Faire les choses dans les règles [Hector] [Terminé]

Les filles de Brasey ne semblaient guère habituée aux discussions mondaines. Leur franchise et leur spontanéité semblaient rendre leur mère fort anxieuse. Hector sourit en écoutant la réponse de Victoire. Il voulait l'encourager pour compenser l'attitude légèrement castratrice de la baronne.

Puis, lorsque Grâce répondit à Hector, les visages des autres membres de sa famille ne manquèrent pas d'afficher leur jugement aussi clairement que s'ils l'énonçaient tout haut ! Mais Hector fût rassuré de voir que Grâce, comme il le savait, avait un caractère suffisamment fort pour ne pas s'en soucier et pour assumer fièrement chacune de ses paroles. Aussi, Hector ne manqua pas de répondre le plus naturellement du monde :

- C'est très gentil à vous, Mademoiselle de Brasey. Votre invitation me touche beaucoup mais je crains que les cris d'enfant, aussi joyeux soient-il, à la longue, finissent par vous fatiguer ! Moi-même, parfois, lorsqu'il me faut rédiger une lettre importante, suis obligé de me barricader dans la fine tour de mon manoir pour y trouver un peu de calme et écrire sereinement !

Hector sourit, satisfait de sa réponse consensuelle et de la nouvelle indication qu'il venait de passer le plus discrètement du monde. Il habitait le seul manoir de la rue des aiglons à posséder une tour unique et fine...

Audric, ne tenait plus, semble-t-il, à écouter ces conversations au sujet des fleurs et des enfants. Il était temps d'aborder des sujets plus virils !

- Et si vous nous racontiez de bonnes anecdotes de chasse cher Baron ? Demanda-t-il au moment où l'on ouvrait les portes de la salle à manger.[/color]

Un délicieux fumet vint caresser les papilles d'Hector. Ce dernier hésita un instant et commença :

- Le bon fumet que je sens me rappelle nos parties de chasse au gros... Fougueux Audric, je vais vous raconter comment l'on chasse le gros gibier par chez nous.

En hiver, lorsque la nuit est clair, nous prenons notre équipement de chasse et quelques victuailles et partons dans la forêt...

Et, ce soir là, malgré le froid, mon père, mon oncle, mon cousin et moi n'avions qu'une envie, partir à la chasse au gros. Nos paquetages étaient déjà prêts depuis longtemps en prévision d'une nuit aussi clair. La lune, plaine et lumineuse semblait nous tendre les bras. Nous marchâmes une bonne heure jusqu'à la clairière de Sombrebois. Nous allumâmes un grand feu au milieu de celle-ci et installèrent nos quatre tentes autour du feu, à une dizaine de pas autour de lui, formant un grand carré. Puis nous nous installâmes autour du feu et firent griller quelques poulets. Nous débouchâmes également une bonne bouteille de vin et passâmes un délicieux moment sous les étoiles, à écouter le chant des animaux forestiers et nocturnes qui nous entouraient là. Puis, mon père, patriarche, conta une histoire d'épouvante à mon jeune cousin - il devait avoir 14 ans - et nous allâmes, comme de coutume, chacun dans notre tente, vérifier notre équipement.

Nous avions évidemment pris soins de laisser quelques morceaux de volaille trainer autour du feu, dégageant dans la sombre forêt une délicieuse odeur de viande grillée. Comme nous l'espérions, nous entendîmes bientôt des bruits de pas et des reniflements...

C'était mon père qui était sensé donner le signal. Il attendait d'entendre le bruit des os qui craquent sous les dents de notre gibier. J'entendis ce craquement et je m’accroupis en serrant ma grande hache dans mes mains. Dix secondes plus tard, mon père cria "Sombrebois !" et nous sortîmes à tout allure de nos tentes ! Et là, à coté du feu, ce n'était pas un mais deux énormes sangliers qui levaient la tête pour nous observer d'un regard noir ! Ce soir, la chasse s'annonçait plus dangereuse et mon oncle, sentant le danger, se rapprocha de son fils pour le rassurer. Heureusement, les deux bêtes sauvages ne partirent pas en direction de Gustave, mon neveu, mais... de moi-même. Je n'eus guère le temps de réfléchir car le premier sanglier me chargea sans attendre. Je pris un pas d'élan et d'un revers puissant, je trancha la tête du premier monstre. Mais, emporté par mon élan, je présentait mon coté à la deuxième bête et je n'avais plus le temps de lui donner un coup car elle arrivait déjà sur moi. Je cru un instant que ma dernière heure était arrivée mais, un éclair salvateur brilla à mes yeux et je vis la hachette de mon petit cousin frapper la tempe du second sanglier. Ce dernier, avec son élan roula jusqu'à mes jambes et me fit tomber, heureusement sans me blesser. Mon père et mon oncle, avec leurs grosses haches, n'avaient rien pu faire pour m'aider et nous priâmes longtemps Serus, et mon cousin, d'avoir pris la hachette et d'avoir visé si juste et si courageusement.

Depuis, chaque chasseur de Sombrebois, en plus de sa traditionnelle hache de guerre, porte toujours à sa ceinture, une petite hache de jet.

Hector sourit en direction d'Audric et finit sa coupe de vin rouge.

- Le bon vieux temps... Ajouta-t-il à l'adresse du baron, père.

Puis son regard se porta sur les soeurs, et particulièrement Grâce, qui, légèrement penchée sur son accoudoir, offrait une vue légèrement plongeante sur son décolleté. Enfin, il regarda la maîtresse de maison, dans l'espoir qu'elle entraine enfin l'assemblée à table.

