandonner, le battement cardiaque, bien que signe évident d’une vie ardente, le mettant légèrement mal à l’aise. Il battait lentement. Et fort. Il eut un long clignement des yeux, puis les rouvrit pour les poser sur ceux d’Ambre. Il se fendit d’un sourire qui se voulait rassurant, et bien que ses yeux, eux, furent incapable de mentir, il glissa une paume chaude contre la joue pâle et légèrement creusée de la comtesse. Si le repos n’avait pas été essentiel à sa guérison, sûrement aurait-il tenté de la maintenir éveillée le plus longtemps possible. Il craignait - avec raison - qu’elle ne se réveillât pas si jamais elle sombrait. Il savait qu’elle était forte et n’avait point l’intention de se laisser ainsi faire par les affres subis par son corps, mais il gageait que l’on ne pouvait guère aisément deviner la malice qui rôdait en soi, et qui pouvait surprendre par bien des manières. Et après un tel traitement… Il eut un bref soupir, finalement, et vint poser ses lèvres sur son front, non loin de sa tempe.

«Je resterai près de toi jusqu’à ce que tu puisses quitter ce lit. Il eut un petit sourire. Le domaine est entre de bonnes mains désormais que tout le monde sait que nous sommes saufs et que chacun est rentré chez soi. Quant à toi, il leva les yeux vers la décoction fumante, sur la petite table de l’autre côté du lit, il faut que tu prennes le plus de repos possible.»

Il resta muet, laissant ses yeux errer sur le visage épuisé de sa femme, cherchant vaguement un sujet qui pourrait lui permettre de discuter un peu. Bien que cela tienne plus du monologue, il s’en moquait. Le simple fait de la voir respirer, demander ses mots, pouvoir sentir sa présence tout près de lui, sans aucune maudite cage séparant les deux moitié de ses barreaux noirs et froids, il était satisfait.

«Lorsque tu iras mieux, je te ferai visiter le château. C’est ta première visite, et il faut que tu saches comment il fonctionne. Auparavant… il était presque vide. Désormais, c’est une véritable fourmilière. Par exemple, les salles de réception, le réfectoire des domestiques, ainsi que la salle d’armes ont été réaménagées pour que les hommes de lettre, de science, les guérisseurs aussi, puissent avoir des ateliers. C’est également là que sont laissés les enfants, durant la journée, les plus jeunes. Le domaine recèle de nombreuses personnes, et de nombreux parents sont venus, doléances plein la gorge, réclamer des recherches car leur enfant s’était perdu sur le comté, probablement à l’issue de quelque jeu de course. Essaie un peu d’imaginer. Il eut lui-même un léger ricanement. Trois chevaliers en armure, épée au côté, éperonnant furieusement leurs montures au travers des terres pour traquer… des gamins. Le nombre de fuyards a nettement diminué cependant.»

Il s’arrêta quelques secondes. A intervalles réguliers, sa main flattait la chevelure de feu, quoique ternie et encore un peu sale, de son épouse. Il aurait à la laver, se dit-il à l’instant où sa main récolta quelques flocons épars de poussière. Il la passa d’un geste preste sur sa chemise, puis reprit ses lentes caresses, passant donc avec une régularité digne d’un métronome, toutes les vingtaines de secondes environ, juste au-dessus des paupières de la jeune femme, les incitant ainsi à se fermer. Il escomptait ainsi lui faire gagner quelques minutes, sachant que d’ici six heures déjà, il aurait à la réveiller à nouveau.

«Ce nombre de fuyards a donc diminué dès lors qu’Edric a décidé d’aller lui-même chercher une nouvelle fois un quator facétieux de gamins âgés d’une dizaine d’années tout au plus. Je ne sais si tu te souviens bien d’à quoi il ressemble, mais il a littéralement terrorisé les pauvres petits en les menaçant de conduire en leur compagnie une expédition nocturne dans les marais qui bordent nos terres. Il se souvint amusé de la pâleur du teint des pauvres chenapans, quand Edric fut de retour. Cela ne me surprendrait guère qu’ils rêvassent encore à un ours terrible à la voix de stentor, vêtu de métal, vociférant à leur encontre.»

Il continua de longues minutes ainsi, développant ainsi leur futur parcours de visite. Le premier lieu qu’il fallait voir, c’était le sommet du château. Le donjon était inutilisé aujourd’hui et ne le serait probablement jamais, mais il y avait une vue imprenable. L’on était de l’autre côté du plateau, aussi l’on ne voyait pas Marbrume, bien loin d’ici. Mais le soir, l’on pouvait voir les feux brûlant dans les villages du plateau, et quand le vent provenait du sud, l’on avait également souvent des effluves iodées provenant de la mer, mêlés parfois du fumet des nombreux feux de camp où brûlaient viandes et ragoûts. La terre des Ventfroid devenait aussi un océan de feu. Les centaines de torches plantées à intervalles réguliers commençaient à être ignées en fin d’après-midi, et l’on avait alors sous les yeux le reflet rougi de la voûte céleste. De petits éclats ignescents, dans l’obscurité, qui luttaient contre les ténèbres et la terreur qu’elles portaient en elles.

Le souffle de son épouse se fit plus régulier, au bout d’un moment, et plus profond. Elle réagit moins, puis plus du tout à ses caresses. Il finit par cesser, bien que largement après qu’elle se soit définitivement endormie. Mais il ne quitta pas immédiatement la chambre. Il s’en fut tout d’abord en direction de la salle d’eau, dans laquelle il restait quelques bacs d’eau pleins. Il trempa quelques linges dedans, et retourna près du lit après les avoir soigneusement essorés. Il se plaça dans son dos, où sa chevelure coulait généreusement, essayant d’ignorer les boursouflures roses vif qui paraissaient, malgré la présence des tissus imbibés d’onguent. Il se concentra sur sa tâche actuelle, plutôt. Il saisit une mèche épaisse, avec une délicatesse d’orfèvre, et enroula le tissu humide autour. Il le passa sur toute la longueur des crins de feu, précautionneusement, retirant la poussière, la crasse et la sueur. Il était si soigneux que cela lui prit un temps fou. Il persévéra avec une patience de statue, cependant. Son cuir chevelu attendrait, lui. Il risquait de la réveiller. Alors il s’occupa des longueurs, trouvant en ces mouvements soigneux et répétitifs une certaine détente. Il se concentrait exclusivement sur la respiration d’Ambre, qu’il surveillait attentivement, et sur les cheveux qu’il était en train de laver. Il fit plusieurs fois l’aller retour dans la salle d’eau pour nettoyer les linges, voire en prendre carrément de nouveaux. Et lorsqu’il eut fini, il en prit d’autres, secs, pour enlever toute trace d’humidité.
A cet instant, il se souvint des moments où lui-même se retrouvait dans la posture de son épouse, pendant l’enfance, et la difficulté qu’il avait à se laver. Un petit soupir quitta ses lèvres. Au moins n’aurait-elle pas à se plaindre des attentions de son époux malgré son rôle de chef de guerre ici-même, lorsqu’il passerait du temps à la nettoyer soigneusement. Quand elle serait en état de se tenir en position assise, bien évidemment.

Avant qu’il ne la réveille, plusieurs personnes défilèrent. Marianne et Estrée, tout d’abord, qui virent narrer à Morion, à voix basse, l’enferment des prisonniers, et le scrupuleux respect des conditions que Morion avait posé à leur emprisonnement. Elle firent également un rapport plus trivial sur ce qu’il se passait sur le domaine, puis, bien évidemment, s’enquirent de l’état d’Ambre. Morion ne put guère leur dire grand chose, depuis leur retour, les choses n’avaient que peu évolué. Il espérait, leur dit-il, quelque changement, à son réveil, pour prendre la mixture préparée par le guérisseur.

Lui aussi était passé, par ailleurs, peu de temps après les soeurs Ventfroid. Il avait bien essayé de dire à Morion que rester dans la pièce était parfaitement inutile, et qu’il pourrait très largement s’occuper de ses affaires quotidiennes sans que le sort de son épouse ne craigne plus qu’à l’instant, mais il aurait tout aussi bien pu s’adresser à une torche éteinte. Et puisque ce n’était pas son travail, il n’insista pas, et se concentra sur ses examens. Rien de neuf. Il souleva, avec mille précautions, quelques linges gras, qui avaient fortement contribué à refouler toute goutte de sang candidate à l’évasion au coeur des plaies. Il eut un regard relativement satisfait, que Morion comprit comme étant, à lui seul, une bonne nouvelle.

«Vous êtes certain que vous pourrez vous débrouiller seul avec les cataplasmes ? C’est une opération fastidieuse, et elle risque de souffrir, messire.» Sévère, le guérisseur avait tout de même l’air soucieux.

«Ne vous en faites donc pas. J’y ai eu droit moi-même, jadis, et à de nombreuses reprises. Le comte fronça légèrement les sourcils. Je connais le procédé mieux que mon propre nom. Il y a encore des malades et des blessés dont vous devez vous occuper. Préparez vos mixtures, préparez les onguents, et passez régulièrement. Le reste ne nous appartient guère.»

Avec une certaine tristesse, il hocha doucement la tête, et s’en fut.

Quelques minutes plus tard, Morion passait une nouvelle fois sa main dans les cheveux de sa femme, le visage près du sien, murmurant pour la réveiller. Il espérait qu’elle lui conte, de vive voix, un quelconque changement. Lui-même avait des nouvelles concernant le domaine, si cela l’intéressait, mais il avait surtout envie d’entendre un récit contant peut-être un regain de forces, même infime, ou une baisse de ses maux de tête.

«Ambre, tu dois boire la mixture. Réveille-toi. Il va également falloir changer tes cataplasmes, et nettoyer ta peau. Tu te sens mieux ?»
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyMar 13 Déc 2016 - 20:57
Ambre sourit faiblement. Les attentions de son mari étaient touchantes. Mais rester près d’elle jusqu’à ce qu’elle puisse quitter ce lit ? Cela pouvait prendre des jours comme des semaines. Il ne pouvait décemment pas rester enfermé dans cette chambre pour tenir compagnie à une épouse qui dormirait la plupart du temps, ou lutterait contre la douleur de son dos. Il avait sûrement bien d’autres choses à faire. S’occuper de son domaine. Rédiger des lettres. S’assurer de la bonne surveillance des brigands prochainement exécutés. Rassurer ses gens sur son état et celui de sa femme. Bref, des tas de détails qui ne seraient pas exécutés depuis cette chambre à coucher.

- Ne fais pas montre de trop de zèle, Morion… Je ne quitterai pas ce lit, que tu sois dans cette pièce ou non.

L’on n’était jamais satisfait, n’est-ce pas ? Une semaine plus tôt, son époux l’ignorait avec un brio royal suite à leur dispute, faisant presque comme si elle n’existait pas au manoir, et elle-même n’avait pas arrangé les choses, alors qu’une telle situation la blessait. Désormais, ils avaient perdu des plumes, et avaient manqué de mourir – mangés par des créatures sordides ou assassinés par des bandits qui auraient pu se lasser d’eux. Ce genre d’évènement balayait tous les griefs que l’on pouvait porter, pour ne laisser que des regrets et de la culpabilité. Ambre s’en serait voulu à jamais si elle avait quitté son époux sur une note négative. Et désormais que tout cela paraissait loin d’eux, que Morion la bordait comme si elle était la prunelle de ses yeux, la jeune femme ne parvenait pas non plus à s’en satisfaire. Elle se trouvait dans une situation où les attentions ne lui rappelaient que trop ce qu’elle avait subi. Qu’elle n’était qu’une femme faible incapable de se défendre seule. Même les enseignements à la dague de son époux n’étaient parvenus à rien. Elle s’était faite capturer et torturer sans aucune difficulté. Maintenant qu’elle était en sécurité, il n’y avait plus besoin que Morion continue à la voir dans un tel état, même si sa présence la rassurait plus que tout.

- Tu as besoin de repos toi aussi. Rassure également les habitants du domaine qui nous ont vu rentrer…

Ambre battit légèrement des paupières. Des images floues et perturbées investirent son esprit. Elle avait évolué dans un monde presque à part lors de la chevauchée finale. Mais avant de perdre définitivement pied, elle se souvenait vaguement les visages, les murmures autour d’eux. Ils l’avaient tous vues, elle et sa cape ensanglantée, et ses cheveux d’ordinaire parfaitement coiffés rendus ternes par la poussière et la saleté. Pour une première rencontre avec son peuple, c’était d’un ridicule inoui. Ces simples pensées suffisaient à lui donner la nausée cela dit, alors elle arrêta de penser.

Et pour s’aider, elle se concentra sur la voix de son mari. Voix qui avait quitté ses inflexions froides, pour être calme et douce. Presque amoureuse. Elle écouta son petit récit sur le château, le domaine. Elle ferma les yeux, pour mieux se représenter. Sa main se referma doucement sur le tissu de la chemise de son époux, pour augmenter le contact physique, augmenter l’impact de sa présence, tandis qu’elle prenait de longues inspirations sous les caresses que Morion laissait sur son visage. Elle écouta avec un faible sourire son récit qui se voulait léger et amusant, même si elle ne savait pas vraiment s’il était amusant que des enfants aient encore l’inconscience d’entreprendre des escapades seuls en ces temps troublés. Aussi, il était rassurant qu’Edric ait fait cesser ce genre de fugues, même si elles se voulaient enfantines.

Ses rêves furent un mélange troublé d’enfants en pleine gambade, d’un château sombre, mystérieux, et d’autres dangers qui la firent lâcher quelques plaintes durant son sommeil, exacerbant parfois la température de sa fièvre. Mais, heureusement pour la comtesse, chaque fois que son esprit refaisait surface, elle ne se souvenait pas les cauchemars. Elle se rendait parfois compte de la présence de Morion à ses côtés, parfois assoupi aussi, parfois en train de la border doucement. La comtesse se sentait bien : le lait de pavot et la mixture censée aider contre la fièvre avaient fait leurs effets, semblerait-il. Cela dit, ces effets n’étaient pas infinis. Petit à petit, à mesure que son corps éliminait les produits dans son sang, la douleur refit surface. Ce fut Morion qui la réveilla complètement, mais son dos avait déjà commencé à arracher la comtesse à ses rêves salvateurs.

Ainsi, ce fut avec des traits tirés qu’elle ouvrit les yeux. Clignant des paupières, elle nota le changement dans la pièce : il faisait jour, et elle pouvait apercevoir des détails qu’elle n’avait pas remarqués durant la nuit. Mais elle était loin d’avoir la tête à pouvoir assimiler la décoration des lieux. Très loin. La douleur était dérangeante. Bien moins vive que lorsqu’elle avait reçu les coups ; c’était désormais sourd, chaud, battant, mais continu. La douleur diffusait partout, mesquine, presque prurigineuse. Son dos et sa peau travaillaient à refermer les plaies, et c’était encore beaucoup trop frais et suintant pour que les mouvements de ses muscles lui épargnent les douleurs.

- Mieux… J’y vois plus clair, mais je ne sais pas si c’est une bonne chose.

La fièvre semblait être moins forte, effectivement. Mais cela lui retirait tout engourdissement salvateur. La douleur déchirait son dos, et son esprit plus alerte l’oubliait plus difficilement. Aussi, Ambre tiqua quand Morion parla de changer les cataplasmes.

- Je… je veux encore du lait de pavot, lâcha-t-elle faiblement.

