Marbrume


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 En toute miséricorde.

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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMer 12 Juil 2017 - 1:21
Voilà une nuit que moi et Malachite sommes planqués intra-muros. Nous pouvons être heureux de la félicité et de l’hospitalité d’Astrid la divinatrice, qui nous permet de rester dans sa chambre. Bon, en réalité, c’est parce que l’on paye, le profit est un sacré motivateur, mais il faut avouer qu’elle est très sympathique de ne pas nous avoir dénoncé à la milice. Sa générosité à ce niveau-là est exceptionnelle, parce qu’on risque véritablement gros ; On risque de danser au bout d’une corde, et on en a tous deux conscience.
Mais elle est partie au travail, comme tous les matins. Et vu qu’une journée est passée, on s’est mis un peu à se détendre et à lui prêter une très maigre confiance, une qui ne nous privera pas de notre alerte et surtout des lames que nous gardons sous nos vêtements.

La soirée s’est terminée avec un bain. Pour le faire le plus rapidement possible et sans avoir à nous faire remarquer par d’autres gens de l’auberge, nous l’avons pris ensemble. Étant donné que j’ai été soldat dans une autre vie, j’ai appris à perdre ma pudeur au contact des hommes pour qui je ne voue aucun sentiment sexuel, quand bien même il m’arrive de lancer des vannes homo-érotiques sur le cul ou la taille de la bite des copains, mais bon, c’est le genre de chose qui arrive entre frères d’armes, ne jugez pas. En revanche le gamin a pas eu l’air d’apprécier mon intimité de si près. Je lui en ai pas tenu rigueur, crevant de fatigue, et après m’être débarrassé de l’odeur d’égout qui empestait mon corps, après m’être frotté partout, je me suis mis en quête de laver nos vêtements, pour leur retirer les traces de merde, de boue, de fange qui les ont salis lors de notre passage dans les entrailles de la cité.

On s’est écroulés, morts de fatigue, dans le même lit qu’Astrid. Il ne s’est strictement rien passé d’équivoque malgré le fait que nous soyons presque à poil, parce que de toute manière nous étions bien trop amoindris pour avoir ce genre d’idées en tête. On a même pas mangé, on est juste tombés comme des enclumes. C’était la première fois depuis des semaines que nous pouvions profiter d’un vrai lit.
Au réveil, on était encore plongés dans une certaine torpeur. On s’est nourrit du pain acheté la veille, on s’est réveillés à coup d’alcool, et on a décidé de se rhabiller dans nos vêtements encore humides. Maintenant, il était question de s’occuper pour la journée.

La première étape, ça a été de revêtir nos gants et nos manches longues. Un détail simple et qu’on oublie jamais, parce que regarder notre trace au bras, c’est déjà nous promettre à la douce amante qu’est la vierge de fer. C’est seulement cette précaution prise que nous avons enfin pu sortir dehors, aux aurores, alors que les clients de l’auberge étaient encore dans les bras de Rikni divine.
La clientèle locale de l’auberge, je voulais pas la croiser. Je voulais pas non plus qu’on se mette à devoir expliquer qui est qui et qui fait quoi, et pourquoi on se mettait à squatter dans une chambre, surtout que les tauliers de ces endroits sont des cons, et s’ils se mettaient, à la longue, à remarquer notre présence, nul doute qu’ils se mettraient à vouloir nous chercher du fric, à nous agiter pour qu’on paye les commodités.
Aussi, il avait été très clair que nous ne resterions pas ici pour manger ou pour faire la moindre connaissance. Et nous avons filé dans les rues de Marbrume pour nous promener.

Dehors il y avait le paysage habituel d’une ville pourrie comme l’immonde Marbrume, où je n’ai pas grandi, où je ne connais ni les ruelles, ni les avenues, ni les adresses. Il y avait des gens qui cuvaient, des gens qui marchaient, des cris quelques fois. Moi et Malachite nous nous sentions vraiment perdus ; Au fil du temps, c’était dans les marais qu’on s’orientait, et certainement pas ici, le long de ces dédales et pâtés d’immeubles infects et délabrés, où des lourdasses jetaient leurs pots-de-chambre que nous devions éviter.
Heureusement, nous avions quelque chose pour nous ; Nous avions l’air cruels. Avec nos longs manteaux humides, nos airs méchants, nos épées et couteaux cachés mais qu’on devinait, personne n’osait véritablement nous approcher. Nous étions des sicaires. Les gens nous regardaient comme on devine des tueurs à gage, des gars qui bossent pour un chef de la pègre local à la cour des miracles, ou alors un noble ou un gros bourgeois qui a des intérêts dans le coin. On sait qu’on est pas censés nous faire chier, voilà tout.
Alors nous avons pu traîner librement la patte dans tous les coins sans risquer de tomber nez-à-nez avec des voleurs, à la recherche d’un endroit où nous pourrions nous détendre et bien déjeuner, chose qui n’était pas facile vu la famine qui écrouait la cité toute entière. Les narines chatouillaient d’une puanteur inhumaine, celle des immondices et de la sueur, et qui tranchait vraiment avec les parfums variés, sauvages, et parfois nécrosés des marais.

On marchait. Jusqu’à ce qu’on entende du bruit. Au loin, un tas de son de quolibets et de cris. J’arrêtais Malachite en levant une main hasardeuse, et voilà que nous nous engagions dans un passage immonde et étroit entre deux maisons. Nous débouchions dans une petite rue, et il fallait grimper une paire d’escalier avant de découvrir une grande avenue où des gens étaient agglutinés sur le côté. Moi et Mala poussions pour voir qu’est-ce qui attirait mais écartait autant de curieux. Et nous entendions des hurlements qui remontaient.

« Faites place ! Arrières ! Passez votre chemin, pécheurs ! »

Une voix rugissait, et je me sentais passablement inquiet en voyant le spectacle devant moi. Une procession sauvage. Une bande de gens, de tous les âges et des deux sexes, qui se baladaient quasi-entièrement nus, uniquement recouverts de chausses, les dames allant seins exposés. Une quinzaine de personnes qui marchaient, les pieds sur la poussière du chemin, et ils hurlaient. Ils hurlaient. Ils hurlaient en agitant d’énormes fouets, des verges ensanglantées, et ils se frappaient au hasard, eux-mêmes et leurs congénères. À chaque grand coup, une femme ou un gamin se mettait à pousser un aboi en sanglots, très aigu. Cela ne perturbait pas le chant répétitif, doux et long, marqué par le tremblement de leurs gorges :

♫ Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...

Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...♫


Le chant était entrecoupé des braillements du chef de file, le seul à ne pas être à poil ; Il avait vêtu d’un grand vêtement de prêtre, il s’était rasé le crâne, et il sermonnait tous les gens de la foule en les pointant du doigt, un par un, les prenant à partie tout en criant.

« Pécheurs ! Pécheurs ! Vous êtes tous des pécheurs ! Vous méritez la fange ! Elle est le signe de la punition divine ! Elle vient pour punir tous vos excès et toutes vos fautes ! Elle vient s’emparer de vos corps et de vos cœurs, et elle n’aura aucune pitié pour le moindre d’entre vous ! »
♫ Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...♫


L’homme devait être dans sa trentaine bien engagé. Grand, sec, fin, les joues anormalement creuses, la peau laiteuse, le vêtement trop grand pour lui. Il descendait l’avenue en hurlant.

« Les Dieux voient tous ! Ils vous connaissent ! Ils savent vos fautes ! »
♫ Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...♫

« Les marchands qui trafiquaient et mentaient ne pourrons pas acheter la rédemption avec leur or ! »
♫ Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...♫

« Les gens d’armes qui violaient et qui pillaient ne pourrons pas endiguer l’avancée des monstres ! »
♫ Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...♫

« Les avocats véreux et les juges soudoyés ne pourrons pas interdire son entrée dans les portes ! »
♫ Anür, prends pitié...
Serus, prends pitié...
Rikni, prends pitié...♫

« Et vous tous ! Vous tous vous méritez votre sort ! Car vous insultiez les Dieux !
Vous péchiez devant Anür en vous vautrant dans la luxure la plus crasse et la plus décadence ! Et pour ça, vous serez noyés ! »

♫ Anür, prends pitié...
« Vous péchiez devant Serus en profitant des années grasses, sans jamais donner en retour à votre prochain ! Et pour ça, vous serez affamé ! »
Serus, prends pitié...
« Vous péchiez devant Rikni en faisant preuve de lâcheté et de désinvolture, refusant de porter le fardeau des ancêtres ! Et pour ça, vous serez empoisonnés ! »
Rikni, prends pitié...♫
« Vous avez mangé le cerf et le serpent ! Vous avez conçu hors des liens ! Vous avez commis les parricides ! Vous avez tué des saints ! Vous avez trahi les vôtres ! Vous êtes tous coupables !
Seule la douleur vous expiera ! »


Et ils continuèrent à avancer tout le long en hurlant. Je restais là, pantois et à moitié terrifié devant le sombre spectacle, tout comme tous les autres faisaient pareil.
Je crois qu’ils ont reconnu quelques-uns de mes péchés dans cette affaire.

« Putains de tarés », je me mettais à cracher par terre, bien après qu’ils étaient descendus de l’avenue et que les gens, fébrilement, tentaient de reprendre leur vie comme si rien ne s’était passé.
Mais tout a eut lieu dans le cerveau des gens, et voilà qu’ils se mettaient à discuter dans des rumeurs inquiètes sur le spectacle des flagellants. Moi, c’est à Malachite que je me mettais à parler.

« Les fous. Ils sont fous. Ils ont bon dos de souffrir pour expier leurs fautes ; Moi souffrir ça me fait que pécher encore plus.
Tu t’es senti concerné par leur discours ? »


En attendant une réponse, j’indiquais une auberge du coin de la tête.

« Va. On va bouffer là-bas. »
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MalachiteMiséreux
Malachite



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMer 12 Juil 2017 - 12:40
Je réfléchis soigneusement avant de répondre à Lucain. J'ai envie de lui dire la vérité, mais je ne suis pas très doué pour expliquer les trucs compliqués, puis j'ai peur que ça le bouleverse. A mon arrivée à Marbrume j'ai vite compris que ce n'était pas un sujet de discussion à avoir avec n'importe qui.

