Nombreux sont ceux qui approchant de la mort, se demandent ce qu'ils vont y trouver.
Mon premier éveil était dès lors annonciateur d'une vie sinueuse et maudite. Criant dans le froid à peine assez grand pour entrer dans un panier en osier, la Milice toujours avide de nouvelles recrues se força à me prendre sous son aile au détriment du Clergé devant lequel j'étais initialement déposé.
Je n'ai connu ni père, ni mère, seuls des figures paternels misogynes aux habitus barbares donnant un parfait exemple machiste et arriéré au fil des années. Une nécessité de s'affirmer par la violence et des mœurs prétendus virils. Malgré moi et mes à priori envers ces brutes, je n'eu d'autres choix que celui de suivre le pas contre mon gré et commença très tôt un entrainement rigoureux imposé en quête de faire de moi une futur recrue.
Ma tolérance à la douleur a été très vite un motif de démarcation face aux autres recrues qui abandonnaient généralement sous la douleur. Une étrange force mentale me poussait à aller au bout des mes actes et me confiait une noblesse de courage recherchée dans ce milieu sauvage.
Très tôt suite à la nécessité de contenir les foules mais aussi les fangeux, j'ai été affecter à la sécurité intérieur de la ville. Mais à cette époque je ne combattais que des ivrognes meurtris par la vinasse qui souhaitaient s'imposer en beuglant des inepties propagandistes et révolutionnaires. Mon travail était ingrat et faiblement payé, j'étais encore jeune et consacrait mon temps à la bienveillance de la ville et de ses habitants. Très tôt mon intérêt pour la Trinité se fit ressentir et tout particulièrement pour Rikni que je priais régulièrement lors de mes rondes quotidienne aux abords du Temple.
Ma vigilance et mon assiduité m'ont gradé au rang de surveillance des remparts, ainsi je pouvais avoir un première aperçu de ce qu'était la menace des fangeux, des créatures répugnantes qui ne cherchaient que la mort et la destruction.
Un épisode particulier nota le commencement d'une ascension pas à pas sans repos. La mort et comme pour beaucoup une étape traumatisante et marquant un saut de maturité, la fin d'un collègue par la Secte des purificateurs n'aura pas échappé à la règle.
Des fangeux aux abords de la ville se regroupaient rapidement dans un but d'assaut évident, mais alors que Henri s'apprêtait à fermer les portes de la ville, un cri m'arrachant les tympans me tourna face une évidence que je n'avais pu voir venir, la Secte avait frappée et tuée mon partenaire. Voyant la horde se ruer, créatures malines et profiteuses, j'enjamba l'échelle me permettant de mettre pied à terre et me rua vers les portes face à la menace imminente. Dans la précipitation engendré par une double menace, je ferma les portes dans un but bien pérenne et ferma les yeux en m'imaginant déjà mort poignardé par les fanatiques.
Ce fut ma première blessure de milicien mais aussi une première cicatrice. Les soigneurs disaient que j'étais un miraculé, que cette blessure m'aurait du être fatale et que j'étais très certainement sous l’œil de Rikni. Cette annonce me plongea un mois parmi le Clergé afin de récupérer de ma blessure, les religieux m'enseignèrent beaucoup au sujet de la Trinité et de ce premier contact la révélation de toute une vie s'ouvra à moi. Je jura allégeance à la déesse de la guerre en compagnie de Clercs comme témoin, à présent je combattrai avec ma foi.
De retour à la Milice, mon acte de bravoure ne fût pas sans récompense car une dote généreuse me fût octroyée et notamment une arme de marque puisqu'il s'agissait d'une effigie bénie. Une lame dont la pointe du manche était une tête de serpent en argent. Les années passèrent ainsi et mes prouesses au combat m'octroyèrent le grade d'un milicien remarqué et suffisamment émérite pour prétendre éliminer la menace fange.
Ainsi malgré beaucoup de peur et de nombreuses blessures, je sentais avec moi une présence intimidante, une force représentant une communion entre ma lame et mon bras, l'alliance de l'esprit et du corps. Je portais un talisman en forme de serpent autour du cou et beaucoup me voyaient motivé par mon allégeance, mon corps s'adaptait aux blessures mais c'est au Temple qu'elles cicatrisaient dans la stupéfaction du Clergé de me voir toujours les mains liées à mon talisman. Mais une sortie en particulier me fit prendre conscience de qui j'étais.
