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 [Terminé] Ni seuls, ni ensemble

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Lance DamboiseÉleveur
Lance Damboise



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MessageSujet: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyMar 15 Jan 2019 - 21:34
15 Février 1166


Lance triturait entre ses doigts un bracelet de perles grossières et bigarrées. Le petit objet en bois n’était clairement pas fait pour enjoliver le tour d’un poignet, et pour cause, c’était un jouet pour sa fille. Aurore étant encore trop petite pour s’y intéresser, il se l’était approprié pour un temps. Cet objet lui rappelait bien des choses, son manque de vigilance notamment. Il l’avait retrouvé dans les mains de la petite, alors qu’il l’avait laissée chez lui, le temps de rentrer ses chevaux. C’était un avertissement, il fallait qu’il le voie comme tel. Ce n’était pas un cadeau innocent. Il avait versé de l’or pour que la milice passe de temps à autre faire des rondes vers chez lui, il avait taillé en pièces des morceaux de bois secs en s’imaginant que c’était des hommes. Il essayait d’être infaillible, pour que sa fille ne soit plus jamais en danger, mais elle se jouait de ses efforts comme s’il n’avait toujours rien compris.

Elle, c’était Isaure Hildegarde, bien sûr. Depuis qu’il l’avait croisé, Lance n’était plus tout à fait le même. Il était devenu un père, et un tueur accessoirement, le soir de leur rencontre. C’était loin d’être anodin, pourtant il avait encore beaucoup à apprendre. Il n’avait pas parlé de sa rencontre avec la jeune bannie lorsqu’il avait dû expliquer ce qu’il s’était passé à la ferme cette nuit du 22 janvier. Il avait préféré garder ça pour lui, mais sa curiosité était piquée au vif, aussi n’avait-il pas pu s’empêcher de poser des questions. Sur Isaure, mais aussi sur la pauvrette blessée qu’on avait abandonnée aux portes de Monpazier par un matin brumeux. Au fond, il s’en était voulu de l’avoir laissée partir comme ça, mais qu’aurait-il pu faire de plus ? Il connaissait bien quelques soigneurs, mais lequel aurait accepté de s’occuper d’une bannie ? Isaure était la seule à savoir vers qui elle pouvait se tourner. Enfin, au moins, grâce à ce jouet, il savait qu’elle s’en était sortie. Il lui était toujours redevable, mais un peu moins.

« Tu t’endors, Lance ? »

Le jeune homme leva les yeux vers Cebard, un client devenu au fil du temps l’un de ses amis de Monpazier. En guise de réponse, Lance se contenta d’empoigner sa bière et de boire une grande gorgée. Même si le jour était levé, il était encore tôt et il n’y avait pas grand-monde dans la taverne locale. Il balaya du regard la salle avant de s’attarder un moment sur la porte d’entrée, leur invitée était en retard.

Depuis qu’il était retourné vivre dans la ferme de son père, Lance avait travaillé d’arrache-pied, mais tous ces efforts ne suffisaient pas à régler son problème principal. Beaucoup de ses chevaux avaient disparus pendant son absence, et il ne restait plus assez d’éleveurs dans le coin pour échanger ou acheter des bêtes. Difficile donc de se développer un minimum. Cela dit, les quelques chevaux qu’il possédait encore lui permettait de rencontrer régulièrement des voyageurs, et grâce à eux, d’obtenir des infos utiles. C’est grâce à l’un de ses clients que Lance avait appris qu’un petit groupe de chevaux redevenus sauvages errait au bord des marécages, quelque part entre Monpazier et Estaing. La zone était dangereuse, ce qui expliquait sans doute que personne n’ait encore abattu ces précieux animaux, mais lui ne pouvait s’empêcher de penser à l’aubaine que cela représentait. S’il pouvait en capturer ne serait-ce qu’un ou deux, il rentabiliserait son voyage.

C’est ce qui l’avait amené là, dans cette taverne, en ce jour précis. Il avait parlé de son projet à Cebard, qui connaissait une sauvageonne vivant dans les marécages, capable de le guider où il le voudrait contre quelques pièces. Une certaine Anne. Il allait pouvoir chasser Isaure de sa tête le temps d’une journée, quelle bénédiction.

« Ah, la voilà ! »

Lance en était là de ses pensées quand Isaure Hildegarde en personne entra dans la taverne. Il se figea alors que son ami lui faisait signe de les rejoindre à leur table. Essayant de ne pas trop la dévisager, il attendit qu’elle soit à leur niveau pour marmonner.

« Anne… Enchanté. »

Cette fille devait avoir un nom pour chaque jour de l’année. Enfin bon, Cebard avait déjà dû lui expliquer le but de cette expédition, et si la jeune femme était venue, c’est que ça l’intéressait. Au fond, ce n’était peut-être pas plus mal qu’il tombe sur elle plutôt qu’une sauvageonne inconnue. Essayant de faire comme si de rien n’était, Lance résuma la situation.

« Mon objectif est simple, chevaucher sur environ deux lieux au sud-ouest d’ici et chercher la trace du troupeau dont on m’a parlé. À la moindre chose suspecte, au moindre signe de danger, nous en restons là. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour me faire écharper au détour d’un bosquet. »

Il fit une pause le temps de fouiller dans la poche de sa veste, et sortit finalement un joli petit tas de pièces qu’il posa sur la table.

« Voilà pour l’avance, si cela vous intéresse toujours. »

Au fond de lui, Lance la voyait déjà décamper à toutes jambes. Après tout, Isaure était venue voir sa fille, mais l’avait soigneusement évité. Elle ne devait pas lui faire confiance. Sans doute pensait-elle qu’il l’avait dénoncé à la milice, ou qu’il le ferait s’il la croisait encore. Faire confiance était dangereux, lui-même essayait de s’endurcir depuis qu’il l’avait rencontré. Il l’avait laissé toucher à sa fille, alors que des histoires terribles se disaient sur elle. Et pourtant, de la même façon qu’il ne l’avait pas livrée lorsqu'elle était encore inconsciente, il lui laissait l’occasion de partir sans dévoiler son identité. Peut-être parce qu’il se sentait toujours redevable, ou, plus certainement, parce qu’il ne pouvait s’enlever de la tête qu’elle avait été la première à avoir aimé sa fille. Cette image de la jeune femme nourrissant Aurore alors même que lui s’était attardé dehors pour ne pas avoir à s’occuper de ce qui était encore à ses yeux un fardeau lui était resté. Et aujourd'hui encore, cela altérait son jugement.
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyMer 16 Jan 2019 - 0:10
Cebard était un client régulier, le genre de client qui vient nous accabler de besoins que parfois le plus simple des paysans était en mesure de réaliser. Je n’allais pas m’en plaindre, cela me permettait de gagner quelques sous, ou une nuit pour dormir dans un confort plus imposant qu’une branche d’arbre ou un terrier, ou ma cabane avec le toit fuyant dans le village des bannis. Lorsqu’il m’avait parlé de ce projet un peu fou, de cette envie d’un éleveur d’aller chasser dans les marais, je lui avais ri au nez. Ce n’était plus de la folie, mais de l’inconscience de vouloir traverser les marais pour possiblement attraper des animaux fuyant l’ancienne vie d’élevage. J’avais même dû refuser, oui, je m’en souviens, la première fois qu’il m’en avait parlé je lui avais répondu que je n’allais pas aider à la prolifération des fangeux. Je n’étais pas guide, j’étais bannie. Je voulais bien chasser, traquer, tuer, à la condition que je sois seule, que je récupère ma récompense et qu’on se détache l’un de l’autre en ignorant le reste de la vie de mon employeur.

L’homme-là, ce n’était pas le genre à renoncer et facilement, avait-il fini par m’avoir à l’usure, me suppliant de rendre service à cet ami qui semblait important dans sa vie. Je me souviens de ma tête et de son sourire lorsque j’avais fini par dire oui, je m’étais maudite oui, condamnée à devoir le supporter davantage. J’avais pris sur moi, je lui avais donné une date lointaine, parce que mes blessures n’étaient pas tout à fait remises, parce que j’avais besoin de prendre le temps de repérer les lieux de m’assurer de la présence ou non des animaux. Prendre des risques oui, mais certainement pas inutilement. La date avait été fixée une dizaine de jours plus tard et si je n’étais pas connue pour ma ponctualité, mes clients pouvaient en revanche attester que je ne revenais jamais sur un accord donné et j’étais convaincu qu’aujourd’hui ne ferait pas exception à la règle, oui vraiment convaincue.

Le jour du rendez-vous avait fini par arriver et à mon réveil une mauvaise nouvelle s’annonçait avec elle. Une pluie battante c’était mise à dégringoler imbibant ma chevelure, mes habitats, notamment cette nouvelle chemise que j’essayais d’apprivoiser comme je le pouvais et qui avait fini par s’imprégner de mon odeur et non de celle masculine qu’elle avait jusque-là. J’avais traversé la distance qui me séparait de mon point de rendez-vous, habillé de ma tenue minimaliste et qui représentait parfaitement la totalité de mes possessions : mon sac, une nouvelle dague, ma nouvelle chemise, mon pantalon en semi-cuir recousu à de nombreux endroits et puis c’était tout. Vala. J’avais fini par arriver à la taverne, un peu hésitante et surtout particulièrement humide. La pluie avait fini par cesser peu de temps avant que je ne passe cette porte et mon regard s’était inévitablement déposé sur cette silhouette que je reconnaissais : Lance.

J’avais d’abord fait semblant de ne pas le voir, refermant la porte et cherchant du regard le potentiel client que j’espérais encore, c’était sans compter sur Cebard qui m’avait fait de grand signe, juste à côté de mon presque pire cauchemar. Je m’étais rapprochée à reculons, alors que je n’avais qu’une seule envie : repartir. Je ne pouvais pas m’empêcher que ce n’était pas une coïncidence, que c’était un piège et instinctivement je m’étais mise à regarder autour de moi à la recherche de miliciens. L’établissement était presque vide et quand j’arrivais enfin face aux deux hommes, c’est le propriétaire de la chemise que je portais qui avait pris la parole.

Anne, c’était ainsi qu’il m’avait nommée et c’était ainsi que j’avais dû me présenter à Cebard, à vrai dire je ne m’en souvenais plus et le fait qu’il me rappelle ce petit détail était plutôt une bonne chose. Tirant la chaise, j’avais posé mes fesses dessus, croisant les jambes sous la table détaillant mon interlocuteur principal jusqu’à m’arrêter sur ce qu’il portait au poignet. Mon regard dut se faire soudainement plus froid, plus rancunier, ce n’était pas pour lui, cela ne lui appartenait pas. J’avais manqué de lui cracher à la figure qu’il n’était qu’un voleur, mais je m’étais raisonnée juste à temps. J’avais fait signe à la charmante serveuse pendant que Lance prenait le temps de poser la situation, évoquant ce que je savais déjà, non sans espérer j’en suis convaincue que je change d’avis.


- « Une infusion par pitié, une bière à cette heure de la journée c’est une offense aux divinités » fis-je piquante

Elle m’avait simplement offert un sourire, opinant avant de s’éclipser pour réaliser ma commande. Je n’étais pas ravie, pour une fois, je le démontrai parfaitement sur l’expression de mon visage. Une légère grimace, un regard plutôt froid, une position distante et les bras croisés sur le bord de la table. En plus d’être un père solitaire avec des difficultés, il était suicidaire. Un inconscient, oui, un inconscient cherchant à se raccrocher à la vie par le goût du risque, c’est ce que j’avais devant moi.

- « Ça ne va pas Anne ? Tu ne dis rien ? »

L’intermédiaire avait fini par prendre la parole, conscient certainement qu’en pratique je faisais un peu plus d’effort pour paraître agréable à ceux qui m’employer. C’était compliqué pour moi, un peu trop, il avait une fille en bas âge, il avait mon nom, mon prénom, il pouvait me faire chanter, me menacer, pire me faire condamner à la peine de mort en un claquement de doigts. Que faire alors ?

- « Non ça ne va pas » fis-je « J’ignorais que j’allais devoir trimbaler un père de famille avec tous les risques que cela comporte. »
- « Oooh je t’avais dit qu’elle était douée, tu vois, elle sait que tu as un bébé. Elle est forte pas vraie ? » c’était exclamé avec enthousiasme Cebard

La serveuse avait coupé la conversation, déposant l’eau chaude et les plantes. J’avais ouvert la bourse avec les quelques sous pour en prendre une et la remettre à l’employée, non pas sans un sourire. La tasse avait le don de m’apaiser presque immédiatement, c’était précieux, c’était agréable et chaque fois que j’avais l’occasion d’en consommer cela me rappelait à quoi pouvait ressembler ma vie avant la fange. Avant que je ne doive filtrer les flaques d’eau ou récupérer l’eau de pluie pour avoir la chance de pouvoir boire.

- « Bien. Voilà comment ça va se passer. Il y a trois chevaux potentiels pour vous là-bas, dont un avec une blessure que je n’explique pas. Ils ont l’air de rester ensemble, en attrapant celui blessé je pense qu’on devrait pouvoir faire suivre l’ensemble… » j’avais laissé un silence « MAIS, il y a un groupe de fangeux un peu plus loin, aux moindres bruits suspects ils remonteront sur nous. »

J’avais détaillé Lance, ne pouvant détacher mon regard de l’objet que j’avais acheté pour la petite, un léger goût amer au fond de la gorge. Attrapant la tasse, je l’avais porté à mes lèvres pour avaler une gorgée, savourant plus que de raison et de manière certainement visible le plaisir que cela pouvait me procurer. Reposant le tout, j’avais ajouté :

- « Est-ce que vous mesurez bien les risques, je n’ai rien à perdre, mais vous si, est-ce vraiment ce que vous voulez ? Je ne peux m’engager de votre survie une fois sortie du village. Une fois là-bas, la première règle à suivre et de protéger sa vie, si un de nous est en difficulté l’autre doit l’abandonner. Il vaut mieux un fangeux supplémentaire plutôt que deux. Vous comprenez ? »

Il n’était pas un enfant, j’en avais conscience, il avait dû apprendre lui aussi à vivre avec la fange, mais pas de la même manière, pas avec la même proximité. Plus je le fréquentais, plus je le trouvais complètement suicidaire, souhaitait-il rejoindre son épouse ? Je ne comprenais pas. Avant de le lancer répondre à tout ça, j’avais levé un doigt pour lui indiquer que je n’avais pas fini :

- « Dernière condition, je ne sais pas monter. Je monte donc derrière vous et Cebard reste ici, bavard comme lui, il nous ferait repérer avant même qu’on approche de la zone. D’accord ? »

Cette fois, j’avais fini et je n’avais pas pu m’empêcher de venir reprendre une gorgée de mon infusion. À lui de choisir maintenant. J’avais ma conscience pour moi.
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Lance DamboiseÉleveur
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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyMer 16 Jan 2019 - 17:49
Isaure Hildegarde était particulièrement fermée et mal lunée ce matin. Peut-être parce qu’elle s’était visiblement prise une averse en venant les rejoindre, ou parce qu’elle recroisait sa route, ou alors parce qu’elle avait remarqué le jouet d’Aurore dans sa main. À moins que ce ne soit tout ça à la fois. Lance ne put retenir un léger rictus qui ressemblait à un sourire en coin lorsque la jeune femme parla de sa bière, et but une gorgée supplémentaire. Elle n’avait pas tort. Cela dit, il ne s’était payé à boire que pour avoir le droit de stationner dans l’établissement en attendant cette petite entrevue. La boisson en elle-même n’avait que peu d’importance. Lorsqu’elle lui rappela qu’il était père, et que Cebard s’extasia devant sa sagacité, il ne put s’empêcher de lever brièvement les yeux au ciel.

« Très impressionnant, en effet. »

Finalement, elle en vint au sujet qui les intéressait, et Lance cacha mal son étonnement. Il aurait pu parier qu’elle allait simplement refuser et partir, au vu du comportement qu’elle avait depuis le début. Peut-être était-ce la présence de Cebard qui la gênait, et qu’elle attendait qu’il soit partit pour s’éclipser à son tour. Il n’en était pas sûr, mais tant qu’elle ne lui dirait pas ouvertement qu’elle refusait la mission, lui n’allait pas lâcher le morceau. Il l’écouta attentivement, sans l’interrompre, et hocha finalement la tête.

« Je ne me lancerais pas dans une telle expédition si je n’avais rien à perdre. Si je suis là, c’est pour assurer mon avenir, et celui de ma famille. »

C’était sans doutes une notion un peu nébuleuse pour quelqu’un qui survivait au jour le jour, mais Lance avait pas mal de choses à gérer qui dépassaient sa petite personne. Ses frais de fonctionnement, les relations avec ses clients et ses fournisseurs, sa réputation, sa sécurité, les quelques paysans sous sa garde, ses liens avec la milice locale, sa fille, bien sûr. Bref, ça avait peut-être l’air négligeable vu de l’extérieur, mais trois chevaux de plus dans son cheptel réduit, ça pouvait changer la donne.

« Les marécages sont un terrain que je ne connais pas, c’est bien pour cela que j’ai besoin de vous, mais je connais le danger. Je marcherais dans vos pas, je me ferais aussi discret que possible et je suivrais vos directives. Il faut que je voie ces chevaux, même de loin, alors je saurais si prendre tous ces risques en vaut la peine. »

L’affaire semblait entendue, Lance vida sa chope d’une longue gorgée et se leva en ramassant son sac, prêt à partir. Plus vite ils se chargeraient de cette mission, plus vite chacun rentrera chez soi. C’était tout ce qu’Isaure semblait attendre, alors autant y aller.

« Vous avez raison. Les chevaux forment des groupes soudés qui veillent les uns sur les autres. Si l’on parvient à passer la corde à l’un d’entre eux sans créer un mouvement de panique, les autres suivront très certainement. »

Pour cette partie-là, Lance se sentait relativement confiant, même s’il n’avait pas eu à débourrer ou dresser un cheval depuis quelque temps. Il avait toujours eu un bon contact avec ces animaux, et ne craignait pas de croiser des bêtes qui ne seront, tout au plus, que semi-sauvage. La vue de l’homme ne devrait pas les faire fuir ou paniquer complètement, même si l’animal blessé risquait d’être plus nerveux et imprévisible. Laissant poliment le temps à sa camarade de finir sa tisane – qu’elle semblait apprécier plus que de raison, soit dit en passant – Lance finit par sortir de la taverne accompagné des deux autres. Cebard semblait un peu vexé de la remarque qu’Isaure lui avait faite, et c’est plus sobrement qu’il les salua et leur souhaita bonne chance. Ce qui était reposant, ce type était bien gentil, mais il en faisait parfois un peu trop.

Enfin bref, maintenant qu’ils étaient seuls, un certain nombre de questions brûlaient les lèvres de Lance, mais il préféra rester silencieux, de peur d’offusquer la jeune femme encore plus qu’elle ne l’était déjà. Après un bref moment immobile, le temps que Cebard disparaisse à l’angle, le jeune éleveur pointa du doigt l’autre côté de la rue.

« Mes chevaux sont là. Vous n’allez pas me laisser seul maintenant que Cebard est partit, si ? »

Laissant une dernière fois le choix à Isaure de prendre la fuite, Lance rejoignit ses deux beaux bébés. Tempête, un grand étalon noir au poil luisant, et à la stature imposante et fière, et Lissandre, une jument palomino plus petite, mais aussi beaucoup plus douce. Il n’en était pas peu fier, pour tout avouer, et aurait facilement pu partir dans un long palabre sur la liste de leurs qualités et les croisements qu’il avait fallut faire pour obtenir de si belles bêtes, mais puisqu’Isaure ne savait pas monter, il doutait que ce genre d’informations l’intéresse beaucoup. C’est aussi parce qu’il prenait cette information en compte que Lance préféra prendre la jument pour leur expédition. Elle devait paraître moins impressionnante, enfin, il ne savait pas trop, pour lui qui montait des chevaux avant de savoir marcher, le point de vue était bien différent. Alors qu’il caressait le museau de Lissandre, il finit enfin par lâcher, d’un air faussement distrait.

« On raconte bien des choses sur vous, tout et son contraire à vrai dire. C’est assez déroutant. »

C’est sur ces mots que Lance décida d’y aller. Touchant à peine la bride pour que la jument le suive docilement, il descendit la rue principale d’un pas tranquille. Pour quelqu’un qui se rendait dans les marais en sachant que des fangeux se trouvaient près de l’endroit qui l’intéressait, il n’avait pas l’air bien tendu. Mais il avait toujours géré les situations avec ce même flegme, il aurait tout le temps d’avoir peur une fois le danger devant lui, inutile de stresser par avance. Une fois à la sortie de la ville, il jeta un coup d’œil à Isaure et eut un vague geste en direction du cheval.

