-Encore un effort, vous y êtes presque.
-Je ne fais que ça...gémit la femme en nage après plusieurs heures de travail. Ce n'était pas sa première maternité mais l'accouchement s'avérait cette fois-ci plus compliqué. Et pour cause. Ce ne fut pas un, mais deux beaux bébé qui poussèrent leurs premiers cris.
-Les portraits de leurs parents.
La mère épuisée regarda ses fils, avant de tourner la tête le visage radieux vers son mari. Si les garçons survivaient à leur première année, ils deviendraient à n'en pas douter aussi grand que leur père. Serus leur avait accordé une nouvelle fois sa bénédiction contrairement à la famille noble pour qui travaillait son homme. Elle avait de la peine chaque fois que le ventre de la jeune maîtresse s'arrondissait et qu'aucun enfant ne venait égaillé leur foyer assurant ainsi la pérennité de leur lignée.
-Ne me regarde pas comme ça, femme, je suis obligé de le lui faire savoir. Nous habitons leur terre. Cela me navre autant que toi, tu le sais bien. Je suis sur que les Trois finiront par lui accorder ce bonheur.
Deux ans plus tard, l'enfant tant attendu arriva enfin au domaine. Un beau poupon tout rose et tout joufflu. Je n'ai qu'un vague souvenir des six années suivantes. Tout ce dont je me rappelle c'est qu'il fallait faire très attention quand nous jouions tous les trois ensemble. Nous étions de jeunes enfants turbulents et plein d'énergie. Mon père ou la nourrice nous répétaient sans cesse de faire attention à Alric. Nous ne comprenions pas très bien la raison à cette époque. Pour nous c'était un petit garçon qui ne demandait qu'à avoir des compagnons de jeu.
-Où cours-tu comme ça Aeldric ?
« Voir Alric » répondis-je joyeusement .
Les habitants du domaine avaient l'habitude de nous voir souvent fourré les deux ensemble. Mon ami se sentait bien seul et moi, j'avais besoin d'être avec une autre personne que mon jumeau.
-Pas aujourd'hui mon fils.
« Mais j'ai fait toutes mes corvées. »
-Je le sais. Vous n'êtes plus des enfants pour passer vos journées à jouer. Alric devra succéder un jour à son père il a besoin d'apprendre...Ton frère et toi aussi d'ailleurs.
« Mais... »
-Tu comprendras quand tu seras plus grand fit mon père en ébouriffant ma tignasse indisciplinée avant de me laisser partir, profiter d'un dernier moment d’innocence.
Au cours des années suivantes, je n'eu guère de temps à moi. Alric non plus d'ailleurs. Nous suivions tout deux les chemins que nos pères avaient tracé pour nous. Et bien que cela accentua notre différence de rang social notre amitié s'en trouva que plus forte. A cette époque on pouvait encore se permettre de rêver à refaire le monde à notre façon. Je suivis quelques enseignements avec son précepteur particulier, qui eut l'audace de demander un jour à mon père de me prendre avec lui au monastère pour recopier des ouvrages sacrées. J'étais doué, je n'y pouvais rien, et puis j'étais avec Alric qui lui ne s'y intéressait guère préférant les leçons en extérieur. J'étais son complice quand il devait rendre certains devoirs. Une fois l'épisode du moine passé, je dois reconnaître avoir été grandement soulagé que mon père refuse fermement la proposition du moine. Je ne me voyais pas passé le restant de mon existence enfermer entre quatre murs. Ma famille avait toujours été très croyante, mais sur ce point là, on me laissait me faire à ma propre idée.
*****
Je devais avoir dans les quatorze ans lorsque se produisit un événement qui décida surement mon père à me former, mais ça je ne devais l'apprendre que plus tard. Mon père et le seigneur étaient absent, c'étant rendu à la capitale pour affaire. Il avait plu à cette époque là durant près d'une semaine et le jeune maître avait pris froid. Le ciel était si bas qu'il était difficile de savoir si c'était le jour ou la nuit. Un simple rhume qui au départ le faisait parler d'une voix du nez, lui qui avait d'habitude la voix si claire, le cloua au lit tremblant et brûlant de fièvre. Personne n'osait braver les éléments pour aller chercher le guérisseur au village. Pas même sa mère.
