[Terminé]Apprendre à reconnaître ses vrais alliés {Flashback} | Gondemar

Devenir milicienne était un acte aussi valorisant qu’humiliant en ces temps incertains. Il fallait du courage, de la volonté et de la force pour prendre les armes alors que l’humanité était en déclin face à une menace sans précédent. Pourtant, les mœurs avaient la dent dure, tout comme les préjugés. Une femme n’avait pas sa place sur le terrain. Pourquoi ? Pour des raisons aussi absurdes que totalement inventées. Peut-être était-ce la une façon pour les hommes de rassurer leur position de mâle dominant ? Avaient-ils peur ? Ceci expliquerait peut-être cela.

Dans tous les cas, le quotidien de la jeune milicienne était loin d’être facile depuis son enrôlement. Elle qui aurait pu se contenter d’une vie de confort aux côtés d’un mari des plus riches, sans soucis aucuns et surtout sans risque certain, avait préféré prendre une autre voie. Celle qui allait sans doute un jour lui coûter la vie et lui attirer de plus en plus d’ennuis. Finalement, les sourires moqueurs et les regards condescendants ne changeaient pas vraiment de son habitude, les nobles étaient les premiers à prendre les autres de haut. Néanmoins, ce qui était nouveau pour elle était les gestes, les crachats, les bousculades et tout autre coup bas qui accompagnaient les moqueries. La plupart du temps, Serena faisait profile bas, essayant simplement de gagner sa place et la plupart du tout cela marchait.

La balance déjà bien fragile l’était d’autant plus lorsque les efforts de la milicienne portaient leurs fruits sur leur terrain. Certains étaient trop fiers pour accepter leur défaite et cela engendrait la colère, puis la haine. Alors qu’elle s’apprêtait à rentrer chez elle, ne prenant jamais le risque inutile de rester le soir dans la caserne, un groupe d’individu l’interloqua.

« Hey poupée ! »

Pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu’un poing frappa son visage, l’assommant l’espace d’un instant. Rapidement entraînée dans une ruelle plus discrète, elle se retrouva bien vite sur le sol boueux, bousculée par aux cinq hommes. La lèvre en sang, elle afficha une grimace avant de poser un regard noir sur ses assaillants. Le leader était bien l’homme qu’elle avait humilié sur le terrain d’entraînement quelques heures auparavant et évidemment, il ne pouvait pas venir l’affronter seul après cela.

« T’fais moins la maligne, sale putain ! HEIN ? J’vais t’apprendre à m’défier ! »

« Aussi lâches qu’incompétents ! »

Sa réponse ne plut pas. Pour preuve, le pied de ce dernier vint se fracasser dans douceur aucune dans son abdomen. Le souffle coupé lors de l’impact, Serena se cambra de douleur avant de cracher ses poumons. Une main à son ventre, elle releva son visage sur le sien, son corps tremblant, non pas de peur, mais de rage et de douleur.

« Sales chiens, vous méritez d’finir à la fange... v’nir vous en prendre à moi, cinq contre un, n’avez rien dans l’pantalon ! Qu’des grandes gueules !»

Soudain l’atmosphère prit un nouveau tournant. Cela se voyait dans le regard assombri de ses agresseurs et un frisson s’empara d’elle. L’instinct lui criait de fuir, mais elle en n’était point capable. L’homme agrippa brusquement sa chevelure blonde, la forçant à se relever dans une grimace de douleur. Un sourire mauvais sur ses lèvres, il reprit.

« T’vas voir si j’ai rien dans l’pantalon, garce »

Ses entrailles la poussèrent subitement à se débattre de toutes ses forces, dégageant le premier d’un coup de pied affirmé avant qu’elle ne tente de fuir en prenant ses armes. Mais ses collègues ne lui en laissèrent pas l’occasion. Plaquée à nouveau contre le mur sombre de la ruelle, une main étranglant sa gorge alors qu’une autre déchire ses vêtements, Serena devait se préparer au pire.

L'entraînement était essentiel lorsque l'on rejoignait la Milice. Cela permettait de séparer le bon grain de l'ivraie, de repérer ceux qui avaient déjà des connaissances, des facilités, de ceux qui tenaient une épée pour la première fois. Gondemar avait rejoint les hommes d'armes de la Cité depuis suffisamment longtemps pour que son expérience soit repérée et, bien qu'il subisse encore des brimades de part son ancien statut de mercenaire au service d'Ecuviel, on ne lui causait plus autant de tort qu'à ses débuts et il pressentait qu'on l'assignerait très bientôt à un groupe, probablement l'extérieur si l'occasion lui en était donné. L'entraînement était payant, en vérité il avait même tendance à tourner en ridicule nombre de ceux qui croisaient le fer avec lui et sa haute taille ainsi que ses larges épaules, sans parler de sa sombre réputation, lui procuraient un avantage quant aux représailles qui s'avéraient assez rares depuis qu'un Milicien confirmé était venu lui prêter main forte. Pour autant il continuait d'observer les autres et n'avait pas manqué de remarquer le traitement réservé à certaines recrues féminines pourtant prometteuses, voir même talentueuses. Il y en avait une en particulier avec qui il avait déjà eu l'occasion d'échanger brièvement et, bien qu'il ne puisse encore se faire un avis définitif à son sujet -on ne connaissait jamais vraiment tout à fait quelqu'un tant qu'on ne se retrouvait pas confronté à la mort côte à côte- elle n'en demeurait pas moins une femme forte et brave qui n'était pas sans lui rappeler Xandra, Sydonnie ou Sam, trois excellentes Miliciennes dont l'une était même devenue Coutilière tant elle avait su briller en présence du Duc.

C'est pourquoi ce jour-là quand Serena avait donné une leçon à un arrogant durant l'entraînement, Gondemar avait observé la scène avec un vif intérêt. Et c'est pour cela que quand il a remarqué que l'homme s'éloignait, bafoué dans son prétendu honneur d'homme, avait-il tendu l'oreille sans en avoir l'air tandis qu'il passait au large de lui, échangeant à mi-voix avec plusieurs collègues. Et c'est pourquoi il avait décidé de les suivre au lieu de rentrer directement chez lui, n'habitant de toute façon pas si loin que cela. Le groupe s'était éloigné beaucoup trop vite, avec beaucoup trop de précautions, pour ne pas paraître suspect et n'eut été son expérience du terrain et de ces rues, l'ancien soldat su après coup qu'il aurait pu arriver trop tard quand, débarquant au beau milieu de l'agression, son sang ne fit qu'un tour en réalisant ce qui était en train d'arriver. Une fureur glaciale s'empara de lui et, sans laisser la moindre chance à ses adversaires, il se précipita soudain vers eux, le pas rapide et le pied étonnement léger malgré son armure et sa haute taille. A peine le plus en retrait du groupe tournait-il la tête qu'un poing s'abattit violemment sur sa tempe, le jetant inconscient à terre en une seule attaque. Les deux autres à portée de vue et de son pivotèrent immédiatement vers l'attaquant, lâchant une flopée de jurons.

