Manœuvre d'évitement [Alfonso]

La tension, je me demandais pourquoi je la ressentais. Après tout pourquoi devrais-je croire ce qu'elle allait me dire ? Je voulais me convaincre de ça, et pourtant j'avais une envie folle d'y croire. C'était troublant tout cela. J'étais incapable de me définir, de dire ce qui traversait mon esprit après avoir déposé mes questions.

Des frissons j'en avais plein alors qu'elle manipulait les cartes. Elle en tira quatre et les déposa devant elle, face caché.
Elle retourna les cartes à une allure délicate, suave... Etrange même je regardais sans comprendre, sans vraiment savoir comme les interpréter.
Les quatre cartes retournées tout restait mystérieux.
Je les observais comme ça, j'avais envie de lui demander de parler au plus vite, mais en observant Astrid je comprenais qu'elle pensait, qu'elle analysait. Qu'allait-elle me dire ?

Que voulait bien dire tout cela ? J'avais cette allure calme, mais intérieurement je me sentais vraiment mal. J'avais l'impression que mes lèvres allaient recracher mon coeur.
Quand la cartomancienne poussa un petit gémissement, j'avais envie encore plus fort de lui demander de parler vite. Mes yeux, ma vie toute entière se situait sur le bord de ses lèvres.

Elle prit la parole, enfin. Je l'écoutais avec une attention rare. Je ne fis pas de commentaire, je prenais juste. C'était un peu confus mais je comprenais plus ou moins que je devais faire attention, que le bonheur de demain ne serait peut-être qu'une illusion.
Je n'avais qu'une envie connaître la suite alors je ne disais rien, je ferai mes remarques sans doute après.
-" Très bien ! " Me contentais-je de dire.

-" Oui s'il vous plait, un tirage pour ma seconde question. Elle est même plus importante que la première. Est-ce que le coeur d'Iris bat pour moi ?" Dis-je alors avec une certaine ferveur.

-" Très bien ! "

Est-ce qu'il la croyait vraiment ? Peut-être, elle ne savait pas. A la limite, tant qu'il ne criait pas partout qu'elle disait n'importe quoi, ça ne lui importait pas vraiment. Évidemment elle ne voulait pas le décevoir, surtout qu'il avait l'air sympathique et que ces questions semblaient vraiment importantes pour lui. Il y avait une vraie ferveur dans sa voix quand il continua, qui incitait la cartomancienne à ne pas lui mentir et à faire de son mieux. Il lui arrivait parfois de négliger certaines règles de son art pour aller plus vite ou expédier un client problématique, ce ne serait pas le cas pour Alfonso qui lui inspirait des sentiments tout à fait positifs.

-" Oui s'il vous plait, un tirage pour ma seconde question. Elle est même plus importante que la première. Est-ce que le coeur d'Iris bat pour moi ?"

Plus importante encore que la première ? Voilà qui exigeait de la concentration alors, et du professionnalisme. Astrid hocha la tête, elle comprenait bien qu'il ne fallait pas prendre les choses à la légère et continuait à mélanger ses cartes avec autant d'application que d'habitude. Seulement pour procéder finalement au deuxième tirage il fallait qu'elle demande quelques précisions....

-Ce n'est pas la même question, releva doucement Astrid. A laquelle dois-je répondre ?

Alfonso avait commencé par demander si son cœur battait pour Iris, cherchant probablement à savoir si c'était elle la véritable élue, l'âme sœur, la femme de sa vie ou quelque chose de ce genre. Maintenant, il cherchait plutôt à savoir ce qu'elle ressentait elle. Et la cartomancienne se demandait bien ce qu'il voulait savoir au fond. Dans un tirage sérieux, il fallait que les questions soient claires pour que la réponse ait une chance d'être juste.

-Pour être plus précise, et elle avait bonne mémoire pour ce genre de choses, vous m'avez demandé la première fois si votre cœur aimait mademoiselle Iris, et la deuxième fois si mademoiselle Iris vous aimait, ce qui n'est pas exactement identique. Je tiens d'ailleurs à vous préciser que la cartomancie est un art qui examine le futur, sans forcément condition de date... Si je vous réponds « oui », ça ne voudra pas forcément dire « maintenant », sauf si c'est une condition de la question posée. Je vous encourage donc à réfléchir à votre question, pour être sûr de celle que vous allez poser... Mais c'est comme vous le souhaitez, bien évidemment, je disais juste cela parce que ça a l'air de vous tenir vraiment... A cœur.