« Alors vous aller le regarder mourir ? » fit-je, la regardant avec mes grands yeux bleus sombres. Je ne pensais pas une seule seconde lui faire affront. Tout ce que je voyais c'était mon ami qui s'affaiblissait de jour en jour. Il est vrai qu'il avait toujours eu la santé fragile. Mais il était aussi l'héritier. Et ça mon père me l'avait assez souvent répété pour que je comprenne qu'un seigneur sans héritier c'était synonyme d'une extinction de lignée.
-Il est entre les mains des Trois murmura-t-elle l'esprit visiblement ailleurs.
« C'est votre fils unique, votre héritier, et... »
Ma mère, à cet instant entra dans la pièce comme une furie, je ne lui connaissais pas cette expression, et s'excusa sur ma conduite et me donnant au passage une taloche.
-Non votre fils a raison. Mon époux ne me pardonnerait pas d'avoir abandonné son unique enfant. Qu'il aille lui même quérir le guérisseur.
C'était une façon de me faire payer, j'en étais presque certain. A moins qu'elle ne teste mon courage ? Je vis l'expression horrifiée de ma mère, pour elle c'était m'envoyer à la mort, mais ma décision était prise. Il fallait tenter de ramener le vieux guérisseur. Je sellais la vieille jument docile, elle me connaissait, et je connaissais son tempérament. C'était une vieille bête qui avait déjà eu une vie bien remplie et qui ne demandait qu'à faire un peu d'exercice de temps en temps, comme elle ne tarda pas à me le prouver en répondant aux injonctions de mes cuisses contre son flanc. Je frappais de longues minutes contre le bois de la porte avant que le guérisseur ne l'ouvre de mauvais poil.
-Ca ne va pas de tirer les gens de leur sommeil aussi brutalement ? Qu'est-ce qui te prend gamin ?
Il me regardait d'un drôle d'air, cherchant à savoir si j'allais ou non lui parler. J'avais envie de lui répondre assez méchamment pour le coup. A quoi devait-il s'attendre ? Il savait guérir. Normal qu'on vienne le voir n'importe quand. Là il s'agissait d'une urgence.
-T'es le fils de l'intendant des Claireaux, qu'est-ce que tu veux ? Tu sais qu'il est tard...
« J'ai pas le temps de discuter, monsieur, on a besoin de vous. Alors venez avec moi s'il vous plait. »
Il me fallait le convaincre. Je n'avais pas le choix. C'était ma seule option. Je n'avais pas encore la force physique pour le traîner de force jusqu'au domaine. Je le pressais un peu au moment de prendre ses affaires allant même jusqu'à seller sa bourrique. Le trajet retour fut d'une lenteur...j'étais trempé, glacé jusqu'au os, mais j'avais réussi.
A partir de là, mon père se rapprocha de moi d'une bien étrange façon. Jusqu'à présent, il n'avait jamais voulu que j’apprenne à me servir d'une arme. Bien entendu j'avais déjà fait quelques passes avec Alric, mais c'était simplement pour lui servir de partenaire, d'avoir quelqu'un à battre. Je ne tenais que l'épée et lui récitait ses attaques jusqu'à me désarmer sans avoir le droit de tenter quelqu'un chose. Un jour pourtant je fis un simple mouvement et depuis mon père avait pris la décision de ne plus mettre une arme entre mes mains. Jusqu'à maintenant. Il me tendit une épée. Une véritable épée de chevalier.
« Je peux ? »
Ma main était encore celle d'un adolescent pourtant le contact de ma paume contre la poignée fut des plus agréable. Je regardais mon père, encore indécis sur le sort qu'il me réservait. Du bout des lèvres il m'encouragea à faire quelques passes.