- J'espère que je ne vous ai point trop ennuyé, mesdames ! Ces histoires de chasse... Conclut-il en haussant les sourcils.

Tandis que Monsieur de Sombrebois racontait son histoire Sichède se lava se dirigeant vers la salle à manger. Aux yeux de n’importe quelle personne, la maîtresse de maison allait juste s’assurer que tout était en ordre sur la table. Cependant, la main qu’elle laissa glisser sur l’épaule de Grâce lui indiqua qu’elle devait la suivre. Ce n’était pas vraiment une invitation.
Cependant, Grâce ne bougea pas, préférant aggraver un peu sa situation. Sa mère s’éclipsa alors, il y aurait surement un ajustement demain. Un ajustement pas vraiment très agréable si on demandait son pressentiment à la jeune femme.

La fratrie écouta avec attention le récit d’Hector, non sans y trouver quelque chose d’un peu surnaturel, exagérer, mais après tout n’était-ce pas ce qu’on attendait de ce genre de récit ?

« Quelle histoire Sieur de Sombrebois ! j’ai bien peut qu’a côté la seule anecdote amusante que nous ayons à raconter soit la fois où j’ai réussi à faire croire à Grâce que les mines à ciel ouvert qu’on voyait sur nos terres étaient des trous de mulot géant. »

La demoiselle prit un air faussement outré.

« Audric ! Quelle image tu donnes de moi ! Pour ma défense, je devais à peine avoir six ans quand il m’a joué ce si vilain tour. J’en ai fait des cauchemars atroces pendant des mois, la gouvernante n’en pouvait plus. »

Elle en était plus amusée que vraiment offusquée, face à quelqu’un d’autre peut être que cette histoire de famille n’aurait pas été plus meilleure effet. Cependant face à leur invité, il y avait de bonnes chances pour que cela agisse dans le sens qu’elle voulait.
Entre temps, Sichède était revenue.

« Il n’y a aucun mal Baron, visiblement, vous les avez fascinés avec votre récit. Si vous voulez bien nous suivre… »

Invita la maîtresse de maison désignant la pièce attenante. Tous se levèrent alors, les robes de ces demoiselles faisant un petit bruissement de tissu précieux.

La table aux milieux de la salle à manger aura facilement pu accueillir huit personnes, mais ce soir elle n’en accueillerait que six. Chacun prit sa place le plus naturellement du monde tenant compte des convenances. En bout de table, Anthime présidait, à sa droite, sa femme et à côté de cette dernière Audric. A la Gauche du Patriarche de Brasey, leur invité, Hector, qui lui avait pour compagnie de ce côté de la table Grâce. Heureux Hasard qui semblaient plutôt accommoder la jeune fille. A l’autre bout de la table, face à son père, Victoire avec une vue d’ensemble sur tout ce qui pouvait bien se passer.

La vaisselle en métal finement ouvragé et lustré avec le plus grand des soins scintillait à la lueur de bougies.

Au centre de la Table trônait un assez grand plat de viande en sauce.

Audric sembla, pour le plus grand plaisir d'Hector, fasciné par son anecdote. Il tenta d'amuser Hector avec une anecdote familiale mais, à vrai dire, le jeune homme en fit un tel résumé qu'il ne décrocha qu'un sourire de bienveillance de la part de l'invité. Ce dernier fût plus amusé par la réaction faussement outré de Grâce. Il ne l'avait jamais vu prendre cet air là. Sa classe naturelle s'en voyait un peu altérée.

Après ces chamailleries bon enfant, la maîtresse de maison invita tout le monde à passer à table.

La salle à manger était grande et la table était dressée de la plus belle des façons. Des couverts d'argent, des verres de cristal, des bougeoirs finement ouvragés, une nappe à la blancheur immaculée et aux broderies fines.

- Très belle table, madame de Brasey ! Complimenta Hector.

Mais, ce qui enthousiasmait le plus Hector était le fait que sa chère Grâce était assise à sa gauche. Évidemment, la baronne siégeait face à lui et surveillerait sans doute les agissements des amis secrets. A la droite d'Hector présidait le baron de Brasey.

- Cher Baron, je suis honoré par les attentions dont vous me couvrez aujourd'hui ! S'exclama Hector.

Rapidement, les domestiques remplirent les assiettes de chacun. Le plat qui avait été préparé était un saucisson brioché accompagné d'une purée de citrouilles, le tout arrosé d'une bonne sauce brimontaise.

Hector s'emplit les narines des bonnes odeurs qui montaient de son assiette et attendit que le patriarche plante le premier coup de fourchette avant de manger à son tour. Un moment après, du vin fut de nouveau servi.

- Je me demande où vos cuisiniers achètent votre viande. Celle-ci est délicieuse, s'exclama Hector, mon cuisinier est bon... Mais j'ai bien peur qu'il ne se fournisse pas chez le bon boucher !

Hector écouta un instant les bruits de tables, ces cliquetis de couverts l'avaient toujours fasciné. Ici, en plus, les bruits - plus désagréables - de mastication étaient peu audibles - quoi de plus normal dans une si noble famille - et c'était mieux ainsi ! De Sombrebois, en se penchant sur son assiette pour reprendre un peu de purée jeta un œil à sa gauche pour observer la peau un peu mat de Grâce qui, à la lueur des bougies, se parait de couleurs ambrées du plus bel effet.

Ce fût de nouveau lui qui prit la parole. A son grand désarroi, la famille de Brasey ne semblait guère bavarde...

