Marbrume


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 L'antre des érudits

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyVen 4 Jan 2019 - 21:09
L'antre des érudits


Quand les hommes sont occupés à chercher à manger, il n'y a plus grand monde pour ouvrir les vieux grimoires. Toutefois, les femmes le font quand elles ont assez d’éducation.

Depuis que l’érudite pouvait laisser plus souvent l’enfant au voisin, celle-ci retrouvait un peu de clairvoyance. Elle prêtait plus régulièrement sa plume et gagnait un peu plus pour être davantage sereine. Et, parce qu’elle n’avait aucune crainte envers l’homme qui gardait le petit, elle faisait plus de détours vers la bibliothèque où elle ne perdait pas espoir de trouver dans les ouvrages les plus anciens des fragments de réponses à la Fange et au mal qui rongeait méphistophéliquement son fils.

La rescapée ne pouvait pas encore se pâmer de connaître Marbrume comme sa poche. En revanche, pour ce qui en était de son Temple et de sa Bibliothèque, les choses étaient bien différentes.

De son pays, elle avait réussi à sauver des ouvrages de référence. Des grimoires qu’on ne trouvait pas ailleurs parce qu’ils dissonaient souvent avec la foi et le cultes de la Trinité. Un comble de les emmener dans cet endroit couverts de livres et où chaque mot résonnait en écho à la foi ici et dans le Temple qui jouxtait le bâtiment…

Et ce qu’elle ignorait, toute piètre croyante qu’elle était, c’était la foire d’ouvrages interdits dont regorgeait la Bibliothèque malgré elle. Parce qu’elle n’avait pas été la seule à sauver le papier en même temps que les quelques richesses qu’il restait aux miséreux. Tant de reliures que certaines finissaient par terre, non classés, oubliés. Souvent, c’était d’ailleurs le sort des grimoires étrangers, ceux qui n’étaient pas écrits dans la bonne langue. Là-dedans, l’érudite trouvait des pépites écrites à l’encre noire.

Par hasard, elle était tombée sur un manuscrit poussiéreux, à la couverture de cuir si mâchée par le temps qu’il avait perdu son titre et ses couleurs. Les rongeurs avaient dû se joindre au festin parce que les coins des pages avaient été rongés aussi. Non, le livre ne payait pas de mine, c’est vrai. Mais ce qu’elle avait trouvé à l’intérieur avait une valeur inestimable.

Dessiner des écorchés était interdit. Alors, pour contourner l’interdit, l’auteur, probablement un homme du sud parce qu’il écrivait dans un dialecte que l’on imputait à des communautés vivant bien au-delà de Sombrebois, avait trouvé un stratagème audacieux : des ébauches floues et artistiques ne laissaient pas de marbre un œil avertis. Tant bien même elles étaient éclipsées sous un manteau opaque d’enluminures fleuries. De longues descriptions accompagnait les dessins et quelques hypothèses surgissaient, de ci, de là, et laissaient l’érudite perplexe.

Ce n’était certes pas un livre qu’on avait copié : il s’agissait d’un original. Et l’érudite immigrée se cachait pour traduire toute cette science clandestine. Qui sait ? Au milieu de ces livres que certains accusaient d'être païens, comment ne pouvait-il ne pas rôder une sorte de sombre maléfice ?

Quand les hommes sont ignorants, ils préfèrent croire à un ramassis de balivernes pour justifier leur peur de l'inconnu, des endroits plongés dans la pénombre et des écrits qui portent des pensées nouvelles, novatrices ; donc nécessairement des foutaises. Ainsi c'était à ce prix que la femme pouvait travailler dans la quiétude : elle s’isolait dans une des alcôves et pouvait rester assise là des journées entières. En fait, elle ne partait que lorsqu’elle aurait dû allumer une bougie de cire parce qu’elle n’avait pas les moyen de s’en procurer.

Ce soir-là, les pages se faisaient explicites. Une indication cachée dans un rébus lui avait intimé l’idée de glisser une flamme derrière les pages pour afficher des indications qui ne se révélait uniquement à la chaleur. Ce procédé, elle le connaissait bien. Cependant, le grimoire paraissait si ancien qu’elle fut étonnée qu’aucun n’ait trouvée la solution par le passé ; et bien plus encore que le produit qui favorisait l’inflammation soit encore actif. De son temps, il avait pu simplement s’agir de jus de citron.

En passant son briquet de silex derrière les pages, elle découvrait la description l’organe central qui, si elle comprenait tout, devait agir comme une pompe. L’auteur allait jusqu’à le décrire comme le point de départ de l’âme. Mais l’érudite n’était point sûre de sa traduction.

La jeune femme dont les traits secs trahissaient une certaine inquiétude sursautaient lorsque que quiconque laissait ses pieds le mener dans une petite alcôve où elle avait l'habitude de poser pour travailler. Un bureau trop lourd pour être déplacé et une chaise bancale l’enfermait entre quatre étagère qui rasaient le plafond, voilà son humble office. Par terre, elle empilait tous les livres qui traitaient de ses sujets d'études. Elle les laissait là dans l'espoir de les sauver si jamais ils s’avéreraient utiles. Mais il y avait tant à préserver et si peu de place. Les manuscrits s'empilaient les uns sur les autres à forces. Et elle avait trop peur de les ranger à nouveaux dans les rangs.

A travers les étagères, elle observait du coin de l’œil une autre liseuse tout aussi attirée par les coins sombre de la bibliothèque de Marbrume. Elle avait le teint aussi cireux que le sien. Elle n’avait croisé son regard bleu comme le fond des rivières que par mégarde ; et elle y avait trouvé quelque chose qui qui lui ressemblait un rien. En un peu plus vieux. En un peu plus abîmée. Elle avait l’air plus négligée que l’érudite cela la rassurait quelque part : si quelqu’un venait chercher des noises, c’était probablement d’abord cette pauvre fille qui trinquerait. Egoïstement, la jeune mère menait plus sereinement son étude et elle serrera son chignon pour chasser l’idée mauvaise.

L’habit ne fait pas le moine et la savante ne savait pas parier.

Des clercs menaient parfois des rondes. Ils se baladaient les mains jointes. Furetant sans un bruit. Ils échappaient trop souvent à l’attention de l’érudite tout à fait captivée par les motifs que la flamme derrière les pages faisait apparaître. En observant de loin la sorcellerie et, malgré les probables alertes tacites de l’autre liseuse, un prêtre accourut. Sans qu’elle ne l’ait vu venir, il saisit le poignet qui tenait le briquet et le souffla.

Tétanisée, l’érudite se trouva là, la bouche ouverte et balbutiante. Entre ce livre qui dépeignait des écorchés, les yeux fous de ce pieux et l’expression étonnée de la sorcière de l’autre côté de l’étagère.

Qu’est-ce ce maléfice ? gronda le cerbère en tonsure.

En longueur, il dépassait la jeune mère d’au moins deux têtes. En largeur, il pouvait probablement la contenir trois fois.

Je… Je … balbutia la concernée sans trouver d’explication convenable.

Elle déglutit bruyamment alors que l’homme lui broyait le bras.

Je ne fais que traduire ! Je ne fais que traduire ! Ce n’est pas de moi, je le jure !

Elle montrait le blanc de l’œil, imaginant toutes les accusations qui pouvaient tomber sur son échine et leurs conséquences. Que prendrait-elle pour les dessins ? Croyait-il qu’elle était avait rédigé cet ouvrage ? De quels chef d’accusation pouvait-il l’affubler ? Et qu’allait-il lui arriver ? Et qu’adviendrait-il de l’enfant ?

Tout cela hurlait fort dans son crâne et résonnait jusqu’à son cœur qui s’affolait piètrement.

Et le feu alors ? mollarda le rustre.

Ah. Visiblement l’homme ne lui en voulait pas pour les images. Il ne le comprenait probablement pas d’ailleurs. Le problème c’était le feu près des pages. Ventre Diable ! Il avait juste peur qu’elle endommage les ouvrages !

Aaaaah ça, fit-elle spontanément soulagée, avant de se reprendre sous le regard sévère. Ah non, non, non ne vous en faites pas pour ça. C’est que l’ouvrage est ancien. Il me faut user de la chaleur pour décoller les pages et le restaurer.

Au vu du regard noir que lui jetait le clerc, l’érudite n’avait pas été des plus convaincante. Perdue pour perdue, elle se tourna vers le seul témoin de la scène qui la fixait du coin de l’œil. Elle la prit à parti :

Dame, vous semblez avoir de l'esprit. Voulez vous bien confirmer mes propos, je vous en prie ?

C’était une tentative désespérée. D’aucune manière l’érudite ne pouvait être certaine que l’inconnue se rangerait de son côté. Tant bien même, elles étaient deux lettrées pour affronter un religieux et il n’était guère certain que son aide pèse réellement le juste poids. Mais il fallait tenter avant que le prêtre ne torde son bras anémique dans un angle qui l’aurait probablement brisé.


Dernière édition par Louise Ochaison le Jeu 31 Jan 2019 - 19:23, édité 2 fois
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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptySam 5 Jan 2019 - 21:27
Lorsque j'étais encore enfant et que j’interrogeais Roland, mon maître alchimiste, sur le manque d'évolution intellectuelle et scientifique de notre époque, celui-ci me répondit :

“Nous sommes à l'époque de l'obscurantisme, là où les Hommes préfèrent se référer à leurs dieux et leurs préceptes plutôt que de réfléchir par eux-mêmes. Pourtant, ils feraient mieux de s'interroger sur le fond même du fonctionnement humain. Pourquoi les dieux nous auraient-ils fournis un cerveau doté d'une certaine curiosité si c'est pour la freiner ensuite ? Vraiment, mon garçon, ce monde est fou, aveugle et totalement stupide.”


Il faut dire que le vieil alchimiste n’a jamais cru en l'existence des Trois. Il doutait, beaucoup, sur nombres de sujets, en particulier lorsqu’il s'agissait de science. Le vieil homme me montrait souvent d'anciens ouvrages, notamment alchimiques, traitant d’ancienne découvertes oubliées pour causes d'hérésies. Nul doute que leurs auteurs n'eurent pas connue de mort douce, il y avait là de quoi les accuser de sorcellerie, de blasphèmes et autres causes discutables. Chaque leçon finissait donc par une crise de colère de mon maître.