T'es déjà allé très très loin au Sud ? Pour venir ici ça a duré des mois, je sais pas du tout quel chemin j'ai pris mais une fois j'ai été sur un bateau longtemps. C'était une mer mais je sais pas si c'était la même que chez moi. Enfin tout ça pour dire que c'est différent entre là bas et ici. Je t'ai déjà raconté pour les très gros chats qui enlèvent des enfants.

Je fais une petite pause pour réfléchir à comment aborder le vif du sujet, d'autant que mes souvenirs de l'époque sont très lointain et très déconnectés de ma réalité actuelle. J'ai bien intégré la culture marbrumoise pour me faciliter et la vie, et j'aurais du mal en vérité à avoir un échange avec un compatriote dans ma langue natale. Du coup j'ai l'impression d'expliquer les souvenirs de quelqu'un d'autre.

En fait avant d'être ici j'avais jamais entendu parlé des Trois. Jamais jamais.

Je fais la grimace. C'est là que ça bloque. J'ai déjà du mal à raconter une blague sans gâcher la chute, alors des trucs par rapport aux prêtres... parce que c'est à ça que j'identifie les religions : la présence de mecs en robe qui se mêlent de la vie privée des gens et qui tapent de l'argent aux autres. Enfin c'est comme ça que j'ai fait le lien à la base, en arrivant tout frais du cerveau vers mes quinze ans.

'fin... chez moi aussi on se fait engueuler pour des trucs genre la lâcheté au combat ou les coqs noirs. Les espèce de prêtres qu'on a là bas ils les détestent, je sais pas pourquoi. Fallait les clouer sur la bergerie. Et tu sais quoi ? Une fois tous les chépa combien de temps y a une fête partout, et à ce moment là bah ils arrachent le coeur de plein de gens sur une espèce de grosse pyramide, devant tout le monde, pour que le soleil continue de se lever. Parce qu'il le fait pas tout seul, c'est un bousier invisible qui le pousse.

Voilà j'avais pas envie de parler de ça. Maintenant j'ai l'air d'un con.

Oui bah j'ai remarqué que vous le faisiez pas et qu'il se levait quand même ! C'est toi qui demande.

Je souffle par le nez. Je vais pas me lancer à lui expliquer que le monde a été crée parce que le Feu et je sais plus qui se sont battus, que y en a un qui a arraché les poumons de l'autre et qu'il les a mangé. Ensuite je crois - mais je suis pas sûr - qu'il les a vomi et qu'il a sculpté son vomi pour faire les animaux et les hommes. Mais en version originale ça fait moins sale parce que l'estomac du mec c'est genre une usine à âme ou je sais pas quoi. Bref. Un truc inracontable, d'autant plus que je m'en souviens pas bien. L'histoire de ce qui se passe quand on meurt, ou de pourquoi les chèvres ont pas les mêmes cornes que les boeufs, c'est à peu près du même tonneau. La tête que tire Lucain m'énerve.

Oui bah t'imagine moi quand j'ai entendu vos histoires ? Genre toutes ces affaires autour des poissons et de la flotte. C'est débile un poisson, ça a une tête débile et on les mange ! Et un animal avec des racines d'arbres sur la tête c'est aussi débile ! En plus vous leur demandez des trucs, genre ils sont sympas et tout. Y s'mêlent de vos affaires. Le bousier c'est soit disant pour le nourrir au moins. C'est pas parce que c'est un bousier qui aime pas l'adultère.

A force d'avoir de la compagnie je regagne un peu d'agilité verbale. Mais j'ai pas envie qu'on s'engueule six heures sur mes péchés. J'ai pas envie de penser aux putain de prêtres et à sa saloperie de religion.

Mais viens on s'en fout on va manger. Je dirais plus des trucs sur les cerfs. De toute façon y a un de tes prêtres qui m'a dit que j'étais foutu pour ce qui est des Trois, alors oublie.
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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMer 12 Juil 2017 - 18:53
J’écoutais avec une très grande attention ce que le petit Malachite racontait. Mais malgré tout, je mettais un terme à son discours par une phrase laconique et sévère.

« Parle pas trop fort quand tu blasphèmes sur les Trois... T’as vu jusqu’où ils sont prêts à aller les fidèles ? »


Je renifle en continuant d’observer l’avenue. Tout autour de nous il y a encore des gens, et heureusement, nous ne parlons qu’entre nous. Si quelqu’un se mettait à écouter les histoires de théologie étrangère, qui sait ce qu’on pourrait faire à Malachite ?
Dans mon dos, j’entendis une voix aiguë et nasillarde qui se mit à piailler.

« C’est vraiment des gens très raisonnables, hein ? »

Je me retourne en portant une main sous mon manteau. Le malotru qui vient de s’adresser à moi fait un pas en arrière, en levant les bras et en affichant les paumes de ses mains, histoire de bien montrer qu’il n’a rien à se reprocher.

« Oh, du calme... Je vous veux pas de mal.
– Tu veux quoi alors ? Je gronde sévèrement.
– Juste parler ! »


Je fronce les sourcils en l’observant, ma tête penchant de côté. Il pense que mon silence est une approbation tacite qu’il peut s’adresser à moi, c’est mal me connaître effectivement.

« Ces types-là c’est des flagellants. Ils veulent faire pardonner leurs fautes en souffrant, afin de montrer aux Dieux qu’ils sont honnêtes dans leur recherche de rédemption.
– J’avais deviné tout seul merci
, je reprends avec sarcasme. C’est pas la première fois que je vois ce genre de personnes ; À chaque épidémie ou catastrophe naturelle on en voit des comme eux. En réalité, vu la nature de la fange, je suis étonné que tout Marbrume en soit pas réduit à cet état.
– Très drôle !
Répondit-il avec un rire que j’imaginais être forcé, comme lorsqu’un patron ou un bourgeois reçoit des rires dans le but de le courtiser. Mais en vérité, ils sont sérieusement gênants ceux-là... Le type devant c’est un vrai prêtre du temple de Marbrume, mais il a été excommunié tout récemment. C’est un prédicateur qui donne l’aumône aux clochards. Il est très respecté, et les autorités l’appréciaient jusqu’ici parce qu’il cherche à établir la paix sociale entre les réfugiés et les locaux. Sauf que son idée, c’est qu’on est égaux parce qu’on est pécheurs, et qu’on mérite la fange.
– Pourquoi il est pas encore au bûcher ?
– Pour qu’il finisse au bûcher, il faudrait l’attraper ! Or le fou est charismatique, chaque jour des gens viennent le voir, ils lui fournissent le gîte et le protège. Les miliciens pourraient tenter de mettre la main sur lui, mais ça risquerait de se terminer en tensions et émeutes.
– Ouais, bah, quand ce sera l’Ordre du Saint-Cippe qui s’en chargera, ce sera pas pareil.
– Exact. »


Je commençais à comprendre où le mec voulait en venir. Je fis un signe à Malachite, en chuchotant un « tu viens ? » et je lui emboîtais le pas. Cela ne l’empêcha pas de se mettre à marcher sur nos pas et nous suivre tout en continuant à parler.

« Vous savez l’ordre du Saint-Cippe c’est pas des rigolos. C’est une bande de fanatiques qui punissent les hérétiques.
– Oui, exactement comme votre prêtre qui ordonne aux gens de se fouetter.
– S’ils sont convaincus, ils pourraient débarquer avec des rustres rufians dans le but de le mettre au bûcher. Et c’est le quartier qui risquerait d’en pâtir... »


Encore une fois, je l’ignorais totalement. Mais j’avais déjà deviné, ouais. Le type devait forcément être un notable local. Un petit représentant de quartier, ou un politicien ou un commerçant. Avec nos grands manteaux et nos mauvais airs, on avait l’impression d’être des tueurs à gage Malachite et moi, et il ne fallut pas longtemps pour que je sache à quoi tout ça rimait. Toute la discussion, c’était juste du surplus, une tentative désespérée pour ce gaillard de se prendre pour un malin et un discret, alors qu’il m’avait fallu juste regarder dans le fond de ses pupilles pour savoir de quoi il en retournait.

« Voyez-vous, je suis quelqu’un de très attaché à ce quartier moi. Et j’ai pas trop envie que cette affaire devienne dérangeante, et-
– Je suis sûr que vous pouvez rapporter ce genre de mauvaise conscience au prévôt local, mon bon sieur.
– Certes, certes, mais les autorités sont-
– Les autorités peuvent être motivées avec des récompenses et des cadeaux, mon bon sieur. Moi, les querelles de voisinage, encore plus à motif religieux, c’est pas mon domaine d’expertise. »


Il fit un grand sourire et se mit à parler à voix basse.

« Je suis sûr que votre domaine d’expertise est très prosélyte... Et si par aventure vous auriez besoin de finances, alors je vous invite à venir boire un verre ce soir à mon échoppe, une jolie auberge qu’on nomme Au Bon Pavois...
– Nous attend surtout pas. J’ai mieux à faire. »


Et voilà ! Je voulais juste aller bouffer tranquille avec le petit banni, et maintenant c’était une adresse qui se fermait à nous. J’espérais que son échoppe ne servait pas de la nourriture de trop bonne qualité, sinon ce serait une perte assez malheureuse.

Finalement, on est entrés dans le premier bâtiment ouvert. Mais ce n’était pas un beau restaurant. Il s’agissait d’une grande salle à manger à ciel ouvert, où des tables et des chaises désordonnées et en tout genre étaient installées près de murs en pierre et de cloisons en bois. Dans une salle arrière, sous des bâches de tente, de grosses cuves faisaient cuire une mélasse brune, un ragoût dans lequel on jetait de la viande et des légumes, et je doutais fortement de leur provenance.
Je me mettais même à rigoler.