« Besoin d’aide pour grimper ? »

Avec ou sans aide, il laissa la jeune femme s’installer à l’arrière de sa selle, ça n’allait pas être hyper confortable, mais le trajet n’était pas non plus très long. Lance grimpa ensuite souplement à l’avant, et s’élança sur le chemin au petit trot. Il savait dans quelle direction générale il devait partir, mais comptait sur la demoiselle pour plus de précisions. C’était une chance qu’elle ait déjà fais le chemin avant lui, et la preuve qu’elle savait faire du bon boulot. Peut-être pourrait-il faire appel à ses services de temps à autre, si même Cebard y avait droit, pourquoi pas lui.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyMer 16 Jan 2019 - 22:18
Il était là pour assurer son avenir et celui de sa famille, c’est ce qu’il m’avait répondu et j’avais dû plonger mes lèvres dans le liquide encore chaud pour retenir les paroles qui me brûlaient déjà les lèvres. Je n’étais pas en accord avec lui, avait-il déjà dû le remarquer via mon comportement, nous étions opposés tant vis-à-vis de notre condition que de notre manière d’aborder les choses et la vie plus généralement. J’avais avalé une gorgée, longue, ruminant ce fait qu’avec une nouveau-née il avait dans l’idée d’explorer les marais. Déposant, la tasse sur le bois de la table, laissant jouer mes doigts jouer dessus, alors que je relevais légèrement le visage pour détailler celui qui reprenait les rênes de la conversation. Lance avait fini par admettre sa méconnaissance des marais, ce qui avait eu le don de laisser échapper un petit « mh » quelque peu hautain. Comment pouvait-il à la fois mettre en avant son envie de protéger sa famille EN allant dans les marais, lieu de mort par excellence. Il était suicidaire, définitivement.

À ce moment précis, alors qu’il terminait sa chope pour l’abandonner vide sur le bout de la table, j’avais deux solutions. La première logique et sans scrupule, quitter le lieu retourner dans mon marais et oublier cette rencontre ainsi que cette idée farfelue de partir à la chasse aux chevaux sauvages pour les beaux yeux d’un ours à la crinière particulièrement longue. La seconde était tout aussi incongrue que le comportement de mon interlocuteur, l’aider, l’aider pour obtenir de quoi survivre, pour améliorer le confort de mocheté aussi. Mocheté, elle revenait souvent cette petite et c’était inexplicable. J’avais fini par terminer mon infusion, comprenant que mon ‘employeur’ du joueur avait décrété qu’il était grand temps de se mettre en route. Je ne lui en voulais pas réellement, dans un sens avait-il raison, plus rapidement c’était fait, plus rapidement nos chemins allaient se séparer.


- « Vous devez connaître les chevaux mieux que moi » soufflais-je en me relevant et repoussant ma chaise.

On avait fini par sortir, j’étais restée silencieuse, toujours peu emballée par la situation. Notre ami commun s’était éclipsé certainement vexé par mes propos à son sujet, sans pour autant m’en tenir rigueur, j’en étais convaincue avait-il l’habitude maintenant. Nous étions désormais seuls et je n’avais toujours pas envie de prendre la parole, me renfermant dans cette idée non lumineuse qu’il n’était pas nécessaire d’échanger pour parvenir à réussir notre désormais objectif. Lance n’était visiblement pas dans la même optique, puisqu’avant même qu’on arrive à sa monture, il avait brisé le silence, me questionnant sur ma position et mon choix de l’aider. J’avais dû m’arrêter une seconde, surprise, haussant un sourcil avant de secouer doucement la tête. Il y avait des questions qui ne méritaient pas de réponse et celle-ci me semblait suffisamment stupide pour que ne pas faire entendre le son de ma voix. On avait réduit la distance qui nous séparait des montures et je m’étais figée en détaillant les deux bestioles. Je n’étais pas fan, non, réellement pas fan des animaux de ce type. Néanmoins, malgré mes inquiétudes, je devais reconnaître ma fascination pour la proximité qu’il semblait avoir avec la bête, instinctivement je m’étais rapprochée d’un pas ou deux, osant laisser une main vagabonder jusqu’à les quelconques poils de l’encolure de ce qui semblait être une jument. Mon geste c’était néanmoins stoppé alors qu’il m’indiquait qu’il y avait bien des choses qui circuleraient à mon sujet.

- « Tu dois être soit très courageux, soit particulièrement inconscient pour continuer à me fréquenter alors … Je penche pour la deuxième option personnellement. » Soufflais-je doucement en laissant mes doigts se perdre dans la crinière.

J’avais toujours détaillé avec un certain intérêt les cavaliers, les hommes et femmes sachant dompter cette bête pour la faire aller là où il le désirait. Il avait toujours cette fierté dans le fond des yeux, cette manière de se positionner bien droite, cette façon de regarder tout ce qui pouvait bien les entourer de haut –et ce n’était pas toujours à cause de la différence de hauteur-. C’était apaisant finalement ce contact et ce qui avait dû provoquer mon calme, alors que me revenait en mémoire toutes ses phrases que j’avais pu entendu à mon sujet, ses rumeurs. On me prêtait bien des actes souvent infondés, bien des comportements aussi et à force d’entendre autant de choses diverses et variées j’avais fini par me perdre moi-même. Meurtrière. Oui, celui-là est un mot bien trop fort pour moi, qui pue, qui vous empoisonne petit à petit, qui vous laisse vous dessécher sur le bas-côté, qui vous consume petit à petit qu’il s’insère en vous sans la moindre hésitation, jusqu’à vous posséder entièrement.

- « Je devrais y arriver » fis-je certainement trop fière pour admettre dès le départ que je n’avais aucune idée de la manière de procéder pour monter sur l’animal.

Là, oui là, j’avais du paraître ridicule, d’abord observer le selle, froncer les sourcils, essayant de trouver un appui pour mes mains, me hisser sur la pointe de pieds, puis me remettre bien un plat en constatant que ma petite taille est un véritable handicape. Sauter plusieurs fois sur place pour essayer de trouver une impulsion, parvenir à me retrouver en position sac à patates le long de l’animal avant de reglissé et de retomber de nouveau sur le sol, lâchant un grognement d’inconfort.

- « Je veux bien de l’aide » marmonnais-je semi-boudeuse

Le problème avec de l’aide, c’est que ça veut dire « toucher » et là, il a dû sentir tout mon corps se contracter, se révulser à la moindre sensation de ses mains sur mes hanches pour me donner l’impulsion. J’avais fini par trouver sur l’animal, avec une sensation étrange, mélange d’inconfort et de fierté, de nouveauté et de crainte. Mes deux cicatrices m’avaient légèrement tiraillée et c’est naturellement que ma main était venue les masser. Il avait fini par monter –avec je devais bien l’admettre une facilité qui titilla légèrement mon ego- et si j’avais hésité à le toucher pour monter, cette fois-ci lorsqu’il avait fait avancer le canasson je m’étais agrippée passant mes bras autour de sa taille sans la moindre hésitation, serrant légèrement mon emprise. On n’était pas obligé d’aller aussi vite, non ? Si ? La seconde problématique était tout aussi ridicule, du moins de son point de vue sans doute, du mien c’était LA découverte. J’avais mal aux fesses, j’avais l’impression de rebondir sur l’animal alors qu’il avançait à son rythme, de manquer de glisser sur les côtés et ceux même si j’insistais sur mes mollets pour trouver un équilibre. Là encore, je m’étais davantage agrippée à lui, comme de la mousse à son arbre.

- « À droite » grommelais-je légèrement « Ralentis…Là… Doucement.. » […] « Stop. »

On avait dû cavaler un petit temps tout de même avant que je le fasse se stopper, je n’avais pas vu les animaux, mais j’avais besoin de faire une vérification. Je savais pertinemment que certains bannis venaient chasser par ici. Une fois la bête en arrêt, j’étais descendue doucement –et pour descendre pas de problème-, j’avais passé une main sur mon fessier, le temps de vérifier qu’il était toujours en vie. J’avais mis mes mains proches de ma bouche comme une coquille pour me donner un peu d’ego et j’avais fait ce léger bruit pouvant ressembler à un bruitage d’oiseau, mais un brin différent pour ceux qui s’y connaissaient. C’était notre manière d’indiquer notre présence et de vérifier si certains étaient dans le coin, sans pour autant attirer l’attention d’oreilles indiscrètes. Après plusieurs minutes et sans écho similaire, j’en avais déduit que nous étions seuls et cela m’arrangeait.

- « Comment tu veux procéder pour la capture, tu dois déjà les voir c’est ça ? »

Je n’avais pas cru bon d’expliquer mon premier agissement, il pouvait prendre ça comme il le souhaitait ou simplement me poser la question, si cela le titillait un peu trop. C’est là que j’avais réalisé que l’animal était à la fois un avantage et un véritable problème. S’il permettait des déplacements rapides, il allait être aussi un poids d’immobilisation et une source de désir en cas de rencontre. Rapidement, je m’étais immobilisée, parce qu’à peine le pied au sol et l’humidité s’infiltrant dans mes bottes trouées que quelque chose me gênait le silence, LE silence devrais-je dire même. J’avais fait un signe à Lance de ne pas descendre, de ne pas bouger, si en plus il aurait pu arrêter de respirer ça aurait pu n’être que plus-que-parfait, mais bon. J’avais pris une grande respiration, humant comme un animal pouvait le faire lors d’élément de chasse. La vase, ça sentait la vase et si dans un marais cela pouvait sembler tout à fait banal, j’avais quelque doute sur l’origine de cette odeur un peu trop soudaine à mon goût.

- « Reste là-haut, si je te hurle de fuir, tu fuis sans jamais te retourner, compris ? »

Je m’étais mise en position défensive, tout chez-moi transpirait cette méfiance, cette inquiétude, de ma manière à me déplacer, à mon regard qui balayait la moindre parcelle du marais à proximité : les arbres étaient gênants, le fait de s’enfoncer dans ce mélange de vase et de boue, la présence de flaque, d’étendue d’eau d’où la profondeur était indéterminable sans plonger la main à l’intérieur. J’avais fait plusieurs pas, avant d’entendre ce bruit significatif des créatures, ce mélange de grognement plein de gargouillis, ressemblant presque au gazouillement de mocheté en beaucoup moins beau évidemment. J’ignorais si Lance m’avait écoutée et j’étais soudainement tétanisée à l’idée de m’approcher davantage, elle était là quelque part : la fange. Je fis alors ce réflexe complètement stupide, suicidaire –autant que le comportement de mon employé jusqu’à présent- j’avais fermé les yeux me concentrant uniquement sur mon environnement. Il n’était pas loin et alors même que j’ouvrais les yeux dans la direction, je le distinguais enfin rampant, agonisant visiblement. Si la situation aurait dû me rassurer, ce ne fit pas le cas, il ne fallait jamais sous-estimer un fangeux. D’ailleurs la créature avait fini par me remarquer et son déplacement –plutôt lent- se faisait dans ma direction.

- « Tu peux descendre, mais ne t’approche pas. Il y a un fangeux » fis-je « Les chevaux doivent être dans le coin, on va devoir faire attention. »

La créature avait fini par glisser son corps dans une étendue d’eau, disparaissant entièrement de ma vision ou de celle de Lance. Difficile de savoir s’il allait réapparaître ou non. Je m’étais rapprochée de Lance afin de lui indiquer la direction, d’un geste de la main, une perle de sueur avait dû dévaler de mon front, je n’étais pas rassurée, non pas parce que je n’étais pas qualifiée pour ce genre de travail, mais parce que la fange pouvait nous réserver bien des surprises.

- « Allons par là… voleur de cadeau » fis-je en étant convaincue qu’il comprendrait à quoi je faisais allusion. « La dernière fois ils étaient ici, ils sont toujours dans le coin, allons vers là-bas, il y a une zone avec moins d’arbres. »
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Lance DamboiseÉleveur
Lance Damboise



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyJeu 17 Jan 2019 - 17:56
Isaure le traitait d’inconscient, ce n’était la première a le qualifier ainsi, et sans doute pas la dernière non plus. Lance avait connu la peur il y a bien longtemps, enfant, il craignait son père plus que n’importe quoi d’autre. Sa froideur, sa rigueur et le feu de ses coups le marquait jusqu’aux os. Puis son père était tombé de cheval et la menace s’était évanouie, après ça il n’avait plus tremblé. Il n’était pas noble, il n’avait pas de château, mais il avait pour lui cette bonne étoile, ou peut-être juste un don quelconque pour se tirer des pires ennuis avec le sourire. Et puis la fange était arrivée, et il avait dû réapprendre la peur, une peur encore plus profonde et viscérale, celle de finir déchiqueté vivant par des mâchoires voraces. Il l’avait connue sur le marché de la Hanse, sur son chemin de retour vers Usson, ou en revoyant ce qu’il restait de son père, mais de toute évidence il n’avait pas encore complètement retenu la leçon. Là où la majorité des gens se rassemblaient derrière des barricades, et s’enfermaient chez eux une fois la nuit tombée, lui partait à l’aventure dans les marais. Là où tout le monde voyait un risque, il voyait une opportunité que personne n’avait le courage de saisir, et laissait le destin lui montrer s’il avait raison ou tort.

Il aurait peut-être pu essayer de faire comprendre son point de vue à la jeune femme, mais était presque sûr que ça ne servirait à rien. S’il y avait bien une chose d’évidente entre eux, c’est qu’ils étaient complètement différents. Et puis, le temps de faire sa petite introspection, ils étaient arrivés à la sortie du village, c’était un peu tard pour réagir. Lance eut de toutes façons autre chose à penser en voyant les efforts d’Isaure pour monter sur la jument. Il était peut-être temps de soulever un point qu’il avait eu la délicatesse de ne pas aborder depuis les premiers instants de leur rencontre, mais elle était petite. Mais genre, pas petite comparé à lui qui est relativement grand, ou petite parce que c’est une femme, non non, elle était vraiment petite. Ce qui ne devait pas lui faciliter la vie, en tout cas pas quand il s’agissait de monter sur un cheval. Pour tout avouer, il avait une sacrée grosse envie de faire un trait d’humour, et dû penser très fort au fait qu’Isaure lui faisait déjà plus ou moins la gueule. Ce n’était pas la peine de s’enfoncer un peu plus, juste avant de partir. Cela dit, lorsqu’il l’attrapa finalement par la taille et la sentit devenir raide comme une bûche, Lance perdit son petit sourire amusé. Tout comme sa chère Ariane le soir de leur mariage, Isaure avait peur, et il ne pouvait qu’imaginer ce qu’elle avait pu traverser pour avoir des réactions aussi épidermiques.

Une fois monté à son tour, il laissa son laissa son cheval dévaler la faible pente et… lui demanda rapidement de ralentir en sentant la jeune femme s’agripper à lui comme à une bouée en pleine mer. D’accord, alors quand elle disait qu’elle ne savait pas monter, il fallait comprendre qu’elle n’avait jamais posée ses fesses sur un cheval de sa vie. En tant que digne fils de fermier, il n’avait pas imaginé ça, et aurait sans doute démarré un peu moins vite s’il l’avait su. C’est donc d’un pas assez agaçant de lenteur – de son point de vue – que Lance guida son cheval à quelques lieues vers l’ouest, Isaure s’agrippait toujours autant à lui, mais il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire de plus pour son confort. C’est en s’enfonçant dans le marais qu’il commença à comprendre l’étendue du problème. Il savait que les fangeux pouvaient se cacher dans les flaques boueuses et surprendre les voyageurs peu attentifs, mais n’avait pas imaginé qu’il y aurait autant d’arbres et de végétaux bloquant la ligne de vue, cachant ainsi les menaces potentielles. Il n’avait pas non plus pensé que l’air serait chargé d’une odeur presque suffocante d’eau croupie, de moisissures et de décomposition, ni que des sons étranges d’insectes et d’animaux inconnus agaceraient ses oreilles. Il était vraiment arrivé sur un terrain qu’il ne connaissait pas, et ses sens étaient un peu perturbés. C’est avec un léger temps de retard qu’il suivit les directives d’Isaure, et fini par arrêter son cheval. Il lui répondit d’un air distrait, observant les alentours.

« Oui, il me faut un peu plus d’informations pour trouver la meilleure manière d’agir… »

Lance s’était tu avant même qu’Isaure ne lui fasse signe, la voir s’immobiliser lui avait suffit. Pourtant, il avait beau tendre l’oreille, il n’entendait plus rien, pas même un petit animal agaçant. Lissandre eut un petit mouvement de piétinement, et il réalisa alors que c’était bien le problème, la nature semblait attendre que quelque chose leur tombe sur le coin du museau. Lançant des regards circulaires, il dut bien reconnaître qu’il ne voyait pas ce qui clochait, il n’y avait que des arbres et de la boue, mais il sentait bien le danger. Il réalisa alors pleinement à quel point il avait sous-estimé les risques de cette expédition.

« Compris… »

Pour une fois, Lance avait vraiment l’air sérieux, presque grave même, c’est la jeune femme qu’il observait maintenant, cherchant dans son regard la raison de toute cette tension. Il ne vit rien, et dû se fier complètement à elle, ne descendant du cheval que lorsqu’elle l’y autorisa. Par réflexe, il continuait de chercher d’où pouvait venir le danger, mais ne voyait toujours rien, et puisqu’Isaure semblait être passée à autre chose, il finit par laisser tomber. Il manqua alors de s’étouffer en entendant sa remarque, elle venait vraiment de le traiter de voleur ? C’était le monde à l’envers. Lance jeta un coup d’œil au bracelet qu’il avait roulé autour de son poignet le temps de la chevauchée, et préféra le glisser dans une poche de sa veste pour ne pas le perdre. Il ne manquerait plus qu’il survive aux fangeux pour se faire écharper par la jeune bannie.

« Je lui rendrais, promis. C’était juste un emprunt. »

Il pensait qu’avoir de bonnes bottes suffirait, mais Lance sentait le froid et l’humidité du sol à travers le cuir. Même en essayant d’éviter la bourbe, cherchant les endroits les plus secs, ses pieds restaient désagréablement collés à la terre, comme si c’était du goudron. Le reste du temps il s’enfonçait carrément dans la boue, et devait ensuite arracher sa chaussure du sol dans un bruit de succion. Pour la discrétion, ce n’était pas trop ça, alors il se mit à nouveau à observer Isaure, dans l’espoir de trouver une meilleure technique. Heureusement, la zone où la jeune femme avait trouvé les chevaux était plus praticable que l’endroit où ils s’étaient arrêtés, et au bout de quelques minutes d’observation, son visage s’éclaira d’un sourire.

« Ils étaient bien là, en effet. »

L’avantage avec cette terre meuble et chargée d’humidité, c’était qu’elle gardait bien les empreintes, et les empreintes de sabot étaient assez caractéristiques pour les repérer d’un coup d’œil, surtout pour lui qui en voyait tous les jours. Cachant mal son excitation, Lance fit un petit tour dans l’espèce de vague clairière où Isaure l’avait mené, essayant de déterminer la direction générale dans laquelle avaient pu partir les bêtes. Lorgnant au-delà des buissons, il cherchait surtout un endroit pas trop boueux, si déjà lui trouvait pénible de s’enfoncer dans la vase, il était certain que pour une bestiole de plusieurs centaines de kilos, ce marais devait être une épreuve, voire même un piège mortel.

« Ils sont passés par là. »

Lance prit les devants, en règle générale il ne se considérait pas comme un très grand pisteur. Son truc était plutôt de repérer les zones de grands passages d’animaux, idéales pour poser des pièges. Suivre une bête à la trace était plus compliqué pour lui, mais là il s’agissait de chevaux, ce qui lui simplifiait grandement la tâche. Il marchait depuis quelques minutes quand son pied écrasa une branche morte semblable à toutes les autres. Jusqu’à ce que la dite branche se mette à bouger dans un gargouillis aussi écœurant que caractéristique. Lance fit un bond sur le côté en étouffant une exclamation de surprise. En d’autre circonstances, il aurait sans doute hurlé comme une pucelle, mais en terrain inconnu et hostile, il parvint à se faire violence à la dernière seconde.

« Sale enfoiré… Fils de chiens… »

Sa voix avait perdu beaucoup de son assurance, et il regardait, blême, le fangeux tendre ses bras squelettiques vers lui. Le bougre s’était enlisé jusqu’au cou dans la vase, mais ne manquait pas d’énergie pour autant. Lance se rendait maintenant compte à quel point il avait manqué de prudence, ça devenait une habitude. Il mit un peu de temps à détacher ses yeux des orbites vides et de la gueule ouverte de celui qui avait failli lui attraper la jambe. Un mouvement en contrebas lui fit quand même tourner la tête, qu’est-ce que c’était encore, cette fois ?