« Elle est parfaite père. A qui appartient-elle ?» J'avais bien des questions à lui poser. Je ne comprenais pas pourquoi il avait attendu tant de temps pour m'apprendre. Il me sourit.
-Je ne voulais pas faire d'erreur avec toi, perturber ta croissance tu comprends. Tu me ressembles beaucoup. Je vais répondre à cette question que tu n'oses pas dire. Elle m'appartient, elle m'a toujours appartenu. Je te la donnerais quand tu en seras digne. Et fermes moi cette bouche tu vas finir par avaler une mouche.
Et il me raconta son histoire. Toute son histoire. Il était chevalier de messire Thibault autrefois, amenés souvent à faire la guerre pour lui et avec lui. Il avait abandonné son titre pour se consacrer au développement du domaine de son seigneur ce qui lui avait permis de fonder sa famille.
« Alors j'aurais pu être un chevalier... »
-Peut-être. Ce qui est fait est fait. On ne peut revenir en arrière. Tout ce que je sais c'est que nous avons réussi grâce à cela à préserver nos terres. Comprends-tu cela ?
Evidemment que j'étais un peu jaloux. Qui ne voudrait pas vivre entourer de gens pour le servir et subvenir au moindre de ses besoins ? Mon père me regardait sévèrement. Je n'avais pas su retenir le fond de ma pensée preuve qu'il me restait encore beaucoup à apprendre.
« Père, je ne vous décevrais plus »
Je ne savais pas dans quoi je m'engageais, mais je sentais que cela tenait énormément à mon père. Il me donna rendez-vous à l'aube pour m’exercer. Ce qui allongeait d'autant la longue liste des mes apprentissages.
-Tu ne crois pas que c'est trop pour lui Gontrand ?
Mon père et ma mère s'aimaient comme au premier jour de leur rencontre. Nul besoin de se parler pour savoir ce que ressentait l'autre. Sa femme se faisait du souci pour son fils, il lui sourit la serrant dans ses bras.
-Il n'a pas l'air de se plaindre en tout cas. Et tu sais, je l'envie parfois. Il me surpasse largement. Lui apprendre l'épée lui fait le plus grand bien. Il n'attendait que ça. Je l'ai vu dans son regard. Ne t'inquiète pas, il va prendre du muscle, il n'aura pas ma largeur d'épaule c'est certain, mais il deviendra un bel homme.
Ma mère se blottit contre lui tout en l'écoutant elle le titillait gentiment.
-Alric aura besoin de quelqu'un pour veiller sur lui quand sa santé lui jouera à nouveau des tours. Et tu sais comme moi comme l'héritier est fragile. Par contre promet-moi de garder ce secret, Thibault sait qu'Aeldric sera le domestique de Alric plus tard, mais pas encore que j'ai fait en sorte qu'il apprenne plus que nécessaire à sa fonction.
-Alors arrête d'en parler et occupe toi de moi.
*****
Au début personne n'avait osé croire à la rumeur, surement une histoire de fou ou de drogué. C'était le début de l'été 1164. Mais les témoignages affluaient d'endroit si distant qu'il devint presque impossible d'ignorer le fléau. Il fallait se rendre à l'évidence et réagir avant qu'il ne soit trop tard. Jusqu'à ce qu'une des bêtes fut repérée un mois et demi plus tard à quelques lieux du domaine. Le Seigneur ne voulait prendre aucun risque. Sauver son unique enfant.
-Gontrand ! Tu partiras dans dix jours avec mon fils pour le conduire chez une parente éloignée, Madame de Restellis . Je lui ai envoyé une lettre il y a quelques jours pour la prévenir de sa venue.
La chose qu'il avait de plus chère au monde. Il ne laisserait pas les bêtes le lui prendre. Hors de question. C'était tout ce qui lui restait après la mort de sa femme en couche quatre années auparavant. Qu'importe s'il devait demander à son meilleur ami de sacrifier sa propre famille pour le mettre à l'abri. Je me rappelle alors avoir vu mon père devenir tout pâle à cette requête. Je le vis lutter, trembler, puis se résigner. C'était cruel de comprendre tout à coup ce que les serments obligeaient à faire. Je me sauvais, honteux, d'avoir été le témoin involontaire de cette conversation que je croyais, à tord, terminée .