Astrid ne se moquait, pas sa voix douce et posée pouvait en témoigner. Il s'agissait simplement de bienveillance, mais aussi un peu de limiter le nombre de ses tirages. Alfonso était sympathique mais elle n'avait pas l'intention non plus de passer sa nuit sous la tente à lui tirer les cartes.

Oui, je ne savais pas pourquoi, mais j'avais posé une autre question, peut-être plus cruelle et plus incertaine. Moi ? Bien sûr que j'aimais cette catin, à en crever même. Alors il était sans doute plus judicieux de savoir ce que pensait le coeur d'Iris.

Mon regard se posait sur la cartomancienne alors que j'hésitais encore un peu sur la nature de la question que je devais poser, même si je balançais plus pour la seconde.
C'était troublant que tout ça, rarement je ne m'étais senti aussi démuni, désarmé, j'étais incapable d'avoir un certain contrôle sur moi-même, sur mes sensations et mes sentiments.

J'écoutais alors Astrid qui me révélait quelques subtilités sur l'instant, sur le temps qu'une réponse n'était pas forcement valable pour de suite, qu'elle n'avait pas d'emprise sur le jour où se produisait ses prédictions.
C'était des paroles qui ne me rassuraient guère, en effet j'avais l'impression qu'elle savait déjà, et qu'elle essayait simplement de me conditionner pour m'éviter la souffrance.
J'esquissais un petit sourire pour lui dire que je comprenais ce qu'elle me disait. Il le fallait. Après tout, elle était l'artiste, et je n'avais rien qui pouvait me permettre de ne pas la croire.

De toute manière, je lui faisais confiance, entièrement, j'étais prêt à tout entendre.
Je croisais les bras, je pris une profonde respiration, puis une autre. Entre les deux dans ma cervelle se déroulait le film de ma rencontre avec Iris, mes sentiments aussi tout. Il y avait de la douleur, et du plaisir. De tout.
Il était temps, mon souffle laissait la place à des mots.
-" Voilà ma question... " Murmurais-je d'abord, mes pupilles brillèrent d'une intensité sincère, comme si en montrant cette détermination je voulais aider Astrid, l'aider à y voir plus clair dans mon avenir.

-" Est-ce que le coeur d'Iris bat pour moi ? " Là, c'était dit ! Je ne pouvais pas être plus franc. En tout cas je savais qu'à présent j'allais savoir, que j'allais sans doute pleurer. Non je n'osais pas croire à cette hypothèse.
La tension agrippait mon coeur, et ma tête, mes doigts pianotaient sur mes rotules, je voulais bien me retenir, mais les nerfs me jouer des tours, c'était incroyable que cette sensation là, juste avant de connaître la suite de sa vie, du sort de son coeur.
-" Surtout n'ayez crainte, je peux tout entendre ! " Ajoutais-je simplement.

Le pauvre Alfonso souriait un peu mais il aurait fallu être bien bête pour penser rien qu'une seule seconde que la joie y avait quelque chose à voir. Il croisa les bras, inspira profondément, et Astrid devenait la spectatrice impuissante de son hésitation. Peut-être même de sa souffrance. La cartomancienne ne différait pas le moment du tirage pour son propre plaisir : plus tôt ce serait fini et plus tôt elle pourrait retourner chez elle. La compagnie d'Alfonso était plutôt agréable, mais elle savait bien comment les choses se passaient. Après avoir exposé une partie si intime de soi-même, on désirait souvent méditer la réponse en solitaire. Il ne tiendrait sans doute pas à faire trop durer la conversation une fois qu'il saurait ce qui l'attendait. Ses profondes inspirations se succédant, elles ressemblaient presque à des soupirs, et Astrid tentait de mesurer leur ampleur pour comprendre à quel point le pauvre domestique semblait tourmenté.