Nous étions encerclés dans la fange, les jambes enchevêtrées dans un mélange de boue et de vase, chaque milicien était à l'aguet l'arme à la main. Le maigre cortège que nous devions escorter c'était retrouvé enseveli dans les marécages putrides habitants des hordes de créatures malfamées. Les hommes étaient sur leurs réserves, terrifiés des minces bruissements de feuillages alentours et de cliquetis insignifiants aussi futiles que de petits insectes. Nous formions un cercle épaule contre épaule les yeux plissés tentant de voir plus loin qu'une longueur de bras à travers la brume. J'entendis un hurlement soudain dans mon dos, un fracas lourd contre la vase et plus rien, seul les pleurs apeurés d'hommes forts et bien bâtis. Je serra le pommeau de mon arme, caressant un instant la tête de serpent qui se distinguait au bout du manche puis prononça une prière, la dernière.
Dans un sursaut je sentis mon voisin rompre les rangs et charger d'un puissant et vaillant hurlement à travers la brume, un autre le talonna et j'observa cette scène les yeux écarquillé devant tant de folie et tant de courage. Mais l'hésitation n'a pas sa place à la guerre et à peine avais-je eu le temps de sentir cette présence que je pouvais voir du coin de l'oeil, une main pleine de griffes acérées me marquer le visage d'une force inouïe. Je tomba dans les marécages, piétinés par mes frères d'armes qui dans la panique se ruèrent sur la fange, aucun bruit n'était audible, seul une douleur insurmontable qui envahissait mon corps. L'eau ragoutante des marées se faufilèrent en moi alors que les bottes de cuirs Miliciennes martelaient mon torse - je ne tarda pas à rendre l'âme dans une ultime et vaine tentative de chercher de l'aide, tendant mon bras au dessus de l'eau.
Lors de mon premier éveil, la plafond était en si piteux état qu'il semblait sur le point de me tomber dessus, mais je ne pouvais ni bouger ni parler. Allongé dans un lit aux draps sales, mon corps était recouvert de bandages et de sang, ma tête était aussi lourde d'une lame et ne cessait de virevolter de droite à gauche. Des nausées, une toux sanglante et incessante, une sensation de famine et la gorge si sèches qu'il était impossible d'avaler. Mes mains tremblaient, impuissantes je ne pouvais pas les lever ni même en bouger un doigt, je me contentais de les observer un court laps de temps durant lequel je luttais contre cette sensation de fin imminente. Étais-je entrain de mourir, encore.
Une femme, étrange et sale retirait mes bandages pour me mettre à nu et me laisser apercevoir mon corps inhumain, déchiqueté et proche d'une anorexie morbide. Une pâte étrange était appliquée sur ma chaire à vif, m'arrachant des hurlements de douleur - la torture, l'horreur. M'éveillant par intermittence, afin de souffrir j'entendais dans mon crane des bruits métalliques s'entrechoquer, je sentais la chaire renaissante de ma tête au contacte de matériaux froids et pointus, de fil et de pansements qui tiraient mes tissus, d'alcool et de produits à l'odeur exécrable. Dans une ultime bataille pour maintenir mes yeux éveillés, je finissais par me rendormir pour de bon.
Où étais-je.
Tout était si sombre et si humide. Cherchant un puits de lumière ou un son réconfortant je restais impassible devant le vide présent dans ce lieux. Mon souffle en était coupé et aucun air n'était présent, je cédais lentement à la panique alors que mon cœur s'emballait. Attrapant ma gorge de mes mains, mes muscles se raidissaient autour de celle-ci alors que ma bouche béante et tremblotante suppliait la moindre bouffée d'oxygène. Tombant rapidement à genoux je suffoquais en laissant mon corps s'étaler de son long peu de temps après. Mais les minutes passèrent et cette sensation de mort persistante ne semblait pas vouloir en finir avec moi. Le temps s'écoulait et je fini par m'habituer à cette frontière entre la vie et la mort afin de me relever. Je pouvais alors entendre le plat de mes pieds caresser la roche d'un sol frais, coupant et à la fois mystérieux.
Les minutes se transformèrent en heures.
Je marchais depuis des heures sans ressentir la fatigue alors qu'un vent glacial m'enrobais de sa caresse nonchalante, mais je continuais sans relâche dans ma direction. Je n’avais ni douleur ni faiblesses, qu'une amère sensation de lourdeur de mes mouvements tel des sables mouvant qui chercheraient à me retenir. C'est en me demandant ce que pouvait être cet endroit que je m'étais également rendu compte que je ne savais plus qui j'étais. Ni mon nom, ni mon histoire et encore moins ma venue, étais-je dans un rêve ?
Les heures se transformèrent en jours.
Ma patience semblait mise à l'épreuve, et je ne cessais de me demander si j'étais de l'autre côté. Était-ce le royaume de la mort, étais-je condamné à subir cette impression de frontière vitale pour l'éternité. Je pouvais distinguer par le bruit de mes pas que ma paume de pieds n'était plus, je marchais sur un mélange de chaire et d'os maculé de sang sans avoir la capacité de m'arrêté. Mon corps ne semblait plus maître de lui-même et je lui obéissais aveuglément sans ressentir la moindre sensation. Mes pensées étaient de plus en plus noires et pourtant je ne ressentais rien.