- Le chien d'Ecuviel !

Lança le quatrième à l'intention de celui qui étranglait Serena, alors que Gondemar se jetait sur les deux autres à mains nues, faute d'avoir l'autorisation d'emmener son épée hors de la caserne tant qu'il ne serait pas confirmé dans son statut de Milicien. Qu'à cela ne tienne, il donna une bourrade de l'épaule contre le torse du premier à sa portée, l'éjectant vers l'arrière, l'envoyant au tapis alors que l'autre à sa gauche dégainait son épée, heureusement trop lentement sous le coup de la surprise. La main de Gondemar saisit le poignet qui tenait l'arme et, profitant de surplomber l'homme de sa hauteur, lui décocha un violent coup de tête qui l'atteignit en plein visage, lui brisant le nez et lui faisant lâcher son épée que l'ancien mercenaire récupéra dans la foulée. Déjà celui qu'il avait repoussé d'une bourrade de l'épaule se jetait sur lui, épée au poing et un duel s'engagea brutalement, lame contre garde, chacun grognant sous l'effort avant qu'un coup de pied de l'homme de haute taille ne fauche son adversaire qui se retrouva à terre, une lame pointée vers son visage.

- Bande de lâches !

Tonna Gondemar d'une voix rageuse, jetant un regard aux deux autres miliciens encore debout, dont l'un aux prises avec Serena, sa main tremblant alors que l'envie de les tuer commençait à prendre le pas sur sa nouvelle ligne de conduite. Oh bien sûr il n'était pas un assassin à l'origine, mais pour ce genre de raclures il pouvait bien faire une exception. Qui s'en soucierait ? Même la blonde pourrait corroborer son histoire, ce serait tout à son avantage si elle ne tenait pas à passer pour une victime face à cinq hommes manquant de courage et d'honneur.

Les événements s’enchaînèrent rapidement, au point où même l’esprit de la jeune femme s’embrouilla. Qu’était-il en train de se passer ? Que lui arrivait-il ? Elle ne savait plus tôt. Et pourtant, tout semblait également incroyablement lent. Oui, elle pouvait sentir ces doigts brûler sa peau tant que leur emprise était forte, l’air quitter ses poumons sans qu’on lui autorise à en reprendre, mais aussi le froid mordant lacéré sa chair alors qu’on tentait de la mettre à nue. Ses paupières se refermèrent dans une dernière prière bien solitaire alors qu’elle se préparait à sort presque pire que la mort. Mais finalement, tout se stoppa.

Figée dans sa position, elle rouvrit difficilement les yeux. Dès lors, elle comprit. Il n’en fallut guère plus pour que son corps et ses instincts reprennent le dessus. Profitant de la distraction et décida de lui rendre ses coups par un puissant coup de genou dans l’abdomen. Relâchée et ses poumons enfin libérés, la jeune femme reprit un moment son souffle, une main massant sa gorge malmenée alors que le vent semblait tourné.

Ce ne fut que lorsque son regard croisa celui de Gondemar qu’elle le reconnut. Un homme que beaucoup préférait éviter, les rumeurs étant nombreuses à son sujet. Si son entrée dans la milice l’avait laissée aussi dubitative que ses collègues, elle avait préféré aller à sa rencontre que le juger hâtivement… et pour le coup, elle ne le regrettait pas.

Ses vêtements déformés jusqu’à rendre une épaule totalement dénudée, elle ne sembla guère s’y attarder, ses pulsions la poussant davantage à se focaliser sur celui qui avait osé vouloir la toucher. Dégainant sans hésitation son épée, elle charge à l’encontre de ce dernier afin de lui redonner une leçon. Néanmoins, son corps lourd et douloureux suite aux coups déjà encaissés, ses mouvements étaient nettement moins efficaces qu’auparavant. Néanmoins, la rage guida ses pas. Ses coups se firent de plus en plus anarchiques, jusqu’à ignorer ceux qu’elle subissait en contrepartie. Après quelques minutes de combats acharnés, elle parvint à le mettre à terre. Mais cela ne suffit pas à l’arrêter.

Prise dans un engrenage sans fin, Serena se traîna péniblement jusqu’à ce dernier. Essoufflée et boiteuse, son corps tenait à peine debout lorsque finalement sa lame lui glissa des mains. Son corps s’arrêta un instant, son regard vide se posant sur la lame qui l’avait quitté avant qu’elle ne se laisse finalement tomber à genoux. Là, elle utilisa ses dernières forces pour venir frapper, encore… et encore, le visage amorphe de son adversaire.

Alors qu’elle continua de défigurer ce dernier tout en chuchotant des paroles que toutes femmes distinguées ne devraient pas connaître, elle en oublia complètement le reste. Que Gondermar soit en difficulté ou non, elle ne sembla pas prête à reprendre totalement conscience de la situation….

Deux hommes à terre, un troisième tenu en respect par l'épée que Gondemar avait récupéré, le chef du groupe aux prises avec une Serena défendant son honneur, ne restait plus que le quatrième qui avait dégainé son épée, mais qui hésitait à présent sur la conduite à tenir. Finalement il se rapprocha de celui qui avait eu le nez brisé, l'attrapant par le bras avant de lui indiquer un passage vers une ruelle, dardant sur l'homme de haute taille un regard mauvais et inquiet à la fois quant à ce qu'il pourrait le voir faire. Il y eut des menaces de proférées, mais les deux déguerpir et l'ancien mercenaire reporta son attention sur celui qu'il tenait au bout du fil de son épée, lui désignant d'un geste de la tête celui encore inconscient un peu plus loin.

- Ramasse ton compère et filez d'ici avant que je ne vous éventre tous les deux.

La menace énoncée d'une voix glaciale sembla convaincre le Milicien qui hocha vivement la tête, reculant sur les mains et les fesses sur un bon mètre avant de se relever, sans pour autant quitter des yeux Gondemar qui continuait de pointer l'épée dans sa direction, le laissant prendre sur son dos l'autre homme qui aurait certainement besoin de voir un soigneur, les suivant du regard tandis qu'ils s'éloignaient avant que des bruits dans son dos n'attirent son attention. Un regard en arrière lui permit d'identifier la tournure que prenait le combat, ou plutôt l'acharnement dont Serena faisait preuve à l'encontre de son agresseur. Roué de coups, le visage en sang et déjà violacé, le malfrat allait finir par rendre l'âme si on ne l'arrêtait pas.