-Je sais que tu as abandonné les armes depuis longtemps pour devenir un vrai intendant. Je te demande aujourd'hui de les reprendre. Il n'y en avait pas deux comme toi à l'époque pour fendre un homme d'un seul coup. Rappelle-toi les chiens fous que nous étions alors...
-Justement. C'est ensemble que nous sommes forts. Nos garçons s'entendent à merveille...surtout Aeldric...comme nous à notre époque. Je l'ai formé à ce rôle depuis qu'il est tout petit. C'est un bon petit gars.
-A mon insu.
-Je l'admet Thibault. Il le fallait. Je ne suis plus tout jeune. Je ne serais pas là pour veiller sur lui éternellement. Alors je l'ai fait avant qu'il ne soit trop tard.
-Vous avez toujours eu un don pour anticiper.
Deux jours plus tard mon père me prit à part alors que je m'occupais de ma monture.
-Aeldric...j'ai besoin que tu m'écoutes attentivement. Ne m’interrompt pas.
Je sentis au ton employé qu'il avait quelque chose de grave à m'annoncer, je pressentais même le sujet de la conversation.
-Ton frère et toi, vous accompagnerez le jeune maître quand il ira rejoindre sa tante qui habite très loin à l'Est d'ici. La ville se nomme Marbrume. Je ne te cache pas que le voyage risque d'être long, mais vous devez partir. La malédiction gagne du terrain de jour en jour. Vous êtes l'avenir tu comprends. Là-bas vous serrez en sécurité.
Je ne voyais rien d'autre à dire. C'était la suite logique de ce que j'avais entendu. Et apparemment mon père avait décidé de nous emmener avec lui.
« Et mère ? »
-Nous vous rejoindrons plus tard, une fois les derniers détails réglés ici. Je te confie Alric. Promet-moi de le protéger, de...
« De faire comme toi avec messire Thibaut ? »
La fierté se lisait dans le regard de mon père qui comprit ce jour-là que je n'étais plus un petit garçon. Il me serra contre son torse puissant. Un élan d'affection soudain qui me surpris. Je savais qu'il nous aimait même s'il ne le montrait que très rarement restant la plupart du temps froid et distant.
-C'est bien ça fils.
Je hochais la tête silencieusement. Le dur labeur de ces dernières années prenait enfin sens. J'avais toujours pensé qu'il m'avait infligé un tel traitement pour me punir d'être aussi proche du jeune seigneur. Mais en réalité c'était tout le contraire. C'était à cause de cette proximité qu'il avait choisi de me transmettre son enseignement plutôt qu'à mon frère aîné ou à mon jumeau.
Huit jours s'étaient écoulés. Les préparatifs du départ achevés, mon père me remit la fameuse épée dans son fourreau soigneusement emballée dans une peau. Et me donna une accolade. C'était des adieux mais personne ne prononça ces mots. La veille au soir, dans le plus grand secret, un prêtre m'avait fait promettre de protéger et servir Alric devant nos pères pour seul témoin. C'était officiel devant les dieux à présent. Mon jeune maître apparut alors, croulant sous le poids de son armure et de la couche épaisse de vêtement qui le recouvrait, je lui adressais un petit sourire, et il se redressa. Les hommes qui nous accompagneraient, avaient été soigneusement choisi pour leurs compétences martiales et leur loyauté. Parmi eux mon jumeau. Si à la naissance il était bien difficile de nous distinguer, nous n'avions pas grandi de la même façon. J'avais poussé tel un épouvantail comme le disait ma mère qui râlait de la fréquence à laquelle elle devait changer ma garde-robe alors que mon jumeau s'était épaissis. J'espérais tout de même que Alric n'allait pas trop faire de caprice n'aimant point être privé trop longtemps de son confort. Ça serait en grande partie mon rôle durant ce voyage.
