La saison sans fin des cors de chasse [Libre/D'actualité]

Spoiler:

Ces temps n'ont rien de tendre. Oh, bien sûr, il n'y avait déjà guère de tendresse dans le monde avant les Fangeux ; espérer regagner les grâces éternelles de la Trinité en partant dans son lit après une existence bien remplie est un doux rêve, et nous nous en allons davantage emportés par la maladie, l'acier ou quelque chute contre les rochers que saisis par la main ferme mais légitime d'une vieillesse arrivée à son plein terme. Cependant... jamais, malgré tous ses torts, ses vilenies et ses faiblesses l'humanité n'a manqué chuter au fond de l'abîme de l'extinction.

Jamais avant aujourd'hui.

Pour ce que j'en sais, Marbrume est désormais l'ultime havre de mon espèce. Des gens dont j'ignorais tout, du visage au nom, du corps à l'âme, m'apparaissent désormais comme plus précieux que ma propre personne. N'allez pas croire que j'éprouve de l'affection pour les gens de la Cité Franche ; il s'agit simplement d'un devoir dont je me suis chargée que de veiller à ce qu'ils soient préservés face à la Fange, un devoir de survie raciale... et qu'importe pour cela la douleur que je pourrais bien semer. Sans être cruelle, je ne reculerais devant rien pour détruire le fléau nous accablant.

Mais bien sûr, je ne pourrais le faire seule. Rien ne s'accomplit en solitaire.

C'est pourquoi il y a quelques jours de cela j'avais envoyé au Duc de Marbrume une lettre un peu particulière. De fait, Traquemont était une première ligne de défense, un avant-poste solide au-devant de la ville si un jour, comme j'en étais persuadée, les engeances du dehors devaient se rassembler et venir exterminer l'homme. C'est en mettant ce fait en exergue que j'avais fait à Sigfroi de Sylvrur la requête de me voir prêter l'assistance d'une troupe de la milice dont il pourrait se séparer. J'étais volontairement demeurée vague sur l'importance des renforts demandés, sachant que dans la lutte contre la Fange toute aide pouvait s'avérer décisive ; une réponse approbatrice m'était parvenue, et j'en avais même été la première surprise.

Mais le fait était que Traquemont, désormais, devenait de temps à autres le lieu d'affectation des miliciens de la dernière cité vivante du royaume de Langres. Et on ne tardait pas à les incorporer aux chasses et battues que ma maisonnée organisait...