- SERENA ! ARRÊTE !

Cria-t-il en s'approchant vivement de la jeune femme, l'attrapant par la taille pour la soulever de terre et l'écarter de sa cible qui laissait échapper des bruits humides peu ragoûtants entre deux inspirations sifflantes qu'on devinait douloureuses. Prêt à bloquer le coup que pourrait lui porter celle qui devait encore être en train de se voir agressée, il l'entraîna malgré tout à l'écart et la prit par les épaules, cherchant son regard ainsi que d'éventuelles blessures autres que les marques visibles autour de son cou. L'autre brute avait bien failli l'étrangler à mort.

- Serena, calme-toi, c'est finit. C'est finit, il ne te fera plus de mal, calme-toi.

Un animal blessé pouvait parfaitement mordre une main amie, une femme qu'on venait de tenter d'abuser pouvait tout autant se retourner vers celui qui était venu l'aider... Gondemar pouvait comprendre cela, mais il savait aussi que si la blonde tuait l'autre ordure, ce serait elle qui se balancerait au bout d'une corde au prochain lever de soleil et ça, il ne le supporterait pas. Ce serait une autre injustice, une de trop qui le hanterait longtemps, comme toutes les autres.

- Regarde-moi, est-ce que tu me reconnais ? Combien j'ai de doigts ?

Un exercice de conscience qu'on avait déjà maintes fois pratiqué sur lui, tandis qu'il levait l'index, le majeur et l'annulaire, scrutant encore le visage de la jeune femme en quête d'un signe ou d'un autre, se moquant bien de l'état dans lequel se trouvait son agresseur encore à terre. Il n'aurait droit à des soins qu'une fois Serena en sécurité, pas avant.

Aucun cri ne parvint jusqu’à ses oreilles. Elle n’entendait plus ni ne sentait plus. Qu’il s’agisse de ses poings couverts de sang ou même de son estomac noué, plus rien ne semblait l’affecter. Tout ce qu’elle voyait était la menace qu’elle devait impérativement éliminer pour survivre. Oui, survivre. Aussi lorsqu’elle fut brutalement soulevée et éloignée de sa cible, à aucun moment, elle ne fut capable de comprendre qu’il s’agissait là d’une main bienveillante. Son corps et son esprit se débattirent tel un animal en détresse, jusqu’à ce qu’elle soit totalement immobilisée.

Obligée à se calmer et ainsi reprendre conscience, elle posa finalement un regard perdu et épuisé sur le milicien. Les mots qui lui adressèrent résonnaient encore comme un écho lointain. L’adrénaline commençait enfin à retomber, mais son cerveau tournait encore au ralenti. Tout était flou, rien n’avait de sens, comme si elle n’avait jamais été présente, mais seulement spectatrice. Ses yeux balayèrent alors la ruelle, captant les informations comme si elle venait à peine de découvrir la scène : une ruelle sombre, un homme à moitié-mort sur le sol, un milicien alerté… une femme agressée…

L’information était difficile à digérer, mais elle avait finalement compris. Croisant finalement le regard de son collègue, elle ne prit cependant pas la peine de lui répondre, pas tout de suite du moins. Renfermée sur elle-même, son premier réflexe fut de le repousser, sans force, juste de quoi reprendre un peu d’espace, d’intimité.

« … c’est bon… ça va… »

Évitant désormais de le regarder, elle lui fit simplement signe de la laisser. Tournant sur elle-même, les yeux douloureusement clos, elle posa une main sur l’un des murs en pierre, puis son front. Les sensations lui revenaient comme une flamme qui se ravivait dans tout son être. Sa seconde main, encore tremblante et souillée par le sang, glissa sur son abdomen. Le contact lui provoqua un léger sursaut, ce qui la découragea d’insisté sur ce point au combien sensible à cet instant, avant de finalement se glisser sur sa gorge encore endolorie. En comparaison, le reste lui sembla superficiel, sans doute que son était de choc lui épargnait de ressentir absolument tout…. Sans doute…

Brièvement, elle osa jeter un œil en direction de ce qui restait de son agresseur. La colère la rongeait encore, mais elle n’avait plus vraiment la force de continuer. Lâchant un long soupir, elle tenta de reprendre un peu de décence en allant ramasser son épée, presque comme si de rien était. Les tremblements de ses mains, rendant l’épée presque impossible à ranger dans son fourreau, trahissaient cependant son état. Frustrée et agacée, elle leva son visage vers le ciel, les lèvres pincées.

« Ça va ! »

Une réponse froide coupant une éventuellement initiative de ce dernier. Mais elle se rendit vite compte que sa colère était mal placée et s’en voulait déjà de réagir ainsi envers lui.

« … Pardon… je… »

Impossible de terminer sa phrase, aucun mot ne lui venait. Elle ne savait ni quoi dire ni quoi faire et osait encore moins affronter son regard, son jugement ayant peur d’y voir une quelconque pitié.

Comme il s'y était attendu, Serena s'était violemment débattue, peinant à reconnaître celui qui l'éloignait de sa cible, peinant à réaliser ce qui se passait et encore trop sous le choc pour comprendre qu'il s'agissait de l'empêcher de commettre l'irréparable. Qu'à cela ne tienne, Gondemar était plus grand et plus fort que la jeune femme qui, épuisée et avec l'énergie qui la quittait, finit par être immobilisée par l'homme de haute taille qui parvint bon gré mal gré à capter son attention, la ramenant à l'instant présent et à cette ruelle crasseuse plutôt qu'à il ne savait quel horrible cauchemar dont elle avait dû être prisonnière dès que l'agression avait commencé. C'est ainsi qu'il s'écarta quand elle le repoussa faiblement, ne cherchant pas à lui imposer son contact, la suivant du regard au cas où elle défaillirait, notant ses tremblements, ses gestes pour vérifier son état, sentant la colère revenir à la charge dans ses propres veines en voyant à quel point elle avait été affectée. Pourquoi, par les Trois, fallait-il toujours que ce genre de chose n'arrive ? Un bref regard fut porté en direction de l'agresseur devenu victime de sa propre cruauté, une profonde inspiration empêchant l'ancien soldat de céder à l'appel de la vengeance qui n'avait plus lieu d'être : Serena s'était vengée seule, en bonne Milicienne qu'elle était, nul besoin d'en rajouter une couche supplémentaire. La seconde exclamation qui fusa ne manqua pas de faire tiquer l'homme qui s'approcha de quelques pas, notant le regard fuyant et l'égarement temporaire de la jeune femme.

- Je comprends.