Les premiers jours tout se passa bien. La troupe était d'humeur joyeuse et Alric se montrait digne des attentes de son père, commandant avec fermeté tout en respectant la sensibilité des hommes, moi y compris. C'était surtout parce que nous arrivions à loger au sec dans des auberges. Enfin moi et Alric du moins, car plus nous avancions vers l'Est plus les routes étaient chargées d'exilés.C'était la grande aventure pour les deux jeunes gens que nous étions alors. S'il y avait une animation nous en profitions. Les langues se déliaient avec l'alcool. On parlait beaucoup des créatures. On racontait même qu'elles se délectaient de chairs humaines fraîches. Mais quel crédit accorder à des dires d'ivrognes ? Je restais perplexe.
-Aeldric, fit mon frère un après-midi alors que nous chevauchions, on ne peut plus continuer à fréquenter les auberges. Il y a trop de monde, messire Aldric avec sa belle trogne attire trop l'attention au milieu de tout ces malheureux. Ça risque de poser problème...On ne fera pas le poids face à autant de monde. On doit sortir des grandes routes, ça rallongera peut-être le trajet, mais on croiserait peut-être moins de monde. Toi aussi d'ailleurs tu as une tête de '' précieux ''. Je lui filais un coup de coude pour la forme. Je savais qu'il appuyait sur la corde sensible. J'avais toujours pris soin de mon apparence, prenant modèle sur Alric, pour être digne de lui en vérité. J'avais même longtemps porté les cheveux longs, mais bien vite je m'étais résolu à les porter courts. Je me portais à hauteur de mon seigneur. C'était à lui que revenait de prendre une telle décision. Pas à moi. Je lui soumis l'idée. Il prit quelques minutes pour réfléchir avant de me répondre les yeux rieurs.
-Je n'ai jamais dormi sous la tente et vous ?
C'était bien tout Alric, de répondre par une autre question. Loin du cocon familial, et malgré que cela signifiait d'abandonner son confort, il était aussi libre de faire ce qu'il voulait sans avoir quelqu'un pour le lui interdire parce que cela ne convenait pas à son rang. J'avais envie moi aussi de sortir de cette routine. Dormir à la belle étoile serait surement amusant.
Pas si amusant que ça en fin de compte. Surtout quand les éléments sont contre vous. Il faisait froid. Alric était frigorifié malgré les nombreuses épaisseurs de fourrure. Je lui avais même donné les miennes. Je me réchauffais les mains sur le petit brasero avant de sortir voir mon frère pour lui demander une couverture. Il me conseilla alors de dormir avec lui. Je le regardais faisant semblant de ne pas avoir compris. Ce qu'il sous-entendait était malsain. Mais je passais quand même la nuit allongé sur les couvertures contre Alric.
Seul au monde au milieu des marécages nauséabonds. La cage qui me retenait prisonnier serait ma tombe, j'en étais persuadé. Ils étaient tous morts. Les bandits. L'escorte. Et mon ami...Comment j'en étais arrivé là ? Tout simplement parce que nous nous étions perdus dans les marais. Ou plutot l'homme qui nous avait renseigné sur la direction à suivre était en fait un rabatteur. Nos tenues avaient trop attiré l'attention. Nous ne ressemblions pas aux pauvres gens qu'il avait du voir auparavant. La bande, bien rodée, nous était tombée dessus juste avant la nuit. Carreaux d’arbalètes ou flèches avaient transpercé les membres et les armures, avant que le combat ne débute vraiment. Très vite le groupe fut séparé en deux. Ce fut un véritable massacre. Méthodique. Vers la fin il ne restait que les plus valeureux défendant Alric. Il reçut une vilaine entaille a la jambe. Le malotru qui avait osé s'en prendre à mon seigneur perdit sa tête l'instant d'après. Mais en vain. J'étais le seul encore debout avec Alric. L'acier mordit violemment mon épaule droite, entaillant en diagonale la chair tendre, m'arrachant un cri de douleur.
