De l'agneau qui montre les crocs [PV Xandra]

Il s’en était fallu de peu. Mais même les être en apparences les plus faibles font parfois preuve de ressources insoupçonnées.

    Voilà plusieurs semaines, peut-être un mois qu’Haral pensait ses plaie, l’esprit sans cesse tourmenté par les réminiscences de cette rencontre tragique. Il dormait peu et ne mangeait presque plus et lorsqu’il y parvenait c’était toujours avec sa dague à la main, pour finir par se réveiller en sueur, les doigts crispés sur le manche d’une arme qu’il ne maîtrisait pas, les phalanges blanchies par la colère et la peur.

    Trop c’était trop, le rebouteux avait fait du bon boulot et son corps guérissait convenablement, pas aussi vite qu’il l’aurait voulu mais sa cicatrice était propre, nette malgré les douleurs qui persistaient. Après des semaines assis seul dans sa tanière sans parler ni voir le jour la solution s’imposait d’elle-même, il vaincrait le mal par le mal ou bien sombrerait dans un abîme de folie dont il ne pourrait jamais s’extraire. C’est de ces choses auxquelles il s’était toujours soustrait, lui qui demeurait délicat et égal allait devoir s’armer de hargne s’il voulait s’en sortir indemne, ou presque.

    Un matin à l’aube, car il craignait désormais de quitter la protection de son repaire une fois la nuit tombée, Haral se rendit jusqu’au port dans l’une des tavernes qui l’employait de temps à autre, bravant les trombes d’eau qui s'abattaient sur la ville de son humeur maussade, comme s’il s’adressait aux Trois eux-mêmes pour leur dire que ces petits désagréments n’auraient désormais plus d’importance, et que l’ouragan qu’il s’apprêtait à affronter serait autrement plus violent que ces ridicules pets de filles. Mais il était parmi les seuls à oser braver les vents qui s’engouffraient dans les ruelles en hurlant, traînant derrière eux leurs cortèges de débris en tous genres.

    La taverne était bondée, rien d’étonnant par ce temps là, qu’avaient-ils donc à faire d’autre que de boire en priant pour que les Dieux soient cléments et que cesse cette tempête? Probablement rien de bon.

    Assis seul à sa table, le regard perdu dans la bière trouble qui moussait entre ses mains, le barde s’imprégnait de l’essence de ces lieux qu’il connaissait tant, de l’odeur du sel qui s’incrustait partout ici, des sons des rires des marins désoeuvrés en ce jour maussade. Tout ici lui était si familier, et finalement il se sentait plus en sécurité ici que nulle part ailleurs, au coeur même de ce qui était toute sa vie.

    “Bah alors Mortenuit t’en fais une tête, on dirait que t’as vu un fantôme! T’as pas d’ennuis j’espère?”

    Dans le tumulte de l’auberge pleine à craquer le patron s’était avancé sans bruits, le barde sursaute et éparpilla une bonne partie de sa bière sur une table et un sol qui en avaient déjà vu passer bien d’autres.

    “Ah. Bien le bonjour Maître Jehan! N’ayez crainte messire, je n’ai point de spectre aux trousses, néanmoins j’aurais éventuellement besoin d’un maître d’armes. Et en cela messire vous pourriez m’être d’une aide certaine, vous qui savez généralement tout et connaissez tout le monde, nul doute que vous saurez trouver la bonne personne afin d’amorcer cette noble entreprise.”

    Dehors, à travers le verre mal poli et sale, l’on pouvait assister aux difficultés d’un navire que la tempête empêchait d’accoster. Ces marins étaient probablement sortis en mer il y a quelques jours et venaient de se faire surprendre par les vents de plus en plus violents et les trombes d’eau qui déferlaient sans cesse.

Ce que Xandra faisait dans une taverne du Port à cette heure du jour ? Personne ne le sait, elle non plus d’ailleurs.

Elle avait erré comme une âme en peine tout la matinée, ruminant tout un tas de choses plus insignifiantes les unes que les autres. Si la rousse se moquait pas mal de la pluie, le vent et le ciel menaçant avait eu raison de son envie de crapahuter et elle était entrée se mettre à l’abris dans la première auberge venu.

Il lui arrivait de temps à autre de venir marcher sur le Port. Si les navires avaient évolués dans le paysage, les cris des marins et la mer, elle, n’avait pas changé. Ca faisait du bien, Xandra craignait parfois d’oublier comme était la vie avant, tant celle là lui demandait d’efforts. La coutilière se fraya un chemin tant bien que mal jusqu’au bout du comptoir ou elle s’accouda.

Comme d’habitude elle s’attirait des regards. Beaucoup et tous très différents. Une femme soldat ça faisait rire, ça agaçait, ça en excitait d’autre. Pis elle avait hérité du jolie minois de sa mère et des yeux clairs de son père. Bien des marins avaient envie de s’y noyer même si son “succès” avait été revu à la baisse depuis que des larges cicatrices abimaient son visage et son torse. Ca l’arrangeait bien. Il y avait aussi ceux qui n’aimait pas bien que poil de carotte se pointe dans un bar d’homme.

Pour l’heure, quoiqu’il en soit, on la laissait tranquille. Elle savait se faire oublier. Ou pas.

- Une bière s’il vous plait.

- Vous seriez pas Dame Erkal par hasard ? finit par demander le tavernier de l’autre côté du bar.

- Dame c’est un bien grand mot. Coutilière ou milicienne fera l’affaire.