« Oh, salut beauté. »

Au-delà d’une mare qui semblait plus remplie de lisier que d’eau, un cheval auburn aux crins noirs cherchait des mûres dans les buissons. Il ne semblait pas les avoir remarqués, il faut dire qu’ils étaient encore assez loin, et qu’ils allaient devoir contourner les eaux puantes avant de pouvoir approcher. Mais même de là où il se trouvait, Lance semblait ravi du spectacle. Si son père lui avait bien appris une chose, c’était à apprécier la qualité d’un animal. Le plus important, c’était les pattes, tout le poids du corps reposait dessus, si les genoux formaient un X, ou au contraire partaient vers l’extérieur, c’était mauvais signe. Il ne pouvait pas tout voir de là où il était, mais son cheval – oui, c’était déjà son cheval – avait une posture bien équilibrée malgré le terrain qui n’était pas idéal, c’était très encourageant.

« Elle est magnifique, il faut la sortir de ce bourbier, elle va dépérir ici. On a de la chance qu’elle ne soit pas trop loin du chemin, mais ça ne va pas être marrant de la ramener. »

Il n’avait vraiment pas pensé qu’il pataugerait autant dans la bouse. C’était une chose d’entendre parler des marais, c’en était une autre d’y être réellement. Faisant un pas de plus, il fut immédiatement pris d’un gros doute et observa le sol.

« Je te laisse ouvrir la voie, tu… tu connais mieux le terrain. »

Y’a pas à dire, il faisait un peu moins le malin.
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyVen 18 Jan 2019 - 17:57
- « Un emprunt hein… » fis-je faussement étonnée par l’argumentation somme toute discutable.

Mon regard avait dû se poser sur sa silhouette le détaillant des pieds à la tête, mon observation ne faisait qu’entretenir mes suppositions, aggraver même certaines d’entre elles. Il n’était pas un survivant, pas un homme des marais, pas un être étant en mesure de s’adapter à la puanteur, la moiteur du sol, l’absence de bain, la souffrance d’une chair qui se décompose, la constatation de la mort qui chaque jour se fait plus violente, plus assourdissante. La fange, ce n’était pas que des monstres, que des créatures sans pensées, sans souvenir, sans cœur, non c’était plus que ça plus violent que les ours, les sangliers, les loups, plus violents que les pires carnivores réunis. J’avais secoué la tête, me refusant de penser aux horreurs de la fin de l’humanité, décollant mes bottes, ignorant la boue qui s’infiltre entre mes orteils et la sensation d’humidité qui imprègne ma peau, rend moites mes mains et fait plisser mes doigts. Je ne suis pas fatiguée et je n’ai pas le temps d’avoir froid, je ne peux pas m’empêcher de rester sur mes gardes ici. Je m’étais déplacée avec pourtant moins de difficultés que mon ‘client’ et j’avais même dû m’amuser silencieusement de ses galères. C’est que l’attendre pour le voir décoincer sa botte des marais, c’est quelque chose de plutôt agréable, à mes yeux tout du moins.

L’éleveur avait fini par me faire rire, j’avais même dû paraître un brin moqueuse, d’abord parce qu’il confirmait que la troupe de chevaux était bien passée par là –chose pas réellement surprenante au vu des traces dans le sol et de mes souvenirs-, puis ensuite en reconfirmant une seconde fois la présence des montures. Sacré observateur. Je ne m’étais néanmoins pas trop perdue dans un rire provocant ou trop long, c’était inutile et puis mon instinct avait rapidement repris le dessus aussi. Une fois dans la zone moins boisée –quoique toujours avec des arbres, mais en plus petite quantité et plus éloigné aussi-, une vague de déceptions avait dû m’envahir, il n’y avait rien, pas la moindre trace des bestiaux que j’avais pourtant vu ici même il y a peu. Lance semblait soudainement plus enjoué, plus dynamique, il c’était éloigné et n’avait certainement pas vu ma main se relevant vers lui qui avait cherché à le retenir. Pas trop vite, pas sans moi. Trop tard. De léger mouvement c’était joué devant moi et j’avais bien compris que Lance avait rencontré une difficulté, juste avant tout du moins de se détourner le visage toujours aussi pâle. Je m’étais approchée, avais fini par dégainer ma dague pour le planter dans la tête du fangeux qui se débattait encore. C’était suffisamment rare de pouvoir en abattre un pour le souligner et surtout suffisant pour ne pas lui laisser la moindre chance de survie.


- « On ne tourne jamais le dos à un fangeux » soufflais-je « Généralement, ils peuvent rester sous l’eau, ne sont jamais seul. Si lui est dans cet état, c’est qu’il devait déjà être blessé. La prochaine fois si ce miracle se reproduit, tue-le. »

J’avais l’impression d’être une mère éduquant son enfant, lui rappelant sans cesse les règles de la conduite à tenir : ne fait pas ça, ne fait pas si, fais attention. Involontairement, j’avais dû lâcher un soupir qui devait parfaitement refléter mon état de pensée. Par la Sainte Trinité il avait un bébé, mocheté, pourquoi ne pouvait-il pas agir convenablement et conséquence. Ma main était venue se poser sur son épaule, mes doigts avaient dû émettre cette pression mi-contrariée mi-inquiète. Je m’étais appuyée sur lui pour m’avancer afin de détailler sa soudainement source de contemplation, qui sans surprise n’était d’autre que le fruit de notre recherche. L’animal ne semblait pas nous avoir encore repérés et si les yeux de l’homme pouvaient être autant brillants quand il regardait sa fille que quand il détaillait ce cheval, il n’y aurait plus aucun doute sur son amour pour elle. J’avais détaillé l’animal, sa position, la distance qui nous séparait et j’étais moins convaincue que lui que le rejoindre était une bonne idée.


- « Lance » fis-je avec un brin d’autorité « Si tu pouvais réfléchir avec autre chose que ton inconscience et tes envies, ça nous aiderait. »

J’avais croisé les bras sous ma poitrine alors qu’il me demandait de passer la première, évidemment, il était plus simple d’envoyer la bannie, je n’avais rien à perdre hein. Sauf que sans moi, il passerait l’arme à gauche plus rapidement qu’un pet. Prenant une légère inspiration je reprenais.

- « Qu’est-ce que tu sais de la fange exactement et des risques ? » ce n’était pas le moment, mais ça me semblait soudainement important « Un quand il n’y a pas de bruit, ça veut dire danger » je redressais un doigt « Deux, quand il y a présence d’eau aussi importante, ton être doit hurler le mot MÉFIANCE » je lui avais lancé un regard puis appuyé et si j’avais pu lui épeler chaque lettre du mot, je l’aurais fait « Trois, est-ce que tu as un plan pour attraper l’animal ou est-ce que tu veux juste descendre et le regarder te filer entre les doigts avant de devoir gérer le possible fangeux qui se cache dans l’étendu d’eau ? »

Ma main avait abandonné son épaule pour glisser sur mes hanches. J’étais agacée sans que je n’explique clairement pourquoi. Il me semblait agir par pulsion, par envie, par découverte, exactement comme mocheté agirait quand elle apprendrait à ramper, puis à marcher et certainement a parlé. Sauf que Mocheté c’était normal, lui un peu moins. Je m’étais penchée pour attraper une pierre sur le sol, même dans un marais, ce n’était certainement pas ce qu’il manquait, puis j’avais jeté le tout dans l’eau un peu plus loin, avant d’attendre, levant une main vers lui pour lui indiquer de patienter. Après un petit temps d’hésitation, j’avais repris la parole.

- « Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu entends ? Est-ce qu’on descend ou pas ? »

J’en étais venue à lui poser les mêmes questions que celle que je m’étais posée au début de mon bannissement cela me semblait essentiel, véritablement essentiel qu’il comprenne, qu’il apprenne à faire attention aux bruits de la nature. J’avais attrapé une autre Pierre avant de la jeter dans l’eau, un peu plus proche cette fois. Ce n’était qu’une petite assurance, mais certainement pas une certitude de l’absence de créature. L’abandonnant un peu en arrière, j’avais fini par descendre la petite pente, jusqu’à arriver en bas proche de l’eau, mon regard s’était fait plus méfiant, j’étais davantage en alerte. Pas question de viser l’enseignement à ce moment-là, je ne voyais rien, l’animal ne s’était pas enfui, les oiseaux étaient perceptibles, l’ensemble de signes était favorable à notre démarche. Je lui avais fait un signe de la main pour lui indiquer que c’était bon, le laissant me rejoindre. Il voulait s’approcher de la bête, j’espérais bien qu’il n’avait pas en idée de rester propre sur lui, parce que ce n’était clairement pas avec moi que cela pourrait se faire. Je m’étais allongée sur le ventre, espérant qu’il accepte à faire de même, quitte à s’enfoncer dans la boue, à s’enliser un peu, il paraît que c’était bon pour la peau. De là, je m’étais enfin mise à lui murmure plus en douceur, avec certainement moins d’agressivité.

- « Alors, tu vois de là ? Ça te convient ? On l’attrape comment ta bête ? »

J’avais attendu sagement, détaillant cette étendue d’eau qui m’inquiétait, si lui devait très certainement s’interroger sur le comment ramener cette belle créature du point A au point B, j’étais plus dans l’optique de comment rester en vie jusqu’au retour à la ville. Je l’avais laissé passer devant cette fois-ci, estimant que l’unique famille de mocheté ne risquait rien, de toute manière plus il s’approchait de l’animal, plus il s’éloignait de l’entendu d’eau, donc de potentiel danger.

- « Tu t’occupes d’elle ou de lui, j’n’en sais rien je n’ai pas été vérifié non pas… Je surveille tes arrières. »

Cette fois-ci c’était clair, j’étais à l’origine de sa protection, j’étais payée pour ça après tout, je prenais les risques en restant proche de l’eau et je ne m’attendais pas à ce que le risque surgisse si rapidement. J’en avais presque oublié ce fangeux affaiblis qui c’était immergé dans l’eau, mais lorsque la créature au bras en moins et pas seulement, que ses dents étaient venues s’enfoncer dans la chair de ma cuisse là je l’avais parfaitement sentie. Aussi étrangement que cela puisse paraître, je n’avais pas crié, la nature ne s’était pas faite silencieuse, la jument n’avait pas fui et concrètement, allongée à l’abri des regards je n’avais plus eu le choix. Savez-vous ce qu’on perçoit dans ce moment-là ? Non ? Moi non plus, plus que lorsque j’avais de nouveau ouvert les yeux, ma main tenait ma dague, qui était elle-même plantée dans le crâne du fangeux. S’il n’avait pas été déjà faible ou agonisant, jamais je n’aurais pu être en mesure de le tuer, je ne me souvenais même pas de ce qui s’était passé, toujours est-il que désormais sans réaction, sa mâchoire restait encore parfaitement fermée sur ma cuisse.

- « Putain… » soufflais-je

J’avais glissé mes doigts dans la bouche, jusqu’à faire céder la mâchoire qui ne bougeait plus, j’avais ensuite roulé sur le côté pour m’éloigner du corps. Ma respiration c’était faite soudainement plus rapide, sans pour autant que la morsure soit catastrophique, le saignement n’était pas abandonnant, en revanche le tissu était déchiré et ma peau avait bien conservé les marques des dents –somme toute humaine d’ailleurs-. Si la douleur était importante et si une multitude de pensées venait se bousculer dans mon esprit, je n’en restais pas moins silencieuse, enduisant ma blessure et ce côté de mon pantalon de la boue des marais. J’avais pris plusieurs grandes inspirations, vérifiant l’état purement fonctionnel de ma jambe. Si j’avais eu cette envie de massacrer, de m’acharner sur la désormais carcasse du fangeux, je ne pouvais cependant pas le faire, sans quoi j’allais provoquer cet énorme vent de panique chez Lance. Je m’étais redressée non pas sans une légère grimace vis-à-vis de ma cuisse, avancer s’avérait légèrement plus complexe que ce que j’imaginais. Prenant une nouvelle inspiration, soufflant doucement avec ma bouche, j’avais fini par le rejoindre lui et sa nouvelle acquisition.

- « On va déjà récupérer celle-là, on organisera si tu en veux plus d’autres expéditions plus tard… On ne devrait pas trop tarder, il n’est jamais bon de s’attarder dans les marais » fis-je d’une voix plutôt calme, quoi que chargée par moment de cette gêne/douleur que je tentais de camoufler.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyVen 18 Jan 2019 - 23:03
Isaure riait de lui, et bientôt, elle se mit à lui expliquer la vie comme s’il ne comprenait rien. Certains se seraient sans doute vite agacés devant cette attitude, mais ce ne fut pas son pas son cas. Pour Lance, il n’y avait pas de sots, chacun avait ses compétences et ses lacunes, et on pouvait toujours apprendre. Lui vivait sur le Labret, il savait gérer son exploitation, soigner ses bêtes et les dresser, se protéger, et apprenait depuis peu à faire pousser des légumes, et surtout à élever un enfant. Il avait encore bien des lacunes, il le savait, et ce n’était pas plus mal, à quoi bon vivre s’il n’y avait plus de surprises, de jugements à revoir, et de choses à améliorer ? Isaure, elle, c’était la survie à l’état brut, son domaine. Elle naviguait seule dans les marais malgré la fange, depuis il ne savait combien de temps, et c’était remarquable. C’était bien pour ça qu’elle était là, parce qu’il avait confiance en ses capacités et ses connaissances. S’il s’était cru meilleur que tous les autres, il serait venu seul, et serait mort comme un idiot.

La jeune bannie l’avait déjà repris plusieurs fois, et fini par lui poser une question qu’il trouva pour le moins étrange. Est-ce que c’était vraiment le moment de faire la liste de ses connaissances sur les fangeux ? Fronçant légèrement les sourcils, il finit par lâcher doucement.

« Quasiment rien, même si j’avais parcouru tout le duché et retenu scrupuleusement tout ce que les gens savaient sur la fange. Je n’en saurais toujours quasiment rien, c’est bien le problème, non ? »

Ça lui paraissait évident, mais Isaure avait peut-être un tout autre point de vue sur la question. Si c’était le cas, il aurait été curieux d’approfondir le sujet, mais dans d’autres circonstances. Autour d’une bonne tisane, par exemple. Là, il se contenta d’hocher la tête à ses deux gros avertissements, avant d’avoir un léger haussement d’épaule quand elle parla du cheval.

« Des plans, j’en ai plusieurs, et j’ai tout ce qu’il me faut dans mon sac. Pour cette partie-là, tu peux compter sur moi. »

Chacun son domaine, tout simplement. Lance ne bougea pas alors qu’Isaure ramassait une pierre pour la lancer, et comme elle, il tendit l’oreille. Cette eau semblait vraiment lui faire une peur terrible, que lui-même commençait à ressentir aussi.

« Tu as fait fuir quelques oiseaux… »

Le silence n’était pas aussi complet que tout à l’heure, on entendait toujours des piaillements agaçants, c’était bon signe. La jeune femme continuait son approche prudente, Lance tendait l’oreille, réellement, et tentait de discerner des formes suspectes dans l’eau boueuse. Il marcha dans ses pas, et quand il la vit s’allonger par terre, il finit par faire de même – pas de gaieté de cœur, il faut avouer. Voilà, il était tout crasseux, la boue glacée s’insinuait dans ses vêtements, ses cheveux lui tombaient sur les yeux en plus de tremper dans l’eau eux aussi, mais ils avançaient. Isaure était toujours aussi tendue, et le pressait de questions.

« Je vais y aller au lasso, ça sera un peu brutal, mais on repartira plus vite. »

Puisque le cheval était seul, ce qui était plutôt une chance vue la situation, il pouvait se le permettre. Ça ne devrait pas créer un grand mouvement de panique qui mettrait en danger tout le monde. Lance avait bien compris la leçon, les étendues d’eau, c’était mauvais.

« Et pas besoin de regarder cette… partie là. C’est une femelle, elle est plus fine et son galbe est différent, enfin, peu importe. »

De toute façon, même sans eau, il n’avait pas envie de s’éterniser lui non plus. Doucement, il se redressa et posa son sac derrière un arbre, il en sortit d’abord un lasso de cuir, rigide et très usé, puis une poignée de pain dur qu’il fourra dans sa poche, et une autre corde toute simple, plus fine. Un regard à Isaure lui indiqua qu’elle montait la garde, il prit le temps d’écouter et observer, pour éviter d’être dérangé par un fangeux, mais aussi prévoir les directions possibles vers lesquelles pouvait filer sa proie. Et quand il fut sûr de lui, il sortit du couvert des arbres en faisant souplement tournoyer le lasso au-dessus de sa tête. Le mouvement d’air engendré fit un bruit qui, sans être fort, était assez caractéristique. Aussitôt, le cheval redressa la tête et tenta de s’enfuir, c’était ce qu’il attendait. Lâchant le lasso selon un angle calculé, celui-ci se prit au cou de l’animal qui fit une embardée. C’était toujours satisfaisant pour lui d’attraper un animal, même s’il avait fait ça toute sa vie. La partie vraiment intéressante commençait maintenant, il fallait faire connaissance. Lance laissait l’animal libre d’aller et venir, ne donnant des coups secs sur le lasso que lorsqu’elle essayait de s’éloigner de lui. Doucement, il murmura.

« Allez, ma belle, je suis sûr que toi aussi tu veux sortir d’ici. »

Patient et presque immobile, Lance réduisait peu à peu la longueur de corde qui les séparait, ça n’avait pas l’air bien compliqué vu de l’extérieur, mais ça lui demandait pourtant toute son attention. Les regards fuyants, les écarts, les oreilles qui s’abaissent, tout avait son importance pour trouver le bon rythme et ne pas avoir de gestes déplacés qui le forcerait à tout reprendre depuis le début. Bientôt, il ne resta plus que deux mètres de corde entre lui et le cheval, Lance resta ainsi un petit moment, avant de tenter à son tour d’approcher, le bras levé. L’animal se défila aussitôt par un brusque écart.

« Tout va bien, princesse. On est pas bien là, tous les deux ? »

Le marais semblait bien loin, en effet. Lance finit par effleurer l’encolure de la bête, le poitrail, avant d’en venir plus subtilement à ses joues, son front, puis son museau. Il était alors devenu évident qu’elle avait compris qu’il n’était pas dangereux. Lentement, il lui passa la corde qu’il avait gardée autour du cou, puis du museau, formant une bride rudimentaire, et récupéra son lasso. Il n’avait plus qu’à tirer pour qu’elle le suive, elle le suivait même un peu trop pour tout avouer, reniflant avidement ses cheveux, puis sa veste.

« Tu les as déjà trouvés, hein ? Coquine… »

Souriant, Lance sortit de sa poche un bout de pain, qu’il lui donna, puis il s’arrêta le temps de ranger le lasso dans son sac et le balancer sur ses épaules. Il fronça un peu les sourcils lorsqu’Isaure le rejoignit, elle lui parut un peu bizarre, mais était trop couverte de boue pour que le problème lui saute aux yeux.

« Oui, partons d’ici. »

Pour ce qui était de venir chercher d’autres bêtes, il allait vraiment y réfléchir à deux fois. Cet endroit était quand même un sacré piège. Alors qu’il revenait sur ses pas, observant le sol, Lance se crispa en voyant une « branche » similaire à celle sur laquelle il avait marché plus tôt. Il ne s’y trompait pas, c’était bien un fangeux, un fangeux mort qui dépassait de l’eau. Son regard se tourna vers Isaure, il était presque sûr qu’elle l’avait tué, c’était trop près de l’endroit où ils étaient passés pour que ça ne soit pas le cas. Il se demanda vaguement ce qui avait pu se passer d’autre quand il ne regardait pas, et était presque arrivé à l’endroit où ils s’étaient allongés dans la boue quand il s’immobilisa.

« Je le sens pas. »

En fait si, il sentait, ça puait vraiment, et son sang ne fit qu’un tour quand il se rendit compte du silence. C’était le cheval, pas vrai ? Avec ses va-et-viens et ses embardées, il avait fait fuir les oiseaux… ou attiré quelque chose. Pétrifié, mais les sens en éveil comme jamais, Lance fit le calcul, le pas régulier d’un animal de plusieurs centaines de kilos se répercutant dans le sol, encore et encore… Non, en fait, il n’y avait rien à calculer, il fallait partir au plus vite, tout en lui le hurlait. Il crut sentir un mouvement sans vraiment le voir, et donna un grand coup de pied dans l’eau avant même d’y avoir réfléchi, un fangeux pourri jusqu’aux os voltigea en arrière, avant de revenir lentement. Il n’était pas seul, Lance n’avait pas besoin de les voir, même l’odeur suffisait à en être sûr. Pour l’eau c’était difficile de juger, mais des râles caractéristiques s’élevaient de l’endroit d’où ils venaient avec le cheval, et il n’avait pas envie de savoir combien ils étaient là-bas.

