Marbrume



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 Les enfants de la Lune

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Les enfants de la Lune   Les enfants de la Lune EmptyJeu 10 Jan 2019 - 22:57
Les enfants de la Lune


Les bras croisés, elle attendait devant le petit hublot de sa minuscule chambre de bonne. Ses yeux trainaient sur Marbrume, cette ville de damnée derrière laquelle le soleil plongeait. Les pupilles claires suivaient les ombres qui s’étendaient sur chaque corniche, sur chaque tuile et tous les colombages des bas quartiers. En bas, au fond de la rue, ça grouillait encore un peu. Une mélasse de gens pressés, de cris mollardés, de charrettes entremêlées. Une journée s’achevait. Les esprits devaient se fatiguer. Ils étaient là, tous, avec leur gueules braillardes, à affronter les dernières heures du jour comme pour échapper à une nuée de rapaces. Et bientôt, il n’y en aurait plus personne dans la moindre venelle.

A cette époque, il y avait encore un fieffé couvre-feu.

L’enfant vient tirer sur un pan du jupon de l’érudite, la sortant de ses pensées. Instinctivement, l’érudite posa la paume de sa main sur ses cheveux blonds. Les reflets roux du petit lui rapellait vaguement ceux de son disparu de père. Elle y entremêla ses doigts d’une maigreur à faire peur.

Quelques semaines qu’ils étaient arrivés là, à peine. Ils venaient tout juste de trouver ce piètre logis étroit comme le fond d’un placard. La petite pièce avait d’ailleurs la même chaleur : tout y était sommaire. Un strict minimum dans une période sans faste. L’un comme l’autre, ils s’en étaient péniblement accommodés. La mère et l’enfant se tenaient l’un contre l’autre pour échapper aux courants d’air.

Ce n’était pas ce qu’elle aurait voulu pour le petit. Leur route s’était toutefois achevée ici. Ils étaient ensemble et ils étaient en vie. Et la savante savait aussi se contenter de peu. Au moins, elle avait le loisir de sortir la journée pour aller à la Bibliothèque. Elle avait trouvé un peu de travail au temple où elle achevait la traduction des quelques manuscrits venus d’ailleurs. Ce n’était certes pas le cas du marmot qui passait le plus clair de son temps dans cette alcôve où la mère repassait avec la même régularité qu’une louve retourne au terrier.

La nuit venait avec une promesse qui remplissait d’allégresse le cœur de l’enfant. Il n’y a pas que les malfrats et les fous pour braver les interdits : les mômes aussi aiment outrepasser les règles données. A vrai dire, il n’en avait guère le choix. L’érudite ne pouvait pas garder le fruit de ses entrailles enfermé comme un prisonnier. Même si toutes les péripéties de leur longue fuite avait fait grandir ce jeune bonhomme prématurément, et malgré la maladie qui gagnait un peu plus de terrain de jour en jour, il restait un petit garçon plein d’énergie. Non, il n’était pas humain de laisser l’enfant tourner en rond dans cette cage usée.

Alors, il fallait attendre le soir, que les ombres grandissent en même temps que cette angoisse odieuse au fond du ventre de l’érudite. Oui, ils sortiraient encore. Elle ne pouvait pas le refuser. L’enfant enfilerait ses multiples couches de vêtements noirs. Et ils glisseraient dans les parties les plus silencieuses de cette ville maudite. Il aurait l’âme bienheureuse. Elle aurait le cœur serré de peur. Mais ils joueraient à ces jeux qui finissent toujours par sourire les mères. Ils rentreraient, oui. Ils étaient toujours rentrés jusqu’à présent. Nul n’avait d’yeux pour deux cadavres flottant sous le ciel sans lune.

Finalement, le jour vira enfin à la nuit. Pressé, le marmot cachait mal son impatiente, tout fébrile qu’il fut. Il frétillait comme une fluette truite d’eau douce. Si sa mère savait le canaliser en lui proposant toujours de nouveau jeu, l’essentiel pour lui tenait dans son petit corps gigotant qu’il aimait par-dessus tout sentir courir. Il ne pouvait aller le jour, alors ils iraient la nuit.