- J’ai entendu parler de vous vous savez…

La pinte remplit l’homme revint vers elle, amusé par l’expression traqué de la jeune femme.

- En bien, faites pas cette tête ! C’que vous avez fait au Labret on en parle encore de temps à autre, ça meuble bien les conversations.

- Ravis de vous être utile. Je peux avoir ma bière maintenant ?

- Oh oui, bien sur.

Elle avait remercié le tavernier d’un signe de tête quand il avait posé la pinte moussante devant elle avant de le suivre des yeux, il avait visiblement bloqué sur un visage familier et la curiosité légendaire de Xandra n’avait pas faillit.

Se tournant pour le voir s’arrêter à une table, la rousse fronça les sourcils. Le type assis là, seul, avec qui il discutait avait le même air maussade que le sien et lui était familier. Mais Xandra était bien incapable de se souvenir pourquoi. Alors qu’elle s'apprêtait à regarder ailleurs, elle vit le tavernier la pointer du doigt.

Quoi encore ?

C’est que l’homme se disait que la rouquine, elle connaîtrait surement quelqu’un à même d’aider le barde, peut être même elle en personne après tout, même si elle était une femme elle savait se battre de ce qui se disait. Aussi avait-il conseillé à son vis à vis d’aller voir la jeune femme, bien qu’elle n’ait pas l’air très commode...

“Oh je vois, sale affaire Mortenuit? T’es pourtant pas du genre à t’attirer des ennuis. Maint’nant que tu m’en parle, me semble que la donzelle attablée là bas s’est récemment illustrée au Labret, poil de carotte qu’ils l’appelaient les gars, des salauds si tu veux mon avis, paraît qu’elle vaut pas son pareil au combat. Pour sur que si tu cherches un maître d’armes, c’est ton homme, enfin presque.”

    Le Labret? Oh Tiphaine… À voir la mine maussade et renfrognée de la milicienne, il n’était pas le seul à avoir connu son lot de mésaventures en ces terres impies. À moins qu’il ne s’agisse de tout à fait autre chose, auquel cas il serait vite fixé et l’affaire serait réglée. Reposant sa chope Haral se leva après avoir remercié le tavernier.

    “Eh bien messire encore une fois je vous suis redevable, et peut-être de bien plus que vous ne pourriez l’imaginer soyez-en certain. En guise de remerciement je me propose d’animer une soirée dans votre noble enseigne messire, et ce gracieusement, je saurais me contenter des pourboires desquels me couvriront votre ô combien prestigieuse clientèle!”

    Elle était plutôt jolie la rouquine, mais semblait d’humeur peu bavarde, voir complètement morose. Qu’importe, Haral avait un bon pour dérider et débrider les gens, il ne manquerait pas d’en faire preuve une fois encore. Arriverait-il à insuffler ne serait-ce qu’un soupçon de joie dans la milicienne que cette journée serait dores et déjà une franche réussite. Pour le reste eh bien il en irait de fermes négociations.

    Dehors les vents avaient redoublé de violence, secouant en tous sens le navire qui tentait tant bien que mal son approche, la sachant vouée à l’échec. Parmi les clients quelques sourcils se levaient, à la fois étonnés et inquiets. Ce capitaine devait avoir une sacré bonne raison de vouloir accoster par ce temps déchaîné.

    S’asseyant à la table de la rousse, Haral tenta de faire fi de sa morosité et des souvenirs qui l’assaillaient continuellement pour faire bonne figure, et se munir de son plus beau verbe.

    “Bien le bonjour gente dame! Que voilà une journée à rester enfermé et broyer du noir dans de la bière bon marché n’est-ce pas? Foi de barde, je ne m’imagine pas grimper sur un toit pour conter fleurette aux pigeons aujourd’hui, pas même n’aurais-je l’audace d’imaginer une telle entreprise, ça non! Mais trêve de babillages, permettez moi de me présenter à vous ô noble guerrière, gardienne de notre belle cité. Je suis Haral Mortenuit, barde et ménestrel de son état, conteur invétéré et musicien connu et reconnu. Pour vous servir naturellement très chère!”

    Une fois n’est pas coutume, le barde assortit sa tirade d’une révérence largement exagérée et pris la liberté de commander deux chopes supplémentaires.

    “Tout d’abord permettez moi de vous offrir un verre, et ne vous méprenez pas sur mes intentions gente dame, celles-ci ne sont que purement professionnelles je vous l’assure! Mais avant que nous ne nous aventurions plus avant dans cette discussion, bien que sois enchanté, que dis-je, comblé de vous rencontrer ma mie, je le serais encore plus si je savais à qui j'ai l’honneur de faire face!”

Le visage fermé, Xandra observa l’homme approcher. C’était quoi cette fois ? Par instinct elle parcouru la grande salle des yeux, personne d’autre ne semblait vraiment lui prêter attention. La rousse réfléchissait déjà à la manière la moins désagréable de le renvoyer dans ses pénates parce qu’il y avait quelques chose chez lui qui lui était sympathique.

Elle ouvrit la bouche, sa réplique trouvée mais l’homme la devança. A défaut de pigeon et de toit il comptait lui compter fleurette à elle dans un bar miteux ? Apparement non. Il n’était pas très difficile d’obtenir l'attention et la sympathie de Xandra. Il suffisait de réveiller sa curiosité ou de lui proposer de jouer. Il avait opté pour la première solution, surement sans vraiment le chercher, mais le fait est qu’elle accepta.