« On se casse ! »

Sans réfléchir, parce qu’il laissait la réflexion pour plus tard, Lance empoigna Isaure par la taille et la serra contre lui avant de sauter sur le cheval comme un sac de patates. Depuis qu’on lui avait parlé de ces chevaux, il était certain qu’ils avaient déjà été montés, c’était le moment de le vérifier. La jument fit un bond sur elle-même, comme au rodéo, avant de filer entre les flaques de boues et les arbres. Isaure sous le bras, la bride dans l’autre main, Lance faisait de son mieux pour garder l’équilibre et ne pas trop glisser. Le cheval filait vers une direction totalement inconnue, et les branche basses lui giflait les bras et les jambes, voir carrément la tête. Plusieurs fois, il tenta de se redresser et de reprendre le contrôle. C’était le genre d’acrobaties qu’il aurait pu faire seul, mais avec la bannie c’était impossible, et il n’envisageait pas de la lâcher, elle qui ne tenait déjà pas assise sur un cheval lancé au petit trot.

« Hé, princesse, ça va aller. Ils sont loin, les méchants… »

Puisqu’il n’avait que ça, il se mit à parler, et tirer sur la bride, forçant le cheval à tourner toujours sur la droite. Son petit manège ne sembla rien donner au départ, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent sur une zone sans trop d’arbres. Là, forcer le cheval à faire des cercles de plus en plus réduits l’obligea fatalement à ralentir. Lance put enfin glisser en arrière, entraînant Isaure avec lui, ils se heurtèrent le sol sans douceur, et il put enfin reprendre son souffle. Leur fuite éperdue n’avait sans doute durée que quelques minutes, mais lui avait fait griller pas mal d’énergie. C’était quelque chose de se maintenir en équilibre sur un cheval au galop. Une fois un peu remis de cette mésaventure, le jeune homme observa les alentours, il ne sentit pas de danger particulier cette fois, mais n’avait aucune idée de la distance parcourue ni de l’endroit où ils se trouvaient. En gros, de son côté, il était complètement perdu.
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptySam 19 Jan 2019 - 14:43
Il avait choisi d’y aller au lasso et je devais bien admettre que ça m’impressionnait –évidemment, je n’allais pas lui dire, il ne fallait pas non plus exagérer-. Mes yeux avaient dû néanmoins trahir cette pointe de curiosité, cette envie d’apprendre, de voir cet art que je ne connaissais pas. Parce que oui, l’élevage, à mes yeux, c’était un art. Lance avait cru bon de me faire un cours sur le physique de la bête, afin que je puisse plus tard, déterminer sans me glisser sous les pattes de l’animal s’il s’agissait d’une femelle ou d’un mâle. Très honnêtement, je n’avais rien compris, mais je n’allais pas lui faire répéter, je m’étais contentée de lui dire un « Oh, d’accord » qui n’avait absolument aucune valeur. J’avais fini par être hypnotisée par la technique, si jusque-là, l’homme m’avait paru faible, presque sans intérêt dans le cadre de la survie, cette fois je devais bien lui reconnaître un talent important. J’avais réduit mon attention sur le reste pour pouvoir observer pleinement le jeu de séduction, d’approche, de drague, ce lien se créant entre l’animal et l’Homme, c’était plaisant. La faute ne pouvait que m’être fatale, la fange reprenant toujours ses droits, difficilement, désagréablement. Et le fangeux que j’avais perdu de vu peu de tôt avant avait son retour, pour manger se nourrir. Je n’étais plus la chasseuse, mais la proie et j’avais fini par me faire prendre à ce jeu. Ma chair s’était ouverte, les dents s’étaient enfoncées dans ma peau. Je n’avais pas crié, je n’avais pas pleuré, sans doute que les perles salées n’existaient plus, en avais-je trop versé par le passé.

Dans ce genre de moment, plus rien n’a d’importance, plus rien ne semble jouer en notre faveur ou défaveur et comme par le passé, oui, comme lorsqu’on m’avait accusée des horreurs meurtrières, j’avais tout oublié, j’avais perdu conscience ou avais-je simplement été absente ? À mon réveil, ma main tenait ma dague, celle-ci était enfoncée dans la tête de la bête déjà agonisante avant mon attaque et j’avais eu peur, peur de moi, de cette façon à perdre conscience, à oublier, à perdre le contrôle de son propre corps. J’avais mal atrocement, mon corps entier semblait plus moue, plus dure, plus engourdie, mes mains c’étaient mise à trembler. Le fangeux ne réagissait plus, mais je ne parvenais pas à me soustraire de sa mâchoire et c’est à contrecœur que j’avais dû glisser mes doigts dans sa bouche, que j’avais dû faire preuve d’une force que je ne me connaissais pas pour briser, pour écarter les rangées de dents. Retirant ma cuisse, j’avais immédiatement déposé mes mains sur la plaie ouverte, j’avais grogné, alors que je hurlais en silence ma douleur, ma hargne, je m’étais repliée, ma respiration s’accélérant se faisant plus fort.

Je n’entendais plus rien, ni mon cœur qui tambourinait si fort dans tout mon être ni cette respiration bruyante qui se voulait régulière pour tempérer, ni Lance qui venait de capturer la bête, de terminer son jeu de séduction. J’avais le choix : hurler et ameuter d’autres monstres et inquiéter Lancer, garder le silence, camoufler et terminer cette mission. J’ai toujours été une battante, je crois, et c’est dans une douleur intérieure digne des plus grandes fins que j’avais recouvert la morsure et le déchirement de mon pantalon de cette boue qui recouvrait le sol des marais. Un peu plus, un peu moins, cela ne se verrait pas. Je m’étais mis debout, chancelante, chaque appui sur ma jambe me donnant la sensation de prendre un coup de couteau, un coup de dingue, comme-ci un monstre s’amuser à dépiauter ma cuisse. Mon regard s’était floué alors que je m’approchais de l’homme qui m’avait engagée et seul cette voix dans ma tête me permettait de comprendre ce qui allait se passer : « il faut partir, maintenant ». Je ne pouvais pas lui expliquer, m’aurait-il laissé ici, me condamnant, craignant une transformation qui pouvait c’est vrai peut-être arriver. J’avais ordonné, le départ, alors qu’il était plus souriant, alors que la jument dévorait les morceaux de pain qu’il avait pris avec lui.

Rentrer. C’était tout ce que je souhaitais, rentrer, simplement bêtement, rapidement. J’étais incapable d’être en alerte, incapable de réagir convenablement à mon environnement et c’est entièrement silencieuse que je l’avais suivi. La seconde monture était un peu plus haut, il suffisait de la rejoindre, de remonter sur la bête et de rentrer avec la deuxième, c’était tout. Encore un effort. Lance avait fini par se stopper, précisant qu’il ne sentait pas quelque chose. J’avais relevé les yeux vers lui, bêtement, cherchant à identifier sa crainte. Qu’est-ce qu’il ne sentait pas ? Avec plus de violence que jamais, je m’étais concentrée sur notre environnement et ça me frappa : le silence. Comment avais-je pu le rater ? Inconsciemment, ma main avait glissé sur ma cuisse, appuyant, cherchant à vérifier que je garder des sensations, cherchant à vérifier sans doute que je ne me transforme pas, que ma chair ne se modifie pas. Le reste ? C’était incompréhension, trop brusque pour que mon esprit embrumé comprenne, je m’étais retrouvée contre Lance, son bras autour de ma taille et j’avais mordu mes lèvres pour retenir un cri, pour retenir cet acharnement qui se jouait en mon intérieur. De nouveau sur une monture, une autre, une nouvelle, on avait été vite et j’avais été secouée en tout sens, sans pouvoir rien n'y faire. Ma cuisse frottait contre le poil de la bête, ou contre la propre jambe de Lance et j’avais même dû perdre connaissance une seconde ou deux, luttant pour ne pas succomber, pour ne pas sombrer définitivement. J’ignorais combien de temps le tout avait duré, j’ignorais même où je me trouvais.

Mon réveil fut aussi douloureux que le reste, mon corps chutant sur le sol entraîné par le poids de cet homme que je ne connaissais finalement que très peu. J’avais cru voir Mathie derrière lui, oui, il me semblait avoir vu son visage et j’aurais donné n’importe quoi pour que cela perdure. Et finalement, ce fut quand il bougea, quand son poids s’appuya contre ma cuisse que le premier cri de douleur m’échappa, que le premier couinement ressemblant à celui d’agonie fuyant mes lèvres se fit entendre. Je l’avais repoussé avec une force nouvelle, celle que l’on obtient dans des circonstances spécifiques, celle qui n’est là que pour la survie uniquement. J’étais loin des révoltes habituelles, loin de m’être offusquée de son corps contre le mien, de la proximité, je n’avais pas eu le temps pour ça. Je m’étais redressée en position demi-assise, agrippant cette cuisse dont des filets de sang s’échapper des petits trous créé par le passage de la dentition du monstre. Un mélange rougeâtre et marron ruisselet de-ci et là de la cuisse, sans qu’on ne puisse y distinguer clairement la forme de la mâchoire. Ma respiration c’était de nouveau coupé, saccadé et une perle de sueur avait dû dévaler du haut de mon front. Je n’avais même plus conscience de la présence de Lance, comme dans un état second, je n’avais jamais ressenti une souffrance si profonde. Ce ne fut qu’après quelques secondes que je reprenais conscience de tout, de la jument, de l’autre qui venait de nous rejoindre visiblement tout aussi paniquée, de l’homme qui devait me regarder avec ce regard d’incompréhension et j’étais là, juste là, au milieu de tout ça.

- « Mh » fis-je sans trop savoir quoi dire, quoi faire, devais-je expliquer, devais-je lui dire… et si il décidait de me tuer ? « Il faut rentrer » soufflais-je, grommelais-je

J’avais essayé de me redresser, échouant la première fois tant la décharge fut forte et intense dans ma cuisse. Ce ne fut qu’à la deuxième tentative que j’étais enfin sur mes deux jambes, droites. Dans le marais, il était difficile de se repérer, d’autant plus que là, je n’avais pas suivi les différents chemins qu’il avait empruntés. Je devais déjà déterminer où nous nous trouvons. J’avais dû paraître hésitante, mon regard se faisait un peu plus trouble parfois, la fatigue, l’épuisement la douleur, ce n’était pas très évident à gérer intérieurement.

- « Nous ne sommes pas très loin de la ville » fis-je simplement « En passant par là on devrait la rejoindre vite. » j’avais montré le chemin à emprunter « Merci… Pour tout à l’heure. »

C’était la première fois que je le remerciais, que je lui accordais autre chose qu’un reproche ou une explication. Je ne savais pas trop quoi lui dire d’autre, je commençais à avoir froid, à trembler légèrement, le contre coup de la blessure sans aucun doute. Je m’étais rapprochée, non pas sans montrer quelques difficultés à la marche, non pas sans hésiter, est-ce que je devais rentrer avec lui, est-ce que je devais rester là et essayer de rejoindre le village des bannis ?

- « Est-ce que l’autre jument suivra ? Je ne me sens pas…capable de monter seule… Je vais avoir besoin d’aide pour monter aussi. » soufflais-je lentement.

Et lorsque j’avais fait le dernier pas vers lui, lorsque je m’étais approchée de la monture pour qu’il m’aide j’avais senti ma jambe lâcher une décharge et me faire perdre l’équilibre, si bien que je m’étais retrouvée contre lui, glissant ou plutôt chutant bien trop rapidement.
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Lance DamboiseÉleveur
Lance Damboise



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptySam 19 Jan 2019 - 19:35
Ils l’avaient échappé belle, mais Lance ne savourait pas sa victoire. Il s’en voulait. Il avait trop tardé à approcher le cheval, permettant à tous ces monstres de presque les encercler. Dès l’instant où il avait passé le lasso autour du cou de l’animal, il aurait pu le forcer à le suivre. C’était un nœud coulant, la peur de l’étouffement aurait suffit, mais c’était plus fort que lui, il détestait ce genre de méthodes. Il fallait qu’il s’endurcisse, on était dans un marais dangereux, pas dans l’un de ses champs. Il se demandait ce qu’Isaure devait penser de lui, il avait bien failli les faire tuer. Il aurait suffi que la jument continue à ruer jusqu’à les faire tomber au sol et c’en aurait été fini. Mais Isaure ne le traita pas d’inconscient, en fait elle ne fit pas grand-chose. Pendant encore quelques instants, Lance était trop préoccupé par l’impression d’être perdu pour se rendre compte que quelque chose clochait. Il poussa un sifflement, et se sentit déjà mieux en entendant les pas de Lissandre, qu’il attrapa à la volée lorsqu’elle les rejoignit. Ils ne devaient pas être trop perdus, mais elle lui parut assez nerveuse, ce qui lui donnait un peu plus envie de quitter les lieux. Puis il entendit la bannie le remercier, et tourna vers elle un regard un peu surpris, avant de devenir très inquiet.

« Qu’est-ce que tu as ? »

La boue ne suffisait plus à cacher le problème, il la vit blême et tremblante, et comprit immédiatement que quelque chose allait mal. Très mal. Beaucoup de choses devinrent alors sans importances, ses paroles en tout premier lieu. Est-ce qu’elle s’inquiétait vraiment pour la jument ? Qu’elle s’inquiète pour elle d’abord. La voyant boiter dans sa direction, il baissa les yeux et vit du sang imprégner son pantalon et teindre la boue d’une couleur cuivre. Il fit un pas vers elle, pas du tout intéressé par les chevaux sur le moment, et l’attrapa alors qu’elle lui tombait dessus.

« Isaure ?! »

Ce n’était pas une blessure ordinaire, Lance posa une main sur son front et la sentie trempée de sueur froide. Il glissa ensuite ses mains dans la déchirure de son pantalon et tira d’un coup sec pour l’agrandir, puis détacha de sa ceinture une gourde – juste de l’eau et quelques gouttes de vinaigre pour la désinfecter. Après en avoir vidé une bonne partie, la boue et le sang se diluèrent, laissant apparaître une marque nette de mâchoires. Son sang ne fit qu’un tour alors qu’il revit le fangeux mort au bord de l’eau, et il se maudit. Il l’avait fait avancer alors qu’elle avait tellement peur, elle avait peur depuis le début, avant même de partir, et elle s’était faite attaquer.

« C’est vraiment à la ville que tu veux aller ? Qui peut te soigner ? Donne-moi juste un nom, une direction… »

Il n’était même pas sûr qu’elle l’entende, et rester planté là n’était pas la solution. L’appuyant contre un arbre proche, il se dépêcha de rattraper la jument encore sauvage pour l’attacher à l’autre. Ses mains tremblaient, et son esprit bouillonnait de question. Il ne savait absolument pas ce que ce genre de blessures pouvaient provoquer. Pouvait-elle s’en tirer ? Allait-elle resté dans cet état de fièvre jusqu’à en mourir et devenir un fangeux ? Et si c’était le cas, ne valait-il pas mieux en finir ici même ? Il ne voulait même pas en entendre parler, même si des images atroces lui venaient à l’esprit. Lui, chevauchant jusqu’à la ville, et elle se transformant subitement en fangeux pour l’attaquer à la gorge. Ils devaient être innombrables, les gens qui étaient morts de façon similaire, mais n’était-il pas inconscient après tout ?

« Il n’y a qu’une chose à dire à la mort : "À demain." Tu m’entends, Isaure ? »

Voilà qu’il commençait à dire n’importe quoi. Fébrile, Lance souleva Isaure, grimpa sur son cheval, et suivit la direction qu’elle avait indiquée. Il réfléchissait, mais le problème lui paraissait insoluble. S’il l’amenait chez un guérisseur de sa connaissance, et il ne connaissait que des religieux, elle se ferait tuer, peut-être même lui aussi pour l’avoir aidé. Si par le plus grand des hasards il trouvait des bannies dans le marécage, il mourrait à coup sûr. Ils étaient comme l’huile et l’eau, ils pouvaient se voir, se toucher, mais pas se mélanger. Ils n’auraient même jamais dû se rencontrer, et pourtant il avait besoin d’elle. Ça paraissait stupide, fou, il ne l’avait vue que deux fois, mais elle avait changé bien des choses en lui. Elle lui avait fait comprendre, malgré elle, qu’il fallait laisser Ariane partir, et saisir à pleine main cette vie qu’elle lui avait laissé. Aurore, c’était pour elle qu’il devait laisser le passé derrière et aller de l’avant. Cette enfant, ils étaient deux à s’en soucier dans tout ce vaste monde. Isaure avait intérêt à rester pour la voir grandir.

« Cebard ! Dis-moi que tu connais quelqu’un qui pourrait soigner I… Anne. »

Lance avait déboulé comme un fou dans l’atelier du forgeron, Cebard et son apprenti le regardèrent médusés. La boue ne devait pas aider, et quand ils comprirent quel genre de blessure elle avait, c’est limite s’ils ne se plaquèrent pas contre les murs. Il tenta un moment de leur expliquer que c’était une femme bien vivante qu’ils avaient devant eux, et pas un fangeux, mais finit par comprendre qu’il perdait son temps. Cebard avait beau connaître « Anne », il ne savait visiblement rien de la marque sur son bras, puisqu’il lui proposa des noms qu’il connaissait déjà, et semblait en plus douter qu’ils y puissent faire quoi que ce soit pour une morsure de fangeux. Après quelques minutes, Lance demanda juste à récupérer sa fille, que la femme de Cebard avait eu la gentillesse de garder, et il repartit.

« Bonsoir, Isaure, désolé, j’ai dû t’attacher une main. Pas d’offenses, c’est juste par sécurité. »

Lance avait installé la jeune femme dans le lit de ses parents, se disant qu’elle paniquerait peut-être moins en se réveillant si elle reconnaissait la pièce un minimum. Il l’avait nettoyée, vêtue d’une chemise de nuit, et traitée comme le font les pauvres quand ils ont quelqu’un de malade et qu’ils ne savent pas ce qu’il a. C’est-à-dire en la couvrant d’un linge humide quand elle était brûlante, en la roulant dans des couvertures quand elle devenait glacée, en surveillant sa plaie et en la nettoyant, en lui faisant boire des infusions et des soupes légères pour bien l’hydrater, et en restant simplement là, assis sur le bord du lit, à raconter des bêtises, souvent les mêmes en plus.

« Tu as meilleure mine. Personnellement, j’ai toujours aimé le vert. Je t’ai mis tes vêtements sur le fauteuil là-bas, pas d’inquiétudes. Enfin, c’est un plutôt mes vêtements du coup, parce que la plupart des tiens étaient dans un sale état. J’ai essayé les nettoyer, mais c’était vraiment pas la peine. Oh, et je t’ai trouvé des bottes, de toutes petites bottes pour tes tout petits pieds. Les tiennes étaient foutues, on est d’accord ? Je te raconte pas la tête du cordonnier quand je les ai apportées pour avoir ta taille, mais je les ai pas jetées. Au cas où tu voudrais les garder, en souvenirs où je sais pas… J’ai gardé toutes tes affaires. »

Il jeta un coup d’œil à Isaure, il ne savait pas si elle l’écoutait, ou le comprenait. Par moment, il était clair qu’elle était complètement ailleurs, un peu comme dans le marais, mais à d’autres, c’était plus flou, même bouillante, il lui arrivait de tirer des têtes sérieuses. C’était presque s’il ne l’entendait pas marmonner « Inconscient. ».

« En tout cas, je suis content de voir que t’es une battante. Accroche-toi, on a un enfant à élever mine de rien. Je lui ai rendu ton cadeau d’ailleurs, elle l’aime beaucoup, tu sais. J’ai vu qu’on t’avait bien soigné pour le coup de couteau aussi, mais j’ai pas trouvé celui qui a fait ça, désolé. Je sais pas s’il aurait pu faire quoi que ce soit de plus, je suis même retourné a Monpazier pour poser des questions. Mais c’est compliqué de faire ça discrètement. La discrétion, c’est plutôt ton truc à toi. »

Lance soupira, et finit par lever un bol qu’il tenait dans la main depuis le début.