En à peine une semaine, l’érudite avait bien comprit et retenu les tracés et les habitudes des gardes. Les soldats ne sont pas des gens de désordre : ils sont de ceux qui aiment prévoir, quadriller et rentabiliser les rondes. Alors, en se passant de lumière, et comme à peu près tous les criminels de Marbrume, elle avait appris à se faufiler entre les mailles du filet. Sa forfaiture demeurait fort bien douce : rien ne lui mettait plus de baume au cœur que de voir l’enfant de dégourdir les jambes. Dans les espaces les plus vides, elle l’emmenait et jouait avec lui ; même si la compagnie de sa génitrice ne valait certes pas celle des autres enfants. Le problème, c’était que, ce soir, l’enfant avait attrapé grand mal. Il se mettait parfois à tousser comme un bœuf. S’agiter de trop et rire réveillait les expectorations qui faisait résonner sa cage thoracique comme un coffre. Même si elle n’en avait pas le cœur, la mère décida, ce soir-là, d’écourter la sortis. Un peu plus tôt, elle avait cru voir des torches vaciller vers eux.

Le milicien est une espèce à l’instinct grégaire et aux habitudes rustres mais il suffit d’une étincelle pour le mettre en chasse. Et ce soir-là, ils durent prendre leur jambes à leur coup pour éviter une petite horde jeté à leur trousse.

Ils avaient dû voir leurs ombres. L’érudite les avait entendus appeler dans le noir en faisant des signes dans leur direction. Elle s’était retournée. Pas pour les voir : pour y croire. Parce que son cœur s’était figé d’effroi. Elle avait pris l’enfant en haillon noir dans ses bras et s’était mis à courir avec la hargne des animaux poursuivit par la mort. Derrière elle, elle avait entendu le cliquetis métallique des hommes en hargne se mettre en branle pour la rattraper.

Son corps très amoindri par son long voyage et la famine ne pouvait rien faire contre ces gens convenablement nourris et entraînait. L’érudite essaya donc des les perdre, ce glissant dans toutes les plus petites venelles et artères de cette ville tentaculaire qu’elle savait non obstruées. Le jeu de cache-cache dû se terminer quand son énergie sembla la quitter. Elle mit la main sur la bouche de l’enfant et, le cœur battant, affolé, presque chaviré, elle s’accroupit derrière un tonneau cassé et abandonné au fond d’une impasse silencieuse.

Si l’érudite avait cru aux dieux, elle aurait sûrement prié. Au lieu de ça, elle ferma les yeux pour mieux entendre le cortège de gros sabots les dépasser. Et elle se concentra pour ne pas penser aux conséquences de si on les trouvait. Qu’adviendrait-il alors de l’enfant que l’on prenait depuis toujours pour un démon ? Et que lui feraient-ils à elle ? Il ne fallait pas qu’elle y pense. Il ne leur arriverait rien. C’est ce qu’elle avait promis à son petit. Elle le serra plus encore contre elle, l’enveloppant comme pour le protéger de son corps qui n’avait plus d’épaisseur. Elle posa ses lèvres sur le haut de son crâne et, épuisée par la peur, elle y écrasa un baiser au goût salé ; remplit de larmes qu’elle n’avait pas le droit de verser.

Le silence revint presque. Avant qu’il y ait les pas.

Un bruit de semelle de cuir sur le pavé. Le corps entier de l’érudite se crispa. Un cri resta au fond de son gosier. L’enfant couina presque. La torche se rapprochait inlassablement. Une attente suffisamment lente pour les faire vibrer les deux silhouettes fondues l’une contre l’autre de tous leurs membre. Bientôt, il fut là, seul devant les deux fuyards qui tremblaient de peur.

Elle ressemblait à une de ces mendiantes dont le pavé de Mabrume est jonché. De mémoire, elle ne s’était jamais abaissée à se vautrer de la sorte dans le caniveau pour échapper à une garde armée. S’il restait une fierté à l’érudite, elle l’aurait peut-être perdu ce soir-là, devant cet inconnu qui n’avait qu’à appeler pour sceller son morne destin.

Lentement, la femme déglutit. Et elle rassembla ce qui lui restait de dignité pour lever les yeux vers cet homme qui la surplombait. Un regard clair et dur comme l’eau glacée d’un lac à l’hiver.

