Un verre de plus ou de moins, au fond, quelle différence ? ( Libre )

La gorge serrée, je me dirige d'un air statique vers la plus mauvaise table de ce soir. Celle qui regroupe les plus ivrognes et déglingués des hommes de cette auberge. J'ai horreur en temps normal de servir ce genre d'individus, mais si j'ose protester ou avouer ma gêne, je sais pertinemment que ma patronne me virait sans ménagement. Elle n'est pas du genre à apprécier une quelconque marque de rébellion que ce soit. Je soupire intérieurement, replaçant sur mon visage de poupée, un masque jovial et chaleureux. Je sais que mon petit manège ne dupe personnes, certains visages m'observent d'un air compatissant, d'autres criards, se demandent quel sort me serait réservé si je faisais un pas de travers. Je sais qu'il arrive même à certains habitués, de parier entres eux combien de temps je tiendrais avant de foutre une nouvelle claque à un nouveau gars. JE n'y peux rien, je ne supporte pas qu'un homme ne pose ne serait-ce qu'une main sur moi, même sur mon épaule. Faut que je me défende, que je montre que je ne suis pas ce qu'ils recherchent chez une femme. Je m'empare avec empressement de leurs assiettes vidées, et de remplir par la même occasion leurs verres. Je détale presque aussitôt, ne leur donnant l'occasion que de me siffler une fois partie, comme si je n'étais qu'un vulgaire bout de viande.

Je sers quelques messieurs, avant de retourner un peu plus tard vers la table des trois jeunes gens. L'homme aux cheveux sombre s'apprêtait à se lever, murmurant quelque chose d'inaudible à la dame avant de déposer les pièces, me remercier, et partir aussi vite qu'il était venu. Je lui souris, avant de me pencher vers la jeune demoiselle pour entendre ce qu'elle veut me dire. Elle me paie, même un peu plus que la somme demandée, avant de me complimenter une nouvelle fois pour mon travail. C'est touchant de savoir que des personnes connaissent la valeur de notre travail, et à quel point il est difficile. Je lui tends sa tasse de tisane, m'apprêtant à repartir quand elle me confia ses craintes quant à mon travail, et surtout à la table maudite qui me faisait a misère depuis quelques heures maintenant. Je lui adresse un sourire un peu triste, avant de tourner mon regard quelques instants vers les ivrognes, qui chantaient une chanson urbaine de mauvais goût concernant les femmes. Je tâche de prendre un air confiant avant de lui répondre d'une voix que j'espère confiante :

« C'est gentil de vous nquiétez de moi ma dame... J'ai l'habitude de travailler dans ce genre de... Situation. »

Je lui montre du regard la table d'à côté avant de reporter mon attention sur le milicien. Son assiette semblait déjà presque vide, et son verre de cidre entamé. Je fus soulagée de voir que j'avais bien fait de le lui proposer. L'homme en question me sourit, me disant qu'il pouvait intervenir dans le cas ou les autres gugusses feraient quelque chose de fâcheux. Je lui souris de bon cœur, touchée, avant de lui répondre :

« Merci monsieur... Vous êtes bien la première personne à me dire cela... Ce n'est pour ainsi dire pas dans les habitudes des clients de tenir des propos comme les vôtres. Je pense pouvoir m'en sortir, ils savent que je ne suis pas du genre à me laisser faire.. »

Je faisais allusion à la gifle monumentale que s'était pris un sans-abri quelques instants plutôt. Je tourne les talons avec le verre vide du précédent client, partant vers le comptoir pour déposer tous cela. C'est à ce moment que j'entendis un type me héler d'une voix pâteuse, me signifiant d'un geste grossier de la main de le rejoindre. Je soupire une nouvelle fois, reprenant mon plateau sous la main pour voir ce qu'il veut de moi. Celui-ci me demande de le resservir, ce que je fais quand un l'un de ses voisins de table m'attire soudainement de ses bras crasseux pour me placer sur ses genoux. Je me débats aussitôt, rouge de colère sous les rires hilares des autres bouffons. L'un me crie d'une voix forte :

« Regardez ce qu'on a là les gars ? Ce n'est pas un chaton mais une vraie tigresse ! »

L'ivrogne au crâne rasé me tire par le bras, m'arrachant un cri de douleur, avant d'ajouter en riant aussi fort que les deux autres :

« Moi, j'adore ça ! Viens par là ma belle, je suis sûr que ta patronne dira rien si tu nous offres quelques services supplémentaires, les gars et moi, on est en manque d'attention. »

Je me dégage vivement, leur décochant un regard mauvais avant de prendre un des verres remplis, et de le déverser sur la tête du chauve dégueulasse. Satisfaite, et sans leur laisser le temps de riposter, je tourne les talons et me dirige vers d'autres tables. J'entendis l'un des hommes m'insulter de tous les noms d'oiseaux , et me retourne, voyant que l'un d'entre eux étaient sur le point de me lancer quelque chose dessus. J'eus juste le temps de m'écarter que l'objet en question se percuta sur quelqu’un derrière moi. Une personne qui n'était d'autre que le milicien qui était si aimable avec moi. Confuse, je me dirige en toute hâte vers celui-ci, avant de tendre une serviette pour lui essuyer l'arrière du crâne. Je baisse les yeux vers l'objet du malheur, qui n'était d'autre qu'une vieille chaussure puante.