« Je parle, je parle, et la soupe refroidit. Aurore aurait beaucoup à t’apprendre, quand je l’agace ou qu’elle s’impatiente, je te jure que ça se voit maintenant. Elle va avoir un sacré caractère. Tu as faim ? Ça te ferait du bien de manger un peu. »

Doucement, il rapprocha le bol de ses lèvres pour voir s’il arrivait à lui en faire boire, prêt à lui soulever un peu la tête pour l’aider en cas de besoin. Même si c’était plutôt rare qu’il soigne des gens, on sentait chez Lance une certaine habitude, voir même un plaisir. Enfin, il aurait largement préféré qu’Isaure aille bien et qu’il n’ait pas à faire tout ça, évidemment. Mais maintenant qu’il fallait en passer par là, il faisait vraiment preuve de douceur dans la moindre de ses paroles ou de ses gestes. Même si c’était la énième fois qu’ils avaient plus ou moins la même « conversation ».
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Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptySam 19 Jan 2019 - 22:25
- « Isaure ?! »

C’est mon prénom, je crois, je l’entends, je crois. Je relève mes yeux vers le visage de Lance, m’accroche davantage à lui, sans réellement avoir conscience de réussir à le faire. Je ne me sens pas bien, c’est un fait. Mon visage a dû devenir aussi blanc que la neige, j’ai chaud et froid à la fois, c’est étrange. Pour la première fois, j’ai peur de mourir, pour la première fois oui, j’ai peur et au lieu de me révolter de cet état fait, je crois que j’ai souri. Mathie n’était pas loin, elle n’était jamais loin de toute façon, peut-être que c’était comme ça que les choses devaient se passer finalement. Une bannie, ça ne pouvait que mourir, c’était fait pour ça. C’est le bruit du tissu qui se déchire et la douleur d’une main qui rentre en contact avec ma blessure qui me fait revenir à la réalité. Lance. Son visage est plus net, alors que je m’agrippe avec plus de force à lui. J’aurais voulu hurler, lui dire de ne pas me toucher, oui j’aurais voulu l’attaquer, m’éloigner, reprendre mes esprits, mais lorsque mes lèvres s’écartent l’une de l’autre, aucun son ne s’y échappe, absolument rien. Le liquide sa gourde s’était infiltrée dans la chair ouverte, abîmée par des dents qui avaient pourtant encore bien des similitudes avec a mâchoire humaine. Je lui avais ce sourire, le même que j’avais offert à Mathie peu de temps avant, j’allais bien, une morsure, c’était comme une plaie, ça finirait par guérir.

- « Ça va » tentais-je dans un murmure que ma vision se faisait plus trouble. « Personne ne veut me soigner, personne ne peut » ajoutais-je dans un murmure « Je suis une bannie. »

Je n’étais pas certaine d’avoir réussi à parler, je n’étais même plus certaine que tout ceci était la réalité, qui était suffisamment fou pour sortir dans les marais, qui pouvaient bien survivre à une morsure de la fange ? Personne, tout comme personne n’accepterait de venir en aide. Mon regard s’était fait plus résigner alors que je relâchais petit à petit l’emprise que je pouvais avoir sur lui. Je n’avais plus cas attendre, là, que la fange termine, ou que je trouve le courage de m’achever, ou de ramper jusqu’au village. Oui peut-être que. Lance m’avait déposé contre un arbre et je m’étais laissé faire, comme un pantin qu’on trimballe. Mon regard n’était pas rancunier, j’étais convaincue que tout se terminerait comme ça et puis, je n’étais pas seule, il y avait Mathie. J’avais du tendre la main vers elle, j’avais dû lui offrir ce sourire tendre encore. Mathie, je suis désolée je n’ai pas eu le temps de te faire pardonné des dieux. Puis ce fut le trou noir. J’allais mourir ici, mais cela ne m’importait plus pas.

---
- « Isaure, dépêche-toi. » souffla cette voix que je connaissais si bien.
- « On est vraiment obligé de se lever… »
- « Tu plaisantes j’espère ? Les pots de chambre ne vont pas se vider tout seuls »

Je m’étais prise comme bien trop souvent mes vêtements sur la tête, puis elle avait retiré les draps avant de m’offrir cette moue particulièrement boudeuse. Mathie était comme ça, rayonnante, tout mon contraire. Elle avait déjà se large sourire aux lèvres et ce regard pétillant de malice, elle était belle Mathie, si belle. Comme toujours, elle avait eu raison de moi, et j’avais fini par me lever pour enfiler ma jupe, ma chemise et mon corset. J’étais prête, elle avait attrapé ma main pour dévaler les escaliers. On avait toujours eu notre rituel, d’abord les pots de chambre, puis frotté le linge avec l’eau du puits, avant de l’éteindre. Mathie avait toujours cette chanson paillarde en tête et elle agaçait à chaque fois notre maîtresse de maison. Du coup on avait le don de la murmurer, mais là aussi, on n’arrêtait pas se faire rabrouer. J’avais attrapé le drap pour l’étendre et Mathie avait pris ma main au même moment :

- « Il n’y a qu’une chose à dire à la mort : "À demain." Tu m’entends, Isaure ? »
- « Qu’est-ce que tu racontes ? » soufflais-je en roulant des yeux.

Elle n’avait pas répondu non, elle m’avait juste offert ce sourire que je n’avais pas identifié.

---
J’avais mal, je crois, à la tête certainement, j’avais froid aussi, je crois, aux corps tout entiers, il me semble. Mes sourcils s’étaient froncés, toujours plus alors que petit à petit mon corps se remettait à bouger, alors que mes doigts se refermaient sur ma main, alors que ma conscience émergeait de l’inconscience. Sur le moment, il était impossible d’ouvrir les yeux, impossible de remettre les différents faits. Je m’imaginais volontiers aux villages des bannis, oui, dans ma petite cabane avec la toiture qui fuyait, je m’imaginais peut-être encore dans la chambre que je partageais avec Mathie, peut-être qu’à mon réveil elle serait là encore, peut-être oui. Une première douleur, celle qui nous rappelle qu’on est en vie, un nouveau froncement de sourcil, encore, celle qui dévoile qu’on est envie. Puis mes paupières avaient fini par s’ouvrir pour m’accorder cette vision d’abord floue, puis beaucoup plus nette. Les sensations, de confort, l’odeur de propre, m’avait fait comprendre que je n’étais pas au village des bannis et le silhouette à la longue chevelure brune que je distinguais un peu plus loin encore trop éloigné pas suffisamment défini pour que je l’identifie.

- « Mathie ? » murmurais-je

J’avais voulu tendre ma main vers elle, parce que cela ne pouvait être qu’elle, mais ma main avait refusé de bouger, comme attacher, ligoter. J’avais tiré plus fort, jusqu’à comprendre qu’elle était attachée et lorsque mon regard se déplaça brusquement sur la source de cette entrave, j’avais vu tous les meubles autour de moi tourner. Puis ce fut l’écho de cette voix, celle que j’étais désormais en mesure de reconnaître : Lance. Si j’étais calme jusqu’ici, la fatigue, la douleur et maintenant la peur offraient se mélange étrange, angoissant. L’évidence même me frappa, je n’avais plus mes vêtements, mais des autres, mes cheveux étaient propres, mon corps aussi, tout sentait bon, absolument tout. Mes lèvres c’étaient entrouvertes, puis refermés, mon regard c’était révolté, fixant celui qui reprenait la parole pour m’annoncer m’avoir attaché par sécurité. Par sécurité de quoi ? Il avait peur que je me rebelle pendant qu’il frottait mon corps, pendant qu’il passait ses doigts sur ce qu’il ne lui appartenait pas ? C’était ça ?!

J’avais senti mon cœur battre si fort dans ma poitrine, hurler sa haine, son incompréhension, encore, pourquoi, par la trinité qu’avais-je fait pour mériter ça ? Pourquoi ? Ma salive avait le goût d’infusion sans que je ne comprenne pourquoi, mes lèvres n’étaient plus aussi sèches que par le passé et une nouvelle douleur à la cuisse sembla me rappeler à l’ordre. J’avais laissé glisser ma main libre sous le drap, tâtonnant du bout des doigts la source de ma souffrance. La morsure. Je m’étais fait mordre.

- « Tu… Tu… m’as déshabillé et habillé et lavé ? » ma voix n’était que murmure, comme brisé par quelque chose qui ne devait pas identifier.

C’était comme me prendre le peu qu’il me restait, comme m’enlever le peu de dignité que j’avais. Il m’avait vue nue entièrement, son regard avait dû lorgner sur ma marque, ses doigts avaient dû effleurer ma peau, peut-être même en avait-il profité ? Ma respiration s’était emballée, se bloquant, me donnant cette sensation de manquer d’air, comme si quelqu’un s’amusait à appuyer sur ma poitrine aussi fort que possible, comme si des doigts venaient s’enrouler autour de ma gorge pour amoindrir l’air pouvant passer. J’avais mal d’une douleur non identifiable, j’avais peur d’une crainte nouvelle, j’étais comme un chat en cage, comme une bête sauvage qu’on essayait d’apprivoiser. Une phrase s’était insérée dans mon esprit avec autant de violence que lorsqu’on m’avait marquée comme un animal à vie « on a un enfant à élever mine de rien ». La goutte de trop, l’incompréhension, qu’avait-il en tête, que voulait-il ? Je n’étais pas une chose, je n’étais pas une esclave, je n’étais pas… Non.. J’étais pas… pas… Qu’étais-je dans le fond ? Une nouvelle fois mes sourcils avaient dû se froncer, sans que je ne sache réellement d’où me venait cette sensation, d’où me venait ses craintes, j’étais incapable de parler, incapable de me révolter et dans le fond, il y avait cette voix, celle de Mathie qui n’avait de cesse de me rappeler qu’il m’avait sauvée.

Puis le bol s’était rapproché de mes lèvres et j’avais gardé la bouche bien fermée, secouant doucement la tête pour signer ma contradiction. Puis sa voix s’était mélangée avec celle de Mathie, alors j’avais fini par entrouvrir mes lèvres, avalant une gorgée du liquide, puis une autre, le laissant m’aider à sa guise sans me révolter, sans exprimer le fond de sa pensée. Il avait retiré le bol quand j’avais commencé à tousser, certainement dû à une respiration réalisée au mauvais moment. Après plusieurs toussotements, j’avais fini par relever le visage, plus consciente que jamais, sans pour autant définir le tout parfaitement bien et aussi étrangement les premiers mots qui s’échappèrent de mes lèvres ne furent pas le moindre reproche :

- « Inconscient… » murmurais-je lentement « Merci… » ajoutais-je néanmoins hésitante.

Si je craignais le pire, si je ne pouvais retirer cette idée omniprésente et visualiser tout ce qu’il avait dû faire –dont certaine étape m’écœurait de moi-même-, je pouvais que reconnaître que sans son intervention, je serais morte. Complètement, entièrement, peut-être même serais-je déjà fangeuse. J’avais dû rester un long moment silencieuse, à le détailler sans savoir quoi dire, à tirer sur mon poignet entravé qui se faisait douloureux. Mes deux prunelles brunes/dorées avaient dû paraître insistant, cherchant des réponses à des questions que je ne formulais pas hurlant ce pourquoi si dramatique, si agonisant, si incompréhensible… Pourquoi ? Il n’était pas loin de moi, il avait dû se pencher pour m’aider à m’alimenter et dans cette proximité j’avais eu ce geste presque inconscient. Ma main libre était venue se déposer sur son visage, la joue d’abord, puis mes doigts étaient remonté le long de son front, pour redescendre le long de l’arrête de son nez, le bout de mes doigts avait souligné ses lèvres, avant de se perdre à la naissance de son menton, effleurer les poils de sa légère barbe puis définissant sa mâchoire plutôt carrée. Le tout dans ce silence si spécifique. C’était comme le mémoriser, une manière de l’apprivoiser, une manière de le questionner aussi. J’avais son odeur sur moi, à cause de ses vêtements ou autres choses que j’ignorais, j’avais son visage juste là devant moi et cette douceur dont je n’étais pas habituée. Ma main avait abandonné son occupation, l’abandonnant à cette limite d’effleurement, à cette sensation étrange, cet arrière-goût de je ne sais quoi. À quoi tu jouais, Lance ?

- « Pourquoi… » murmurais-je finalement alors que mon regard se détournait « Pourquoi… » répétais-je avec un peu plus de force « Tu l’as mise en danger » grognais-je « Mocheté » répétais-je pour être certaine qu’il comprenait « Si j’étais morte, si la Trinité avait choisi de prendre ma vie… Te rends-tu compte des conséquences ? »

J’étais marquée, doublement à présent, par la cruauté humaine et par la cruauté de la fange, si le village, si les bannis savaient j’ignorais comment ils allaient réagir ? Et moi… Comment devais-je réagir ? Je ne voulais pas la voir, je ne pouvais pas la voir et si j’avais été en mesure de pleurer, aucun doute que les larmes auraient fini par dévaler. Mais je ne pleurais plus, cela faisait bien trop longtemps que je ne pleurais plus, avais-je déjà tout épuisé, ou bien peut-être était-ce Anür elle-même qui m’avait définitivement abandonné. Était-ce un jeu cruel pour lui, me faire sentir ainsi, quelle chose cruelle à faire à dire… J’étais morte condamnée déjà et maintenant, j’étais juste morte, une morte qui ne savait pas quand elle allait mourir et qui se transformerait certainement en un monstre horrible. C’était pire que tout, pire d’être enfermée vivante, pire qu’être torturée durant des heures, pire que de voir le sang couler, j’étais marquée par la fange. Et je ne parvenais à me résoudre à en parler, à l’exprimer. J’étais attachée comme une bête sauvage, comme une bête qu’on observe, j’avais été manipulée, laver pour ressembler à ce que je devais ressembler, mais qui étais-je moi dans tout ça ?

- « La jument… et la tienne… Elles vont bien ? »

Fuyant toujours ce regard que j’imaginais accusateur, jugeant, j’avais repris la parole pour formuler ce dont je n’avais même pas pensé. C’était comme-ci mon esprit était divisé en deux, moi et le moi que je voulais montrer. Peut-être qu’il me laisserait repartir, même si j’ignorais où je pouvais aller… Peut-être, que ce n’était qu’une sécurité après tout, peut-être était-il juste inquiet, peut-être…

- « Et maintenant ? »
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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyDim 20 Jan 2019 - 18:28
Les gestes du quotidien étaient différents de tous les autres, ils étaient comme inscrit dans la chair, gravés par des années de répétitions, jours après jours, parfois depuis l’enfance. Lance avait continué à agir comme il l’avait toujours fait, il avait pris soin de sa fille et s’était occupé de ses bêtes, il en avait prêtés à des voyageurs, avait fait quelques échanges au village, ou bavardé un peu avec des connaissances, vieilles ou plus récentes, et personne n’avait rien vu. Personne ne se doutait que plusieurs fois par jour et par nuit, il montait dans l’ancienne chambre de ses parents pour s’occuper d’une bannie, une bannie mordue, une bannie mourante qui, à tout instant, pouvait devenir une fangeuse et réduire sa vie à néant. Il avait gardé son sourire habituel, ses gestes si familiers, mais ses pensées se tournaient vers Isaure en permanence. Elle souffrait, et il souffrait avec elle. Dans les pires moments, il se trouvait monstrueux, inhumain de la laisser vivre, égoïste aussi. Elle était marquée, deux fois, tout dans son passé et son avenir était incertain. Mais il avait tenu bon.

Que ressentait-il pour elle ? C’était typiquement le genre de questions qu’il évitait en général. Depuis aussi longtemps qu’il se souvenait, il avait toujours été confus sur ce terrain-là. Amour, amitié, il y avait si peu de mots pour décrire un sentiment si vaste, si profond. Il en aurait fallut des milliers, et encore, ça n’aurait certainement pas suffit. L’éventail de ses sentiments était si large, si déroutant, qu’il s’y perdait à chaque fois qu’il tentait d’en saisir ne serait-ce que la substance. C’était peut-être pour ça qu’il aimait tant les animaux, sans être moins riches de nuances, ils avaient cette espèce de sincérité brute, claire et lisible, qui rendaient les choses tellement plus simples. Alors, Isaure, oui, il l’aimait, s’il fallait le dire, mais était-ce vraiment nécessaire ? Il n’y avait que l’amour pour expliquer cet espèce de désengagement pour sa propre existence, ce sacrifice plein et entier. Ses pensées, ses envies, ses gestes, il n’y en avait plus que pour elle et Aurore. Ils pouvaient aussi bien être les dernières personnes sur ce monde qu’il ne verrait pas la différence.

C’était un sacrifice, parce qu’il n’attendait rien en retour. Pas son corps, certainement pas son corps, mais pas non plus ne serait-ce qu’un regard. Elle allait le haïr, elle allait porter cette marque à vie à cause de lui, alors oui, elle lui hurlerait au visage, et elle partirait, mais elle allait vivre. Elle serait blessée par un autre, elle trouverait quelqu’un, peut-être, ou quelque part où vivre, ou ce qu’elle cherche, quoi qu’elle puisse chercher, mais elle allait vivre. Elle serait blessée, souvent, mais se relèverait parce qu’elle allait vivre. Et même quand elle aura oublié de lui jusqu’au moindre détail, il continuera de l’accompagner dans chacun de ses gestes, parce qu’il allait l’aimer. Profondément, stupidement, obstinément.

Isaure venait de murmurer quelque chose qu’il n’avait pas compris. Quelque chose de court, un nom, peut-être, mais pas le sien. Il avait continué à parler, sans prêter grande attention à ce qu’il racontait, c’était sans importance à ses yeux. L’important, c’était qu’elle réagisse, qu’elle lui montre qu’elle était toujours là. Il avait tendu l’oreille lorsqu’elle avait rouvert la bouche pour ne rien rater cette fois, et elle lui fit remarquer qu’il l’avait lavée. Il sentit alors ses joues chauffer de gêne. Lance avait vu bien des choses d’Isaure que seul un mari aurait du voir, il l’avait vu dormir, il l’avait vu délirer, souffrir, et oui, il l’avait déshabillé et lavé, sur ce lit, avec un linge humide. À aucun moment ce ne fut un plaisir, le corps des femmes était sacré, on y touchait pas, pas comme ça. Il n’avait pas voulu la salir de ses mains ni la déshonorer, mais elle était si couverte de boue et de sang qu’il avait bien dû faire quelque chose. Puis elle le traita d’inconscient, et il eut l’impression que quelque chose se libérait dans sa poitrine, comme si on lui avait comprimé le torse pendant des jours, et que soudain il pouvait respirer à nouveau, laisser son cœur battre vraiment.

Sa respiration s’était accélérée, mais en dehors de ça Lance restait immobile, légèrement penché sur elle pour être sûr de l’entendre si elle parlait à nouveau. Était-ce juste un aparté ? Un instant béni offert par les Dieux avant qu’elle ne sombre encore ? Sa main vint doucement effleurer son visage et il ne fit rien pour l’arrêter, se contentant de la regarder avec encore plus d’intensité. Ce contact lui en rappelait bien d’autres, des moments volés, des moments de fièvre et de désir, des moments de calme et de jeu. Que signifiait-il, aujourd’hui ? Leurs retrouvailles ? Isaure s’était remise à parler, d’Aurore, des Dieux, des conséquences, des chevaux, mais il ne faisait que la regarder, et sentait toujours sa main sur sa peau. Et maintenant ? C’était une question très pertinente, mais qui lui parut complètement caduque.

« Tu es en vie, et je te jure que reviens de loin. Savoure-le une seconde. » Il parlait aussi doucement qu’elle, pas volontairement, juste qu’il n’arrivait pas reprendre le contrôle de sa respiration. Son premier geste fut de poser son bol, puis de se pencher un peu plus sur elle pour la détacher. Il se sentit quand même obligé de s’expliquer un peu en même temps. « Je n’ai rien fait de… bizarre. Ça ne me serait même pas venu à l’idée, tu étais mourante. J’ai juste fais ce qui me semblait le mieux, avec autant de respect que possible. Je te le promet. »

Il se sentit quand même gêné. Il l’avait touché, ils le savaient tous les deux, et ce n’était pas très confortable. Aussi passa-t-il vite aux autres sujets.

