[Terminé]Apprendre à reconnaître ses vrais alliés {Flashback} | Gondemar

Elle n'avait pas supporté son propre reflet, mais comment le lui reprocher ? Lui-même fuyait le sien lorsqu'il était blessé ou abattu, sachant pertinemment à quoi il ressemblait dans ces moments-là. Il avait éprouvé trop durement sa propre lâcheté pour laisser qui que ce soit l'éprouver à son tour, préférant ainsi placer Serena face à la cruelle réalité plutôt que de lui laisser l'opportunité de sombrer dans les ténèbres. Il ne s'offusqua ni de son geste, ni de son éclat de voix, il se contenta d'être là pour elle du mieux qu'il le pouvait, cherchant les mots les plus appropriés bien qu'il ne soit pas un grand orateur, parlant davantage avec son propre ressenti qu'avec de quelconques connaissances étendues sur le sujet. Il n'était qu'un homme comme un autre après tout, il était loin de tout savoir, de tout comprendre, surtout lorsqu'il s'agissait des autres. Progressivement pourtant, la blessée sembla se ranger à son idée et finit par se laisser faire, ôtant la cape protectrice avant de lui lancer une fausse menace sur le ton de la plaisanterie qui eut le mérite d'arracher un sourire en coin à l'homme de haute taille. Il se détourna pour aller prendre la bassine qu'il rempli d'eau, la vérifiant rapidement avant de s'emparer d'un linge propre et de revenir vers sa collègue.

- Pas vraiment non. Ce que je voulais dire, c'était que j'ai déjà dû me soigner seul. Crois-moi c'est plus facile quand c'est quelqu'un d'autre qui s'en occupe.

Un sourire entendu, puis il inspira profondément, levant sur elle ses yeux bleu glace.

- A partir de maintenant, dis-toi que je suis comme un soigneur. Je ne te touche que pour laver les plaies, les soigner et les panser. Si jamais ça te gêne trop, dis-le-moi et je t'expliquerais comment faire.

Ses blessures n'étaient pas suffisamment graves pour qu'il pense devoir tout faire seul sans son accord, après tout elle était à demi dénudée et possédait certainement cette pudeur qu'on les femmes à toujours vouloir se couvrir. Après ce qui était arrivé dans la ruelle, après ce qui avait failli arriver, Gondemar comprenait qu'à un moment elle ne voudrait pas qu'un homme la touche, fut-ce pour la soigner. Il commença ainsi par le visage, enlevant le sang et la crasse avec précautions, les gestes doux, délicats malgré la taille de ses mains habituées à manier l'épée avec force. Minutieux, il tamponna sur les plaies, pressant légèrement les contours de celles-ci et frottant avec plus de force quand la zone avait été épargnée. Il passa au cou qu'il vérifia du bout des doigts, faisant tourner la tête de gauche à droite à Serena, sourcils froncés, effleurant la peau et pressant doucement jusqu'à-ce que la jeune femme ne grimace, s'excusant ensuite à voix basse.

- Tu vas les garder durant plus d'une semaine je pense. Je te prêterais une étole ce soir pour que tu couvres les marques et qu'on ne te questionne pas, tu me la rendras demain.

Son regard remonta vers le sien, brillant d'une vive lueur. Elle l'avait échappé belle, cet abruti aurait pu la tuer s'il avait serré trop longtemps... probablement était-ce ce qu'il aurait voulu faire après avoir pris ce qu'il voulait. Expirant avec force, il rinça le linge qui tinta l'eau d'un début de pourpre diffus, dégageant avec lenteur le tissu déchiré de son haut.

- Montre-moi chaque endroit où tu as mal, je dois tout vérifier.

Il ne voyait rien de déplacé dans son propos, concentré qu'il était sur les blessures à soigner, sur le risque de voir les plaies empirer, rougir, devenir purulentes. Rien ne devait être laissé au hasard, surtout dans leur métier.

Jamais elle n’aurait cru que son rang, son titre dans la noblesse ne lui soit un jour utile dans une telle situation et pourtant… Pourtant, elle était bien contente d’être déjà plus ou moins habituée à être manipulée par autrui telle une poupée. Évidemment, les domestiques qui s’occupaient d’elles avaient toujours été des femmes, mais au moins le rôle de la marionnette ne lui était pas inconnu. Simple sourire aux lèvres en réponse à ses paroles attentionnées, elle se montra étrangement calme et docile à son contact.