Personnellement, je pensais, bien naïvement, que science et religion pouvaient parfaitement cohabiter, tout simplement parce que nous devons nos personnalités plus ou moins complexes à ces déités. Mon opinion sur le sujet changea avec le temps et les épreuves, et si je tournais le dos aux Trois, à aucun moment je n’oubliais la science qui, par la force des choses, devint une obsession.

Le temps, les connaissances acquises par mon père et surtout son argent, m'ouvrirent les portes de la bibliothèque du temple… À condition, évidemment, que mes lectures ne se fassent que sous la surveillance de l'un des prêtres, toujours le même depuis bien des années : le frère Blaise.

C'était un homme de petite taille et assez rondouillard. Si je devais lui donner un âge, celui-ci correspondrait probablement à celui de mon maître. Il était âgé, le crâne dégarni, les tempes couleur de lune, de même que sa barbe fournie et broussailleuse... Trop d'ailleurs pour donner une certaine harmonie à ses traits sévères et plutôt grossiers. L'avantage du frère Blaise, tenait dans sa cécité qui me permettait de consulter quelques ouvrages jugés inadaptés. Et si au début, je dus user de quelques stratagèmes plutôt malicieux pour lire ceux qui m'intéressaient, ce n'était plus le cas aujourd'hui. J'avais changé… Fini la fille de bourgeois dynamique et curieuse capable de faire tourner en bourrique le plus patient des hommes de foi. Aujourd'hui j'étais bien plus calme et discrète, si bien que je réussissais rapidement à me faire oublier du vieil homme… À force, ces moments de surveillance se transformaient en longues siestes assis sur une chaise dans un recoin sombre de mon alcôve habituelle. Finalement, je n’avais plus qu'à attendre ce moment pour sortir de l'ombre le manuscrit qui m'intéressait réellement et me pencher tranquillement dessus.

Néanmoins, je passais tant de temps dans mon laboratoire que ces moments se faisaient de plus en plus rares. D'ordinaire, je m'appuyais sur mes notes personnelles pour pouvoir travailler. Je me contentais de développer mes théories, les approfondissant à coup de tests souvent ratés avant d'annoter les résultats. Seulement, cette fois, j'avais besoin de me pencher sur d'anciennes formules oubliées depuis bien longtemps et jamais testées, du moins, pas par moi. Et au point où j'en étais dans mes recherches, mieux valait rester ouvertes à toutes les pistes.


Il m'avait fallu du temps pour retrouver le fameux manuscrit parmi les immenses étagères. Celui-ci était si vieux qu'il tenait sur un parchemin, si usé qu’il partait pratiquement en poussière, certains symboles étaient même presque effacés, rongés par le temps et la moisissure. Néanmoins, et heureusement pour moi, la partie qui m'intéressait restait lisible… À condition de se concentrer suffisamment pour décrypter tout ceci.

Ainsi, je passais ma journée assise à cette table, déchiffrant bien difficilement, ce qu'un génie d'un temps révolu depuis longtemps, avait essayé de transformer en utilisant de l'or et autres matériaux coûteux… Cet homme, au nom perdu depuis des lustres, utilisait le sel dans nombre de ses formules le mêlant parfois à du poison, parfois avec d'autres matières bien moins toxiques… Mais n'en expliquait pas les raisons. Alors, consciencieusement, je l'appliquer à prendre des notes avec la ferme intention d'appliquer ses recettes et formules sitôt rentrée… En espérant y trouver un lien, un remède à la fange… quitte à le perfectionner par la suite. Telle était mon obsession, tel était mon devoir…


Mais même concentrée, je ne pouvais empêcher mon esprit ou mes yeux de s'égarer quelque peu. Il s'agissait là d'un moyen de réfléchir tout en m'éloignant, un peu, du parchemin. C'est ainsi que mon regard croisa celui d'une jeune femme. Il me semblait l'avoir déjà croisé une fois ou deux, ou peut-être me trompais-je, je n’ai jamais eu la mémoire des visages… Néanmoins, je ne m'attardais pas outre mesure sur la contemplation du visage de la femme assise dans l'alcôve voisine. Je n'avais guère de temps à perdre et me replongeais presque aussitôt dans mes recherches… Du moins, jusqu'à ce qu'une voix masculine me surprenne assez pour me faire bondir de ma chaise et réveiller le pauvre Blaise.

Quel vacarme… Avaient-ils oublié où ils se trouvaient ? Comptait-il réveiller tous les morts des catacombes ce prêtre-là ? Ils parlaient si fort que je ne pouvais faire autrement que d'entendre leur conversation… Je ne pus d'ailleurs que soupirer à l'entente du mot “maléfice”... Mot barbare et stupide utilisé pour décrire ce que l'ignorant ne comprend pas. J'aimais mieux ignorer leur discussion, d'autant que cela ne me concernait en rien… Sauf que la demoiselle eut la bonne idée de me prendre pour témoin… Faux témoin en l'occurrence puisque je n'avais strictement rien vu…

Néanmoins, préférant éloigner le prêtre, bien voyant celui-ci, de mes affaires, je pris sur moi d'intervenir.

- C'est exact, lançais-je en me relevant, veillant à dissimuler le parchemin sous mon châle. Cette dame ne fait rien de plus, rien de moins que ce qu'elle vient de vous affirmer. Je peux vous l'assurer.

L'homme me dévisageait, me jaugeait... me jugeait probablement, au passage. Je n'aimais pas le poids de ses regards sur moi, empreints de reproches et de mépris comme si j'étais l'un de ces nuisibles vivants sous les planchers. Néanmoins, de tout cela, je ne montrais rien. Mon visage restait impassible comme si toute émotion humaine était morte chez moi… Ce n'était pas le cas, évidemment, mais mes traits refusaient de les exprimer, donnant à mon visage des allures de statue de marbre… Ce qui dérangeait d'autant plus mes interlocuteurs.

Fort heureusement, l'homme disparu, non pas sans pousser un grognement insatisfait… Cependant, quelque chose me chiffonnait dans les affirmations de l'inconnue… Et en bonne scientifique curieuse, je ne pouvais me taire...J'attendis donc que le prêtre se soit assez éloigné, m'assurant que Blaise se soit également endormi avant de dire à la femme :

-Une chaleur sèche ne décollera jamais les feuilles d'un livre. Il faut au contraire utiliser de la vapeur… Ou de la neige. La vapeur est bien plus simple à produire cela-dit, déclarai-je sur un ton plutôt monocorde. Ce genre de chaleur, en revanche, agit parfaitement sur le jus de citron… On s'en sert comme une sorte d'encre invisible lorsque l'on veut cacher un message ou des choses “interdites”…

Je savais qu'elle-même cachait quelque chose, ses réactions avaient été plutôt… Prononcées, exagérée… Je n'y repensais qu'alors.
“Ce n’est pas de moi, je le jure !”s'était-elle écriée... Le feu n'était venu qu'après, lorsque le prêtre l'eût nommé.

-Vous avez dit “ce n'est pas de moi”, vous ne parliez pas des flammes à ce moment-là… Que cachez-vous ? N'ayez craintes, je ne vous dénoncerais pas, ce serait bien hypocrite de ma part… Je suis juste curieuse de savoir ce que vous avez découvert.
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyVen 11 Jan 2019 - 18:09
Elle aurait pu détourner les yeux. Ne pas la voir. Un peu comme ces mendiants qui appellent mais qui n’ont même pas le droit à un regard. Elle aurait pu ne pas intervenir et l’érudite, plus que jamais se serait sentit aussi transparente qu’un fantôme.

La savante ne savait pas tout mais, empiriquement, elle avait acquis quelques expérience : son jugement était bon et l’inconnue devait être intelligente. Très vite, les deux femmes se placèrent sous le même étendard : la jeune femme soutint ses dires, appuyant ses propos devant le clerc qui finit par se convaincre du mensonge qu’elles servaient éhontément.

En plus, le mensonge était énorme. Faux. Improvisé. Gros comme le nez au milieu de la figure. Et, dès que le dogue tourna les talons, la jeune femme aurait probablement rit de cette bêtise qui lui avait sauvé la mise.

Alors, oui, une flamme ne permet pas de décoller le papier. Souvent, le processus abîme même les ouvrages. Mais ce que le mystérieux livre avait à révéler était bien plus précieux que ce qu’il avait à perdre.

Curieuse, l’inconnue s’empressa de montrer son intérêt pour la découverte de la réfugiée. Louise ne répondit pas toute de suite : elle écarta le châle jeté prestement sur le parchemin uniquement quand elle fut certaine que plus personne ne reviendrait fouiner du côté de l’alcôve.

Pour le moment, elle n’avait pas révélé la totalité des motifs cachés. Les dessins des écorchés n’apparaissaient pas avec précision et il devait y avoir des incertitudes de ci, de là, parce rien n’était moins simple que de dessiner un motif avec une encre transparente. Cependant, celui qui avait réalisé l’ouvrage n’était pas tombé dans certains écueils : les informations capitales étaient distinctes et claires. Ecrites dans une langue étrangère que l’érudite peinait à traduire. Les croquis, eux, ne laissaient aucun doute sur l’hérésie du contenu.

Pas de moi, répéta la lettrée.

Et pourtant, elle aurait bien voulu. Ça se sentait. Même si mettre un mot dessus manquait de sagesse. C’était s’exposer. Et elle ne savait pas ce que ce brin de femme avait en tête. Même si elle avait trouvé dans cette présence l’intuition qu’elles se ressemblaient, rien ne pouvait lui assurer des intentions de cette fieffée inconnue.

A Marbrume, tout le monde avait deux visage : celui d’avant la Fange et celui d’après. Elle ne savait pas lequel des deux masques cette femme portait devant elle.

