Manœuvre d'évitement [Alfonso]

Astrid n'aimait pas beaucoup l'idée de travailler dans une maison close, peu importe son standing ou sa réputation. Elle n'avait pas honte d'une profession qu'elle pratiquait de toute façon de son côté, mais elle craignait que l'exercer dans un cadre plus sérieux ne la pousse à s'y plonger encore un peu plus. Mais le principe, c'était d'en sortir. C'était d'arrêter de devoir faire n'importe quoi pour se nourrir. Elle sentait qu'en travaillant plus régulièrement à l'Effeuill'âge elle serait tentée. La cartomancie rapportait bien moins que la prostitution il fallait être honnête. Et ça lui apportait tant d'ennuis ! Tant de gens qui pourraient l'accuser à tort d'être une hérétique ! Astrid n'arrivait pas à se résoudre à abandonner l'une ou l'autre de ses activités, chacune ayant trop d'inconvénient pour être exercée seule.
Elle avait voulu aller en parler avec quelqu'un. Elle aurait voulu au moins se décider à ne plus jamais mettre les pieds à l'Effeuill'âge. C'était pour ça qu'elle se trouvait devant l'entrée, à espérer trouver le courage de pénétrer dans l'établissement. Seulement ça ne venait pas, le courage lui manquait, ou l'inspiration peut-être. Qu'allait-elle pouvoir dire ? A qui devait-elle demander à parler ? Ne lui suffirait-il pas simplement de répondre négativement la prochaine fois qu'on aurait besoin d'elle ? Autant de questions qui la retenaient à l'extérieur malgré la fraîcheur de la soirée. Elle avait bien un châle sur ses épaules, mais l'étoffe légère ne la protégeait pas vraiment de la température. Il avait une fonction plus esthétique qu'autre chose.
Astrid faisait les cent pas, un peu comme si elle attendait quelqu'un qui lui aurait donné rendez-vous mais tarderait à arriver. Elle ne détonnait pas avec le décor : une si jolie demoiselle juste devant les portes d'un lupanar, semblant attendre quelqu'un... Elle n'était cependant pas là pour affaires, comme on pourrait le penser. La seule chose censée la rejoindre était une dose de courage qui se faisait attendre plus ou moins désespérément.
Peut-être devrait-elle rentrer à son auberge ? Peut-être que la nuit lui porterait conseil ? Elle n'en savait rien. Elle n'était même pas sûre de retrouver le courage de venir jusque là un autre jour. Astrid était à une période compliquée de sa vie. Son envie de changement n'allait peut-être pas durer, elle n'en savait rien, mais elle se sentait pour le moment investie d'une mission : se trouver une vie respectable. Et peut-être qu'ainsi elle finirait par trouver quelqu'un d'aimant avec qui partager la fin du chemin...
Elle secoua la tête, ce qui fit un peu voleter ses cheveux autour de son visage. Se perdre dans ses pensées ne l'aiderait certainement pas ! Elle allait rentrer chez elle, oui, il n'y avait rien d'autre à faire. Baissant les yeux, réfléchissant encore au sens qu'elle allait donner à sa vie et à d'autres moyens de faire rentrer de l'argent dans les caisses, elle se mit en route. Mais n'étant pas tout à fait à ce qu'elle faisait, il était évident que le chemin du retour n'allait pas se passer sans embûches. Elle n'eut même pas le temps de se perdre néanmoins, parce qu'au bout de quelques pas à peine son épaule heurta celle d'un inconnu. Rougissante, elle redressa un peu la tête et leva ses mains devant elle avec précipitation.

-Oh, je suis vraiment confuse, je ne vous ai pas fait de mal au moins ? Demanda-t-elle avec une inquiétude aussi sincère qu'injustifiée, comme si elle avait pu faire mal à qui que ce soit à la vitesse à laquelle elle marchait !

Je marchais, la nuit, belle et froide tombait, demain, j'allais prendre la direction de la ferme d'Aure. L'gamine aux fleurs, voilà ce que je devais demander. En serais-je capable ? Je ne le savais pas. Je cogitais sur cette rencontre. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Je me posais de nombreuses questions, sans savoir y répondre.
Puis j'entrepris une folie, me rendre au " plat du jour " et dérober un habit d'Iris pour l'offrir à Aure. Je ne savais pas pourquoi, mais je m'en moquais.
Je pensais à Iris, et je soupirais comme un soupirant en regardant les étoiles. Elle me semblait si proche, et pourtant si inaccessible.

La dernière fois que je l'avais vu, elle était montée dans sa chambre au bras de George. Une humiliation que je ne comptais pas pardonner de si tôt ! Je savais qu'elle avait fait volontairement, et pas simplement dans le cadre de son travail. Cette femme était cruelle, mais je n'arrivais pas à la détester. Je chérissais même la douleur qu'elle déposait sur mon coeur, je les considérai même comme un des plus beaux trésors de mon existence.

J'errai dans les rues, sans savoir où j'allais, jusqu'à l'instant où je compris que mes pas m'avait guidé devant l'effeuill'âge. Madame Caldéran s'y trouvait-elle ? Je n'en savais rien. Elle devait me haïr elle. Et puis je me disais que si j'étais resté auprès d'elle, à son service, je ne serai pas là en train de laisser mon âme chialer.
Iris...Iris... Tout me ramenait à elle, puis il y avait Aure ! Cette troublante rencontre, cette silhouette identique à celle qui habite mes plus beaux songes.
Là encore, un mystère incroyable. Etait-ce une chimère ? Une tentation ? La perfection après l'esquisse ? Je n'osais y croire. J'avais même honte de cette pensée, qui pourtant m'amusait puisqu'un instant elle m'éloignait de l'être adoré et haïssable.

Je voulais passer le plus vite possible devant l'effeuill'âge, de peur de croiser mon ancienne maîtresse. Alors mon pas était plus vif et rapide. Hélas, une jeune femme m'heurta. Ou alors je l'heurtai moi, je ne savais pas.
Je fis pas un arrière, manquant de tomber. En face de moi, la jeune femme rougissait. Je souriais...
-" N'ayez crainte Mademoiselle, pour moi tout va bien et vous, vous n'avez rien de cassé ? " Répliquais-je mes mains sur mes épaules comme si j'avais essayé de la retenir. J'ôtai mes mains, pour croiser les bras, puis je regardai l'établissement.
-" Vous travaillez ici ? " Demandais-je.
-" Vous n'avez pas de honte à avoir, j'étais au service de la propriétaire il y a pas si longtemps de cela. " Ajoutais-je, comme pour la rassurer un peu, lui montrer qu'il n'y avait pas de peine à avoir de tomber dans le gouffre de la débauche. Et puis, elle était plutôt charmante, mais je ne l'à connaissais pas, certainement une recrue faite après mon départ.
-" Je me nomme Alfonso ! " Dis-je à demi-voix, en esquissant un sourire.