L’opération fut laborieuse. Très laborieuse. Le retrait des cataplasmes gras tirait souvent sur les plaies et les morceaux de chair, les tissus restant à moitié collés. Ambre enfouit son visage dans les draps et les oreilles, mordant dedans pour étouffer ses plaintes et ses larmes. Grands dieux, Morion l’avait assez entendu hurler pour toute une vie – pas question qu’elle continue, encore moins alors que c’était lui-même qui lui changeait ses pansements. Ambre n’osait même pas demander une description de son dos. Elle craignait la réponse, et la connaissait déjà, de toute façon. Autant qu’elle craindrait la prochaine fois qu’elle aurait à se contempler dans un miroir.
Après le retrait des cataplasmes, il fallut nettoyer. Des croûtes mal cimentées partirent avec les gestes du comte, déclenchant parfois de nouvelles traînées sanguinolentes, mais rien d’aussi abondant que la veille. Ambre prenait de lourdes inspirations, bloquait son souffle souvent, par saccades, trouvant difficilement les moments où elle pouvait souffler. Après, il fallut tamponner, sécher, déplacer des bouts de peau pour qu’ils cicatrisent mieux. Enfin, remettre des cataplasmes propres. Tout cela fut long, d’autant plus long que la comtesse subissait chaque geste. Mais, grâce aux Trois, cela eut une fin.

- En combien de temps mon dos va-t-il se remettre ?
termina par demander la comtesse, inquiète.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyMer 14 Déc 2016 - 19:56
Morion se moquait bien du prétendu zèle que sa femme lui attribuait. Il ne comptait pas changer d’avis, et elle n’était pas en position de force de toute façon. Si jamais des rapports venaient à lui, s’il se retrouvait dans l’obligation de donner des instructions, ce qui était somme toute assez rare lorsqu’Estrée et Marianne géraient toutes deux le domaine, il pouvait fort bien le faire depuis cette même chambre. Quant à rassurer les siens, ses soeurs s’en occuperaient. Lui-même disposait également de l’excuse de l’éreintement et de nombreuses blessures, bien que moins graves que celles d’Ambre. Et il comptait bien en jouer. Point qu’il méprisât le moral de ses troupes ou dénigrât leur inquiétude, mais effectivement, peu de temps avant de prendre la route, l’atmosphère qui régnait au manoir était glaciale, et ce, délibérément. Quelques temps après, il manquait de la perdre de peu. Il manquait très certainement d’objectivité à ce propos, mais refusait de la quitter ou de la laisser, sauf en cas d’extrême urgence. Pourtant, le domaine était sûr; pour quiconque, il fallait franchir une zone surpeuplée, et au sein même du château, il y avait tant de monde qu’il était pratiquement impossible de monter dans les étages sans être aperçu.

«Cela n’a rien à voir avec du zèle, mon amour. Je tiens simplement à rester ici. Et je le ferai. Le domaine peut m’attendre quelques jours, conclut-il, le ton doux et calme, mais n’admettant pas la réplique.»

Plus tard, alors qu’elle se réveillait, il essaya de lui-même, malgré ses propos, de voir s’il y avait du changement. Effectivement, son regard lui paraissait tout de même un peu moins vitreux que six heures plus tôt, lorsque la douleur et la fièvre l’assommaient complètement. De même, si la pâleur restait assez horrifique au premier coup d’oeil, quelques traces de rose d’un clair presque imperceptible venait surmonter le haut de ses pommettes. Peut-être était-ce là un reste de ses céphalées, mais il n’en restait pas moins qu’elle avait l’air un peu plus vivante. Et de fait, comme elle le constata très vite, bien plus à même de constater et de ressentir les douleurs qui déchiraient toujours sa peau meurtrie.
Et elle n’était pas au bout de ses peines, malheureusement.

Après avoir quitté son chevet immédiat, retiré les couvertures et les cataplasmes, essayant d’ignorer les quelques bruits de succion qui lui parvinrent, il jaugea les blessures d’un oeil critique. Un bref instant, la vue souleva chez lui un accès de rage aussi brutal qu’éphémère lorsque les plaies vinrent ramener à lui les souvenirs qui en étaient à l’origine. Il serra les dents un bref instant, et fit finalement un effort de concentration. Tout ceci était désormais derrière eux. Et cela serait définitivement mis au rebut des mauvaises aventures lorsqu’il se serait chargé du sort des prisonniers, qui croupissaient, entravés comme des sacs de viande et privés de tout, dans les geôles jusqu’à lors presque inusitées du castel.

Le guérisseur avait fait du bon travail - et cela valait mieux pour lui d’ailleurs. Bien qu’encore horribles à voir, les boursouflures s’étaient légèrement résorbées. Quelque chose d’assez peu notable si peu de temps après qu’elles eussent été infligées, mais Morion avait au moins le mérite d’être sacrément calé sur le sujet. Certaines zones étaient déjà parfaitement violacées, et le sang s’était immobilisé au coeur des plaies. Le paysage était cependant désastreux, d’autant plus lorsque l’on constatait que la graisse des onguents faisait de fait luire la peau, augmentant chaque relief et rendant plus réels chaque défaut. Et sans compter que si peu de temps auparavant, ce dos était encore parfaitement lisse, d’une parfaite douceur.
Ce fut moins douloureux pour lui, bien évidemment, mais la voir frémir, l’entendre gémir, c’était une peine véritable. Il ne pipa mot, hormis quelques murmures rassurants, pendant qu’il retirait quelques poussières, ou croûtes pourrissantes, de son dos, afin de lui signifier son avancement et la fin proche de son tourment. Ils avaient une chance inouïe; les plaies ne semblaient pas se gangréner, ce qui avait été une crainte qui avait perduré jusqu’à cet instant, depuis qu’ils avaient été mis aux fers. Rien n’était encore gagné, mais cela paraissait être un excellent début.

Une fois que tout fut retiré, nettoyé, il graissa les linges propres, passa un onguent astringent le long des boursouflures rouges, appliqua le tout contre les plaies, et le recouvrit d’un tissu ample et sec, lui, avant de la couvrir à nouveau. Si Evan ou quelqu’un d’autre se montrait, autant leur éviter cette vue là.

Il finit par se rasseoir à côté d’elle, et prit sa main dans la sienne, caressant les phalanges, glissant ses doigts entre les siens, les sourcils légèrement froncés. Il avait envie d’adoucir son pronostic, pour au moins la rassurer, mais ce ne serait guère honnête de sa part. Et elle se rendrait vite compte que… Il ferma les yeux quelques secondes avant de répondre.

«D’ici quelques jours, tu pourras bouger. Avec précautions. Je ne sais quand tu pourras marcher sans avoir sérieusement mal, mais pour une rémission totale… Ca ne guérit pas. Si tu cicatrises bien, tu finiras avec quelques maux lancinants de temps en temps lors de mouvement brusques. Dans le pire des cas… Il haussa les épaules. Ça m’a l’air bien parti, pour l’instant. Tu sentiras des améliorations de jour en jour, en attendant le plus important est que tu prennes tout le repos nécessaire.»

Si les cicatrisations étaient mauvaises, elle pourrait bien se retrouver handicapée à vie, ou au moins très sérieusement gênée dans ses mouvements, même les plus basiques. S’il avait une certaine confiance en les capacités de l’homme qui avait été désigné pour s’occuper d’elle, il ne pouvait s’empêcher de craindre une issue de la sorte.

Il vérifia le contenu du récipient de lait de pavot laissé par l’homme médecin, puis le récupéra pour le tendre à son épouse.


«Bois-en une petite gorgée de plus. Cela t’aidera à dormir, et dans six heures, je te réveillerai à nouveau pour reprendre ton traitement.
Il caressa son visage, et vint laisser un très long baiser d’une infinie tendresse sur ses lèvres. Je t’aime.»

Il voilà ses paupières de ses mains, et s’immobilisa finalement, fatigué de son côté aussi. L’inquiétude l’avait par bien trop tenu éveillé alors qu’il aurait dû dormir sans interruption plus longtemps, voire probablement prendre du lait lui aussi. Il n’avait su se le permettre, et passait plus de temps à s’assoupir avant de se réveiller d’un coup, vérifiant que tout allait bien, puis reposant la tête en quête d’un demi-sommeil, qu’à réellement dormir.

---

Tandis qu’eux n’avaient quitté la chambre, sur le reste du domaine l’ambiance était tout autre. Bien qu’elle fût avant tout au travail et à l’accomplissement des tâches quotidiennes de tout un chacun, les bruits couraient rapidement sur les lèvres. Beaucoup avaient assisté au retour des Ventfroid, et bientôt, ceux qui étaient encore sur le plateau pendant ce temps eurent bientôt conte fait des derniers événements. En presque un an, c’était la première fois que l’on entendait dire que Morion avait été pris par surprise par des bandits. Alors même qu’il avait été sérieusement blessé durant la conquête, cela ne relevait en aucun cas d’un guet-apens ou d’une méprise de sa part; la fange avait tout simplement été une horrible menace. Là c’était bien différent, et ils purent également voir la femme du comte, longtemps attendue sur les terres de Morion depuis qu’ils avaient eu vent de la nouvelle de son mariage. Pis encore, ils avaient également su qu’elle était enceinte. Les Ventfroid n’avaient pas été - Edric le premier, à dire vrai - spécialement secrets à ce propos. L’arrivée d’un probable héritier, voilà une nouvelle qui avait de quoi réjouir, après tout. Et la voir dans cet état n’avait finalement suscité qu’une vive inquiétude. Leurs conditions allaient changer, si jamais le seigneur Morion perdait son épouse ? Allait-il cesser d’administrer ses terres ? Comment allait-elle ?

Marianne et Edric durent faire face à de nombreuses demande de la part des paysans et ouvriers qui s’affairaient sur le domaine. Ils vont bien, ils se reposent et descendront quand ils ont récupéré. Ils ne cessaient de rabâcher ce genre de phrases, encore et encore.

La seule personne qui ne vint pas s’enquérir de l’état de ses maîtres, finalement, ce fut Talen. Il était sûrement, et de loin, le plus inquiet de tous, mais il se refusait à sortir de la salle d’armes dans laquelle il ‘était entré en début de journée. Le guérisseur qui soignait Ambre était pourtant passé le voir. Une première fois pour soigner son épaule blessée, une seconde pour vérifier que tout était en ordre, et à sa demande, lui donner des nouvelles du couple. Le seul qui rompit son retrait solitaire, ce fut Edric. Il vint alors que le jour était parfaitement levé. Dans la salle d’armes, Talen s’entraînait, de son bras valide, contre des mannequins de bois. Froidement, il faisait gicler à intervalles réguliers des échardes dans tous les sens, frappant avec une rage calculée et - presque - maîtrisée les pantins, sans discontinuer. Il avait le front recouvert de sueur, le regard bas, le visage dur et fermé en une expression impassible. Un simple masque.

Il avait failli à toutes ses obligations, tel était son sentiment. Tout discret et taquin qu’il pouvait être, il n’en demeurait pas moins, bien au delà de Morion ou d’Edric, un homme très fortement attaché à ses serments et à son honneur. Et il n’y avait rien de plus déshonorant pour lui que d’être confronté à la dure réalité; il avait toujours réussi, quel qu’en soit le moyen, à accomplir sa tâche principale : protéger ses maîtres. Sauf cette fois-ci, dans un moment où plus que jamais ils avaient besoin de lui. Il avait pu aider Morion face à la fange toute entière, un océan entier de créatures n’aspirant qu’à les tuer. Là, il n’avait pu qu’assister, impuissant et méprisé, à leur torture et aux brimades et sévices qu’ils avaient subi. Il ne pouvait penser à eux sans ressentir une puissante pointe de culpabilité, qui cuisait ses joues et lui tordait l’estomac. Il doutait, après tout cela, de pouvoir seulement poser les yeux sur eux.

Et c’est bien pour cela qu’Edric vint le voir. Il connaissait parfaitement son frère cadet. Avant qu’il ne soit envoyé au service définitif des Ventfroid sur leurs terres, ils ont passé du temps ensemble, ont eu la même éducation, à quelques détails près; c’était Edric qui hériterait de la famille, et non Talen, pour qui la vie se résumerait en un assidû service de proximité auprès de leur maison suzeraine.

Le vieux chevalier, encore et toujours vêtu de sa sempiternelle armure, observa Talen, son bras en écharpe, son regard glacé, ses mouvements raides, guidés par la colère et la rancoeur, sans rien dire. Il savait qu’il ignorait délibérément sa présence, mais ne s’en préoccupa guère. Il ne bougea, ou plutôt ne parla que lorsque Talen acheva un enchaînement de passes contre le mannequin. Il esquissa un sourire sans joie, et apostropha le domestique d’un ton railleur, quoique grave.

«Tu es plus raide qu’un chêne mort, Talen. Arrête donc de supplicier ce pauvre pantin de bois, ce n’est pas de sa faute si tu as des lacunes au combat.»


La pique fit mouche. Ce fut à peine visible, mais le domestique blêmit. Il se raidit très légèrement, fixant obstinément la figure de bois, et sa poigne se resserra autour du pommeau de l’épée qu’il tenait encore à la main. Il ne répondit rien, ignorant cette réplique idiote uniquement destinée à le faire réagir. A l’inverse, il entama de nouveaux mouvements, mitraillant de plus belle sa cible boisée, qui laissa échapper encore une fois de nombreuses volées d’échardes.

Au bout d’une dizaine, peut-être même plus, de minutes, Edric finit par s’avancer, dégainant sa propre arme. Il mit un termes aux entraînements vengeurs et coupables du domestique d’un large coup de taille sur la figure, au niveau de ce qui devait représenter son cou; une tige de bois solide entourée d’une mousse compacte de foin et de tissus roulés en boule. Le petit bruit mat qui suivit la chute de l’ersatz de tête résonna un bref instant dans la pièce. Talen darda un regard sombre sur elle, comme s’il se demandait comment elle avait atterri là, avant de les relever vers son frère. Talen était un homme assez âgé, mais d’une constitution robuste. Sa mise ordinaire, de simples tissus, dissimulait fort bien cette résistance, mais il était tout de même un homme assez grand. Plus que Morion. Mais Edric l’était encore plus, et pratiquement aussi large, surtout dans sa carapace de métal brillant et cabossé. En bref, c’était un monstre qui eût sans peine fait passer la solide carrure du baron de Sombrebois, l’un des nobles connus les mieux vivants de la ville, pour celle d’un garçon d’écuries. Il supporta cependant sans peine son regard aux prunelles sombres, insondables. Un fait que Talen avait toujours trouvé étonnant chez Edric. Le chevalier avait des iris aussi sombres et profonds que sa crinière était brune. Et tout comme les Ventfroid ou les Rocheclaire, il était pourtant assez facile de voir que la clarté oculaire et les blés de leurs cheveux était caractéristique. Si le crin de Talen était désormais argenté par le temps, il n’en demeurait pas moins, par le passé, un homme à la chevelure solaire, souvent suscité et convoité par ces dames pour cette même raison. Edric était littéralement son opposé. Aussi bien physiquement que moralement, par ailleurs. Là où Talen favorisait l’efficacité discrète, le simple accomplissement d’une tâche ordonnée, son frère aîné faisait preuve d’une exubérance qui par bien trop d’aspects le faisait sortir bien au delà des sentiers tracés par les codes de conduite qu’il lui incombait de suivre. Au point qu’aujourd’hui, il était l’homme sur terre qui exaspérait le plus Morion.

«Si tu comptes te venger en tabassant de pauvres mannequins, c’est que tu es tombé encore plus bas que ce que je pensais. Viens te frotter à quelqu’un qui a les moyens de t’en coller plein la figure.»