- J’accepte volontiers de boire un verre en votre compagnie, Haral, puisque vous êtes là pour autre chose que je me jouer une ritournelle. Encore que j’apprécie la musique, ne vous méprenez pas non plus.

La rousse pivota un peu sur son siège, affichant à présent un sourire amusé, pour lui faire face, sa posture un peu fermé changeait doucement à mesure que la jeune femme se détendait.

- Vous ne me connaissez pas mais sous semblez avoir besoin de moi, en ma qualité de milicienne peut être ? Je suis la coutilière Xandra Erkal de la milice extérieure, enchantée.

La rousse lui tendit la main alors que le tavernier revenait déjà avec les verres.

     Une poignée de main ferme et délicate, pour une entrée en matière du plus bel effet. Se prenant au jeu des mots qu’il affectionnait tant, Haral en oublia un temps ses tracas et son humeur maussade. Simplement pour boire une bière en bonne compagnie.

    “Une coutilière? Par tous les Saints gente dame je ne savais pas que j’avais à faire à un si illustre personnage! Que dis-je! L’étendard même de cette nouvelle milice qui se bat corps et âme contre ces démons impies qui voudraient nous dévorer! Je suis enchanté, vraiment!”

    Versé qu’il était dans l’art de courtiser les plus grands Haral n’en frayait pourtant que rarement avec la Milice, la faute à un penchant pour les babillages qui avait tendance à remonter comme une pendule le soldat moyen, et qui lui avait valu quelques frayeurs en de rares occasions. Non seuls les plus grands étaient en mesure d’apprécier son verbe à sa juste valeur, bien que le petit peuple s’en amuse allègrement et c’était tant mieux. Les soldats eux étaient trop sérieux, ou trop bêtes, mais cette dame là semblait digne d’intérêt et trouver l’exercice divertissant. Ce qui lui remonta d’autant plus le moral.

    “J’ai bien une requête à vous soumettre noble guerrière. Voyez-vous j’ai récemment connu quelques déboires fort malencontreux qui me poussent à craindre pour ma sécurité, c’est que ma propre vie m’est très précieuse voyez-vous ma mie. Aussi j’aurais besoin, contre rémunération il va de soi, des services d’un maître d’armes. Et qui d’autre qu’un soldat haut gradé tel que vous Milady ferait mieux l’affaire? Je vous le demande! Bien que la réponse me soit évidente.”

    Dehors certains fous bravaient la tempête pour observer le navire qui combattait toujours contre les vents pour accoster. De la fumée s’en échappait désormais, un sombre panache de fumée noire qui n’avait rien à envier au ciel d’orage qu’il parvenait à peine à masquer. Comme un présage de mort dans un chaos qui promettait de ne laisser aucune chance à quoi que ce soit.

    Certains clients s’étaient levés et observaient la scène à grands cris. L’on parlait d’avitailler une chaloupe, d’organiser le sauvetage, de sauver les meubles la veuve et l’orphelin. L’on racontait beaucoup de conneries. Mais l’inquiétude était bien réelle et quelque chose devait être entrepris de toute urgence.

    “Au risque d’interrompre une conversation des plus passionnantes sachez le, ne pensez vous pas ma mie que nous devrions tenter quelque chose au sujet de ce navire que les flots malmènent? Je veux dire, consentirez-vous ô grande guerrière à me faire montre de vos talents en la matière? J’ai apporté une épée, au cas ou quelques dragons maléfiques surgissent des flots ou de derrière les nuages pour tenter de nous occire!”

Quel étrange personnage. Xandra se demandait si tout les musiciens et autres conteurs étaient tous aussi...extravagants. Mais s’il y avait bien une chose qui mettait la rousse dans de bonnes dispositions, c’était les compliments, surtout quand ils avaient l’air sincères. Après tout on pouvait se vanter du contraire, c’était toujours agréable, plus encore quand son travail consistait à se faire rabrouer en permanence.

Cet Haral Mortenuit ne semblait pas savoir à qui il avait affaire, la jeune femme se posait d’autant plus de question sur sa présence près d’elle au comptoir, mais la réponse ne tarda pas à arriver. La réponse était évidente ? Il ne doutait de rien, à moins qu’il n’est plus rien à perdre et qu’il tente le tout pour le coup. Il semblait bien à Xandra avoir perçu un certain malaise chez cet homme, discret mais bien réel derrière son regard pétillant.

De temps en temps, Xandra jetait des coups d’oeils derrière eux, continuant de surveiller la salle et surtout de lorgner les hommes qui s’agglutinaient aux fenêtres d’un air anxieux. On en avait abandonné nombre de chopes sur la table et les rires avait laissé place à des échanges soucieux. Certains, pour ne pas dire la plupart, étaient marins et voir ce qu’ils voyaient les inquiétait avec une empathie.

- Je pensais que vous m’auriez demandé quelque chose comme assurer votre protection quelques temps ou vous aidez de par mon statut à botter des culs mais visiblement je n’ai pas rêvé. Vous voulez que je vous initie à l’art du combat…

La rousse resta silencieuse un instant. Son regard allait et venait sur l’homme avec intérêt comme elle aurait jaugé un cheval avant de l’acheter.

- Il faut des mois et un investissement total. Etes vous sûr de le vouloir vraiment ou n’est ce QUE par nécessité, provisoire ? Dans ce cas et vu le temps que j’aurais à vous consacrer, si j’accepte, bien entendu, vous n’y arriverez pas.