-" Voilà ma question... "

Il murmurait. Peut-être que l'ambiance de la tente lui donnait naturellement envie de parler bas, la demoiselle n'aurait pas su dire. Elle pensait néanmoins qu'il n'était peut-être pas aussi décidé qu'il l'aurait voulu, et que donc il commençait à parler avant d'être convaincu, ce qui expliquait cette bien faible voix pour un propos si important.

-" Est-ce que le coeur d'Iris bat pour moi ? "

Il semblait regarder la cartomancienne comme si elle avait dit qu'elle lirait dans ses yeux et non dans ses cartes. S'il avait gardé la première question elle aurait pu y répondre sans hésiter : évidemment il était amoureux ! Ses doigts s'agitaient sans repos contre ses genoux, comme si ça pouvait le soulager. Le voir ainsi donnait envie à Astrid de le ménager, mais elle savait pourtant qu'elle n'aurait pas le choix que lui dire la vérité. Les cartes négatives le portaient souvent sur elles dans leurs dessins, et mentir serait une solution ridicule.

-" Surtout n'ayez crainte, je peux tout entendre ! "

C'était un peu comme si c'était lui qui avait lu dans les pensées de son interlocutrice. Elle lui répondit par le même genre de petit sourire pas vraiment heureux qu'il lui avait dédié un peu plus tôt. Le malheureux s'attendait déjà au pire, ça ne laissait pas beaucoup d'espoir pour le tirage. Enfin, qui pouvait savoir ce que l'avenir lui réservait, hormis les cartes ? Espérant ne pas avoir de trop mauvaise nouvelle à lui transmettre, Astrid recommença son petit manège. Quatre cartes face cachées, toujours, et elle les retourna une à une avec patience, cherchant à chaque fois toutes leurs significations possibles et les différents liens qu'elles pouvaient entretenir entre elles.
Le résultat n'était pas aussi négatif que ce qu'Alfonso semblait attendre, mais il semblait évident que la dénommée Iris n'allait pas lui tomber dans les bras non plus. Enfin, Astrid était soulagée que les cartes ne prononcent pas un « non » définitif, qu'elle aurait eu de la peine à annoncer. Elle l'aurait fait, comme toujours, comme ces fois où elle devait annoncer la mort d'un être cher ou la ruine, mais c'était toujours des moments particulièrement délicats.

-Il s'agit apparemment d'une quête qu'il vous faudra mener, dit la cartomancienne en montrant la première carte, représentant un panneau indiquant de nombreuses directions différentes. Pour gagner cet amour, les cartes vous conseillent la vertu, continua-t-elle en glissant sa main jusqu'à une carte représentant les dieux. Mais je vois ensuite l'indécision, ses doigts indiquèrent naturellement la carte suivante où un chemin sinueux s'enfonçait dans la brume, et l'amour. Je pense très honnêtement que la demoiselle hésite pour le moment.

La carte de l'amour, la même carte à la jolie rose que celle qu'elle avait tirée plus tôt. Étant donné le soin qu'elle avait pris à mélanger les cartes, ça ne pouvait pas être un hasard. Astrid n'avait pas envie de s'attarder davantage sur cet étrange tirage. Mais si Alfonso lui demandait de préciser son interprétation, elle le ferait bien sûr de son mieux.

Elle accomplissait le rituel comme tout à l'heure. Je regardais, en essayant par mon regard d'y mettre une force invisible afin de faire tourner le sort en ma faveur. Il le fallait, je ne pouvais pas vivre comme ça, et su j'apprenais qu'il n'y avait plus d'espoir je serais incapable de vivre.
J'attendais, je posais mes yeux sur ses mains, sur la manipulation des cartes, sans savoir à quoi attendre.

De toute façon je ne pouvais pas lui en vouloir, et encore moins après lui avoir dit qu'elle pouvait me parler sans pitié et me révéler tout sans rien oublier ! Et ce même si je devais en souffrir.
Elle tirait les cartes, de la même façon, avec la même grâce, avec cette même puissance mystique et mystérieuse qui faisait croire que tout était vraiment écrit.

