Nom : Puyvignac
Prénom : Wilfrid
Âge : 24 ans
Sexe : Masculin
Rang : Chevalier

Il ôte rageusement son gant. Sa main tremble encore après le combat qu’il vient de livrer. Son regard gris balaie rapidement le champ de bataille. Il retire son casque libérant une masse sombre. Ses cheveux noirs lui tombent habituellement sur les épaules mais après un tel corps à corps, il ne reste plus qu’une masse informe, collée par la sueur et l’hémoglobine. Ses doigts longs et nerveux, entachés de sang, passent furtivement sur son visage, le faisant grimacer. Il sent sur sa peau les estafilades qu’il a ramassées durant la lutte. Ce ne sont pas les premières. Ce ne seront pas les dernières. Son corps est recouvert de ces fines lignes blanches qui retracent sa vie et ses combats. D’un geste brusque il donne son casque et une partie de sa carapace à un valet. Allégé du poids de toute cette ferraille, il traîne son mètre quatre vingt entre les corps disloqués. Silhouette fine et étrange errant parmi les dépouilles.

L’eau de son bain s’est teintée de rouge, faisant ressortir la pâleur de sa peau mais aussi les bleus qui l’ornent. Il soupire avant d’enjamber le haut rebord de sa cuve en fer. Un luxe dont il ne pourrait plus se passer. Autour de lui, de minuscules flaques se forment. Myriades de petits miroirs tremblotants. Il s’enveloppe rapidement d’un linge avec lequel il se sèche énergiquement avant de s’habiller d’un pantalon et d’une tunique de laine fine. Comme il le fait souvent, Wilfrid noue sur sa nuque ses cheveux en un petit chignon. Il ne prend pas la peine de vérifier son reflet dans le miroir en étain poli. Cela ne l’intéresse pas.

Dans sa tête résonne encore le bruit des épées qui s’entrechoquent. Le poids des armures qui s’affaissent. Touts ces craquements de corps qui se brisent. Il faut faire vite pour ramasser les gaillards encore en état. Du bout du pied, il tape dans les amas de chair. Il trie sans état d’âme. Aucun sourire de satisfaction n’éclaire son visage. Il ne fait que son devoir pour lequel il est rémunéré. Solitaire, il erre. Sans un mot, il scrute. Pour survivre, il a dû se forger une carapace encore plus épaisse que celle en ferraille dont il use lors des combats. Mettant de côté ses sentiments. Oubliant qui il était pour devenir ce qu’il est.
Malgré sa vie et les carnages auxquels il participe, il a pris l'habitude de s'en remettre aux Dieux. Sans être vraiment croyant, il lui semble conjurer le sort ainsi. Se faire pardonner ses déviances, son caractère colérique et tout le reste. Surtout le reste.

Il a cinq ans.

Il court. L’herbe haute lui fouette les jambes. Il court toujours. Galopant aussi vite que ses petits membres le lui permettent. Il entend au loin la voix de Père qui l’appelle. Tout en courant, il essuie tant bien que mal ses mains crasseuses sur son pantalon qui ne l’est pas moins.
La bâtisse se rapproche ainsi que la silhouette de Père. Il sent son cœur battre dans ses oreilles. Il avait promis de ne pas s’éloigner. Père ne va pas être content.
Il court toujours lorsque les bras de son père l’interceptent en pleine cavalcade lui coupant le souffle de surprise. Il s’envole. Ses pieds ne touchent plus le sol. Sa tête tourne légèrement après cette course effrénée.
Les bras de Père l’écrasent contre lui.

Il a cinq ans.
Il marche lentement derrière la charrette qui traine la boite en bois mal rabotée qui contient Mère. Sa main serre celle de Père. De temps en temps, ses yeux se posent sur la sombre silhouette. Si silencieux. Si absent. Ils suivent la procession qui accompagne Mère chez les anges. C’est Père qui le lui a dit.
Il ne l’avait connu que malade et alitée. Le moindre geste semblait tellement lui coûter…il faisait toujours attention d’être sage afin de ne pas la fatiguer mais ses précautions d’enfant ne servaient pas à grand-chose.
Elle était issue d’une famille aisée de Marbrume. Le négoce des fourrures avait fait leur réputation et bâtit leur fortune, lui permettant de faire un beau mariage avec un petit nobliau désargenté.
La dot avait légèrement redoré le blason pendant un certain temps mais les placements hasardeux et la mauvaise gestion eurent vite raison du pécule.
Il serre un peu plus la main de Père. Immobile devant un trou. La terre noire offre une gueule béante et effrayante. Il regarde sans comprendre la boite qui glisse dans la fosse.
Il croyait que les anges habitaient dans le ciel…

Il a douze ans.

Debout devant la terre noire, rien n’a changé. Les corps finissent toujours au même endroit. Entre quatre planches de mauvaise facture. Il est seul cette fois. Après une messe rapidement expédiée et une bénédiction non moins expéditive, le prêtre l’a abandonné, grommelant que les indigents ne méritaient pas la bonté des Dieux.
Il n’a plus rien. Juste une vieille bâtisse, relique du temps jadis où sa famille brillait encore d’une certaine aura. C’est tête baissée et dos courbé qu’il s’est rendu chez le seigneur pour négocier quelques deniers pour l’enterrement de Père. Il va devenir chevalier. Une longue et rude formation l’attend.

Il a appris depuis longtemps qu’il n’y a pas d’anges dans le ciel…

Il a vingt quatre ans.

Assis dans le fauteuil ancestral, unique vestige du temps passé, son regard se perd dans les flammes rougeoyantes qui dévorent les bûches. La chaleur de l’âtre se propage doucement dans la pièce. Rayonnant sur quelques mètres à peine. La lueur danse sur les vieux murs en pierre. Elle semble donner vie aux tapisseries qui les ornent avant de s’écraser sur le bois noirci des poutres. Il n’a pas besoin de tourner la tête pour voir briller les carreaux de verre si chèrement acquis. Le reste des fenêtres n’étant ornées que de très fines peaux tendues.
Il étire ses jambes sur les grandes dalles en pierre patinées par le temps. Malgré le bien-être environnant, aucun sourire n’éclaire son visage. Tout ce qu’il possède, il l’a acquis à la sueur de son front. Durant des années. Patiemment. Tout cela est sien maintenant.
Un son étouffé suivi d’un froissement soyeux le tire de ses pensées. Le grincement des montants en bois massif du lit lui fait froncer les sourcils. Le son se fait plus pressant. Presque suppliant.
Il étire un peu plus ses longues jambes tout en dépliant les bras au-dessus de sa tête.
La chaleur le caresse mais toujours aucun sourire pour humaniser son visage.
Il se lève et quitte la douceur de la cheminée pour rejoindre celle de son lit.
Il fixe le bâillon qui ordonne le silence ainsi que les liens qui obtiennent la soumission.

Il sait depuis longtemps qu’il n’est pas un ange…

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