Il balança un sourire narquois au visage de son petit frère, attendant une réaction qui ne vint pas. Le domestique resta muré dans son silence, et finit par rengainer son arme, détournant le regard. Il était las, et n’avait aucune envie de se forcer à supporter l’inaltérable bonne humeur de son frère. Tout ce qu’il voulait, c’était que pour une fois dans sa vie, on lui foute diablement la paix, jusqu’à ce qu’il considère qu’il était temps pour lui de reprendre du service. Et peut-être aurait-il pu si Edric n’avait pas envoyé, avec une joie non dissimulée, son poing de géant s’écraser en plein sur la mâchoire du vieil homme. Un craquement sinistre s’ensuivit, et le domestique partit en arrière, s’effondrant au sol comme une poupée de chiffons. Il ne s’y attendait pas, à celle-là. Mais au moins le but d’Edric était atteint. Talen semblait mis en colère, et le voir se relever, puis dégainer son épée, voilà qui confirma son hypothèse. Parfait.

Nul ne saurait dire combien de temps cela dura. Dix minutes, une heure, deux ? Ils s’avoinèrent allègrement pendant un sacré moment, en tout cas. Talen expulsait sa rage, et Edric la lui renvoyait au visage, la stimulant de remarques acerbes - dont aucune n’était sérieusement pensée - de moqueries impropres voire carrément insultantes. C’était un duel, et encore le terme était fort mal choisi pour un tel chaos de coups distribués pratiquement au hasard tant ils étaient aléatoires et mûs simplement par la violence, extrêmement âpre et dénué du moindre sens. A l’issue duquel il n’y avait aucun vainqueur, juste deux chevaliers complètement épuisés, et à peine capable de se mouvoir. Ils s’observaient en chiens de faïence, sans rien dire. Un soupir bref finit par quitter les lèvres d’Edric, qui quitta de ses paumes l’appui de ses genoux, et haussa les épaules.

«On a besoin de toi sur le domaine. Et si Morion t’avait tenu pour responsable de quoi que ce soit, tu serais déjà mort. Alors cesse de faire ta fillette, les filles sont inquiètes, et le comte n’apprécierait pas de te savoir ici à ruminer. Ils sont en vie, c’est tout ce qui compte. Alors tu vas me dégager cette crasse et te mettre au travail dès que tu auras pris un peu de repos. Je repasse dans une heure, si tu es toujours là, tu vas le regretter.»

Son ton était bien plus grave et sec, cette fois ci. S’il ne l’avait en aucune manière explicité par quelque parole fraternelle, il s’était fait un sang d’encre pour lui. Avant de le retrouver. Il avait beau avoir sa femme, ses enfants, désormais, et l’assurance de la bonne tenue de sa famille après sa mort, Talen était son frère, et l’éloignement qui les avait séparés avant l’exode n’avait fait que rendre leurs retrouvailles plus heureuses lorsque les Castelmont s’était exilés sur le Morguestanc. Le perdre, il ne pouvait s’y résoudre. Il savait que lui-même approchait d’un temps de fin de vie, et qu’il en était de même pour Talen, mais si le Fléau devaient tous les engloutir un jour, il souhaitait que ce fût entouré par toutes les personnes auxquelles il tenait. Il était peut-être un peu trop fier, ou juste trop désinvolte, pour montrer ce genre de sentiments. Mais Talen, lui, en était conscient. Et s’il était sérieusement en colère contre son frère aîné pour ce duel, ces paroles ordurières visant juste à le secouer, il remerciait secrètement son frère de l’avoir sorti, au moins un peu, de sa torpeur. Le moment où il pourrait regarder Ambre ou Morion sans s’en mordre cruellement les doigts n’était pas encore venu, mais il pouvait s’activer sur le domaine, comme tous ceux qui y vivaient.

---

18 Mai 1165.

La semaine fut longue. Réellement. Pour le couple, elle fut d’un calme relatif. Chaque jour apportait son lot de douleurs, mais également d’améliorations. Comme Morion l’avait dit, il avait refusé de quitter la chambre. Il n’était pas oisif pour autant. Tous les jours, quand Ambre dormait, elle venait porter à Morion ses rapports, quémander des instructions. Edric avait fait conte de son altercation avec Talen dans les salles d’armes, et il fut également mis au courant; un souci de plus à ajouter au reste, se dit Morion. L’idée que Talen s’effondrât n’était pas du tout pour lui plaire. Les deux hommes entretenaient une relation très étroite, et il ne lui tenait en aucun cas rigueur pour ce qui leur était arrivé. A l’heure actuelle sa femme était son entière et absolue priorité, aussi, il ne descendit pas le voir, mais nota mentalement d’avoir une longue conversation avec lui. Si Ambre était en état d’y participer, c’était encore mieux.

Evan passa plusieurs fois, également. Le jeune comte, qui attendait toujours d’avoir la certitude que sa soeur allait bien, et qu’elle se remettait de ses blessures, put en revanche assister au quotidien de la vie sur les terres de Morion, qui appartenait désormais aussi à Ambre. Le travail était acharné, et malgré l’inquiétude qu’avait suscité la vue des deux époux meurtris, presque inconscients, à leur retour, tout le monde se démenait pour que les choses se passent bien. Morion traita plusieurs fois, alors qu’Ambre s’assoupissait, ou quand elle dormait carrément, de ce qu’il avait fait organiser ici. Les guildes, les baraquements, les tâches de défense et de surveillance, les roulements de personnes qui allait se poster quelques jours en faction au Labret avant d’être remplacés. Il leur présenta également Edric de Castelmont, qui lui assura son entière coopération si jamais les Mirail avaient besoin d’une force armée, quelle qu’en soit la raison.

En sus de guetter chaque signe de rétablissement, le comte jaugeait aussi si l’on pouvait accorder une quelconque confiance en la grossesse de sa femme. Se passait-elle bien ? Allait-elle la mener à terme sans encombres ? Le guérisseur se montrait toujours aussi inapte à le répondre, mais il leur garantit à tous deux que tant que les douleurs ne concernaient que son dos, toutes les chances étaient de leur côté. Il passait assidûment, chaque jour, pour vérifier l’état de la comtesse, jauger ses capacités. A la fin de la journée, à l’heure de prendre une fois de plus son traitement, Morion tenait le récipient en main, assis sur le rebord du lit.

«Tu es déjà capable de t’asseoir, veux-tu essayer de sortir du lit et de marcher un peu, désormais ? Cela risque d’être un peu douloureux, mais… Il se peut que tu t’affaiblisses plus encore si tu restes coincée dans le lit. Et je pourrais en sus te laver, cela fait presque une semaine que je ne peux guère laver que ce qui m’est accessible.»

Il eut un petit sourire, et pointa d’un signe de tête la salle d’eau qui jouxtait la chambre.

«Il y a tout ce qu’il faut à côté, et si tu t’en sens la force, nous essaierons. Si cela fonctionne… Eh bien peut-être allons nous tenter de te faire marcher régulièrement.»
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Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyVen 16 Déc 2016 - 16:53
Bien évidemment, Morion n’en fit qu’à sa tête. Il resta auprès d’elle, et longtemps. Ambre sourit faiblement, murmura un « je t’aime » réciproque, et repartit dans les affres du repos. Pour être tout à fait honnête, la présence de son homme la rassurait, et une grande partie d’elle se rassénérait de le voir rester. Même si leur étreinte était loin d’être satisfaisante à cause de la position contraignante qu’elle devait conserver pour épargner son dos, il était là, et c’était le plus important. Elle pouvait sentir sa présence, écouter son souffle calme, sentir son odeur. Se savoir en sécurité. Enfin. Elle imprima à peine ce qu’il lui dit au sujet de son dos et de ses cicatrices. Le lait de pavot faisait déjà effet, troublant sa concentration et son intérêt. Ambre savait néanmoins qu’elle ne guérirait pas du jour au lendemain. Mais il ne servait à rien d’y penser tout de suite. Le repos était le plus important, et son corps le lui rappelait sans mal. La comtesse avait l’impression de manquer de sommeil depuis des semaines. S’il fallait ça pour que son corps se remette cela dit, alors elle dormirait. Et, de nouveau, elle se rendormit rapidement, fort piètre compagnie pour son mari inquiet.

Les premiers jours furent les plus difficiles. Réellement. La fièvre persistait toujours, et même si elle allait en s’arrangeant, certains pics de température laissaient la comtesse plus faible, luisante, et peu apte à s’alimenter correctement. Fort heureusement, après trois ou quatre jours, le guérisseur put affirmer avec un soulagement notable pour la famille Ventfroid que la comtesse s’était sortie de ce mal et que les dieux étaient avec elle. Ses plaies étaient propres, et si une infection avait débuté dans les geôles, elle avait été ramenée à temps pour contrôler et la fièvre, et l’évolution de ladite infection. Aussi, l’homme de soins paraissait beaucoup plus enthousiaste qu’au retour initial de la comtesse. En-dehors de la grossesse pour laquelle il ne pouvait donner aucun diagnostic malgré l’insistance du couple, il paraissait persuadé que la jeune rousse s’en sortirait sans séquelles autres que quelques cicatrices dans le dos. Quant aux séquelles morales, l’homme n’avait aucune influence là-dessus.

Malgré la disparition de la fièvre, les douleurs étaient toujours là. En amélioration elles aussi, mais il faudrait encore une ou deux semaines pour que cela soit supportable. Pour l’instant, les plaies étaient encore à vif, même si les chairs commençaient doucement à se colmater de nouveau, pour se reformer. Et chaque fois que Morion changeait ses pansements, c’était une torture. Mais ce traitement-là aurait une fin, et rapide. Une fois les plaies propres et aidées un maximum à la cicatrisation grâce aux bandages, le guérisseur avait préconisé une guérison à l’air libre. Sans tissu ni autres crèmes grasses qui, d’après lui, ralentiraient le travail naturel du corps de la comtesse. Aussi cette dernière attendait avec impatience que plus personne n’ait à toucher à son dos. Une fois les traitements primaux administrés, elle accepterait que l’on masse ses cicatrices uniquement pour éviter un enraidissement définitif des chairs de son dos, et encore, il faudrait y aller très, très doucement. Elle n’en pouvait plus.

Son corps souffrait et se remettait difficilement, et cela se ressentait au quotidien. La comtesse avait maigri. Les traits de son visage étaient plus tirés, plus anguleux, de même que ses hanches et ses cuisses. Quelques kilos seulement, mais des kilos qui revenaient difficilement. La jeune femme n’avait pas faim, elle devait se forcer. Mais elle ne rechignait pas à se forcer. Plus pour elle-même, elle mangeait pour la vie qu’elle espérait encore battante dans son ventre. Fort heureusement, elle ne vomissait pas, malgré les nausées. Nausées qu’elle priait pour attribuer à la continuité de sa grossesse, et pas à sa faiblesse et son dégoût depuis les épreuves subies.

Si ce n’était tout cela – la douleur, les difficultés à se reposer et se remettre –, les journées de la comtesse étaient marquées par l’ennui. Rester allongée continuellement, sans rien pouvoir faire sans risquer de trop éprouver son dos… Morion ne quittait pas la chambre, mais cela ne changeait rien : à part lui parler, il ne pouvait pas réellement la distraire. Elle écoutait toujours néanmoins. Se tenait au courant des affaires du domaine à sa manière – soit parce que Morion les lui contait, soit parce qu’elle parvenait à agripper, entre deux périodes de somnolence, les échanges entre le comte et ses sœurs qui passaient de temps en temps. Les visites étaient régulières. Celles du guérisseur, celles de son frère Evan, celles d’Estrée et Marianne. En revanche, Ambre fut surprise de ne jamais voir Talen, et se mit à s’inquiéter pour lui. Ses blessures avaient-elles été plus inquiétantes que ce qu’ils avaient cru ? Pourquoi ne venait-il pas prendre de nouvelles ni en donner ? Autant de questions qui occupaient son ennui, et d’autres considérations plus profondes. Parce que la comtesse avait le temps de penser et pourpenser encore. Sans le vouloir, les flashs et les souvenirs de l’enlèvement l’assaillaient parfois sans prévenir. Elle faisait des cauchemars, et pas uniquement quand elle dormait. La vision des bandits et des sévices itérés sur son époux, le souvenir des mains et de la langue de Raël sur sa peau… Ces réminiscences honteuses et dégoutantes lui donnaient réellement envie de vomir pour le coup, et cela lui arriva une ou deux fois en pleine nuit alors que la peur et la répulsion lui avaient retourné le ventre. Ambre ne savait même pas si elle serait capable de regarder de nouveau les bandits dans les yeux sans se faire submerger par la peur. Mais elle tenait à les voir mourir. A voir la justice de Rikni s’abattre sur eux. Et son sommeil ne serait plus jamais calme tant qu’elle ne les saurait pas morts. Et même avec ça, elle risquait de cauchemarder quelques temps encore.

Après quelques jours, la frustration et l’ennui furent tels que la jeune femme commença d’elle-même à bouger. A tester, doucement, les limites de son dos encore meurtri. Morion l’aidait à s’asseoir. C’était difficile au début, mais bientôt elle put le faire seule, même si cela tiraillait les chairs entre ses omoplates. Elle préférait endurer cela que rester encore une semaine de plus alitée comme une mourante, de toute façon. Ainsi assise, même s’il lui fallait rester droite et raide sans jamais laisser son dos s’échouer contre la tête de lit, elle pouvait au moins s’occuper. Lire, coudre, ou même dessiner. A partir de là, ses journées furent beaucoup plus agréables. Toujours entrecoupées de soins et de visites régulières pour son dos, mais elle se sentait un peu moins comme un bijou de cristal prêt à se briser à la moindre chute. La fièvre était complètement passée, et son esprit avait retrouvé sa vivacité. Il n’y avait plus qu’à serrer les dents en attendant que son dos se fasse moins capricieux.

--

18 mai 1165

Quand Morion lui proposa de marcher, elle en soupira presque de soulagement. Oui, oui, oui, qu’elle voulait tenter de marcher ! Se dégourdir les jambes, enfin. Les préconisations du guérisseur ne l’interdisaient pas, au vu de la bonne évolution globale. Ambre voulait désespérément retrouver sa vie d’avant. Elle craignait les regards qui se poseraient sur elle en quittant cette chambre après tant de jours de convalescence – jours encore loin d’être terminés –, mais elle ferait tout pour apparaître aussi fraîche que possible. Rester alitée, même assise, n’aidait pas du tout pour ça. Le poids qu’elle avait perdu, resterait perdu, tant qu’elle ne reprendrait pas ses activités habituelles.

- Oui, je vais essayer, répondit-elle presque aussitôt, en déposant son livre sur la petite table de nuit. Elle prit des mains de son époux la petite tasse contenant son traitement, et l’avala doucement. Elle fronça un peu le nez – elle commençait à être dégoutée de cette mixture à prendre tous les jours –, mais elle n’émit aucune plainte. Un comble d’avoir passé une semaine dans mon domaine sans même pouvoir le visiter. Je suis lasse.

Malgré tout, elle était beaucoup plus raisonnable que son propre époux quand lui-même était blessé. Elle ne poussait jamais son corps plus loin qu’il ne faudrait, et restait immobile tant qu’on lui disait de rester ainsi. Ambre n’avait jamais tenté de sortir de la chambre. Et pour être tout à fait honnête, elle ne comptait pas en sortir avant encore une bonne semaine… Elle ne se sentait pas encore la force morale. Subir les regards inquiets, compatissants, les regards qui glisseraient instinctivement sur son dos pour espérer apercevoir des morceaux de cicatrice. Cette simple pensée la faisait frémir. Elle voulait être vue comme Ambre de Ventfroid, pas comme une victime ayant subi des dommages collatéraux. Les bandits lui avaient retiré ça. Ses gens la verraient comme une femme blessée plutôt que comme une comtesse. Aussi était-elle déterminée à ne sortir qu’une fois qu’elle serait certaine de pouvoir présenter comme avant.