Tout ce qu’elle voyait, c’était que ses yeux très clairs brillaient comme ceux de l’enfant devant une nouvelle trouvaille. Elle reconnaissait cette curiosité qui était au moins aussi claire que la sienne. En silence, l’érudite laissa l’inconnue feuilleter l’ouvrage.
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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyJeu 17 Jan 2019 - 12:02
Une fois le calme retrouvé, l'intimité propice aux secrets s'installa au sein de cette petite alcôve isolée. La demoiselle, toujours aussi réservée, se montra néanmoins beaucoup plus disposée à révéler ses découvertes si impies aux yeux du clergé… Aux yeux des ignares, du moins, ceux complètement aveuglés par le bien ironique obscurantisme qui semblait régir notre bien sombre époque. “L'ignorance est une maladie”, disait Roland, “elle est source de bien des maux autrement plus graves que ceux occasionnés par la plus mortelle des maladies. Elle engendre le mépris, l'intolérance, la bêtise… Elle change les Hommes en pions serviles ou en instruments de souffrance pour d'autres humains aux esprits simplement différents parce que moins étriqués.”

Mon instinct me hurlait que je me trouvais face à une femme dotée d'un esprit semblable au mien. Je pouvais voir cette lueur de curiosité insatiable briller dans ses yeux couleur cobalt… Curiosité jugée honteuse et déplacée par bon nombre de nos semblables. Ainsi, me sentis-je un peu moins “seule” dans cet environnement aussi riche qu'hostile envers les gens comme “nous”. Peut-être ressentait-elle la même chose… En tout cas, ma remarque concernant l’effet de la chaleur sèche sur du papier qui l'était tout autant sembla faire mouche, assez du moins pour piquer sa propre curiosité. Celle-ci sembla d'ailleurs la pousser à me faire assez confiance pour me montrer ses “découvertes”.

Je plissais les yeux, si peux habitués à observer pareilles gravures. D'ailleurs, il me fallut un certain temps d'adaptation pour réaliser et surtout comprendre ce que j'étais en train d'observer. D'abord, je crus y voir des croquis représentant du bois, veiné par endroits… Mais quelque chose différait, d'autant que je ne voyais pas pourquoi le dessin serait ainsi dissimulé s'il ne s'agissait que de cela. Aussi, ne prêtant aucune attention aux mots de la jeune femme, à la fois emplis de honte et de regrets, je me rendis jusqu'à ma propre alcôve pour y chercher ma bougie.

-Ceci sera plus efficace,lui dis-je en plaçant la bougie derrière le manuscrit.

Là, les croquis apparurent bien plus clairement, assez pour me faire définitivement oublier l'image d'une branche décortiquée. Si des veines se dessinaient bel et bien, celles-ci n'avaient strictement rien à voir avec celles du bois… J'en restais sans voix.

-Incroyable, soufflais-je doucement pour ne pas attirer l'attention. Est-ce donc cela que nous appelons “écorchés” ?

Les croquis étaient accompagnés de mots, lisibles mais néanmoins totalement incompréhensibles. Ceux-ci étant probablement écrits dans une langue bien trop ancienne pour être connus des lettrés modernes… Mais si les mots restaient inaccessibles, certains symboles, quant à eux, me parurent bien familiers.

-Là, désignais-je du bout du doigt, ce n'est pas une lettre, mais un ouroboros, un symbole alchimique très anciens. Je dirai même qu'il date du temps des alchimistes que la première heure. Il représente le lien du temps et de la vie, le cycle existentiel, en somme. Je me demande ce qu'il fait ici.

Certains de ces symboles au sens totalement sibyllin pour les non-initiés, avaient donné naissance à cet amalgame dérangeant avec la sorcellerie… Comme…

-Ici,déclarais-je, prenant un air détaché, en lui montrant le signe de Salomon. Cette étoile étrange représente la combinaison de l'eau, la terre, le feu et l'air. Ils sont tous représentés par des triangles à la pointe se tournant dans un sens ou dans l'autre selon l'élément. Ce symbole est particulier et tient surtout d'une légende. L'aboutissement de toutes les recherches alchimiques du monde : “la pierre philosophale”. Cette pierre devait, selon les croyances d'alors, être capable de changer divers métaux en or, guérir toutes les maladies et prolonger la vie… Ou plutôt, rendre immortel son possesseur. Nous savons aujourd'hui que cette pierre n'existe pas, mais ce ne devait pas être le cas à l'époque.

L'apparition de la chimie avait mis fin à de nombreuses croyances ancestrale. Ainsi, l'alchimie moderne ne ressemblait guère à celle des anciens, tous guidés par une idéologie dépassée, mise à mal par l'apparition des trois. Du moins, c'est ce que Roland m'avait expliqué, l'histoire et la théologie ne faisaient pas partie de mes connaissances.

-Je pense donc, en reliant ces symboles et ces schémas, que l'auteur cherchait à atteindre l’immortalité… Ce n'est que supposition cela dit. Je ne suis pas capable de décrypter le reste. déclarais-je en me redressant. Pardonnez-moi, je ne me suis pas présentée. Je me nomme Adeline Delorme… Je suis...scientifique, ce qui n'est, évidemment, pas à crier sur tous les toits. Je vous fais confiance, puisque vous êtes à présent ma complice.
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyJeu 17 Jan 2019 - 15:59
Celle qui devait être son aînée de quelques année se mit à tourner les pages du mystérieux ouvrage. La flamme derrière ses pupilles ne mentait pas : tout cela brillait d’une curiosité qu’elle connaissait trop bien. Un spectacle dont elle s’étonnait toujours. Ainsi, elle reconnut un membre de son espèce. De ceux dont l’appétence pour les sciences n’avait pas fondu avec le début des grandes peurs.

Elle la vit aller chercher son cierge pour mieux brûler les zones qui devaient se révéler. La bougie de l’érudite était déjà brûlée par les deux bouts, il faut dire.

Incroyable, lâcha l’inconnue dans un souffle, avant de lever les yeux sur la réfugiée et murmurer : Est-ce donc cela que nous appelons “écorchés” ?

Était-ce donc ses premiers ? L’érudite hocha la tête, un sourire bienveillant aux lèvres. Oui, il s’agissait de quelques dessins d’écorchés savamment dissimulés. Des dessins que les plus téméraires des physiologiste griffonnaient lors de dissections qui se faisaient à l’abris des regards D’après son expérience, l’érudite pouvait penser qu’ils avaient été recopiés. Les légendes pointaient proprement des structures et restaient pourtant hermétique à leur compréhension de par leur langage fort inusité. Pour un premier échantillon, cette néophyte, si c’en était bien une, avait bien de la chance. Dans sa mémoire, elle ne se souvenait pas avoir débuté avec des esquisses si détaillées.

Novice ne veut pas dire sot et la jeune mère s’en rendit vite compte lorsque l’inconnue se mit à pointer des aspects qui ne lui avaient pas échappés, mais sur lesquels des yeux innocents auraient facilement ripés d’inexpérience. Elle pointa plusieurs symboles, donna derechef leur histoire et leur signification. Sa voix tressautait ouvertement de passion pour toutes ces codes oubliés d’alchimistes.

Jamais la jeune savante n’avait voué un intérêt très poussé pour les choses des chimies mais elle trouvait remarquable toutes leurs annotations spécifiques. Cette horde de symboles qui cachait ce qu’il fallait taire à ceux qui les prenaient pour des monstres impies. Que de l’ingéniosité débordant de mysticité ; parce que, de tous les gens d’esprit, ils étaient ceux qui croyaient le plus à l’impossible. Tantôt cela sonnait comme de la folie et d’autres fois comme du génie. Il fallait lire et détricoter les écrit pour se faire une idée ; ce à quoi l’érudite n’était jamais fermée. Les écrits modernes tempéraient de plus en plus les divagations des anciens malgré l’obscurantisme de leur temps.

Après avoir expliqué la signification de plusieurs symboles, l’inconnue exposa proprement son hypothèse en se redressant au fond de son siège :

Je pense donc, en reliant ces symboles et ces schémas, que l'auteur cherchait à atteindre l’immortalité… Ce n'est que supposition cela dit. Je ne suis pas capable de décrypter le reste.

Malicieusement, l’érudite sourit à l’inconnue. Elle avait juste sur toute la ligne. Et pour le reste, il y avait elle et sa grande connaissance des dialectes oubliés.

Pardonnez-moi, je ne me suis pas présentée, finit par s’excuser son aînée toujours penchée sur le manuscrit. Je me nomme Adeline Delorme. Je suis...scientifique, ce qui n'est, évidemment, pas à crier sur tous les toits. Je vous fais confiance, puisque vous êtes à présent ma complice.

L’érudite hocha prudemment la tête. Les secrets, ça la connaissait ; et elle doutait fort d’avoir été capable de faire ce que venait de faire cette connaisseuse des runes obscures. Jouer carte sur table avait du bon mais était extrêmement risqué en ces temps mâchés de ténèbres et d’ignorance.

Louise, fit-elle en lui tendant doucement la main pour la serrer de connivence.

Pas de nom. Celui-là s’était perdu sur la route entre son pays et Marbrume. Il n’avait plus d’importance.

L’érudite se pencha de nouveau sur manuscrit. Elle prit deux petites secondes pour réfléchir et se décida à lui montrer la richesse de ce livre que son acolyte ne pouvait pas apprécier dans son intégralité.

Si je devais traduire le titre de ce livre, dit-elle en montrant la calligraphie en première page, je crois que ce serait Les mécanismes de l’éternité. Ou plutôt Les lois de l’éternité.

Et elle exposa à l’alchimiste un échantillon de pages qu’elle trouvait particulièrement intéressantes.

Sur une, on voyait des grandes schématisation de bras sur lesquels on avait fixés des garrots. Les veines saillaient alors et en fonction où des poids étaient appliqués, le tracé des vaisseaux disparaissait ou non.

Voilà ce que je trouve le plus formidable, madame, souffla-t-elle avec une excitation contenu et engoncée dans l’angoisse de se faire prendre. Ce ne sont pas des écorchés. Les dessins ont été faits à partir d’études sur sujets vivants.

Elle décrivit l’expérience. La ligature lâche du bras, ici le gauche, ce qui a permis au réseau veineux de se gonfler et ce qui était décrit comme des nœuds gonfler. En massant les veines de l’extrémité du bras en remontant vers le haut, on remarque que les veines s’aplatissaient sur le dessin. De cette observation, l’auteur déduisait que cela signifiait qu’une force forçait le sang à se propager dans un sens unidirectionnel.