“Au risque d’interrompre une conversation des plus passionnantes sachez le, ne pensez vous pas ma mie que nous devrions tenter quelque chose au sujet de ce navire que les flots malmènent? Je veux dire, consentirez-vous ô grande guerrière à me faire montre de vos talents en la matière? J’ai apporté une épée, au cas ou quelques dragons maléfiques surgissent des flots ou de derrière les nuages pour tenter de nous occire!”

- Une épée ? C’est parfait. C’est vous qui allez me montrer ce que vous avez dans le ventre Haral.

La rousse se leva prestement, faisant grincer son tabouret et tomber quelques gouttes de leurs chopes remplit à ras bord.

- Vous avez raison, allons voir ce qui se trame.

Alors que la coutilière prenait la direction de la sortie, elle s’arrêta brusquement, se tournant vers le barde.

- Si je dois devenir votre maître d’armes, j’ai une condition. Vous devez me faire confiance, une confiance absolu et...aveugle. Ne prenez pas mes mots à la légère Haral, je ne plaisante pas. Réfléchissez y.

Xandra se tourna à nouveau vers la grande salle, la traversant à grande enjambées pour ouvrir la porte. Le vent redoublait de force, les gouttes d’eaux glacés tombaient avec force sur eux mais ils quittèrent la taverne, bien déterminés à venir en aide à ce navire en péril.

     “Non gente dame, je ne souhaite pas que vous savatiez sévèrement quelques obscurs fondements, j’attends en effet de vous que vous m’appreniez l’art de la guerre. Et croyez moi ce n’est pas là mince besogne, car tout en moi abomine la guerre et la violence, vous n’avez qu’à me regarder. Ai-je l’air de quelque guerrier ou mercenaire? Que nenni ma mie! Néanmoins j’ai grand besoin de pouvoir veiller à ma propre sécurité.”

    Les conversations mourraient petit à petit dans la taverne tandis que la milicienne exposait ses conditions, la plupart des clients s’agglutinait désormais derrière les vitres épaisses et sales et observait ce qui n’allait pas tarder à être un dramatique naufrage.

    Elle parlait de mois de travail, d’un investissement total, et le barde se disait que tout cela valait bien la peine de pouvoir mener sa vie comme il l’entendait, librement et sans craindre en permanence les ombres tapies derrière lui. C’était une question de survie, et l’occasion de pouvoir s’élever au dessus de ses cicatrices sans sombrer dans la folie.

    “Une épée ? C’est parfait. C’est vous qui allez me montrer ce que vous avez dans le ventre Haral.”

    C’était déjà fait, littéralement. Haral se doutait bien que la rousse ne parlait pas de ses propres entrailles, mais il ferait quand même le nécessaire pour ne pas se ridiculiser, et lui faire perdre son temps par la même occasion.

    “Votre prix sera le miens Milady, et quant à mon investissement n’ayez crainte il sera sans égal! Je ne tiens pas à ridiculiser ainsi mon nom et mon honneur. Vous aurez mon entière confiance, ainsi que ma sympathie, pour ce qui est de cette dernière sachez qu’elle vous est déjà acquise.”

    Dehors le navire se battait toujours contre les vagues et le panache de fumée qui s’en échappait s’épaississait à chaque instant. Des marins s’apprêtaient à prendre la mer à leur tour quand la milicienne se leva et traversa la salle en quelques enjambées, le barde aux trousses, secrètement terrorisé mais conscient qu’il n’aurait qu’une chance de prouver sa valeur, ou à défaut de valeur son investissement.

    “Si je dois devenir votre maître d’armes, j’ai une condition. Vous devez me faire confiance, une confiance absolu et...aveugle. Ne prenez pas mes mots à la légère Haral, je ne plaisante pas. Réfléchissez y.”

    “Si vous y consentez gente dame, sachez qu’en plus de ma confiance aveugle vous aurez également mon dévouement ainsi que mon respect. N’y connaissant rien en matière de navigation je ne peux que vous suivre, aveuglément!”

    Et ils s’engouffrèrent sous un rideau d’eau que martelait des vents d’ouragan, la suite promettait d’être mouvementée.

- Là ! On va monter avec eux hurla la jeune femme pour couvrir le brouhaha provoqué par le bruit de la tempête, les cris des marins et celui plus discret des observateurs passif voir apeurés. La rousse eut une moue inquiète à présent qu’elle parvenait à observer le navire chahuté à travers le rideau de pluis glacé. A quoi était du la fumée ? Stupide ou non, la milicienne n’en avait pas la moindre foutue idée.

Xandra se retourna et contempla le barde quelques secondes comme en proie à un doute colossal, d’ailleurs elle se mordilla la lèvre avec une certaine nervosité. Avait-elle raison de le faire monter ? L’aurait-il fait sans elle ? Probablement pas. Pourtant c’est bel et bien lui qui lui avait rappelé ce qui se passait dehors et s’ils en parlaient, il fallait agir. Finalement, elle fit volte face et se mit à courir en direction de plusieurs hommes qui apprêtait une chaloupe avec une certaine méthode, certaine que. Ce n’était surement pas la première fois qu’ils faisaient face à l’urgence. Ne risquait-il pas de s’écraser ? Elle n’aimait pas bien ça, mais elle aimait rarement ce qu’elle avait à faire, de toute façon. Ceux qui prenaient plaisir à quitter Marbrume étaient des imbéciles et elle n’en pensait pas moins de ceux qui quittaient la terre ferme

- Attendez ! Ho ! Milice de Marbrume, on va vous prêter main forte avec mon...ami.