Il me revient en mémoire l'histoire étrange qui est arrivée à mon cuisinier, il y a quelques temps :

Il s'en allait au marché et, alors qu'il regardait je ne sais quel légume sur l'étal d'un maraîcher, un jeune homme essouflé vint lui parler :

- Venez vite, monsieur, vous devez m'aider... J'n'ai pas d'argent ... mais j'en trouverais ne vous inquiétez pas !
L'homme avait l'air tellement bouleversé que mon cuisinier le suivit.
L'homme l'emmena jusqu'à sa pauvre maison où sa femme était allongée à même le sol, sur une sorte de tapis de piètre qualité. Elle était en nage et se tordait en tout sens, les yeux fermés.
- Aidez-la, elle souffre, elle... elle n'est plus elle même !
Mon cuisinier voulut dire qu'il n'était point médecin mais c'était trop tard. La femme, qui hurlait, lui avait pris le bras et le serrait si fort qu'Albert se sentit obligé de tenter quelque chose.
- Par la sainte trinité, calmez-vous madame, respirez ! Criait-il.
La femme arrêta de crier.
- Ouvrez les yeux madame, réveillez-vous ! Ordonna Albert.
La femme lui obéit et s'assit sur le tapis. Elle était encore agitée de spasmes.
- Calmez vous madame, respirez lentement... Implora mon cuisinier
Et la femme revint à elle. Elle était calmée, apaisée.

L'homme donna le contenu de son porte monnaie (quelques maigres pièces de bronze) à Albert et le salua comme un héros. Lorsqu'il me raconta cette histoire, je crus à un canular. Mais quelques jours plus tard, Albert revint avec une pièce d'or. L'homme l'avait retrouvé sur le marché et lui avait donné cette pièce qui lui venait de son mariage "Pour m'avoir rendu ma femme" avait-il dit, encore reconnaissant. J'ordonnais à Albert de retrouver l'homme et de lui rendre sa pièce mais depuis ce jour, il ne l'a jamais revu.

Hector avait profité de son discours pour regarder chacun des membres de la famille Brasey. Il était si proche de Grâce qu'il pouvait apprécier à leur juste valeur les détails de sa coiffure : des perles et des petits bijoux d'or soulignaient avec noblesse la tresse parfaite qui tenait à l'arrière de sa tête. Son cou était presque nu, simplement habillé d'un collier de perles du plus bel effet. Le baron de Sombrebois aurait voulu détailler un peu plus sa chère Grâce mais il allait devoir trouver une meilleur raison que cette simple envie de l'admirer.

- Et vous mes demoiselles, demanda-t-il innocemment, vous qui êtes ici depuis longtemps, vous est-il arrivé des histoires extraordinaires dans cette fabuleuse cité de Marbrume ? Ou bien avez-vous vu ou entendu quelque mystérieuse histoire ?

Faites que Grâce me réponde... Pria-t-il.

La famille écouta avec attention cette deuxième anecdote qui avait quelque chose de plus mystique que la première. Malgré le fait qu’on pouvait aisément deviner que dans une ville comme Marbume, comptant beaucoup d’habitants, que loupe une personne fut chose simple.

« Quelle histoire Monsieur de Sombrebois. Qui sait peut-être que votre cuisiner à vraiment de tel don. Ou alors qu’il a joué d’une chance hors du commun, ce qui en soit est déjà quelque chose d’assez extraordinaire. »

Conclus Sichède égale à elle-même, semblant bienveillante mais avec un petite pointe de sarcasme ou d’amertume quand on y faisait attention.
Visiblement lasse d’être l’attraction de la soirée, le Baron demanda aux demoiselles si elle avait également été témoin de phénomènes plutôt étranges.

« Cela ne doit pas faire plus de deux mois que nous sommes ici. »

Rectifia Victoire, en rapport avec l’affirmation de l’invité quant au temps qui s’était écoulé depuis leurs arrivée dans la cité.

« Mais pour notre part, Victoire et moi-même avons passé presque quatre ans ici à Marbrume dans cette même demeure, Dame Anelyse ayant très aimablement accepté de parfaire notre éducation. »

Avait ajouter l’ainée des deux sœurs avant de faire une brève pause, elle semblait réfléchir à ce qu’elle pouvait bien répondre à la question qu’on venait de leur poser.

« Oh, mais bien sûr.
Peu après que nous soyons arrivées ici pour la première fois, une sœur de la Vicomtesse qui était venue la visiter nous raconta lors du dîner que le jardin était souvent témoin d’étranges apparitions. Elle nous raconta qu’il s’agissait d’une de leur Aïeule, une femme mariée, qui s’enticha d’un homme de basse extraction et voulu fuir avec lui. L’histoire dit qu’elle se faufila dans le couloir du Manoir une nuit ne laissant derrière qu’elle un léger bruit de pas. Puis elle traversa les jardins comme une ombre pour ne s’arrêter qu’au portail donnant sur la rue. Là elle y hésita un instant avant de poser sa main sur la poignée, mais à peine l’eu-t-elle touchée qu’elle tomba morte. Ils ne la retournèrent qu’au petit matin, personne ne sut ce qui lui était arrivé, il ne lui manquait rien, à part un bracelet d’argent tout simple où elle avait fait graver ses initiales et celle de son bien aimé.