« Pardonnez-moi monsieur... Ce projectile m'était destiné à la base... »

Je n'ajoute rien de plus, tournant le regard vers les sales types alcoolisés, qui se mettaient à rire bruyamment en nous regardant...

Les tympans de la jeune femme sifflaient en raison du bruit incessant qui les entourait. Les bruits des gouttes d’eau n’étaient plus audibles. Un soupire s’échappa de ses lèvres et elle but quelques gorgées brulantes. La chaleur emplit son estomac et se diffusa dans son abdomen.

Les ivrognes hurlèrent de plus belle, machinalement Ethaïs se rapprocha de Stephan pour mieux entendre ses paroles. D’un air songeuse, Iris tenta de se rappeler où leurs regards s’étaient croisés. Néanmoins, cela remontait certainement à un mois, voire même deux, ou même trois puisque les journées, ensoleillées, l’étaient de plus en plus tard. Elle se pinça la lèvre et gémit. Posant sa tasse, la catin huma les odeurs du plat. « Tout aussi bon que le mien. La cuisinière fait de véritables miracles ici. » Pensa-t-elle composant un sourire timide.

« Je dois vous avouer que je ne me rappelle plus exactement où nos chemins se sont croisés. J’étais peut-être à l’Est de la ville… Ou au Sud. » Dit-elle en haussant le ton pour se faire entendre. « Mais je me trompe surement, cela remonte à quelques semaines maintenant. Je vous ai peut-être tout simplement croisé dans les Bas-Quartiers, où je travaille. » Reprit-elle.

Ethais s’adossa contre le dossier de sa chaise, épiant de temps à autres la table voisine. Elle était admirative devant le travail effectué par Rose. La jeune femme ne bronchait pas, toujours avec le sourire. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque le milicien s’excusa pour sa présence et sa gêne. Elle le regarda en écarquillant les yeux avant de prendre la parole.

« Me gêner ? M’importuner ? Du tout. Cela fait du bien de rencontrer de nouvelles personnes. Puis comment voulez-vous faire autrement dans une auberge bondée que de partager une table ? Ne vous en faites ni pour moi, ni pour le domestique qui m’accompagnait. Il est quelque peu froid en ce moment, son travail se déroule mal. Des nouvelles marques, habitudes à prendre et un manque de sommeil considérable. Il parait que sa nouvelle… » Répondit-elle avant de voir le projectile voler.

D’un instinct dont elle se surprit, Iris se recula d’un bond. La chaise manque de valser à terre et d’entrainer son utilisatrice avec. Elle se redressa, ses joues s’étaient empourprées. Elle ne pouvait plus les voir, au bordel ces derniers étaient refusés d’office. C’était des nids à emmerdement. Du coin de l’œil, elle épia Stephan.

« Cela va-t-il ? Vous ne souffrez point ? » Le questionna-t-elle.

Ma main sur ta joue, à vitesse grand V

Eh bien, si peu de gens prenaient ce genre d'initiatives? Aider quelqu'un une fois dans leur vie ça les tuerais, ceux là? Même sans faire partie de la milice il existait des âmes charitables et aimables, mais... au vu du ton qu'employait la blonde, elle ne devait pas avoir suffisamment de chance pour les croiser. C'était donc son jour, à la miss. Un signe de sa part et j'étais prêt à me lever pour distribuer quelques baignes. Ca me défoulerais un peu avant de dormir sur mes deux oreilles ce soir, tient. Enfin, avant de penser sommeil léger, pensons "bouffe". Mon plat était déjà pratiquement vide. En deux fourchettes j'avais déjà pratiquement tout englouti. C'est ma voisine de table qui me ramenait à la réalité en haussant un peu le ton, histoire de se faire entendre. C'est vrai qu'avec une petite voix discrète il m'aurait été difficile de comprendre un mot. Le boucan autour de nous n'allait que s'intensifier au fil du temps.

- Possible, ai-je répondu en haussant les épaules. Je ne me souvient pas de tout ce que je peux voir, même si je reste très attentif à ce qui m'entoure sur le moment.