Ambre laissa glisser ses mollets par-dessus la couche et s’assit au bord du lit, doucement. Elle s’appuya d’une main sur le matelas, l’autre accrochée à celle de Morion, présent pour la soutenir. Elle fronça les sourcils, respira doucement, puis se hissa sur ses pieds. Elle grimaça alors qu’elle se redressait. Cette simple position d’équilibre mettait à mal les muscles de son dos, mais c’était… supportable. Bien plus qu’une semaine plus tôt.
Elle resta ainsi de longues secondes, mesurant la tolérance de son corps, puis s’autorisa à faire quelques pas. La comtesse fut un peu gauche dans ses mouvements. Une semaine alitée et elle avait déjà l’impression d’avoir les genoux rouillés. Mais elle avança, tranquillement, redonnant l’habitude à ses jambes de faire des mouvements naturels. Cependant, au lieu de se diriger vers la salle d’eau pointée par Morion, Ambre s’approcha de la fenêtre la plus proche. Cela faisait une semaine qu’elle observait l’ouverture depuis son lit sans pouvoir regarder dehors. Alors, elle s’approcha de la vitre.

Il faisait encore jour, mais le soleil était déclinant. En bas, l’on devinait des silhouettes, des petits points vivants qui évoluaient dans le domaine. Bientôt, toutes ces petites fourmis rejoindraient les murs rassurants du château. Les yeux de la comtesse s’égarèrent un moment sur le paysage, qu’elle découvrait pour la première fois. L’endroit paraissait moins humide que les environs immédiats de Marbrume. Moins marécageux. Mais toujours aussi venteux, le château étant lui aussi sur le littoral.

- Que savent-ils, en bas ? lança-t-elle finalement. Une annonce a-t-elle été faite ?

Elle parlait de ce qui leur était arrivé, bien évidemment. Des circonstances de leur enlèvement, des sévices subis.

Ambre respira un moment devant la petite fenêtre, puis se laissa conduire à la salle d’eau par Morion. Elle observa avec intérêt les lieux, comparant instinctivement l’endroit avec leur bain au manoir. Arrivée devant la cuve, la comtesse s’arrêta un instant.

- Cela fait du bien de marcher. Cela tire dans mon dos mais… c’est plus engourdi que réellement douloureux, désormais, tant que je reste droite.

Et qu’on ne la touchait pas, bien sûr. Liant le geste à la parole, la comtesse resta très droite, même pour se glisser dans l’eau de la cuve. Elle fit très attention à ne pas immerger ses omoplates, et resta donc agenouillée de façon à ce que le niveau de l’eau ne dépasse pas ses reins. Aucune cicatrice n’était atteinte de cette manière.
Elle ferma les yeux en frissonnant d’aise lorsque Morion dénoua ses cheveux et massa indirectement sa nuque en commençant la toilette.


- C’est triste que tu doives t’occuper de moi comme l’on s’occupe d’une enfant, n’est-ce pas ?
lança-t-elle subitement, l’air un peu ailleurs. Elle se remémorait leurs anciens ébats dans leur bain, leurs attentions, leurs ablutions. Désormais, il devait la nettoyer sans prendre aucun plaisir – pire encore, il fallait faire attention à ne pas heurter la sensibilité de son dos. Toi qui te satisfais de l’indépendance et de la solitude, tu dois maintenant te coltiner une épouse dépendante. Je suis désolée, Morion.

Elle était sincère, mais ne continua pas. Ces paroles lui avaient presque fait monter les larmes, ramenant à elle toute la honte d’être devenue presque infirme.

- Je resterai dans la chambre encore quelques temps, mais je saurai m’occuper. Marcher, regarder par la fenêtre… Me laver toute seule. Il ne peut rien m’arriver de plus désormais. Tu n’es pas obligé de me border toutes les heures du jour durant, je ne vais pas mourir dans mon sommeil, mon chéri. Elle eut un bref sourire. Je n’ai plus qu’à lutter contre moi-même maintenant, et apprendre à gérer mon corps qui n’est plus tout à fait le même. C’est un combat personnel, ça. Souffle un peu.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyVen 16 Déc 2016 - 18:38
Du haut de leur perchoir, situé dans les derniers étages de la haute et sombre bâtisse battue par les vents, Morion suivit le regard de son épouse en direction des êtres rétrécis par la distance qui s’activaient là en bas, en prévision de la nuit qui n’allait pas tarder à étaler sa chape d’ombre sur tout le domaine. Ils savaient ce qu’ils avaient voulu savoir, sans plus. Inquiets et pressants qu’ils avaient été, ni Marianne ni Edric n’avaient eu le coeur ou la force pour éluder leurs questions dans leur totalité. Ils ne savaient rien de ce qu’il s’était exactement passé là bas. Morion lui-même n’avait pas tout conté à ses soeurs, et il doutait que Talen l’ait fait de son côté. Néanmoins, ils savaient le principal. L’embuscade, l’enlèvement, quelques brutalités, l’attaque des fangeux puis leur évasion. Le côté vague de cette histoire lui donnait peut-être des airs de légende - comment seulement trois personnes, dont seulement deux capables de se battre, avaient-ils diable pu s’échapper en un seul morceau ? - mais certaines choses avaient tout intérêt à rester sous silence. Déjà qu’ils réclamaient justice, ils risquaient de devenir fous si on leur disait tout.

«Ce qu’il faut. Nous avons été enlevés, les bandits ont été brutaux, puis nous nous sommes évadés. Il glissa un regard de biais à Ambre, puis se reconcentra sur le paysage en contrebas, le ton monocorde. Beaucoup savent les blessures que tu as subi; ou plutôt, il leur a été facile de le deviner lorsqu’ils nous ont vus revenir. Mais nul ne s’est étendu sur le détail.»

De son côté, en l’emmenant vers la salle d’eau, il l’observait marcher d’un oeil intéressé. La faiblesse résidait encore en ses jambes, chose normale vu le temps qu’elle avait passé au lit sans pouvoir le quitter, mais en dehors de ce fait qui ne serait bientôt que mauvais souvenir à force de pratique, elle s’en sortait plutôt bien. C’était soulageant. La douleur et la gêne étaient normales, mais cela aurait pu être bien pire. Elle aurait pu ne pas être capable de se lever du tout, notamment. Là au moins il avait la preuve, en sus des dires du guérisseur, qu’elle était en excellente voie de rémission. Le reste était donc affaire de temps et de précautions.
Dans la cuve, Morion s’installa derrière elle, après s’être lui-même dévêtu. Le fait que leur bain soit plus contraignant que d’ordinaire ne le dérangeait pas. Il passa de l’eau chaude sur sa peau, savourant le contact du liquide poussé à haute température, et après un petit soupir, commença à s’occuper de sa femme. Un léger sourire fleurit sur ses lèvres. Un sourire dont on ne savait vraiment s’il était triste ou joyeux, à dire vrai. Peut-être un peu des deux. Il glissa un linge dans l’eau, qu’il imbiba soigneusement avant de l’essorer, puis après avoir passé les mèches rousses de son épouse sur son buste, passa le tissu sur sa nuque, et au dessus de ses omoplates, ralliant les épaules, avec un soin tout particulier. Il attendit quelques secondes, après sa remarque, pour y répondre.

«Triste ? Mon effective inclinaison envers la tranquillité solitaire ne change pas un point capital; je suis bien au contraire heureux de pouvoir encore m’occuper de toi. Ne t’en excuse pas, je préfère devoir te laver moi-même jusqu’à ma mort que de devoir prendre ce bain et les prochains seuls, faute d’avoir quelqu’un avec qui le partager.»


Tout comme durant la semaine où sa femme était littéralement impotente, il glissa les linges dans ses cheveux pour les humidifier et les nettoyer. Ils étaient bien moins crasseux désormais, mais il s’était surpris à apprécier la tâche. Elle vidait efficacement l’esprit, et l’on se perdait facilement dans les reflets roux et luisants, reflets exacerbés par une torche fixée au mur derrière eux. Finalement, lorsqu’il estima la tâche accomplie, il quitta temporairement la cuve pour que sa femme puisse reculer dedans, afin qu’il s’installe face à elle. Il tenait à lui faire exécuter le moins de mouvements possible pour l’instant, bien qu’elle en soit capable.

D’une main leste, il torsada les cheveux pour qu’ils prennent le moins de place possible, et s’assit en tailleur au creux du bassin. Il prit, les mains jointes en coupe, quelques lampées d’eau qu’il laissa couler sur le buste de son épouse, frottant ensuite son cou de des paumes humides. Ses doigts s’égarèrent un moment sur sa mâchoire, devenue plus saillante qu’auparavant, glissèrent sur ses pommettes dures, passèrent au coin d’un oeil au coin étiré par la fatigue et les épreuves. Il resta ainsi un moment, puis répondit avec un petit sourire;

«Je ne crains plus pour ta vie, désormais, et je vais effectivement pouvoir m’activer, mais tu m’auras tout de même très souvent auprès de toi. Il y a peu de choses dont je dois m’occuper en vérité, ma présence ici est… presque dispensable, depuis quelques mois. Il réfléchit un instant, l’image révulsante des prisonniers qui croupissaient dans les sous-sols revenant à sa mémoire. Je suis donc assez libre. Et tu t’ennuierais, toute seule ici toute la journée.»

Il eut un bref ricanement, puis reprit le cours de ses ablutions. Il ne pouvait s’empêcher d’accrocher du regard quelques restes de bleus et d’écorchures, acquises durant son séjour en cellule, alors que sa robe avait été détruite par les brigands. Cela ravivait d’odieux souvenirs, que le comte se forçait à refouler. Il saurait s’en servir quand il en aurait besoin, au jour où il se déciderait à s’occuper sérieusement de leur cas. L’état d’Ambre avait été si préoccupant ces derniers jours, et les incertitudes si nombreuses, qu’il n’avait guère eu le temps de s’attarder là-dessus. Néanmoins, il ne les avait pas oublié pour autant. Et chaque seconde de douleur endurée par sa femme serait rendue au centuple. Dès lors qu’il considèrerait pouvoir prendre le temps de s’occuper d’eux, il ne rechignerait pas à la tâche; il était tout sauf un homme qui tardait à se mettre au travail.

Il passa de l’eau, puis du tissu doux, contre le haut de son buste. Sa main libre restait accrochée à son cou, les doigts crochetant quelques mèches échappées sur sa nuque, tandis que l’autre passait soigneusement sur chaque parcelle de chair. Tout d’abord les bras. Il passa sur toute leur longueur, par dessus comme dessous, posant ses mains sur ses cuisses, jugeant du même coup leur maigreur. Elle avait les bras naturellement fins, mais ils en étaient devenus plus pâles, plus crayeux en tout cas, et l’on voyait plus nettement le tracé de ses petits muscles dès lors qu’elle les bougeait. Il ne dit rien, et remonta pour s’attaquer au reste du corps.
Il eut une hésitation sérieuse, au tout début. Alors qu’il quittait la jonction entre ses clavicules, il s’apprêtait à descendre sur sa poitrine, son mouvement se stoppa net quand ses yeux se posèrent dessus. Ce qui n’était pas dans ses habitudes. Prompts à soulever une certaine envie chez lui, qu’il ne cherchait que rarement à dissimuler, c’est un tout autre sentiment qui lui tenailla, l’espace de quelques secondes, l’estomac. Il se revit en cellule, revit Raël. Ses dents se serrèrent par réflexe. L’accès de dégoût mêlé de rage reflua bien vite, mais laissa une trace amère sur son palais, cependant. Il finit par laisser échapper un petit sourire, puis adressa un regard insondable, quoique teinté d’une lueur penaude, avant de reprendre sa tâche. Il fut cependant bien plus doux et léger que ce qu’il montrait d’ordinaire. Il glissa dessus, les humidifiant totalement, sur toute leur surface, mais ne s’y attarda finalement guère. Au contraire, il fut même un peu pressé de passer au niveau du ventre, où cette fois, il caressa et lava avec plus d’insistance le petit renflement que l’on sentait nettement, lorsque l’on avait sa main posée dessus. Une impulsion de tendresse peut-être, soulevée par la pensée du petit être qui grandissait là-dedans, il l’espérait totalement ignorant de ce qu’il s’était passé récemment, le poussa à se redresser pour venir embrasser Ambre, longuement. En se rasseyant dans la cuve, il souriait, cette fois.

«Il me tarde le moment où cette petite graine sera enfin parmi nous, de chair et de sang.
Il baissa les yeux vers son ventre, aux formes légèrement déformées par l’eau, puis les releva vers son épouse. As-tu déjà songé au nom que nous allons lui donner ?»

Il y pensait, quelques fois, lorsque le temps ou son emploi du temps lui permettait de s’égarer sur ce genre de pensées. Ca n’était guère une urgence, sa grossesse commençait tout juste, mais il se plaisait souvent à imaginer des scènes familiales, plutôt que de laisser son cerveau au repos total; chose dont il était de toute façon parfaitement incapable.

«Estrée et Marianne m’ont déjà plusieurs fois questionné à ce propos. Il va bien falloir que je finisse par leur donner une réponse.»
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyVen 16 Déc 2016 - 20:18
Ambre opina du chef silencieusement. Bien. Il était bon que leurs gens sachent ce qui s’était passé, sans aller dans les détails. Personne n’aurait compris s’ils avaient gardé le silence. Ni leur retour, ni la raison de l’exécution qui allait se tenir bientôt – et il fallait toujours des propos officiels devant Rikni pour achever une exécution dans les règles. Ambre trouvait donc cela normal, que tout le monde sache ce qui s’était passé. Cela dit la comtesse était légèrement amère et ne parvenait pas à effacer le sentiment. Les rumeurs remonteraient forcément jusqu’à Marbrume, et beaucoup feraient courir des informations peut-être pires que ce qui avait été réellement itéré par les bandits. La jeune rousse imaginait déjà les regards guettant toute marque sur son corps, les questions, les soupçons sur un viol éventuel. Elle se voyait déjà rechigner à aborder un tel sujet avec d’autres tout comme rechigner à les laisser dans leurs considérations encore pires que ce qu’avait été la réalité. Mais c’était ainsi. Elle garderait des marques toute sa vie, et n’échapperait certainement pas aux rumeurs, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

- Quand est prévue l’exécution ? ajouta-t-elle alors que Morion la menait au bain. Je veux y assister, et tu le sais. Dans une ou deux semaines, cela sera-t-il bon ?

Ce délai était raisonnable, du moins le pensait-elle. Elle pourrait porter une robe sans que son dos ne hurle à chaque mouvement, dans deux semaines, n’est-ce pas ?

Morion la rejoignit ensuite dans le bain, quand elle parvint à se mettre à son aise. Elle s’appuya contre le rebord de la cuve, en avant, laissant toute la place à son époux de s’installer dans l’eau derrière elle sans avoir à se contorsionner pour éviter les chairs de son dos. Ambre ferma les yeux quand il déposa un linge chaud sur sa nuque et ses trapèzes, savourant le contact. C’était presque comme avant. Les sensations étaient juste différentes, car les frissons de sa peau, s’ils s’échouaient le long de son échine, réveillaient désormais quelques douleurs et picotements. Mais Morion fut très doux, et elle n’eut pas à se plaindre. Elle fut touchée par ses paroles et en resta un instant sans voix. L’envie de l’embrasser, puissante et subite, s’imposa à elle, mais elle ne pouvait pas. Il avait commencé à nettoyer ses cheveux, et n’était pas encore revenu le temps où elle pouvait se tordre et se retourner d’une traite ; son dos protesterait bien avant qu’elle ait atteint les lèvres de son époux. Alors, elle resta silencieuse et calme, retenant ses envies, savourant simplement le contact des doigts de Morion, qui soulevaient des frissons agréables le long de son cuir chevelu.