« J’espère que t’as pas des interdits alimentaires... ça m’étonnerait à peine qu’on jette de la viande de cerf là-dedans. »

Un gars s’approcha de nous. Un grand monsieur aux cheveux longs et au crâne couvert de sueur, qui était revêtu d’un tablier ensanglanté. Je lui disais qu’on était venus pour manger et pour boire, et il nous dirigea vers une table.
Le menu était unique. On nous servis de gros morceaux de pain bis et une coupelle remplie de cette mélasse encore chaude. Pour faire passer le tout, nos verres furent remplis d’un liquide translucide au fond d’un verre sale, et en approcha le gobelet de mes narines, je pouvais sentir une forte odeur désagréable, comme du liquide inflammable. Tout paraissait bonnement infect.
Je trinquais avec Mala avant d’étaler un morceau de pain dans l’assiette. La viande était molle, il fallait la mastique pendant très longtemps, et le tout ne semblait pas très salubre. Dans la pièce volaient librement de grosses mouches dans tous les sens, qui venaient se repaître de la mort et des viandes à grailler.

La bouche pleine, je me mettais à discuter avec le banni.

« Moi je crois aux Dieux. Mais je pense que c’est parce qu’on m’y a éduqué dedans plus que parce que j’ai vraiment vu leurs apparitions. Pourtant des gars leur parlent vraiment, hein, ils ont leur oreille, alors Rikni, Serus et Anür, y peuvent pas ne pas exister.
Ceci dit ça fait pas vraiment de moi un bon croyant malheureusement. Alors t’sais, quand je vois ces gars qui sont prêts à se fouetter jusqu’au sang à travers la ville pour se faire pardonner leurs fautes, bah quand même... Quand même je trouve ça impressionnant. »


Je rote en m’alcoolisant avec leur eau-de-vie. Il brûle la gorge et il fait très mal à la tête.

« En plus les règles elles sont dures quoi. Tout est péché, absolument tout est péché, et j’ai pas beaucoup d’occasions de me racheter...
Mais mon plus gros péché c’était la chair. Bon sang Malachite, j’te jure. Y a quelques années toutes les dames elles voulaient de moi, j’avais des groupies qui me suivaient jusqu’à chez moi. Je parie que j’en ai enfanté plein des bâtards, mais j’ai toujours eu l’intelligence de me casser avant que les ventres ne deviennent ronds. Ça aurait été le chemin vers l’une des pires tortures que l’Humanité puisse connaître : Le mariage.
Toi c'est quoi ta grande faute ? Enfin tu sais bien ce que c'est un péché, pour nous les trinitaires ? »
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MalachiteMiséreux
Malachite



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyJeu 13 Juil 2017 - 18:02
[HJ/ Pour le coté cucu, c'est pas mes gènes de fille c'est Phil qui me l'a réclamé ]

J'ai pas d'interdit alimentaire t'es con.

D'ailleurs je suis en train de bâfrer la mauvaise viande comme si il n'y avait pas de lendemain. L'alcool subit le même traitement. Après avoir eu un lit la nuit d'avant, voilà maintenant de la nourriture chaude. Et l'eau-de-vie tombe sur mes synapses comme une enclume. Lucain - qui sait décidément bien choisir ses sujets de conversations - me parle des péchés et des bâtards. Mon coeur se serre.

Tu sais ça fait longtemps que je suis ici, je dois connaitre mieux vos Dieux que les esprits de chez moi. Puis j'sais pas pour les péchés. J'en ai vraiment commis beaucoup avant que t'arrive.

Je mâchonne en regardant dans le vide, temporairement occupé avec un bout de tendon coriace. Je vais pas te refaire la liste de mes péchés, tu les connais par coeur.
A ce moment là je me mets à me masser la main abîmée. Des fois - rarement - y a mon doigt plus là qui me gratte très fort. J'aime pas trop en parler aux autres gens parce que j'ai peur qu'ils me croient fous, mais là j'ai besoin de changer de sujet alors je le raconte à Lucain. Mais il lâche pas l'affaire le sacripan.

Hmmmm ça te dirait de m'accompagner en ville pour en voir un beau de péché ?

Dis je d'un oeil aviné. C'est une mauvaise idée, je devrais pas faire ce que je suis sur le point de faire mais j'en ai envie. Et le chevalier me répond que oui. J'lui dit qu'on ira après manger et on passe le repas à parler de moi doigt manquant et de nos petits soucis de sous alimenté violent.

*
**

On arrive dans une rue pleine de taudis comme il y en a des tas. Elle date d'avant les Fangeux, et je reconnais quelques passants de vue. Normal, je suis venu souvent ici. J'espère qu'ils se souviennent pas de moi et de mon bannissement, mais j'ai pas eu de problème la dernière fois que je suis venu. Je me dirige vers une cabane aussi vétuste que les autres.
Je frappe poliment.

Une jeune femme nous ouvre. Très usée par la vie, même si je sais qu'elle a seulement un an de plus que moi on dirait ma grand mère. A nous deux on fait pas une dentition complète, ses lèvres pendent devant sa bouche comme les vieillards édentés. D'un blond très clair et la texture de cheveux très fin, c'était déjà pas la joie niveau volume, mais là en plus elle en perd. On voit sur le coté de sa tête un trou qui dévoile un cuir chevelu plein de croûtes. Elle est voûtée avec les seins qui pendent sous une robe qui a visiblement vu mourir plusieurs personnes. Quand on se fréquentait beaucoup elle avait déjà un sale problème de sinus qui lui faisait perpétuellement couler une narine. Visiblement ça a empiré. Et son regard est éteint.
Et dire que j'l'ai tringlé à m'en limer la bite.

Salut Anne. On peut rentrer ?

Elle me fixe d'un air con pendant quelques secondes. Je croyais que c'était moi la grosse épave de la vie, mais j'ai l'air un peu plus vif que ça. Je suis effaré. Mais elle nous fait signe de rentrer.
L'intérieur a beaucoup changé aussi. Moins de meuble. Pas de bouffe. Mais c'est propre. Y a qu'une seule pièce, les fenêtres ne sont pas en verre mais en cuir huilé, ce qui donne pas beaucoup de lumière. Et...
ohmondieuelleestvivante.

J'y croyais pas trop, ça fait un an que j'ai pas pénétré Mabrume en cachette mais Anne a réussi à se débrouiller : notre bâtarde est vivante. La dernière fois que je suis venu elle était malade. Bien malade. Et là elle me regarde. Ca lui fait trois ans et demi maintenant. C'est fou. Et en la regardant on peut pas la confondre avec la fille du facteur. Trop bronzée pour ça. Puis les cheveux noirs et hirsutes. Me demande pas pourquoi mais je suis très flatté d'avoir si peu de gènes récessifs.

Coucou !

Je m'accroupis pour bêtifier à sa hauteur. Elle est sale, maigre, mais vivante et en capacité de ses moyens vu qu'elle court vers moi. C'est impressionnant ce qu'elle a gagné en agilité, on dirait vraiment une petite personne et plus un bébé. Là elle fait une tête trop adorable genre "kesskipass" version petit enfant. Elle devait me croire mort, j'ai disparu un tiers de sa vie la pauvre. Je me relève en la portant dans les bras. Elle a vachement gagné sur le plan vertical, je suis obligé de laisser pendre ses jambes.
Comme je suis vraiment dans la confusion totale, je tâtonne à ma ceinture pour y trouver une bourse. Dedans y a tout l'argent que je pouvais transporter. Avec Lucain on a le pot commun mais aussi nos réserves personnelles, source d'harmonie dans le couple. En vrai j'ai plein de pez', caché un peu partout, mais j'ai pas l'occasion de le dépenser. Je le tends à Anne.

Oh putain... je savais pas je... elle est pas crevée !

La mère de ma fille inspecte le contenu d'un air concentré, avant de vite cacher la bourse dans les replis de ses fringues. Son oeil s'illumine et elle a moins l'air d'une vache sur le point de crever. Pendant ce temps Jade gazouille à en exploser et je suis immédiatement reconditionné à ignorer une partie des bruits stridents qu'elle pousse en permanence.

Tu veux bien surveiller la p'tite ? J'connais un bon plan pour avoir du pain tombé d'la charrette et du pâté d'tête.

Je lui fais oui de la tête avec enthousiasme. Elle ramasse deux trois merdes inutiles comme font les femmes quand elles doivent sortir puis elle se dirige vers la porte. A ce moment là j'entends un petit cri qui provient pas de la bouche de Jade. Dans un coin de la pièce y a une paillasse, et dans la paillasse y a une petite forme. Un bébé. Je vois Anne qui a l'air en colère, puis triste. Moi pendant ce temps je donne un petit bout de pain à Jade parce que je m'en bats les couilles. J'en ai gardé dans ma poche au cas où, le fol espoir. J'ai eu raison.

Nan mais t'inquiète on a tous fait comme on a pu, j'vais pas faire le connard parce que...

Tu comprends pas ! Je file, j'te laisse comprendre tout seul. Sale baltringue. J'ai failli claquer sur ce coup là.

Et sur ces énigmatiques paroles, elle se tire. Moi je vais voir le bébé parce que j'aime bien les bébés.

Meeeeerde. Viens voir Lucain !

Ca - parce que c'est dur de deviner le sexe des bébés - a environs trois mois. J'le sais parce que j'étais très à fond sur tout ce que faisait Jade. On peut pas être misogyne sur tout, et j'aime bien faire des trucs avec des gosses - pas les trucs pas marrants genre nettoyer derrière ou le consoler quand il hurle à plein poumons au milieu de la nuit pour des raisons connus de lui seul. J'ai eu plein de frères et soeurs, tout ça.
Mais bon c'est pas ça qui me fait dire "merde". Je devrais pas le dire d'ailleurs, c'est pas des choses à dire à son gosse la première fois qu'on le voit.
Il est bronzé avec les cheveux noirs ce con.
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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyJeu 13 Juil 2017 - 19:13
Quand j’étais jeune, c’est-à-dire maintenant car malgré toute la maturité que j’essaye de faire preuve je suis effectivement un sale jeune, j’avais l’habitude de courir les jupons. Je les ai courus dans tous les sens, aux quatre coins du monde. J’ai marché avec l’ost de Sigfroi, j’ai fais une guerre privée avec mon oncle, j’ai embarqué sur les vaisseaux qui portaient le drapeau du Doge de Verastre, et j’ai porté un bouclier épaule contre épaule avec les frères chevaliers de l’Ordre du Saint-Cippe. Mais toujours le même péché m’a coursé, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne suis pas devenu un moine-soldat parmi ces derniers ; Je baise. Je baise tout le temps. Le plus marrant c’est que faire zizi c’est pas forcément marrant ou incroyable, parfois c’est décevant, il arrive même que ça fasse mal. Non ce que j’aime, je m’en rends compte et je vous l’avoue, c’est la grosse poussée d’ego et la branlette intellectuelle quand on sait qu’on a réussi à faire chavirer le cœur d’une fille, qu’elle soit paysanne ou comtesse.
Le problème, c’est que j’ai jamais eu le courage d’assumer la suite de ces relations. Posséder le cœur d’une fille c’est bien, mais donner le sien c’est pas pareil. J’ai donc pris comme habitude de le balancer au loin, de monter sur mon cheval, et de m’enfuir autre part. J’aime pas les filles qui pleurent, ou qui hurlent et qui jettent des trucs. J’aime pas les larmes et les engueulades, même ça je peine à l’affronter. Une fois, une fille de baron, une gamine noble et tout, elle s’est mise à pleurer et à s’accrocher à ma jambe pour pas que je parte, devant ses servantes et ses domestiques, vous imaginez la scène !
Alors là, en voyant le bébé dans sa paillasse, je ressens un profond malaise, alors que je suis pas censé être concerné par la situation. Si j’étais un vrai connard en fait, j’aurais juste à me foutre les mains dans les poches et me casser. Pourtant je peux pas m’empêcher de me pincer les lèvres et regarder mes pieds. J’ai l’impression de transposer mes émotions à travers la situation de Malachite.