Pour illustrer le propos, elle se saisit du foulard qu’elle avait autour du cou pour s’en servir comme garrot autours de son bras maigre à faire peur. Elle n’eut pas à forcer pour que les veines saillissent. En même temps qu’elle présentait son explication, elle menait à nouveau l’expérience et prouvait son bien fondé.

Si on fait la même chose sur un cadavre, aucun nœud ne se montre, affirma-t-elle. Tant qu’il y a cette sorte de … circulation, alors on est en vie. Et l’auteur relie tout ça à cette structure.

Elle tourna à nouveau les pages, exposant le dessin d’un organe, représenté sous toutes ses coutures.

Ce serait cette chose. Situé au milieu du thorax. Grand comme le poing.

En même temps qu’elle racontait son histoire, elle faisait les gestes pour appuyer son propos, serrant son poing à en faire blanchir les phalanges pour le positionner au milieu de sa poitrine.

Je ne sais pas quoi en penser. Mais si c’est bien là un « mécanisme de l’éternité », alors je trouve cette étude particulièrement digne d’intérêt. Quel est votre avis à vous ?

Pour ne pas dire précieuse. Pour ne pas dire qu’elles tenaient entre les mains un morceau de génie.
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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyVen 18 Jan 2019 - 21:07
“L'alchimie est liée avant tout à l'étude de la matière. Par notre savoir, nous la travaillons, la transformons, et ce, quelle que soit cette forme, mon garçon. Pour moi, nous sommes, nous humains, fait de matières différentes. Nous sommes comme l'étoile de Salomon, composés d'éléments qui, ensembles, façonnent l'être humain. Il existe ainsi un équilibre, bien fragile, il est vrai. Celui-ci varie avec l'âge et toutes les expériences infligées par la vie. N'oublie jamais ça, gamin, tout n'est que matières, qu’elles soient vivantes ou inertes...”

Les leçons de Roland, bien qu'intéressantes, étaient bien souvent, difficiles à comprendre. Mon vieux maître était ce que l'on pouvait nommer un “original”. Il voyait le monde à sa façon, sans réellement se préoccuper de l'avis du clergé. Pour lui, tout être vivant est façonné à partir des quatre éléments, la nature ou le caractère de celui-ci dépendra uniquement du “dosage”. L’être humain est particulier, car il est façonné sur un plan particulier, celui regroupant les piliers le l'alchimie: le soufre, revenant au corps, le sel qui représente l'esprit et enfin le mercure, métal liquide évoquant l'âme humaine, stable mais insaisissable.

Néanmoins, bien qu'au début, mon opinion ne s'exprimait pas, que ce soit par ce respect lié à l'âge ou au fait qu'il me restait alors tout à apprendre, celui-ci ne tarda pas à différer de celui de mon enseignant. La faute à un ouvrage, découvert en ce même lieu, alors que je devais avoir quinze ans.

Aucun nom ne figurait sur ce manuscrit étrange ressemblant plus à un carnet de notes antique qu'à un traité ou autre œuvre travaillée et destinée à être lu par d'autres. De ce fait, je ne pus réellement en saisir le sens, les mots étaient écrits dans un dialecte bien trop ancien pour m'être connu… Mais les dessins en revanche étaient on ne peut plus clair.

L'anonyme ne s'intéressait pas aux humains, les dissections sur nos semblables étaient de tout temps mal vues, sinon interdites. Néanmoins, je me souviens très bien de ces croquis, quelque peu grossiers, représentant grenouilles, oiseaux, poissons ou carrément de chiens, tous viscères à l'air. L'auteur semblait s'intéresser à leur fonctionnement, même si, je me répète, je fus bien incapable de traduire les mots évoquant la nature de ses fameux travaux. Toutefois, je me souviens bien de ces dessins et de la complexité de ce qu'il représentait tant bien que mal… Ce qui ne correspondait nullement à la simplicité des quatre éléments. Mais là encore, je me souviens très clairement de la représentation d'un ouroboros… Celui-ci prenant alors un tout autre sens, se rapprochant étrangement des paroles de la jeune érudite à mes côtés…

Un cycle…

Je repensais à tout cela en écoutant la jeune femme me parler de la traduction du titre de cet ouvrage si particulier. Louise, puisque c'était son prénom, en savait visiblement bien assez sur ces fameuses “Lois de l'éternité”, même si le sens de ces mots était bien différent de celui que je lui aurai donné par mon expérience et mon savoir. Ces schémas étranges et presque dérangeants en montraient presque trop comme pas assez. D'après ce qu'elle m’en dit, l'auteur, apparemment avant-gardiste, avait mené des études jugées interdites. À notre époque, nous savons que le sang est source de vie. On sait qu'un corps vidé de cette substance est forcément mort… Même si nous ne savons pas pourquoi. Néanmoins, toujours d'après les dires de la jeune érudite, cette circulation en ouroboros serait liée à une chose bien particulière déjà observée lors de ma découverte de ces anciens croquis de dissections animales.

Avec une évidente attention chargée d'intérêt, j’observais la demoiselle m'illustrer ses propos. Je la vie alors enserrer son bras à l'aide de son foulard et ainsi révéler ces choses rappelant les veines du bois… Je connaissais le principe du garrot pour l'avoir pratiqué, une seule et unique fois… Je savais que cela empêchait le sang de jaillir d'une plaie ouverte et ainsi à éviter la mort du blessé. En revanche, je ne m'étais jamais interrogée sur le pourquoi, pas cette fois. L'information vitale me suffisait amplement pour accomplir ce que j'avais à faire. Toutefois, cette femme semblait fascinée par cette histoire de circulation démontrée de façon hypothétique sur ces fameux croquis.

-Je vois ce que vous voulez dire. Selon vous, cet élément serait lié à cette circulation ? Qu'est-ce donc ? Un réservoir ?

Ceci ne correspondait nullement à mon domaine de prédilection. L'anatomie humaine ou animale ne m'intéressait pas plus que cela, je dois bien l’avouer. Aussi, lorsqu'elle me demanda mon avis, je restais tout d'abord sans voix avant de réfléchir à ma manière et de n'utiliser que les connaissances en ma possession.

-Je crains fort que l'éternité n'existe pas, lui dis-je en affichant un demi-sourire quelque peu éteint. Il ne s'agit là que de croyances chargées d’espoir. Néanmoins, j’ai déjà vu cette chose quelque part. L'aspect diffère quelque peu, mais l'emplacement correspond…

Rien n'est plus frustrant pour un être doté de curiosités que de se voir freiné par un manque de matière à analyser. Désireuse de lui apporter un minimum d'aide dans ses recherches, je levais les yeux vers le père Blaise, histoire de m'assurer de sa discrétion. Le vieux prêtre était toujours là, assis sur sa chaise, les mains jointes sur ses cuisses. On aurait pu y voir un penseur… si ses ronflements ne résonnaient pas dans le petit espace. Rassurée, mon regard parcourut alors les rayonnages tandis que je cherchais dans ma mémoire où avait été rangé ce fameux manuscrit… Cela remontait à loin, je pourrais presque affirmer qu’il s'agissait alors d'une autre vie. Aussi mes souvenirs n'étaient plus assez clair pour me permettre de retrouver un objet découvert tout à fait par hasard. Cette pensée m'arracha un soupir las de déception, d'autant plus que je n'avais guère de temps à accorder dans ce genre de recherches, malgré mon désir sincère de vouloir aider cette femme qui semblait pouvoir me comprendre.

-Tout ce que je sais, c'est que chaque chose existante en ce monde est soumise à la même loi, celle de la dégradation. Quelle que soit la nature de la matière, celle-ci n’est destinée à apparaître sur cette terre que pour un temps donné avant de se transformer en autre chose…

Transformations. Transmutations… L'alchimie n'existe que pour se pencher sur ces possibilités, ô combien riches et variées. Certains cherchent à transformer un métal des plus banal et bon marché en or ou en argent. D'autres rêves de façonner une pierre légendaire dans l’espoir de prolonger leur existence… Personnellement, je ne cherchais rien de tout cela… Néanmoins, ce n’était pas le moment de m'intéresser à tout ceci, ma curiosité se portait ailleurs, sur un sujet bien vivant, assis juste à côté.

-Qu'être-vous, au juste ? Une sorte de guérisseuse trop curieuse ou une traductrice ?

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Louise OchaisonErudite
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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyMer 23 Jan 2019 - 13:15
Attentivement, l’inconnue écouta ses explications, posant des question qui étaient aussi les siennes. Rien dans l’ouvrage ne permettait toutefois de trancher sur le rôle de cet organe décrit. Même l’érudite venait à douter de sa traduction, si fait. Son manque de pratique l’empêchait d’appréhender la chose parce qu’elle était de ces intellectuelles qui préfèrent conceptualiser pour appliquer sa science plutôt que partir d’expérience empirique pour apposer un modèle dessus. De fait, elle n’avait jamais eu affaire à la moindre approche anatomique. Pas pour le moment, du moins.

Je crains fort que l'éternité n'existe pas, lâcha son interlocutrice catégorique. Il ne s'agit là que de croyances chargées d’espoir.

Bien sûr, le titre était plus aguicheur qu’autre chose, en fait, comme ça l’était souvent pour les pavés de sciences, débordant parfois d’une certaine autolâtrie.

La jeune mère ne croyait pas non plus à l’éternité. Au delà de ça, elle la craignait même. L’absence de la mort aurait rompu les cycles parce que tout ce qui s’interrompt rejoint un grand tout de la même façon que les rivières trouvent toujours le chemin vers l’océan. Entretenir la vie de ce qui aurait dû mourir, c'était n'accorder aucun repos aux vivants.

Et pourtant… N’était-ce pas d’ailleurs ce qu’il advenait de la Fange ?

Depuis son apparition, l’avis de la jeune femme sur les forces qui régissent le monde avaient drastiquement changé. Si l’éternité n’était qu’une croyance, alors c’était les croyances qui lui avaient tout pris et ce raccourci râclait les restes de présomption d’impuissance de l’humanité.