C'était partie, la cartomancienne débuta alors. Une quête ? Répétais-je dans ma tête en fronçant les sourcils.
La vertu ? C'était la route à suivre. Je me faisais déjà des histoires de chevalier et de princesse qui m'amusait malgré la gravité de la situation actuel. Néanmoins je me disais que cela touchait peut-être l'idée que j'avais de lui voler un vêtement demain matin avant de partir à l aferme d'Aure. Indécision et amour ensuite ?
Elle serait encore hésitante à entendre la jeune femme.
Bien, au moins elle n'avait pas dit qu'il n'y avait aucune chance... Néanmoins tout restait assez flou, et curieux.

Je ne savais pas si j'étais soulagé ou non, mais j'étais déjà heureux qu'elle me dise que tout n'était pas mort et qu'elle n'avait pas de sentiment pour moi. Mais j'étais également incertain car elle n'avait pas non plus dit qu'elle m'aimait. Comment faire ?
Au fond peut-être tout me semblait plus compliqué maintenant qu'avant. Pourtant j'étais fixé sur mon sort.

Je me concentrais alors pour essayer d'arranger ce puzzle de mots. Je frottai mon menton avec ma main.
Une quête à mener avec de la vertu... Puis un amour indécis. S'agissait-il d'une bataille à mener pour vaincre son indécision., du moins l'indécision d'Iris.
Le fait d'ignorer la quête était quelque chose de très compliqué, faudrait-il se battre ?
-" Pouvez-vous s'il vous plait préciser votre interprétation ? " demandais-je en essayant d'exprimer mon raisonnement.
-" Je ne comprends pas la quête, la vertu, je suppose que cela touche au fait que seul avec honnêteté et franchise je pourrai réussir ? " Dis-je avec un air qui montrait que j'étais en pleine réflexion.
-" Mais son indécision, d'où peut-il venir ?" demandais-je sans vraiment attendre de réponse, en osant croire qu'il ne s'agissait pas de George.

Alfonso était en pleine réflexion. Il ne dit rien pendant un premier temps mais c'était évident qu'il ne voyait pas trop quoi faire des informations données par la cartomancienne. Ce n'était pas étonnant, elle même ne savait pas encore quelle serait sa conclusion finale. Le tirage n'avait pas été aussi évident qu'il aurait pu l'être, bien loin de ces coïncidences ou de ces hasards trop faciles qui ne lui demandaient même pas de réflexion. Parfois, elle se forçait à prendre son temps alors que tous les éléments s'imbriquaient si parfaitement entre eux qu'elle avait l'impression de lire l'avenir avec la facilité des nobles lisant leur courrier.

-" Pouvez-vous s'il vous plait préciser votre interprétation ? "

Elle hocha positivement la tête avant même de savoir ce qu'elle allait bien pouvoir préciser. Que pouvait-elle dire de plus ? Astrid allait demander à Alfonso ce qu'il avait du mal à comprendre précisément mais il prit la parole de lui-même avant qu'elle n'ait l'occasion de s'exprimer. Il rendrait certainement la question plus claire.

-" Je ne comprends pas la quête, la vertu, je suppose que cela touche au fait que seul avec honnêteté et franchise je pourrai réussir ? " 

La cartomancienne ouvrait la bouche pour répondre, mais elle ne sut pas vraiment pas où commencer. Du coup, le domestique continua à parler.

-" Mais son indécision, d'où peut-il venir ?"

Cette question là ne la regardait pas vraiment, et même si ça avait été le cas les cartes ne sauraient être plus précises. Ou alors il faudrait encore un tirage, et il fallait avouer que ça n'enchantait pas la cartomancienne. Elle préférerait encore avouer l'impuissance de ses cartes et aller se coucher que de continuer ainsi. Elle avait déjà fait ça toute la journée...
Astrid passa ses mains au dessus des cartes sans les toucher. Johanne faisait toujours ça, et même si elle n'avait insisté pour qu'Astrid prenne cette habitude là ça lui donnait parfois l'impression de recevoir l'aide de son ancienne mentor. Ou de mieux sentir l'âme des cartes, partenaires difficiles qui ne se laissaient pas manipuler par n'importe qui sans risque.