Je ne peux pas m’empêcher de bredouiller quelques conneries, essayant de me montrer d’un piètre réconfort.

« Ah, heu, c’est... Un peu inattendu... »

Je m’approche de bébé en parlant à voix basse. Le machin a des gros yeux qui pétillent, tous écarquillés. Il ouvre bêtement la bouche en me voyant. Dans notre dos, le gamine nous observe en s’approchant, apparemment pas trop inquiète de la présence de deux messieurs barbus et couturés dans son foyer.

« Il te ressemble beaucoup dites donc, je lance comme banalité dans sa tronche, comme s’il n’avait pas été capable de s’en rendre compte lui-même ; ça m’est sorti tout seul. C’est heu... C’est étonnant. »

On reste là, un peu bêtement. Mais finalement Malachite décide d’attraper sa primogéniture dans les bras. Le machin babille et tente de bouger, mais il est emmailloté dans un tas de linge, si bien qu’il est difficile de ne pas voir autre chose d’une sorte de gros jambon avec des yeux qui bougent et des lèvres qui tremblotent.

« Il est adorable...
C’est un ‘’il’’, hein ? »


Malachite en a pas foutre idée, il hausse les épaules.

« Elle s’appelle comment elle ? Je demande en pointant du doigt le petit bout de femme qui s’est assise en tailleur dans un coin de la maison pour grignoter son bout de pain, comme un petit singe.
– Jade.
– Coucou Jade. »


Je fais un petit signe de la main en agitant les doigts. Elle a l’air de s’en fiche. J’ai pas tellement le tact avec les gamins.

« Je... Je comprends pas. Pourquoi qu’elle a eu un gamin ? Enfin je veux dire, vu sa situation, et, vu la tienne, je veux dire... Elle aurait pu... »

L’avorter ? Le noyer à la naissance ? L’abandonner sur le perron d’une église ? Moi et Malachite nous sommes compris, on connaît ces options. L’infanticide et l’abandon c’est commun, c’est presque vu comme quelque chose de normal dans certains quartiers.
Mais il y a une réponse toute simple à pourquoi elle l’a pas faite, et j’imagine que c’est celle-ci.

« Anür elle pleure les enfants disparus... »

Je trouve que c’est plus simple à retenir qu’une autre idée. Genre qu’elle est amoureuse de Malachite. Genre qu’elle s’est attachée à ce truc qui lui est sorti d’entre les jambes. Pour moi ce serait comparable à de la folie, tout simplement. Ce monde il est pas fait pour les enfants.

Un mobilier notable c’est une vieille table avec des échardes dessus. Y a pas de chaise mais un unique tabouret sur lequel Mala va s’asseoir en portant bébé. Moi je m’installe directement par terre, sur des lattes en bois qui grincent un peu. Le petit singe qui a terminé de grignoter son bout de pain s’approche alors pour venir voir son papa, et lui quémander des nouvelles.
Si elle était plus vieille, peut-être qu’elle serait capable de formuler des propos un peu plus fournis et recherchés que des gazouillis et des mots mis bout à bout. Mais là elle demande surtout où que papa il est. Et puis elle me pointe du doigt en disant « quicé lui ? » Je me permets donc de répondre avec un grand sourire un peu forcé.

« Moi c’est Luc. Je suis un ami de papa. »

J’observe donc Malachite un peu peiné et inquiet, qui est fort à la tâche avec ses deux chiards. Moi je me gratte derrière le cou. Je me demande quand est-ce que la maman va revenir. Il faudrait peut-être qu’on prévoie qu’est-ce qu’on va lui dire.

« Hey Mala, je me dis que... ‘Fin... Ta copine là, elle a l’air...
Bah elle a pas l’air méga au point quoi !
Sérieux frère, elle peut pas vivre ici. C’est un quartier craignos et maintenant elle a deux machins à nourrir. Alors je vais te poser une question cruelle mais elle est très très importante. »


Je chuchote le truc que je vais lui dire.

« Ces gamins et la meuf... Tu y tiens ? Beaucoup ? »
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptySam 15 Juil 2017 - 7:36
Parce que t'as l'air au point toi p'tète ?

Je serre contre moi la petite boule de haillon qui me sert me progéniture.

Evidemment que j'y tiens ! Tu vas pas me les tuer dis ?

Je regarde Lucain d'un air affolé. Evidemment ça reste un noble, donc quelqu'un capable d'une grande cruauté, pas comme nous. Probablement qu'ils noient leurs bâtards les nobles. Pendant ce temps Jade nous regarde de loin d'un air méfiant en mangeant les petits cafards en train de courir sur le sol en terre battu. C'est fou comme on dirait moi en fille.
Le nouveau bébé... je le dégage de ses langes pour quand même connaitre son sexe. Une fille aussi ! C'est vraiment bien. Ca ne m'aurait pas plu d'avoir un garçon, je suis pas digne d'en connaitre un. Comment je pourrais l'éduquer à quoi que ce soit ou même le regarder dans les yeux ? Là j'peux gazouiller tranquille. Si Lucain me les mange pas.

Tu sais au début j'étais pas pour, puis on s'y fait.

Mais c'est vrai que je me demande pourquoi Anne n'a pas "décroché" le bébé. Visiblement le garder en vie lui a énormément coûté. Je lui demanderai plus tard, au calme.
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptySam 15 Juil 2017 - 15:41
« Mais non je dis pas ça pour leur faire de mal ! Je me mets à jacqueter avec un ton rauque, méchant, piqué à vif par le sous-entendu cruel de Malachite. Tu crois vraiment que ce serait mon genre de faire du mal à des gamins ?! Enculé va, pas étonnant que personne te supporte. »

Je me remets debout pour m’asseoir sur la table, ne supportant plus trop de me contorsionner sur le sol. Et j’essaye un peu de regarder bébé dont Malachite s’amuse à défaire le linge qui le protège. Moi je crache par terre, comme je fais toujours quand je me sens contrarié.

« Non je te dis ça pour toi. ‘fin surtout pour ta copine. Franchement elle peut pas continuer à vivre ici. C’est dangereux, et si j’en crois le spectacle de tout à l’heure, avec le patrice qui a tenté de nous engager pour qu’on aille larder un prédicateur, c’est que ça commence vraiment à chauffer.
T’imagines ? Entre les mendiants prêts à tout pour bouffer, les criminels, et les pontes qui veulent protéger leurs commerces, ça va chauffer. Mais le pire ça reste quand même la religion. T’as peut-être pas la foi mais la très grande majorité des gens l’ont, la foi. Et la foi, c’est puissant pour garder l’esprit et vivre d’un jour à l’autre, mais des fois ça fait faire un peu n’importe quoi, tu peux même justifier les pires sévices dans ton esprit. »


Là j’aurais huit mille anecdotes à raconter à Malachite, de comment des chevaliers du Saint-Cippe brûlaient des villes au cri de « Rikni le veut », de comment des mamelouks égorgeaient des moines en hurlant le prénom de leur prophète, ou même ces païens qui hululaient le synode des Divins-Hybrides alors qu’ils cramaient des missionnaires pacifiques. Mais j’ai pas le temps pour ces détails de ma vie passée.C’est juste pour dire que j’ai pas envie de voir ce qui se passera quand les triérarques de Marbrume vont agiter l’excommunication et que la dizaine de chevaliers crève-la-faim vont ramener leurs massues dans le quartier pour punir les flagellants.

« Je te dis ça parce que... Bah tes enfants ils ont besoin d’être à l’abri. Et d’être soignés. Et de manger autre chose que des cafards. Et surtout vivre dans un endroit qui pue pas la merde et qui est pas rempli de truands.
En clair je suis en train de te dire que, quitte à risquer nos vies pour aller sur l’Esplanade et aller faire chier mon oncle... On pourrait aussi lui demander de mettre à l’abri les tiens. »


Je prends une grande inspiration. J’aimerais expliciter cette idée, mais en réalité je sais pas si Malachite saisit bien ce que je veux dire.
En tout cas, sa dulcinée est revenue. Et entre les mains, elle tient une miche coupée de pain bis et rassis. Elle rentre chez elle, lasse, en fermant la maigre cloison qui sert de porte derrière elle, et arrive pour le donner à Jade, qui peut enfin mettre autre chose que des nuisibles sous son nez.
Puis elle s’approche de Malachite, et toujours sans dire aucun mot, lui vole le bébé des mains. Sans aucune pudeur, elle tire sur son manteau pour faire apparaître l’un de ses seins veineux et pendant, et en berçant un petit peu l’enfant de quelques mouvements de droit à gauche, elle l’encourage à téter. C’est compliqué et laborieux, parce que le machin se met un peu à crier et à se débattre. Je me sens un peu terrifié à voir ça, on dirait un de ces portraits misérables qu’on voit sur les vitraux des cathédrales ; Normalement, là, Rikni est censée venir bercer le bébé, Serus est censé calmer sa faim, les Dieux ils bougent leur cul pour l’aider. D’ailleurs je reconnais la petite chanson que Anne est en train d’entonner, c’est un petit poème envers Sainte-Héloïse la nourrice.