Ca avait pas été facile de se faire remarquer et entendre, pis on l’avait regardé bizarrement la petite chose détrempée là. Elle ressemblait plus à un rat mouillé qu’à un soldat, quand à l’homme qui l’accompagnait, ça avait pas l’air d’être vraiment mieux. Mais ils avaient l’air déterminé et on avait pas le temps de voir au delà. Pis c’pas tout le monde qui se sentait capable d’affronter une telle colère divine ! Alors la réponse fusa presque instantanément :

- Magnez vous de monter bon sang de bois !

Spoiler:

   Maintenant qu’ils s’approchaient des quais tous pouvaient apercevoir cette lueur orange qui émanait des cabines du navire, la fumée n’était qu’un signe avant-coureur, le symptôme d’un mal plus dangereux et impitoyable, surtout en mer. Les hommes qui apprêtaient la petite chaloupe n’en revenaient pas de voir débarquer une rouquine et un barde trempés jusqu’aux os, si le mot “milice” avait fait son petit effet concernant Xandra les regards s’étaient ensuite tournés vers Haral qui n’était visiblement pas, loin s’en fallait, un soldat. Mais ils pouvaient difficilement se passer de bras pour une affaire telle que celle-ci.

    “Magnez vous de monter bon sang de bois!”

    Et sans trop comprendre ce qui lui arrivait le barde se retrouvait embarqué pour une mission de sauvetage en mer. Lui qui n’était monté sur des bateaux que dans les histoires qu’il racontait n’en menait pas large et serrait la garde de son épée nouvellement acquise aussi fort qu’il le pouvait, comme si ça pouvait l’aider ou le protéger, le rassurer peut-être.

    Les visages à bord de la chaloupe étaient crispés et se tendaient un peu à chaque creux qui manquait de retourner leur frêle embarcation. Plus ils s’approchaient du navire plus le désastre était visible, une partie du bateau était la proie des flammes tandis que sur l’autre les marins couraient en tous sens et tâchaient du mieux qu’ils le pouvaient d’assurer leur survie à court terme. Des bribes de cris parvenaient jusqu’à eux à travers le bruit de l’orage et le grondement des flammes et lorsque la chaloupe vint maladroitement heurter la coque du navire une échelle de corde tomba sur eux.

    “Dépêchez vous on a un fangeux à bord!”

    Un quoi...?

    Si la milicienne semblait garder son calme, aucun des hommes présents sur la chaloupe n’avait autant pâli que le barde, qui serait désormais son épée comme si elle était la seule chose qui le rattachait à ce monde. Et en un sens ça n’était pas si faux.

Spoiler:

Il n’y avait pas grand chose à dire sur Xandra et la mer, l’ancienne enfant des toits n’avait tout bonnement pas l’habitude de la fréquenter et si cette dernière ne l’effrayait pas particulièrement quand il faisait beau temps, l’affronter en colère, en revanche, faisait discrètement trembler ses genoux alors qu’elle prenait place dans la chaloupe. Par chance, la peur, la milicienne la gérait plutôt bien. Parce qu’avoir peur, sauf quand on pouvait physiquement ou moralement s’y soustraire, ne la rendait ni plus, ni moins dangereuse.

Du coin de l’oeil, Xandra observait Haral, crispé comme s’il se retenait de... enfin pas au mieux de sa forme. Le fait est que la chaloupe qui avançait au rythme des bras musculeux et courageux des marins tanguait, s’envolait presque parfois, projetée par les vagues pour mieux s'écraser à nouveau sur l’eau, mais le pire pour la rouquine était le craquement du bois, comme si cette fichue coquille de noix luttait pour ne pas finir éventré par la puissance de cette colère divine. Il était à présent plus que trempés, anxieux, alors qu’ils arrivaient près du navire. Entendre les cris, apercevoir les flammes malgré l’orage ne fit que transformer l’appréhension en panique.

“Dépêchez vous on a un fangeux à bord!”

- Allez, faut se dépêcher lança celui qui les avait fait monter à bord.
Les autres ne bougeaient pas, comme s’ils prenaient consciences d’un coup de la folie de leur entreprise, comme s’ils n’avaient jamais vu de fangeux avant. Peut être était ce le cas ? S’il fallait être fou pour prendre la mer il fallait avouer que de ce côté là c’était une petite sécurité supplémentaire.

- Attend Marcel, il dit qu’y en a qu’à un pour qu’on les aide mais si ça se trouve y a en plus…

- C’est vrai ça, peut être qu'on devrait s'en aller, le navire est peut être déjà condamner. Un fangeux quoi, un fangeux...

Un incendie, un soucis avec la navigation, ils étaient préparés à tout ça, enfin non, mais ça leurs semblait faisable, ils avaient bon cœur, ils pouvaient aider, prendre des risques pour d’autres marins, pour des frères, mais là, c’est pas qu’ils avaient pas envie de secourir l’équipage là haut, mais le courage il s’était fait la malle aussi vite qu’une pucelle devant une orgie.

- On a pas pris tous ces risques pour les laisser maintenant, on est pas sur que la chaloupe supporte le retour de toute façon. Si on sauve le navire, on rentre tous. TOUS.

Elle insistait la Xandra qui beuglait pour se faire entendre.

- Je vais monter la première.