Perdue dans ses pensées, elle ne faisait plus réellement attention à ce qui se passait et le laissait donc nettoyer son visage sans broncher. L’observant néanmoins toujours de ses yeux émeraude, elle se réjouissait toujours autant de constater à quel point son apparence dure et imposante pouvait parfois contraster avec son attitude bienveillante. Évidemment, ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’elle le réalisait. Elle ne comptait plus non plus le nombre de fois où elle lui avait suggéré de se montrer plus amical avec les autres membres de la milice pour qu’il puisse mieux s’y intégrer.

Plaçant sa confiance en lui, elle s’autorisa à fermer les yeux et le laisser la manipuler, la soigner non sans grimacer par moment. Enfin, elle rouvrit les paupières lorsqu’il se mit à examiner son cou. Le visage, l’expression à peine visible sur son visage en disait long.

« … Merci. »

Lui fit-elle simplement une certaine gratitude dans le regard lorsqu’il lui proposa une étole. Cherchant son regard, elle tenta à son tour de le rassurer, désormais légèrement plus calme et sereine qu’auparavant.

« … ne t’inquiète pas… c’est fini. »

Le disait-elle pour lui ou pour elle ? Difficile à dire, mais elle avait bien ressenti le besoin de prononcer ces mots en voyant ses yeux sur son cou. Oui, elle le savait. Elle avait de la chance d’être encore ici et entière de toutes les manières qui soit. Rassurée et se sentant plus en sécurité en sa présence qu’en danger, elle put sentir ses muscles se détendre légèrement et lentement jusqu’à ce qu’il lui demande de lui montrer chaque partie douloureuse.

« … »

À nouveau un peu crispée et le regard fuyant, elle ne semblait pas vraiment ravie de cette demande. Sa main étant même venue subitement, sans même qu’elle ne s’en rende compte, attraper son poignet pour lui interdire de la toucher plus loin. Peut-être avait-elle espéré y échapper. Plaçant inconsciemment une main sur son estomac douloureux et noué, elle hésita à mentir avant d’y renoncer en sentant son regard ô combien insistant.

« C’est qu’il faudrait presque que je me déshabille complètement à ce moment-là. »

Lui fit-elle remarquer sur un ton mi- sérieux mi- plaisantin. En effet, son corps entier était douloureux, sans doute sous le choc et l’émotion intention. Mais évidemment, elle savait au fond qu’il y avait un endroit qu’elle devrait encore lui montrer. Crispée et gênée par son expression sérieuse et autoritaire, elle finit par attraper son coussin et le lui plaquer sur la gueule.

« C’est bon, c’est bon ! J’ai compris. Arrête de me fixer ! »

Un peu ronchon et tout de même gêné par la situation, Serena céda finalement à la demande de ce dernier, démunie et dépassée par ce qui venait de se passer et ce qu’elle devait faire désormais pour se ressaisir. Défaisant le reste de sa tenue, elle retira lentement et délicatement, non sans douleur, la chemise qu’elle portait dévoilant ainsi le bandage soutenant sa poitrine. Plaçant une main dessus autant pour le cacher que pour veiller à le maintenir bien en place, elle scruta un instant le regard sévère du milicien, le suivant jusqu’à son estomac qui démontrait également toute la violence de ses agresseurs.

« … Ils ne m’ont pas fait de cadeau. »

Une remarque, un soupire évident qui masquait toute sa nervosité. Bien moins à l’aise ainsi dévêtue qu’auparavant, Serena tenta néanmoins de rester relativement impassible. Faire abstraction de sa tenue, de son allure et du genre de son collègue était périlleux, mais pas complètement impossible. Enfin, elle faisait de son mieux.

« Quoi que tu fasses, vas-y doucement ou fais-le rapidement. »

Oui c’était incohérent, presque contradictoire, mais cela s’expliquait facilement : elle voulait en finir rapidement, mais craignait la douleur du moindre contact contre son ventre couvert d’hématome.

La main sur son poignet fut le signal qui le stoppa, l'immobilisant totalement aussi sûrement que si on avait tiré une cloche d'alarme. Il la scruta avec attention, comprenant que se déshabiller n'était pas forcément ce qu'elle avait cru devoir faire, lui laissant le temps de se faire à l'idée puisque rien ne les pressaient, notant son hésitation avant de se prendre soudain un coussin en plein visage. Il le retira d'un geste, une ombre de sourire perçant brièvement sur ses traits malgré la gravité de la situation. Le remerciement qu'elle lui avait adressé juste avant lui avait fait plaisir, mais il n'était pas certain de savoir exactement pour quoi exactement elle le remerciait : l'avoir aidé dans la ruelle ou bien l'avoir amenée ici pour la soigner ? Peut-être les deux, qui sait. Il recula légèrement pour ne pas se faire trop envahissant, fronçant les sourcils en portant son regard non pas sur le bandeau autour de sa poitrine -toutes les femmes de la Milice faisait la même chose- mais sur son abdomen qui avait déjà viré au violacé agrémenté d'autres teintes allant du marron au bleu-noir. Sa mâchoire se crispa dans un bref sursaut de colère qui revenait à la charge, mais Gondemar la chassa immédiatement pour se concentrer sur ce qu'il avait à faire.