-La quête, c'est le symbole que son amour ne vous est pas acquis et qu'il vous faut le gagner. La courtiser, en somme, la séduire, si vous préférez. Pour la vertu, je ne pense pas qu'un minuscule mensonge puisse vous nuire ! C'est un conseil simplement, qui vous incite à vous comporter en honnête homme. La justice, l'honnêteté, la bienveillance... Je ne sais pas ce qui vous sera utile exactement, mais il y aura probablement un obstacle de votre quête que vous pourrez surmonter en vous montrant vertueux. Elle marqua une petite pause. Pour l'indécision en revanche, je suis au regret de vous dire que je ne pourrai pas vous aider. Mais il me semble assez facile d'imaginer quelques raisons, indépendamment des cartes... Un rival ? Une situation particulière ? Un problème plus privé que vous ne connaissez peut-être même pas ?

J'avais parlé comme ça, par instinct, sans vraiment chercher à avoir raison. Peut-être cherchais-je seulement à me réconforter, à me dire qu'au fond je n'étais pas si loin que cela de pouvoir satisfaire les désirs de mon coeur.
J'étais déjà bien heureux d'apprendre que même si ce n'étais pas acquis, tout dépendait de cette quête, et qu'il ne tenait qu'à moi de réussir à conquérir Iris. En pensant à cela, je riais intérieurement encore en me disant qu'une épée à la main je serais peut-être pas mauvais.

Non, je serais plutôt ridicule me résignais-je en suggérant que ce n'était pas mon habileté qui pouvait venir m'aider.
La cartomancienne passa sa main au dessus des cartes, comme si maintenant elle recherchait une précision à ce qu'elle venait de dire.

Je ne lâchais pas le regard bleu de la jeune femme pendant son monologue.
Ainsi je devais la conquérir, la séduire ? Comment faire ? Je pouvais bien faire tout les efforts possibles, j'avais l'impression que le simple regard d'un chevalier à la mode pouvait faire succomber Iris.
Je devais aussi me comporter correctement, honnête et politesse. La vertu serait une arme pour vaincre un obstacle. Je notais cela dans ma tête.

Elle fit une pause, un instant qui me permettait d'assimiler ce qu'elle venait de dire. La suite arriva rapidement.
Elle ne pouvait pas me dire ce que voulait dire l'indécision. Mais les hypothèse qu'elle me soumettait me rendait nerveux. Un rival ? Je ne voyais que George, ce maudit milicien ! Faudrait-il que je me batte ?! Je n'espérais pas vraiment, même si j'étais prêt à le faire pour elle. Les deux autres hypothèses ne me disaient rien pour l'instant.

Un long silence s'installa, comme si le couperet venait de tomber, ou le rideau venait se baisser. Ce mélange de sentiments me laissait un goût d'inachevé et je basculais alors dans le fait de savoir si je devais voir le verre à moitié vide, ou à moitié plein.
Mes pupilles se baladèrent alors sur les cartes, la table, les mains d'Astrid aussi ! Ah quel terrible pouvoir possèdent-elles ses mains là ! Me dis-je en fouillant dans mes poches pour sortir quelques pièces sans savoir réellement ce que valait son travail, mais je pensais qu'il y avait tout de même le nécessaire.

Je les déposai sur la table.
-" Je vous remercie. Je ne sais pas si je serai capable de la séduire, après tout, pourquoi son coeur tomberait pour un domestique plutôt que pour un milicien ou un bourgeois. " Soufflais-je avec un petit air de dépit.
-" Toutefois, à vous entendre rien n'est perdu, alors que le sort me soit favorable... " Ajoutais-je sur le même ton.
-" Je prends tout ce que vous venez de dire et je tâcherai d'en faire bon usage ! " Poursuivis-je en me relevant dans un geste élégant.
-" Il est temps pour moi d'y aller, je suis encore navré de vous avoir dérangé et je vous suis reconnaissant d'avoir accepté de m'aider alors que vous aviez terminé votre journée."