C’était une expérience nouvelle. D’ordinaire, c’était sa domestique qui la lavait, quand elle ne le faisait pas elle-même. C’était toujours un moment pour elle à partager entre femmes. Morion jusqu’à présent ne l’avait « lavée » que durant leurs bains communs, qui étaient rarement chastes, et les ablutions se mêlaient à leurs préliminaires. Là, il s’agissait uniquement d’un bain, sans arrière-pensées. Cela avait quelque chose d’agréable, même si la comtesse aurait préféré de loin être en état de lui rendre la pareille, de pouvoir se laisser aller tout contre lui, sans avoir peur de réveiller ses douleurs. Mais elle refoula ses envies, qui ne faisaient qu’exacerber plus encore son sentiment d’impuissance et de faiblesse. Elle se concentra plutôt sur les doigts légers de son époux, sur les petits massages improvisés. La comtesse soupirait d’aise, se détendait. Ce simple instant apportait à lui seul une impression de confort extrême, bien loin de l’horreur vécue à Sarrant. Elle savoura les caresses jusqu’au bout, puis laissa Morion s’installer devant elle après ça, se reculant légèrement au sein de la cuve pour lui laisser de la place. Là, elle se rapprocha instinctivement contre lui, s’agenouillant au-dessus de lui. Comme avant. Seule différence notable : Morion ne pouvait pas l’enlacer et presser son dos pour augmenter leur proximité physique.

- Je ne suis pas réellement d’accord avec toi sur ce sujet, Morion. Tu ne seras jamais dispensable pour ton domaine. Tes sœurs ont beau avoir réussi à le prendre en main sous ta bonne garde, elles ne seront jamais Morion de Ventfroid. La légitimité, c’est toi qui la possèdes, tout comme l’éducation nécessaire à la reprise du comté. Ne fais pas l’erreur de t’en détacher trop, sinon tu risques d’avoir du mal le jour où il te faudra reprendre ta place. Si tu n’es pas assez présent, c’est peut-être même tes propres gens qui vont commencer à remettre en cause ta légitimité.

Des arguments pour que Morion arrête de la border nuit et jour ? Même pas. Pour le coup, la jeune femme pensait réellement ce qu’elle venait de dire, contexte d’enlèvement ou non. Estrée et Marianne faisaient un excellent travail, Ambre le savait pertinemment. Seulement, ça n’était pas une raison pour que Morion ne se repose complètement sur elles. Il le fallait, mais pas trop.

- Je serai là chaque fois que tu auras des moments de répit. Mais je ne veux pas que mon… état… ne te contraigne à délayer trop longtemps tes affaires. Maintenant que je peux marcher et m’asseoir, j’aurai de quoi faire, ne t’en fais pas. Mon frère ou tes sœurs seront heureux de me tenir compagnie également, j’en suis certaine. Et puis… il y a des chroniques Ventfroid que je n’ai toujours pas débutées. Il serait peut-être temps.

Elle caressa de ses deux pouces les joues de son époux, encadrant son visage de ses mains. Son regard s’égara sur ses yeux adamantins, sur ses pommettes, sur sa barbe. Certains bleus étaient toujours présents, même si largement délavés, et tournant plus vers le jaune pâle que l’ecchymose violine. Mais les marques des coups de poing de Chris étaient toujours bien présentes, rappelant à sa mémoire les instants où il avait été maltraité. Ses côtes, aussi, possédaient encore leurs marques. Les dieux soient loués, il n’avait rien eu de cassé, mais ça n’était pas passé loin. Les doigts de la comtesse glissèrent le long du cou de son époux, pour venir effleurer les zones de ses côtes meurtries, sans un mot. Morion aussi avait eu une pause en la nettoyant. Le fantôme des scènes qu’ils avaient vécues flottait toujours entre eux, imposant à leur esprit des visions bien différentes de la scène intime qu’ils vivaient là. Par tous les Trois, redeviendrait-elle désirable un jour ? Combien de temps cela prendrait-il pour que Morion n’ait plus la vision de ces chiens en train de la toucher collée sur la rétine ?

Ambre retint son souffle lorsque le comte passa sur son ventre. Elle savait bien ce qu’il pensait, à cet instant. Mais le sujet lui était difficile ces derniers jours. Elle avait peur, tellement peur de l’avoir perdu. Le guérisseur était d’une incompétence rare à ce niveau, et même si elle savait qu’il n’y pouvait rien, elle ne pouvait s’empêcher d’en ressentir de la colère. Mais l’appréhension surpassait tout. Si au moins la grossesse avait été avancée, elle aurait pu sentir une différence, si le bébé bougeait moins ou plus du tout. Là… là elle ne ressentait rien de plus ni de moins que d’habitude, la laissant dans une ignorance complète, et c’était terrible. Mais elle n’avait pas saigné depuis, alors, elle se raccrochait à l’espoir.

- Moi aussi, souffla-t-elle en réponse à Morion. Ils éludaient tous les deux le risque que leur petit être ne vienne jamais vivant au monde, et ils se plaisaient bien dans leur mensonge. Pour le prénom… Oui, j’y ai songé. A plusieurs reprises.

Elle fit une pause, pensive.

- Mes parents s’étaient amusés à nommer leurs filles avec des noms de joyaux, en témoin de la valeur qu’ils accordaient à leur descendance. Aussi avais-je gardé l’idée pour conserver une forme de continuité, mais… Peu nombreux sont les noms de pierres précieuses qui sont seyants à une personne, si l’on occulte tous ceux déjà donnés par ma famille. Il n’y a qu’Opale qui me plait, mais tu trouveras l’idée sûrement un peu stupide.

Elle leva un regard un peu penaud.

- Si c’est un garçon en revanche… Eh bien, je vais manquer d’originalité, mais je pensais au prénom de ton père. Je sais que tu le respectais beaucoup et… cela serait un bel hommage. Une chance pour toi que je n’aie rien contre ce prénom-là, ajouta-t-elle avec une petite moue amusée.

Ambre tut les propos de feu la dame de Saurell qui lui revinrent en mémoire à cet instant précis. Elle lui avait sorti les mêmes prénoms, avait cité les noms de ses enfants. La comtesse aurait pu les changer depuis, pour éviter de faire comme dans la prétendue vision de l’illuminée, mais agir ainsi c’était accorder crédit à ses propos. Et, le cas échéant, si ses prédictions étaient réelles, changer le prénom d’un enfant serait une piètre action pour s’opposer au destin décidé par les dieux.

- Et toi ? A quoi pensais-tu ?
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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyVen 16 Déc 2016 - 23:29
D’ordinaire, alors qu’ils se lavaient l’un l’autre, ou délaissaient le nettoyage pour de plus charnelles activités, le comte n’était guère avare en réactions, vis à vis de la posture de son épouse, de sa proximité et de sa nudité. Elle était belle, c’était un fait, et plus que désirable. Et de fait, son corps réagissait toujours sans retenue aux vues et attentions qui s’offraient à lui. Pas cette fois. Tout du moins, pour être plus précis, le fait d’avoir son épouse si proche de lui, d’être enfin seul, tranquille avec elle, de pouvoir à nouveau la toucher, l’embrasser et la contempler suscitait tout de même quelques instincts en lui. Il ressentait cette chaleur qui venait se nicher au creux de son cou, et son ventre frémissait légèrement en dedans, comme parcouru par de petits battements d’ailes de papillon. Il reconnaissait ces sensations, et savait ce qu’elles auguraient. Mais à côté de ça, il y avait tellement à penser, de si nombreuses émotions se bousculaient dans sa tête, et la proximité des événements qui les avaient amenés ici était si présente que cela formait un voile opaque sur tout ce mélange de sensations. Et à défaut de les ressentir pleinement, à défaut, de surcroît, de pouvoir en profiter, il ne pouvait que les effleurer. Il ne dépréciait pas moins son épouse pour autant. Il l’aimait toujours, si ce n’est plus encore depuis qu’il avait failli la perdre, et l’estimait toujours autant. Elle n’était pas responsable de cet incident, il le savait. Pas plus que Talen et lui ne l’étaient. Néanmoins, tant que ces prisonniers vivraient, il n’aurait guère le même oeil, ni la même faim, sur ces courbes chaleureuses qu’il connaissait si bien, qui avaient manqué, de très peu, d’être déshonorées à jamais. Mais il réparerait l’injustice. Avec eux, et avec elle également, lorsqu’elle le pourrait. L’envie était là; timide, mais toujours présente.

«Rien n’est actuellement prévu. Et c’était vrai, pour l’instant. C’est parce que tu veux y assister que je n’ai, justement, fixé aucune date précise. Quand tu seras apte à descendre et sortir du château, je prévoirai un jour pour cela. Il fronça les sourcils à cette pensée. Même si certains… Auront un acompte dûment mérité.»

Il eut un bref soupir, à mi chemin entre la lassitude et l’irritation provoquée par l’évocation des prisonniers. Leur mention était inévitable, ils étaient là cause de tous leurs problèmes depuis une semaine. En tout cas, de ceux de son épouse. Quoiqu’ils s’étaient faits une place durable dans l’esprit du comte, également, qui entretenait très soigneusement sans rancune lorsqu’il aurait à faire parler la douleur. Et même après cela, il n’aurait plus la même clémence - une notion somme toute très relative chez Morion - lorsque des bandits, même de piètres âmes égarées et affamées attirées par l’odeur d’un feu de camp quelconque, seraient attrapés sur ses terres ou à proximité. Ils avaient réveillé en Morion une part sombre et terriblement brutale, qui ne semblait, depuis qu’ils étaient sortis de cette cellule, vouloir s’assoupir à nouveau. Morion jugeait cette découverte introspective d’un oeil intrigué, plus intéressé par ce qu’elle pouvait provoquer chez lui, que par sa découverte en elle-même. Le temps parlerait.

Par la suite, comprenant qu’Ambre s’était légèrement méprise sur ses intentions, il se fendit d’un sourire amusé, et posa son index sur ses lèvres comme pour la faire taire : «Du calme, Comtesse de Ventfroid. Je m’occupe déjà de mon domaine, tous les ordres sont transmis en mon nom lorsque je suis là. Je ne compte pas négliger mon rôle, mais je ne compte pas négliger mon épouse non plus. Je saurai gérer le temps que je dois accorder à chaque tâche qui m’incombe, nul besoin de t’en faire à ce propos.»

Elle avait fondamentalement raison. Occupé à prendre soin de son épouse et à veiller sur elle, il pouvait vite passer outre son travail. Ses soeurs avaient beau être d’une aide précieuse, et tout à fait capable de se débrouiller sans lui lorsqu’il était absent, ces terres restaient les siennes. Usurpées à la suite d’un meurtre de masse certes, mais la généalogie était claire; il en était le seul et unique détenteur. Et si le Fléau ne s’était pas aventuré sur les terres du Morguestanc, il n’aurait peut-être, tout compte fait, jamais vécu sa vie d’adulte à Marbrume.

Plus tard, alors qu’il continuait, avec une lenteur mesurée et une douceur qui l’était tout autant, le nettoyage du corps de son épouse, il écoutait avec attention ses idées, quant aux prénoms de leurs enfants. Les idées des Mirail avaient été assez plaisantes, pour les noms de leurs filles. Il pouvait bien parler, il avait l’une d’elles juste sur lui, et son prénom lui convenait fort bien. Il ne trouvait pas cette idée stupide, bien au contraire. C’était un joli prénom, Opale. Néanmoins, il la trouva surprenante. Pas dérangeante, mais surprenante. Tout comme elle, il ne put s’empêcher de repenser aux rêves qui avaient été contés, soi disant prémonitoires. Et à l’inverse de sa femme, il y accordait tout de même un certain crédit, faute de n’avoir eu depuis de réelles preuves de supercherie. Et il trouvait cela osé, d’une certaine manière, d’aller dans son sens. Il fit cependant le même effort cognitif; se détacher de tels propos, pour se concentrer seulement sur ce qu’ils voulaient, eux.

«L’idée est loin d’être stupide. Estrée fut nommée ainsi en hommage aux étoiles, qui brillent durant les sombres règnes de Rikni, chaque nuit. Quant à Marianne, elle tient son prénom de celui de ma mère, tout simplement. Opale est un joli prénom, il me plaît. A la mention du prénom de son père en revanche, il fronça les sourcils. L’idée était loin d’être stupide, et c’était même une coutume assez courante dans de nombreuses familles que de faire perdurer le prénom autant que le nom lorsque la lignée s’étendait, ou promettait de le faire. Simplement, mot hommage le dérangeait pas mal, à l’instant. Un hommage serait comme de valider sa mort. Alors certes, il agissait et prenait chacune de ses décisions comme si tel était le cas, sans se demander ce que son père lui aurait conseillé. Néanmoins, il savait, en son for intérieur, qu’il espérait la survie du patriarche Ventfroid. L’on ne savait pas ce qu’il était advenu du reste du royaume. Personne ne le savait. Il ne se faisait guère d’illusion, mais conservait tout de même un espoir. Je… Oui. Guère loquace à ce sujet, il développa néanmoins. L’idée m’avait également traversé l’esprit, même si je lui trouve quelque chose d’inexorable. Je ne cherche point à nier la réalité mais...»

Il conclut d’un haussement d’épaules, sachant sa femme parfaitement apte à comprendre ce qu’il sous-entendait par là. Cela étant dit, cela ne voulait pas dire qu’il ne trouvait pas ce prénom inapte à être porté par son enfant, bien au contraire. Et cela serait, ils en conviendraient sûrement dans plusieurs années, un doux pied de nez au destin, qui portait alors un enfant portant le nom de l’homme le plus dur que Morion ait jamais connu, alors qu’il ne bénéficierait en aucun cas, les Dieux lui en soient témoins, de la même éducation que Morion avait eu à subir. Strict, il l’était. Brutal, pas avec la chair de sa chair.

«A dire vrai… Ton père nous a quitté trop tôt, et j’eûs pensé un moment donner à notre enfant son prénom. A défaut de le connaître, une petite partie de lui aurait résidé en lui. C’eût été un bel hommage. Je ne sais ce que tu en penses. Il eut un petit sourire. Parler d’Aaron de Mirail, même si cela faisait déjà quelques temps, n’était pas un sujet forcément facile. Ils n’en parlaient presque jamais, d’ailleurs. Pour une fille en revanche, je dois t’avouer que j’ai plus de mal. Une seule Ambre me suffit très largement quand je vois tout le tracas qu’elle peut me causer, lâcha-t-il d’un ton doucement moqueur, ainsi l’idée est exclue. Et je pense qu’Opale est une idée que j’aurais du mal à égaler.»

Il laissa ses paroles en suspens un moment, se reconcentrant sur les mouvements de ses mains sur la peau de sa femme. Il glissait doucement sur son ventre, puis vint, avec beaucoup de précautions, passer contre ses flancs, puisant l’eau sur leur partie immergée avant de remonter doucement, passant la courbe de sa poitrine, et redescendant lentement de l’autre côté. Il finit néanmoins par laisser ses attentions de côté, posant ses mains sur les cuisses de sa moitié. L’une d’elle se releva, toute humide, et vint caresser une fois de plus ce visage encore par bien trop marqué par la douloureuse épreuve qu’elle avait traversé, et qu’elle continuerait de traverser encore de longues journées. Après s’être penché en avant pour laisser un baiser léger au sommet de son sternum, il recula.