« C’est qui lui ?
Demande-t-elle d’une voix beaucoup plus méchante à son amant en me désignant d’un mouvement de la tête.
– Mon nom est Lucain d’Agrance, je réponds à sa place et en donnant mon vrai patronyme, chose assez rare car j’ai l’habitude de mentir sur mon identité. Je suis fils de Vulgrin IV d’Agrance, vicomte de Narvilliers et seigneur de Fallon.
– ...D’où que tu traînes avec ça, maintenant ? »
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyDim 16 Juil 2017 - 8:41
Mais à l'abri comment ? Ils vont les enfermer à la cave pour toujours ?

Contrairement à ce que pourrait croire la grosse bourgeoise de base, vivre comme domestique c'est pas le rêve de tout le monde. Certains préfèrent pouvoir être bourrés en début d'après-midi plutôt que le confort matériel. Anne et moi on en fait parti. Dans ma tête faire le larbin c'est un truc horrible, surtout pour une femme. Mais on a pas le temps de continuer la conversation parce que la principale intéressée vient de rentrer.

Elle entreprend de nourrir Petite Inconnue, pendant que Jade mâchouille le pain avec des petites quenottes toutes blanches. Le contraste est fort sur un visage noir de crasse. C'est vrai que c'est pas un spectacle reluisant.

Baaaah... c'est un copain banni, fais pas gaffe quand il dit des trucs bizarres genre son nom, c'est leurs trucs aux nobles.

De ma brève expérience en la matière, ils aiment beaucoup s'entendre parler. Le prêtre, Lucain, ce mec que j'ai croisé une fois, Yseult... ils adorent tous le son de leur voix.

Mais c'est incroyable que les deux soient en vie, comment t'as fait ?!

Anne me jette un regard plein de haine, mais comme en face elle a juste mon air béat d'émotion devant le bébé, ça calme. Elle aimerait bien m'engueuler d'être parti, mais j'ai pas la gueule de quelqu'un qui a passé des vacances à la plage avec des jolies filles. J'aurais aussi bien pu ne jamais revenir du tout.

Bin lavandière ça marchait plus trop alors j'vends des petits paquets de sel au marché. Mais ça aussi ça commence à battre de l'aile.

Ca te dirait de te planquer dans l'Esplanade ?

Comment ça ?!

Du coup on regarde tous Lucain parce que c'est lui qui va nous expliquer qu'est ce que putain de quoi.
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyDim 16 Juil 2017 - 17:45
« Malachite putain ! Pourquoi tu lui en parles ! »

Je rugis véritablement en me levant de la table. Il y a un truc dont j’ai horreur, c’est de faire des promesses que je peux pas tenir. Et là, ce crétin, à parler de l’Esplanade, ça sent déjà pas bon. J’en crache par terre, une deuxième fois, tout en passant mes mains sur le cuir de ma ceinture que j’agrippe. Peut-être que ma conversation serait un peu plus fournie et intelligente si je n’avais pas sifflé de la liqueur derrière la cravate, mais je tente malgré tout de formuler les prémisses d’une idée.

« Moi et Malachite nous sommes venus pour une raison bien précise. Ça commence à puer pour les gens marqués comme lui et moi. J’ai eu vent qu’il y a de la parlotte au parlement, que la mauvaise graine fait pression pour qu’on considère la marque comme une peine de mort par contumace. Ça veut dire qu’on pourra plus être gentiment accueilli de partout, et que les miliciens avec qui on peut s’entendre vont être obsédés à l’idée de nous faire de jolis nœuds de chanvre autour de la gorge.
Mon oncle vit à l’Esplanade. C’est un homme d’une bonne importance auprès du duc, et qui tient plus-ou-moins à ma vie. Si je suis ici, c’est pour tenter d’aller le voir.
Le but n’est pas de se cacher indéfiniment dans son manoir. Mais je veux dire... C’est mon oncle. Il a toujours eu des solutions pour me sortir de la merde, je compte sur lui également aujourd’hui.
Je peux pas te promettre grand-chose, j’aime pas jurer, mais on pourrait s’arranger pour te trouver un coin où vivre qui soit plus tolérable que ce quartier pourri et humide... »


Je hausse les épaules pour ponctuer mon propos. En réalité je ne sais pas quoi raconter. Qu’est-ce qu’on peut faire d’elle ? Elle est pas assez jolie pour qu’on fasse croire que c’est une maîtresse, chose qui justifierait amplement de l’entretenir. Elle a l’air trop gauche pour servir de gouvernante dans une mesnie. En plus, mon oncle n’est pas quelqu’un de très agréable ou de très patient, et pour lui la majorité des problèmes se terminent avec des noyades ou des chutes d’escaliers, du moins c’était le cas pour sa première épouse. Lui ramener Malachite, un damné ostracisé, c’est une chose ; Ramener une fille juste en couches ça va le rendre paranoïaque, paranoïaque à l’idée qu’elle puisse se mettre à faire de la délation en échange de fric.

« De toute façon tu as besoin d’argent, c’est pas un lieu pour faire grandir les enfants ici. Alors, je me disais... Mala, ça te dit qu’on aille Au Bon Pavois rencontrer notre ami ce soir ? »
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyLun 17 Juil 2017 - 10:45
Mais ça la concerne faut bien que je lui en parle à un moment !

Je grimace. Les enfants ne bronchent pas devant le grand monsieur qui crie. Sinon j'aurais pu dire "gueule pas tu fais peur aux mioches". Maintenant j'ai plus d'excuse. J'aime pas les gens qui hurlent, mes tripes se fichent du contexte.
Lucain en crache par terre et explique ses trucs.

Puis pourquoi il vient chez moi dire que c'est pourri ? 'fin moi j'veux pas... 'fin...

Puis Anne s'est perdu en marmonnements à propos que c'est propre ici et on fait ce qu'on peut et y a d'autres maisons où y a de la merde de bébé partout par terre et les enfants sont en bonnes santé et c'est juste la grossesse qui a été très fatigante et patati patata. Moi à coté je faisais des "mais oui je sais" en insistant sur le fait que les enfants étaient très bien. Puis elle s'est levée pour tourner le dos à Lucain et faire style la tâche sur le mur est très intéressante. C'est vrai que les cafards on y peut rien, ils viennent de dehors, c'était déjà le cas avant la Fange.
Je lui ai chuchoté à l'oreille que Lucain c'était un gros barjot, vraiment fêlé à tous les étages, mais qu'il y avait de l'argent ou de la bouffe à grapiller dans l'histoire et que je lui en rapporterai le plus vite possible. Ensuite j'me suis dit que j'avais très envie de partir. Du coup j'ai marmonné quelque chose genre "il faut vraiment qu'on y aille parce qu'on a laissé le gaz allumé" puis trois secondes plus tard j'étais dehors et je respirais mieux. J'ai même pas dit au revoir aux gosses. Ca m'a fait mal au ventre. C'est pas des objets qu'on pose et qu'on oublie, normalement.

Du coup on va vraiment chercher de la maille pour les gamines ? T'es pas obligé c'est pas toi qui les a fait. Surtout qu'elle sentait l'embrouille cette affaire là.... ouais t'es sûr ? Tant mieux... Mon plan B pour me faire de l'oseille c'était de me prostituer, j'crois pas que ça marcherai fort.

Puis je lui fais mon plus beau sourire "fortune des dentistes" parce que c'est une blague sur le fait que je suis moche. Je suis content qu'il m'aide pour la thune quand même.
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyLun 17 Juil 2017 - 19:33
« Bien sûr que je vais t’aider Mala. Pas pour toi mais pour les deux gamines. Ça me fend un peu le cœur qu’on fasse du mal à des enfants. Pourtant j’ai déjà fait du mal à beaucoup de gens dans ma vie, mais merde, des enfants quoi ! C’est trop cruel pour moi. »

Aider le banni m’attire souvent des emmerdes. Mais pas l’aider, ça veut dire m’aliéner ce Malachite, qui est peut-être l’un des seuls amis qui me reste, pour peu que « ami » veuille dire quelque chose dans ce monde.
C’est donc pourquoi, en quittant l’appartement minable et terreux qu’habitait Anne, nous nous sommes mis en quête de trouver l’auberge Au Bon Pavois.

Étant nouveau dans les rues sales du Labourg, je n’avais pas la moindre foutre idée d’où que ce commerce pouvait bien tenir. Mais étonnamment, Malachite n’en savait pas plus que moi. On a donc été obligés de trouver quelqu’un à qui parler, mais la majorité des gens nous fuyaient, certainement à cause de nos airs et nos longs manteaux qui nous faisaient passer pour des tueurs. Bien souvent, en arrivant devant quelqu’un pour lui tendre la patte, voilà que celui-ci bredouillait des excuses, baissait la tête et s’en allait. Un vieux monsieur, lui, a montré sa mâchoire et dit qu’on lui faisait pas peur, réaction que j’ai trouvée très bizarre.
C’est finalement un amputé mendiant au crâne rasé qui a eu la gentillesse de nous aiguiller et de nous faire la conversation. Apparemment, cette auberge venait tout juste d’ouvrir après qu’un riche patrice venait de racheter un commerce d’apothicaire ; On y servait de la bonne boisson, de l’alcool de contrebande, et également des produits stupéfiants orientaux. Malgré tout, il nous donna le conseil de ne pas aller faire n’importe quoi, car le Bon Pavois n’était pas situé au Labourg, un quartier tranquille et paysan, mais dans la Grande Rue des Hytres, où nombre de commerces se faisaient face.