L'homme qu'elle avait bousculé avait failli tomber et ça ne mettait pas Astrid très à l'aise. Au moins il ne semblait pas lui en vouloir puisqu'il avait tout de même fait un geste dans sa direction, comme pour l'empêcher de tomber, et surtout parce qu'il souriait. Il ne devait pas avoir mal, alors.

-" N'ayez crainte Mademoiselle, pour moi tout va bien et vous, vous n'avez rien de cassé ? "

Lui qui avait ses mains sur les épaules de la cartomancienne les retira pour les croiser devant sa poitrine, alors que la demoiselle hochait la tête d'un air un peu surpris et perdu à la fois. Elle n'avait rien de cassé évidemment, elle n'était même pas tombée.

-" Vous travaillez ici ? "

Astrid sentit instantanément son cœur se serrer dans sa poitrine à l'écoute de cette question. Etait-ce donc si évident que ça ? Elle se sentait sale, un peu comme s'il était écrit sur son front qu'il suffisait de la payer pour profiter de ses charmes. Peut-être que c'était vrai. Peut-être qu'il était en fait bien trop tard pour les changements auxquels elle aspirait. Peut-être qu'elle serait une prostituée pour le reste de sa vie, au moins dans le regard des autres. Elle ne savait pas quoi répondre, son air gêné parlait de lui-même, et son interlocuteur crut bon de continuer.

-" Vous n'avez pas de honte à avoir, j'étais au service de la propriétaire il y a pas si longtemps de cela. "

Au service de la propriétaire ? Astrid n'avait pas souvenir de l'avoir déjà vu. Elle essayait de se persuader que s'il arrivait si vite à deviner sa profession c'était parce qu'il avait travaillé dans ce milieu mais elle ne se faisait guère d'illusions. Elle n'avait pas toujours eu honte de ce métier mais maintenant que ça lui venait, ce n'était pas ce genre de petites phrases qui allaient l'aider. Et puis au fond ce n'était même pas vraiment de la honte, mais plutôt une forme de dégoût.

-" Je me nomme Alfonso ! "

La prostituée acquiesça lorsqu'il se présenta et décida qu'il serait plus correct effectivement de décliner son identité avant de rétablir la vérité la concernant.

-Enchantée, je m'appelle Astrid. Et je ne travaille pas vraiment ici, enfin pas souvent, c'est compliqué... Disons, pour faire simple, que je suis plutôt cartomancienne.

Il ne restait qu'à espérer qu'il ne viendrait pas lui chercher d'ennuis sous prétexte qu'elle lisait l'avenir et que ce n'était pas correct vis à vis des Trois, parce qu'honnêtement ce n'était pas le soir pour ça. Même si elle arborait un sourire poli et que la présence du dénommé Alfonso ne la dérangeait pas vraiment, elle n'était pas non plus en grande forme et rêvait plutôt de disparaître là où plus personne ne viendrait l'importuner et où elle pourrait manger à sa faim.

Je venais simplement parler à quelqu'un mais... Je reviendrai, je crois que ce n'était pas le bon moment.

Inutile de préciser qu'elle ne savait pas exactement à qui elle voulait ou devait parler, ni même exactement ce qu'elle avait à dire. Il allait falloir qu'elle clarifie ses intentions avant sa prochaine venue. Mais quelque chose attira son attention, un éclat étrange venant du sol. Curieuse, Astrid se baissa et ramassa un objet. C'était une jolie broche brillante qui ne lui appartenait pas. N'ayant vu personne tomber là alors qu'elle cherchait son courage un peu plus tôt, elle se demandait bien à qui cela pouvait appartenir. En se redressant elle se tourna donc vers Alfonso.

-C'est à vous ? Ou peut-être savez-vous à qui elle appartient ? Elle tendit sa main droite vers lui, avec en son sein le petit objet pour le laisser l'observer. Elle espérait qu'il en connaîtrait le propriétaire, parce qu'elle n'avait pas vraiment envie d'entrer dans l'Effeuill'âge pour le confier à quelqu'un.

Heureusement, elle aussi se portait bien. Décidément j'étais pas en grande forme ce soir. Tout ce tracas me rongeait la tête sans cesse, petit à petit et sans jamais me laisser un peu de répit.
-" Le plaisir est pour moi Astrid..." Dis-je quand elle se présenta à son tour. Je regardais la porte d'entrée de l'effeuill'âge quand elle m'annonça travailler ici, sans vraiment y travailler.

Un petit sourire amusé sur le visage, je ne disais rien. De toute façon, elle était libre, même si elle travaillait ici quelques heures par semaine.
-"Oh..." Soufflais-je quand elle mentionna le fait qu'elle pratiquait la cartomancie. Astrid avec un petit quelque chose de mystique dans le reflet de ses yeux bleus, pour peu on pourrait même la confondre avec une sorcière, en tout cas, je trouvais tout ceci effrayant, lire l'avenir. Dire à quelqu'un qu'il allait sombrer, tomber dans la misère devait être une chose peu appréciable. Quel pouvoir que celui-là ! Me dis-je en pensant bien ce qu'elle pourrait lire pour mon avenir. J'en avais peur, je ne savais pas si savoir ce qui allait m'arriver m'intéressait, j'étais presque certain que je ferais tout pour lutter contre la prévision, et la faire mentir.

Hors de question de la juger, après tout, moi aussi avec l'hypnose je pratiquais un art mal vu, et souvent objet de nombreuses critiques. Je souriais en remuant un peu la tête quand elle m'énonça le motif de sa visite ici. C'était un petit sourire aimable. Puis elle trouva un objet qu'elle ramassa et qu'elle me présenta. Je le pris dans ma main pour l'observer, il s'agissait d'une broche. J'esquissai une moue dubitative en observant cet objet.
-" Non cela ne me dit rien. Quelqu'un a sans doute dû l'égarer avant notre rencontre." Annonçais-je en le lui rendant.
-" Peut-être devrions nous entrer à l'intérieur pour qu'ils le gardent dans les objets perdus ? " Ajoutais-je simplement même si je n'avais pas particulièrement envie d'entrer à l'intérieur pour des raisons évidente.