«Pour tes lectures, il me semble que figurent ici la naissance de notre alliance d’avec les Castelmont. Un ouvrage d’autant plus intéressant qu’ils étaient une famille que nos ancêtre avait déclarée, sans réel avis de la part de la Couronne je crois, comme ennemie de cette dernière. Nos liens sont littéralement forgés dans le sang, mais il est toujours intéressant de savoir avec précision les liens qui unissent une famille à ses vassaux. Tu seras amenée à traiter régulièrement avec eux. Il eut un petit sourire, l’air tout d’un coup un peu dépité. Par ailleurs, Edric tient absolument à te rencontrer. Plus le temps passe, et plus il se montre pressant. Toi qui auras bientôt besoin de distraction, je pense qu’il représente à lui seul une année entière de bouffonneries. Il est aussi le seul encore vivant à connaître Talen de façon vraiment intime. Ils n’ont que deux ou trois ans d’écart, après tout.»
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptySam 17 Déc 2016 - 20:52
- J’espère qu’ils profitent bien des jours de grâce que mes blessures leur accordent, trancha Ambre avec une verve inhabituelle.

Une lueur de mépris pur s’épanouit dans les yeux de la comtesse, mais elle ne poussa pas plus loin le sujet de l’exécution. Elle sentait que c’était un sujet délicat pour Morion, tout comme ça l’était pour elle. C’était trop frais pour qu’ils parviennent à en parler avec recul et objectivité. Tout ce qu’ils voulaient à l’instant présent, c’était la mort violente de ceux qui les avaient molestés. Ambre ne voulait plus jamais avoir à faire à eux. S’ils l’avaient attaquée, seule, célibataire, nullipare, peut-être la jeune aurait-elle possédé moins de rancœur. Peut-être pas. Toujours était-il que les souvenirs de son mari se faisant tabasser persistaient sur sa rétine, de même que la peur ignoble ressentie pour la vie de son enfant. Ils avaient mis en péril la gestation d’un être qui n’avait rien demandé, et en plus, en toute connaissance de cause. Ça n’avait ému personne qu’elle ait été enceinte, ni diminué les sévices perpétrés sur son corps.

Corps désormais sous les attentions douces et amoureuses de son mari. Ambre se laissait aller sous les caresses humides et savonneuses, observant les mains de Morion comme si elles faisaient ces gestes pour la première fois. La comtesse avait l’impression de revivre, à sa manière. De prendre la pleine mesure de ce qu’elle avait manqué de perdre. La présence et les caresses de Morion n’en devenaient alors que plus tangibles, laissant la comtesse dans un état presque hébété. Elle glissait ses paumes contre le torse du comte elle aussi, mais ses mouvements semblaient guidés plus par l’exploration et la redécouverte que par un réel but nettoyant. Elle pouvait toucher son époux. Le sentir. Entendre sa voix. Savourer sa présence. Il n’y avait plus de sang, plus de cris, ni de barreaux pour les séparer. La chance d’être encore en vie frappa la comtesse soudainement, et souleva en elle une foule de sentiments puissants. Accrochant le regard de Morion, elle prit son visage entre ses mains de nouveau, pour l’embrasser avec amour. Elle fit durer le baiser le plus possible, goûtant à ses lèvres, glissant sa langue sur la sienne. Puis elle laissa sa joue se reposer contre celle de Morion, fermant les yeux en continuant à discuter.

Morion appréciait le prénom Opale, contre toute attente. Elle n’aurait pas parié sur l’approbation de son époux à propos de cette « tradition » de noms de joyaux, cela pouvant être interprété de façon assez superficielle, mais… visiblement, il aimait, aussi fut-elle agréablement surprise. A l’inverse, là où elle pensait qu’Isidore aurait fait l’unanimité, elle sentit le comte gêné. Un silence passa, forçant la comtesse à se reculer pour pouvoir observer les traits de son mari. Elle comprit qu’elle avait fait une bourde sans le vouloir.

- Non, Morion… J’ai été maladroite, excuse-moi. Rendre hommage… Je n’entendais pas rendre hommage à un mort. Simplement… rendre hommage à ton père. J’aurais proposé le même prénom, même s’il vivait toujours avec nous à la cité. A moins que le patriarche lui ait donné de bonnes raisons de ne pas le faire, mais Ambre ne l’avait pas connu pour avoir un regard réellement précis sur cet homme.

Lorsque Morion évoqua le prénom Aaron, la jeune femme fut touchée. Donner à son fils le nom de son père, c’était une idée qu’elle appréciait énormément, oui.

- J’aimerais beaucoup. Je suis certaine que mon père… Elle eut une pause involontaire. Que mon père se serait senti honoré, et heureux. Mais j’envisagerais ce prénom plutôt pour un second fils – que l’aîné porte le prénom de ton père me parait plus… symbolique ? Je ne saurais pas expliquer. Sinon, nous pouvons toujours nous éloigner des traditions et choisir un prénom qui n’a rien à voir avec les grands-parents, ajouta-t-elle avec un sourire. Si les dieux nous offrent une fille… eh bien, gageons que cela sera Opale pour l’instant, si aucun autre prénom ne nous attire d’ici là.

Ambre s’était mise à caresser doucement les cheveux de son époux, passant ses doigts dans les mèches, les démêlant instinctivement. A la mention des Castelmont, elle eut un léger sourire.

- Je sais, tu me l’avais dit. Je… Laisse-moi encore une semaine, d’accord ? Après quoi, je descendrai avec plaisir faire la connaissance d’Edric. Je n’aimerais pas qu’il garde de moi l’image que j’ai affichée en rentrant au domaine. J’attendrai de pouvoir porter une robe sans grimacer de douleur à chaque mouvement pour éviter un incident diplomatique, conclut-elle avec une touche amusée, même si un peu appréhensive rien qu’à l’idée d’enfiler de nouveau une robe. Rien qu’imaginer Edric prendre mal ses lèvres pincées en pensant que ça lui était adressé, c’était cocasse, mais outre le souci de bien paraître, Ambre souhaitait tout simplement pouvoir profiter d’une soirée avec de la compagnie sans souffrir le martyre.

Quant au lien de parenté entre Talen et Edric, qu’elle avait ignoré depuis tout ce temps, elle ne commenta pas. Nul besoin de faire à nouveau une liste de tout ce que Morion ne lui disait pas. La dernière dispute à ce sujet avait laissé des meurtrissures indélébiles, et Ambre n’avait pas les épaules pour remettre sur le tapis ce genre de détails.

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25 mai 1165

Une semaine supplémentaire était passée. Bien meilleure que la précédente. Ambre pouvait désormais recevoir ses visites de façon presque normale. Elle pouvait s’asseoir, marcher, peindre, lire, écrire, coudre… Bref, si l’on omettait ses tenues ouvertes dans le dos pour permettre à ses plaies de cicatriser à l’air libre selon les préconisations du guérisseur, Ambre était redevenue fidèle à elle-même. Evan et Marianne passèrent souvent la voir – Estrée un peu moins, plus occupée à gérer le domaine –, et ils partagèrent de nombreuses parties d’échecs, entre deux discussions sur le domaine. Evan était très à l’aise à Ventfroid, et s’entendait à merveille avec la jeune sœur Ventfroid. Ils avaient pour eux une similitude dans leur légèreté de caractère, même si les raisons qui poussaient Evan à rester ici l’avaient rendu bien plus sombre qu’à l’accoutumée. Désormais que sa sœur était sauve, il n’attendait qu’une chose : de pouvoir manier lui-même l’épée qui s’abattrait sur la nuque des bandits responsables des cicatrices rougies dans le dos de sa sœur. Il savait cependant qu’un tel honneur revenait au seigneur du comté, aussi resterait-il simplement en arrière en tant que simple observateur. Mais un observateur fort satisfait.

Morion était présent aussi, beaucoup. Il s’absentait parfois en-dehors de la chambre, mais ses activités étaient toujours assez courtes, le retenant une à deux heures grand maximum. Il revenait toujours, et là où d’ordinaire il s’isolait dans son bureau au manoir pour travailler, ici il ramenait ses papiers pour les lire et les signer dans la chambre, pour tenir compagnie à la jeune rousse. Cette dernière en était à la fois touchée et amusée. Elle profitait, voire abusait un peu, du soudain zèle de présence de son mari, n’hésitant pas à lui extorquer des heures de travail pour des heures de tendres câlins, à simplement savourer la sensation d’une étreinte devant la cheminée. Profiter d’être en vie, et ensembles.

La comtesse n’avait toujours pas mis un seul orteil en-dehors de leur chambre, et n’avait eu de vision du domaine que ce que l’on pouvait apercevoir depuis les fenêtres. Elle pouvait passer des heures adossée au rebord des ouvertures, profitant de la brise chaude – l’été arrivait bientôt, et cela se sentait. La chambrée avait vue sur la mer d’un côté, vue sur le domaine de l’autre. Ambre se perdait des après-midi entiers dans la contemplation des vagues et de l’horizon, se laissant bercer par le ressac. Parfois, elle se demandait s’il y avait quelque chose à l’horizon. Une terre, quelque chose, un endroit où le monde était protégé des horreurs de la fange. A moins qu’il n’y ait juste que la fin du monde et une frontière infranchissable. Le paysage lui faisait oublier un temps l’enfermement et la douleur de son dos.

Douleur qui allait en s’améliorant, cela dit. Elle n’avait plus mal du tout, tant qu’on ne lui frappait pas le dos ou qu’elle ne faisait pas de gestes compliqués. Désormais, la cicatrisation, propre et sèche, soulevait surtout une gêne et des démangeaisons très désagréables. A de nombreuses reprises, la jeune femme dut résister à gratter, parfois au-delà de la raison, tellement ses chairs picotaient. Mais gratter et griffer ne ferait qu’arracher des croûtes et rajouter des plaies par-dessus celles qui peinaient déjà à se refermer. En dehors de cela, la comtesse se forçait à produire certains mouvements. Se pencher en avant, par exemple. Lever les épaules, rouler des hanches, se tordre sur le côté. Elle forçait les mouvements jusqu’à atteindre le point qui lui annonçait la survenue d’une douleur trop grande – alors, elle s’arrêtait, détendant ses muscles. Elle faisait tout cela pour éviter que la peau de son dos s’enraidisse définitivement. Elle demandait même à Morion de masser l’extérieur des cicatrices avec les crèmes du guérisseur, comme préconisé. Même si cela réveillait les douleurs. Les premières applications passées, les doigts de Morion soulageaient et massaient plus qu’ils ne faisaient mal.

Ce soir-là, Morion n’était pas dans la chambre, appelé pour une affaire ou une autre. Il était près de vingt-et-une heure – la nuit tombait tout juste. Les derniers rayons de soleil venaient se refléter sur les fenêtres, et Ambre commença doucement à allumer les bougies de la chambrée une à une. Fatiguée, elle était prête à se coucher, mais avant cela, elle avait besoin de faire face à la réalité.
Ambre se sentait prête à sortir, dorénavant. A visiter le domaine, rencontrer ses gens, vivre normalement. Assister aux exécutions. Reprendre ses droits de comtesse. C’en était fini de rester prostré dans une chambre ; deux semaines et demi c’était bien assez long. Si cela continuait, elle finirait par se forger une réputation encore plus mystérieuse et effrayante que le comte de Ventfroid lui-même. « La comtesse qui ne sort jamais. » C’était ridicule. Il fallait donc qu’elle quitte le petit cocon sécuritaire dans lequel Morion l’avait placée.
Pensant à tout cela, la comtesse déposa l’allume-bougie dans son petit bol après avoir terminé. Elle fit quelques pas, puis se plaça face au miroir. Là, elle s’observa.

Voilà plus de deux semaines qu’elle ne s’était pas regardée. Cela avait été volontaire. Ambre n’avait pas osé. Elle avait su sans avoir besoin de le voir qu’elle était rentrée dans un état lamentable. Désormais, il lui faudrait présenter de nouveau publiquement. Alors, elle voulait voir la vision qu’elle offrait au monde.
Malgré les kilos repris cette semaine, la jeune comtesse avait les traits encore un peu tirés et les cernes marquées. Le teint plus pâle que d’habitude, plus fatigué. Ses cheveux avaient perdu de leur éclat, un peu. C’était loin d’être catastrophique cela dit. Quelques artifices, une jolie coiffure comme à son habitude, et son visage devrait ne choquer personne. Mais ça n’était pas ce reflet-ci qu’elle avait évité depuis deux semaines.
Prenant une lourde inspiration, Ambre laissa glisser les lanières de ses épaules. Sa robe de confort s’échoua sur sa taille dans un bruissement, libérant ses seins. Son regard effleura la courbe de sa poitrine, mais là encore, ça n’était pas son but. Légèrement frissonnante, la jeune femme se tourna aux trois-quarts, courbant le cou pour observer le reflet de son dos dans le miroir.

C’était terriblement laid. La cicatrisation était bonne, même elle pouvait le noter, mais la vision resta un choc. Elle s’était épargnée de regarder quand les plaies étaient encore à vif, et malgré tout, alors que c’était presque guéri, cela ne lui allait pas du tout. Les chairs étaient toujours légèrement rougies, bosselées. Si les coupures sur les côtés des omoplates semblaient être en bonne voie pour disparaître définitivement, au centre en revanche, c’était ignoble. Deux grandes marques notamment, formant un X asymétrique, étaient profondes, et laisseraient des cicatrices définitives. C’était laid. Et cela le resterait.
La comtesse s’y était préparée, mais pourtant, elle ne put empêcher ses lèvres de trembler et les larmes d’investir ses yeux. Sans se vanter, elle avait toujours eu la peau lisse et laiteuse. Son dos n’avait pas échappé à la règle, et son éducation dans les hautes sphères de la société n’avait qu’aidé pour qu’elle conserve une qualité physique presque parfaite. La beauté, en tant que femme, était une chose à laquelle elle accordait beaucoup d’importance. Et là… Là, elle était devenue répugnante. Morion ne pourrait jamais plus la toucher sans ressentir les aspérités de son dos, ni l’observer sans voir les traces que ces meurtriers avaient laissées. C’était à se demander comment même Morion pourrait encore avoir envie d’elle. Ambre ne s’était jamais sentie aussi peu désirable qu’à cet instant. Pire, elle se dégoûtait. Une honte terrible lui brûlait le ventre, et ses yeux étaient bloqués sur ce reflet honni.

La jeune rousse termina par sursauter quand elle entendit la porte de la chambre s’ouvrir. Prestement, elle remonta le tissu de sa robe de nuit pour effacer à tout regard la vision de ce dos dont elle avait honte. Elle effaça en catimini les larmes qui avaient coulé, faisant dos un instant à Morion qui venait d’entrer. Elle termina par l’accueillir avec un sourire timide, s’efforçant de cacher son trouble.