Il paraissait grand mais ça devait être parce qu’elle était à terre. Pas une stature d’ancien, de ceux dont la carrure rivalise avec celle des ours, mais elle ne doutait point qu’il fut capable de la briser en un rien de temps. Des traits jeunes, sur des épaules engoncées dans l’uniforme. Il avait peut-être presque l’âge de la jeune mère mais, ça, elle ne le réalisait pas parce qu’elle avait déjà l’impression d’avoir trop vécu à côté de lui. Elle piqua ses yeux dans ses pupilles brunes infusée de vert pour ouvrir cette porte que l’on garde cachée aux autres pour ne le garder que pour nous. Toute sa détresse, toute son infortune put alors sauter au visage de ce milicien plein de jeunesse et de bêtise.

Sans le lâcher des yeux, elle posa un doigt sur ses lèvres de cette façon dont les mères réclament impérieusement le silence. Aucun mot n’aurait pu jaillir de ses lèvres, de toute manière. La voilà piégée, acculée, prise au piège. Seule la pitié de cette homme pouvait alors les sauver.

Au fond de ses bras, l’enfant dont seul les yeux dépassait des frusques devait le supplier avec la même intensité.
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Lenny RigovitzMilicien
Lenny Rigovitz



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MessageSujet: Re: Les enfants de la Lune   Les enfants de la Lune EmptyLun 14 Jan 2019 - 23:09
La nuit était maintenant tombée. Tous s’étaient réunis à la caserne, comme il en était l’habitude depuis voilà plus d’un mois. Les coutilleries étaient mélangées, les miliciens éparpillés ; chacun allait recevoir son chemin de patrouille, comme il en était l’habitude…

Cela avait semblé durer des lustres, là où n’avaient en fait été qu’une quarantaine de jours. Les masures étaient barricadées : des planches de bois pourri arpentaient les volets, maladroitement clouées par des chevilles de métal rouillé et assombri par les intempéries, tandis que des panneaux du même bois bloquaient l’accès aux portes, tous posés là avec lassitude. La ville semblait comme déserte, comme il en était l’habitude.

À la caserne, seul l’attroupement réchauffait les hommes ; l’hiver arrivait, et avec lui le grand froid sciant la chair, s’engouffrant dans toutes les places, toutes les ruelles, ne laissant de répit aux pauvres gens déjà affamés et appauvris par la misère.


Lenny s’était emmitouflé dans un châle sombre, déchiré par endroit et quelque peu boueux. L’apparence importe peu quand seule la survie compte en des heures sombres. Un homme se rapprocha soudainement par derrière, puis tapa l’épaule du jeune milicien.

« Alors, on a froid ?

- M’en parle pas, Lloyd, taré que tu es, je comprends même pas comment tu peux sortir les genoux à l’air.

- Tu sais, si tu te perç… te pers… Bon, si tu penses très fort que tu as chaud, alors tu auras chaud !

- Je te reconnais bien là ! Un raisonnement tordu pour un homme tordu.

- Bon, jeunes gens, vous allez être réassignés aux différents quartiers de la ville. On a changé de semaine, alors vous allez changer de zone !

- Eh, qu’est-ce que tu penses de tomber sur une zone à minous ? Un petit détour par le bordel, ça se saura pas !

- Rah, arrête. »


Le coutilier qui prit la parole était gras. Sa moustache, de la couleur des marrons, ressemblait à une touffe d’herbe jetée par un enfant avec désintérêt, et s’il n’inspirait pas le respect des miliciens réunis ce soir, ils pouvaient au moins lui reconnaître son efficacité.


« … Lenny Rigovitz, coutillerie Bärstadt, avec Karl Mordo, coutillerie Kannmar, Charles Doutrue, coutillerie Illios, et Oliver Schaff, coutillerie Podòr. Vous êtes affectés dans les bas-quartiers, vous couvrirez l’ensemble du Goulot et du Labourg, et ensemble.

- Eh bien, bonne chance mon vieux. Mordo est pas du genre amical, si tu vois ce que je veux dire…

- Je sais. On pourrait lui donner des gosses à bouffer qu’il s’en ferait une grillade…

- Bon courage ! »


Karl Mordo était effectivement réputé pour sa sauvagerie, mais la milice ne faisait que peu, voire pas de distinction : tout homme sachant à peu près manier une arme et suffisamment benêt pour écouter, comprendre et exécuter des ordres pouvait être enrôlé. L’effectif était crucial, et le couvre-feu en avait amené plus d’un à s’engager pour profiter des virées nocturnes qu’offrait la position de milicien. Karl n’était cependant pas de ceux-là : acariâtre, aigri et rongé par ce qui semblait être une folie de l’esprit, son regard laissait à penser qu’il n’avait rien à perdre, et que son être était, au plus profond, foncièrement mauvais.