- Non, en effet.

« Quoi que tu fasses, vas-y doucement ou fais-le rapidement. »

Gondemar cligna des paupières, relevant vivement la tête pour fixer Serena avec surprise, avant d'éclater brièvement de rire, un bref son un peu rauque, mais sincèrement amusé, avant qu'il ne secoue la tête, un sourire irrépressible aux lèvres.

- Oui ma Dame, bien ma Dame.

Est-ce qu'elle se rendait seulement compte que ses propos, sortis de leur contexte, pouvaient terriblement prêter à confusion ? Il l'ignorait, mais mieux valait ne pas le souligner plus que nécessaire et Gondemar préféra ainsi attraper un des pots sur la table contenant un onguent à l'odeur forte, moyennement agréable, mais dont il s'imprégna copieusement la main.

- Je vais devoir masser et appuyer, ça va être douloureux. Si c'est insupportable, mord dans l'oreiller.

Une esquisse de sourire alors qu'il le lui tendait, bien que cela ne remonta pas jusqu'à ses yeux. Il laissa à Serena le temps de se préparer, puis commença à appliquer l'onguent avec précaution, percevant le contact de la peau meurtrie qui était presque à vif par endroit là où les coups avaient été les plus violents.

- Comment vont tes côtes ? Tu arrives à respirer à fond ?

Serena cligna des yeux une fois, deux fois, trois fois alors que son collègue s’était mis à rire de manière totalement inattendu et incompréhensible. Ne s’étant absolument pas attendue à cela, et ne comprenant pas du tout la raison de son rire, la milicienne resta clouée un moment face à ce spectacle. Spectacle qui n’était d’ailleurs absolument pas désagréable, au contraire.

« Quoi ? »

Demanda-t-elle le sourire aux lèvres et curieux de savoir ce qui l’avait mis dans cet état si rare à voir. Tête penchée, elle le détailla un moment avant de prendre un air faussement vexé à sa réplique.

« Tss. »

Soulagée et un peu plus détendue par cette nouvelle atmosphère, elle revint malheureusement bien rapidement à la réalité lorsque ce vicieux lui redonnant son oreiller après l’avoir prévenu de la suite de l’opération. Grognant un peu, elle alla péniblement s’allonger dans le lit pour mieux pouvoir lui donner accès à son estomac. Déjà accrochée au coussin, elle redoutait le moment où il viendrait au contact de sa peau et elle ne fut pas déçue. La douleur était vive, puissante et par moment presque insupportable. Elle avait beau être coriace, il était bien impossible de rester de marbre et commença assez rapidement à se tourner sur le côté tout en se cambrant pour éviter ses mains par réflexe.

« … C’est le pire massage de ma vie. »

Grogne-t-elle en serrant la mâchoire. « ça va… je ne pense pas avoir de côtes casser… »[/b][/color][/i][/font]

Elle l’espérait bien en tout cas, même si par moment cela pouvait être douloureux, elle n’avait pas l’impression que cela soit plus prononcé que le reste. Encore couchée de manière à ce qu’il ne puisse plus toucher son estomac, elle lui lance un long regard accusateur.

« Qu’est-ce que tu me fais exactement ? A quoi ça sert ? »

Sa tête pointa alors le pot utilisé pour le liquide dont il s’était imprégné avant de reprendre son courage à deux mains et rouler sur le dos pour le laisser continuer et, elle l’espérait, terminer. Un gémissement étouffé dans son coussin, elle resta tendue tout au long de l’application avant de soupirer de soulagement lorsqu’il cessa enfin de la torturer soigner.

« Tu devrais sourire, rire plus souvent, avec les autres aussi… et pas seulement lorsque tu t’amuses à me torturer, sadique. »

Si elle l’avait dit en essayant de plaisanter un peu, elle était très sincère sur le fond. Gondemar ne méritait pas le traitement qu’il avait à cause de sa réputation, de son passé. Trop peu de ses camarades se seraient ainsi interposés et aidés de la sorte. Mais sans doute qu’il ne s’en rendait même pas compte.