Le soir même alors que je dormais dans notre chambre au premier étage, Victoire me réveilla, elle avait entendu des pas dans le couloir. Je me souviens lui avoir répondu que cela devait être un domestique, mais elle n’en démordit pas. Il était tard le reste de la maisonnée devait dormir à poings fermés, et je n’avais pas vraiment envie de passer des heures à essayer de la persuader qu’il n’y avait rien, donc j’entrepris de sortie. Effectivement, il n’y avait personne dans le couloir j’allais retourner me coucher, triomphante, quand je jetais malencontreusement un œil par la fenêtre donnant sur le jardin. Là je fus stupéfaite de voir une silhouette plutôt fine, surement une femme le traversé comme si elle fuyait. Avec Victoire nous primes juste le temps d’enfiler une robe de chambre avant de nous précipiter dans les jardins, suivant l’allée qu’elle avait empruntée, mais il n’y avait plus âme qui vive. A la lueur de la bougie, dans l’herbe à côté du chemin, scintillait quelque chose d’argenter. Lorsque nous le ramassâmes, nous vîmes qu’il s’agissait d’un bracelet, en argent… Dans lequel était gravées deux initiales accompagnées d’une brève déclaration d’amour. »

Évidemment depuis le temps, les langues s’étaient déliées et les deux sœurs avaient compris qu’elle avait été la cible d’une charmante face de la part de la jeune sœur de Dame Anelyse. Cependant, cela restait une histoire intrigante.

Grâce ne toucha qu’assez peu à son assiette. Si la Nature avait été plutôt généreuse avec elle, il ne fallait pas qu’elle tienne pour acquis et éternel cet avantage, cela s’entretenait.

« Comment trouvez-vous Marbrume cher Baron ? Si les Jardins du Duc ne valent pas les grandes étendues de vos terres. Y-a-t-il des choses qui vous plaisent particulièrement dans la cité ? »

Questionna Anthime, qui avait seulement eu un sourire amusé quand sa descendance avait raconté son histoire de fantôme. Visiblement trouvait-il que le Baron s’adressait surtout à sa première fille. Il ne lui en voulait guère, il était vrai que Grâce était la plus avenante et facile d’accès.

« Père nous a dit que vous sortiez assez peu, comme c’est dommage, vous êtes de charmante compagnie, il serait dommage de priver les réceptions mondaines de votre amabilité. »

Affirma Grâce en attrapant sa coupe pour une boire une gorgée. Victoire en bout de table avait bien vu la façon dont le Baron de Sombebois regardait sa sœur, malgré le fait qu’il s’efforce de rester discret. Même, il était parfaitement conscient que son ainée était une mignonne, elle trouvait cela suspect. Cependant, elle n’avait aucune preuve seul un pressentiment. Peut-être se faisait-elle seules des idées, s’était surement cela.

Grâce vint à la rescousse d'Hector en entamant, à son tour, le récit d'une anecdote toute aussi mystérieuse que la sienne. Alors qu'elle parlait de sa voix claire et posée, Hector pouvait à loisir regarder sa voisine de gauche. Ses lèvres se mouvaient avec délicatesse et son regard fardé était des plus troublants. Évidemment, le baron de Sombrebois détournait régulièrement ses yeux de la jeune femme, tantôt pour interroger du regard Victoire, tantôt pour montrer un œil surpris à la mère ou au père de famille, tantôt enfin pour finir le délicieux contenu de son assiette.

Lorsque le récit fût terminé, Hector commenta à l'anecdote en ces termes :

- C'est le genre d'histoire que j'aime ! Bien qu'apparemment dénoué, le mystère est toujours présent !

Le père de famille reprit ensuite la parole.

- Comment trouvez-vous Marbrume cher Baron ? Si les Jardins du Duc ne valent pas les grandes étendues de vos terres. Y-a-t-il des choses qui vous plaisent particulièrement dans la cité ?
- J'aime la grandeur de cette cité ! J'aime son architecture, la variété des lieux qu'elle propose... Bien sûr les quartiers pauvres ne sont guère accueillant... mais, les quartiers bourgeois sont, ma foi, fort beaux et l'on y trouve des échoppes charmantes avec une grande variété de spécialités... J'ai découvert un certain nombre d'artisans qui fabriquent des choses dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Mais, l'endroit que je trouve le plus beau est sans conteste la vue que l'on a sur la mer, depuis le quartier des officiers, non loin de chez moi. Je m'y promène souvent à la tombée du jour pour voir notre beau soleil se coucher à l'ouest, sur la mer houleuse... Les lumières rougeoyantes du ciel qui se reflètent dans l'océan, c'est un spectacle fascinant !

Grâce, sa douce amie, lui adressa alors un petit compliment :

- Père nous a dit que vous sortiez assez peu, comme c’est dommage, vous êtes de charmante compagnie, il serait dommage de priver les réceptions mondaines de votre amabilité.
- Merci mademoiselle. A vrai dire, je sors bien un peu, de temps en temps... lorsqu'on me le propose, n'est-ce pas ? Il s'était tourné vers Anthime et sa femme, d'un air reconnaissant. Seulement, je crois que certaines familles ne pensent pas à inviter les hommes célibataire comme moi...

Disant cela, son genou gauche se décala presque par réflexe vers celui de son interlocutrice, touchant la robe rouge de la demoiselle. L'avait-elle senti ? Sa robe épaisse avait sûrement amorti la sensation mais le baron avait tout de même senti la jambe de Grâce se décaler un peu. Lui-même ne dit rien à ce sujet, prenant une gorgée de vin rouge pour se redonner contenance et trouver une idée...

- ...C'est pourquoi votre invitation m'a beaucoup touché, cher baron. C'est un grand plaisir que d'être parmi vous, à cette table.

Puis, satisfait de son allusion au contact précédent et tandis que les domestiques ramenaient les assiettes en cuisine, Hector regarda à travers les fenêtres de la salle à manger. Comme happé par le ciel à présent d'un noir d'encre, un étrange sentiment lui traversa l'esprit. Un air préoccupé s'afficha sur son visage pendant un instant.