Bref, elle pouvait bien le reposer au sol que cela ne me toucherait guère. Bien au contraire. Je reposais mon attention en direction d'Astrid. Ainsi elle pratiquait un art dangereux. Je trouvais cela divertissant, et amusant. Je me demandais bien ce qu'elle pouvait faire à l'effeuill'âge. Peut-être offrait-elle son génie aux clients du bordel ? Ou alors, donnait-elle son corps pour gagner un peu plus d'argent. Bref, je collais mon dos contre le mur de l'établissement, et je plaçai mes mains dans les poches de ma tunique.
-" D'où vous est venue cette passion pour les cartes ? Si ce n'est pas indiscret. Je trouve cela intrigant et mystérieux. " Dis-je à demi-voix en observant la jeune femme. Au moins, voilà qui m'aiderait un peu à faire s'envoler le temps pour vite arriver à demain, et entamer mon périple vers la ferme d'Aure.

-" J'ai toujours trouvé ce genre de talent étrange. Avez-vous déjà eu des clients, furieux de votre prédiction, être capable de tout faire pour vous montrer que vous avez tord ? " Clamais-je avec un certain amusement en observant les gens qui marchaient, je reconnaissais même quelques clients, qui essayaient de se faire discret.
-" Vous devez soulever une certaine curiosité n'est-ce pas ?"

Alfonso prit la broche dans sa main et Astrid espéra un moment qu'il allait subitement la reconnaître. Ou même faire semblant et la garder pour lui, ou oser proposer à haute voix de la laisser par terre, ce que la prostituée n'oserait pas.

-" Non cela ne me dit rien. Quelqu'un a sans doute dû l'égarer avant notre rencontre."

Dommage. Il allait pourtant bien falloir en faire quelque chose et ça ne disait rien de bon à la cartomancienne. Elle n'avait aucune envie de pousser les portes de l'Effeuill'âge, sinon elle l'aurait déjà fait depuis longtemps au lieu de traîner dehors comme une racoleuse. Malheureusement, Alfonso lui rendit l'objet. Astrid se maudissait de sa découverte.

-" Peut-être devrions nous entrer à l'intérieur pour qu'ils le gardent dans les objets perdus ? "

La cartomancienne ne s'en sentait pas l'envie. Seule, elle aurait peut-être cédé à la tentation de garder l'objet ou de le reposer à terre et de l'oublier. Pourquoi était-elle si curieuse ? Pourquoi n'avait-elle pas voulu laisser cette broche là où elle était au lieu de la ramasser ? Alfonso ne semblait pas non plus mourir d'envie d'entrer dans le bâtiment, et la prostituée resta donc indécise, l'objet en main, alors qu'elle sentait le regard de son interlocuteur posé sur elle. Qu'était-il en train de se dire ? Cette simple question la mettait particulièrement mal à l'aise. Elle n'était pas sûre d'avoir envie de le savoir. L'homme s'adossa tranquillement au mur de la maison close avant de glisser ses mains dans ses poches. Au moins il ne semblait pas méchant. Mais Astrid se demandait bien ce qu'il faisait là, alors qu'il avait eu l'air pressé quand ils s'étaient heurtés sans faire exprès. N'avait-il rien à faire, lui non plus ?

-" D'où vous est venue cette passion pour les cartes ? Si ce n'est pas indiscret. Je trouve cela intrigant et mystérieux. "


Passion pour les cartes ? Astrid n'imaginait pas vraiment parler de « passion ». On lui avait dit d'apprendre la cartomancie avec Johanne et elle n'avait pas eu d'autre choix que de dire oui. Maintenant elle faisait ça pour vivre et elle n'en pouvait plus d'annoncer tout et n'importe quoi à des naïfs ou des incrédules qui cherchaient pourtant à se laisser convaincre. Elle ne se sentait néanmoins pas vraiment d'humeur à la confidence, et la voix presque basse d'Alfonso lui faisait l'effet bizarre d'une discussion tout à fait taboue à laquelle elle ne devrait peut-être pas prendre part. Son hésitation laissa à Alfonso l'occasion de reprendre la parole avant qu'elle n'ait répondu.

-" J'ai toujours trouvé ce genre de talent étrange. Avez-vous déjà eu des clients, furieux de votre prédiction, être capable de tout faire pour vous montrer que vous avez tord ? "

Lui montrer qu'elle avait tort ? Ils s'en moquaient bien. Ils rechignaient parfois à payer quand la prédiction était déplaisante mais généralement ils se contentaient de ne plus mettre les pieds sous sa tente et elle n'apprenait jamais de vive voix ce qui leur était arrivé. Ce n'était sûrement pas plus mal.

-" Vous devez soulever une certaine curiosité n'est-ce pas ?" 

Astrid ne comptait plus depuis longtemps les vieux libidineux absolument ravis de pouvoir toucher le corps d'une gitane lisant l'avenir, drôle de fantasme qu'elle ne comprenait pas vraiment. En terme de curiosité, peut-être que ça avait été le cas quand elle était arrivée. Évidemment elle restait pour beaucoup auréolée de mystères, mais la plupart des gens s'étaient désintéressés à force de croiser sa tente dans les rues de Marbrume et c'était ce qui rendait son travail difficile ces derniers temps. La cartomancie était faite pour être itinérante.

-Je ne sais pas quoi vous dire, dit-elle un peu perturbée par l'idée d'être presque « exotique » aux yeux de certains habitants de la cité. La plupart des gens mécontents se contentent de ne jamais revenir et je ne sais pas vraiment ce qui leur arrive au final. Mais je crois que souvent, vouloir éviter la prédiction est écrit quelque part, et peut même être ce qui la fait advenir. Et pour la curiosité... Je dirais que les gens finissent pas s'habituer. Mais peut-être un peu au début, oui...

Joignant les mains d'un air mal à l'aise, se demandant un peu pourquoi elle discutait de cela avec un inconnu à peine rencontré, elle sentit à nouveau la présence de la broche entre ses doigts fins et pales. Zut. Elle n'avait toujours pas réglé ce problème. D'un air timide et gêné elle reprit donc la parole.