Néanmoins, j’ai déjà vu cette chose quelque part. L'aspect diffère quelque peu, mais l'emplacement correspond…

Les deux femmes s’étaient fort bien trouvées alors. L’alchimiste vérifia que le gros prêtre ronflait toujours sur sa chaise et elle alla fouiller les rayon pour y extirper un autre ouvrage, sans le retrouver.

Tout ce que je sais, c'est que chaque chose existante en ce monde est soumise à la même loi, celle de la dégradation. Quelle que soit la nature de la matière, celle-ci n’est destinée à apparaître sur cette terre que pour un temps donné avant de se transformer en autre chose…

Là-dessus, l’érudite n’aurait su la contredire. Malgré toutes les divergences qu’elle avait voulu minutieusement décortiquer dans sa jeunesse, elle croyait à la théorie générale de la dégénérescence et en ses failles. Seule la combustion échappait à cette règle de transformation puisque chauffer du métal aboutissait à une augmentation de la masse.

Si l’univers s’étend sous différentes formes – solide comme la pierre, liquide comme l’air, gazeuses comme l’eau —, ça devait être que les interactions de la matière permettaient une redistribution constante de ses entités. Mais de quoi était vraiment fait la matière ? Et quelle était l’étendue des interactions ? Cela, personne ne pouvait le prédire. Et personne ne s’y intéressait non plus parce qu’on n’aurait point su ce qu’il fallait en faire.

« Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau », voilà à quoi il fallait s’en tenir pour le moment.

L’érudite était partie bien loin, croisant les ouvrages de son majestueux palais mental, essayant de formuler efficacement toutes les questions qui découlaient logiquement du croquis qu’elles avaient sous les yeux et des objections formulées par l’alchimiste. S’il y avait une naissance, alors où se formait le sang ? S’il y avait une dégradation, où se dégradait-il ? S’il y avait une séparation, où et comment avait-elle lieu ? Qu’est-ce qui différaient entre son sang à elle, celui de l’enfant, ce drôle de malade, et la Fange, à supposer que les fangeux étaient encore doté d’écarlate dans leur veines ?

Sa comparse l’interrompit soudainement :

Qu'être-vous, au juste ? Une sorte de guérisseuse trop curieuse ou une traductrice ?

L’érudite sursauta presque en se rendant compte qu’elle avait beaucoup pensé et très peu dit, comme à son habitude. Elle balbutia, en glissant une mèche de cheveux qui tombait sur ses joues derrière son oreille :

Je…Juste traductrice, répondit-elle, très concise. Pas une guérisseuse.

Et elle disait vrai parce qu’elle ne se sentait pas l’âme d’un mire. Elle n’avait jamais été appelée pour guérir autre chose que les plaies courantes de son enfançon. Et puis, tous les gestes qu’elle répétaient, c’étaient ceux qu’on lui avait montré ; rien qu’elle n’ait essayé de changer sinon les recettes des onguents et la forme des pansements.

Et vous donc ?

D’une façon, la jeune femme avait la tête de l’emploi : elle paraissait si grêle qu’on l’imaginait mal faire autre chose que se servir de sa tête. Mais son aînée n’avait pas exactement le même physique transparent. Elle paraissait moins soignée, un brin plus sauvage et occupée. Qui était celle énième âme damnée ?

Sa science formait un trésor dans cette ville bistre, bourrée de cérébralités ternes. La survie ne laissaient pas les gens penser loin alors elle charmée de trouver ce brin de fille presque aussi encline à trouver des solutions avec sa tête plutôt qu’avec sa poigne.
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Adeline DelormeAlchimiste
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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyJeu 24 Jan 2019 - 22:43
Traductrice… Le mot résonna un moment à mes oreilles. L’on m’avait prévenu que certains d’entre eux venaient régulièrement en ces lieux afin de retranscrire ces anciennes paroles pour qu’elles soient enfin comprises par nos contemporains. Je trouvais la tâche aussi noble qu'ardu. Moi-même, étais-je tombée quelque fois sur nombres de ces manuscrits emplis de ces phrases obscures et aux sens inconnus. Au point même de m’en sentir frustrée, car je me retrouvais tout bonnement freinée dans mes recherches, un peu comme si je me retrouvais debout face à un mur infranchissable. Cette femme, donc, détenait une clé précieuse, celle du savoir si ancien qu’il fut mené à être oublié.

Notre époque n’était pas considérée comme le temps du savoir. L’on me l’avait déjà mainte fois répété. Le Temple et la Trinité, n'autorisent pas les Hommes à se montrer originaux ou inventif, en particulier, du moins, lorsque l’on se rapprochait de l’humain. Le mot même science, avait été oublié alors qu’il était connu en des temps reculés, anciens et effacés par l’arrivée des Trois. Je le savais pertinemment, même si je refusais tout cela, n’y voyant finalement qu’un synonyme du mot bêtise ou encore plus simplement d’injustice. Contrairement à la religion, la science n’est aucunement régie par des dogmes. Elle ouvre le champ des possibles, sans restrictions outre celle de la barrière de la logique. Voilà pourquoi Roland rejetait tant la religion, même si je n’ai jamais su s’il était croyant ou non. Peut-être que si finalement. Pourquoi rejeter quelque chose de façon si virulente, avec tant de hargne, si l’on n’y croit pas ? L’on se contente généralement d’ignorer ce que l’on juge futile, irrationnel… Du moins, c’est ce que je pensais alors.

Pour ma part, je ne perdais pas de vue l’influence des Trois, qu’elle soit réellement ou non, elle agissait d’une manière irréfutable sur les Hommes peuplant ces terres. Peut-être était-ce différent ailleurs, en d’autres temps, mais ici et pour l’heure, leur présence était bel et bien marquée.

Qu’en pensait donc cette femme à mes côtés ? Qu’avait-elle lu, découvert, appris que je ne connaissais pas ? Ce n’était pas qu’une possibilité qu’elle détenait, mais aussi un pouvoir, un privilège totalement inaccessible au plus grand nombre d’entre nous… Aussi restais-je silencieuse quelques secondes, m’offrant ainsi le temps de réfléchir au moyen de me présenter un peu plus clairement. J’avais déjà évoqué l’alchimie et le titre que l’on donnait à ses pratiquants. Mais au fond, qu’étais-je réellement ? Mes connaissances allaient bien plus loin que l’antique science, celle qui ne constituait, finalement, que les fondations de la science que j’étudiais… Néanmoins, ce n’était pas tout, cela ne résumait strictement rien, ni de ma personnalité, ni même du savoir que je détenais et que je tendais à approfondir, encore et toujours.

-Une grande curieuse, dirai-je, répondis-je, un peu confuse en me passant une main dans les cheveux. Je ne sais pas vraiment comment me qualifier… Disons que je fais beaucoup de recherches.

Recherches plus ou moins ciblées, il est vrai. Mes idées et réflexions partaient toujours en tous sens sans jamais réussir à se fixer sur un seul et unique point. Le temps semblait me manquer. Comme si je voyais déjà ma fin se dessiner à l’horizon sans que je puisse réellement savoir si elle était proche ou bien lointaine. Le don de voyance ne faisait guère partie de mes “talents”. Malgré tout, je me sentais le devoir, le besoin, de comprendre un maximum de choses, de trouver le plus de solutions possible avant de disparaître le moment venu.

C’est peut-être ce besoin-là qui guida mes pensées jusqu’à un certain ouvrage. Celui que m’avait apporté le père Clay ce jour-là, en ce même lieu. Peut-être que cette femme pouvait m’aider à déchiffrer ces paragraphes si mystérieux encadrant soigneusement les gravures qui m’avaient tant marquée au point de m’obséder.

-Dites… hésitai-je de prime abord avant de reprendre assez de courage pour poursuivre.D’une complice à l’autre… Jusqu’où se portent vos connaissances des langues anciennes ? Il existe ici un ouvrage qui pourrait probablement m’aider dans mes recherches… Or, il est malheureusement écrit dans un langage qui m’est totalement inconnu… Pensez-vous que vous pourriez y jeter un œil ? Évidemment, si je peux vous rendre service en retour, ce serait avec plaisir… J’ai de nombreuses connaissances en ce qui concerne les potions et remèdes. De la nourriture aussi, de l’or…


Dernière édition par Adeline Delorme le Jeu 31 Jan 2019 - 7:41, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyMer 30 Jan 2019 - 22:31
L’inconnue se définit comme une « grande curieuse » et l’érudite lui trouva la formule savoureuse.

Elle se mit à évoquer des recherches. Fouiller le papier était souvent pris pour sorcellerie. D’un coup, la mission de retourner la multitude de parchemin planquée dans Marbrume pesa moins lourd sur les épaules de la jeune femme. La grande complication à l’étude résidait dans le contenu titanesque qu’avaient laissé les anciens et leurs aïeuls avant eux. Si certains avaient pris le temps de coucher le travail d’une vie sur le papier, combien faudrait-il d’existence pour venir à bout de toutes ces traces de fantômes ? Parfois, c’est ainsi que l’érudite voyait son ouvrage : elle tendait l’oreille à ceux qui ne pouvaient plus fredonner leurs vérités ; et elle se voyait ravie de savoir qu’une autre avait profité d’un fragment des mêmes ritournelles.

Mais à trop écouter les comptines flottantes dans des sens contraires, il devenait délicat de démêler le faux du vrai dans cette masse de connaissances parfois frauduleuse. La traduction avait ça d’apaisant pour l’érudite : elle livrait le plus directement la version d’une histoire sans qu’on ne lui demande de juger de son bienfondé.

Et ce fut tout de suite à ses qualité de traductrice que la jeune femme trouva judicieux de questionner :

Dites… elle murmura, comme prise d’un doute. D’une complice à l’autre… Jusqu’où se portent vos connaissances des langues anciennes ? Il existe ici un ouvrage qui pourrait probablement m’aider dans mes recherches… Or, il est malheureusement écrit dans un langage qui m’est totalement inconnu… Pensez-vous que vous pourriez y jeter un œil ?