« J’te laisserai pas te débiner la prochaine fois, tu viendras à l’auberge avec nous. »

De gré ou de force, elle comptait bien l’entraîner boire un coup avec les autres membres de la milice et cesser de le laisser seul dans un coin et pointé du doigt. Un peu fatiguée, même beaucoup, Serena resta sagement allongée sur le dos. Enfin, sa respiration un peu rapide et douloureuse, elle se permit à fermer les yeux pour se reposer un peu, non sans continuer à lui parler.

« Je t’inviterai… C’est la moindre des choses. »

Rien qu'à ses crispations, Gondemar su que la douleur était difficilement soutenable. Il s'appliqua à masser aussi rapidement que possible, mais il était obligé d'insister sur les zones les plus meurtries et Serena finit par basculer sur le côté pour échapper à sa main, se soustrayant aux soins et faisant se suspendra la main du futur Milicien qui retint un soupir en l'entendant parler du pire massage de sa vie. Il n'en doutait pas un seul instant, il aurait certes préféré qu'il en soit autrement, mais c'était chose impossible, pas après tous les coups qu'elle avait reçu. Le regard qu'elle lui lança fut sans équivoque, malgré tout l'homme ne broncha pas, sachant pertinemment que ce n'était pas lui qui était en cause, mais l'état dans lequel se trouvait sa collègue. Aussi ce fut avec un calme imperturbable qu'il répondit à sa question.

- C'est un onguent qui va diminuer la douleur et aider à guérir plus vite. L'odeur est forte je te l'accorde et il faut masser sur les parties douloureuses, ce qui est difficile à faire j'en conviens, mais le résultat en vaut la peine crois-moi.

Combien de fois avait-il eu recours à cet onguent ? Il savait le préparer lui-même grâce à une amie d'enfance herboriste, aussi n'était-il jamais à court, mais il serait bien incapable de compter le nombre de fois où il y avait eu recours, c'était impossible, car quasi systématique. Gondemar eu pourtant la surprise de voir la jeune femme basculer de nouveau sur le dos, serrant le coussin sur son visage pour étouffer les futurs gémissements de douleur qui ne manquèrent pas de lui échapper quand il reprit son ouvrage. Elle était courageuse à n'en pas douter, il ne cessait de le constater chaque jour et il respectait profondément cela, aussi s'employa-t-il à terminer le plus rapidement possible, reposant enfin le pot sur le côté après de longues minutes de torture. Serena choisie ce moment pour lui faire part de son conseil, arrachant un léger sourire à celui qui refusait pourtant de se mélanger aux autres.

- J'aurais préféré te soigner sans douleur, je ne suis sadique qu'avec ceux qui le méritent.

Cela avait été dit sur un ton qui se voulait léger, mais Gondemar savait parfaitement ce qu'il en était, en réalité, aussi préféra-t-il se concentrer sur la suite du propos de celle qu'il commençait à percevoir comme une amie et pas seulement comme une collègue, quand bien même seul le temps serait juge de ce début d'amitié. Il leva ses yeux bleu glace vers le plafond quand elle parla de le faire venir avec les autres à l'auberge, soupirant à demi avant de reporter son attention sur elle quand elle parla de l'inviter. Reprenant un air plus sérieux, il sembla hésité puis finit par laisser ses épaules s'affaisser un peu, signe de reddition.

- Je ne veux pas aller boire avec eux, la moitié me déteste et l'autre moitié m'irrite au plus haut point, à quelques exceptions près. Par contre j'irais volontiers boire un verre avec toi quelque part si le cœur t'en dit.

C'était là un aveu lâché avec une franchise peu commune, lui qui d'ordinaire préférait ne rien dire quant à ce qu'il pensait d'autrui, mais après cette soirée il savait pouvoir se montrer plus honnête avec Serena. Profitant de la voir se détendre et fermer les yeux, il attrapa la couverture au pied du lit et la remonta avec précaution jusqu'en haut de la taille de la jeune femme, la bordant en quelque sorte avec un léger sourire, l'air un peu protecteur pour le coup.

- Il faut encore s'occuper de ta gorge, tu veux le faire toi-même ?

Gondemar savait que même si Serena était en train de se détendre, une main étrangère sur sa gorge provoquerait un rappel violent de l'agression à son esprit et qu'elle ne serait pas tranquille. Elle n'avait pas besoin de crispation supplémentaire et c'est pour quoi l'ancien mercenaire se leva pour aller chercher l'autre pot à onguent contenant celui fait pour les brûlures, le lui ramenant avec un bandage propre.

- Celui-ci apaisera la douleur d'une autre façon et aidera à faire disparaître les marques. Il faudra plusieurs jours bien sûr, ce n'est pas miraculeux, mais cela vaudra mieux qu'une à deux semaines.