« Aurore va très bien. On va tous bien. Je sais… Je sais que ça aurait pu très mal se passer. J’ai eu tout le temps d’y penser, tu peux me croire, mais ça va. Tout va bien. » Il avait l’air de prendre la mesure de la chose à mesure qu’il la répétait. Oui, tout allait bien pour eux, cette mésaventure ne s’était finalement pas trop mal terminée. « Les chevaux vont bien aussi. Je n’ai pas encore nommé la petite nouvelle, j’ai pensé que tu pourrais le faire quand tu irais mieux. Enfin, si tu veux, sinon ce n’est pas grave. »

Le jeune homme se stoppa alors de façon un peu abrupte, dans un espèce de soupir mal contrôlé. Il parlait de chevaux, vraiment. La joie de voir Isaure revenir à elle l’avait porté quelques minutes. Ils auraient sans doutes pu parler de tout et de rien encore un moment, ignorant l’ombre immense qui flottait au-dessus d’eux. Mais les remords de Lance, qu’il n’avait cessé de nourrir depuis qu’il avait vu la bannie blessée, le frappèrent aussi brutalement qu’un coup de poignard. Il baissa les yeux un moment, avant de murmurer.

« Je suis tellement désolé. Tu savais depuis le début que c’était de la folie, tu m’avais averti. Moi je ne savais rien et je t’ai entraîné là-dedans quand même. C’est moi qui devrait être dans ce lit. »

On pouvait presque croire qu’il pleurait en entendant sa respiration, mais Lance ne versait aucune larme. Son père lui avait appris à se maîtriser de façon brutale, mais pourtant, aujourd’hui, la douleur était difficile à cacher.

« Je ne sais pas ce que tu veux faire, ce que tu peux faire, maintenant. Mais tu as payé beaucoup trop cher pour une erreur que j’ai commise. Je t’aiderais, vraiment, je ferais tout ce que je peux. Je ne sais pas si faire des promesses à toujours de la valeur dans ce monde de fous, ou s’il reste encore de la place pour l’espoir, mais je serais là pour toi. » Il soupira à nouveau, de façon un peu plus maîtrisée. Le problème était toujours le même, il n’avait aucune idée de la façon dont les bannis se débrouillaient pour survivre, et avec la fange tout était devenus complètement incertain. Il serait bien bête de penser qu’il pourrait assurer un avenir durable à la jeune femme, mais il la soutiendrait de toutes ses forces malgré tout. « Tu risques de te sentir affaiblis encore un bon moment, je n’ai jamais vu une maladie frapper aussi fort, aussi vite. Si tu n’as pas d’endroits plus sûr où aller, tu peux rester ici autant qu’il le faudra. Peut-être que quand tu iras un peu mieux, je pourrais t’apprendre à monter. Un cheval te faciliterait la vie, ce serait un bon début, enfin, je crois. »

Un début à quoi ? Il ne savait pas trop lui même. Alors qu’il avait détourné le regard pour fixer ses mains, ses yeux verts osèrent à nouveau se poser sur Isaure. Il la regarda un long moment, silencieux, avant de lâcher.

« Je suis vraiment content que tu t’en sois sortie. »

C’était bien plus que ça, sa vie était restée entre parenthèses pendant toute sa convalescence, mais il n’avait pas envie d’en dire trop. Non seulement ce n’était pas le moment, mais il ne voulait pas lui faire peur. Les sentiments des autres avaient quelque chose d’effrayant, non ? Le plus important, pour l’instant, c’était qu’elle se repose, le reste viendrait, ou pas. Ce n’était pas ce qui comptait le plus à ses yeux.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyLun 21 Jan 2019 - 0:19
J’avais retiré de ma main de son visage, découvrant cette proximité étrange, ce regard qu’il portait sur moi et celui que je portais désormais sur lui. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, je le sentais, j’avais peur comme lorsqu’on fait face à un danger qu’on ne connaît pas, qu’on n’identifie pas. Mon regard avait dû finir par se détourner, cherchant mocheté, j’avais envie de la voir, oui, de vérifier qu’elle allait bien. C’est sa voix à lui qui m’avait sortie de mes pensées et naturellement mes deux prunelles c’étaient reporté sur lui, mon visage c’était légèrement relevé pour l’écouter alors qu’il se penchait vers moi. Ses doigts avaient effleuré mon poignet, jusqu’à me libérer de cette entrave qui me gênait. Instinctivement, je m’étais reculée, oui, je m’étais éloignée de lui et cette proximité. Les mots se bousculaient dans mon esprit, les questions aussi, alors que je n’osais toujours pas toucher ou effleurer ma nouvelle marque.

J’avais l’impression que nos rôles s’étaient inversés, c’était Lance qui me recadrait, me demandant de savourer le fait d’être en vie et je n’avais pas su quoi lui répondre. Devais-je réellement être heureuse d’être en vie, d’avoir ce second marquage, de porter sur ma chair ce dénigrement, ce renoncement, cette condamnation bien pire que la promesse des plus belles morts. Il était parti ensuite dans cette explication maladroite, celle qui m’inquiétait, qui me rongeait. Inutile de mentir, il m’avait vue entière, sans le moindre vêtement, ses doigts avaient parcouru ma peau, son regard avait dû scruter ce corps, mon corps malmené par sa propre existence.


- « Tais-toi.. Ne dis rien.. Ne dis rien » soufflais-je maladroitement, douloureusement.

C’était brutal d’imaginer ses doigts sur ma peau, sa paume rouler sur mon corps, son regard caresser mes plaies, mes cicatrices. Gênant terriblement gênant et à mesure que mon regard se déposait sur les responsables de tout ça, les images se bousculaient dans mon esprit, violemment, fortement. Mes joues avaient dû s’entacher de cette couleur si significative, mi-rouge, mi-rose et encore une fois, mon regard avait fui sa présence, imaginant naïvement que si je ne le voyais plus, il ne serait plus là. Puis ce fut des paroles réconfortantes, mais qui trahissaient dans le fond son état d’esprit, il s’était inquiété, réellement sincèrement et c’est dans une grimace et un léger couinement que je m’étais retournée brusquement vers lui. Là, dans une distance moins raisonnable, j’avais dû le détailler davantage, cherchant dans sa barbe, dans le début de ses rides, dans les poches de fatigue sous ses yeux, dans le fond de ses prunelles des réponses à des questions que je ne formulais de nouveau pas.

Puis ce fut le silence, aussi soudain que la disparition de bruit quand la fange est là. De cette manière surprenante et encore une fois, mes sourcils avaient dû se froncer alors que ma vision commençait déjà petit à petit à se flouter. Derrière lui, l’ombre de Mathie semblait me regarder, était-elle en vie finalement ? Tout ça n’était-il que le fruit de mon imagination ? La chaleur commençait à gagner mon corps, mes membres et c’est presque naturellement que j’étais venue déposer ma main sur mon front, comme pour vérifier la certitude que j’avais déjà. Plus le temps s’écoulait, plus je sentais la fatigue m’envahir et pourtant, je tenais bon, récupérant le fil de la conversation. Secouant doucement mon visage de droite à gauche pour dévoiler ma contestation.


- «Shhht. » commençais-je « Tu as mocheté toi, jamais tu ne devras être dans cette situation. Personne ne pouvait savoir ce qui allait se produire, si tu veux survivre il faut prendre des risques.»

A la fin de cette phrase, j’avais dû paraître essoufflée et le son de sa voix avait fini par me faire douter. Pleurait-il ? Incapable de distinguer convenablement le tout, je m’étais de nouveau rapprochée, j’avais de nouveau posé cette main bouillante juste en dessous de ses yeux, pour vérifier simplement. Le contact avait été furtif néanmoins, une simplement vérification. J’avais repoussé les draps, me décalant pour m’installer au bord du lit du côté opposé de sa position. Ce n’était pas une bonne idée, j’en avais conscience, mais j’avais besoin de savoir, de me tester : à quel point avais-je besoin de repos ?

- « Cesse donc d’être stupide tu veux » grognais-je certainement à cause de la colère intérieure qui me rongeait « Tu ne seras pas là, Lance, parce que je suis bannie et que tu es un homme bien, que tu as une fille à protéger et que je ne suis rien. Rien ni personne, juste une ombre, tu comprends ? » je lui en voulais de ses belles paroles, je lui en voulais de m’avoir sauvé la vie, de m’avoir offert cette seconde vie pire que la précédente « Ne fais pas de promesses que tu ne peux pas tenir Lance, jamais… »

Puis il m’avait parlé de la monture, d’apprendre, oui, ça m’aurait bien plus, mais un cheval ne serait pas heureux en ma compagnie, finirait-il dévoré par les crevants de faims dans le village. Je m’étais redressée soudainement, prenant une impulsion à l’aide de mes deux paumes sur le lit et ce fut le plus gros choc de ma vie. Je n’avais pas tenu une minute, presque immédiatement ma vision c’était brouillé, presque immédiatement ma cuisse c’était fait dévorante de douleurs et au moment où il m’avait dit être heureux que je m’en sois sorti, tout mon corps s’était effondré sur le sol. Ma petite taille avait permis d’amortir l’ensemble, je ne tombais pas de bien haut. Néanmoins, ce fut le premier gémissement de colère, de révolte qui dû s’extirper de mes lèvres alors que je tentais de me relever, de me redresser, les bras tremblants, le regard ailleurs et quelques choses d’étranges s’extirpant de mes yeux pour longer mes joues et s’écraser sur le par terre de la pièce.


- « T’approche pas » grognais-je la voix tremblotante « T’approche pas » grognais-je davantage et puis ce fut cette phrase violente, qui devait très certainement dépasser ma pensée « Tu aurais dû… Tu aurais dû me tuer… Regarde-moi, regarde-moi bordel… »

Je n’avais pas réussi à terminer ma phrase, pas réussi à lui cracher cette rancœur que je n’éprouvais que contre moi face à ma faiblesse, à mon incapacité à repartir, à mon angoisse de ne plus arriver à survivre, à être dépendante. Puis ce fut l’obscurité encore, celle de l’inconscience qui reprend ses droits, celle d’un corps qui s’effondre et qui se laisse transporter sans être en capacité de lutter, de se rebeller et ça faisait mal terriblement mal.

Dis-moi Lance, est-ce que tu m’aideras encore demain et après demain et après après après demain… J’ai froid tu sais, terriblement froid… Oui, c’est sans doute ce que j’aurais dû lui dire, lui murmurer, mais comment s’exprimer convenablement quand on est quelqu’un comme moi, personne et tellement de personnes à la fois.


----

Vous savez docteur, je n’ai jamais voulu devenir ce que je suis, oh ne demandez pas ce que je suis, écoutez plutôt tout ce qu’on dit de moi. Oui, docteur, les gens parlent, les gens savent mieux que vous-même ce que vous êtes ou ce que vous n’êtes pas. Si ça m’agace ? Je n’en sais rien. Je ne suis pas faite pour penser, on n’a de cesse de me le répéter, je ne suis qu’une meurtrière n’est-ce pas ? La dernière fois, vous m’avez demandé ce que je voyais dans la représentation du lit et je vous avais dit toutes ses choses horribles. Aujourd’hui, je pense que c’est d’autant plus vrai Docteur, on vient au monde dans un lit, dans le sang de sa mère, on s’allonge pour écarter les cuisses pour qu’on s’immisce en notre for intérieur, qu’on tambourine avec tant de force. Ooh oui je sais docteur, on dort aussi, oui on dort avec la peur au ventre que ça recommence docteur, avec cette envie de hurler… Et vous savez, maintenant que je suis là, dans ce lit que je redoutais tant, celui qui me faisait peur, celui qui me donnait envie de vomir et j’attends, j’attends la mort docteur.

J’étais sortie de mes pensées quand j’avais entendu le bruit des escaliers, lorsque l’heure de cette rencontre que j’attendais finalement avec impatience. Lance venait me voir dans cette chambre que j’avais appris à connaître dans le moindre détail. J’allais un peu mieux qu’hier, certainement moins bien que demain, mais ma rancœur avait commencé à se dissiper. Je culpabilisais même de m’être ainsi comportée avec lui et c’est plus redressé, dans cette position demi-assise que je l’attendais. J’avais une idée en tête, loufoque très certainement, incompréhensible pour lui, mais cela devenait une nécessité. La porte avait fini par s’ouvrir et à peine avait-il dû se trouver dans la pièce que j’avais pris la parole :


- « Excuse-moi, pour hier… » murmurais-je en détaillant le bout de mes doigts qui trituraient le drap « Je n’aime pas les lits, je n’aime pas… C’est dur de ne pas réussir.. Enfin.. » soufflais-je à demi-mot.

Je ne parle pas avec lui aussi facilement qu’avec vous Docteur, mais je me dis que ça viendra. Je n’avais pas le droit de le faire endurer ma propre colère contre moi-même, c’était une évidence, une certitude. J’avais relevé mon visage vers lui, offrant ce sourire pincé, un peu forcé. Mon visage devait paraître fatigué, mes mauvais rêves étaient revenus me hanter et mes temps de repos étaient de nouveau agités.

- « Est-ce que tu… » je ne savais pas comment le formuler, mais j’avais besoin de me confronter à ma cicatrice « Je voudrais me laver, tu penses que tu pourrais m’aider à me déplacer jusqu’à ta bassine… »

J’ignorais pourquoi, mais le fait de me montrer si faible face à lui me dérangeait. Je ne voulais pas être ce genre de femme, je n’avais jamais été ce genre de femme. Cela ne devait pas être beau à regarder, pas beau à contempler, je me sentais pitoyable, aussi vide qu’une coquille, peut-être même aussi vide qu’un fangeux. Prenant une légère inspiration, j’avais fini par faire le même rituel, pousser les draps, m’installer au bord du lit, mais cette fois, oui cette fois ça allait fonctionner parce que je m’étais entraînée toute la nuit pour ça. Je lui avais fait signe de ne pas venir tout de suite et dans le même élan, je m’étais retrouvée debout et je lui avais souri victorieusement. J’avais fait un pas vers lui avant de lui tomber dans les bras, seule, c’était encore un peu trop tôt, mais cela viendrait, j’en étais convaincue. Contre lui malgré moi, je lui avais finalement murmuré :

- « C’est moi qui te dois beaucoup Lance, pas l’inverse, je suis vivante parce que tu m’as aidé… Alors, promets-moi d’accepter mon aide pour te payer tout ça… Dès que je serais en capacité, j’irais chercher les autres chevaux que tu voulais, je t’en fais la promesse. »
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Lance Damboise



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyMar 22 Jan 2019 - 13:18
Isaure, l’insaisissable Isaure était bel et bien de retour, et son discours avait un peu changé. Prendre des risques pour survivre ? C’était avec cet état d’esprit que Lance s’était rendu dans le marais, persuadé que ça valait le coup. Même s’il faisait aussi pousser des légumes, sa ferme ne serait rien sans animaux, et il en avait perdu beaucoup. Mais n’y avait-il pas perdu plus qu’il y avait gagné, au final ? Il aurait volontiers rendu le cheval si ça avait pu redonner sa santé à la jeune femme. Isaure était épuisée, et quand elle posa brièvement ses doigts sur sa joue, il la senti brûlante. Pourtant, elle essaya de se redresser sur le lit, s’approchant du bord, Lance se leva aussitôt, sentant venir le problème. Elle était en colère, elle ne voulait pas de ses promesses, et elle ne voulait surtout pas rester là. Même s’il avait imaginé que ça se passerait comme ça, il comprit vite qu’il ne s’y était pas vraiment préparé.

« Isaure… »

Elle avait essayé de se lever, et bien sûr ça n’avait pas marché. C’était beaucoup trop tôt. Où pensait-elle aller comme ça ? Lance avait contourné le lit pour venir l’aider, mais s’arrêta lorsqu’elle lui grogna de ne pas approcher. Elle était furieuse, triste, apeurée peut-être, et il ne savait pas comment réagir. C’était un problème qui ne se réglerait pas avec des mots, en tout cas, lui ne trouva rien à dire. Elle en profita pour l’achever en lui disant qu’il aurait dû la tuer. Sa bouche devint aussitôt très sèche, tout comme ses yeux. Il avait l’impression de s’être pris un grand coup en pleine tête. Était-ce la douleur qui la faisait parler ainsi, ou le pensait-elle vraiment ? Avait-il était égoïste, au final ?

Elle s’était évanouie, et Lance s’approcha alors pour la remettre au lit. Il retira les couvertures et descendit rapidement, posant le bol de soupe au milieu de son bazar, avant de revenir déposer un linge humide pour la rafraîchir à nouveau. Il resta un peu dans la chambre, la regardant, pensif, ses dernières paroles tournant dans sa tête. Elle n’allait pas mourir, pas physiquement, maintenant qu’il l’avait vu reprendre conscience il en était sûr, ça ne servait plus à rien de l’attacher, mais mentalement, c’était autre chose. Il était clair que ni lui, ni personne, ne pouvait la sauver d’elle-même. Si elle avait perdue l’envie de se battre, son avenir promettait d’être bien sombre.

Après un moment, Lance partit dans sa propre chambre. Elle était un peu plus grande que celle de ses parents, un grand lit de bois très sombre occupait la majorité de l’espace, ainsi qu’une énorme malle où il rangeait la plupart de ses affaires. Il y avait aussi une armoire, mais elle contenait les affaires d’Ariane et il ne l’avait ouvert qu’une seule fois depuis sa mort, pour prendre la longue chemise de nuit qui habillait maintenant Isaure. Au pied de l’armoire, bloquant l’ouverture, il y avait un petit lit très bas, où dormait Aurore. Il avait dû frapper à beaucoup de portes, et demander aux gens de fouiller leurs greniers pour en trouver un. Le lit serait encore bon pour elle quand elle aurait quatre ou cinq ans, du coup elle paraissait bien petite, posée là-dedans. Elle dormait, mais il ressentit le besoin de la prendre dans ses bras, la berçant doucement en murmurant un air. Il finit par s’installer sur son lit sans pour autant la lâcher.

Tu aurais dû me tuer. Lance rouvrit les yeux sur ses mots, Aurore ne dormait plus, occupée à suçoter un bouton de sa veste. Elle était mouillée, et du coup lui aussi, ce qui le fit un peu grommeler. Il se leva et alluma une bougie pour s’occuper de cet accident, changeant la petite et se trouvant une chemise propre dans sa malle. Il faisait nuit noire quand il retourna voir Isaure, elle avait pas mal bougé dans son sommeil, et sa fièvre avait baissée. Lance rabattit donc les draps sur elle, et remit des braises dans la chaufferette qu’il avait posé sur la table de chevet pour maintenir un peu la température. Il ne put s’empêcher de se dire qu’elle avait l’air bien angélique lorsqu’elle dormait, ce qui le fit légèrement sourire. Il n’allait pas s’excuser. Elle pourra faire tout ce qu’elle voudra. Il n’allait pas se reprocher de l’avoir laissé vivre.

Il fut un peu occupé ce matin-là, les pommes de terre qu’il avait laissé germer dans sa cave étaient prêtes à être mise en terre. Il fallait préparer le sol en le cassant sur une trentaine de centimètres de profondeur histoire qu’elle poussent bien. Enfin, le plus dur était surtout de parvenir à faire bosser les quelques paysans qu’on lui avait envoyés en renfort. Il ne savait pas combien d’entre eux avaient été embarqués au Labret de force, mais la productivité n’était pas leur objectif principal. Après quelques heures à retourner la terre en écoutant des plaintes et des blagues grivoises, dont une partie tournait autour de sa chevelure, Lance retourna chez lui pour nourrir la petite qui commençait à s’agiter dans son dos. Repue, Aurore s’endormit ensuite dans son panier, près de la cheminée, et il se lava un peu les mains et le visage avant de monter voir Isaure.

L’ambiance fut nettement différente, Isaure était parvenue à s’asseoir plus ou moins sur le lit, et elle prit la parole aussitôt qu’il entrait dans la pièce. Elle aussi semblait avoir pas mal réfléchit.

« Ce n’est rien. Je sais que c’est difficile. »

S’il avait encore beaucoup à apprendre sur elle, Lance avait bien compris qu’Isaure n’était pas de ses femmes que l’on peut retenir, et encore moins couver. Sa réaction en voyant qu’elle ne pouvait pas encore marcher en était une preuve parmi d’autres. Il ne fallait pas qu’il s’habitue à sa présence, il aurait mieux valut qu’il ne s’y attache pas non plus, mais on ne peut pas toujours tout contrôler dans la vie, alors il fallait qu’il s’endurcisse encore. Parce qu’elle allait partir, et qu’il n’allait rien faire pour l’arrêter. C’était comme ça, même parmi les chevaux il y en avait qui demeuraient sauvage malgré tous les efforts de dressage possibles. Et si certains pouvaient user de méthodes bien cruelles pour faire plier la nature, lui préférait ne pas forcer les choses. Mais Isaure n’était pas encore partie, pour l’instant elle avait besoin de son aide, et il lui sembla qu’ils avaient fait un pas dans la bonne direction quand elle osa enfin lui en demander.