- La mer était belle ce soir. Tu as raté un joli coucher de soleil, commenta-t-elle doucement. Elle se rapprocha de son époux pour une étreinte rassurante. Je me sens prête, Morion. J’ai envie de sortir de cette chambre demain, de voir autre chose que ces quatre murs. Crois-tu qu’Edric et les autres seront disponibles pour me voir ?
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyDim 18 Déc 2016 - 0:14
Abattue comme il l’avait vue et sentie, il avait craint un moment, durant leur emprisonnement, et même après, qu’elle eut perdu quelque chose de façon définitive, au fond du trou paumé qu’était Sarrant. Il fut fort aise, même si la preuve fut acide, de voir que ça n’était pas le cas. Le ton cassant de son épouse était, malgré sa sècheresse, une forme certaine de soulagement. Ce n’était pas le genre d’épreuves auquel il avait souhaité un jour la confronter. Sortir de l’enceinte protectrice de Marbrume en était déjà une, ce qu’ils avaient vécu par la suivre devraient leur suffire pour toutes les années restantes. Bien qu’il ne se fisse pas d’illusions à se sujet; leur vie serait très probablement semée de nombreuses embûches, et rien n’était plus incertain que l’avenir vu le trouble que le temps avait apporté dans son sillage, enchaînant catastrophes et désastres à un rythme peut-être trop soutenu pour les mortels qu’ils étaient.

Profiter, il n’allaient pas le faire longtemps. Dès qu’il serait en mesure de quitter la chambre l’esprit plus ou moins tranquille, les geôles figureraient ainsi dans ses premières destinations, et pas uniquement pour constater l’état des prisonniers. Il avait bon espoir que leur chef, Henri, soit toujours bien portant - le cas échéant il aurait été averti dans tous les cas - mais pour les autres… Tant que ses cibles prioritaires restaient en vie c’était le plus important.

Lorsque le sujet des prénoms fut évoqué, et que Morion comprit qu’Ambre avait peut-être surinterprété ses propos, il s’autorisa un sourire faible, et prit doucement son visage entre ses mains. Il hocha doucement la tête pour la rassurer :

«Non ne t’inquiète pas, je comprends tout à fait ton attention, et je l’apprécie. C’est moi qui ai encore, je crois, un léger problème avec ça. Il acquiesça doucement à la remarque suivante, puis enchaîna après une valse-hésitation de quelques secondes. Les traditions font partie des rares choses qui ne nous ont pas été enlevées. Fions-nous y tant que nous le pouvons encore. Elles sont déjà en train de changer, gardons celles que nous pouvons nous permettre de conserver.»

Ses mains quittèrent ses joues pour rejoindre sa nuque. Morion était quelqu’un de très conservateur, c’était un fait bien connu. Au delà même du raisonnable, preuve en était faite; se plier aux lois édictées ne lui posaient aucun problème, mais il avait toujours sa foi et son allégeance portées, comme l’avaient toujours fait les Ventfroid, en la Couronne, et en nul autre. Néanmoins comme il l’avait dit, même de façon tout à fait sous entendue, l’on changeait déjà les traditions. Par nécessité, peut-être, mais le comte n’accueillait pas d’un moins mauvais oeil ces nouveautés. Les rites funéraires, notamment. Brûler les morts après une bataille était une coutume courante. A plus forte raison quand ceux-ci avaient été marqués par le Fléau. Néanmoins, n’importe qui d’assez expérimenté avec les fangeux et les séquelles qu’ils laissaient savait que la décapitation réglait d’office le problème du retour des morts. Et quand bien même, l’on les brûlait quand même tous sans distinction. Ce que Morion n’appréciait pas beaucoup. Voire pas du tout. Peut-être alors que pour les prénoms de leurs enfants, ils pouvaient - peut-être même devraient - s’en tenir à du classique, du coutumier. Des choses qui leur plaisaient, et qui leur étaient aussi rassurantes.

Silencieux, Morion accorda à Ambre le délai qu’elle désirait, pour le jour où elle quitterait la chambre. Il aurait pu proposer de le faire directement monter ici, comme venaient Marianne, Evan ou parfois Estrée, bien que nettement plus rarement, mais se tint coi. Elle avait plus de facilités avec eux, qu’elle connaissait déjà depuis un moment, et la confronter à ce colosse insensé n’était pas l’idée la plus pertinente qu’il pourrait avoir. Il se contenta simplement d’avancer la tête, pour venir la poser sur le buste de son épouse, laissant l’eau autour d’eux les réchauffer sans qu’aucun autre bruit ne vienne perturber leurs ablutions. Cela faisait un bien immense, après tout cela.

---

La semaine qui suivit cette conversation aurait presque pu paraître vacancière, pour le comte. Contrairement aux fois où il se déplaçait jusqu’au domaine, il ne s’abrutissait pas sous le travail, restant dans son bureau où sur les terres du lever au coucher sans quasiment s’accorder de pause. Ses soeurs étant bien moins encline que sa femme à lui faire la moindre réflexion, il pouvait ainsi s’autoriser un peu moins d’économies qu’au manoir.

Il y avait juste un petit détail. Outre la présence de sa femme, il y en avait d’autres, en bas, qui requerraient son attention et sa présence. Et il ne se fit pas prier. La première fois qu’il descendit dans les geôles, ce fut deux jours seulement après les premiers pas d’Ambre hors de son lit. Il s’y rendit au matin, après s’être assuré que son épouse prit son traitement, une fois qu’il eut pris soin d’elle comme il le devait. Il passa rapidement saluer Estrée et Marianne, dans leurs bureaux respectifs, avant de descendre dans les entrailles de sa demeure.

Chaque cellule était distinctement séparée de l’autre par des murs épais, et non des barreaux. L’on était proche des fondations du château; le plafond était bas, le sol humide, et bien que pavé de roche, fleurait fort le sel et l’humus. Il n’y avait que quelques torches, qui n’étaient ordinairement jamais allumées, faute de pensionnaires. En cette occasion, quelques unes d’entre elles étaient entretenues, parfois changées.

L’homme à l’entrée n’était pas un soldat. Un simple ouvrier, qui attendait la relève. Ils étaient trois ou quatre à se relayer, nuit et jour. A dire vrai leur présence était dispensable; ils étaient ferrés aux murs, maintenus par anneaux et boulets de métal, et dans le cas où ils réussiraient à se défaire de leurs entraves, ils auraient le plus grand mal à franchir l’épaisseur des barreaux.
Le garde relevé temporairement de son poste, le comte fut enfin seul avec ses anciens bourreaux. Il passa, lentement, prenant le temps d’observer, devant chacune des cellules. Tous ceux qui avaient survécu étaient là, même les blessés par les fangeux qui les avaient attaqués pendant la nuit. Marianne avait tenté de lui faire comprendre que ces hommes-là, déjà en piteux état, n’avaient point besoin d’être entravés comme les autres. Un bel échec. Ils étaient restés seuls avec leur douleur, et comme l’avait si bien dit Morion, s’ils y restaient, tant pis.

Et à dire vrai, ils étaient tous dans un sale état. Même ceux qui à l’origine étaient bien portants. Cela faisait plus d’une semaine qu’ils avaient à peine de quoi subsister jusqu’à leur exécution, bras et jambes écartés, à peine capable de dormir. Quand ils le faisaient, c’était fauchés par un épuisement qui ne souffrait même plus les contraintes physiques qui leur étaient imposées.

Il passa ainsi devant eux plusieurs fois. Quelques uns levèrent la tête, croisant le regard impassible et froid de Morion qui les jaugeait, comme un rapace prend le temps de mirer soigneusement sa proie avant de fondre dessus. Il s’arrêta une première fois devant la cellule d’Henri. Il l’observa un bon moment, puis quand celui-ci nota enfin sa présence, lui adressant un regard vindicatif, résistant, Morion n’esquissa pas le moindre geste.

«Je vous ai prévenu. Déclarer la guerre aux Ventfroid était une mauvaise idée.»

Un seul grognement sourd lui répondit. Il lorgna un moment les lèvres sèches, gercées du chef de la bande, ses traits creux et tirés, pâlis par le manque de soleil et la privation, ses poings contractés au dessus des anneaux qui maintenaient ses poignets collés au mur. Ses veines saillantes, sur ses bras, il mesurait la tension de ses membres. Extrême, visiblement. Leur tourment prendrait fin tôt ou tard. Morion finit par détourner le regard. Certains attisaient violemment sa haine. Raël et Chris, évidemment. Mais lui… Savoir reconnaître les qualités de ses ennemis était une chose primordiale, pour un chef de guerre. Et en l’occurrence, si Henri avait été là depuis le début, et participé activement à la surveillance des Ventfroid, Ambre n’aurait peut-être pas eu à subir ce supplice. Ainsi, il était un chef, disons, pour l’activité qu’il exerçait, assez honnête. Son but : la survie. Et il avait du bon sens. Mais le comte ne ressentait pas la moindre parcelle d’émotion, pour lui. Sa tête finirait tranchée sur le billot comme celle de tous les autres. Ou presque.

Il passa devant la cage de Raël, mais ne s’y arrêta pas. Il le haïssait tellement qu’il ne voulait pas s’attaquer à lui maintenant. Mais il y en avait un qui méritait une sanction immédiate. De tous, il était le plus facile à reconnaître, d’ailleurs; il était le seul à avoir été attaché dos à l’entrée, contrairement aux autres qui lui faisaient face.

Il entra dans la geôle. Il sut que le prisonnier était éveillé, ou au moins conscient, lorsqu’il l’entendit bruisser légèrement. Son attention, sur l’instant, était ailleurs. La petite tablée sur laquelle on avait posé des fers et un fouet. Un fouet que Morion reconnut parfaitement d’ailleurs, puisqu’il avait appartenu à son père. Il pouvait d’instinct en saisir chaque relief. Il le prit en main et le soupesa quelques fois. Il finit par le serrer fermement dans son poing, et souhaitant tout d’abord vérifié que sa victime était bien éveillée, le fit claquer. Pas dans le vide. Son premier salut fut une lacération infligée sans préparation aucune, uniquement mûe par de la brutalité gratuite. S’il n’était pas éveillé, ainsi, c’était le cas. Une plainte sourde le lui confirma.

Morion, sentant un début de colère refoulée pointer, laissa faire, cependant, et réitéra. Une fois, deux fois. Toujours plus fort, laissant Chris beugler comme bon lui semblait. Qu’il beugle, tiens. Cela motivait d’autant plus le comte qu’il y a peu, c’était sa femme, qui poussait ces cris, sans qu’il ne puisse rien y faire. Cette fois les rôles étaient inversés. Et le comte y prenait du plaisir, chose nouvelle. Il ne s’arrêta que lorsqu’il eut atteint la dizaine de coups qu’Ambre avait pris, pour sa part. Il laissa, pendant quelques temps, un silence ponctué de simples grognements et plaintes de douleur flotter dans l’air. Son souffle s’était raccourci, saccadé légèrement, au rythme de la rage qui avait pris possession de ses bras, quand ils avaient frappé. Il observa les plaies béantes dans son dos, quelques secondes.

«Je repasserai, tu peux me faire confiance pour cela. N’espère pas me voir satisfait avant que ton dos ne soit qu’un souvenir noyé dans ton sang.»

Il jeta sans ménagement le fouet sur la table, et quitta la pièce.

Toute la semaine, quand il quittait sa femme, il descendait. Chris prenait, plusieurs fois par jour, le même nombre de coups. Le dos de Chris fut effectivement, et assez rapidement, un lointain souvenir. L’on ne percevait que quelques vestiges de chairs éclatées et boursouflées, suintant le sang qui ne cessait de couler, détrempant les chausses de Chris, et formant, au fur et à mesure, une flaque épaisse à ses pieds, mêlée d’urine et de diverses déjections, qui ne semblait vouloir que grossir. Chris ne criait même plus. Il n’en avait plus la voix, ou était trop abruti de douleur pour lâcher le moindre son. Et plus Morion frappait, plus il voulait continuer. Le début d’un cercle vicieux que rien, et surtout personne, ne semblait en mesure de stopper. La crainte régna ainsi bientôt, dans les geôles. L’on se demandait si ce traitement serait aussi réservé aux autres. Si Henri semblait plus tourné vers une sorte de résignation anticipée, les autres, surtout ceux qui n’avaient rien eu à faire avec les époux, commençaient à craindre pour leur peau. Et tout ce qu’ils pouvaient entendre, c’étaient les claquements secs et réguliers du fouet de Morion contre le dos de Chris.
Et ce alors qu’il ne s’était même pas encore attaqué à Raël.

Fort heureusement, les affaires qu’il avait à traiter avec ses soeurs, les discussions qu’il avait aussi parfois avec Evan, et surtout les moments privilégiés et sereins qu’il partageait avec son épouse, parvenaient à apaiser la rage vengeresse que ses actes provoquaient.

Le soir du vingt-cinq, quand Morion retourna dans la chambre, sa femme était affairée à la toilette. Il l’observa un moment en silence mais ne tarda pas à la rejoindre. Il appréciait beaucoup le fait de pouvoir la voir se mouvoir sans aide de sa part, comme si rien ne s’était passé. C’était évidemment faux, mais sa rémission soulevait un fort sentiment de soulagement chez le comte. Il posa les mains sur ses hanches, à défaut de pouvoir encore l’enserrer avec sa ferveur ordinaire, et esquissa un sourire, détaillant son visage.

Citation :
Test d’observation

Morion - Intelligence : 16.
Bonus pour sens du détail (+1).
Jet : 12. Réussi.

Il ne cacha pas sa satisfaction de la retrouver, néanmoins, ses cils étaient encore légèrement humide, et son sourire plus fade. Ses traits peut-être un peu trop marqués. Pas par la douleur, en tout cas.

Il jeta un coup d’oeil derrière lui, observant les fenêtres donnant sur la mer. «Il y en aura d’autres que nous pourrons contempler ensemble. J’ai bien mieux à voir, le cas présent. Son sourire se fit néanmoins plus ténu. Tu sortiras dès que tu le voudras. Ses yeux s’étrécirent légèrement, sans menace aucune, et il passa un pouce au coin de son oeil, recueillant un vestige de larme salée, presque invisible, mais bien reflété par les lueurs chaudes de la pièce. Que t’arrive-t-il, mon amour ?»
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Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyMar 27 Déc 2016 - 18:51
Ambre soupira, mal à l’aise. Son regard se faisait fuyant, quand bien même son mari s’était approché pour l’agripper par la taille, rajoutant une proximité qu’il était difficile d’effacer, même en détournant les yeux. Ses doigts se perdirent machinalement dans les plis de la chemise de son époux, griffant doucement la taille alors qu’elle réfléchissait si elle voulait se confier ou non.

- Rien ne t’échappe jamais, à toi, déplora-t-elle, sans amertume cela dit. Elle écarta le visage pour finir d’essuyer elle-même la larme que le doigt de son époux avait retirée. Ce n’est rien. J’ai du mal avec ma nouvelle apparence. J’ai toujours été habituée à posséder un corps sans défaut notable, tu sais. Désormais mes chairs sont déformées pire que ce que l’on voit parfois sur les malades ou les bossus. Je ne supporte plus voir mon dos dans le miroir.

Ce disant, elle tira encore un peu plus sa chemise de nuit dans sa nuque, dans un geste inutile pour masquer les cicatrices qui l’étaient déjà sous le tissu.

- Chez toi les cicatrices sont synonymes de victoires au combat ou d’autres prouesses martiales qu’on attribue aisément aux hommes, même si ça n’est pas toujours le cas. Chez moi l’on ne verra qu’une pauvre victime, qui en plus d’avoir perdu une part considérable de charme, sera désormais regardée avec pitié. Je regrette.

Regretter quoi ? Avoir traversé les terres mortelles ? Avoir été inutile pour leur défense à Sarrant ? La jeune comtesse n’expliqua pas sa pensée, et mieux valait-il. Elle savait pertinemment que son époux s’en voulait assez, et avait des scrupules à lui assener des propos concernant ce voyage. Elle était encore trop amère pour ne pas blesser.