Je n'ai pas vraiment envie d'entrer à l'intérieur, elle ne releva pas le pléonasme, est-ce que vous voudriez bien... Y apporter la broche ? Je ne vois pas quoi en faire d'autre...

Elle n'osa pas tendre le bras dans sa direction, parce qu'elle avait peur de se montrer trop directive.

Le dos contre le mur, l'air à la fois et attentif, j'avais questionné la jeune femme, peut-être un peu trop et je m'en voulais. J'avais juste cette envie d'oublier, de faire autre chose et de ne plus penser à ce qui allait m'arriver dès demain.
Je ressentais une appréhension étrange, avec l'envie de reculer, de ne pas céder devant les appels de mes sentiments.
Le soucis maintenant que ce voyage, j'allais l'effectuer dans le cadre de mon travail. Mademoiselle Victoire m'avait laissé quelques jours de congés pour me rendre à la ferme d'Aure.

Quelle fatalité ! En regardant la cartomancienne, je m'amusais à croire qu'elle aurait pu me prédire tout ça, et je ne l'aurai pas cru. Elle m'aurait dit que j'allais rencontrer par hasard, au marché, une jeune femme, pur, une marchande, et qu'elle me troublerait, pas d'amour non, mais qu'elle me ferait souffrir car elle serait l'image idéal de celle que j'aime. Comment aurais-je pu croire à cela ?
Et pourtant, voilà que demain j'allais retrouver ce diamant brut pour y rêver d'Iris.

J'esquissai un petit sourire délicat quand elle me répondit. Elle me disait que les mécontents ne revenait pas, et d'une pirouette astucieuse ajouta que ceux cherchant à lutter contre l'avenir, en fait ne le faisais pas puisque cette lutte faisait partie de leur destinée.
-" C'est joliment dit Mademoiselle ! Mais je suis certain que vous devez avoir un taux de réussite élevé, et une énorme clientèle qui doit se cacher. " Dis-je simplement en continuant à observer les passants. Au fond cela ne m'étonnait pas qu'elle puisse travailler à l'effeuill'âge. Un tel génie devait attirer, et même ceux qui se disent loin d'y croire doivent trouver un certain amusement à venir à sa rencontre, donner quelques pièces et savoir ce qu'ils allaient devenir, un sourire sur la figure, avant de partir et de vivre sans imaginer une seconde qu'elle puisse dire vrai.

J'imaginais la tête de ceux à qui elle aurait annoncé qu'ils allaient subir la colère de leurs femmes puisqu'elles seraient au courant qu'ils fréquentent cet endroit. Sans doute riaient-ils, avant de haïr cette sorcière.
Mais c'était bien fait pour eux.
Je regardais la broche dans sa main quand elle me demandait si je ne voulais pas rentrer pour le remettre.
-" Je suis dans le même état d'esprit que vous. Je ne peux guère entrer là-dedans, si jamais mon ancienne maîtresse m'y trouve, je risque fort de voir ma chair et mon âme marqués jusqu'à ma mort. Nous n'avons qu'à le remettre au sol. " Lançais-je comme suggestion avec une certaine ferveur.
Après tout, celui qui l'avait perdu reviendrez par ici, et sinon, quelqu'un à notre place ira le remettre à l'entrée de l'effeuill'âge sans rien demander de plus.

Je décollai mon dos du mur, et je plaça les mains dans les poches de ma livrée sereinement.
-" Celui qui l'a égaré doit être assez riche pour s'en acheter un autre dès demain sans que cela n'affecte sa bourse." Soufflais-je comme si je cherchais à quitter de nos esprits un certain remord.
Puis j'hésitais, devais-je lui demander son avis, de lire mon futur ? Devais-je lui demander d'allumer une bougie devant moi, devant l'obscurité pour que ce révèle la suite ? Un terrible frisson foudroya mon dos.
Que pouvais-je bien gagner en sachant ? Rien.

-" Est-ce que je pourrais-vous demander si je vais souffrir demain ? " Demandais-je soudainement. Je fus moi-même surpris et embarrassé. Pourquoi ? Pourquoi cette question ? Cela avait-il de l'importance de le savoir puisque j'allais souffrir, je le savais. Je courais dans le vide, pour un goût de meilleur, comme si je voulais exclure la douleur de l'amour. Fou que je suis ! Me dis-je en gardant le silence, incapable de m'excuser pour lui dire de ne rien faire.

-" C'est joliment dit Mademoiselle ! Mais je suis certain que vous devez avoir un taux de réussite élevé, et une énorme clientèle qui doit se cacher. " 

Astrid n'osa pas le détromper, mais il fallait bien avouer qu'elle n'était pas tout à fait d'accord avec cette affirmation, à moins qu'effectivement les clients se cachent. Mais ce n'était pas ça qui lui donnerait à manger. La broche qu'elle tenait dans la main pourrait la nourrir longtemps, elle, mais il était hors de question de la garder. Alfonso en serait témoin, et ce serait bien trop mauvais pour elle, et pour sa réputation qu'elle cherchait plus ou moins à redresser. Mais il fallait néanmoins en faire quelque chose, et Astrid ne se sentait pas l'envie non plus d'aller la rapporter à l'intérieur. D'où sa demande.

-" Je suis dans le même état d'esprit que vous. Je ne peux guère entrer là-dedans, si jamais mon ancienne maîtresse m'y trouve, je risque fort de voir ma chair et mon âme marqués jusqu'à ma mort. Nous n'avons qu'à le remettre au sol. "


La cartomancienne se demandait bien pour quelle raison il craignait tant son ancienne patronne mais elle n'osa pas faire de remarque à ce sujet. La fin de sa phrase lui suffisait amplement et elle se montra ostensiblement soulagée d'être d'accord avec Alfonso. Reposer la broche à terre ne lui vaudrait pas d'ennuis, n'est-ce pas ? L'homme se redressa, quittant le mur qui lui servait d'appui, alors que la prostituée serrait une dernière fois entre ses doigts la broche avant de se décider pour de bon.

-" Celui qui l'a égaré doit être assez riche pour s'en acheter un autre dès demain sans que cela n'affecte sa bourse."
-Alors il fera peut-être le bonheur de quelqu'un d'autre.