Un doux sourire s’étira sur le visage bourré d’angles. La remarque la toucha parce qu’elle ne pensait pas un jour se trouver une utilité qui allait de paire avec les choses relative de l’esprit. Mais elle dû tarder à exprimer sa gratitude parce que la curieuse chercha à la convaincre davantage à coup d’appâts qu’elle lui reconnaissait bien fins :

Évidemment, si je peux vous rendre service en retour, ce serait avec plaisir… J’ai de nombreuses connaissances en ce qui concerne les potions et remèdes. De la nourriture aussi, de l’or…

La réfugiée n’aurait jamais osé en demander autant.

Allons, allons, montrez-moi ça, fit-elle parce qu’elle reconnaissait devoir une faveur à cette nouvelle collègue.

Elle nota cependant ce qui concernait les préparations de mixtures. Souvent, elle avait recours à l’expertise des herboristes. En particulier pour l’enfant et sa santé fragile. Voilà information qui n’était point tombée dans l’oreille d’une sourde.

L’œil de l’érudite avait retrouvé un éclat qui n’avait pas brillé au fond de ses pupilles soucieuse de trouver une part de nouveauté dans cette Bibliothèque qu’elle commençait à trouver étroite.

Je ne peux rien vous promettre, tempéra-t-elle alors que son acolyte s’en allait chercher l’information. Mais, oui, je veux bien regarder, si c’est important pour vous.

Pour sûr, elle ne s’attendait pas le moins du monde à ce que l’alchimiste ramène un prête à ce drôle de conciliabule de gratte papier.

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Adeline DelormeAlchimiste
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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyJeu 31 Jan 2019 - 16:24
S'il existait une personne pouvant se repérer dans ces rayonnages les yeux fermés, ce ne pouvait être que le père Aaron. Le prêtre connaissait les lieux comme sa poche, au point même qu'il était aisé de se tromper et de lui attribuer le titre d'archiviste. Depuis notre rencontre, quelques jours plus tôt, je m'étais bien gardé de le déranger dans ses recherches et m'étais contentée que de quelques salutations silencieuses, lancées à distance. Je n'aimais pas l’idée de lui imposer ma présence, comme ce fut le cas quelques jours plus tôt… Seulement, cette fois, j’avais une bonne raison de le faire et je pensais qu'il serait probablement tout aussi ravi que moi de rencontrer la jeune Louise.

Aussi me dépêchais-je de la conduire jusqu'à lui, au point même d'en oublier le père Blaise qui ne se gênerait pas pour me le faire remarquer plus tard… Mais tant pis, pour l'heure, je n'avais qu’une seule idée en tête et dans ces cas-là, rien d'autre ne comptait. La jeune femme avait accepté de m'aider, et même si rien ne pouvait garantir sa réussite, cet accord éveilla une joie intérieure qui se refléta, probablement, dans mon regard quand le reste de mon visage restait totalement inflexible.

Sans surprise, je retrouvais le père Aaron installé à la même place que quelques jours auparavant, le nez toujours plongé dans un livre… Voir même plusieurs, tant il y en avait d'ouvert sur la table… Le voyant ainsi concentré, je commençais à culpabiliser de devoir le déranger une fois encore… Je n'aimais pas que l'on s'amuse à me tirer de mes réflexions, c'est le meilleur moyen d'en perdre le fils… Aussi fis-je signe à ma compagne d'attendre un peu… Jusqu'à ce que les yeux du prêtre ne se relèvent, signe qu'il était plus disposé à nous entendre. Alors, seulement, là, j'invitais l'érudite à approcher.

-Bonjour mon père, le saluai-je poliment. Pardonnez-moi de vous déranger une nouvelle fois, mais j'ai avec moi Louise, elle est traductrice et pourrait probablement m’éclairer sur la nature de l'ouvrage que vous m’avez montré il y a quelques jours.

J'espérais qu'il s'en souvienne, car je n'avais malheureusement aucun titre ni nom d'auteur à lui fournir pour l'aiguiller, si ce n'est :

-Celui avec les gravures évoquant visiblement la grande pestilence et les pistes de traitements… Entre autres.

Le manuscrit en question était assez imposant et, à la nature des gravures y étant représentées, celui-ci semblait également contenir quelques recettes de remèdes et autres descriptifs de maladies anciennes. Depuis sa découverte, l'ouvrage m'obsédait. J'avais essayé de trouver l'équivalence durant des jours, mais en vain. Aussi, ma curiosité n'avait fait que croître depuis le temps… J'espérais donc que Louise puisse réellement m'aider avec celui-ci… Oh pitié, faites qu'elle puisse m'aiguiller…

-Louise, je vous présente le père Clay, le père Blaise dit qu'il s'agit des yeux et des oreilles de la bibliothèque. C'est un homme doté de grandes connaissances et il connaît parfaitement ces lieux et les richesses qu'il renferme.

Autant dire qu'il m'avait impressionné lors de notre rencontre. Il ne lui avait fallu que quelques minutes pour rassembler un grand nombre d'ouvrages traitant du sujet qui m'intéressait alors. Depuis, mes recherches avaient évolués, se plaçant à la fois du côté scientifique mais aussi théologique. Mes théories semblaient s'élargir, s'éparpillant à la fois des deux côtés trop souvent jugés incompatibles, bien que ce ne fût pas tout à fait mon avis. Les présentations faites et ma demande formulée… dans le désordre, il ne me restait plus qu’à attendre pour voir si mes espoirs seraient récompensés ou non.

L'une de mes théories demandait d'ailleurs l'avis du prêtre... Mais mieux valait lui exposer une fois seuls...
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Aaron ClayPrêtre
Aaron Clay



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyVen 1 Fév 2019 - 12:46
Des recherches théologiques, encore et toujours. C'est l'obsession actuelle d'Aaron. Il faut dire que la vivifiante discussion qu'il a eue avec la petite alchimiste l'ont bien remotivé, sans compter que quand il étudie la théologie, son prêtre responsable lui fout une paix royale. Quand il s'agit de théologie ou de chantier, l'imbécile qui lui sert de chef lui fout une paix royale... ou presque. Et quand il étudie, Aaron est capable de forte concentration.

Sauf que depuis un moment, il y a deux femmes qui piaillent et elles ne sont pas du Clergé. Oh, elles le font de manière discrète, mais cela perturbe un brin sa quiétude. Aussi a-t-il relevé les yeux pour voir de qui il s'agissait... et il connaît les deux. La première, forcément, l'a marqué puisqu'il s'agit de l'alchimiste elle-même. Quant à l'autre, c'est une bénévole du Temple, une traductrice que quelques-uns ici tiennent en haute estime pour la qualité de son travail. Lui ne peut en juger, n'ayant pas étudié les langues étrangères ou anciennes. Mais elle est très active ici et respectueuse du lieu. Si les deux se découvrent et s'entendent, c'est plutôt une bonne chose, alors les a-t-il laissées tranquille. En plus, les autres ne semblent pas plus dérangés que cela. Puis le retour à ses études lui a fait presqu'oublié le monde qui l'entoure.

Le Père Clay fatigue un peu, cela fait des heures qu'il est là-dessus et dès qu'il a fini d'étudier ce point, il reprendra la réparation de cet ouvrage qui avait tant marqué l'alchimiste. Il a bien suggéré à ses supérieurs d'en faire une traduction, mais on lui a clairement dit que ça n'était pas prioritaire. Alors, il fait l'effort pour qu'on le conserve en réparant, protégeant et reliant le précieux ouvrage. Il adore s'occuper ainsi, et faire travailler ses mains plutôt que son cerveau. Une manière originale de se reposer, certes, mais quand on est un amoureux des livres...

Ah, des gens... Il finit de prendre des notes puis relève les yeux et est surpris de voir Adeline. Elle semblait occupée. Et la bénévole, tiens. Ont-elles un ouvrage à étudier, une question épineuse d'érudites qui nécessite son expertise ? Il affiche un sourire, voilà qui l'intrigue... Adeline lui parle de l'ouvrage, celui qu'il relie et qui est planqué sous ses parchemins, ses autres livres et ses notes. Voilà qui est aussi logique qu'incongru. Et qui peut lui causer quelques problèmes. Il n'a pas eu l'accord pour le faire traduire, une traductrice va bosser dessus, d'aucun penserait qu'il a outrepassé les ordres. Il n'est pas excessivement respectueux des règles, c'est même un fait connu dans le Clergé, mais de là à ne pas entendre une recommandation, il y a un pas qu'il ne peut franchir. Il griffonne sur un parchemin vierge.

- Ceci n'est pas une commande du Temple. Et faites-y attention, je n'ai pas fini sa restauration !

Oh, non pas qu'Aaron craigne que la Louise puisse faire une erreur, elle est souvent en possession d'ouvrages anciens ou fragiles, on traduit rarement des ouvrages neufs et récents mais si on l'interroge, elle pourra dire que ce n'est pas à sa demande, puisqu'il le restaurait. Il range ses ouvrages et parchemin en une pile et les invite à s'asseoir face à lui, puis va ranger ce qu'il avait emprunté pour ses études et se trouve un autre ouvrage à restaurer, ça ne manque pas, avant de rejoindre les deux femmes. Elles auront eu le temps de converser un peu. Relier ne demande pas une concentration aussi grande, si elles veulent l'intégrer à leur discussion ou simplement lui permettre d'y assister, c'est le bon moment. L'esprit d'Adeline est affuté, et une traductrice peut être un élément intéressant à écouter. Aaron aime apprendre, même s'il ne sera jamais traducteur, par faute de temps surtout.
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Louise OchaisonErudite
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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyMar 12 Fév 2019 - 12:48
Une expression de satisfaction illumina avant l’heure le visage de l’alchimiste. L’érudite voulut canaliser cet engouement sans y parvenir : la jeune femme partit à la quête de l’ouvrage qu’elle avait évoqué. Mais ce n’était pas tant le manuscrit qu’elle s’en alla quérir mais plutôt un homme. Parfois, dans la mémoire des hommes, on puise bien plus vite les renseignements, la lecture des registres étant parfois fort longue et fastidieuse.

C’était un prêtre qui avait largement dépassé le quart de siècle. Tout chez lui était grisonnant. Ses cheveux poivres et sel, ses vêtements ternes et jusqu’à ses pupilles où flottait des cumulus qui ne viraient pas à l’orage face à cette rencontre. Il ne semblait pas surpris de voir l’alchimiste. Pas non plus de la voir trainer dans son sillage ce sac d’os qu’était la jeune réfugiée.