Encore fallait-il qu’il ait une raison d’envenimer les choses, si tant est qu’elles n’aient déjà pas été compliquées. Ou avait-il réellement besoin d’une raison ?


***


Arrivés à l’entrée du Goulot, Oliver Schaff, ou le « Petit Schaff », comme aimaient l’appeler ses compagnons au sein de la coutillerie de Monsieur Podòr, cessa d’être attentif aux alentours, et prit le temps d’allumer sa torche. La nuit s’annonçait longue, et le Goulot n’était souvent que le début des inquiétudes ; ce magnanime et altruiste coutilier avait eu la bonne idée de les envoyer au Labourg une fois leur ronde effectuée ici. Un parcours de santé, s’il n’était pas juché de dangers et de son lot d’angoisses enfouies.

Relevant son corps frêle, blanc comme les draps d’une couche digne de ce nom, il entama la conversation :

« Je vous avoue que je suis pas rassuré, mais ensemble, tout devrait bien se passer !

- La ferme, le mioche. Si t’avais été tout seul ici, tu te serais fait ouvrir la gorge comme un porc, alors t’avise juste pas de te mettre dans mes pattes.

- Oh, tout doux. On est censé faire notre ronde, et après on rentrera calmement, chacun dans son coin. C’est l’affaire de quelques heures.

- C’est qu’il est mignon le beau brun ! Eh, tu voudrais pas me passer un peu de ta jambe, que je la goûte au souper de ce soir ? »


Lenny ne répondit pas. Tous se mirent à allumer leur torche, suivant le Petit Schaff dans son geste fort avisé. Il était devenu encore plus livide qu’avant son intervention, lui qui n’arrivait à peine qu’au cou de Karl. Si les premiers échanges furent houleux, les minutes qui suivirent furent silencieuses, contre toute attente. Les rondes devaient être exécutées dans le plus grand sérieux, davantage lorsqu’il s’agissait de s’immiscer dans les sinistres ruelles du Goulot. Là où la misère s’entasse, tous se devaient d’être alertes, guettant la moindre silhouette suspecte, tendant l’oreille à la nuit si propice aux mystères.

En longeant les abords des maisons décrépites, préférant ratisser la zone de part en part pour espérer arriver à l’enceinte de la ville une fois terminé, ils parvinrent à une route plus large menant au Nord vers la Hanse. Marchant plus lentement comme pour profiter du répit que leur octroyait la relative sécurité du chemin de terre, Lenny observa le quartier marchand de loin, envieux. Cela faisait plus d’un mois maintenant qu’il profitait du moindre temps libre pour se reposer, les patrouilles lui demandant efforts et courage pour tenir debout à tout instant. La Hanse, son quartier favori, qui plus est là où son père habite, lui avait été comme dérobée depuis la mise en place du couvre-feu. Pensait-il alors au temps où il pourrait à nouveau en profiter…


***


Il aperçut tout à coup deux ombres traverser la rue au loin. Il n’était pas sûr de les avoir réellement vues, mais il ne fallait pas laisser libre cours au doute. Il secoua légèrement la tête, se ressaisissant un court instant, puis commença à courir vers la Hanse, là où les deux silhouettes étaient apparues. Informant ses confrères, qui lui emboitèrent le pas, Karl semblant comme plus enjoué que les autres à l’idée d’attraper quelqu’un, il continua de courir d’un pas hésitant jusqu’à clairement les apercevoir : une femme, accompagnée un enfant. Il cria en leur direction :

« Eh ! Vous, là !

Se retournant brusquement vers eux, la femme se figea, puis elle attrapa l’enfant et se mit à courir à son tour.

- Oh, on va l’attraper celle-là ! » fit Karl.


Lenny ne répliqua pas. Inclinant légèrement la tête vers le sol, il se concentra sur sa cible et doubla sa cadence pour distancer ses compagnons et espérer rattraper les contrevenants, qui s’étaient alors faufilés dans une ruelle.
S’ensuivit une traque effrénée ; suivant la piste qui semblait revenir en direction du Goulot, Lenny avait semé ses confrères et ne comptait pas abandonner, ni même les attendre.

