[Terminé]Valet de pique et Dame de cœur [Pv Lyanna]

L’après-midi touchait à sa fin, les nuages capricieux allaient et venaient. Ils zébraient la rue d’une alternance de lumière et d’obscurité, donnant à l’endroit une atmosphère feutrée. La soirée hivernale à venir s’annonçait fraîche mais sans pluie, ni vent violent, juste cette brise marine à vous glacer les os et exhalant cette senteur iodée caractéristique de l’océan. La grande rue commerçante que Nathaniel traversa pour se rendre au port était quant à elle, encore animée à cette heure-ci. Les marchands faisaient leurs affaires et les clients repartaient avec des paniers remplis de diverses choses. Les tavernes bruyantes ajoutaient au tableau des notes de musique diverses qui frappaient les murs des maisons dans un écho des plus agréable.

Toute la populace réuni ici, du simple badaud, à la discrète prostituée, des commerçants appâtant le chaland ou le mendiant quêtant sa pitance, tous semblaient heureux, souriant, bienveillant. Mais ça c’est le regard optimiste, naïf et plein de bon sentiment que Nathaniel possédait. Sans ça, il aurait sûrement vu que certains promeneurs lorgnaient avec insistance sur les bourses pendante, que les filles de joies dissimulaient leurs chagrins derrière un sourire forcé et que les clochards ne bougeaient la tête, uniquement pour ne pas s’endormir et éviter la rapine des autres malheureux, sur les maigres bien en leur possession. Telle était la dure réalité de Marbrume.

Quoi qu’il en soit l’aubergiste descendait la rue avec un petit air de nostalgie sur le visage. Cela faisait plusieurs jours qu’il n’était pas allé au temple, beaucoup trop de travail. Au lieu de ça, il préféra trainer ses guêtres du côté du port, là ou jadis il avait habité avec son épouse. Un pèlerinage pour ne pas laisser les souvenirs s’échapper, pour ne pas les laisser s’envoler, pour ne surtout pas perdre le peu qu’il lui restait d’elle. C’est avec ces pensées qu’il marchait, tout droit en regardant le ciel, et pas après pas il s’approchait de l’océan. Il put y voir une multitude d’oiseaux marins qui volaient au loin, au dessus d’une plage à l’extérieur des remparts, il devait surement y avoir un banc de poisson perdu si près du rivage. Les piailleries arrivaient jusqu’à ses oreilles et sonnaient faux en comparaison de la douce musique de l’avenue.

Réajustant son ample manteau d’hiver noir, confectionné à l’intérieur avec une fourrure en peau de lapin gris. Dernier objet que l’on pourrait désigner, de luxe, qui ornait la penderie de Nath. Il arriva en vue de son ancienne demeure. Une nouvelle famille y vivait, il pouvait apercevoir au travers des vitres, les habitants qui vaquaient à leurs occupations sans s’imaginer la valeur sentimentale de leur logis pour Nathaniel. La flamme des bougies faisait vaciller la lumière à l’intérieur, laissant voir la nouvelle décoration par transparence. Ces gens avaient tout pour être heureux dans cette maisonnette de bois. Encore et toujours mélancolique, il pensa cependant à la belle rousse de l’ouverture, il ne l’avait pas recroisé et pourtant la trinité savait qu’il l’avait cherchée. Pendant tout le temps libre à sa disposition, parcourant les rues, ruelles et venelles de la cité. Furetant le plus innocemment du monde dans des endroits ou il n’avait vraiment rien à faire, mais non, il y avait beaucoup de jeune femme arborant une crinière de feu et à plusieurs reprises, quelques malentendus sur ses intentions.

Il avait désespéré de la revoir, ne serais ce qu’une seconde et même de loin. En même temps il n’était pas prêt et il le savait, chacun devait prendre le temps qui lui était nécessaire pour faire son deuil. Nath lui n’en avait pas fini, trop de sentiment dormait encore en lui attendant de se réveiller, et Lyanna avait peut-être innocemment provoquée leur retour. Il ne suffirait plus seulement de les enfermer à double tours dans une cage d’airain, mais de les laisser partir pour de bon, et ne garder que les meilleurs d’entre eux.