À travers la douleur et la fatigue visible sur son visage, la jeune milicienne afficha lentement une expression plus boudeuse et enfantine face aux refus de son collègue. Devait-elle être surprise ? Pas vraiment. S’il y avait bien une chose qu’elle avait su remarquer chez lui, c’était sa ténacité. Pour autant, elle l’était tout autant et donc déterminée à lui faire changer d’avis. En revanche, elle ne s’attendait absolument pas à la suite de sa phrase. Ses yeux s’écarquillèrent lentement, son regard posé sur lui comme si elle cherchait à savoir s’il s’agissait d’une plaisanterie ou non. Finalement, un tendre sourire se dessina sur ses lèvres, touchée par ses paroles.

« Parce que tu penses encore avoir le choix ? »

Fit-elle alors dans un élan de taquinerie avant de se détendre un peu plus et le laisser la border, un peu malgré elle. Son corps commençait enfin de relâcher la tension et son esprit devenait alors plus embrouillé, plus fatigué. Elle n’avait plus la force de protester ou encore de se faire passer pour ce qu’elle n’était pas à ce moment-là : fière. Pour être franche, elle aurait bien aimé pouvoir se soigner elle-même et ne pas ainsi devoir compter et se reposer sur la bienveillance du milicien, mais une part d’elle était incroyablement soulagée. C’était des sentiments assez contradictoires qu’elle n’aurait jamais su expliquer, elle appréciait comme détestait l’aide apportée.

Enfin, lorsque celui qu’elle considérait de plus en plus comme un ami de confiance s’éloigna, elle décida de se redresser péniblement. Assise sur le lit, elle détailla un instant ce dernier avant de soupirer dans un sourire presque désolé.

« Je ne vais pas y arriver. »

Du moins, pas correctement. C’est que contrairement à lui, elle ne voyait guère sa blessure, elle la sentait. Un miroir ? Elle n’en avait pas le courage. Alors, elle baissa un instant visage, hésitant un peu avant de plonger ses yeux dans les siens. Gondemar ne lui inspirait rien de mauvais, elle avait confiance, confiance en lui. Alors ses paupières se refermaient tandis qu’elle restait assise face à lui. De là, elle attendit simplement qu’il dépose ses soins sur sa gorge, frémissant aux contacts de ses doigts sur sa peau meurtrie.

« Merci. »

Droite et sagement assise, elle resta ainsi tout le long du soin, démontrant ainsi toute la confiance qu’elle lui portait. Ce ne fut que quelques minutes plus tard, lorsqu’elle sentit les bandages recouvrir sa peau qu’elle ouvrit à nouveau les yeux sur lui. Silencieuse, elle le contempla un instant avant d’avouer doucement.

« Je suis contente que tu sois là, Gondmar. »

Oui, réellement. Il ne s’agissait pas d’une déclaration, mais bel et bien d’une constatation. La milice avait besoin de plus de gars comme lui. Elle aurait été bien seule et mal en point s’il ne les avait pas rejoints.

« Peu importe ce qu’ils disent… tu vaux bien mieux qu’eux. »

Une ombre de sourire était passée furtivement sur le visage de Gondemar alors que Serena avait confirmé à sa façon qu'elle comptait bien aller boire un verre en sa compagnie. Elle était ainsi et c'était assez appréciable de voir une femme avec du caractère, non pas qu'elle soit la première dans son genre que l'homme rencontra, loin s'en fallait, mais elle n'était pas de celles qui s'apitoient sur leur sort après une dure épreuve, préférant au contraire lutter pour rester forte et faire ce qu'il fallait pour s'endurcir. Des qualités qu'un homme comme lui ne pouvait qu'apprécier chez autrui, assurément. La Milicienne se laissa border sans protester, semblant progressivement se détendre, sans doute aussi parce que l'épuisement prenait le pas sur l'adrénaline qui lui avait permise de demeurer vivante durant le combat qui avait eu lieu. Gondemar lui proposa de s'occuper elle-même de sa gorge, soucieux de ne pas raviver le souvenir encore trop frais et douloureux de l'agression, mais à peine eut-elle soupirée qu'il devina qu'elle n'en aurait soit pas la force, soit pas la volonté, voir les deux. Ne la jugeant pas mal pour autant, il se contenta d'acquiescer en revenant vers la blonde, ouvrant le pot et attendant qu'elle se tienne immobile et prête avant de commencer. Ses propres mains étaient fraîches après avoir été lavées un peu plus tôt, il s'employa à étaler avec précaution la mixture odorante avant de masser aussi délicatement que possible. Front plissé sous la concentration, air grave et un peu sombre en constatant une fois encore l'étendue des dégâts, le Milicien s'employa à chasser de son esprit les vagues de colère qui ne cessaient de revenir à la charge en même temps que les souvenirs de l'attaque. Il aurait dû tuer ces hommes, au moins demain ils n'auraient pas eu à s'inquiéter de la suite des évènements, mais il savait aussi qu'il était censé faire amende honorable, pas rajouter des morts à son tableau de chasse.