Bien vu. Et donc, débarrassée de tout scrupules, Astrid tendit son bras devant elle et ouvrit sa main, laissant volontairement tomber le bijou à terre. Elle ne lui lança plus un regard, et s'apprêtait d'ailleurs à prendre congé d'Alfonso maintenant que toute cette histoire était réglée lorsqu'il reprit.

-" Est-ce que je pourrais-vous demander si je vais souffrir demain ? "

La cartomancienne tourna la tête vers lui et remarqua bien vite qu'il semblait soudainement mal à l'aise. Ça arrivait très souvent que les gens changent d'attitude lorsqu'il fallait parler ésotérisme et divination. Souhaitait-il vraiment savoir ? Elle n'en était pas sûre, et à la limite ça ne la regardait pas. Il pouvait lui demander d'interroger les cartes à n'importe quel sujet, mais pas debout en plein milieu de la rue, voilà le seul problème.

Je pourrai vous tirer les cartes si vous voulez, mais pas ici. Il faut qu'on soit assis et au calme, ce sera mieux. Enfin, c'est surtout que dois pouvoir poser mes cartes, et je n'ai pas l'intention de m'asseoir par terre, pour tout vous dire.

Voudra-t-il continuer ? Ce n'est pas la même chose, de poser une question à une inconnue, ou de devoir l'accompagner quelque part pour en avoir la réponse. Astrid ne se vexerait pas s'il préférait abandonner les choses là où elles étaient pour le moment. Peut-être que s'il disait non, elle le reverrait sous sa tente une autre fois. D'ailleurs, quand il disait « demain »... Parlait-il de son avenir ? Ou du véritable lendemain, qui n'était déjà plus si lointain ? Que pouvait-il craindre, lui qui semblait tranquillement dehors sans rien de prévu ? Il avait réussi à intriguer Astrid, ce qui n'était de toute façon pas bien dur vu sa curiosité naturelle.

-Vous pouvez toujours changer d'avis, je ne vous en tiendrai pas rigueur ! Dit-elle en souriant, j'ai l'habitude.On ne sait souvent pas vraiment si on veut découvrir l'avenir.

-" Exactement ! " Dis-je quand elle affirma qu'au moins, il fera le bonheur de quelqu'un, et si ce n'était pas au propriétaire de la broche, ce sera pour un autre. D'un geste où elle appuyait ses traits elle laissa la broche retomber au sol, et l'ôta de sa mémoire, tout comme moi, qui après cela, avait posé une question sans savoir pourquoi.
Je voulais reculer, mais je ne pouvais plus. Je ne savais pas ce qui venait de traverser mon esprit, mais je ne pouvais plus y faire grand chose à présent.

Mon coeur s'emballa, Astrid allait poser une chandelle devant mes yeux et ainsi je pourrais voir mon lendemain. Qu'allait-il se passer avec Aure ? Mon trouble allait-il encore me hanter ? Et après ? Que ferais-je de la vérité ? Hormis ruminer, pleurer et attendre que la nuit passe avant de prendre la route, avec l'angoisse d'une attaque. Tout ça pourquoi ? Pour voir cette femme, ou plutôt le reflet de l'idole de mon existence.

-" Je comprends tout à fait ! " Dis-je sobrement, et puis moi aussi dans le fond, je ne voulais absolument pas que des inconnus puissent entendre ce qui allait m'arriver bientôt. Il en était même hors de question !
Ce n'était pas par honte, plutôt parceque je voulais garder ça secret, et puis ça ne concernait que moi.
J'oubliais rapidement l'idée de me dire ce que je ferais avec les prédictions de la cartomancienne. Après tout, même si j'ignorais tout, je devrais bien les vivre ces choses là. Alors à quoi bon lutter... De toute façon pouvait-il m'arriver quelque chose de mal ? Le voyage ? Je n'avais plus le choix, c'était la volonté de Mademoiselle Victoire, je devais lui rapporter des fruits.

Et ensuite, le mal pouvait sans doute venir de la vision de la marchande. De cette silhouette comparable à celle d'Iris, du moins, si on ôtait à cette-dernière les artifices de sa condition. Que ferais-je devant elle ?
L'aimerais-je cette souffrance ?
Astrid me lança un avertissement, j'avais encore le choix, je pouvais reculer. Son sourire, je me disais qu'il voulait que je refuse, et d'un autre, qu'il fallait continuer.
Moi ? J'hésitais.

Je passai ma main sur mon front, et je relevais mes cheveux pour ensuite les plaquer en arrière.
-" Où souhaitez-vous aller pour accomplir votre art ? Je suis fort curieux de savoir ! " Soufflais-je avec une soudaine ferveur, comme si je n'avais plus peur.
Même si cela me faisait drôle de penser que demain, mes pas, mes gestes, et mes choix, je les connaîtrais déjà.
J'étais aussi effrayé de me dire que j'allais perdre cette impression de choisir, de décider de ma vie, que j'allais simplement suivre ce qu'elle allait me révéler dans peu de temps.
-" Je vous suis ! " Terminais-je en m'amusant à penser que c'était peut-être là, la dernière chose que je ferais à partir de l'ignorance, et qu'ensuite le livre allait s'ouvrir de la main de la douce Astrid.

-" Je comprends tout à fait ! "

Astrid n'était pas surprise de cette réponse, personne n'aurait eu naturellement la drôle d'idée de préférer une rue froide et passante à une possible intimité un peu plus chaleureuse. Elle se demandait néanmoins encore s'il allait reculer ou poursuivre dans sa demande, et attendait la suite de ses paroles avec plus ou moins d'impatience. Son geste, celui de remettre un peu ses cheveux en place après avoir glissé sa main sur son front, indiquait facilement son hésitation. C'était toujours comme ça. Ou presque toujours. Au moment fatidique, il fallait le dernier sursaut de courage pour franchir le pas.

" Où souhaitez-vous aller pour accomplir votre art ? Je suis fort curieux de savoir ! "

Il parlait avec un enthousiasme, presque un empressement, qu'elle ne se serait pas attendue à trouver chez lui, en tout cas pas à ce sujet. Mais elle connaissait mal Alfonso, depuis quelques minutes à peine, et il lui semblait évident que si elle cherchait à en savoir plus sur son comportement habituel il lui faudrait le fréquenter plus souvent. En tout cas, elle était contente d'être tombée sur quelqu'un qui reconnaissait sa profession comme un art, et non comme une étrange perversion l'érigeant au rang des sorcières. Sa soirée en devenait moins effrayante.