Cette partie du port n’était pas la plus sordide de la côte, loin de là, juste assez loin pour ne pas avoir à subir les relents macabres des entrailles de poissons se putréfiant. Elle se situait assez près de l’eau, où des récifs émergés des flots, l’océan à cet endroit prenait la teinte des algues flottantes à sa surface. Le clapotis des vagues heurtant le quai laissait une écume mousseuse sur la digue de pierre et on aurait pu la voir geler tellement il faisait froid. Nath se trouvait à bonne distance, dans l’impossibilité d’être éclaboussé et il se mit à penser que ce tableau il l’avait vu souvent sans vraiment y faire attention. Aujourd’hui c’était différent, le paysage lui giclait en plein visage comme pour lui rappeler ses pertes.

Puis une bande d’enfants passa bruyamment à côté de lui en le tirant de sa rêverie, il laissa son regard parcourir la jetée et aperçut la belle rousse, à deux pas, enfin. Faisant mine de rien, un peu troublé, était-ce elle ou allait-il encore se tromper ! Une myriade de pensées se bousculèrent alors dans son cerveau. « Je l’aborde mais comment ? pour lui dire quoi ? Hé tu te souviens de moi ! Nan, trop débile, mais je suis plus un gamin qui invite sa première copine à un bal, mais ... non ! Si ! Allez ! » Et au moment ou le tavernier s’apprêtait à baisser les yeux pour finalement s’adresser à Lyanna, c’est elle qui prit les devant et l’aborda.

- A peine ouvert, vous vous accordez déjà un congé, Monsieur de la Rose Blanche?
- Oui, c’est ça repos mais j’ai ouvert s’matin. C’est agréable de vous revoir, et Nath, mon nom c’est Nathaniel.

Toute cette hésitation fut totalement inutile, Nath ressentit immédiatement une certaine facilité à parler à la jeune femme. Il se détendit et sourit sans s’en rendre compte, il lui accorda toute son attention et le monde autour commença à s’estomper. Elle avait dans les yeux une petite lueur joyeuse et cette voix si plaisante à l’oreille. Se rappelant que lors de son passage à la Rose elle lui avait serrée la main, il tendit la sienne. Une poignée qui se voudrait assurée et tout en délicatesse avec en même temps un touché affectueux et détaché, que de contradiction entre un cœur qui hurle de charger aveuglément et une tête qui temporise stratégiquement.

- Je ne m'attendais pas à vous croiser un jour ici, Nath. Je suis heureuse cependant que cela arrive.
- Moi aussi, très heureux, ravi même. Vous êtes en ballade ? Excusez moi je suis peut-être trop curieux. Répondit-il un peu amusé de commencer à s’excuser si vite.

L’aubergiste la fixait dans les yeux, même si il avait très envie de descendre un peu son regard, il n’en fit rien. Les bras ballants le long du corps, droit comme un piquet il tourna une nouvelle fois la tête vers la petite maison. Son expression joyeuse se dissipa doucement pour laisser place de nouveau, à la nostalgie des temps passé.

- Ils ont l'air heureux. Ça fait du bien de se dire que la joie existe encore, par les temps qui courent.
- Oui, mais pour combien de temps encore cette vie de rêve.

Une vie de rêve, oui mais plus aujourd’hui avec la fange qui menace et la famine qui continue, c’était surtout la vie que Nathaniel avait cherché à construire à une époque ou le monde tournait encore à peu près rond. Malgré ça il s’y voyait toujours malheureusement, l’espoir et une lame à double tranchant qui vous transperce l’âme de bien des façons. Pour lui ce ne fut pas douloureux à l’aller, mais cette saleté de poignard continuait à faire des dégâts pendant qu’il essayait de l’extirper. Après chaque soubresaut c’était un rêve de plus qui se libérait, la maison, les enfants qui n’ont pas vu le jour, les projets futurs et le dernier, son épouse. Elle était devenue une chimère, rôdant parmi les ombres de sa vue, parce qu’il n’arrivait pas à la laisser partir.

- Je me suis dit en les regardant que le bonheur ... il parlait lentement comme si les mots sortaient tout seul. Que de simple petit moment joie, était le bonheur. Même avec les bêtes qui rôdent à l’extérieur certains arrivent à vivre plutôt que survivre.

Il se mit alors à rire de cette phrase, si philosophique, pour un humble aubergiste comme lui. Puis commença à sautiller légèrement sur place pour se réchauffer un peu.