« Merci. »

Le remerciement lui tira une nouvelle ombre de sourire, pour autant il ne s'arrêta qu'une seconde dans ses gestes, reprenant sans trop attendre pour permettre de soulager toute la zone. Il s'empara ensuite des bandages et entreprit de couvrir avec précautions et sans trop serrer la gorge ainsi esquintée, son cœur se serrant de voir une femme ainsi amochée. Bien sûr Serena était une guerrière désormais, des blessures elle en récolterait forcément et peut-être même de bien plus graves, même s'il espérait que non, mais ça... A croire que la Fange ne frappait pas les bonnes personnes et que les lâches avaient élus domicile dans la Cité pour échapper à leur destin. Les yeux de la jeune femme se rouvrirent tandis qu'il s'occupait de panser sa gorge et il fit mine de ne pas voir qu'elle le fixait avec intensité, sentant pourtant son regard sur lui comme à chaque fois qu'on le scrutait.

« Je suis contente que tu sois là, Gondmar. »

Cette fois les mains de l'ancien mercenaire, de l'ancien soldat, suspendirent leur œuvre alors que les yeux bleu glace se relevaient pour accrocher ceux de sa camarade dans un mélange trahissant le fait qu'elle le prenait de court tout en le touchant droit en plein cœur. Rares étaient les personnes à lui dire cela, la plupart n'étaient plus de ce monde, d'autres avaient disparus, peu demeuraient encore à ses côtés en vérité par la force des choses.

« Peu importe ce qu’ils disent… tu vaux bien mieux qu’eux. »

Cette fois la mâchoire de l'homme se contracta et il rompit le contact visuel, reportant son attention sur le bandage qu'il acheva en le nouant délicatement sur le côté en un petit nœud serré, avant de se relever lentement du bord du lit où il s'était installé pour les soins. Avisant Serena d'un regard songeur, il finit par secouer gravement la tête.

- Ce n'est pas parce que je t'ai sauvée que je vaux mieux qu'eux, même si c'est vrai que jamais je n'aurais eu l'idée de te faire... ça.

Il eut un rictus mécontent avant de refermer le pot, s'en retournant vers l'armoire pour le ranger précieusement ainsi que les autres onguents, tournant volontairement le dos à la jeune femme pour lui masquer son expression.

- Je suis un assassin Serena, pas un héros.

De mémoire il lui semblait que c'était la première fois qu'il l'appelait par son prénom et non par son nom de famille.

- J'ai tué bien plus de gens que ce que tu peux imaginer ou de ce dont on m'a accusé. Si je suis entré dans la Milice c'était pour échapper au gibet, pas parce que je crois que j'y ai vraiment ma place. J'ai été soldat puis mercenaire, un exécutant qui a tué et torturé des gens qui ne le méritaient pas, ou pas autant que ce que je leur ai fait endurer.

Gondemar referma l'armoire et inspira profondément avant de se retourner, revenant vers la jeune femme qu'il fixa gravement, la mine sombre et pourtant réaliste quant à sa propre situation, à sa condition

- Si tu veux tout savoir, la prochaine fois qu'un de ces types te touche, je le tuerais dès qu'il sera seul et j'y prendrais plaisir... mais c'est vrai que je ne te ferais jamais ce que ces gars ont voulu te faire, c'était misérable et indigne de Miliciens, et pour cela je prendrais plaisir à les faire souffrir et à les tuer lentement, jusqu'à-ce qu'ils se vident et pleurent comme des lâches avant de mourir étouffés dans leur propre sang. Oui, si j'en avais le droit, c'est ce que j'aurais fait ce soir.

Menaçant bien que cela ne soit pas contre elle, les poings serrés, le Milicien finit cependant par soupirer et se détendre un peu, secouant la tête avant d'aller à la bassine se nettoyer les mains de la crème, les essuyant rapidement.

- Je ne suis pas un sauveur, juste un survivant, mais tu pourras toujours compter sur moi en cas de besoin.

Il eut finalement une ombre de sourire et s'approcha du lit où demeurait la jeune femme, lui tendant la main.

- Partenaires ?