« Bien sûr. »

Lance s’était approché d’elle, mais compris vite qu’elle voulait se lever seule et la laissa faire, jusqu’à ce qu’elle lui tombe dans les bras et qu’il puisse l’attraper. Là aussi, ce fut bien différent de la fois où il l’avait aidé à monter sur Lissandre. Il l’écouta alors et ne tarda pas à hausser les sourcils, l’air clairement surpris. C’était limite s’il n’avait pas ouvert la bouche en grand. Au lieu de ça, il était resté silencieux une longue seconde, avant de lâcher.

« Tu es folle. » Il posa brièvement le dos de sa main sur son front, avant lui effleurer le menton. « Et tu n’as pas assez de fièvre pour que ce soit une excuse. J’ai une très mauvaise influence sur toi » Cela dit, il ne put retenir un sourire. « On ira ensemble, mais pour l’instant on doit descendre alors, désolé. »

Lance la prit sous les épaules et sous les genoux, et la souleva du sol. Il descendit les escaliers et l’installa sur son fauteuil près de la cheminée, Aurore dormait toujours dans son panier près de là, son jouet posé sur elle. Le feu mourrait dans l’âtre, il le réveilla de quelques bûches, et vint accrocher une grande marmite d’eau dessus. Avec une pelle et un seau, il récupéra aussi une belle quantité de braises, et s’en servit pour mettre en route le potager de pierre de sa cuisine, et y poser là aussi une grande casserole d’eau. C’était toujours plus agréable d’avoir un peu d’eau chaude en cette période de l’année.

« Je vais te préparer tout ce qu’il te faut. »

Le rez-de-chaussée de la maison était une grande pièce grossièrement divisée en quatre, en entrant, on tombait sur un salon sommaire, juste deux fauteuils et un tapis rassemblés près de la cheminée. Sur la droite, on trouvait un espace cuisine plutôt fonctionnel, avec un grand plan de travail et un cellier attenant. Au fond, derrière l’escalier abrupt, se trouvait par contre un espace de terre battue un peu bâtard, sans véritable fonction. Pendant longtemps, c’était là qu’avaient dormi les chiens, et même parfois leur vache ou leur chèvres. L’hiver, cela servait à étendre le linge quand il pleuvait trop, et parfois, à faire sa toilette sans trop s’éloigner du feu. Après être revenu de Marbrume, Lance y avait aménagé un genre de salle de bain, enfin, le mot était un peu fort, c’était surtout un grand bac en bois posé sur une couverture usée, et caché derrière un draps suspendu qui délimitait l’espace.

C’est là qu’il commença à s’affairer, allant d’abord chercher deux pleins seaux d’eau au puits pour les verser dans le bac, puis un grand draps de bain, des vêtements de rechange, du savon à la cendre, des petits carrés de tissus pour se savonner, un grand pichet pour se rincer, et une brosse à cheveux. Après avoir tout posé sur une petite table près de la baignoire, il constata que la pièce s’était un peu réchauffée grâce au feu, et revint vers le salon pour vérifier que l’eau chauffait bien. Il eu un sourire en voyant des bulles qui commençaient à se former.

« Le cheval blessé que tu as vu, était-il amaigri ? Est-ce qu’on voyait beaucoup ses côtes, ou les os de ses hanches ? » Lance leva les yeux vers Isaure, l’air pensif. « Ces marais ne sont pas un endroit sain pour un cheval. Ce sont de gros animaux, il ont besoin en grande quantité d’une nourriture de qualité, sinon ils meurent à petit feu. La jument qu’on a trouvée est déjà un peu trop maigre, même si ça n’est pas inquiétant. On ne risquera pas nos vies pour un cheval mort. Si on ne peut ramener les deux chevaux que tu as vu, alors ça n’en vaut pas la peine. Ne tente pas de les retrouver, je ne t’ai pas soigné pour que perde la vie aussi bêtement. »

Oui, c’est vrai, il avait pensé sérieusement à retourner dans le marais pour trouver les deux chevaux restant. Oui, imaginer ses bêtes mourant lentement de faim dans ce dédale de boue et d’arbres lui faisait de la peine, et oui, c’était un idiot, mais un idiot qui réfléchissait quand même. Après avoir passé une main au-dessus de la marmite, Lance sembla estimer que c’était bon, puisqu’il attrapa la poignée et la sortit du feu avec quelques difficultés. Il la vida ensuite dans le bac, faisant de même avec la casserole bouillante, et trempa un doigt dans l’eau pour s’assurer qu’elle était à la bonne température. Ça lui semblait parfait, alors il retourna chercher Isaure, lui tendant un bras.

« Appuie-toi contre moi, et si ça ne va pas je te porte. » Une fois qu’elle fut assise près du bac, Lance observa l’eau en se passant une main dans les cheveux, l’air de réfléchir. « Ce serait plus simple pour toi d’entrer et sortir si je te met un tabouret dans le bac aussi, non ? C’est comme tu le sens. »

Après lui avoir ou non ajouté un tabouret, le jeune homme la laissa tranquille. Il retourna prendre Aurore dans ses bras, et bien qu’il fut impossible de voir quoi que ce soit de là où il était, il préféra partir encore plus loin en sortant un moment de la maison. Il passa rapidement devant ses chevaux, et essaya d’initier la petite aux travaux de la ferme en la présentant à ses chèvres. Il n’eut qu’à se baisser pour que tout un tas de museaux curieux vienne l’encercler. Carpette, une chèvre ridiculement petite, était la plus intéressée par le bébé, et tenta de lui grignoter les orteils. Il passa ensuite près du potager, où de belles lignes de terre retournée s’étiraient sur toute la parcelle, et après avoir expliqué avec moult détails pourquoi le sol d’ici était si riche, et qu’un jour, tout ça sera à elle, Lance revint sur ses pas. Ça ne faisait pas si longtemps qu’il était partit, alors il s’installa un moment sur une balançoire bancale accrochée à un arbre. Il l’utilisait déjà quand il était enfant, et elle grinçait maintenant de façon inquiétante, alors il n’insista pas beaucoup.

« Tout se passe bien ? »

Lance avait lancé sa question depuis la porte sans oser jeter un regard à l’intérieur, juste au cas où. Il n’avait vraiment aucune envie de la voir nue par inadvertance, mais s’inquiétait un peu. Et si elle faisait un malaise dans l’eau ? Il ne manquerait plus que ça.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyMar 22 Jan 2019 - 23:09
Il savait que c’était difficile, la phrase s’était répercutée longuement dans mon esprit, comme un petit poignard qui pique encore et encore et encore. Il savait. J’avais quelque doute sur la question, lui qui ignorait tout de mon passée, qui devait peut-être s’imaginer bien des choses à mon sujet : quelles rumeurs avait-il entendues, la meurtrière, l’effacée, la catin, la manipulatrice, la faible ? J’avais presque autant de personnalité que de murmure me concernait et lui il me disait qu’il savait. Il avait un toit sur la tête, une enfant, des animaux, une vie. Ce que je ne pourrais jamais posséder, l’unique chose qui me permettait encore de vivre, c’était le silence, ma discrétion, mon agilité et maintenant que me restait-il de tout ça ? Pas grand-chose. La patience n’était pas une de mes plus grandes qualités, je devais bien l’avouer et à chaque fois que je le tenais pour responsable de quoi que ce soit, c’était un véritable vent de culpabilité qui me prenait. Secouant doucement la tête, je lui avais offert un sourire. Il savait. Je ne devais pas réfléchir plus loin et lui offrir une chance de comprendre.

- « Merci… »

Ce n’était pas évident de laisser quelqu’un s’approcher, de le laisser nous voir, nous entendre, nous sentir. Il c’était approché pour m’aider et j’avais légèrement levé une main, je ne voulais pas, je ne pouvais pas, pas comme ça. C’était important à mes yeux d’essayer, de parvenir seule à faire mes progrès, même si petit à petit, j’acceptais de le voir s’approcher. J’avais dû réussir à faire un pas, peut-être deux avant de lui tomber dans les bras. Mathie m’aurait dit que j’utilisais sa fameuse technique du rentre-dedans et ça m’aurait fait rire, mais ce n’était pas le cas. Je voulais survivre, simplement, sans lui faire peur. Mes doigts s’étaient serrés légèrement autour de ses avant-bras, pour me permettre de me redresser et j’avais mis tout mon poids sur ma jambe saine. Le temps de lui faire cette promesse ridicule à ses yeux, mais qui comptait énormément pour moi. Il avait déposé le dos de sa main sur mon front avant de me traiter de folle et j’avais froncé les sourcils en gonflant légèrement les joues, réflexe que j’avais quand j’étais un peu contrariée.

- « Tu dis ça parce que je suis bannie c’est ça ? » même si la phrase était forte, la sonorité de ma voix était bien teintée d’un humour maladroit « C’est moi qui ai une très mauvaise influence sur toi Lance. Je pense qu’on a suffisamment de problèmes comme ça, une morsure sur une personne ça suffit. Je sais que tu veux me copier, mais quand même, je t’assure ton corps sera tout aussi beau sans morsure. »

Je lui avais offert un sourire maladroit, le genre de sourire que j’avais dû savoir-faire à une époque, mais que je n’avais plus fait depuis très longtemps du temps sans être dans un état d’ivresse important. Je n’avais pas vraiment eu le temps de réagir au reste, que je m’étais retrouvée dans ses bras, là juste contre lui et comme à chaque fois la totalité de mon corps s’était raidie. C’était comme instinctif, comme-ci la totalité de mon être se souvenait de quelques choses que je ne parvenais pas à réaliser pleinement ou que j’avais préféré oublier moi-même. Pour autant, j’avais essayé de faire un effort –encore-, passant un bras autour de son cou, déposant ma tête contre le haut de son épaule, sans oser faire davantage, sans oser bouger, sans parvenir à me détendre non plus. C’était comme attendre que le mauvais moment passe, sans pour autant l’identifier clairement comme un mauvais moment. En bas je m’étais retrouvée non loin d’Aurore, sur le fauteuil proche de la cheminée et j’en avais complètement occulté la présence de Lance. Me penchant légèrement, j’avais fini par me retrouver sur le sol, sans brusquerie, pour m’approcher de mocheté.

- « Heyyyyyy, mocheté… » fis-je dans un murmure en passant une main sur son petit présent, mes doigts effleurant sa bouille de bébé que j’aimais tant « Tu es belle tu sais quand tu dors… Entre nous, tu sais petite, ton père à quelque mimique d’expression je suis certaine qu’il les conserve même quand il dort… Ne l’imite pas surtout tu risquerais d’attraper vite des petites rides… Il faut ne pas lui dire… Mais ça va finir par se voir. »

Ma voix était douce et même si j’avais conscience que dans son sommeil elle ne risquait pas de m’entendre, je ne pouvais pas m’empêcher de lui parler. J’avais eu envie de la prendre dans mes bras, de la bercer, de toucher le bout de son nez et de m’imprégner de son odeur si particulière –quand elle sent bon, parce que les changes, je laisse ça volontiers à Lance-. Puis mon attention avait fini par se reporter sur le maître de maison, je le regardais s’agiter tout en détaillant son lieu de vie avec une certaine envie. C’était presque douloureux, presque déstabilisant : je n’aurais jamais tout ça, jamais, à cause d’une marque, de deux marques. Mes yeux s’étaient gorgés sans que je ne puisse retenir quoi que ce soit et je profitais de son inattention pour essuyer d’un revers de main ma sensibilité nouvelle. La fatigue certainement.

- « C’est agréable chez toi tu sais, tu as plutôt bon goût et c’est plutôt propre pour quelqu’un vivant seule avec un bébé… » ma voix c’était fait un peu plus forte, afin d’être certaine qu’il puisse m’entendre.

Mes mains continuaient à câliner le petit être que je m’empêchais de regarder pour ne pas tomber définitivement sous le charme. Puis la conversation avait tourné sur les chevaux des marais et cette fois-ci, je n’avais pas pu m’empêcher de répondre à ma façon, sans mensonge, sans faux semblant.


- « Chaque être mérite sa chance. Les marais ne sont un endroit sain pour personne, ils ne sont pas faits pour permettre la survie à d’autres espèces que ce que les trois ont choisi, pourtant la vie est bien là partout. Tout le monde a le droit à sa chance, à avoir le choix d’attraper une main tendue. » Je m’étais pincé les lèvres « Tu m’as sauvé, pour autant si on suit ta logique tu aurais dû me laisser là-bas. Je n’ai pas beaucoup de graisses et on voit mes côtes, je suis abîmée, j’ai des cicatrices et j’ai une morsure importante sur la cuisse. » C’était la première fois que je parlais ouvertement de ma morsure « Ça vaut toujours la peine Lance… d’essayer au moins…Si je voulais t’en dissuader, c’est parce que tu as de très belles choses à perdre, tu comprends ? Quand on a rien à perdre, c’est différent, tout est possible jusqu’à ce qu’on tombe sur l’impossible. »

Mes doigts avaient abandonné mocheté pour venir effleurer ma cuisse, le tissu de la robe de nuit ne camouflait pas grand-chose et je venais à peine d’en prendre conscience. Mes bras étaient dénudés et ma marque à l’avant droit parfaitement visible, faisant battre davantage mon cœur. Je m’étais soudainement sentie un peu trop visible, un peu trop présente, un peu trop là. J’avais pris une légère inspiration, Lance était revenu vers moi et j’avais pris appui sur lui. Je sentais son odeur, je sentais sa corpulence à travers ses vêtements alors je m’appuyais davantage sur lui pour avancer, doucement, très doucement, mais j’avançais. On avait fini par arriver jusqu’au lieu, tout était prêt, agréable il m’avait semblé qu’il avait fait attention à tout.

- « Oui.. Un tabouret… Merci » soufflais-je puis lorsqu’il avait voulu partir, ma main était venue agripper son avant-bras « Lance attend… Je… » ce fut un silence puis une autre phrase que celle pensée qui s’était échappée de mes lèvres « Je ne veux pas te poser de problème, si on découvre ma marque.. Tu.. Merci.» puis ce fut le silence encore.

En peu de temps je l’avais remercié deux fois, peut-être trois et mon regard avait dû glisser jusqu’au sien, provoquant ce qu’il me semblait être la première fois, un véritable contact visuel. Je l’avais relâché, le libérant de la pression de sa présence. Je ne comprenais pas cet empressement à partir lui qui avait déjà tout vu. J’avais retiré la robe de nuit, la laissant glisser le long de ma silhouette pour tomber sur le sol. Là j’étais désormais seule, seule avec moi, avec ma jambe, cette morsure que j’allais devoir apprivoiser, que j’allais devoir essayer de tolérer. La marque m’avait pris d’une année, oui déjà… J’étais la première bannie, celle qu’on a jetée dehors comme ça… Je me suis assise au bord du tabouret, pour glisser et pivoter jusqu’à la bassine, j’avais glissé mes pieds. Savourer le contact de l’eau chaude sur ma peau. Depuis combien de temps cela ne m’était pas arrivé ?

Là, j’avais laissé mes doigts s’enfoncer dans ma propre chair, j’avais eu cette envie de gratter, fortement, de retirer cette trace que je ne voulais pas. J’avais dû insister un peu trop, un peu trop fort puisqu’un léger filet de sang avait fini par faire son apparition. Le moment avait dû durer plus que je ne le pensais, puisque la voix de Lance n’avait pas tardé à se faire entendre, j’étais toujours là, assise sur le tabouret, les pieds dans l’eau jusqu’au genou.


- « Mh ? Oui… Oui ça va… Je… Je ne suis même pas dans l’eau encore… Je.. Ca va. » j’avais hésité puis j’avais ajouté « Lance ? Tu me laisserais m’essayer à la cuisine ? Je … Tu sais… avant… J’étais domestique. »

À peine avais-je terminé ma phrase que je m’en voulais déjà. Peut-être qu’il le savait déjà, peut-être qu’il ne savait pas, peut-être qu’il me voyait vraiment comme le monstre que tout le monde décrit. Mais j’étais ça, non, un monstre ? J’avais fini par me glisser doucement dans l’eau, avec quelques difficultés. Ma jambe, ou plutôt ma cuisse était douloureuse, ne me permettant pas d’effectuer tous les mouvements. J’avais fini par me redécouvrir, redécouvrir des sensations, le contact de l’eau encore un peu chaude sur ma peau, l’eau que je fais couler sur mes cheveux, puis l’odeur… Ooooh l’odeur du savon, sentir juste bon… C’était… J’avais été jusqu’à savonner mes cheveux, tout en douceur, avant de rincer, de brosser ma longue chevelure brune encore humide. J’étais encore dans l’eau avec cette non-envie de sortir, ce besoin de plonger ma tête sous l’eau, de prendre une petite respiration et de ne plus respirer. C’était calme, étrange calme là, sous le liquide transparent, je n’entendais plus grand-chose, ni même les paroles de Lance si il essayait de communiquer. Il n’y avait que moi et ce corps battant dans ma poitrine, le bruit de mon propre corps qui évolue intérieurement, l’idée de rester là me plaisait et puis, puis il avait bien fallu ressortir la tête pour respirer. J’avais dû tousser à plusieurs reprises, signe que j’étais restée plus longtemps que de raison sous l’eau. La peau de main doigt c’était fripé comme lorsqu’il pleuvait dans les marais, peut-être plus.

- « Lance… Je sors » je l’avais dit naturellement, pour l’informer.

Il avait dû entendre que c’était difficile, j’avais dû m’y prendre à plusieurs reprises avant de m’extirper de la bassine pour me réinstaller sur la tabouret lâchant des petits « ça va » qui se voulait essentiellement rassurant. Je m’étais essuyée rapidement, comme je pouvais le faire par le passé, mais pas pour les mêmes raisons. La vision de la morsure restait complexe, d’autant plus que j’avais dû la déformer à forcer de la gratter. J’avais fini par m’habiller, enfilant la tenue qui ne m’appartenait pas, hormis les bottes qu’il m’avait offertes… C’était étrange de ne pas avoir son odeur, mais celle d’un autre, c’était étrange, oui… Les vêtements étaient évidemment bien trop larges, mais collaient à ma peau encore humide, Lance avait pensé à une ceinture. J’avais laissé ma chevelure en vrac, l’ayant essuyé elle c’était de nouveau emmêlé, l’humidité lui donnait quelque ondulation et la propreté un volume que je ne lui connaissais pas réellement. Je ne voulais pas lui donner plusieurs de travail, alors j’avais eu dans l’idée de vider moi-même la bassine, pensant naïvement que j’allais y arriver. J’avais plongé une première fois un sceau pour retirer de l’eau, tout en restant assise sur le tabouret, le déposant sur le sol et puis j’avais eu cette idée stupide, celle de me lever seul, celle de faire quelques pas seule.

- « Tu n’aurais pas un autre… » je n’avais pas fini ma phrase que ma cuisse m’avait lancé cette décharge provoquant ma chute, juste après le rideau.

De nouveau le nez sur le sol, j’avais poussé mes bras pour me redresser et j’avais eu la sensation d’avoir deux choix : hurler et m’effondrer ou rire. Là assise sur le sol à moitié droite mon regard c’était déposé sur la silhouette de Lance que je pensais percevoir s’approcher vers moi et je m’étais mise à rire. Réellement, oui, je crois, même si le début était un peu forcé, à la fin je riais sincèrement, m’amusant finalement de cette condition ridicule. Il n’était pas aidé avec une fille comme moi, il fallait bien avouer que je cumulais les défauts : bannie, mordu par un fangeux, incapable de faire quoi que ce soit. Un problème en plus, qu’il ne méritait certainement pas. Quand il fut enfin devant moi, non loin, j’avais fini par tendre mes mains, mais je n’avais pas pu m’empêcher de parler sérieusement, étrange.

- « Je suis désolée… Cela ne sera pas pour aujourd’hui, ma vision se trouble… Je pense que je vais bientôt m’évanouir… » j’avais appris de reconnaitre la sensation, ce petit picotement, ce battement de cœur si particulier, debout face à lui, je m’étais accrochée alors que tout c’était mis brusquement à tourner « Suis-je un monstre à tes yeux, Lance ? »

La phrase m’avait échappée, brusquement, sans que je ne puisse la retenir et juste après, comme je l’avais pressenti, j’avais dû m’effondrer. Le néant, l’obscurité, encore.