J’ai donc prévenu Mala qu’il faudrait faire attention. Car les Hytres étaient patrouillées et qu’il ne faudrait pas avoir l’air louche. Le gamin a paniqué, et moi également, un petit peu. Nous avons quitté les lopins sillonnés et les chemins boueux, pour escalader la ville vers son nord.
Lentement, les chaumières ont été remplacées par des constructions en bois accolées les uns aux autres, jusqu’à ce que nous nous retrouvions dans un coin pavé et agité. Il y avait au moins un grand nombre de mabrumois, et les miliciens, qui marchaient au pas en binôme pouvaient facilement être repérés au son de la semelle de leurs bottes qui claquait par terre. Nous avons pu donc nous faire à peu près discret, au milieu d’une petite foule grouillante, en passant derrière des charrettes tractées par un âne, en se cachant derrière un gars qui vendait du pain à deux vieilles qui comméraient, on a su éviter les barbouzes qui auraient pu nous alpaguer ou nous prendre en filature. Par réflexe, j’ai tout de même chuchoté quelque chose à Malachite :

« Garde un couteau dans ta manche, comme je te l’ai appris. Si un milicien s’approche, tu peux lui trancher la gorge avant de t’enfuir ; Trancher, jamais transpercer, car si le gars peut encore crier et se débattre, ses collègues s’approcheront de lui pour lui sauver la vie, ça te fera gagner de précieuses secondes. »

Finalement, nous avons trouvé l’auberge. Et ce n’était pas un bistrot ou un débit de boissons minuscule, ça c’est sûr ; En réalité, le Bon Pavois pouvait se permettre le luxe de réquisitionner tout un bâtiment indépendant à lui tout seul, étant quadrillé par deux petites ruelles attachées à la voie des Hytres. Il y avait devant un mulet qui tractait une calèche sur laquelle reposait un gros tonneau, mais si la circulation était ainsi coupée dans un sens par l’animal et son chargement, deux bonshommes s’en débarrassaient en la tractant vers une cave dont une porte la reliait directement à l’avenue. Moi et Mala, nous longions le mur du rez-de-chaussée ; Il y avait de jolies fenêtres très propres, mais l’une d’elle était manquante, et un artisan prenait des mesures en se mettant debout sur un tabouret, probablement que le bâtiment était en pleine rénovation et qu’il ne devait pas ressemblait à ça avant. Pourtant, aucun moyen pour nous d’observer la décoration intérieure : De grands rideaux violacés bloquaient la vue des curieux. Devant la porte d’entrée, qui était grande et double, un monsieur tenait la garde. Un gars baraqué, dont le vêtement ressemblait à une brigandine de mercenaire. En nous voyant approcher, il nous afficha la paume de sa main. Malgré son accent étranger, typique des lansquenets, il nous parla avec une politesse rare et mal-avenue pour un soldat :

« Pardonnez, mes bons sires ; Le commerce n’est pas encore ouvert.
– Le proprio qui nous a appelé
, je grognais.
– Maître Degrelle ne m’a pas prévenu de rencontrer qui que ce soit aujourd’hui. »

Je me mettais à lui expliquer que son patron m’a alpagué dans la rue pas plus tard qu’aujourd’hui, et qu’il m’a demandé de venir voir ce soir. Le lansquenet a pas trop apprécié, car il a froncé les sourcil et montré les crocs, mais cela n’a en aucun cas mis à mal sa politesse ; Parlant toujours avec distinction, il m’a proposé de revenir ce soir, s’est excusé pour le dérangement, m’a assuré de sa sollicitude, a même proposé à moi et Malachite d’autres adresses où nous pourrions nous détendre pour patienter.
Tout ce moment à parlementer avec lui, alors que je me mettais à lui dire méchamment que j’avais pas de temps à perdre, m’a pas permis d’observer derrière moi. Quelqu’un nous observait. Il y eut un homme qui siffla à notre attention, et à celle du vigile de la porte. Le tonneau avait été rentré, et maintenant, un gars un peu dodu et bien habillé nous fit signe d’approcher. Après un mouvement d’acquiescement avec Mala, nous quittions le lansquenet, qui ne s’en formalisa pas, et nous nous approchions de la cave.

On descendit un minuscule escalier pour franchir la grande porte. Elle était bien large, solide, et avec des chaînes ; Nul doute que, une fois verrouillée, elle devait être impossible à crocheter ou à enfoncer, à moins que ce ne soit la milice qui débarque avec un bélier. C’était assez normal, puisqu’à l’intérieur, il y avait un véritable trésor : De gros tonneaux empilés les uns à côté des autres, sur plusieurs étages, même si aucun n’était marqué et que je ne pouvais donc pas savoir quel alcool était un véritable petit trésor et qu’est-ce qui n’était qu’un mélange infect et toxique fait avec des moyens de contrebande. En tout cas, des gens continuaient de travailler, et si nous suivions le monsieur avec l’embonpoint, je ne pouvais pas m’empêcher de regarder les regards curieux des employés.

Le gros dodu s’arrêta et nous désigna une table au fond de la cave, un peu isolée grâce aux meubles et aux armoires tout autour. Le gars de tout à l’heure, qui nous a fait chier dans la rue, était assis avec de la paperasse. Sans même lever les yeux sur moi ni Malachite, il se mit à parler, la plume à la main.

« Eh bien dites donc. Je pensais que vous viendriez me voir d’ici à une ou deux semaines, quand l’appât du gain vous aurait remué les méninges. Mais finalement, il ne vous a pas fallu plus de quelques heures... C’est impressionnant, ce retournement de veste. »

Un silence gênant resta. Le monsieur souriait en coin. C’était fou, parce que le gars avait beau avoir deux gardes du corps, des employés, un commerce en pleine rénovation, de l’alcool qui devait valoir une fortune et qui laissait deviner un sacré patrimoine... Il avait pas du tout un aspect impressionnant, rempli de classe ou quoi que ce soit d’autre. Le gars avait plutôt l’air bonhomme, il parlait avec une voix nasillarde, il était mal rasé, il avait quelques boutons autour de la joue. Il ressemblait à un paysan, ou un petit artisan, certainement pas à quelqu’un d’influent. Alors je me mis à railler d’une voix rauque.

« C’est étonnant de la part de quelqu’un comme vous de s’adresser à des gens au hasard dans la rue. Vous recrutez vos employés comme ça ?
– Et quel genre d’homme je suis, au juste ?
– J’sais pas. Un gars important. Riche, au moins ?
– Mon nom est Ferrand Degrelle
, il dit en levant enfin les yeux vers nous, avec un grand sourire qui me paraissait étrangement vrai et réel. Je suis le propriétaire des ateliers Degrelle.
– Désolé, ça me dit rien.
– On fabrique des selles et du matériel pour chevaux. Des mors, des étriers, des rênes... Les nobles sont particulièrement friands de nos éperons plaqués or. Mais mon talent, ça a été de toujours me diversifier. Figurez-vous qu’il y a douze ans, je suis devenu associé d’une usine d’arbalètes. Et il y a cinq ans, j’ai tenté l’expérience de la fonte de clochers de cathédrales et d’églises.
La restauration, je m’y suis lancé y a pas trois ans, mais disons que la paperasse et les autorisations auprès du bailliage ont patinées, et ça s’est ralenti... Une sacrée histoire. Mais, pourquoi restez-vous debout ? Venez donc vous asseoir ! Vous souhaitez un verre ? Andros, allez leur chercher un verre ! »


Moi et Mala restions debout un petit instant. Quelques secondes au moins. Puis finalement nous nous avancions pour poser les fesses sur deux tabourets un peu trop grand qui étaient juste devant la table. Ferrand nous regardait en souriant, l’un puis l’autre, avec toujours, toujours ce sourire sur ce visage.
Je toussotais.

« Oui, oui, impressionnante carrière maître. Mais heu, en vrai... Pourquoi vous vouliez nous voir ? Vous avez idée de qui on est ?
– Peut-être que je le sais. Ça serait un sacré retournement de situation pas vrai ? »


Son sourire se fit encore plus grand. Presque carnassier. Moi mes yeux s’écarquillèrent. Qu’est-ce qu’il racontait ce crétin ? Est-ce qu’il bluffait ? Est-ce que c’était un attardé mental qui faisait une blague pas drôle ? Est-ce qu’il jouait au mec puissant et qui déstabilisait, comme un jeune homme qui a trop lu des romans d’espionnages et qui n’a pas la moindre idée de comment les gens parlent dans la vraie vie ?
Ou bien... Est-ce qu’il est au courant de quelque chose ? Ce serait particulièrement fou. Moi et Malachite nous venons juste d’entrer à Marbrume, nous n’y sommes que depuis 24 heures, comment quelqu’un pourrait nous suivre et être au courant de notre arrivée ? Encore que... Encore que quelqu’un aurait pu nous trahir. Quelqu’un au village ? Mais qui ? Vauquier l’adroit, le dizenier que nous avons humilié ? Pourtant nous étions en bons termes depuis, il nous avait offert un verre. Peut-être ces miliciens qui nous ont pissé dessus pendant que nous étions cachés dans un buisson ? Mais pourquoi auraient-ils fait une telle chose ? Ou alors c’était Michel le Borgne, ce chasseur qui avait maintenant une prime sur la tête depuis qu’il était poursuivi pour meurtre, parce que nous l’avons dénoncé, et qui pourrait chercher à se venger... Le passeur, ce mutant immonde qui vivait dans les tunnels, aurait-il fait preuve d’un manque de discrétion ? Ou bien, plus simplement et sans aucun rebondissement rocambolesque, est-ce qu’un des clients de l’auberge où Astrid nous cachait s’était-il mit à colporter des rumeurs ? Surtout, le message était passé aussi vite ? Remonté jusqu’aux oreilles de maître Degrelle, qui l’aurait appris en une journée, et qui aurait reconnu mon visage, au milieu d’une populace de plusieurs dizaines de milliers de personnes ? Je sais que j’ai une certaine célébrité, mais pas au point que tous les pégus de la cité connaissent mon nom et ma trogne, surtout devenue sale et barbue.

« Vous avez pas répondu à ma question. Vous avez vraiment l’habitude de parler aux gens au hasard dans la rue et de leur demander s’ils peuvent bosser pour vous ?
– Jamais au hasard, non. Jamais au hasard.
Mais je suis un homme qui parle rapidement et honnêtement. Alors je vous pose la question à tous les deux.
Confirmez-moi. Est-ce que vous êtes qui je crois que vous êtes ? »
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMar 18 Juil 2017 - 12:19
Moi j'ai pas envie de dire "oui on est des bannis monsieur, c'est ça que vous cherchez ?". Lucain non plus. Alors y a quelques secondes de blanc où chacun cherche comment tourner autour du pot. J'aime pas être enfermé dans cette maison, y a trop de monde entre moi et la sortie. Tout seul je serais jamais allé jusque là. Putain de chevalier courage. On va encore être dans la merde.