- Vos terres étaient-elle loin de la mer ? Demanda-t-il au baron pour chasser sa pensée précédente.

Grâce écouta ce qu’Hector répondit à son père, la dernière image qu’il conta était fort belle, la demoiselle aurait eu envie de la voir par elle-même. Malheureusement, elle ne sortait qu’assez peu des quartiers nobles ces temps-ci. Amthime était encore en phase de repérage, il ne voulait pas risquer ses pions pour quelques rumeurs.

Elle sentit la délicate pression sur le tissu de sa robe. Les œillades et les sous-entendus ne lui suffisaient plus, il voulait la toucher, mais s’était impossible, pas maintenant. L’acte fut appuyé par une allusion plutôt habile.

« Tout le plaisir est pour nous monsieur de Sombrebois. Ne vous méprenez pas, nous sommes particulièrement attaché à la Vicomtesse de Restellie, mais nous la connaissons depuis fort longtemps et à force nous connaissons que trop bien ses histoires. »

Rétorqua fort poliment Sichède avec un sourire aimable.
Puis Audric repris la parole pour parler de leur ancienne maison. C’était lui qui après ses parents pourraient en parler le mieux. Son père le prenant avec lui quand il faisait le tour de leurs terres.

« Oui, nous ne n’avions pas de rivages sur nos terres, seulement quelques plateaux un peu venteux. »

Les domestiques continuaient leur ballet autour de la table, apportant, les assiettes contenant un assortiment de pâtisserie au miel. Elles avaient été faite plus tôt dans la soirée et quelques cristaux de sucre commençaient à perler sur le dessus.
Profitant de ce mouvement la jeune femme en profita pour se réinstaller. Son buste s’éloignant de leur invité, mais ses jambes firent quelque chose que l’étiquette réprouvait, une demoiselle digne de ce nom ne croisait pas les jambes. Elle profitait encore moins du fait que sous la table on ne voyait rien pour laisser nonchalamment le dessus de son pied effleurer la jambe de son voisin de table.

Elle aurait tellement aimé lui prendre la main, juste un instant, juste pour le faire perdre un peu plu patience et voir comment il gérerait cela. Malheureusement ce n’était pas possible, elle était déjà sur le fil depuis le début de la soirée, et si un domestique faisait malencontreusement tomber quelque chose et qu’il voyait le petit manège auquel se livrait la jeune fille, il aurait tout loisir de le répéter à Sièche ou Dame Anelyse.

Dans son coin Victoire commençait à se dire que peut être elle ne faisait pas des idées, le bruit de tissu qu’elle avait faiblement perçu et la posture de sa sœur lui indiquait qu’elle préparait quelque chose. Elle jouait, elle était en pleine partie et elle devait l’avouer elle s’y prenait plutôt finement.
Elle s’était améliorée depuis la dernière fois.

« Vous êtes joueur Monsieur le Baron ? »

Demanda la cadette avec un sourire faussement innocent.

Sichède conforta Hector dans le fait qu'il était le bienvenue ici. Et, effectivement, les assiettes que les domestiques apportèrent peu après - pleines de magnifiques pâtisseries au miel - confirmaient qu'Hector était considéré, ici, comme un invité de marque !

Alors que, comme ses hôtes, il allait goûter un premier gâteau, il sentit une caresse aussi douce qu'inattendue sur son mollet gauche... Était-ce la réponse de Grâce à son geste précédent ? Du coin de l’œil, Hector regarda un léger sourire se dessiner sur le visage de Grâce.

- Tout cela m'a l'air délicieux, dit le baron avec joie.

Et lorsqu'il eut avalé une première bouchée de ces fabuleuses sucreries, il opina du chef à l'adresse du père et de la mère de famille pour leur confirmer qu'il se régalait.

Une question sortie de nulle part se fit entendre :

- Vous êtes joueur Monsieur le Baron ?

C'était Victoire qui demandait cela ; avec un sourire ambigüe. Avait-elle remarqué quelque chose ? Il semblait à Hector que lui comme Grâce avaient pourtant été discrets. Aussi, il décida de répondre à la jeune femme en prenant sa question au premier degré.

- Souvent, chez moi, après les repas, mon oncle et mon père jouaient au trictrac. Ils en étaient friands ... et j'avoue que moi-même je m'y suis intéressé. Alors, cela fait-il de moi quelqu'un de joueur ? Je ne crois pas, disons, un peu ! Lorsque j'avais du temps libre, j'aimais plutôt me plonger dans les ouvrages que contenaient la bibliothèque familiale ; les livres d'Histoire et les romans surtout.

Mais l'esprit d'Hector était complètement tourné vers Grâce. Ce geste, cette caresse qu'elle lui avait offerte n'était pas anodine... Malheureusement, Hector ne savait pas comment retourner au contact de la jeune femme sans briser le mur de secrets - ou était-ce un château de cartes ? - qu'ils avaient bâti ce soir. Il n'avait donc qu'une hâte : que le temps avance jusqu'au moment où il pourrait enfin la retrouver seul à seul. Mais, malheureusement, la magie, jusqu'à preuve du contraire, n'était pas de ce monde. Aussi devrait-il attendre patiemment la fin du dîner et espérer qu'ils trouvent un moyen de se revoir bientôt.

Il pensait à cela en finissant son assiette. Et lorsqu'il l'eut fini, il se dit qu'un peu d'amusement ne serait guère dommageable.