Le chef de la bande nous intima l'ordre de le suivre en insistant bien sur le fait qu'il était inutile de tenter de lui fausser compagnie. On marcha. Combien de temps ? Vers où ? Je n'en avais aucune idée. Tout se ressemblait. Et l'odeur...insupportable...On finit par arriver dans un endroit plus ou moins dégager. Et on nous enferma dans une grande cage sans prendre le temps de vérifier nos blessures.
Les créatures. Elles arrivèrent deux nuits plus tard. Flairant sans doute un copieux repas. Ce fut un véritable carnage. Un homme fut projeter à plusieurs mètres avant de retomber contre un arbre les membres formant des angles anormaux. Un autre fut dévorer vivant. J'espérais que le métal soit suffisamment solide pour les retenir. Une ou deux s’intéressèrent à nous. Elles essayèrent de nous atteindre, ça les rendaient folles de ne pas pouvoir nous avoir. En restant debout et immobile au milieu de la cage leurs membres ne nous atteignaient pas.
Alric s'affaiblissait. Sa blessure était mal située. Au moindre mouvement il se remettait à saigner. Et comme nous redoutions la nuit, nous les passions debout appuyé l'un sur l'autre. Ce qui n'arrangeait rien. J'évitais pour ma part de trop songer à mon épaule. Je n'avais pas le courage de regarder les dégâts.
-Mon ami, je n'ai plus la force. Laissez-moi partir rejoindre ma mère.
« Ne dites pas cela. »
-Cessez donc. Vous avez été un compagnon fidèle. Je ne suis pas aussi crédule que mon père. Ma blessure est sérieuse. Je me vide de mon sang, un peu plus chaque jour qui passe. Je...Non laissez-moi terminer. Madame de Restallis ne sait pas à quoi je ressemble. Elle n'est qu'une parente très lointaine, mon père l'a simplement informé de la naissance d'un garçon.
« Nous allons nous en sortir. »
-Non. Aeldric, souvenez-vous quand nous étions enfants, personne n'arrivait à savoir quand nous échangions nos places. Je dois avouer que j'ai toujours apprécié vivre une autre vie. Prenez ma place. Ce n'est qu'un juste retour des choses. La vie que votre père à sacrifier je vous l'offre. Tachez de ne pas vous faire percer à jour.
Assis je le tenais dans mes bras. Je racontais des histoires. Je le revis tel qu'il était enfant, avant que nos chemins ne se séparent. Il expira dans mes bras. Je le pleurais. De longues minutes s'écoulèrent avant que je ne me décide à le déposséder de son manteau où était soigneusement brodée ses armoiries.
Une patrouille de la milice d'exploration tomba sur un véritable charnier. De larges marques de griffures sur des cadavres à moitié dévorés. Voilà ce que la patrouille pouvait voir. Aucune trace de vie à l'horizon. Un milicien s'approcha de la cage sans doute attiré par cette présence insolite au beau milieu du marais. Un coup d’œil rapide lui révéla seulement le cadavre de deux jeunes hommes. Jusqu'à ce qu'un faible râle soulevant ce qu'il prit pour une vulgaire couverture, attire son attention.
-Héy les gars venez m'aider, y'a quelqu'un de vivant là-dedans !
Après quelques coups sur la porte, on découvrit que le seconde jeune homme était toujours vivant bien qu'affaibli par un manque de nourriture et une sale blessure à l'épaule. Ce que l'homme avait pris pour une couverture se révéla être un manteau portant un blason. Le coutilier ne manqua pas ce détail. Et la troupe regagna fissa la sécurité des remparts avec leur précieuse trouvaille. On arrachait pas tout les jours un sang-bleu au marais!
*****
J'ignore comment mais lorsque je repris connaissance j'étais dans une grande chambre. Dans un lit propre et moelleux. Aeldric était devenu Alric. Personne ne devait le découvrir. De mon ancienne vie il ne me restait que mon pendentif et l'épée de mon père.