Pas trop gênant ce doigt en moins pour tenir une arbalète ?

Je me suis massé le moignon tout l'après-midi, vu que mon auriculaire absent me gratte. J'arrête immédiatement, sans raison vu que le mal est fait. Du coup tout le monde a vu le doigt vide de mon gant se plier dans des positions pas naturelles. J'ai su creuser mon trou dans les rumeurs avec une description du type "un métèque banni avec un doigt en moins". Y en a pas dix milles. Mais je pensais pas que ça avait autant circulé, que quelqu'un tente concrètement de me reconnaître à partir de ça.

Bin nan, ça va.

N'empêche que je ne l'imaginais pas comme ça le tueur sanguinaire de prêtre et de milicien.

Devant mon oeil écarquillé et mon pâlissement tellement intense que même mes lèvres en deviennent blanches, il est content ce con. Il aime bien doser ses effets d'annonces et je tombe en plein dedans parce que c'est la première fois que je l'entends sorti bout à bout dans la bouche d'un inconnu. Si on était pas en public je me cacherais derrière Lucain.

C'est juste des fables à la con j'ai rien fait !

L'histoire du métèque fou colle bien à l'époque et elle a bien circulé, mais moi j'aime chercher le fond de vérité en trouvant les témoins de première main. Ce putain de passeur, par exemple. Il devrait directement afficher une liste sur un mur pour gagner du temps tellement il arrête pas de vendre ses clients à tout le monde.

J'ai rien fait du tout !

D'accord d'accord, on n'en parle plus, mais c'est toi qui m'oblige à rentrer dans le lard à force de pas assumer. Bref. Non je m'en fiche de ces histoires, calme toi. Voilà. Chut. Moi ce qu'il me faut, concrètement, c'est une mort violente de prêtre, mais pour des raisons personnelles je veux que ça n'ait aucun lien avec moi. C'est faisable ou non ?

Il nous laisse pas l'occasion de réfléchir entre nous en privé, il nous regarde avec son sourire de chien après avoir foutu le zbeul dans la tête du plus faible du duo. Enculé.
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMar 18 Juil 2017 - 17:48
Je tire la gueule. Je suis vraiment pas rassuré. Instinctivement, j’ai rentré mes doigts dans ma manche, prêt à sortir un couteau. Mais le dénommé Andros revient en portant deux godets qu’il nous fout sous le nez, et s’installe juste derrière son patron. L’homme a beau être dodu, je devine qu’il doit être un bon combattant très bien armé sous son habit de ville, et il n’est peut-être pas une bonne idée, au moins pour l’instant, de me frotter à lui.

Je saisis la coupe de vin et l’approche de mon nez. Ça sent bon. Au goût c’est un peu épicé. C’est de la vraie boisson, pas cette liqueur infâme qui rend aveugle. Je peux pas m’empêcher de la boire, tant on dirait un truc que boirait un Dieu.

« Et vous nous dites votre nom, comme ça, en nous engageant pour faire des trucs illégaux ? Vous avez pas peur pour votre peau ? »

Un sourire satisfait se dessine sur le visage du patrice.

« Beaucoup de gens s’imaginent que la fortune arrive par la trahison, par les coups bas et les arnaques. Moi je n’ai pas bâti mon patrimoine ainsi. Je n’ai jamais écrasé mes associés et j’ai toujours bien traité mes employés ; Du moins, j’aime les relations non-équivoques, simples et directes, et j’aime quand la confiance règne.
J’ai conscience que vous parler aussi ouvertement est un danger, mais c’est un risque que je suis prêt à prendre, car je souhaite que vous me fassiez confiance. En me faisant confiance, vous serez motivés à agir dans mon sens ; ça et le fait que je vous propose de l’argent honnête et en bonnes pièces. »


Je suis pas sûr de véritablement saisir la logique. Mais je me contente de réfléchir très fort en le caressant dans le sens du poil.

« D’ac. Bah alors, vas-y, mettons-nous à table maître. C’est quoi le problème ?
– Vous avez vous-même vu le problème ce matin alors que vous marchiez dans la rue. Des flagellants. Y en a partout à Marbrume, des gens comme ça. Y compris le genre de personnes que vous ne soupçonneriez pas ! Même un honnête commerçant, même un homme riche, même un fils de noble, le soir, ils se mettent à poil et défilent dans la rue au son de petites cloches agitées et se fouettent dans tous les sens. Comment leur en vouloir ? On est face à une malédiction divine, alors ils prennent des mesures.
– Hm.
– Il y avait un diacre, qui portait le prénom de... Gilles ? Je crois que c’est Gilles. Il a été ordonné prêtre il y a quelques mois. Un homme honorable, avec des principes, donc par définition un homme dangereux. Il avait pour paroisse une vieille chapelle au fond du Goulot, et il avait pour projet d’aider son prochain, tous ces gens misérables, surtout les réfugiés qui arrivent sans rien pour vivre.
Le problème c’est que le clergé manque cruellement de moyens. Alors il s’est résolu à autre chose pour remplir son sacerdoce : Il s’est mis à voler.
Beaucoup des entrepôts à grain sont sous l’égide du duc, et protégés par la milice. Mais il y a également des entrepôts privés, détenus à l’origine par des patrices qui commerçaient avec le monde entier. Imaginez ; Du bon grain, qui peut faire beaucoup de pain, mais que les mains du gouvernement veulent saisir, comme toujours. D’où croyez-vous que le marché noir est alimenté ? Par des brigands qui détournent des convois ? Ce n’est que la partie immergée de l’iceberg...
– Oui, oui, je me doute bien que les gens comme vous font pas dans le commerce honnête. Les gens riches le sont rarement.
– Haha !
Rit à gorge déployée maître Degrelle. Oui, c’est exact, mais les vivres sont une nouvelle base de fortune, un nouvel étalon de valeur, bien plus que l’or ou l’argent. Mais ce frère Gilles, c’est un idéaliste. Il s’est mis en tête de traquer ces entrepôts sauvages, bien cachés, bien forcenés, et il s’est mis à voler pour faire de la distribution de nourriture aux nécessiteux, aux pauvres, aux amputés. C’est probablement une intention très honorable de sa part, mais le problème c’est que cela l’a rendu populaire. Et quand on a de la popularité on a du pouvoir. Et quand on a du pouvoir, on en abuse.
Ce monsieur-là il règne dans les bas-fonds, comme un roitelet des sans-abris et des romanichels. Au moins on peut lui donner une qualité : Il a rempli son église comme jamais. Il a réussi à insuffler une nouvelle foi parmi ses paroissiens...
Quel dommage, qu’il a décidé de détourner cette foi. Voilà qu’il se met à ordonner à ses fidèles de se fouetter jusqu’au sang. Enfin, ça passe encore ça, au fond, tout le monde le fait plus ou moins. Non le truc vraiment dérangeant, c’est qu’il s’est mit à sous-entendre qu’il y aurait des coupables et des exploiteurs de la misère des pauvres. Des gens comme le duc, par exemple, qui a ordonné la rafle de plusieurs centaines de personnes pour peupler de force le Labet. Des gens comme les nobles, qui vivent en sécurité derrière un deuxième mur et qui se permettent encore d’avoir un grand train de vie. Des gens comme... Moi. Des bourgeois. Qui cacheraient la nourriture et qui imposeraient leur volonté aux aristocrates en échange de maintenir leur niveau de vie décadent et rempli de luxure. Quand on sait que des nobles passent leur temps à coucher avec des prostituées, peut-on leur en vouloir ? Tous les gens ne sont pas de braves chevaliers comme vous, Lucain d’Agrance. »


Mon nom a été dit sur un ton cruel et narquois, montrant bien qu’il se fout ouvertement de ma gueule. Mais je me contente de grimacer, sans rien dire d’autre.

« Et voilà que ce Gilles a décidé qu’il devait aller plus loin encore. Il s’est mit en tête de loger et de soigner les gueux.
Il squatte. Oui, entendez-bien ! Il y a plus d’un an, avant la Fange, j’avais acheté un beau bâtiment dans le Goulot, que je destinais à la constitution, pour mon fils cadet, d’une toute nouvelle usine : Une usine de papier. J’y ai entreposé des machines qui coûtent très cher, quelques matières premières, surtout du bois en pâte et du chanvre, et je n’ai pas oublié de payer très cher pour installer des cadenas et qu’un ancien lansquenet monte la garde. Cet immonde gueux l’a pris d’assaut. Il a cassé les fermetures, il a renvoyé mon vigile roué de coups, et il y a installé toute sa clique de serfs puants et baveux. Maintenant il entrepose des blessés, des mendiants et des amputés.
J’ai tenté de dialoguer avec lui. J’ai tenté de lui proposer de l’argent pour qu’il s’en aille. Il a répondu en me crachant dessus avant de me gifler, et à hurler à qui veut l’entendre que les Dieux me puniraient pour mon mode de vie. J’ai donc décidé de parler directement avec ses patrons, qui eux ont été bien plus réceptifs à mon cadeau. Il y a deux semaines, il a été excommunié. Officiellement, il est accusé d’hérésie et il doit se présenter à la cathédrale de Marbrume pour être jugé. Je pensais que la peur d’être renvoyé suffirait à calmer cette histoire, mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. Tout l’inverse ! Au départ, Gilles était vu comme un homme fou mentalement. Avec le temps, il a été vu comme un fou qui pouvait être gentil et dévoué. Maintenant, il est vu en victime, on prend sa défense, on le cache, des prêtres du clergé appellent à lever son excommunication. Il se permet même le luxe de quitter le goulot pour déambuler avec ses flagellants dans les autres quartiers. La milice, en tout cas, refuse d’aller le saisir de force : Ils pensent que ça pourrait conduire à une émeute.
Le problème, c’est que l’ordre du Saint-Cippe, lui, ne plaisante avec l’hérésie. Ils ne sont peut-être plus qu’une ombre minuscule de leur ancienne gloire, mais ce sont des militaires violents et entraînés, des chiens de garde aux ordres des Triérarques. Ils sont prêts à saisir Gilles ; Mais ils sont prêts à le saisir à coup d’épées, en enflammant tout sur leur passage. Étant donné que mon but est de récupérer mon entrepôt et ce qu’il y a dedans en état, je n’ai certainement pas envie de laisser ces fanatiques tout brûler.
J’ai donc besoin de vous. J’ai besoin de vous pour faire en sorte que Gilles se casse de chez moi. Le tuer est une solution définitive, bien sûr... Mais peut-être que vous auriez plus d’imagination que moi. »
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMer 19 Juil 2017 - 9:47
Lucain et le type négocient de l'argent par dessus ma tête, pendant que j'hallucine. Gilles ! C'était le pote de Philippe de Tourres, le prêtre que j'ai fait tué. Il m'aimait bien. Il était un peu con mais très protecteur, et à ce moment là de ma vie c'était pile ce qu'il me fallait. Il m'a manqué quand je suis parti de Traquemont. Mais c'est pas pour ça que je me fait une fête de le revoir. C'est des souvenirs pénibles tout ça. Y a la mort du prêtre entre nous. Il était pas là quand ça s'est passé, mais moi je le sais et ça me ronge.