- Et vous, chère Victoire, quels sont vos jeux favoris ? Vous savez, parmi les artisans que j'ai découvert à Marbrume, certains fabriquent de fort jolies poupées ! Y jouez-vous encore ? Se moqua-t-il gentiment.

Malgré tout son contrôle d’elle-même et l’ambiance qui ne s’y prêtait pas vraiment, Grâce ne put réprimer un rire spontané à la petite pique qu’Hector venait d’adresser à sa cadette. Bref écart de conduite qui fut tout de suite rappelé à l’ordre par le Patriarche.

« Grâce … »

La demoiselle ne s’excusa pas auprès de Victoire, il fallait dire qu’elle l’avait cherché. Elle se contenta de regarder son assiette, répriment son sourire amusé. Si Le Baron de Sombrebois avait fait un tour de table des réactions, il aurait vu qu’Audric aussi était passablement distrait par cette petite phrase.

« Non, bien sûr que non, je n’ai plus l’âge de jouer à la poupée depuis quelques années déjà. »

Répondit la jeune fille sur un ton légèrement grinçant. Au moins maintenant elle savait que le Baron répliquait quand on essayait de mettre le nez dans ses affaires.

« Victoire est en âge de se marier, ce n’ai pas faute d’essayer, mais en ces temps troubles entre les portés disparus et les veufs en deuil nous n’avons pas encore trouvé quelqu’un pour notre chère petite, ni même pour Grâce. »

La petite touche d’amertume dans la voix de Sichède quand elle évoqua l’absence de mari pour la plus âgée de ses filles était due au fait que la demoiselle faisait tout pour éloigner les prétendants les plus sérieux. S’était lors de ces jours qu’elle regrettait d’avoir donné autant d’éducation et autant encourager l’esprit de son enfant. Une bête brebis aurait été plus commode dans cette situation.

De son côté la source de la contrariété de sa génitrice ne semblait pas vraiment en éprouver un quelconque regret, faisant comme si elle ne savait rien du tout et dégustant le contenu de son assiette. Le fait qu’elle soit encore friande de sucrerie venait surement de son jeune âge, car même si elle était-ce qu’on appelait une adulte, elle restait juvénile et il lui arrivait de garder quelques habitudes de jeunesse.

La fin du dîner se passa agréablement, les bavardages allants bons train, parlant de tout de rien. Puis Victoire pris congé. A ce moment Grâce ce dit qu’il était temps de faire de même. Elle salua comme il se devait le Baron de Sombrebois après avoir souhaité la bonne nuit à sa famille.

La nuit était sombre, mais pas impénétrable. Le froid était légèrement piquant.
Dans les Jardins, une silhouette emmitouflée dans une cape sombre attendait tapis dans un endroit qui n’était pas visible des fenêtres du manoir, la lanterne qu’elle tenait en main éclairait doucement autour d’elle. Lorsqu’elle entendit les bruits de pas la rue longeant le Manoir de Restellis elle s’approcha de la grille verrouillée donnant sur cette dernière.

« Je serais peinée si vous filez si vite Hector … »

Déclara la jeune demoiselle de Brasey au passage du Baron.

Au moment où elle avait prétendu aller se coucher, elle était certes montée dans sa chambre, mais tout ce qu’elle y avait fait était d’enlever quelque bijoux qui pouvait produire un tintement métallique et enfiler ce manteau sombre. Elle savait parfaitement qu’après son départ, ses parents et son frère allaient garder occupé leur inviter encore un moment. elle savait également, pour avoir retenu la rue dans laquelle se trouvait la demeure prêter au Baron, qu'il devrait passer sur le côté du Manoir, la rue longeant les jardins.
Elle s’était faufilée essayant de ne laisser dans son sillage qu’un doux bruissement de tissu. Elle passa par le quartier des domestiques qui était encore désert, ces derniers devant encore nettoyé la cuisine, où elle y attrapa une lanterne. De là il était aisé de passer dans le jardin.

La petite pique finale d'Hector eut le mérite de redonner un peu d'allant à la soirée : Audric sourit, Grâce rit, Anthime la gronda, Victoire grinça et Sichède prit la parole pour parler de l'avenir de ses filles. Il comprenait très bien les filles de Brasey qui, avec leur forte personnalité, avaient certainement fait tout ce qui était en leur pouvoir pour repousser autant que possible, les prétendants. Lui-même, du temps où Sombrebois était encore aux mains de son père avait refusé plusieurs prétendantes, arguant parfois une mésentente flagrante, parfois un dégoût physique ou parfois encore un simple mauvais pressentiment envers telle ou telle noble jeune fille... Mais ce qui empêchait en réalité Hector de se marier était l'incompatibilité entre sa soif d'"aventures" et son besoin d'être franc envers sa future épouse ! Et là, sans la pression de son père, Hector n'avait aucune raison de presser sa recherche, laissant au destin le soin de l'aider à trouver celle qui comblerait son cœur autant que la mémoire de ses illustres ancêtres.

Un sourire malin s'afficha sur le visage d'Hector. Une idée lui traversa l'esprit : il se demandait si la bonne entente affichée entre lui et l'aînée des deux sœurs de Barsey ne donnait pas de l'espoir à la mère de famille ! Pour sa part, il était trop tôt pour penser à plus qu'à une prochaine entrevue.

La fin du repas fût plus légère. L'on discuta tranquillement de choses sans importance jusqu'au départ des deux sœurs. Elles adressèrent un au revoir courtois à l'invité comme au reste de leur famille. Et c'est avec peine que le baron de Sombrebois vit la belle robe rouge de Grâce quitter la pièce.