Peut être que si une femme osait, ça pourrait les réveiller. La rouquine se tourna vers Haral, se penchant pour lui dire de la suivre que si les autres le faisaient. Au fond elle était pas certaine de pouvoir affronter l’enfer là haut, pas plus qu’elle n’était sûre de sa théorie sur les chances de retours de leur embarcation, elle n’y connaissait rien.

- On a pas le temps, faut repartir et vite.

En haut, l’homme leur criait de monter et la rousse elle, tendait la main pour se saisir de la corde.

- On ne peut pas les laisser, pas après être arrivé jusqu’ici !

Marcel ne disait plus rien, il semblait réfléchir clignant frénétiquement des paupières pour chasser l’eau qui tentait de noyer sa vue, de lui voler un sens. Il tendit la corde à la milicienne, Roger, lui, s’était saisi des rames, tout n’était qu’une question de choix, de courage ou de bon sens.

   Les marins se dégonflaient à vue d’oeil, tant la fureur de l’orage et de l’incendie semblait… vivante. Chacun y allait de son petit commentaire et bien qu’ayant déjà bravé la mort pour parvenir jusque là ils se demandaient s’il ne valait pas mieux abandonner leurs confrères à leur triste sort plutôt que de périr inutilement avec eux. Haral lui avait entendu et raconté suffisamment d’histoires de sauvetages héroïques pour savoir quelle attitude adopter même si dans les faits il savait très bien que les vrais héros ne sont pas ceux que l’on pense. On ne vient pas au monde en héros, auréolé de lumière et beau dans une magnifique armure, avec un courage inébranlable et le mot juste. Non les vrais héros se chiaient dessus comme tous les autres, le tout était d’accepter de mourir la crotte au cul sans rien avoir osé faire.

    Certainement pas, et certainement pas devant la jolie milicienne qui si elle devait certainement trembler intérieurement n’en montrait rien et en profita pour donner une leçon de courage à ces marins d’eau douce. Haral lui ne disait plus rien, braver la mort certes, après tout il l’avait cherché, mais cette aventure avait le don de lui couper le sifflet. Aussi se contenta-t-il de saisir la corde après que Xandra y soit montée sans prêter attention aux rameurs, s’ils voulaient vivre en lâches grand bien leur fasse.

    Quand sa main toucha la corde il se demanda quelle mouche le piquait, ce n’était pas son passe temps idéal ni une taverne chaude et douillette dans laquelle il aurait pu travailler et s’amuser tout son saoul. Mais s’il grimpait à l’instant il était certain que les autres hommes feraient demi tour dans la seconde, et rendu là qu’ils survivent à l’enfer du navire en flammes ne changerait pas grand chose si c’était pour finir noyé. Il se souvint d’Ange, et de comment sa gentillesse niaise avait failli lui coûter la vie, alors plus jamais ça. La main bien agrippée sur la corde il dégaina son épée flambant neuve et la pointa sur le marin le plus proche de lui.

    “Ah qu’ils sont beaux les hommes vaillants et courageux, vous me faites honte messires! Alors que dame Erkal brave les flammes et bien pire encore là haut vous vous recroquevillez dans votre petite barque en espérant sauver vos misérables vies.” Il cracha au sol. “Ceci n’est pas un jour pour les lâches, montez affronter l’incendie ou bien périssez ici-même de par ma lame, dussé-je vous emporter avec moi dans la tombe que vous n’aurez pas le privilège de fuir aujourd’hui.”

    Il espérait que son coup de bluff marche, parce que si l’un des marins avait l’idée de se rebiffer il n’était pas certain d’avoir le courage de l’abattre, encore moins de tous les éliminer. Mais déjà refroidi par le fait qu’une faible femme ait eu plus de courage qu’eux et l’attitude inattendue du frêle barde Marcel avait pâli encore un peu plus.

    “Il a pas tort les gars, et puis merde la donzelle elle est montée, depuis quand une bonne femme est plus couillue qu’une bande de marins hein? Pose tes rames Roger et amarre cette foutue chaloupe. Je te jure que je retiendrai pas le chantre s’il se jette sur toi, ptet même que je l’aiderai à te noyer.”

    C’était bel et bien des lâches, pas qu’on puisse vraiment leur en vouloir de baliser, mais au premier aboiement et devant la menace d’une arme ils s’étaient tous levés tandis que Roger accrochait la chaloupe à l’échelle de corde. Par précaution Haral avait gardé son épée bien en main et était monté en dernier, il ne souhaitait pas qu’un filou se tire avec leur billet de retour et les laisse rôtir ici.

    Pas qu’il n’ait souvent fait preuve de courage, mais il méprisait ouvertement ces sois disant hommes forts qui tremblaient devant la première menace venue, se pissaient allègrement dessus mais iraient raconter à qui voulait l’entendre quels héros ils avaient été ce jour là. Pitoyables, il ne les pleurerait pas s’ils venaient à y rester.

    Une fois sur le pont Haral fut soulagé de retrouver la milicienne qui s’entretenait avec le matelot qui leur avait jeté l’échelle. Ici le chaos était indescriptible et parmi les flammes la menace était clairement identifiable, des morceaux de corps jonchaient le pont tandis qu’un bras s’envola et vint s’écraser à quelques pas d’eux. Le fangeux faisait un véritable carnage parmi les matelots et le dernier à être passé entre ses pattes n’était plus qu’un vulgaire tas de chair sanguinolente sur le ponton trempé par les flots.