-" Je vous suis ! " 

Où l'emmener? La prostituée n'avait pas vraiment envie de lui indiquer l'auberge où elle avait une chambre, même si au fond ça ne changerait pas grand chose. En cherchant "une cartomancienne" et encore plus avec son signalement, il tomberait forcément sur elle s'il en avait envie. Mais de toute façon ce n'était pas important, parce qu'elle avait une solution toute prête. Sa tente, installée dans une rue proche. Habituellement elle n'y allait qu'en journée, mais qu'importe. Et puis la décoration était faite pour qu'elle incite au mysticisme, ça ne faisait jamais de mal aux clients.

- J'exerce dans une tente, non loin d'ici. Nous pouvons aller là-bas si ça vous convient, termina-t-elle, mais elle prenait déjà le chemin de son lieu de travail diurne sans attendre vraiment de réponse. Quelle objection Alfonso pourrait bien lui présenter, lui qui disait accepter de la suivre sans même connaître la destination ?

Marcher dans les rues en compagnie d'un homme, même lorsqu'on le connaissait aussi peu, avait quelque chose de rassurant. C'était un peu comme si personne n'oserait venir l'agresser en la voyant en si bonne compagnie. C'était un sentiment assez agréable que de ne pas avoir de boule au ventre, même si Astrid était relativement épargnée à ce sujet. Il lui suffisait de faire comprendre qu'elle lisait les cartes pour qu'on la voit comme une sorcière, et personne ne voulait vraiment s'en prendre à une femme capable de les maudire ou pire. C'était une bonne occasion de poursuivre la discussion, d'ailleurs.

- Et donc, vous disiez que vous ne travaillez plus pour l'établissement que nous venons de quitter ? Que faîtes-vous maintenant, si ce n'est pas trop indiscret ?

Astrid, soucieuse de connaitre de nouvelles pistes de reconversion professionnelle, avait bien l'intention de tenter de s'informer. Si Alfonso avait cessé d'y travailler, elle pourrait bien en faire de même! Bon ?

J'haussais des épaules quand elle déclara qu'elle allait me conduire dans sa tente, ainsi je répondais positivement à sa proposition. Après tout, je voulais savoir, je ne pouvais guère m'opposer à me rendre dans son lieu de travail. Et puis je trouvais cela amusant de connaître ce lieu, j'imaginais le décor.
Je restais à côté d'elle, légèrement en retrait sur sa droite. En plus de faire fonctionner mon imaginaire, je gardais au fond de moi cette angoisse, cette peur qui ne me permettait pas de rester tranquille, c'était tout le contraire, j'avais l'impression de me rendre à un jugement en sachant que j'allais perdre.

L'impatience me gagnait, je voulais en finir, vite, très vite même et passer à autre chose, même si je devais tout savoir.
A vrai dire j'étais incapable de décrire ce qui m'arrivait actuellement. Tout était trouble, et je trouvais tout inquiétant autant qu'agréable.

En route, la cartomancienne me posa une question. Une question qui n'avait pas grand rapport avec la lecture d'un avenir.
Une question qui me fit soupirer. En effet, je pensai à Dame Calderan, tout ce qu'elle avait fait pour moi et mon existence.
-" Je travaillais comme domestique de la propriétaire ! Puis, ne m'y sentant plus à l'aise, j'ai pris le risque de partir, en risquant donc de retomber dans la misère. " Débutais-je d'un ton mielleux en restant dans le rythme de la marche.

-" J'ai eu ensuite la chance de rapidement trouver un travail auprès d'une vicomtesse ! Sans cela, je crois que vous m'auriez rencontré dans un caniveau ! " Dis-je dans un ton mêlant humour et gravité, mais qui se voulait tout de même un peu plus léger. Je ne voulais pas plomber l'ambiance avec une histoire banale.

Je me disais souvent que beaucoup de gens devaient avoir un sort bien plus rude que le mien. Alors j'évitais de trop me plaindre. J'avais une vie que je jugeais correct et voilà.
-" Et vous, vous avez toujours travaillé comme cela grâce à votre don ? " Demandais-je.

Astrid entendit le soupir mais elle ne sut pas vraiment comment l'interpréter. Alfonso était-il agacé par la question qu'elle s'était permise de poser ? S'il refusait de répondre elle comprendrait, bien évidemment. Elle redoutait bien plus qu'il ne se force et qu'ensuite il en vienne à lui en vouloir d'avoir simplement demandé.

-" Je travaillais comme domestique de la propriétaire ! Puis, ne m'y sentant plus à l'aise, j'ai pris le risque de partir, en risquant donc de retomber dans la misère. "

Domestique ? Voilà une carrière honorable. Mais Astrid perdait instantanément tout espoir de suivre le même chemin que lui alors qu'il parlait de cette profession. Sa réputation, partagée entre le prostitution et la "sorcellerie" empêcherait n'importe qui de vouloir la prendre à son service. Elle ne pourrait qu'entacher de rumeurs les plus nobles noms, et elle n'avait même pas l'envie de s'humilier volontairement à tenter d'entrer à leur service. C'était peine perdue.

-" J'ai eu ensuite la chance de rapidement trouver un travail auprès d'une vicomtesse ! Sans cela, je crois que vous m'auriez rencontré dans un caniveau ! "

Il avait l'air de dire ça sur le ton de la plaisanterie presque, ou au moins de manière légère, comme si ça ne l'avait jamais vraiment inquiété. En tout cas si sa profession lui permettait de changer rapidement de travail, il avait bien de la chance et Astrid l'enviait un peu. Elle saurait néanmoins bien vite si elle avait raison de se montrer un peu jalouse, ou si la vue de l'avenir du domestique devrait lui enlever toute trace de convoitise.

-" Et vous, vous avez toujours travaillé comme cela grâce à votre don ? "

Elle ne pouvait décemment pas lui répondre la vérité. Personne n'avait vraiment envie d'apprendre qu'une cartomancienne n'était pas forcément choisie pour son don mais plutôt parce qu'elle l'âge requis pour recevoir un savoir qui allait bientôt disparaître. Si Astrid avait un don que Johanne avait perçu, elle n'en savait rien. Elle avait coutume de penser que son travail était un art comme les autres et que n'importe qui à sa place aurait pu l'apprendre. Ce n'était néanmoins pas la vision romantique de la chose qu'elle partageait à ses clients, parce qu'ils devaient lui faire confiance.