Par politesse, il resta encore un petit moment avec les hommes de Brasey et la maîtresse de maison, pour parler de sujets plus sérieux comme les alliances nobiliaires ou la malédiction qui s'était abattue sur le pays, puis, lorsqu'il estima que l'heure était venue de laisser ses hôtes, il en prit respectueusement congé. On le raccompagna alors jusqu'à la porte d'entrée de la belle demeure et il repartit en direction de son manoir la tête un peu basse...

Mais, à peine avait-il fait une dizaine de pas qu'une voix proche le fit sursauter !

- Je serais peinée si vous filez si vite Hector…

Il se tourna brusquement et, de l'autre coté de la grille qui séparait le jardin des de Brasey de la rue, vit, éclairé par une petite lanterne, le beau visage de celle qu'il souhaitait tant revoir !

- Grâce ! S'exclama Hector en souriant à sa belle amie.

Il s'approcha doucement d'elle en vérifiant qu'ils étaient invisibles depuis les fenêtres du manoir - ce qui était le cas - et posa ses mains sur la grille.

- Quelle surprise ! C'est une si belle attention que de m'avoir attendu ici ! J'espère que vous n'avez pas froid... Approchez, donnez-moi vos mains ! Demanda Hector pour les lui réchauffer autant que pour goûter à leur attendue douceur.

Les nuages, au dessus de leurs têtes, étaient assez épais. Les rues étaient sombres. Seule la petite flamme que portait la jeune baronne éclairait la scène. Les battements du cœur d'Hector s'étaient accélérés et toute la déception qu'il avait ressenti après le départ rapide de Grâce s'était envolée, laissant place à une bonne humeur et un enthousiasme chaleureux.

Mais pour l'heure, le baron ne dit rien de plus, se contentant de regarder, légèrement hypnotisé, ces yeux sombres et profonds qui ressortaient de ce visage sobrement éclairé... qui lui même, contrastait avec la noirceur du jardin qui l'encadrait.

Il y eut quelque chose dans l’expression de joie qu’afficha d’un coup le visage du Baron qui toucha la jeune Grâce. Cette chose plutôt inhabituelle et la contraria quelque peu. Certes, ce n’était rien si ça se trouve ce n’était que passager, d’ailleurs, il y avait de grandes chances pour que ça le soit, il se lasserait, comme tous les hommes, ou serait écarté, par la famille de la jeune fille.Il y eut quelque chose dans l’expression de joie qu’afficha d’un coup le visage du Baron qui toucha la jeune Grâce. Mais un jour quelqu’un pourrait s’insinuer dans sa vie à son insu.

Cette idée se chassa seule de son esprit lorsqu’elle entendit la sollicitude du Baron à son égard. Ce n’était guère le moment pour ce genre de réflexions.

Elle hésita un instant puis passa sa main qui ne tenait pas la lanterne au travers la grille, elle était fraiche, mais pas vraiment froide. Hector venant de sortir du manoir ses mains étaient encore chaudes et rassurantes.

« Je n’allais pas vous laisser rentrer comme ça, après des salutations aussi austères. »

Un petit sourire taquin se dessina sur le coin de ses lèvres alors que la demoiselle fit une brève pause dans sa déclaration.

« J’avoue également être curieuse de savoir ce que vous avez pensée, de ma famille. Après tout c’est la voir que vous avez choisi pour me retrouver. Je pensais que vous alliez trouver quelque chose de moins officiel. »

Pourquoi ? Comment ? La démarche de Sombrebois avait piqué au vif sa curiosité. Il se donnait visiblement beaucoup de mal.

« Ne vous donnez pas la peine de peser vos mots, d’ici personne ne nous entends dans le manoir. Même pas mère ce Dragon avec des yeux et des oreilles partout. »

Elle exagérait certes un peu en affirmant cette chose à propos de Sichède, mais juste un peu. S’était plus pour l’effet de style que pour vraiment se faire peindre.

La lueur vacillante de la bougie dans la lanterne donnait à cette petite entrevue interdite quelque chose d’irréelle et un peu mystique. Dans les buissons au abord su chemin de gravier il y eut quelque bruissement, surement un petit rongeur qui passait par là. Dans l’obscurité régnait un silence quasi-religieux.

- Je n’allais pas vous laisser rentrer comme ça, après des salutations aussi austères, dit Grâce en posant sa main libre entre les grandes mains du baron.

Sa main était fine, fraiche et avait la douceur du velours... La tenir comme ça entre ses mains provoqua une émotion toute particulière dans le cœur d'Hector.

- C'est gentil à vous... Je croyais devoir attendre plus longtemps encore pour vous voir de façon plus... disons moins formelle...

Elle sourit.

- J’avoue également être curieuse de savoir ce que vous avez pensée, de ma famille. Après tout c’est la voir que vous avez choisi pour me retrouver. Je pensais que vous alliez trouver quelque chose de moins officiel... Ne vous donnez pas la peine de peser vos mots, d’ici personne ne nous entends dans le manoir. Même pas mère ce Dragon avec des yeux et des oreilles partout.
- Et bien c'est surtout le seul moyen que j'ai trouvé pour vous retrouver ! J'ai demandé à mon ami - celui qui connait votre père - de nous présenter. Nous avons sympathisé et il m'a invité à dîner. Heureusement qu'il n'a pas proposé une date trop éloignée... Car je n'avais trouvé d'autre moyen de vous retrouver de manière sûre. Je n'y ai pensé que ce soir au cours du dîner mais... êtes-vous retournée dans les jardins du duc ?

Il s'en voudrait tellement de n'avoir pas pensé à cette éventualité !