Bonjour mon père, salua poliment sa complice. Pardonnez-moi de vous déranger une nouvelle fois, mais j'ai avec moi Louise, elle est traductrice et pourrait probablement m’éclairer sur la nature de l'ouvrage que vous m’avez montré il y a quelques jours. Celui avec les gravures évoquant visiblement la grande pestilence et les pistes de traitements… Entre autres.

Et puis, elle se sentit probablement obligée de la présenter ; de mettre un nom sur la personne qu’elle trainait avec elle, comme pour légitimer sa présence :

Louise, je vous présente le père Clay. Le père Blaise dit qu'il s'agit des yeux et des oreilles de la bibliothèque. C'est un homme doté de grandes connaissances et il connaît parfaitement ces lieux et les richesses qu'il renferme.

Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait l’homme dans ces murs. Entre rat de bibliothèque, on se reconnaissait, on se croisait et recroisait et s’entichait presque de la présence de ceux là qui était de notre race. De ceux qui avaient eu trop de fois les mains tâchées d’encre et le dos voûté de longue heure sur la même calligraphie rigoureuse. Mais cet homme-là appartenait à ces gens de lettre qui s’étaient dévoué totalement à leur culte : là était la damnée différence. Quelque part, elle craignait trop ces gens pour daigner leur adresser la parole. Si elle le faisait c’était pour les extrêmes nécessités et les quelques convenances. Elle n’aimait guère imaginer que l’un d’eux trouve en elle cette forme d’impiété dûment échafaudée à force de larmes, de science et de conscience. De tous temps, ils avaient toujours été les premiers à la traiter de diablesse pour la faiblesse qui était sortie de ses entrailles.

Poliment, elle salua, un peu blême. Dans sa vie d’avant, elle avait l’habitude de cette courtoisie forcée et le sourire qui s’étirait sur ses lèvres était aussi doux que fardé.

L’homme se mit à griffonner quelques inscriptions sur un bout de parchemin dépassant de sa tour de papiers couleur d’ivoire.

Ceci n'est pas une commande du Temple. Et faites-y attention, je n'ai pas fini sa restauration !

Bah voyons, des fois que le Temple lui offre un pécule pour ses études rondement menées…

La précision faisait sens et tant l’érudite que l’alchimiste l’écartèrent promptement. Il leur tendit l’ouvrage et se leva pour en ranger d’autres, participant à cette valse aléatoire des gens qui sont à l’étude.

A l’autre bout de la table, les deux femmes se regardèrent, jugèrent l’œuvre qu’on leur confiait et l’érudite s’assit à la table, sortant minutieusement la plume, l’encrier et sa tablette de cire sur laquelle elle peaufinait toujours ses traductions.

Avant de reconnaître le dialecte et les variations, elle nota la grande singularité de la mise en page : les caractères aux empâtements discrets, quelque fois grignotés par des dégâts du temps, étaient clairs et laissait la page respirer ; bien à l’opposé des codes actuels que les copistes employaient et où régnait la peur du vide. La difficulté tenait dans la proximité des mots non séparés par les espaces et dénués de ponctuation. La présence de pieds de mouches indiquait clairement que le texte qu’elle tenait sous les yeux avaient vocation d’être lus et avaient probablement était écrits sous la dictée. Au moins, le manuscrit aux enluminures simples et minimalistes était divisé en chapitres et versets.

Aviez vous une interrogation sur une section en particulier ? questionna l’érudite en laissant l’alchimiste lui montrer les passages d’intérêt.

Le temp que son acolyte fouille dans le tat de papier tout juste relié, le prêtre s’était rassi à leur table. Elle ignorait ce qu’elle avait le droit de dire et ce qu’il faudrait taire en sa présence.

Entre curieux, certaines curiosités peuvent être interprétées comme de sombres diableries.
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Adeline DelormeAlchimiste
Adeline Delorme



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptySam 16 Fév 2019 - 16:58

Le père Clay était décidément un homme assez perturbant dans sa manière d'agir. Son flegme, le rendait presque insaisissable si bien qu'il m'était impossible de le cerner. Je ne le connaissais que très peu, cet instant représentant notre seconde rencontre quand la première ne consistait, finalement, qu’à un temps d'étude partagé, assis à la même table, en silence avant de se poursuivre sur un court échange d’idée, bien que riche en son ensemble. Cela me suffisait amplement pour comprendre qu'il ne me freinerait pas dans mes recherches, même si celles-ci étaient relativement mal vu par le clergé qu'il représentait pourtant.

-Merci, mon père. N’ayez crainte, nous en prendrons grand soin.

Le livre sibyllin, à présent dans les mains de l'experte, nous n’avions plus qu'à nous perdre dans son interprétation. Je laissais Louise le découvrir, admirer ses gravures et ses textes parfaitement insaisissables pour l'alchimiste que j'étais. Si j'arrivais facilement à saisir nombre de formules compliquées et tortueuses, ce langage-ci restait définitivement hors d'atteinte. Finalement, au bout d'un certain temps, le clerc revint de ses pérégrinations de bibliophile avant de revenir s'asseoir non loin de nous et la traductrice m'interrogea.

-Oui, attendez, lui dis-je avant de tourner doucement les précieuses pages jusqu'au passage qui m’intéressait tout particulièrement. Voyez...


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Du bout du doigt, je lui désignais une gravure étonnante et sacrément dérangeante. Et pour cause, celle-ci, contrairement à l'aspect général de l'ouvrage, semblait plus récente à en juger par la tenue de la femme représentée. Du moins, ceci n'était que mon avis puisque je n'y connaissais strictement rien en matière de civilisation ancienne. L'autre point dérangeant, venait plutôt de l'être étrange qui lui tenait la main… La couleur de sa peau… Son aspect physique en son ensemble évoquait la mort… plus bas sur la page, je pouvais lire certains symboles alchimiques que je désignais également.

-Le triangle barré avec la tête en bas représente l'eau, l'espèce de H étiré et entouré est le symbole donné au sel… Et là, doucement, je dis glisser mon doigt vers le dernier signe quelque peu effacé. Le haut du symbole est effacé, je ne saurai dire s'il s'agit du soufre ou du mercure… Peut-être même du cuivre… Ceci m’évoque une formule… mais je n'en connais pas le but. Je ne suis même pas certaine qu'il s'agisse réellement de cela. Ce livre m'intrigue de bien des manières, je pense que vous l'aurez compris… On dirait qu'il traite de différentes maladies, mais certaines me semblent invraisemblables.

À nouveau, je tournais minutieusement les pages pour désigner un tout autre ensemble de symboles.

- Or… ou bien le soleil, tout dépend du sens donné à la formule… Uranus, signe de maladie… et la lune, symbole du changement ou d'une chose que l'on cache… Une maladie en rapport avec le soleil ? Je n'en connais pas… Il est possible que l'auteur ne soit qu'un illuminé parmi d'autres… Mais ma curiosité me pousse à le découvrir… à comprendre ce que renferment ces pages.

“Le passé n'est que la clé de l'avenir, mon garçon”, me disait bien souvent mon vieux maître alchimiste… Néanmoins, force était d’avouer que l'alchimie par ses racines, empreintes d’une spiritualité depuis bien longtemps dépassées, soulevaient quelques soucis d'interprétation. Selon moi, l'on ne pouvait pas tout prendre pour argent comptant, même si quelque part, il devait forcément une source de vérité. Avec l'arrivée de la chimie, la tendance s'inversait pour se montrer beaucoup plus terre-à-terre, même si certaines nuances renvoyaient inexorablement à la Trinité. Toutefois, ce manuscrit datait d'une époque oubliée… Une époque où les choses étaient bien différentes, ce qui pouvait fausser beaucoup de choses… Dont ces formules relativement primaires.

-Pouvez-vous le traduire en sachant tout cela? lui demandais-je ensuite tout en affichant une expression manifestant mon inquiétude…Loin de moi l'idée de vous forcer la main… Surtout en sachant que le clergé n'apprécierait certainement pas...

Mon regard glissa vers le prêtre silencieux, toujours assis face à nous. Je savais que ses regards n'étaient pas destinés à nous surveiller, l'homme étant simplement aussi curieux que nous.

-Mon père, que pouvez-vous me dire sur l'âme ? l'interrogeais-je ensuite avant de préciser. Je me questionnais sur le sujet… Savoir ce qu'était exactement l'âme, savoir si elle pouvait nous être retirée... Savoir si un corps dépourvu d'âme pouvait se mouvoir...

Je plongeais mon regard dans le sien afin d’essayer de discerner une preuve que son esprit saisissait mon raisonnement… Mon questionnement concernait bien évidemment mon obsession à savoir : la fange. Qu'est-ce qu'un fangeux ? Un cadavre animé ? Un humain errant sans âme et sans état ? Un mélange des deux ? Et si en plus de la chair humaine ces aberrations se nourrissaient de nos âmes ? Nous les disons sensibles au sel… Mais le sel n'est-il pas synonyme de purification divine ? Un moyen de laver nos âmes de nos péchés… Science et spiritualité, pouvaient-elles, encore, faire bon ménage ?

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Aaron ClayPrêtre
Aaron Clay



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptyMar 19 Fév 2019 - 10:26
Louise semble rester prudente là où Adeline est plus détendue par rapport à la présence du prêtre. Aussi, quand l'alchimiste laisse entendre que le Clergé n'appréciera pas, Aaron lève les yeux au ciel, laissant entendre que c'est un euphémisme, avant de poser son index sur ses propres lèvres, pour leur indiquer de rester silencieuse sur le sujet. Le fait que ses yeux pétillent et qu'il a un sourire amusé indique assez clairement que tout ceci l'amuse, voire l'enchante.

Puis vient une question, puissante et abrupte à la fois. Qu'est-ce que l'âme est la question que cela sous-entend. Le lien avec la Fange se fait automatiquement dans l'esprit d'Aaron, mais cela ouvre un tel éventail de possibilités, d'hypothèses, qu'il n'avait jamais envisagées et cela est assez vertigineux, que ça soit sous l'angle théologique ou scientifique. Et c'est bien pour cela qu'il écrit une première phrase sur un parchemin qu'il tend à Adeline, invitant Louise à le lire aussi d'un simple geste de la main.