    Un cri s’éleva des quartier du Capitaine et la bête qui semblait se diriger vers eux fit volte face et s’engouffra dans le brasier dans un hurlement bestial et rauque. Pendant ce temps la tempête ne s’était pas calmée, même si elle semblait se maintenir à un certain niveau de violence. À ce rythme et avec les trombes d’eau qui tombaient du ciel et giclaient des flots l’incendie n’était pas le problème le plus urgent, le navire était foutu dans tous les cas. Le tout était de mettre la main sur cette abomination et de sauver ceux qui pouvaient encore l’être.

La rouquine jeta un regard satisfait à Haral après avoir écarté pour la énième fois des mèches détrempées de son visage. Il l’avait écouté et il avait su trouver les bons mots pour faire monter le tas de viande de la chaloupe pour le plus grand soulagement de l’homme qui avait tiré sans mal son poids plume à bord. Il se fichait de son sexe, de son grade, d’elle, elle incarnait une chance de s’en tirer, une main tendue du Duc par extension. Elle était Milice, ça n’allait pas chercher plus loin.

- L’orage ne suffit pas à éteindre l’incendie, on a perdu trop d’hommes. On ne pourra jamais arrimer le navire avec une telle tempête, avec...avec lui. C’est un des nôtres vous savez et…

Il blêmit à la vue du bras qui vint rouler à leurs pieds, de l’eau qui doucement prenait une teinte rougeâtre. La mort, chaque petit filet rouge semblaient être un signe mesquin de ce que les Dieux leurs réservaient. C’était peut être à cause du viol ? Après tout c’était Yves qui s’était transformé en premier, c’est lui qui avait décidé de leurs donner Elise, non ?

- Vous avez un nouvel équipage maintenant, est ce que ça peut suffire ?

C’est qu’elle n’en avait strictement aucune idée. Ce bras, ces morts, ça ne semblait pas la chambouler outre mesure. C’était un apprentissage dur, forcé, une obligation de survie qui donnait à la coutilière cet air et cette attitude faussement détachée, presque pragmatique. Mais la rousse tremblait et ce n’était pas que le froid qui lui glaçait les os.

- Je me charge de la bête, de votre ami. Deux homme avec moi.

Le regard lourd qu’elle posa sur le barde voulait dire ce qu’il voulait dire. Tu viens. C’est pas qu’elle voulait l’envoyer au casse pipe, le malmener plus que le tester, c’est qu’il avait plus de chance de s’en sortir s’il lui filait le train, qu’elle se savait capable d’en venir à bout du fangeux, surement plus qu’eux, qui n’en avait jamais vu pour la plupart et qui avait sans nulle doute attaquer le monstre comme ils auraient attaqué un pirate. Aucune chance, il n’en avait eu aucune et elle espérait leurs en offrir une. S’en offrir une…

- On y va, occupez vous du reste.

Xandra se demandait comment ils allaient s’organiser, c’était quoi exactement le reste ? C’était pas vraiment le moment pour découvrir un nouveau travail, mais ça l’aidait alors qu’elle s’approchait non sans mal du brasier, du danger qui rendait la colère de l’océan presque risible. La rousse glissa une ou deux fois sur du sang, sur le tissus d’une chemise. Un regard pour s’assurer que tout le monde la suivait. Il ne fallait pas perdre de temps, il fallait agir.

     “Par les Saints rognons!”

    C’est ce que lui avait arraché le bras, arraché lui aussi, qui s’était envolé dans leur direction. Un véritable carnage, lui qui espérait faire bonne impression face à son maître d’armes se voyait réduit à l’état de pantin tremblottant. Mais non, il devait faire face, ne pas montrer à ces gens qu’il venait d’houspiller si durement qu’il avait peut-être encore plus peur qu’eux. Alors il avait rajusté sa prise sur son épée et avait contemplé les flammes quelques instants avant d’emboîter le pas à la milicienne.

    Ne dit on pas que les vrais héros ont aussi peur que les autres? Ceux qui se targuent de ce courage infaillible, de cette peur qu’ils ne connaissent pas, n’y connaissent justement rien et n’ont vu des champs de bataille que les images que l’on s’en fait, les pièces que l’on joue. Les véritables héros ont la trouille, celle qui vous prend aux tripes et vous ferait presque vomir sur vos esgourdes, mais ils osent. Alors les yeux dans le brasier qui dévorait le navire, Haral considéra un instant de s’enfuir, à la nage ou en volant, peu importe. Et puis il repensa à Xandra, aux marins, à Tiphaine. Non, personne ne voudrait se souvenir d’un lâche.

    Avisant le plus costaud des types qui se tenaient là, Marcel de son petit nom, le barde lui fit signe et suivit la milicienne vers une mort quasi certaine, mais qui aurait au moins le mérite d’avoir un peu de sens. De tous ceux qui étaient tombés depuis un an combien l’étaient sans but ni raison? Simplement par bêtise ou fatalité, parce que les prédateurs étaient devenus les proies et qu’une proie doit succomber. S’ils s’en sortaient ils auraient accompli beaucoup, et s’ils y restaient ils emporteraient au moins ça avec eux.

    “Allons-y messire!”

    Les cris qui provenaient de la calle indiquaient que le feu ne s’était pas encore propagé partout, et ceux qui y étaient coincés subissaient la folie de ce fléau sans discernement. Un grognement suivit un cri plus fort que les autres, et le silence retomba comme une chape de plomb. Un instant l’on entendait plus que la pluie et les vagues, le ronronnement des flammes. Et la bête surgit sur le pont, en proie aux flammes bien qu’elle ne semblait pas s’en soucier, les gouttes massives qui s’écrasaient dessus faisaient naître de petits panaches de vapeur et de fumée âcre tandis que le reste de son corps brûlait lentement.