---

Mon réveil s’était fait brutal, je commençais à connaître des nuits agitées, même si la température m’avait désormais quittée, définitivement, il me semble. J’ignore depuis combien de temps j’étais chez Lance, j’avais perdu la notion du temps, certaine journée j’avais été très consciente et d’autres beaucoup moins sans que je n’en comprenne l’origine. Ce jour-là, je me sentais mieux, j’avais fini par refuser de porter la robe de nuit, parce qu’elle me rappelait un trop ma condition de bannie, un peu beaucoup trop. Rester était devenue quelque chose de douloureux, presque autant que l’idée de partir, presque autant que la blessure. Je n’avais jamais eu la réponse de Lance concernant ma monstruosité et le soleil ne devait même pas encore être levé. Doucement, j’avais enfilé sa chemise, celle qui m’arrivait au genou tant la différence de taille était importante, doucement j’avais passé le pantalon pour recouvrir la morsure que je n’appréciais toujours pas. Puis, après plusieurs hésitations, après plusieurs respirations j’avais fini par me relever, là, stop… Je tenais debout, j’avais fait un pas, puis un autre, sans tomber, sans m’effondrer. M’appuyant sur les murs, longeant, j’avais commencé à connaître la demeure. Boitillant j’avais fini par descendre les marches une par une, ce qui je devais bien l’admettre m’avait pris un temps fou.

En bas, j’avais remis une bûche dans le feu qui était en train de s’étendre, récupérer des cendres pour mettre le tout dans le potager de pierre, déposer une petite marmite d’eau –parce que oui j’avais été cherchée de l’eau en ne tombant que trois fois sur le chemin, avant de remplir l’eau, après j’avais juste mis beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de temps pour circuler-. Mes réflexes étaient presque revenus, comme si j’étais de nouveau la domestique du passé, comme si j’avais encore une vie, un petit quelque chose, mais je n’avais rien n’est-ce pas ? Absolument rien. J’avais fouillé dans les placards, faisant certainement un peu trop de bruit, mais j’avais fini par trouver deux tasses et les ‘biberons’. Là j’avais rempli les tasses d’eau chaude pour y mettre des plantes, du lait se retrouva également dans le biberon et le tout avait trouvé sa place sur un plateau. C’était maintenant que ça allait se compliquer, porter le plateau, monter les escaliers sans point d’appui, sans tomber, trouver la chambre, déposer le plateau et disparaître. Parce que oui, j’avais dans l’idée de disparaître maintenant que j’arrivais à faire trois pas, je ne voulais pas abuser davantage de son temps, le mettre davantage en danger à cause de moi.


- « Allez ma p’tite Isaure, un pas après l’autre, tu peux le faire »

L’auto persuasion c’était quelque chose que je savais faire, normalement, en théorie. Agrippant le plateau j’avais fini par avancer très lentement. Un pas après l’autre j’avais dit et c’est ce que je mettais en place. Un escargot serait donc plus rapide que moi, mais ce n’était pas une raison. Les marches furent montées dans le même rythme et aucune des décharges ne m’avaient fait chuter –quand j’allais dire ça à Lance, que la pro de la chute n’était pas tombé…- en haut, j’avais de nouveau boitillé, jusqu’à la porte et c’était les gazouillements d’Aurore qui m’avait interpellée et permit de le trouver. Là, j’avais poussé la porte, jusqu’à venir m’installer au bord du lit pour déposer le plateau. Mon regard c’était portée sur Aurore et inévitablement je l’avais prise dans mes bras, j’ignorais si Lance dormait ou non, ma vision avait fini par se troubler, c’est que l’air de rien j’avais déjà fait pas mal d’effort. M’installant au bord du lit, je l’avais gardé contre moi, le plateau à ma gauche et Lance un peu plus loin. Là encore, j’ignorais si il dormait ou non, mais j’avais eu envie de lui parler à lui, alors je donnais à manger à la Mocheté.

- « Tu sais Lance… Je t’ai rapporté de quoi boire… Je voulais te remercier… J’n’arrête pas de te remercier, ce n’est pas dans mes habitudes, c’est un peu stupide… Je crois… Je ne sais pas… » Aurore avait eu un sourire il me semble et je lui avais rendu « Je ne comprends pas… Pourquoi… Je suis une marquée, terriblement et… Cette morsure… Je… enfin… Tu risques gros, juste parce que tu m’aides… et il y a cette petite chose juste là… » j’avais déposé un doigt sur le bout du nez de Aurore « Je grogne parfois plus que je mords vraiment… Tu ne méritais pas tout ça… Je te promets de récupérer tes chevaux… Quand tu m’auras appris à monter ça sera plus simple et je te fais la promesse qu’après ça je disparaîtrais de vos vies, je ne vous mettrais plus jamais en danger, cela sera comme si je n’avais jamais existé. »

Je culpabilisais, énormément, chaque nuit je me réveillais en sueur avec la peur de voir la milice, de voir quelqu’un fouiller me découvrir, le sanctionner. Oui, c’était une pression insupportable et si lui n’était pas en mesure de l’entendre, alors c’était à moi de prendre la responsabilité de le protéger lui et sa fille.
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Lance Damboise



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MessageSujet: Re: [Terminé] Ni seuls, ni ensemble   [Terminé] Ni seuls, ni ensemble EmptyJeu 24 Jan 2019 - 12:46
« Sale affaire, sale affaire. Un vrai monstre, c’te garce. ‘Parait qu’elle qu’aurait tuée deux personnes. Non, non, quatre, son employeur, et tous les domestiques. L’a vidé la baraque, la catin. Qu’y’avait du sang partout, qu’elle les aurait découpé et qu’on a jamais retrouvé certains morceaux. Elle hurlait dans sa taule toutes les nuits, elle forniquait avec les gardes pour un bout de pain. J’suis v’nu bosser à l’prison trop tard, j’aurais’t’ait là que j’l’aurais ouverte en deux, ç’aurait rendu service à tout l’monde. Pourquoi qu’vous voulez savoir ça, mon bon vieux ? »

« Je suis juste inquiet. J’ai entendu dire que des bannis venaient parfois jusqu’au Labret, et j’ai pas envie d’en croiser un sans savoir à quoi m’attendre. Puis j’ai entendu ce nom circuler. Vous voulez un autre verre ? C’est moi qui offre. »

« J’veux bin, merci. M’étonnes pas qu’on vous ai parlé d’elle, l’affaire a fait du bruit. Toutes ces familles brisées… Par contre d’solé d’voir vous l’dire, mais si v’la croisez, celle-là, v’f’rez pas un plis. Folle furieuse, qu’elle est. Mais v’z’en faites pas, la fange qu’a dû l’avoir d’puis bin longtemps, la putative. »


« Tu dis ça parce que je suis bannie c’est ça ? »

Le sourire Lance s’était un peu raidi, il lui fallut quelques instants pour comprendre qu’Isaure faisait de l’humour. Enfin, essayait d’en faire. Bon, lui-même n’était pas un très grand blagueur, il était mal placé pour juger, mais peut-être qu’il devrait lui donner quelques cours la-dessus aussi un de ces jours. En attendant, il se détendit à nouveau.

« Oh, tu sais, des morsures j’en ai eu toute une collection. Je me suis même fait mordre par une gosse de dix ans un peu avant qu’on se rencontre. Je ne suis pas à une près. »

Après avoir déposé Isaure en bas, il l’entendit parler à Aurore, et eut un sourire franc qu’elle ne put pas voir parce qu’il était déjà parti. Il posait des affaires sur la table près de la baignoire quand il l’entendit s’adresser à lui, et vint quelques instants s’appuyer sur la rambarde de l’escalier, la regardant.

« Merci, mais je n’ai pas beaucoup de mérite. Quasiment tout ce qui se trouve ici était là avant moi. Ça ne se voit pas trop, parce qu’elle a été bien entretenue, mais c’est une très vielle maison. Peut-être plus vielle qu’Usson elle-même, et elle a toujours appartenu à ma famille. Au début, il n’y avait que cette pièce, et un trou dans le sol pour descendre à la cave, l’étage a été construit bien avant ma naissance. Je ne sais pas comment ils s’y sont pris mais ça a dû être un sacré chantier. Puis c’est mon père qui a fait construire le cellier et l’annexe. J’étais encore gosse, mais je me souviens que les affaires marchaient rudement bien à l’époque, on voyait venir des gens de partout. Parfois ils ne parlaient même pas notre langue, ou avaient la peau très sombre, parfois ils avaient des singes ou des oiseaux multicolores posés sur leurs épaules, ou des tenues étranges. Ça m’a beaucoup appris. »

Lance ne serait certainement pas aussi ouvert s’il n’avait pas fait autant de rencontres et écouté tellement d’histoires. Avoir autant de contacts avec des animaux et des hommes avait profondément influer son caractère, et dans le bon sens selon lui.

Après avoir fini de tout préparer pour le bain d’Isaure, Lance se retrouva près de la cheminée, à parler des chevaux. La réponse de la jeune femme ne tarda pas. C’était une belle réponse, très positive, un peu surprenante pour lui. Même s’il avait un avis un peu différent sur certains points, il hocha la tête, pensif.

« C’est pour les choses que j’ai a perdre que je serais prêt à tenter l’impossible. »

Isaure semblait voir ses attaches comme un poids, alors que pour lui c’était plutôt des ailes. S’il n’avait besoin de s’occuper que de lui-même, alors il ferait en sorte d’avoir de quoi se nourrir chaque jour, de ne pas avoir trop froid, de pouvoir dormir dans un lieu sûr, et ça lui suffirait bien. Il n’était pas quelqu’un d’ambitieux, et ne voyait pas l’intérêt. La gloire et l’argent ne lui seront d’aucune utilité une fois mort. Par contre, s’il pouvait partir en sachant qu’il avait laissé à sa fille tout ce dont elle avait besoin. S’il était sûr d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour qu’elle ne manque de rien, alors il mourrait heureux.

Lentement, Lance avait mené Isaure jusqu’au tabouret près de la baignoire, il allait partir chercher le second tabouret quand elle lui prit le bras. C’était peut-être parce qu’il ne s’y attendait pas, mais lorsqu'il se tourna à nouveau vers elle, il eut l’impression de voir Ariane. Une Ariane un peu pâle et fatiguée dans sa robe de nuit, qui le regardait droit dans les yeux. Son cœur manqua un battement, et sa bouche devint très sèche. Non. Il avait hésité un long moment avant d’habiller la jeune femme de cette manière, mais c’était plus simple à enfiler et plus confortable. Le côté pratique l’a finalement emporté sur le sentimental. Non. Les images terribles d’Ariane mourant dans son lit lui revinrent en mémoire. Il aurait voulu pouvoir lui dire au revoir, mais après les cris et la souffrance, elle s’était endormie pour ne plus jamais se réveiller. Petite poupée aux longs cheveux blonds dans ses draps baignés de rouge.

Le silence était retombé, Lance avait repris ses esprits, mais fixait toujours Isaure avec intensité. Après ses yeux, son regard glissa sur ses lèvres, la naissance de son cou, puis jusqu’à son bras et cette marque. Chaque être mérite sa chance. C’est ce qu’elle avait dit, mais sa chance à elle, on la lui avait prise.

« Je ne t’abandonnerais pas. »

Un peu raide, il partit sur ces mots. Peu importe qu’elle n’aime pas les promesses, peu importe ce qu’on disait d’elle et peu importe les risques, il allait l’aider. Récupérant Aurore, il partit prendre l’air quelques minutes, ce qui lui fit beaucoup de bien. En revenant, il fut un peu surpris d’entendre qu’Isaure n’était toujours pas dans le bain, et se demanda si elle avait des difficultés à y entrer. Il préféra du coup venir s’asseoir à l’intérieur pour pouvoir intervenir s’il le fallait.

« La cuisine est toute à toi, si tu le souhaites. »

Domestique, alors elle travaillait bien dans une maison, pour quelqu’un. Il y avait du vrai dans ce qu’il avait pu entendre. Pour s’occuper plus que par véritable envie, Lance mit un peu d’eau dans une bouilloire et la posa sur le feu, puis il sortit deux tasses et un pot de plantes séchées. Il versait l’infusion dans les tasses quand la jeune femme lui signala qu’elle sortait, et tourna résolument le dos à l’escalier et au rideau qui se trouvait derrière. Jusqu’à ce qu’il entende un bruit de chute et se dépêche de la rejoindre.

« Ça va ? »

Elle était entière et habillée, et se mit à rire toute seule. Lance ne savait pas si ça devait le rassurer ou l’inquiéter davantage, et il se pencha sur elle pour la relever. Il l’avait remise debout quand elle ouvrit la bouche, et raffermit sa prise sur elle alors qu’elle parlait de s’évanouir. Lui aussi commençait à s’y faire, à ce corps qui passerait en quelques secondes de la raideur à la mollesse, et à ce poids pas si élevé qu’il allait devoir porter. Il avait soulevé Isaure et pensait qu’elle s’était évanouie quand il entendit sa question étrange. Il ne répondit pas.


Il faisait nuit, Lance était sorti de son sommeil sans trop savoir pourquoi. Il mit un peu de temps à réaliser qu’on lui parlait, et voulut faire un mouvement, mais senti un poids posé au niveau de ses jambes, ce qui le réveilla un peu plus. Isaure était là, il ne l’avait pas du tout entendu venir. Il crut qu’elle lui faisait un genre d’adieu, et resta immobile un petit moment, essayant de comprendre la situation avant de réagir. Il finit par ouvrir doucement les yeux, puis se décida à se redresser, tâtonnant sur sa table de chevet pour trouver sa pierre à briquet et allumer une bougie. Ça lui prit un peu de temps, mais il ne dit pas un mot. Dans la faible lumière, il apparut torse nu, et lui non plus n’était pas dépourvu de cicatrices. Certaines zébraient son dos et ses épaules, d’autres étaient bien visibles sur son torse parce que les poils n’y poussaient pas. Isaure était en train de nourrir Aurore, il la regarda longuement, avant de jeter un œil au plateau et aux infusions. C’était très étrange de se réveiller sur cette image. C’était comme si on lui donnait l’aperçu d’une vie qu’il aurait pu avoir, dans d’autres circonstances.

« Mon père, tu ne l’as pas vu sous son meilleur jour. » Lance se passa une main dans ses cheveux un peu en désordre. « Quand j’étais gosse, je le voyais grand comme une montagne, avec des mains comme des couvercles de casseroles. Je ne l’ai jamais vu calme, il était toujours énervé contre quelque chose, il battait mes frères et mes sœurs, il battait ma mère, il battait nos bêtes et il me battait moi. Un jour, je l’ai vu renverser un cheval qui ne lui obéissait pas. »

Il soupira, son regard avait abandonné Isaure pour se perdre dans le vide, il avait l’air de revoir la scène.

« Je sais que très jeune je m’étais mis à prier les trois pour qu’ils l’emmènent loin de nous, et quand j’ai compris que ça n’arriverait pas, j’ai voulu le voir mort. » Lance baissa les yeux sur ses mains, et se mit à triturer le draps. « Un jour, je sais pas, j’avais douze ans peut-être, j’ai pris un couteau dans la cuisine et je l’ai caché sous mon lit. Toutes les nuits après ça, à chaque fois que je me couchais, je touchais le métal et je cherchais le courage de passer à l’acte. Ça a duré comme ça des mois. Et puis, une nuit, on ne pouvait pas dormir parce que ma mère criait trop. J’ai pris le couteau, je me suis levé, et je suis allé dans leur chambre. J’étais dans un état bizarre, mais j’avais pleinement conscience de ce que je faisais. Ils étaient dans le lit, nus tous les deux, et mon père me tournait le dos. Je lui ai sauté dessus, et j’ai frappé encore et encore, mais sa peau était épaisse comme du cuir, ma lame ricochait sur lui. Il m’a attrapé d’un bras et m’a jeté à travers la pièce. Je crois que si je suis en vie, c’est parce que ma mère s’est interposée pour prendre les coups à ma place. » Encore une fois, il y eut un silence. « Le lendemain, la vie a continuée comme s’il ne s’était rien passé, personne n’a rien dit. J’avais envie de hurler, mais je n’ai rien fais non plus. Je me suis souvent demandé qui j’étais, après ça. Si j’avais réussis, j’aurais été pire qu’un meurtrier. J’aurais été un parricide, un homme sans honneur qui attaque par derrière. Mais est-ce que le fait de n’avoir pas su faire porter mes coups faisait de moi un innocent ? J’avais planifié cette tentative de meurtre de longue date, mon innocence me paraissait bien loin, surtout que je voulais toujours autant le voir mort. Et puis je suis partis à Marbrume quelques années, et quand je suis revenu mon père n’était plus que la moitié d’un homme. À force de frapper le cheval qu’il domptait, il avait fini désarçonné, puis piétiné. Là, je me suis enfin réjouis d’avoir raté mon coup. Le destin lui avait réservé un sort plus cruel encore que la mort, il l’avait enfermé dans un corps qui ne lui répondait plus vraiment. Puis il y a eut cette nuit où tu es apparue, là j’ai laissé un homme se faire dévorer vivant, j’en ai frappé un avec une hache, je t’ai abandonné à ton sort, et sur ces trois choses il n’y en a qu’une que je regrette. Je suis allé tout expliquer à la milice, sans parler de toi, ils sont venus voir. Comme je suis un homme sans histoires, et qu’ils avaient commis d’autres crimes, ils ont décrété que je n’avais fais que me défendre. Je suis devenu un meurtrier innocent. »

Il eut un rire, même s’il ne trouvait rien de drôle dans tout ce qu’il avait pu dire jusque-là. En fait, il se sentait mal, fébrile, et il avait trop chaud.

« Je ne suis pas un homme bon. Enfin, peut-être que je le suis quand on me regarde d’une certaine façon, mais je suis aussi tout un tas d’autres choses. Nous sommes tous complexes, et c’est assez tristes de voir le genre de raccourcis que peuvent faire les gens face à quelque chose de trop grand pour qu’ils le comprenne. Cette marque que tu portes, c’est juste un moyen navrant de simplifier les choses, de faire le tri, mais rassures-toi, tu n’es pas seule. On est tous marqués, en bien ou en mal, il y a toujours des histoires qui se racontent. »

Il faisait décidément trop chaud, Lance se décida à sortir ses jambes de sous les couvertures même s’il ne portait pas une tenue très convenable, juste une culotte nouée à sa taille, et qui lui descendait en dessous des genoux. Il s’assit en tailleur, on peut dire qu’il se dévoilait vraiment ce matin.

« Je ne sais pas ce que je mérite ou pas, honnêtement, mais la fuite n’est pas la solution. C’était l’autre nuit qu’il fallait fuir, quand Aurore s’est mise à pleurer. Tu serais parti sans blessure, avec un peu de pain et de fromage. Les voleurs auraient défoncés ma porte pour prendre ce qu’ils voulaient, le fangeux les auraient suivis et probablement tués, puis il serait monté à l’étage où je me serais sans doutes caché, et il m’aurait dévoré vivant. Une belle revanche pour mon père. »

L’air là encore presque amusé, Lance haussa les épaules.

« Tu ne peux pas débarquer, bouleverser la vie de quelqu’un, et disparaître en te disant que tout va rentrer dans l’ordre comme si rien ne s’était passé. Tu n’as peut-être rien à perdre, mais tu n’es pas rien. Tes choix ont une incidence sur ce qui t’entoures, tu peux toucher les autres. Tu les touche vraiment, même si tu ne t’en rend pas forcément compte. »

Il finit par secouer un peu la tête, persuadé que son long monologue devait être bien barbant.

« Je parle beaucoup trop pour quelqu’un qui n’est même pas encore sorti du lit, excuse-moi. Merci pour l’infusion. »

Souplement, Lance se leva et attrapa la tasse qu’elle lui avait préparé. Il aurait peut-être dû chercher à s’habiller, mais n’en sentait pas un besoin urgent, au lieu de ça il s’approcha de la fenêtre. On commençait à peine à voir une lueur à l’horizon, mais le ciel paraissait bien dégagé. Ça allait sans doute être une belle journée.

« On est toujours le monstre de quelqu'un, souvent de soi-même, d’ailleurs. »

Isaure n’était pas un monstre à ses yeux. Peut-être avait-elle tué et forniqué, mais elle lui avait montré un visage bien différent, une certaine sensibilité, une franchise, et même beaucoup de douceur pour son enfant. Elle lui avait montré beaucoup de choses, et le portrait qu’il s’était fait d’elle était un vaste jeu de contrastes et de nuances. Le passé avait une importance, bien sûr, mais pas moins que le présent. Elle avait raison de dire qu’il prenait des risques, mais lui aussi avait des choix à faire, et il choisissait de l’aider en connaissance de cause. Ce n’était pas comme s’il n’avait pas l’habitude du danger, n’était-il pas sodomite, après tout ? Il avait déjà pris des risques par le passé, parfois pour des raisons bien légères. Il y a des gens pour qui cela vaut la peine de se battre.
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