Soudain, il entendit des bruits de pas, et décida de s’arrêter ; le dédale de sombres rues embrouillait les sens, et il lui fallut se concentrer pour distinguer le vrai de l’imagination. Il avança plus lentement, presque à pas de loup ; il savait qu’ils étaient là, car plus aucun bruit de course n’était perceptible.
S’insinuant dans une venelle, puis une autre, l’insatisfaction commença à s’emparer de lui. Deux possibilités s’offraient alors : la continuité de la rue, ou une impasse. Il observa le sol et discerna des empreintes plus lourdes menant vers l’impasse, comme si la fuyarde semblait ne plus avoir la force de courir. Il y pénétra alors, la lumière de sa torche se réverbérant sur les murs de ce qui semblaient être deux grands entrepôts insalubres. Un tonneau, cassé et éventré, était le seul élément apparent. Soufflant, évacuant l’anxiété accumulée jusque-là, il passa la main autour de la poignée de sa courte épée, et continua d’avancer, déterminé.


***


« Rigovitz !

- Rigoviiitz !

- Eh, troufion ! Où t’es ? »


Charles, le Petit Schaff et Karl criaient à tue-tête, espérant que Lenny leur indique sa position. Ils devaient être à plusieurs rues d’ici. Lenny, lui, fit abstraction de leur appel. Devant lui se tenait un choix. Un choix des plus difficiles, qu’il aurait été aisé de traiter au premier abord, mais qui semblait mettre tout un lot de considérations humaines sur le tapis. Car là se tenait une femme, maigre, la peau blanchâtre, comme translucide, serrant un enfant dans ses bras, fort contre elle. L’instinct de protection n’était plus à démontrer. Elle était à sa merci. Apposant son doigt sur ses lèvres, elle fit signe, dans sa plus grande détresse, de ne rien dire, comme demandant clémence là où son destin semblait scellé.

Lenny plongeait ses yeux dans son regard. Il était dur. Seuls, la torche crépitant au fond de l’impasse, formant une aura dénudant les trois individus de toute barrière spirituelle, ils restèrent là, sans dire mot. Il finit par regarder l’enfant apeuré avant de scruter la sortie de la ruelle. Il abaissa le regard, alors perdu dans le vide. Ainsi avait-il fait son choix.


« Qu’est-ce que vous faites là, bordel ? murmura-t-il en éteignant sa torche.

- Il y a un putain de couvre-feu, et il n’est pas là par hasard. Alors on va sortir d’ici, mais une fois en lieu sûr, vous avez intérêt à me dire qui vous êtes et pourquoi vous êtes là. »


Le monde est parfois fait de rencontres bien étranges, malgré la teneur même des situations qui les mettent en scène.
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Louise OchaisonErudite
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MessageSujet: Re: Les enfants de la Lune   Les enfants de la Lune EmptyMar 15 Jan 2019 - 22:45
Qu’est-ce que vous faites là, bordel ?

Il avait parlé bas, presque chuchoté alors que, l’instant d’avant, l’érudite l’avait imaginé sonné le clairon. Sa mâchoire se décrocha, pleine de bonne volonté. Elle aurait tout dit, tout, absolument tout, si elle avait eu la certitude que ç’aurait pu la sortir de ce caniveau, au fond de cette impasse déserte. Et rien. Non, rien ne sortit de sa bouche sinon quelques sanglots ravalés.

Le milicien étouffa la flamme qui le suivait. Il fit aussi noir que dans le ventre d’un four.

Il y a un putain de couvre-feu, et il n’est pas là par hasard. Alors on va sortir d’ici, mais une fois en lieu sûr, vous avez intérêt à me dire qui vous êtes et pourquoi vous êtes là.

L’érudite serra plus l’enfant contre elle. Elle voyait cette offre comme une sorte de répit. Quelque chose qui prendrait fin au moment où il faudrait se justifier. Dire ce qu'elle avait à cacher. Mais s’il y avait encore quelques minutes à prendre, alors elle les arracherait.

Péniblement, elle essaya de rassembler ses forces mais ne réussit pas à bouger le moindre membre. Ce fut l’enfant qui l’encouragea, d’une voix blanche :

‘Faut y aller, maman.
Tout de suite, mon ange.

Sa voix ne tremblait point contrairement au reste des ses membres pétrifié.s Le petit s’en extirpa doucement et tira sur le bras sec de sa mère. L’os et les tendons saillaient. Elle se mit prestement debout, serrant fort la petite menotte de son fils.