Parce qu'il était encore trop tôt pour parler d'amitié, après tout cela ne faisait que quelques semaines qu'ils se connaissaient et moins de temps encore qu'ils s'adressaient la parole. Cette nuit était la première où ils échangeaient autant, mais puisque bientôt viendraient les affectations des recrues aux différentes coutilleries, Gondemar songeait qu'il pourrait être avantageux que d'avoir une partenaire fiable à qui confier ses arrières en mission, plutôt qu'un de ces hommes à qui il ne faisait aucune confiance.

Plutôt sincère dans ses propos, elle ne s’attendait pas soudainement à voir son visage s’assombrir au même rythme que sa voix et ses propos. Son regard posé sur lui et sur ce dos qui lui paraissait alors tellement solitaire, elle écouta silencieusement ses paroles, non sans un frisson. Ce qu’il disait était tristement vrai. La réalité n’était pas rose, au contraire. Malgré tout, il était vrai qu’elle aurait aimé qu’il ne la corrige pas aussi sèchement dans ses propos. Enfin, à ses yeux, il n’y avait pas de noir et blanc, seulement des variantes de gris plus ou moins prononcés dans une direction.

Elle ne pouvait pas prétendre le connaître. Pas du tout même. Mais, elle avait quand même eu l’impression d’en voir assez, rien qu’aujourd’hui, pour le trouver particulièrement sévère avec lui-même. Elle le laissa finir donc son discours avant de baisser son visage sur sa main tendue. Ne réalisait-il donc pas à quel point, il était contradictoire ? Un sourire au coin anima son visage.

« Tu n’es pas un héros, mais pas un monstre non plus. » Une conclusion qui était assez évidente à ses yeux et qu’elle expliqua simplement. « Aujourd’hui, qui de nous peut réellement prétendre ne s’être jamais sali les mains ? » Un fait assez ironique d’ailleurs lorsqu’on pouvait voir ses propres mains encre tâchées du sang de son agresseur défiguré. C’était douloureux, tout comme le reste de son corps, mais elle n’avait presque la sensation de ne plus rien sentir, ou justement trop pour réaliser.

« Celui que j’ai en face de moi est un homme qui ne juge pas selon le sexe ou l’origine, un père qui vieille sur son fils avec fierté, un milicien qui ne tourne pas le dos face à citoyen dans le besoin et un partenaire sur lequel je peux compter. Cela me suffit. »

D’un geste vif, à l’aide des quelques forces qui lui restaient, la milicienne claqua sa main dans la sienne afin de la lui serrer en guise de réponse définitive. Plus qu’un allié, elle s’était trouvé un partenaire de confiance aujourd’hui…

« Compte aussi sur moi, Gondemar. »

Même si elle avait très bonne mine pour l’heure et qu’elle avait encore des sentiments contradictoires quant à son état, elle espérait réellement pouvoir collaborer et même devenir une alliée, une amie sur qui il pourrait compter. Finalement, elle se releva doucement et péniblement pour se tenir sur ses deux pieds et lui faire face.

« Alors ? Je t’assomme maintenant ou plus tard ? »

Fit-elle en rappelant son envie de tout lui faire oublier une fois qu’il aurait fini de la soigner dans un ton de plaisanterie. Essayant malgré elle de faire abstraction de son état, de ce qui lui était arrivé et de ce qui l’attendait demain, elle tentait malgré elle de reprendre une atmosphère légère tout en se rhabillant aussi correctement que possible.

« Je ne vais pas abuser de ta gentillesse plus longtemps. »

Il lui fallait bien rentrer tôt ou tard. L’idée suffisait à la faire soupirer, mais elle devait rester raisonnable et tenter d’oublier, passer à autre chose.

Les paroles que Serena eut pour lui sonnèrent comme un étrange mélange de vérité et de doux mensonge dont on pouvait bien volontiers se contenter si l'on préférait éviter de regarder certaines choses en face, pour autant cela dépeignit un portrait relativement réaliste, bien qu'un peu flatteur, ne laissant ainsi en lumière que les bons côtés de Gondemar qui porta sur la jeune femme un regard songeur. La main qui vint frapper la sienne avant de la serrer acheva de le rassurer et un léger sourire finit par percer sur ses lèvres alors qu'il acquiesçait. Si cela convenait à la blonde, alors cela lui convenait également et il était heureux, voir même soulagé, d'avoir trouvé une nouvelle alliée dans les rangs de la Milice, une avec qui il pourrait partir en mission surtout. L'aidant à se relever, l'homme de haute taille eut de nouveau un léger sourire, amusé cette fois, en l'imaginant tenter de le faire tomber inconscient.