Les jours se transformèrent en semaines.
à genoux, mes pieds n'étaient plus capables de supporter mon poids, tel un chien je marchais à quatre pattes ayant à peine la force de soulever mes cuisses pour avancer, je voulais comprendre mais le néant m'enveloppant n'exprimait rien. Milles questions traversaient à chaque seconde mon esprit, je n'étais plus qu'une entité abandonnée dans un espace sans fin, était-ce là la punition des Dieux si malins étaient-ils finalement ? Riaient-ils de ma condition ou jugeaient-ils mes capacités à les rejoindre. Étais-je damné pour n'avoir jamais assez cru en eux, étais-je un fangeux prisonnier de la mort et de la vie, sujet à souffrir à l'infini ?
Temps indéfini.
Allongé sur le dos, j'attendais.
Ne sachant pas si mes yeux étaient ouverts ou fermés, mon corps était mort jonché inerte sur le sol froid et irrégulier, parsemé de pierres effilées comme des lames de rasoir. Plus aucun son n'était audible et ce par ma force épuisée. Je n’avais aucune notion du temps, aucune envie ni même aucun souvenir je n'étais plus qu'une coquille vide dans l'attente infinie.
Une forme visqueuse se glissa alors autour de ma taille, une chaleur étrange enveloppa mon abdomen et contracta mes muscles jusqu'à pouvoir ressentir mes jambes. Un semblant de souffle se glissa entre mes lèvres et parcouru ma gorge pour remplir mes poumons. Je pouvais sentir une main fine et délicate se serrer autour de ma gorge alors qu'une forme se dessina au dessus de moi.
Des lèvres humides et chaudes se collèrent aux miennes en laissant derrière ce baiser une sensation que je n'avais jamais eu l'occasion de ressentir. Le corps d'une femme s'affirma au dessus du mien, nue et divine je pouvais apercevoir et sentir ses mouvements contre ma peau froide et je sentais alors mon cœur s'emballer, mes poumons gonfler au rythme de ma respiration qui s’accélérera. Je n'avais jamais vu pareil beauté, ses jambes entrelacées aux miennes, j'entendis cette divine créature me murmurer. "
Obéis moi et je te sauverai, par ta renaissance tu guideras les Hommes vers moi". Suspendu aux lèvres de cette femme, une queue de serpent m'attrapa alors la gorge tandis qu'elle communia son corps au mien, je pouvais l'entendre prendre plaisir à voler mon innocence jusqu'à ce que peu de temps après, ma force vitale me soit rendue. Notre ébat semblait interminable, l'étrangeté physique de la déesse n'était qu'un détail à peine mesurable comparé à sa beauté, mon cœur chavira en un instant et je savais dès lors que mon amour lui serait éternellement offert.
Sa main passa dans mes cheveux lorsqu'elle me prononça son désir. Ses yeux reptiliens se plongèrent dans mon regard ambré et sa magie m'ordonna de mettre un terme à cet ébat en elle afin d'enfanter mon destin. Au terme d'une passion amoureuse, ses atouts animal se crispèrent autour de ma gorge dans une nouvel sensation de suffocation. Elle se releva en m'observant agonisant au sol, une main brandit vers elle alors que j'essayais de me débattre inutilement contre sa force. L'obscurité me gagna à nouveau alors que mon corps était tétanisé sous la pression.
La vie me quitta une nouvelle fois.
Je me réveillais au Temple de Marbrume entouré de prêtres qui dans un large sourire m'appelaient "le miraculé" comme à leurs habitudes. Ils disaient que j'étais mort, mais que dans ma mort je parlais, que mon souffle n'existait plus mais que ma poitrine se soulevait pour prononcer des mots. Ils me demandèrent alors ce que j'avais vu et je leur raconta tout. Le clergé me prit sous son aile et m'enseigna les textes, l'écriture et la lecture. Les détails des mœurs religieux et les habitus du Temple. Je progressais vite et acquis le statu de prêtre dans une formation accélérée, néanmoins, les fidèles étaient conscient que ma tâche n'était pas celle d'homme du temple mais bien celle du combat au nom de la foi. Ainsi ancien soldat j'annonça à la milice ma nouvelle fonction, celle d'un soutien spirituel et bras armé au service de la Trinité. Dans mon périple je m'était empli d'une quête, celle de combler ces vides présents dans ma mémoire et les réponses à ces questions ne pouvaient être qu'à l'extérieur.