Dit-il simplement sans s'étendre plus avant sur le détail de ce qu'il voulait dire par là, sachant parfaitement que la blonde comprendrait parfaitement le sens de ses mots. Notant la tunique déchirée, il ôta le manteau cape qui ceignait ses épaules et servait d'ordinaire à dissimuler son armure quand il n'était pas en service, le faisant ainsi passer pour un badaud ordinaire, et la déposa sur les épaules de la jeune femme, reculant pour la laisser s'en parer comme elle le souhaitait. Le tissu était un peu lourd et épais, mais il avait le mérité de tenir chaud et, au vu de la taille de Gondemar, pouvait couvrir Serena du cou jusqu'aux pieds, traînant même un peu par terre. La capuche également pouvait servir à dissimuler les marques si on la roulait comme un col. L'ancien soldat pour sa part s'approcha du blessé qui respirait dans des sifflements rauques, allongé sur le sol. Dardant un regard glacial sur lui, L'homme de haute taille leva sa botte droite et vint la presser contre le genou de l'agresseur en mauvaise posture, le fixant d'un air sombre alors qu'il captait son regard à demi dans les vapes.

- Je n'ai jamais pu te supporter.

Lâcha-t-il à mi-voix, sa botte pressant alors sur la rotule de l'homme, lui arrachant un cri étouffé de douleur alors que Gondemar sentait monter en lui l'envie de lui faire payer cet acte odieux qu'il avait tenté de faire, au même titre que plusieurs de ses amies avaient dû endurer ce genre d'atrocités qu'il avait en horreur, au plus profond de lui.

- Tu ne mérites pas d'être Milicien.

Affirma l'ancien mercenaire qui releva la jambe avant d'abattre soudain sa botte sur le genou de l'homme à terre, brisant la rotule dans un craquement sinistre et arrachant un hurlement de douleur à sa victime, s'acharnant d'un mouvement rotatif de son pied avant de s'écarter de quelques pas, un frémissement de violence assombrissant toujours ses yeux bleu glace. Avec ça il était certain que l'homme ne pourrait plus jamais marcher normalement, il deviendrait un poids pour les autres Miliciens, ne monterait jamais en grade et ne récolterait que mépris et indifférence à plus ou moins long terme. Il aurait aimé pouvoir l'éradiquer définitivement de la surface de ce monde, mais il s'était juré de ne plus céder à ce genre d'acte depuis qu'il avait changé de vie. Inspirant un grand coup, Gondemar se détourna du blessé pour reporter son attention sur Serena, lui offrant une ombre de sourire qui manquait de joie, mais pas de satisfaction.

- Si tu es prête, partons d'ici avant qu'on ne nous vois là. Il aura bien du mal à expliquer qu'une femme lui a fait ça, ne t'en fait pas, tu ne risques rien.

« … merci… »


Le mot fut à peine prononcé et le regard de la jeune femme ne croisa toujours pas celui du milicien. Lorsqu’elle sentit le poids, mais surtout la chaleur du tissu sur ses épaules, elle eut l’envie de s’effondrer, mais elle n’en fit rien. Sa fierté ne lui permettait pas. Ses mains ajustèrent la cape à sa morphologie, mais surtout de façon à cacher aux mieux les marques de son agression. Elle commença à arranger sa chevelure, retirant son chignon, lorsqu’un bruit étrange et étouffer attira son attention. Hésitante, elle se retourna lentement avant de comprendre qu’il s’agissait là de la voix mourante de son agresseur. Troublée, elle posa ses deux iris émeraude sur Gondemar, longeant alors son corps jusqu’à son pied et le genou sur lequel il était posé.

Un craquement assez distinct suivi d’hurlements étouffés résonnèrent dans ses oreilles. Elle avait compris l’horreur, la sentence que venait d’infliger Gondemar à ce dernier. Pourtant, aucune grimace ne déforma son visage. Impassible, elle fixa un moment l’homme souffrant avant de remonter lentement ses yeux dans celui de son ami. Enfin, elle eut le courage d’affronter son regard.

Elle aurait bien des choses à lui dire, autant sur ce qu’il venait de faire que l’aide qu’il lui avait apportée, mais rien ne sortit. Préférant finalement fermée les yeux sur le sort sinistre de son agresseur, elle hocha simplement sa tête avant de rejoindre la ruelle principale comme si de rien était.

Droite et le regard fixe, elle avança à travers les ruelles marchandes d’un pas lent, mais déterminé. Pour être franche, elle n’avait aucune destination en tête, ne sachant pas encore si elle devait faire l’effort de contacter un guérisseur, rentrer se laver ou même partir à la recherche des fuyards. Cependant, la marche eut le mérite de l’aider à se détendre et reprendre son sang-froid légendaire. Aussi, elle finit par jeter quelques coups d’œil sur celui qui l’accompagnait dans un silence pesant.

« Continue donc à faire cette tête et l’pauvre gamin qui te croisera en fera des cauchemars toute sa vie. »

Lança-t-elle finalement dans un maigre sourire amusé. Si elle pouvait recommencer à plaisanter et le provoquer, c’est qu’elle commencer à regagner les pieds sur terre… ou qu’elle tentait de le faire croire. Néanmoins, ses yeux fuirent à nouveau son regard lorsqu’elle reprit difficilement la parole.

« Je suis désolée… que tu aies dû assister à cela. »

Elle ne savait pas vraiment comment le dire autrement, mais elle véritablement embarrassée qu’il l’ait vu dans cet état. Si une part d’elle avait préféré que cela ne soit pas le cas, l’autre serait bien soulagée de son intervention.

« Mais que diable ! Depuis quand es-tu aussi écervelé ! Seul conte cinq ! Tu es bien chanceux d’en être sorti en un seul morceau ! »


S’arrêta-t-elle en posant ses mains sur ses hanches et en le dardant du regard. Oui, elle était réellement en train de le réprimander sur sa conduite. Elle n’ose pas imaginer ce qu’elle aurait fait si quelque chose lui était arrivé par sa faute.

Il avait hoché la tête quand elle l'avait remercié, ne proférant pas un seul mot bien qu'à son sens il ait été naturel de lui porter assistance, car il savait que d'autres à sa place n'en aurait rien fait. C'est ainsi qu'ils quittèrent les lieux de l'agression, marchant d'un pas rapide dans les ruelles calmes, l'air frais de la nuit apaisant à la fois leurs esprits et leurs corps agités par ce qui venait de se passer. Ce ne fut que quand Serena lui lança une remarque sur la tête qu'il faisait que Gondemar sembla s'arracher à ses propres pensées, portant sur la blonde un regard d'abord étonné, puis amusé, une ombre de sourire chassant les ténèbres qui s’appesantissaient jusque-là sur ses traits. Elle n'avait pas tort, il lui fallait prendre garde sans quoi ils allaient se faire remarquer par sa faute. Pour autant son regard se fit fuyant de nouveau et il en fut peiné pour elle.