Elle ne savait pas encore si elle devait être reconnaissante envers cet homme. Elle ne savait pas encore si elle pouvait se sentir sortie d’affaire. Elle ne savait pas si elle avait le droit de respirer à nouveau.

Elle qui savait tant se trouvait bien ignorante tout à coup.

La course qui suivit fut une fuite tâtonnante, trébuchante, mécanique. Elle ne pensa pas vraiment, laissant ses pieds la ramener chez elle. Bientôt, ils eurent semé le groupe de miliciens qu’ils avaient aux trousses. L’homme en arme connaissait ses congénères : ensemble ils les évitèrent précautionneusement sans trop de heurts.

Il n’y avait eu que cette enflure pour courir après eux, si fait. L’érudite ne réussit pas une seule fois à croiser le regard de l'homme. Elle l'évitait qu'il ne perçoit guère toute la ire qu'elle coulait à l'intérieur. Elle ne savait pas encore si elle devait le bénir ou le honnir. Son cœur plein d’angoisses pesait trop lourd pour qu’elle puisse porter autre chose que sa peur de mourir, de toute façon.

Il les avait sorti de la zone à risque. Elle repiqua silencieusement vers le Goulot, en direction de la seule place où elle avait envie de finir : dans cette petite piaule sous les toits, exposée à tous les vents qui lui servait de chez elle. Elle attendait que l’homme l’arrête et les entraine ailleurs et leur arrache leur secret avec cet air suffisant qu'ont ceux qui extorquent les trésors des autres.

Sur ses deux pattes, l’enfançon commençait à chanceler alors la jeune femme le reprit dans ses bras qui semblaient ne rien pouvoir tenir. Elle embrassa sa joue et continua de se faufiler dans la nuit, jusqu’aux portes du Goulot. Quand la caboche du marmot finit par balloter sur son épaule et elle sut qu’il s’était endormi là malgré les tenailles dans son ventre, totalement épuisé. Il trouvait dans la chaleur du corps de sa mère un réconfort qu’il n’y avait plus dans ce monde à la dérive. La jeune femme le serra plus fort encore parce qu’elle était désolée. Elle aurait voulu demander pardon. Parce qu’elle n’avait pas su le protéger. Pas de tout, du moins. Pas plus qu’elle n’avait su le concevoir. Mais ça s’était une autre histoire.

Leur progression en était ralentie et elle voyait que le milicien, pressé par l’urgence, s’en agaçait. Ils arrivaient au Goulot. Des putains appelaient par la fenêtres et tout ce qu’il y avait d’interdit bruissaient derrière chaque portes, derrières chaque ombres qui remplissait la nuit. Le chelmain sembla interminable parce que l’un attendait des explications que l’autre n’était pas encore prête à lâcher.

Bientôt, elle grimpa sur les petites marches qui surélevait l’entrée un petit immeuble chancelant, le sortant d’un caniveau ruisselant de souillure. Portant toujours l’enfant dans les bras, le maigrelet bout de femme plongea une main pour fouiller le fond de sa bourse et trouver les clefs. Elle ne voyait rien et le petit qui pendait comme un poids mort, un rien encombrant.

Au bout de la rue, quand d’autres torches se mirent à scintiller, l’érudite se demanda si le milicien allait la laisser faire. S’il allait la regarder galérer de la sorte. Ou s’il comptait l’emmener ailleurs. Qu’il soit là, avec eux de la sorte, ce n’était pas de la désertion d’ailleurs ? Obligée et contrainte par le temps, la jeune femme tendit prestement l’enfant endormi au soldat pour avoir les deux mains libres. Il était grand. Il était costaud. Il porterait.

Et il le verrait de bien prêt. Assez pour voir les tâches sur ses paupières clauses. Pour entrevoir cette peau qui ne ressemblait qu’à du parchemin bréchu. Le geste avait été trop spontané, empressé et inconscient.

Les mains libres, la mère força le verrou. La porte grinça. Ils se faufilèrent à l’intérieur. Et, avec son briquet, l’érudite alluma une lampe à huile pour éclairer la minuscule entrée. Pour monter chez elle, il fallait prendre le minuscule et instable escalier qui menait sous la charpente aussi vétuste que la cale d’un bateau chaviré.

La lumière de la bougie dansa sur son visage à elle avant d’éclairer celui de l’homme et de l’enfant paisiblement endormi.

La femme ne trouva rien à dire parce qu’il avait tout sous les yeux pour comprendre.
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