- Vu ton état, c'est moi qui devrait t'assommer pour t'obliger à te reposer.

Le Milicien regarda sa collègue se rhabiller en fronçant les sourcils, peu certain qu'il s'agisse là d'une bonne chose que de la voir traîner dans la rue après ce qui était arrivé. Il venait de la soigner et redoutait qu'elle s'écroule en chemin, ou qu'elle fasse une autre mauvaise rencontre.

- Tu peux rester si tu veux, il y a d'autres lits.

Assura-t-il en venant poser doucement sa main sur l'avant-bras de Serena, portant sur elle son regard bleu glace dont le détachement ne pouvait dissimuler le reste d'inquiétude qu'il avait à son propos.

- Personne n'entre jamais dans ma chambre, tu peux dormir ici et j'irais dans celle d'à côté. Je te réveillerais à l'aube avant tous les autres et nous nous esquiverons discrètement. Ta réputation ne sera pas entachée.

Car il s'agissait aussi de cela, que personne n'aille raconter sur tous les toits qu'elle avait passé la nuit chez lui, sinon d'autres collègues mal intentionnés ne manqueraient pas d'y voir là une excuse pour la tourmenter. Ôtant sa main du bras de la jeune femme, le Milicien recula d'un pas pour lui laisser le loisir de décider, déterminé si jamais elle s'entêtait à l'accompagner au besoin jusqu'à l'Esplanade.

Rester ? Oui, peut-être bien qu’une part d’elle voulait qu’il la retienne et la pousse à simplement passer la nuit ici, au moins n’aurait-elle pas à craindre de croiser un membre de sa famille ou pire. Une autre part en revanche, avait eu peur de cette proposition. Elle avait peur. Peur de quoi ? Peur de qui ? Gondemar ? Absolument pas. Peut-être était-ce un peu naïf de sa part, mais elle avait réellement confiance en lui, du moins sur ce point. Il n’y avait aucune ambiguïté non plus. Alors quoi ? Elle n’en était elle-même par certaines et le trouble se lisait aisément sur son visage.

« Non… »

Têtue, oui indéniablement. En réalité, rien que le trajet jusqu’à chez elle la décourageait intérieurement, mais autre chose la poussait à vouloir finalement partir d’ici. Il y avait ces inconnus justes de l’autre côté des murs, mais pas seulement. Serena redoutait particulièrement la nuit, les heures s’écouler et les cauchemars à en devenir. Elle en était persuadée… elle allait être encore bien plus misérable les heures suivantes.

« J’ai encore ma fierté. »

Souffla-t-elle alors péniblement en baissant son regard sur le sol. Elle n’avait pas envie de se montrer ainsi. Il en avait déjà trop vu et elle savait bien qu’elle n’arriverait pas à sauvegarder les apparences encore bien longtemps. Elle tenta néanmoins un sourire rassurant avant d’enfiler une nouvelle fois le manteau qu’il avait bien voulu prêter. Ainsi, un peu malgré elle, Gondemar décida finalement de la raccompagner. Le silence était lourd, mais la fraîcheur de la soirée aidait la milicienne à se rafraîchir les idées.

« … Je retournerai à l’entraînement dès demain. »

Assura-t-elle en fixant droit devant elle alors qu’elle marchait à un rythme réduit. Son corps lui réclamait plus de repos. Mais elle voulait revenir la tête haute, ne pas laisser ces hommes la freiner dans sa quête, de pas les laisser gagner la moindre victoire. Et en y réfléchissant, cela aurait pu être tellement pire. Après tout, mis à part quelques hématomes, elle était intacte et c’était le plus important pour son honneur.

« J’espère t’y retrouver, partenaire. »

Désormais devant la grande bâtisse empruntée par sa famille au Duc de la citée, elle se tourna une dernière fois en son sens, le sourire aux lèvres. Jamais ne pourrait-elle le remercier suffisamment pour son aide, quoi qu’elle dise, quoiqu’elle fasse. Elle lui rendit alors son manteau pour les quelques pas restants.

« Ça sera l’occasion de t’inviter à boire un verre ! Merci, encore. »

Le regard tourné désormais vers l’entrée, elle hésita un instant avant de prendre une grande inspiration et se rendre à l’intérieur, non sans un dernier regard vers son nouvel allié. Dès lors que les portes se refermèrent derrière elle, Serena exprima un tout autre visage. Éteinte, douloureuse et fatiguée, elle boîta rapidement jusqu’à sa chambre, chassant la domestique pour que personne ne la voie dans cet état. De là, une longue et terrible nuit lui était promise.

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