« Je suis désolée… que tu aies dû assister à cela. »

- Je regrette que tu ais eu à subir cela.

Répondit-il sans hésiter un seul instant, comprenant la gêne qu'elle devait éprouver bien qu'il espéra que cela disparaisse au plus vite.

« Mais que diable ! Depuis quand es-tu aussi écervelé ! Seul contre cinq ! Tu es bien chanceux d’en être sorti en un seul morceau ! »

Cette fois il s'arrêta pour de bon, l'observant poser les mains sur les hanches avec l'air de le gronder comme on le ferait avec un enfant. La surprise était clairement visible sur ses traits à présent plus détendu et Gondemar cligna des paupières à plusieurs reprises, lentement, avant de hausser nonchalamment les épaules comme si cela importait peu.

- Et quoi ? Je n'allais pas les laisser faire, et puis tu t'es parfaitement occupé du tien toute seule, tu avais seulement besoin d'un coup de main c'est tout.

L'euphémisme de ses paroles ne dérangeait pas un seul instant l'homme de haute taille qui soupira fortement malgré tout, s'approchant de sa collègue pour venir poser l'une de ses larges mains sur l'épaule de la blonde, dardant sur elle ses yeux bleus à l'éclat presque doux à cet instant précis.

- Trop de mes amies ont enduré cela pour que je puisse le tolérer. Ces hommes étaient des lâches et ils ne méritaient pas qu'on les épargne.

Il ôta sa main de l'épaule de la jeune femme, ne désirant pas lui imposer une proximité ou un contact non désiré, jetant un regard autour d'eux avant de hocher légèrement la tête à ses propres réflexions.

- Nous ne sommes pas très loin de là où je vis, est-ce que tu veux qu'on y aille ? J'ai de quoi soigner ton cou.

Nul besoin d'insister sur l'état de ce dernier qui arborait des marques de doigts qui prenaient lentement mais sûrement une teinte violacée trahissant la violence dont avait fait preuve l'agresseur à l'égard de Serena. Pour autant Gondemar laissait le choix à cette dernière et, quoi qu'elle décide, il comptait bien s'assurer qu'elle rentre chez elle saine et sauve.

Sa réponse devait-elle la rassurer ou l’inquiéter ? Évidemment, Gondemar n’était pas le genre à passer son chemin dans une telle situation, elle le savait. Pour autant, ils avaient réellement eu de la chance de la tournure de la situation… Et encore, les conséquences éventuelles allaient seulement être visibles le lendemain. Et puis, elle avait également la désagréable impression qu’il essayait de la réconforter en minimisant la faiblesse dans laquelle elle s’était retrouvée. Ainsi, elle le détailla encore un peu d’un air insatisfait, jusqu’à ce qu’un sursaut la sorte de ses pensées. Elle-même ne s’était pas attendue à cette réaction. Ses réflexes étaient visiblement aux aguets, mais la bienveillance et le respect que démontrait son ami envers sa situation l’aider à se rassurer.

« Je suis navrée pour elles… »

Plus que jamais, elle pouvait imaginer l’horreur qu’elles avaient traversée et le désarroi que le milicien avait dû ressentir en apprenant les faits. Malheureusement, c’était chose courante. Et nombreux ne considéraient même pas cela comme un crime. Plus grave encore, la faute était souvent rejetée sur la femme victime d’agression. Nul doute que si ses agresseurs étaient parvenus à leur fin, nombreux auraient affirmé qu’elle l’avait mérité. Ce n’était d’ailleurs pas pour rien que si peu de femmes s’enrôlaient dans la milice et qu’autant l’abandonnait en cours de route.

Sa proposition la surprit un peu. Si elle comprenait aisément son sentiment de devoir envers elle, rien ne l’obligeait à poursuivre sa bienveillance. Et de sa bienveillance, elle n’en douta point. La seule incertitude qu’elle avait était de savoir si elle se sentait capable de l’accepter ou non. Maintenant, ce dernier venait de la surprendre dans un des pires moments de son existence et surtout le pire des états alors… Elle n’avait plus rien à perdre, si ?

« Seulement si cela ne te dérange point. »

Difficile de l’avouer, mais finalement, elle préférait largement le suivre encore un peu avant de rentrer chez elle et affronter les regards insistants de son personnel, mais surtout de sa famille et plus particulièrement sa mère. Si celle-ci venait à douter de sa vertu, elle n’osait pas imaginer ce qu’elle lui ferait subir.

« Est-ce que tu vis seul ? »

Où devait-elle s’attendre à croiser des regards curieux et inconnus ? Si tel était le cas, elle risquait bien de faire demi-tour et prendre la fuite. Qu’il connaisse cette mésaventure était déjà assez malplaisant.

Comment cela aurait-il pu le déranger puisque c'était une proposition qu'il faisait de lui-même ? Pour autant Gondemar percevait cette tension résiduelle chez Serena, cette légère appréhension somme toute naturelle, non seulement après ce qui venait d'arriver, mais également parce que c'était bien la première fois qu'il l'invitait à se rendre là où il résidait. L'idée de la laisser seule dans son état actuel, quand bien même l'homme de haute taille faisait en sorte de la traiter comme son égale, n'enchantait pas ce dernier qui reprit leur marche d'un pas tranquille, se détendant à l'idée qu'elle accepte cette forme de protection. Certaines de ses amies étaient des femmes très fières et il n'y avait qu'en les considérant à leur juste valeur que l'ancien soldat parvenait à les comprendre et à interagir avec elles sans avoir l'impression de ressembler à ses contemporains. Le soulagement fut cependant de courte durée quand la question de sa solitude se posa et le futur Milicien hésita l'espace de quelques secondes à mentir, avant de songer qu'il s'agissait là d'une très mauvaise idée. S'il tentait de lui dissimuler quoi que ce soit, Serena ne lui ferait plus confiance et il n'aurait pas l'occasion de la soigner ni même de la protéger quand, demain, on leur demanderait des comptes suite à des accusations qui risquaient fort d'arriver. Sauf si les autres avaient trop honte de dire qu'ils avaient pris une raclée par une femme, car ce serait là la version que Gondemar corroborerait : il a vu ce qui est arrivé et a vu une femme seule écraser la fierté de cinq hommes, pour son plus grand amusement. Mentir un peu n'était pas toujours un mal parfois.

- Non, je vis avec mon fils ainsi que la femme de mon ancien ami. La maison lui appartient, mais nous nous connaissons depuis de longues années et nous vivons tous sous le même toit depuis longtemps. Rassure-toi tout le monde sera dans sa chambre à cette heure.