- Pour en revenir à votre famille, je crois qu'elle est comme beaucoup d'autres nobles familles : respectueuse des traditions et de la bienséance. Vos petites chamailleries entre frères et sœurs me semblent également normales. Mes cousins se chamaillaient également de la sorte...

Un petit bruissement se fit entendre dans les buissons voisins. Hector se demanda combien de temps il pourrait encore profiter de la présence de Grâce et de la douceur de sa main...

- Mais... ne pouvez-vous pas... La grille est fermée, n'est-ce pas ?

A la réponse positive de la baronne, Hector regarda en l'air pour juger de la hauteur de la grille. Il aurait très certainement pu la franchir... mais ce n'était guère correct, après tout... Et peut-être...

- Dites-moi, avant tout, pourrez-vous venir me rendre visite, bientôt ? J'imagine que vous avez entendu mes "renseignements" sur mon adresse... Ou bien préférez-vous que nous nous voyions ailleurs ?

Du pouce il caressa la main de Grâce.

- Je ne dis pas ça pour vous brusquer... Je ne sais juste pas combien de temps les Dieux m’accorderont, ce soir, en votre si chère compagnie...

Disant cela, il avait approché son visage de la grille. Il était à quelques centimètres d'elle pour mieux voir, pour mieux sentir la présence de la jeune femme. Était-ce la lumière, cette cape ou ces quelques bijoux qu'elle avait enlevés ? Hector trouvait Grâce si changée ! Elle semblait tellement plus sereine, tellement plus libérée...

Quel malheur de ne pouvoir la prendre dans mes bras !

Grâce ne retint pas un petit rire moqueur lorsque le Baron lui demanda si elle l’avait attendu dans les jardins du Duc.

« Non, pas du tout, je voulais voir ce que vous feriez si je ne vous facilitais pas la tâche. Mais si vous me le demander, j’en déduis que vous n’y êtes pas retournés. »

Elle leva un sourcil à l’avis de son interlocuteur sur sa famille. Il n’avait pas vraiment tort dans un sens, mais n’avait-il pas vu le reste ? Pour sa défense en une soirée, il était compliqué d’apprécier les relations subtiles qui régissaient la vie de chaque foyer.

Il demanda si la grille était fermée.

« Bien sûr, il n’y a que les domestiques et la Vicomtesse qui en ont la clé.»

Il sembla jauger de la hauteur. A l’œil peut-être aurait-il pu l’escalader, mais ça serait prendre trop de risque au vu de la situation.

La demoiselle apprécia la délicatesse de la caresse sur sa main écoutant ce qu’Hector disait sur le temps qu’il leur serait encore accordé.
Ils eurent cette réponse plus vite que prévu. Le bruit d’une porte qui claque indiqua qu’il était peut-être temps de mettre fin à cette entrevue clandestine. Ce bruit eu un désagréable écho dans la mémoire de la jeune fille la poussant d’autant plus à stopper cela là.
Grâce souffla la bougie, elle connaissait les jardins par cœur, elle n’aurait pas de mal à retrouver son chemin. Mais si quelqu’un sortait juste pour voir au moins ils ne seraient pas visibles.

« Chez vous je ne pourrais jamais y venir seule… Retrouvez-moi aux thermes dans trois jours au moment en début d’après-midi c’est bien le seul endroit où personne n’aura de soupçons si je souhaite y aller seule. »

La demoiselle disparue dans l’obscurité à pas pressés. Surement que cette porte n’était rien, mais elle avait déjà beaucoup tiré sur la corde ce soir il ne valait mieux pas en demander trop à la bonne fortune.

En rentrant dans le manoir, elle passa par la cuisine qui était déserte pour y poser la lanterne.
Montant sans sa chambre, elle se dit qu’elle aurait dû réfléchir un peu plus à l’endroit où elle avait donné rendez-vous à Hector. Certes s’était l’endroit le plus logique, mais il s’agissait tout de même des thermes …

Oserait-elle honorer ce rendez-vous ?

Hector était soulagé d'entendre que Grâce ne l'avait pas attendu en vain dans les jardins du duc... Le petit rire de la jeune femme indiquait que le romantisme n'était sans doute pas sa tasse de thé.

Un bruit de porte qui claque précipita la fin de leur entrevue. Grâce souffla la bougie et son visage, aussitôt, disparut dans les ténèbres. Seule sa douce voix caressa encore à ses oreilles :

- Chez vous je ne pourrais jamais y venir seule… Retrouvez-moi aux thermes dans trois jours au moment en début d’après-midi c’est bien le seul endroit où personne n’aura de soupçons si je souhaite y aller seule.

Hector eut à peine le temps d'accepter la proposition de la baronne et de lui souhaiter une bonne nuit que les bruissements de ses pas pressés s'étaient tus.

Il resta encore quelques secondes contre la grille, abasourdi par la proposition de la jeune femme. Et, tandis que l'odeur du parfum de Grâce disparaissait à son tour, Hector pris le chemin du retour.

Il marchait doucement, tant les rues étaient sombres, et pensait à ce rendez-vous aux thermes. Pourquoi cet endroit ? N'y avait-il pas endroit moins gênant ? La nudité ne gênait guère le baron mais il aurait cru que Grâce ne se dévoilerait pas si vite... Ou bien était-ce l'endroit public où les chances de trouver un membre de sa famille étaient les moindres ? C'était certainement cela. C'est, du moins, ce que pensa Hector.

Chers lecteurs, la seule chose que je peux vous assurez, c'est que durant les trois nuits qui le séparaient de ce rendez-vous, Hector fit de bien beaux rêves !