- J’aimerais que l’exécution se déroule dans les jours prochains, ajouta Ambre, déterminée. Cela fait trop longtemps désormais qu’ils jouissent d’une vie qu’ils ne méritent plus. Ont-ils dit quelque chose, depuis leur enfermement ? Tenté de marchander ?

Elle détournait le sujet tant bien que mal, pour qu’elle ne se mette pas de nouveau à pleurer concernant l’état de son dos. Elle puisa dans la colère qu’elle ressentait encore contre ces vauriens pour rester apte à garder la face, et leva un regard intéressé vers Morion. Il n’y avait que lui qui avait revus les bandits depuis. Que lui qui avait pu les approcher et échanger avec eux. Ambre doutait cela dit que les échanges eurent été amicaux. Le comte de Ventfroid était souvent rentré les traits sombres et pleins d’une haine froide à plusieurs reprises dans la semaine. Si la comtesse avait attribué cela à des problèmes au domaine que son mari ne souhaitait pas évoquer, elle avait cependant été éclairée par quelques paroles lâchées par Marianne au cours d’une de ses visites. Son mari avait commencé à punir lui-même les responsables, et personne n’avait osé l’en empêcher.

Ambre n’avait pas évoqué le sujet avec Morion. Ce dernier ne devait sûrement pas savoir qu’elle savait, et la jeune femme ne voyait pas grand intérêt à l’évoquer. Cela dit, elle avait appris la nouvelle avec une sombre satisfaction. Sombre satisfaction qui, si elle avait été discrète, avait tout de même été ressentie par Marianne. Oui, il était loin désormais le temps où Ambre de Ventfroid s’émouvait encore du mal fait à autrui. Alors ne parlons pas même du cas où son époux avait été tabassé presque à mort et que son propre corps avait été malmené, mettant en péril sa vie et celle de son enfant.

La comtesse s’écarta ensuite de son époux, s’arrachant à son étreinte. Elle se posa face au miroir de nouveau, reprenant la contemplation interrompue par l’entrée de son mari. Elle ne s’intéressa plus à son dos. Ses traits étaient toujours légèrement tirés et amaigris. Mais il y avait une partie de son anatomie dont elle n’avait pas vérifié l’évolution. Volontairement, là encore. Comme pour son dos, elle n’avait pas osé regarder. Son ventre avait-il grossi ? Ou était-il toujours au même niveau qu’avant leur départ, signe alarmant à propos d’un arrêt de croissance ? La jeune femme n’avait toujours pas saigné ni éprouvé de douleurs basses. Il lui avait fallu prendre énormément sur elle pour ne pas toucher son ventre chaque heure du jour et tenter d’y trouver une différence. Elle savait, au contraire, que pour percevoir une différence il fallait cesser de s’y intéresser et ne surtout pas prendre l’habitude de toucher.

- Cela fait plus de deux semaines que je n’ai pas osé regarder, Morion. Est-ce que tu peux… ?

Elle l’invita à soulever le tissu de sa robe pour qu’ils regardent tous les deux face au miroir. Ensemble. Une bouffée d’angoisse saisit Ambre, et elle figea son regard sur leur reflet pour noter toute différence, même infime.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé]   Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure. [Ambre & Morion de Ventfroid] [Terminé] EmptyJeu 29 Déc 2016 - 21:09
Pendant plusieurs minutes, il jaugea son épouse, l’évalua presque. Son malaise était tout à fait compréhensible, bien qu’il préférasse voir cela d’un autre oeil. Son avis n’était bien sûr pas objectif; il était biaisé à la fois par l’amour qu’il vouait à Ambre, et par l’immunité qu’il avait développé devant de telles blessures. Lui-même les ayant subies, à de très, trop nombreuses reprises, ce n’était pas un spectacle qui le révulsait. Cela l’enrageait, oui, que l’on ait osé toucher ainsi à son épouse, cela l’enrageait également de n’avoir rien pu faire, forcé d’assister impuissant à ce spectacle. Mais il ne ressentait ni pitié ni dégoût. Cela étant, ce sentiment n’aurait guère d’impact sur ceux d’Ambre, il en était parfaitement conscient. Mais il se disait qu’au moins, elle n’aurait pas à subir un regard corrompu par le jugement, au quotidien, bien à l’inverse.

Il laissa un bref soupir lui échapper, et haussa légèrement les épaules avant de lui répondre, d’un ton qui se voulait doux, quoique ferme, a minima déterminé.

«Tu t’y habitueras, comme je l’ai fait. Tu conserveras des marques toute ta vie, tu sais. Et si tu passes ton temps à regarder en arrière, il ne t’arrivera rien de bon. Au lieu de regarder ton dos en permanence, regarde-moi. Il eut un faible sourire, puis fit un pas en avant pour la prendre contre lui à nouveau. Ses yeux, par réflexe, s’abaissèrent à débusquer, entre les quelques interstices que laissaient voir le tissu de sa chemise, les plaies, ou les rougeurs qui les entouraient encore. A mes yeux, rien ne change.»

Sa remarque suivante le fit légèrement tiquer, en revanche. Son étreinte, d’une grande tendresse jusqu’à présent, se raidit légèrement. Il serra un peu les dents puis recula, pour pouvoir l’observer droit dans les yeux. Une pointe de reproche fusa, pendant quelques secondes, au travers de ses prunelles limpides. Il ne pouvait être en total désaccord avec elle. A fortiori dans leur milieu, les jugements étaient incroyablement sévères, et se passaient largement de faits pour être dispensés. Tous le savaient, et une grande partie de leur éducation à tous visait à leur faire face. Le nom Ventfroid était un parfait exemple de ce que des yeux et de mauvaises langues étaient capables de créer, quand bien même les données manquaient, voire étaient complètement absentes. Pour autant, il refusait d’accorder une croyance aussi catégorique à ses propos. Tout d’abord parce qu’il n’y avait point de raison pour que cela soit le cas, et parce que toute mauvaise pensée surprise chez autrui risquaient, désormais que Morion avait, au fil des derniers jours, perdu une grande partie de sa froide mesure, d’encourir le sévère courroux du comte, qui, s’il se manifestait rarement, pouvait se déchaîner sans réelle limite à sa violence.

«Ne dis pas ça. Pour commencer, sache que je connais tout, tout, des personnes qui savent, pour mon dos. Le fouet n’a jamais été un symbole d’une quelconque victoire. Il rappelle surtout que l’on a subi cet acte, et que l’on n’a pu y contrevenir. Les gens se moquent de savoir les raisons. Il fronça les sourcils. Quant à toi, bien que les rumeurs doivent déjà tourner au travers de l’Esplanade comme des environs du domaine… Tu n’as point besoin d’exhiber ces marques, ni même de leur en parler. L’on ne verra rien que tu ne veuilles sciemment montrer. Tu es là, debout, fière. Il posa son index à la base de son cou, presque accusateur. C’est ça que les gens verront, et c’est ça que tu dois leur montrer. N’oublie pas le nom que tu portes. Il retira son doigt avec sa tirade un brin moralisatrice, quoi que surtout destinée à la motiver, puis adoucit son expression. Quant à ton charme… Gageons qu’il a gagné en rusticité, désormais. Ce qui n’est pas nécessairement pour me déplaire. Il saisit son menton entre son pouce et son index et redressa son visage vers le sien pour y planter un langoureux baiser. Concentre-toi sur ce qui est vraiment important. Tu as traversé une douloureuse épreuve, et devras encore en traverser d’autres. Celle-ci est derrière nous.»

Les choses n’étaient, bien évidemment, pas si faciles que cela. Il aurait peut-être, à l’avenir, ou en tout cas dans un futur proche, du mal à la toucher sans ressentir une pointe de culpabilité. Les souvenirs liés à cet incident étaient encore vivaces, et ses séjours de plus en plus réguliers dans les geôles n’étaient pas pour les atténuer. A chaque fois qu’il ressentait l’envie de poser la main sur elle, dans un but plus sensuel que tendre, l’image de Raël et des yeux voraces de Chris et des autres lui revenaient en mémoire sapant immédiatement toute velléité charnelle. Il savait pourtant que ce n’était en aucun cas de sa faute, pas plus que de celle de Talen. Mais certaines parties de son esprit, hors de tout contrôle conscient, n’hésitaient pas à lui renvoyer ces horreurs au visage quand c’était le pire moment pour le faire. Il savait que, surtout après l’exécution, cela finirait par passer. Mais il restait encore les blessures de sa femme, et il était bien placé pour savoir que cela, en revanche, ne passerait pas en quelques jours. Bref, pour résumer, leur vie commune allait être entâchée encore un bon moment par ces dernières embûches. Néanmoins, ses sentiments ne changeaient pas. Il était même assez vrai de dire, qu’avec la semaine glaciale qui avait précédé, cela avait même contribué à renforcer la proximité qu’il voulait avec sa femme. Il avait pour la première fois était confronté à la peur et l’urgence, une peur viscérale de la perdre, et n’avait aucunement l’intention de renouveler l’expérience. A force de faire le trajet entre son domaine et la ville, il en avait fini par sous-estimer les dangers que recelaient le Morguestanc, et cela leur avaient à tous coûté très cher. Hors de question que cela se reproduise.

Quant aux prisonniers… son visage s’assombrit à leur simple mention. Evidemment qu’il souhaitait leur mort venir, c’était tout à fait logique au vu des chefs d’accusation qui pesaient sur eux. Mais le fait était qu’il n’était clairement pas satisfait. Il savait pertinemment que ces types ne tiendraient pas longtemps. Ceux qu’ils laissaient en paix allaient finir par mourir de l’affaiblissement qu’il leur ingfligeait, quant à Chris et Raël, ils allaient crever encore plus vide. Chris n’était plus qu’un tas de viande pissant le sang à toute heure, baignant dans d’autres fluides bien moins ragoûtant. L’on pouvait sentir leur odeur infecte dès que l’on pénétrait dans le sous-sol où étaient bâties les cellules. A côté de cela, le séjour des époux Ventfroid avait été idyllique.

«Je ne leur ai guère laissé le temps de demander quoi que ce soit, affirma le Comte, la bouche barrée d’un pli amer. Ils méritent certes de mourir, mais la mort n’est pas la seule sentence que je puis prononcer à leur encontre. Ils doivent… Ils doivent payer le prix du sang versé. Il baissa un regard dur vers Ambre, dureté provoquée par la pensée amenée par ces immondices croupissant dans ses cachots. C’est inscrit dans les lois fondamentales de ma maison, et je ne compte pas y déroger.»

Il prit quelques mètres de retrait, après avoir rajusté avec nonchalance le tissu sur les épaules de sa femme. Il se rendit à la fenêtre, non celle qui donnait sur le domaine, mais celle qui laissait la vue s’aventurer à l’infini sur une mer désormais rendue noire par l’obscurité ambiante à l’extérieur, sur laquelle on percevait parfois, du coin de l’oeil, l’éclat fugace de l’écume soulevée par quelque brise brutale soufflant sur une crête plus haute que les autres. Il huma un instant l’air iodé, qu’il appréciait particulièrement lorsqu’il était ici. Bien qu’il en profitât essentiellement depuis le haut des remparts de la demeure.

«Je les exécuterai à la fin du mois, au coucher du soleil. D’ici là tu auras le temps de plus récupérer encore, et de faire la rencontre de nos gens, de même que des têtes qui dirigent la place en mon absence. Il tourna les yeux vers elle, visiblement toujours pensif. Cela te convient-il ?»

A dire vrai, bien qu’effectivement, il tenait à ce que sa femme soit le mieux portant possible, il pensait également que les faire exécuter dans les jours imminents ne lui laisseraient pas assez de temps pour profiter d’eux, afin de leur faire payer à la mesure qu’il avait convenu les crimes qu’ils avaient commis. Cela son esprit n’en avait guère conscience, car il ne s’intéressait pas à la question; mais il n’en aurait jamais assez, parti comme il était. Il n’aurait de cesse de les martyriser, et aurait encore soif de vengeance même lorsqu’ils seraient réduits à de petits tas de chair morcelée et sanguinolente, incapables de pousser
le moindre cri, réduits à pire que morts. Autant dire que ce délai, objectivement, était vain. Mais ça, il n’en avait aucunement conscience, il ne le découvrirait qu’après celui-ci écoulé.

A sa demande, il finit par quitter la fenêtre. La question était claire, bien que pas formulée entièrement. Il fut un peu étonné. Etant donné l’inquiétude qui régnait autour de la santé potentielle de l’enfant, il avait pensé qu’au contraire, elle aurait vérifié en permanence, et se serait enquise un maximum des évolutions de son état et des répercussions qu’il pouvait avoir sur la graine de vie qui germait en elle. Il ne fit aucune remarque, notamment parce qu’il la comprenait, sur l’instant. Et que les angoisses avaient été si nombreuses que paniquer sur cela en sus du reste eût été plus nocif qu’autre chose pour le petit, ou la petite, à terme.

Il se rapprocha donc à nouveau d’elle, et posa les mains sur ses épaules dans un premier temps. Après un premier regard, un peu grave, il baissa les yeux vers son ventre, glissant ses paumes au même rythme vers le lieu où siégeait leur futur enfant. Il agrippa d’abord le tissu pour glisser ses mains dessous, puis remonta jusqu’à la peau chaude et ici, parfaitement lisse, caressant avec une légèreté calculée l’épiderme sans défaut. Du bout des doigts, puis plus franchement, les paumes collées à son ventre. Il était plus ou moins, à dire vrai, dans la même situation qu’elle, en fait. Pas qu’il eût choisi de ne volontairement plus s’intéresser à son ventre et à l’évolution de sa grossesse, mais elle était forcée de se mettre sur le dos pour dormir, et le reste du temps, lorsqu’ils se lavaient, leurs deux esprits étaient par bien trop souvent accaparés pour qu’ils y pensent. Alors oui, il la ressentit, cette différence. Ce renflement, absent sous son plexus, mais plus sensible au niveau du nombril, créant un dénivelé qui n’était pas là quelques semaines plus tôt lorsqu’il redescendit vers son bas-ventre. Les yeux baissés vers son affaire pour se concentrer dessus, il les releva, un sourire en coin se dessinant aussitôt sur ses lèvres.

«Il grandit. Il appuya légèrement de la pulpe de ses doigts autour du renflement. Je peux le sentir. Je ne sens pas de mouvement, mais il y a de la vie à l’intérieur, c’est certain. Il aplatit ses mains et les glissa autour de ses hanches pour l’attirer contre lui. Rassure-toi. Je pense que tout est en bonne voie. Les dieux semblent nous accorder répit et bénédiction.»

Il la garda un moment ainsi, contre lui, savourant simplement, dans un complet silence à peine brisé par leurs respirations respectives, le soulagement qu’il ressentait au contact de la chair qui enflait petit à petit sous les tissus. Bien que rien ne soit encore joué, il était bien aisé d’admettre que cela se présentait bien. Et si cela continuait ainsi, ce dont il refusait de douter, alors cela leur ferait une préoccupation de taille en moins.

Il finit par s’écarter d’un pas seulement, maintenant ses mains à leur position.

«Ce soir nous passerons la soirée ensemble, je n’ai guère plus de travail. Si tu le sens, nous pourrons monter sur les remparts, ils sont aisément accessibles, et je pourrai te faire montre plus facilement des frontières du domaine ainsi que de sa composition, en contrebas. L’on y voit bien même de nuit. Qu’en dis-tu ?»
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