Et elle n'aura pas à essuyer de regards ni de questions déplacés, tout du moins pouvait-on l'espérer. Gondemar réfléchit cependant rapidement à la situation, à ce qui était arrivé, puis finalement tandis qu'ils cheminaient reprit la parole d'une voix faussement calme et détachée.

- C'est Ecuviel, cet ancien ami, mais il ne sera pas là. Il est au Labret pour expier ses crimes. Sa femme n'a rien de commun avec lui, je tiens à le dire.

Et lui, lui il tentait de ne plus rien avoir non plus avec tout cela, même si cette mauvais partie de lui-même revenait encore au galop chaque fois que le danger menaçait, un peu comme ce soir. La scène repassait en boucle dans l'esprit de Gondemar et son humeur s'assombrissait malgré ses efforts et la demande de Serena un peu plus tôt. Il reporta son attention sur la blonde, inspira profondément et se força à l'apaisement, lui adressant même une vague ombre de sourire qui, s'il manquait clairement de joie, n'en demeurait pas moins un effort pour lui.

- J'ai de quoi te soigner dans ma chambre, mais je te préviens que c'est un peu... rustique, comparé au reste de la maison. J'espère que cela te conviendra malgré tout.

Parce qu'il avait bien vu, la clarté de sa peau, la propreté de son être, l'entretien soigné de ses cheveux, et ces menus détails de comportement qui ne faisaient aucun doute sur le fait qu'elle n'était pas une simple femme du peuple. Serena était au mieux une Noble, au pire une Bourgeoise, mais rien de plus bas que cela, l'ancien soldat en était certain, cependant il préférait ne jamais aborder le sujet, pas parce qu'il trouverait cela inconvenant, ni non plus par vieille rancœur d'enfant de la rue, mais parce que si la jeune femme avait choisi la Milice, c'était très certainement pour s'affranchir de tout ça. Pas besoin d'en rajouter une couche.

Le silence qui suivit son interrogation ne présageait rien de bon. Devinant bien que sa réponse n’allait guère lui plaire, les pas de la jeune femme se stoppèrent inconsciemment. Peu convaincue par ses paroles, elle lui jeta un long regard avant de finalement relâcher, un long soupire, résignée. N’ayant guère envie de rentrer chez elle et affronter ce qui l’attendait, il ne lui restait plus qu’à prier pour que personne d’autre ne la voie.

« … Toujours rattaché à lui… » Murmura-t-elle lorsqu’il mentionna Ecuviel sans vouloir lui faire un reproche. « Un fils, hein ? » Elle était étonnée de l’apprendre, mais finalement, il avait l’âge. C’était d’ailleurs elle qui était très en retard à ce niveau et ce constat lui arracha une légère grimace. Pour autant, elle ne l’avait jamais imaginé père, sans doute qu’elle aurait ravie de rencontrer cet enfant si les circonstances étaient différentes. Peut-être une autre fois.

Son allure était nettement plus lente qu’à son habitude et Serena commençait à s’en rendre contre. L’adrénaline retombée, son corps lui paraissait incroyablement lourd et instable. Chacun de ses pas était un effort surhumain, pourtant elle se refusait à le montrer, ni même à l’admettre. Continuant silencieusement à le suivre à travers les ruelles, elle amena discrètement une main sur son abdomen sentant l’inévitable hématome qui se formait et lui infligeait de puissantes crampes d’estomac.

Le sourire revint néanmoins sur ses lèvres lorsque le milicien crut bon de la prévenir de la sobriété de sa chambre. Même si elle devinait les raisons de son inquiète, elle trouva tout de même celle-ci assez ironique lorsqu’on connaissait les conditions de vie de la milice durant les missions.

« Je suis persuadée que j’ai vu pire, ne t’en fais pas ! Et puis, parfois la simplicité est plus agréable. »

Elle n’avait jamais été grande admiratrice des pièces spacieuses et extravagantes que certains nobles se vantaient de posséder. Après, il était vrai qu’elle ne se plaignait jamais de son lit o combien confortable, surtout après une longue mission.

Lorsqu’elle arriva face à la demeure, une soudaine hésitation s’empara d’elle. La marche leur avait permis de reprendre un peu de distance vis-à-vis de ce qui s’était passé, mais ils allaient bien devoir y refaire face une fois à l’intérieur. Elle n’était pas sûre d’en avoir le courage. En vrai, elle n’avait qu’une envie : se coucher, oublier. Impossible, elle le savait bien.

« … je te suis… »

Si le fait de souligner son lien avec Ecuviel aurait pu assombrir davantage son humeur, la mention de son fils eut l'effet inverse et ce fut un léger sourire fier qui apparu sur le visage de Gondemar. Anatole était désormais un jeune homme qui travaillait dur et possédait une saine mentalité, il ne créait jamais de tracas ni ne fricotais avec le danger si cela n'était pas nécessaire. Bien sûr il avait hérité de certaines aspirations de son père et les femmes ne l'intéressaient guère, mais tant qu'il gardait cela secret, nul ne lui causerait jamais de difficultés, aussi Gondemar était-il fier de l'homme que son fils était en train de devenir. C'était aussi pour lui qu'il avait décidé de changer, pas seulement pour sauver ce qui restait de son âme, mais aussi parce que celui qui demeurait désormais sa seule famille ne devait jamais subir les erreurs de son géniteur. Se racheter une conduite était ainsi devenu une obligation, quand bien même Anatole n'avait jamais porté de jugement sur lui. Et tandis que ces pensées hantaient le Milicien, il songea au confort de sa chambre qui tranchait nettement avec la demeure et s'enquit de prévenir Serena. La réaction de cette dernière acheva d'instaurer un léger sourire plus détendu sur le visage de l'homme de haute taille qui acquiesça avec une meilleure humeur. Au quartier général, elle avait forcément vu pire, ou même en mission, nul besoin de s'inquiéter. Les maisons défilaient cependant et ils ne tardèrent pas à s'arrêter devant celle de l'ancien mercenaire. De bonne taille et parfaitement entretenue, l'extérieur était aussi propre que respirant la bonne fortune et l'hésitation de la blonde ne manqua pas d'inquiéter le brun qui pourtant la laissa décider de ce qu'elle comptait faire.