- Plus ou moins. Avant que ma tutrice ne remarque mon don pour prendre sa suite, j'étais chanteuse et danseuse dans une troupe itinérante. Et depuis que je sais lire les cartes, j'en vis, oui.

Ce n'était pas tout à fait un mensonge. La seule erreur volontaire était que Johanne avait certainement eu bien d'autres critères en tête qu'un éventuel don. De toute façon, Astrid avait tellement l'habitude de mentir qu'un si petit mensonge serait impossible à remarquer pour quiconque. Il y avait également une petite omission, celle de la partie "prostitution" de son curriculum vitae, mais ce n'était pas vraiment important. Et puis, elle avait seulement parlé de cartomancie à Alfonso.

- Ah, nous y sommes, dit-elle sobrement alors qu'ils approchaient effectivement de sa tente.

Elle était assez grande, et le tissu bleu nuit paraissait tout à fait gris ou noir dans l'obscurité de la nuit. Astrid s'en approcha et écarta les pans de l'ouverture d'un geste natutellement gracieux. Elle entra la première mais retint le tissu derrière elle pour éviter qu'Alfonso ne se retrouve attaqué par lui, presque dans le noir.

- Je vous en prie, entrez, dit-elle de sa douce voix.

Le pauvre domestique ne devait pas apercevoir grand chose de la décoration plutôt ésotérique de l'endroit pour le moment, mais Astrid alluma une bougie qui leur donna un peu de lumière, et qu'elle posa sur la petite table qui se trouvait au milieu de la tente. La faible lueur éclairait une partie du beau tapis qui recouvrait le sol et représentait de nombreuses étoiles et constellations. Il y avait aussi, un peu partout, des objets bizarres dont des pierres réputées pour leurs vertus, et deux ou trois autres choses.

- Mettez-vous à l'aise...

Après avoir répondu avec franchise à sa question, en pensant en rigolant, que de toute manière il devait être impossible de lui mentir, ce fut elle qui répondit.
Je l'écoutais toujours avec une attention relative qui se dispersait dans l'angoisse que je dissimulais plutôt bien.
Je secouais la tête en l'écoutant, ainsi avant cela elle était danseuse et chanteuse. Je devais avouer qu'en observant un peu sa silhouette, elle possédait les traits parfaits pour ce genre de profession. Il n'y avait rien à dire sur cela.

Sa démarche même me semblait être un délicat pas de danse, sa manière de balancer les bras, de bouger les doigts, et sa façon de marcher avaient une sorte de charme et d'élégance qu'on le prête souvent aux danseuse.
Je me demandais si elle le faisait volontairement, ou si simplement cette grâce était naturelle. Bref, je lançai un petit : " D'accord " lorsqu'elle acheva sa réponse en me confirmant qu'elle vivait de son art. La chance ! pensais-je.

Puis nous arrivâmes à la tente. Avant d'entrer je regardais l'extérieur. La couleur était curieuse, elle balançait entre le bleu sombre et le noir, selon notre position. Elle entra en premier, et quand elle me demanda d'entrer, je me baissai un peu pour entrer à mon tour. Je me surpris de voir l'espace qu'il y avait.
Dans le noir je n'y voyais pas grand chose, heureusement, rapidement, Astrid alluma une bougie qui me plongea dans un univers ésotérique. Même si j'avais connu cette ambiance avec celui qui m'enseigna l'hypnose, je devais admettre que cela faisait fort longtemps et que je regardais tout avec une réelle surprise et admiration.

Je quittai ma veste lorsqu'elle m'autorisa à me mettre à l'aise, je l'enroulais banalement et la posa à côté de moi, alors que je m'installais devant la table basse, j'observais les constellations, tout, les objets, même les plus petits, tout me donnait cette impression de posséder un pouvoir mystérieux. Et puis, il y avait aussi cette étrange sérénité qui régnait là-dedans, une atmosphère paisible qui abattait sans pitié les mauvaises ondes qui peuvent habiter dans les âmes des visiteurs de ce lieu.
-" On croirait entrer dans un nouveau monde ! C'est fascinant ! " Dis-je en reportant mon attention sur la cartomancienne en m'asseyant devant la table basse et en retroussant les manches de ma chemise blanche, et je croisai les bras en attendant la suite.

-" Comment avez-vous fait pour qu'on ne ressente pas de crispation ni de nervosité ici ? On a l'impression d'être baigné par la sérénité la plus imposante. " Demandais-je par simple curiosité, en me disant que si je le pouvais j'en parlerai à Mademoiselle Victoire.
Mais maintenant je devais penser à moi, et j'écoutais avec attention Astrid.

Alfonso ne se fit pas prier pour ôter sa veste, l'enrouler puis s'asseoir. Astrid voyait bien qu'il regardait partout autour de lui, ce qui n'était pas très étonnant. Elle avait beaucoup misé sur la décoration de l'endroit c'était vrai, et ça lui faisait toujours chaud au coeur de voir que les gens qui entraient sous la tente n'y étaient pas insensibles.

-" On croirait entrer dans un nouveau monde ! C'est fascinant ! "

Un grand sourire égaya le visage de la cartomancienne alors qu'elle s'asseyait tranquillement de l'autre côté de la petite table. Alfonso, depuis qu'elle avait mentionné sa profession, semblait bien plus intéressé et curieux qu'effrayé. Ça n'arrivait pas si souvent et elle avait appris à apprécier sa juste valeur ces réactions qui n'étaient pas antipathiques. S'il trouvait ça fascinant, c'était que l'effet recherché avait surtout été trouvé. Il retroussa ses manches, ce qu'Astrid prit pour un signe d'impatience, et elle s'empressa d'attraper ses cartes et de les mélanger avec application.

-" Comment avez-vous fait pour qu'on ne ressente pas de crispation ni de nervosité ici ? On a l'impression d'être baigné par la sérénité la plus imposante. "

C'était la première fois qu'on prenait le temps de lui faire un compliment de cet ordre, et c'en était presque étrange. Les gens se sentaient souvent intimidés par le côté ésotérique de la décoration et elle n'avait imaginé qu'elle puisse vraiment les mettre à l'aise. Surtout la nuit, à la faible lueur d'une bougie déjà bien entamée. Même si toute la décoration avait été choisie, Astrid ne savait pas comment le mélange parvenait à l'effet relevé par le domestique, et tout en continuant à mélanger ses cartes elle se demandait ce qu'elle allait répondre.