Avait-elle dit quelque chose qu'elle n'aurait pas dû ? Alfonso semblait nerveux, et Astrid n'avait aucune idée de ce qu'elle devait ou pouvait rajouter pour le détendre. Le silence s'installa sans qu'elle ose prononcer un seul mot pour le briser. Parfois c'était mieux. Parfois, quand on annonçait une nouvelle particulièrement douloureuse, il valait mieux rester silencieux et laisser à son interlocuteur le temps de comprendre le poids de tous les mots. Mais était-ce une si mauvaise nouvelle, dans le cas présent ? Pas vraiment. En tout cas, la cartomancienne considérait que l'espoir était bel et bien présent. Il valait souvent mieux un destin un peu incertain et libre ! Quand elle tirait la carte blanche, celle qui n'était parcourue que par une ligne noire, cela signifiait qu'il n'y avait aucun espoir de changer les choses. Là, tout semblait encore possible.
Le domestique regarda encore les cartes. Espérait-il y voir quelque chose de plus ? Une information qui aurait échappée à leur lectrice attentive ? Pas forcément. La cartomancienne vit rapidement qu'il ne fixait pas les cartes mais que les yeux se baladaient et qu'il regarda même ses mains à un moment donné. Mais finalement il ne demanda rien de plus – au grand soulagement d'Astrid – et sortit quelques pièces de sa poche. Alfonso les posa sur la table.

-" Je vous remercie. Je ne sais pas si je serai capable de la séduire, après tout, pourquoi son coeur tomberait pour un domestique plutôt que pour un milicien ou un bourgeois. " 

Et pourquoi pas ? Astrid serait bien mal placée pour juger qui que ce soit par rapport à sa fonction, et elle ne choisirait jamais en fonction d'une profession plutôt que d'un caractère. Mais elle ne connaissait pas la demoiselle qu'Alfonso voulait séduire. Comment était Iris ? Une femme au cœur ouvert, charmante, bienveillante ? Peut-être pas. Alfonso semblait douter de ses chances, il avait l'air dépité. Astrid attrapa la moitié de ses pièces et repoussa doucement les autres vers lui pour qu'il les récupère.

-" Toutefois, à vous entendre rien n'est perdu, alors que le sort me soit favorable... " 

Elle sentait bien qu'il n'était pas convaincu. La demoiselle lui offrit un petit sourire qui se voulait réconfortant. Il n'y avait rien d'autre à dire : puisse le sort lui être favorable. Mais s'il faisait des efforts, pourquoi les choses ne se passeraient pas bien ?

-" Je prends tout ce que vous venez de dire et je tâcherai d'en faire bon usage ! "

Alfonso se releva avec grâce avant de poursuivre. La discussion touchait effectivement à sa fin, et comme ils ne se connaissaient pas beaucoup il ne restait pas grand chose à dire.

-" Il est temps pour moi d'y aller, je suis encore navré de vous avoir dérangé et je vous suis reconnaissant d'avoir accepté de m'aider alors que vous aviez terminé votre journée." 
-Oh je vous assure ce n'est rien ! Je vous souhaite bonne chance avec dame Iris, j'espère que les choses iront comme vous le souhaitez, et une bonne soirée également. commenta-t-elle sobrement mais toujours avec le sourire.

Alfonso avait l'air de quelqu'un de gentil et il semblait tout à fait amoureux. Ça ferait de la peine à Astrid qu'il ne soit pas aimé en retour mais cela pouvait arriver. La vie était ainsi faite, on ne recevait que rarement ce qu'on méritait et Astrid était bien placée pour en savoir quelque chose. Le domestique sortit finalement de la tente, elle le regarda faire sans bouger. Il l'intriguait un peu. Mélangeant à nouveau ses cartes pendant un long moment qui ne parut durer que quelques secondes pour elle, elle se posa une question. Qu'allait-il advenir de lui ?
La première carte fut si effrayante qu'elle se leva en trombe, sortit de la tente et chercha du regard Alfonso. Elle devait lui parler ! Mais il était déjà loin. La mort dans l'âme, la cartomancienne ramassa son paquet de cartes, les trois cartes encore retournées qu'elle n'avait pas pris le temps d'observer, et la carte du suicide qui l'avait mise dans cet état. Elle se promit d'essayer d'avoir des nouvelles d'Alfonso, tout en sachant que ce ne serait pas une mince affaire.