- Je ne doute pas de l'existence de l'âme, bien que rien ne la prouve. Mais c'est ma seule certitude à ce sujet.

Une certitude liée à une croyance, donc. Mais l'âme, c'est comme les Trois, il n'y a rien qui prouve son existence, si on veut être totalement cartésien. C'est juste, si on se place d'un point de vue de pure logique, une réponse dans laquelle on peut englober les "je ne sais pas". Comme "pourquoi le monde existe". L'explication qui veut que les Trois l'aient créé est plutôt agréable, parce que, dans l'absolu, le monde est là, mais par quoi, qui, comment et quand il a été créé, ça, ça reste une énigme qui ne sera probablement jamais résolue, même si elle est passionnante. Mais maintenant qu'il a bien exposé qu'il n'a aucune certitude sur la question, il peut y répondre.

- L'âme est une et indivisible et associée au corps elle fait la vie. A la mort du corps, elle s'en sépare, emportant le vécu, les souvenirs, qui sont jugés par les Trois pour nous ouvrir ou non leurs territoires. Je pense qu'elle réside ici de notre vivant.

Il indique la zone qui se situe au niveau du cou, sous la mâchoire.

- Le dernier souffle m'a vraiment donné l'impression que l'âme s'envolait par là. L'âme peut être lourde ou légère, suivant nos actes. Je pense même qu'une âme en souffrance peut nuire au corps.

Il réfléchit, hésite puis ajoute :

- Je ne crois pas qu'un fangeux ait une âme et c'est à souhaiter, car si nos âmes ne peuvent se libérer lorsqu'on a connu une blessure fangeuse...

Aaron écarte les bras. On ne peut "peser" une âme, la palper, ou avoir un témoignage. Cela reste du domaine de la croyance. Et si elle existe réellement, ce qu'on en sait est aussi sujet à caution. On pourrait passer une vie à étudier l'âme sans approcher d'un début de réponse, sinon une intéressante recherche philosophique. Et lui, la philosophie, si cela aiguise son esprit, il n'en a pas une grande passion. La théologie oui, car elle guide les rapports humains. Ses choix philosophiques à lui sont des choix, qu'il assume, et ça en reste là.
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: L'antre des érudits    L'antre des érudits  EmptySam 23 Fév 2019 - 14:45
Concentrée, l’érudite laissa l’alchimiste tourner les pages, apercevant des fragments de pages, les laissant défiler comme on observe le bas-côté se dérouler à mesure d’un voyage. Enfin, sa complice écarta avec délicatesse la reliure pour faire apparaître une gravure étrange. Un ajout récent, parce que la calligraphie n’était pas tout à fait la même. La lettrine était fine et détaillée. Le temps n’avait pas trop bavé sur les couleurs et l’épaisseur du trait. A côté, les écrits pourraient être exploité sans difficulté pour quiconque saurait les traduire.

L’enluminure n’était pas une pièce particulièrement grande pour le style, et elle ne dépeignait pas une scène particulièrement importante. C’était une femme dans une toilette du siècle passé à en jugé par le côté pointu des chausses. Un enfant lui tenait la menotte. Mais il ne ressemblait pas vraiment à un enfant : il avait été peint avec les couleurs de la mort. Une peau brune, tâchée, noire par endroit et un air de cadavre. Bien des éléments qu’elle recoupait avec la singularité de sa

L’alchimiste pris le temps de détailler les symboles qui entouraient l’image. Il y avait un triangle barré pour l’eau, un H étiré et entouré pour le sel, celui du souffre ou du mercure ou du cuivre… Ou du soleil. A chacune de ses précisions, le cœur bondissait davantage dans la poitrine de l’érudite.

Quelque chose se mit à briller dans le fond de son œil. Une lumière qu’on ne lui aurait pas trouvé l’instant d’avant. Tout d’un coup, ces pupilles parures moins sombre. Comme si le ciel qui planait là, c’était levé après un long hiver.

Pouvez-vous le traduire en sachant tout cela ? l’interrogea poliment sa complice. Loin de moi l'idée de vous forcer la main… Surtout en sachant que le clergé n'apprécierait certainement pas...

A cette remarque qui aurait pu faire sauter au plafond n’importe quel prêtre, le clerc ne parut pas outré. Il appuya d’ailleurs la réflexion de l’alchimiste d’une mimique qui voulait tout dire : voilà un euphémisme. Le contenu de ce livre était à taire. Et elle se trouva plus sereine de le savoir de leur côté plutôt que de celui des calotins immodérés.

De toute façon, que cela l’enchantât ou non, la traductrice avait quand même pris sa décision. La jeune femme se contenta de secouer la tête pour contenir une approbation qui aurait sonné avec bien trop d’enthousiasme. Elle essaya d’articuler, en prenant garde à ce que ça ne sonne pas comme un cri du cœur :

Vous ne me forcez pas. Je vous fais ça tout de suite.

Elle serra fort le poing pour que ses mains arrêtent de trembler et se saisit de la tablette de cire où elle commença à élaborer une traduction de cette langue qu’elle n’avait pas lue depuis trop de temps.

Par moment, les lignes restaient nébuleuses, sibyllines. Et elle devait s’arrêter d’écrire pour retrouver les mots, au fond de sa mémoire. Dans sa tête, elle avait bâti un palais dans lequel une bibliothèque immense occupait presque toute la place. Certain ouvrage lui semblait plus inaccessible. C’était ceux qu’elle utilisait plus rarement. Le temps de les dépoussiérer, elle bloquait devant cette traduction complexe.

Pourtant, tous les mots qu’elle écrivaient avaient une signification particulière pour elle. Classiquement, on aurait pu découper l’extrait en deux. D’abord, il y avait la description d’un mal qui avait sévi dans l’ouest, il y a moins d’un siècle de cela. Les hommes, les femmes et les enfants étaient alors touchés par une épidémie de « émouchetage de pustule », pour reprendre les termes employés par l’auteur. Toute suite, l’érudite, sans être miresse, rapprocha la description des malade d’une dermatose pustuleuse. Les éruptions cutanées pouvaient ainsi sévir sur tout le corps ou uniquement sur le visage, être très denses ou plus clairsemées. Pendant trois jours, les malades souffraient ainsi de fièvre, de maux de tête, de frissons, de douleurs dans le dos, de nausées et vomissement. Lorsque les patients survivaient à cette épisode de forte fièvre, les pustules apparues lors des éruptions se desséchaient formant des croûtes qui, avec le temps et une chute de fièvre, laissaient des cicatrices déprimées, blanches et indélébiles. Chez les femmes enceintes, la maladie entrainait l’accouchement prématuré. Et lorsque le nourrisson survivait, il lui arrivait de porter des liaisons cutanées lui aussi. Presque un malade sur trois mourrait de ce mal, écrasé par une infection qui grandissait ou dans la poitrine ou dans les veines ; et on ne savait cela que parce que le sang des patients, lors des saignées, était plus noir et épais. Quoi qu’il arrive, les survivants devaient continuer à vivre marqué par des stigmates répugnants.

Et en dessous de ce long paragraphe douloureux, l’auteur de l’ouvrage évoquait un cas qu’il écartait des autres. Celui d’un nourrisson, le dernière fils d’une pieuse famille de brasseurs, né dans cette période d’épidémie mais dont la peau n’avait pas été victime des mêmes maux. Dans le cas qu’il décrivait, la mère n’avait pas porté d’infection lorsqu’elle le mit au monde. Il n’était d’ailleurs pas prématuré, ni malformé. Avec la peau tâchée de plaques épaisses, qui brunir avec le temps. L’été, le phénomène était plus visible encore parce que la mère portait l’enfant sur son dos lorsqu’elle récoltait le houblon. Contrairement aux enfants touchés par l’émouchetage de pustule, il avait survécu quelques année avant de trépassé, après avoir perdu la vue à cause de cataracte et une fragilisation des paupières en lien avec l’apparition des taches de rousseurs qui empiétaient sur la totalité du visage. Le médecin auteur de l’ouvrage avait noté d’ailleurs que les réflexes tendineux de l’enfant ne lui aurait pas permis de se développer stablement. Alors, il avait séparé ce cas de l’épidémie qui emportait son quota d’âmes, craignant qu’il s’agisse d’un mal différent. Plus vicieux et en lien avec la lumière des cieux. Car, contrairement à la sorte de peste décrite en début de page, l’enfant des brasseurs voyait son cas empiré avec l’éclairage d’un soleil étincelant.

L’érudite relut plusieurs fois le passage pour vérifier que tout cela était bel et bien inscrit sur le papier. Que ce n’était pas ce qu’elle voulait trouver. Que ce n’était pas son esprit fatigué qui lui jouait des tour pour qu’elle garde dans ses tripes la combativité qui l’avait maintenu en vie en ces temps de peine. Par ce que, ce qu’elle trouvait entre ces pages, elle avait toujours rêvé de le lire.

Pendant que l’alchimiste et le clerc avait une conversation autour de l’âme, elle se mettait à reconsidérer la notion de punition divine. Depuis toujours, le mal qui rongeait le fruit de ses entrailles était décrit par ces proches comme le juste châtiment pour avoir osé aimer et enfanter sans mariage, pour avoir partagé un fragment de sa vie avec un homme qui avait osé contredire les Trois et qui avait été exécuté pour cela. Cependant, si une autre femme avait donné naissance au même type de "démon", c’était peut-être que son bébé n’en n’était pas un.

Une fois la traduction finie, elle poussa la tablette de cire vers son acolyte, l’interrompant dans sa discussion. Elle était trop perturbée pour émettre un commentaire. Ses yeux étaient rivés sur la gravure et elle avait une mine trop songeuse pour ne pas être suspecte. Sans un mot, elle laissa l’alchimiste et le prêtre relire sa traduction griffonnés en caractères délicats.

Dans ce monde sur le déclin, elle n’était pas la seule à avoir enfanter des monstres. Pas de rapport avec la Fange et encore moins avec le divin.
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