« … je te suis… »

Gondemar acquiesça en silence, intérieurement soulagé de ne pas avoir à forcer la main à la jeune femme. Il aurait tout aussi bien pu décider de l'assommer pour la soigner contre son gré, mais cela aurait ajouté une blessure supplémentaire et compromis leur entente actuelle. Il tira une clef de sous son armure et se dirigea vers une petite porte latérale en bois épais qu'il ouvrit en silence avec la force de l'habitude, laissant passer sa collègue avant de refermer derrière eux avec précautions. L'intérieur était décoré avec goût, on sentait la patte d'une femme bien qu'il sembla manquer de nombreux objets et meubles par endroit, la faute aux percepteurs qui étaient passés après la disgrâce d'Ecuviel, ne laissant plus grand-chose de valeur dans la demeure. Malgré tout on devinait que des efforts avaient été fait pour restaurer un peu de ce qui avait dû commencer à dépérir et de nombreux tableaux ornaient les murs, portant tous la même signature, celle de l'épouse du déchu banni au Labret. Faisant signe de le suivre d'un signe de la main malgré l'obscurité que seule la lune éclairait faiblement à travers des fenêtres hautes, Gondemar guida Serena vers un couloir sur leur droite menant à une série de portes, allant jusqu'à la seconde à droite où il entra, lui laissant le passage avant de refermer, tournant une clef à l'intérieur de la serrure. La pièce, plongée dans le noir complet, sentait le propre et le futur Milicien ne mit que quelques secondes à trouver une bougie et à l'allumer, puis s'en servir pour allumer la lanterne qui éclaira immédiatement la chambre qui se révéla aux yeux de la blonde : spartiate, avec le minimum de confort comprenant un lit avec des draps basiques comme on en trouvait dans les casernes, une petite armoire et une commode, une table portant une miche de pain, un godet d'eau et un pichet, une chaise en bois rustique non vernie, un parquet pas même entretenu, et des murs dépourvus de toute décoration hormis un tableau, un seul, celui d'une très belle femme aux cheveux d'or et au regard d'un vert très doux. L'ensemble demeurait d'une propreté impeccable et l'on pouvait s'y sentir en relative sécurité.

- Nous y sommes, maintenant nous pouvons parler.

Fit-il d'une voix semi basse malgré tout, détachant son épée de son côté pour la déposer près de son lit, s'étirant un peu et remuant la tête pour assouplir sa nuque. Il alla ensuite à l'armoire et l'ouvrit, en sortant le nécessaire pour faire des soins : plantes, pot d'onguent, fiole de lait de pavot, bandage, linge propre, aiguille et fil... Tout pour rassurer, assurément.

- Mon fils a dû nous entendre rentrer, mais il ne viendra pas nous déranger, il est bien élevé. Ici tu peux te détendre et cesser de faire semblant.

Grave sans pour autant se faire juge, Gondemar scrutait Serena d'un regard chargé de compréhension. Combien de fois avait-il marché droit alors que son corps hurlait de douleur à le faire se plier en deux ? Combien de fois avait-il tenu au lieu de claudiquer, demeurant impassible quand la souffrance irradiait dans tout son corps ? Il savait reconnaître l'éclat de la douleur dans les yeux d'autrui, parce qu'il l'avait déjà infligée, mais également parce qu'il l'avait aussi déjà endurée.

- Installe-toi sur le lit, je prendrais la chaise.

La fierté qui se lisait chez le père à l’allusion de son fils avait quelque chose de tendre et de touchant. Nul doute que ce dernier ne s’était pas rendu compte de son changement facial si rare et pourtant alors parlant. L’amour qu’il portait à ce dernier était bien visible et la milicienne ne pouvait alors que se sentir heureuse et soulagée pour eux deux.

Néanmoins, cela ne l’empêcha pas à prier silencieusement les Trois pour ne pas le croiser tout de suite. Non, elle ne voulait pas, elle ne devait pas. Impossible pour elle de lui faire face dans sa condition et à vrai dire, impossible pour elle de faire face à qui que ce soit en cet instant. Peut-être était-ce d’ailleurs cela, ce même constat, qui la faisait sentir soudainement si seule, si solitaire et si triste. Les tensions familiales l’avaient un peu plus recluse et l’amie qu’elle avait autrefois, elle l’avait perdue de vue et n’avait toujours pas osé reprendre le contact. Finalement, pour l’heure, Serena n’avait personne à qui se confier, vers qui se tourner, se réfugier.

Le destin avait néanmoins voulu l’amener ici. Dans cette maison modeste, mais confortable et entretenue. Au début, elle fut assez surprise de la gêne et du besoin du milicien à la prévenir de la présentation rustique, mais le comprit une fois arrivée à sa chambre. Encore une fois, elle avait vu et connu bien pire alors ne fut pas réellement déçue, plutôt agréablement surprise par la propreté des lieux mêmes. Ses yeux de jade furent néanmoins assez rapidement attirés par ceux de la femme du tableau. L’admirant silencieusement, elle devina sans mal qu’il s’agissait d’un amour perdu et encore chéri, mais n’osa pas y faire le moindre commentaire.

Clouée au milieu de la pièce, elle l’observa sortir tout son attirail d’un air presque affolé. Regrettait-elle déjà de l’avoir suivi ? Oui, oh oui. La nervosité s’exprimant malgré elle, elle se recula d’un ou deux pas avant de l’écouter parler. De là, une vague d’émotion aussi contradictoire qu’imprévisible l’envahit. La contrariété, la colère et la frustration de ne pas l’entendre la rassurer et au contraire, lui ajouter une inquiétude supplémentaire en lui rappelant la présence de son fils, puis l’incompréhension face à la deuxième partie de sa phrase. Cesser de faire semblant ? Qu’essayait-il de…

Son corps parlait finalement de lui-même lorsque quelques larmes silencieuses finirent par lui échapper. Surprise par l’humidité à ses joues, la noble milicienne fronça immédiatement les sourcils tout en fuyant le regard de son confrère. Vexée et embarrassée par son état, elle se haïssait encore plus pour lui montrer ses larmes et continua de les retenir de toutes ses forces.

« Cesse donc de me regarder ainsi. »

Fit-elle finalement d’un air blessé et furieux sans pourtant reposer ses yeux sur lui. La pitié était difficile à accepter, même lorsque c’était plus ou moins tout ce qu’on pouvait espérer. Assis sur le lit et bras croisé, l’attitude complètement fermée, Serena se renferma à nouveau dans le déni.

« Je vais bien. »

Jetant un regard sur tout ce qu’avait bien pu sortir Gondemar, elle soupira tout en frottant nerveusement sa chevelure.

« Écoute, je n’ai pas besoin de tout ça, ok ? »

Non, elle n’en avait pas besoin finalement. Non, elle devait juste rentrer, dormir… oublier. Oui, voilà, c’est ce qu’elle devait faire, ce dont elle avait besoin. Pour le coup, elle se sentait même stupide de l’avoir suivi et tenta un peu maladroitement de se relever.