- Je dirais que c'est certainement grâce à la tente. En temps normal, la journée, elle atténue les bruits et empêche d'être déconcentré par les passants. Elle donne un petit côté douillet...

Astrid se tut, observant finalement ses mains qui ne cessaient leurs mouvements. Les cartes étaient probablement bien assez mélangées pour le tirage, il était temps de commencer à s'y intéresser de plus près. La cartomancienne posa le paquet sur la petite table, faisant attention tout de même à ce qu'Alfonso ne les touche pas. Sinon, il allait fausser toute la prédiction! Relevant finalement la tête vers lui, un sourire doux peint sur le visage, elle parla gentiment. De toute façon, elle était loin d'avoir un naturel agressif.

- Il faut que vous posiez votre question, pour que les cartes y répondent. Que voulez-vous savoir ?

La jeune femme en face de moi commençait, elle tenait dans ses mains un jeu de carte, je fixais les cartes avec appréhension et un peu de peur. Qu'allaient me réserver le sort ? Devais-je m'y fier ? D'ordinaire je ne croyais pas trop en ce genre de fantaisie, mais là, je ne savais pas pourquoi mais je m'abandonnai à cela, comme si je trouvais là peut-être la dernière chance pour avancer.
Rien de plus, il lançait là une bouteille à la mer sans rien attendre forcement.

Elle me répondait que l'effet que je pouvais ressentir, provenait certainement de la tente en elle même, du tissu, et de la lumière de la lune. Elle avait raison, ici, on entendait très peu le bruit extérieur, et il y avait aussi ce côté douillet très agréable.

Bien, à présent, le silence, charmant silence, mystique aussi, je ne savais pas comment le décrire, mais il était beau, léger et sublime. Il caressait mon âme et mon esprit dans le bon sens, celui du plaisir et de la sérénité.
Alors je regardais la cartomancienne faire avec une maestria surprenante ses gestes, son mélange de carte, ses mouvements. Elle possédait une maîtrise remarquable, ses doigts fins se faufilaient entre deux cartes, les retournaient, puis ils reprirent place dans le paquet.

Cela dura quelques instants, combien de temps ? Je ne savais pas, de toute manière j'avais l'impression à la fois agréable et effrayante que la pendule s'était arrêtée. Je ne touchais qu'avec les yeux, mes mains ne s'étaient à aucun moment éloignées de mes rotules.
J'étais en contemplation devant elle, devant ses mains, et les cartes.
Elle les déposa ensuite, elle déposait le tas devant moi comme si la cloche sonnait la fin de tout.

Ensuite elle me demandait de reposer la question, que je devais parler aux cartes. Je soupirai, et je soufflai un grand coup.
-" Est-ce que je vais souffrir demain ?" Un silence, et je ne sais pas pourquoi j'osai parler encore en complément.
-" Est-ce que celle que mon coeur aime se nomme Iris ? " Voilà c'était dit ! J'avais honte, mais je m'en moquais, maintenant le sort était jeté, je venais de mettre une allumette sur la bougie de mon destin, j'allais voir.

Alfonso soupira. Encore une fois Astrid se demandait ce qu'elle devait en déduire. Hésitation ? Regret de se trouver là ? Aucune idée, mais il finit par souffler un grand coup et poser sa question.

-" Est-ce que je vais souffrir demain ?"

Voilà une question inhabituelle. Les gens se souciaient souvent d'un avenir bien plus lointain que le lendemain qui leur paraissait souvent très proche et donc moins mystérieux. Astrid se demandait ce que le domestique avait prévu le lendemain pour se poser une telle question. Quelque chose de grave ? De dangereux ? Elle espérait que les cartes ne se tromperaient pas parce qu'elle n'avait vraiment aucune idée de ce dont il pouvait bien s'agir.

-" Est-ce que celle que mon coeur aime se nomme Iris ? " 

Oh. Voilà une question aussi délicate qu'intéressante. Avait-il prévu un rendez-vous pour le lendemain ? Peut-être qu'il hésitait, qu'il ne savait pas si c'était l'élue de son cœur, mais qu'il devait pourtant la voir et qu'il cherchait encore quoi lui dire. Astrid avait l'impression que sa vision des choses était au moins éclaircie par la seconde question. Alors, elle tira quatre cartes qu'elle plaça devant elle sur la table, face cachée. Après quelques secondes de silence autant que d'inaction, elle retourna la première d'entre elle. Elle représentait une magnifique rose rouge. Amour, désir, attirance, voilà au moins une carte qui tombait à pic ! La deuxième, qu'elle retourna doucement, était moins joyeuse. Le poignard qui l'ornait était parfaitement peint, là n'était pas le problème. Symbole de trahison et de vengeance, Astrid se demandait bien ce qu'il pouvait faire là sans douter tout à fait de son intérêt. Après tout elle ne connaissait rien des relations d'Alfonso avec cette « Iris ». La troisième carte fut celle de l'espoir et de la vie, incarnée par un merveilleux soleil doré qui occupait tout l'espace disponible sur son support. Comment les articuler entre elles ? Tout semblait se compliquer. Alfonso devait avoir une vie plus passionnante qu'au premier abord... Alors, les doigts fins de la cartomancienne saisirent la dernière carte, celle qui devait achever la prédiction.
Le dessin était aussi beau que tous les autres, et ce n'était pas peu dire car le jeu de carte de la demoiselle était tout à fait magnifique. On y voyait une petite fille devant un miroir, mais son reflet ne lui ressemblait absolument pas et inspirait plutôt la méfiance si ce n'est la peur.

-Hmmmm...

Astrid cherchait à mettre tout ça dans l'ordre avant de tout raconter à Alfonso.

L'amour, la trahison, la joie, et la méfiance, les apparences trompeuses. Je pense que vous serez heureux de votre journée, mais qu'au fond ce qui s'y passera ne sera pas des plus honnêtes. Je vous invite à vous méfier.

Et sachant que malheureusement aucune de ces cartes ne pouvait répondre pour le moment à la deuxième question, elle reprit comme si c'était normal, comme si les cartes avaient choisi la première option sans même entendre la deuxième.

Voulez-vous un deuxième tirage, pour la seconde question ?

Astrid ramassa les cartes qu'elle avait tirées, les remit dans le paquet, et recommença à les mélanger.