Donc, même si je suis un type bourré de talents et de qualités et tout ça, on est quand même d'accord Lucain et moi sur le fait qu'il s'occupe plutôt de tout ce qui est discussion et négociation. Là il pose une option pour qu'on se fasse prêter du matériel si le besoin s'en fait sentir. Pas con. J'ai presque plus de carreau d'arbalète. Mais moi mentalement je suis ailleurs.
On sort de là, je sais même pas ce qui s'est dit sur la fin. Je suis en train de mourir de culpabilité. J'ai préféré pas parler du fait que je connaisse Gilles devant l'autre baltringue - qui est maintenant notre patron - pour me garder des options sous le coude. Et nous voilà dans la rue.

Donc Gilles vole pour les pauvres... pour quoi faire. C'est bien remarque. Evidemment que c'est bien. Mais j'ai fait tuer le prêtre ! Par pure bêtise, vraiment parce que j'ai pas réfléchi. Je tire la manche de Lucain pour attirer son attention.

Je crois que je connais ce Gilles. Sauf si y a un autre Gilles le diacre. Il est gentil.

Mes phrases sont anodines mais mon visage dis "au secours".

'fin faudrait que je le vois avant pour dire... mais si c'est lui on pourrait genre euh... bin pas le tuer. Peut être qu'on peut lui trouver un autre joli entrepôt tout ça.

C'est bête ce que je dis mais je suis un peu ailleurs. A un moment Lucain me retient par le biceps pour pas que je me casse la gueule sur un clodo en train de dormir par terre, parce que je regarde pas où je marche. C'est dire.
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MessageSujet: Re: En toute miséricorde.   En toute miséricorde. EmptyMer 19 Juil 2017 - 21:48
Ferrand Degrelle nous a à nouveau proposé à boire, mais malgré la qualité toute particulière du vin, j’ai refusé. D’ailleurs, je lui ai dit que je n’avais pas véritablement envie d’accomplir ses basses œuvres, mais que j’irais volontiers au goulot observer son entrepôt sans pour autant s’engager ; mais nous nous sommes compris,on sait ce que ça veut dire. C’est comme quand une fille dit que vous êtes moche et qu’elle ne veut rien avoir à faire avec vous, mais qu’elle accepte malgré tout votre invitation à dîner. Vous savez très bien ce que ça présage, simplement l’honneur féminin leur commande de ne pas accepter trop rapidement un vif coup de bite dans la grange. Ça je l’ai déjà expliqué à Malachite une fois, pendant mon rinçage rituel de dents avec mon urine pour garder mes crocs en bonne santé, une manie que j’essaye de lui inculquer pour qu’il ait un peu d’hygiène.

Du coup nous sommes repartis dans la rue, toujours en tenue de sicaire, et toujours en nous faisant le plus discret possible, en rasant les murs, en baissant la tête, en craignant à chaque carrefour, à chaque changement de ruelle, de tomber sur une rencontre fatidique avec une bande de miliciens qui chercheraient à nous poser quelques questions ; Sans doute sans véritablement suspecter quoi que ce soit, mais la marque cachée sous nos gants suffit d’elle-même à nous laisser dans le pétrin, et je doute certainement que, en l’état, Ferrand Degrelle puisse nous être d’un quelconque secours. Peut-être que si nous arrivons à virer Gilles, le patrice acceptera de nous aider, en plus de nous payer. L’argent j’ai prévu qu’il revienne entièrement à Anne, mais s’il est aussi puissant qu’il semble l’être, il peut peut-être me rendre quelques services en échange de basses besognes.

Mais alors que nous avons bien quitté l’avenue des Hytres dans un silence rituel, comme deux pénitents quittant une église, et que nous entrons dans ce quartier humide, sale, puant, et rempli de nécrophages humains et animaliers, des rats jusqu’aux receleurs de cadavres, voilà que Malachite se met à me parler. Et sous mon capuchon qui cache ma tête, je me mets à froncer méchamment des sourcils. Je le tire pour l’empêcher de trébucher la patte sur les jambes d’un clodo qui dormait, et qui se met à nous invectiver.

« Hey ! Fait gaffe où tu marches !
– Fait attention où tu dors, déchet. »


Je pousse Malachite dans le dos pour le forcer à continuer sa route, et en ignorant le SDF qui hurle et se met à jeter quelque chose vers nous ; Mais son lancer est trop faible et le détritus rebondit sur le trottoir derrière nous. Moi je chuchote à Mala, d’un air méchant.

« Tu as le bon dos de connaître tout le monde, toi !
Si tu connais Gilles, on peut peut-être le convaincre de partir sans faire d’histoires, effectivement. De toute façon, je ne vois pas en quoi le liquider convaincrait ses fidèles de quitter l’entrepôt. Mais n’empêche, moi j’attends de voir avant que nous prenions tous deux une décision.
L’important c’est de récupérer la maille de toute manière. Pour tes gosses et ta gonzesse. »


Nous nous retrouvons dans un véritable dépotoir. Le Labourg est pauvre, certes, mais c’est pauvre comme un village de paysans est pauvre pendant une famine ; Les gens restent assez solidaires, sympathiques et discrets malgré tout. Ici c’est pareil. Ici ça pue. Ça pue tellement que je dois sortir un mouchoir pour dissimuler ma bouche et mes narines. Les maisons ne sont pas des chaumières, ce sont de grands immeubles en bois, chevauchés les uns sur les autres, marqués par la vétusté et l’insalubrité. Parfois, un espace entre deux complexes d’immeubles est couvert de merde ou de déchets dans lesquels les rats et les mouches se ruent. Et alors qu’au bout de quinze minutes nous marchons dans une rue étroite, nous apercevons une vision horrible.

Quatre miliciens bloquent une avenue. Ils ont le visage camouflé par un mouchoir, exactement comme moi je fais. Derrière eux, une charrette est remplie de cadavres gris et nus, qui sont soulevés par des prêtres-guérisseurs de la Trinité couverts de la tête aux pieds par un manteau et des gants en cuir, l’insigne du sacerdoce accroché au cou, et de grands masques en forme de bec de corbeau protégeant leur visage, une vision sortie d’un cauchemar. L’un des miliciens lève sa main et se met à me parler.

« Halte ! Ce quartier est sous quarantaine.
– Du calme bon soldat ; Je n’étais pas au courant. Que s’est-il passé ici ?
– Des réfugiés qui étaient cachés dans la cave de ce bâtiment ont été retrouvés morts avec des bubons sur le corps. Les habitants de l’immeuble ont été infectés peu après. Par ordre de la prévôté de Marbrume nous avons été appelés afin de mettre cet endroit en quarantaine jusqu’à ce que les médecins de la Trinité mesurent l’étendue de l’infection. On peut pas risquer que ça se transmette à tout le goulot, ou pire, à tout Marbrume.
– J’ai été envoyé pour inspecter un entrepôt de la place des Lilas, ça fait partie de la quarantaine ?
– Qu’est-ce que vous voulez faire à la place des Lilas ? C’est rempli de truands, de prostituées, et de flagellants !
Dans tous les cas, oui, c’est une zone sous quarantaine. Le centenier Beaumont a commandé la quarantaine du quartier, personne ne peut y entrer ou sortir, excepté des médecins qui ont été autorisés.
– Est-ce que certains de ces médecins font partie de l’ordre du Saint-Cippe ?
– Bien sûr ! Il y a des hospitaliers parmi eux ! »


Quelle merde. Tout le quartier doit être une zone de non-droit à l’heure actuelle. Enfin, le goulot est déjà un quartier chaud, mais si on les abandonne à leur sort, ça laisse rien présager de bon.

« C’est bizarre, je n’étais pas du tout au courant d’une telle quarantaine.
– Elle n’a été décidée que hier matin, lorsque l’on a découvert des corps remplis de bubons ! Aucune proclamation officielle n’a été émise pour éviter un mouvement de panique, et les rumeurs sont contenues au goulot ; Les bourgeois et les paysans au-delà en ont un peu rien à fiche des gens d’ici. Mais je suppose que dès ce soir le bailli fera état de la situation à la populace.
Dans tous les cas il faut pas vous inquiéter. L’endroit est pas rempli de pestiférés ; Mais on préfère prévenir que guérir.
– Je comprends sergent. Passez une bonne journée. »

Le gars me salue et je le lui rends. Je pousse alors Mala et nous nous éloignons comme si nous repartions d’où nous venions. Mais c’est hors de question. Voilà que je me répands auprès de mon ami en messes basses.

« Comme par hasard ! Putain !
Si ça se trouve cette histoire de peste c’est rien que des conneries, un stratagème, une excuse pour boucler tout le quartier pendant que l’on fait expulser Gilles l’hérétique. Ou alors il y a vraiment un risque de peste, et alors là ça pue...
Est-ce que tu connaîtrais un chemin vers l’intérieur du quartier des Lilas ? Un chemin secret, qui soit pas surveillé par la milice ? Il faut qu’on franchisse le cordon interne. »
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