« Pardon, je ne sais même pas ce que je fais là, je vais rentrer. »

Les marques à son cou, la douleur aiguë à son estomac, le sang sur ses mains et son allure misérable, tout cela, elle avait oublié.

Évidemment, il ne pouvait que s'y attendre et pourtant, l'espace d'un instant, il s'était dit que peut-être elle ne craquerait pas, peut-être qu'elle avait déjà éprouvé tout cela auparavant, peut-être qu'elle... Et merde, des larmes. Gondemar la fixa malgré tout sans rien trouver de honteux à cela, ne comprenant que trop bien ce qu'elle pouvait éprouver, quoiqu'il ne soit pas une femme et se douta que pour elles c'était chose bien plus difficile à accepter. Il regarda les larmes avec un détachement dérangeant, la regarda croiser les bras et affirmer qu'elle allait bien, retenant un soupir en délaissant les préparatifs sur la table de bois. A peine frotta-t-elle sa chevelure que déjà il s'avançait, le pas silencieux et pourtant déterminé, interceptant son mouvement pour se lever en posant une main sur son épaule, faisant pression dessus pour la forcer à se rassoir, la fixant alors d'un regard bleu glace qui ne souffrait d'aucune hésitation, d'aucune pitié non plus bien qu'il ne veuille que son bien à cet instant précis.

- Tu es là parce que tu en as besoin, au contraire.

Le ton avait été ferme, un peu trop sans doute et, s'en apercevant, l'homme de haute taille soupira doucement et lâcha l'épaule de la blonde pour se pencher vers la petite table de chevet, tirant un miroir à main dont il ôta le cache pour le placer face à la blessée, la laissant alors contempler son reflet. Les ecchymoses, le sang séché, les marques d'étranglement sur son cou, les sillons de ses larmes sur la crasse de son visage malmené, ses cheveux défaits, son haut déchiré... Cette fois une expression soucieuse apparu sur les traits du futur Milicien qui rangea le miroir au bout de quelques brèves secondes, ne voulant pas lui laisser le loisir de trop s'appesantir sur son état.

- Je ne peux pas te laisser ainsi Serena.

Reprit-il d'une voix plus douce, une voix qu'elle ne lui avait jamais entendu jusqu'à présent, lui toujours si fermé et sombre au quartier général. Il porta sur elle ses yeux bleu glace et lui offrit une ombre de sourire.

- Il n'y a pas de honte à accepter de l'aide quand on en a besoin. Je ne te trahirais pas, je ne me moquerais pas, et je ne te trouve pas faible non plus même si tu es une femme.

Il se souvenait de ce que ses amies lui avaient raconté, confié... Déjà que d'ordinaire il n'était pas homme à forcer les femmes, mais après ce genre de choses il avait été plus que jamais attentif à ces détails et avait constaté à quel point cela s'était aggravé depuis l'arrivée de la Fange, la faute à l'entassement des gens les uns sur les autres. Monde de merde.

- J'ai fait ça des dizaines de fois et j'ai même du lait de pavot.

Il sourit légèrement, se voulant rassurant.

- Et non je ne te laisserais pas tout boire.

Il s'accroupit devant elle, la fixant avec un peu plus de sérieux à nouveau, sentant son propre corps protester à cause de ses propres ecchymoses.

- Il faut te soigner pour affronter ce qui viendra demain. Tu auras besoin de te tenir debout et fière contre ces raclures.

Déstabilisée par les gestes et les paroles autoritaires du milicien, Serena écarquilla les yeux quelques instants. Que ? Prête à devenir menaçante et ronchonner mille mots en lui ordonnant de la lâcher, elle s’arrêta brusquement en voyant, non pas le miroir, mais ce qu’il reflétait. Paralysée et bientôt prise de panique face à une réalité bien trop difficile à accepter, elle s’étonna d’abord à ne pas s’être tout de suite reconnue. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas admirée dans un miroir ? Elle n’en avait pas la moindre idée, mais jamais elle n’aurait….. Triste à voir était le bon mot. Prise de dégoût, sa main vint soudainement et violemment écarter l’objet de ses yeux en criant.

« Arrête ! »

Instinctivement, la femme avait refermé la cape prêtée autour de son coup et de sa poitrine cachant à nouveau les zones les plus touchées tout en se pinçant les lèvres. Jamais, non, jamais, elle ne s’était sentie aussi humiliée. Quelque part, sur le coup, Serena lui en voulait terriblement de lui faire subir cela et lui jeta ainsi un regard extrêmement froid et mécontent. Cependant, elle réalisa également rapidement, au son de sa voix et à ses paroles que sa colère se dirigeait contre la mauvaise personne. Non, Gondemar n’était pas là pour lui faire du mal. Non, il n’était pas là pour se moquer, et encore moins profiter de sa faiblesse. Il était juste… là… Contrairement à temps d’autres.

« … Des dizaines… ? »

Interloquée par cette information, elle l’observa un moment bouche bée avant de prendre une posture plus résignée, plus fatiguée, plus douloureuse. Comment pouvait-on se sentir aussi misérable. Comment pouvait-elle se sentir si…. Alors que tant d’autres avaient traversé bien pire… Elle avait eu de la chance… Beaucoup de chose… alors de quoi se plaignait-elle ? Le regardant s’accroupir face à elle d’un air perdu, elle écouta chacune de ses paroles avant d’afficher un maigre sourire sans vie.

« Demain, mh… ? »

Pour dire vrai, elle n’avait pas réellement envie d’y penser. Mais il n’avait pas tort. Elle n’avait pas le droit de se morfondre trop longtemps, elle devait rester forte… En toute circonstance et se battre jusqu’au bout. Serrant ses doigts entre les tissus, elle accepta finalement, ou presque, de mettre sa fierté de côté pour le moment et de placer sa confiance en lui.

Prenant une bouffée d’oxygène elle releva un instant ses yeux au ciel comme pour se donner du courage avant de défaire et retirer la cape qui l’avait alors protégé jusqu’ici. Par moment, sa conscience lui rappelait être face à un homme et ses instincts de survie encore déclenchés, lui criait de fuir. Heureusement, elle se refusait à les écouter, s’accrochant à son attitude détachée et pourtant bienveillante, ainsi qu’à son aide apporté.

« … Rappelle-moi de t’assommer lorsque tout cela sera fini… Histoire de te faire oublier tout ce que tu as vu... »

Ça, elle l’avait dit sur un ton légèrement plaisantin, essayant d’alléger l’atmosphère en se réfugiant dans un brin d’humour et dans un sourire encore opaque. Docile, elle lui fit comprendre qu’elle était prête à l’écouter et le laisser la soigner.

« … tu fais ça souvent donc ? Et jouer au héros ? »