    Xandra s’était arrêtée, insensible aux trombes d’eau qui déferlaient, et le monstre avait pris un instant pour les jauger tous les trois avant de bondir en grognant. Le barde s’écarta d’un pas pour laisser les coudées franches à la milicienne et cria par dessus le vacarme.

    “Nous sommes juste derrière gente dame.”

    Il voulait lui dire qu’il était avec elle, et qu’ils y passeraient tous s’ils le devaient, mais pour une fois dans sa vie les mots lui manquaient. Alors il tenait son épée droit devant lui et se tenait prêt à faire ce qu’il devrait, pourrait.

    *Que les Trois nous viennent en aide.*

Plus de vivants qu’elle ne l’aurait cru, Xandra parvenait à entendre les cris par delà le bruit de la pluie, de la colère de l’orage, là bas, sous le bois grinçant et malmené. Il fallait espérer qu’ils ne trouvent pas moyen de sortir de leurs tombeau, qui, vu ce qui s’était relevé ici, était devenu leurs salut. Elle n’avait pas le temps d’avoir peur, de douter ou les flammes viendraient bientôt lécher les corps.

La milicienne avançait à taton, maladroitement, sur le sol détrempé, mouvant, au gré des vagues qui faisaient danser le navire. N’étais pas marin qui voulait et progresser dans la tempête n’était pas tâche facile. Elle essuya l’eau qui s’accumulait sur ces cils une fois de plus du revers de sa manche, voulu vérifier par dessus son épaule que ses deux héros improvisés étaient bien derrières elle mais elle n’en eu pas le temps, la bête s’était montré, ce même regard vide mais affamé, cette même aura de puissance qui à chaque fois faisait vaciller son courage.

Il bondit, elle roula sur le coté, atterrissant bien plus loin qu’elle ne l’avait espérer, fichu temps. Il fallu à Xandra trois enjambés pour venir ajouter une nouvelle estafilade au monstre, pour éviter de justesse la machoir putride qui claqua près de son épaule. A présent tout proche, la jeune femme pouvait deviner derrière les murs de fumée d’autres marques, d’autres blessures. Il était affaibli, il était tuable, il fallait toujours trouver quelque chose pour s’en convaincre.

Xandra savait qu’elle devait à tout prix garder l’attention du fangeux focalisé sur elle, il ne fallait pas que la bête s’interesse au marin pétrifié qui tenait son épée comme il aurait tenu la main de sa mère. Elle chercha des yeux le barde, difficilement, les mèches rousses gorgés de pluies plaqué sur son front, sa joue.

- Maintenant !!! beugla la coutilière avec l’autorité que son grade nécessitait. L’obéissance contre la peur, être convaicant, convaincu malgré la panique pour permettre aux autres de l’être. Pourtant, malgré ses gestes, son assurance flagrante, ses genoux, sous le cuir, tremblaient un peu.

   Haral observait terrifié la milicienne livrer bataille contre ce qui était encore quelqu’un il y a peu, mais on ne raisonne pas avec ces monstres, peu importe ce qu’ils avaient pu être tout cela s’était envolé au moment de leur mort, quand leur esprit s’était dissout dans les brumes de ce miasme putride. Peut-être restait-il une lueur de conscience derrière ces yeux mauvais et vitreux, mais si elle existait personne n’en savait rien, et la bête continuait d’agir avec l’esprit vide et implacable d’un prédateur.

    En temps normal la bête se serait lentement consumée et serait tombée lorsque les flammes auraient fini de cuire ce qu’il lui restait de cervelle, mais dans ce cas l’orage avait simplement éteint les flammes après qu’elles aient dévoré la majeure partie de son corps. Laissant le monstre défiguré, la moitié du visage arraché dévoilant ses dents dans un rictus carnassier.

    La belle se battait bien, et de nouvelles estafilades venaient orner le corps mutilé du fangeux, vu l’étendue de ses blessures il serait mort sous peu mais aurait le temps de se livrer à une véritable furie meurtrière avant de succomber. Hors de question, particulièrement en se sachant être au menu du jour. Un cri ferme et autoritaire de la jolie rousse et le barde se raidit, s’il avait une seule chance de faire ses preuves c’était celle-ci, sinon ils finiraient tous déchiquetés calcinés et bouffés par les poissons.

    Haral était venu se placer juste derrière la bête qui bataillait ferme pour avoir le privilège d’égorger celle qui venait de contribuer à le rendre encore un peu plus moche. Et frappa. Aussi fort qu’il était terrifié et souhaitait à tout prix se réveiller, visant la nuque, parce qu’il avait entendu que le seul moyen d’eux était de séparer leur tête de leur corps. Il savait aussi que ceux qui se brisaient le cou restaient paralysés quand ils survivaient, c’était sa meilleure chance. Et la seule qu’il aurait.

    Malgré le vacarme environnant le bruit de l’impact fut sourd, et la lame s’était enfoncée profondément dans le cou du monstre, se bloquant entre deux vertèbres. Son épée lui fut arrachée des mains par un spasme formidable du fangeux, qui s’arrêta net sur un cri de surprise. Le temps s’était comme figé, tremblant, le barde regardait la milicienne le regard empli de peur et d’espoir. Est-ce qu’il était…?

    “Par les Saints Rognons.”