Je portais mon verre à mes lèvres, rassuré d'entendre que je ne l'avais pas dérangée, quand le fameux objet non identifié percutait l'arrière de mon crâne. Je m'étais figé net. Oh, souffrir, non. Ca ne risquais pas. Et si j'avais été le poteaux qui avait prit à la place de cette pauvre serveuse, tant mieux. Non, c'est plus le geste qui m'avait dérangé. J'avais doucement reposé mon verre après avoir bu le contenu cul sec, puis m'étais levé sagement en faisant reculer ma chaise. Après quoi je remontais gentiment mes gants en me tournant, expression neutre sur le visage. En deux foulées j'atteignais la table des ivrognes. J'en attrapais un par le col et le soulevais brusquement à ma hauteur. Son haleine puante ne m'atteignant même plus tellement l'envie de le cogner prenait le dessus.

- C'est nouveau, c'est ça? J'aimerais bien jouer aussi, ça a l'air amusant. On va voir combien de dents vont céder quand tu vas commencer à manger ma semelle, d'accord? Tes amis pourront parier sur le nombre, et moi sur le temps que tu mettras avant de capituler.

Mon but n'étais pas d'envenimer les choses en lançant une bagarre générale, mais j'avais horreur de ces sales manies. D'une part c'était très bas, comme coup. D'une autre, c'est la miss qu'il avait visé. Très classe. Frappons les femmes quand elles ont le dos tourné alors qu'elles ont la bonté d'accueillir ces poivros dans leur établissement. C'est tellement plus drôle je suppose. Donc là, même en me faisant violence pour ne pas tous les assommer avant de les jeter dehors, je préférais tenter de les calmer de cette façon. Une bonne claque remettra les idées en place si besoin. Puis bon. Ce serait pas la première bataille de dégénérés que je gère....

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Les choses ne s'arrangeaient pas, loin de là. Plus j'observais la scène, plus je sentais que les ivrognes allaient passer à la vitesse supérieure. Surtout que l'un d'entre eux, celui qui avait la boule à zéro, semblait dans un état d'ébriété avancé. Le milicien ne bougea pas de suite, il demeura comme une statue de marbre durant quelques instants, avant de réagir avec un calme olympien. Buvant le contenu de son verre comme si de rien n'était, il le reposa, se leva, et se retourna avec lenteur en direction des ivrognes. Je lève les yeux vers son visage, comme pour m'assurer qu'il ne souffre pas avant de remarquer qu'aucune expression se lit sur son visage. Même s'il n'aurait rien reçu sur la tronche, il aurait eu la même réaction. Étonnant, ou peut être pas tant que cela. Il était soldat, et devait donc avoir l'habitude de recevoir des coups durant des bagarres ou des combats. Je demeure soudainement silencieuse et fébrile, comme si j'attendais que quelque chose nous vienne en aide. J'espère de tout cœur que les choses n'empirent point. Le milicien s'avança en quelques pas avant d'empoigner violemment le col du chauve crasseux. Je porte inconsciemment la main sur ma bouche, surprise de ce geste , avant de porter mon regard sur la jeune femme à côté de moi. Elle semble aussi désemparée que moi.

Le soldat lui répondit avec hargne, le regard dure et sévère qui enlèverait tout envie de poursuivre à tout type normal. Sauf que bon, ces gars-là sont de véritables abrutis de services, les menacent, ils s'en préoccupent comme de leurs premières chaussettes. Le gars chauve se dégage violemment, frottant sur ses habits comme si le milicien lui avait refilé quelque chose. Il se mit ensuite à rire, suivit des autres ivrognes, créant ainsi une vague d'hilarité. Je détourne le regard vers la matrone, absente... Encore une fois. Faut toujours qu'elle soit mystérieusement disparue à chaque fois qu'une bagarre éclate. A croire qu'elle fait exprès, j'en suis certaine. Elle n'aime pas ce genre de chose, et préfère laisser ses sbires s'en occuper, ou les miliciens quand il y en a. Sauf que là, bah y a pas ses molosses, elle doit sans doute compter sur le jeune homme blond pour la sortir de l'impasse. Le chauve crasseux prit la parole, imitant un geste de dégoût en regardant ses vêtements :

« Ah, mais regardez qui vient se joindre à la fête les gars ? Un chien de l'empire ! Aussi crasseux que les cabots des rues ! On sait jamais où ils traînent ces gars-là ! »

Hoquetant, l'homme bourru bu un nouveau verre cul sec, avant d'aboyer en ma direction d'une voix traînante :

« Hey ma jolie, apporte moi encore de quoi me remplir la pense, et emmène ta jolie copine avec toi, plus on est de fous, plus on rit nan ? »

Repartant dans un élan d'hilarité, les ivrognes se mirent à chanter des chansons aux paroles répugnantes sur les miliciens. Il arrivait que ce genre de personne n'apprécie que très peu les soldats de la ville. Je soupire et me penche vers la jeune femme assise près de moi :

« Ignorez-les madame... »

J'attends un moment avant de réagir, attendant de voir si le milicien réagit ou non... J'entends le chauve l'appeler plusieurs fois, s'énervant de plus en plus en voyant que je ne bouge pas.