- Vous ne voudriez pas marcher un peu avec moi ? C’est qu’il fait froid et je ne voudrais pas que vous tombiez malade.

« Qu’elle tombe malade, mais bien sur. C’est toi qui commence à te les geler oui » pensa-t-il.

Elle avait acceptée, naturellement et "Avec plaisir". Ce plaisir était partagé à n’en pas douter, le simple fait de la revoir était déjà une bénédiction en soi. Maintenant il s’agissait de ne pas se comporter comme un idiot et d’être le plus respectueux possible. Après tout, il ne savait rien d’elle, si elle avait un fiancé ou peut-être marié, une si jolie fille ça ne serait pas étonnant. Puis qu’est ce qu’elle faisait dans la vie ? Dans quel coin de la ville vivait-elle ? Pourquoi être seule à une heure si avancée ? Elle portait de beaux vêtements, alors elle devait avoir un bon travail ? Toute ses questions il les garderait pour lui, du moins jusqu’à ce qu’une occasion de les poser se présente. A cet instant précis, il n’avait qu’une chose en tête profité du moment, de cette balade qui s’annonçait si charmante. Bien que quelques secondes plus tôt il avait froid, d’un coup il s’était réchauffé, l’adrénaline surement ou le léger touché de ses doigts. Peu importait, ils étaient là tout les deux alors il s’en réjouissait par avance. C’est elle qui prit les devant, débutant la discussion de façon très banale.

- Non non, vous ne m’ennuyez pas. Répliqua-t-il rapidement. J’ai ... je viens rarement en faites. J’ai habité cette maison il y a longtemps et elle me rappelle des souvenirs. C’est dôle comme quelques fois on passe dans une rue plutôt qu’une autre, juste parce qu’elle nous est familière.

Il évita soigneusement de préciser que si, il venait très souvent et depuis une année maintenant. Mais jamais au grand jamais, il ne lui aurait avoué cet état de fait. Il ne ressentait pas de honte mais il ne souhaitait pas exposer au grand jour une blessure encore si béante et intime. Il lui faudrait du temps pour faire ce genre de confession, du temps pour apprendre à la connaitre et pour décider si oui ou non il lui raconterait son histoire. Il avait commencé à le faire cependant, mais par lettre, à une inconnue qu’il ne verrait surement jamais. Leurs échanges avaient permis à Nath de dépasser son appréhension première et ainsi de rechercher la jolie rousse. La belle qui se tenait là, à son côté pour une promenade innocente de fin d’après midi.

- Il est aussi agréable pour moi de vous avoir comme compagnie.

Oh, cette phrase avait jaillie toute seule. Nathaniel s’écouta parler sans pouvoir retenir les mots, il n’était pourtant pas discourtois mais beaucoup trop direct. Lyanna rougit et baissa les yeux au sol. Lui, il maudissait sa langue qui s’agitait autant que celle d’une vieille femme racontant des commérages. Il leva la tête vers le ciel, cherchant en peu d’aide dans les premières étoiles naissantes de l’hiver. L’une des divinités aurait éventuellement pitié de lui et enverrait un signe, n’importe quoi pour le sortir de cet embarras. Aucune divinité ne fit pas son apparition, seul le clapotis des vagues, le piaillement des oiseaux et la musique festive venant des tavernes emplissaient les lieux.

Un autre silence gêné s’installa de nouveau, ils continuaient à marcher se rapprochant de plus en plus l’un de l’autre. Nathaniel pouvait sentir leurs mains s’effleurer, attirées comme deux aimants. Chacun de ces frôlements attisaient son cœur, l’encourageant à aller plus loin. D’un côté un petit ange sur son épaule lui susurrait que son comportement ne serait pas convenable, et de l’autre un diablotin lui hurlait de l’embrasser sans attendre. Il se décida finalement à prendre la main de la belle dans la sienne et d’un mouvement assuré se plaça devant elle. Il voyait dans ses yeux une étincelle, peut-être le reflet des lanternes qui commençaient à s’allumer, mais pas seulement. Une vague de bien-être le submergea, dans un élan de témérité il eut l’intention de s’avancer mais n’en fit rien, à la place il lui demanda :

- Un diner, vous n’auriez pas faim ?

On dirait que cette fois c’est le petit ange qui gagna le duel. Il ne l’embarrasserait pas ce soir, pas avec toute cette chimie qui bouillonnait dans son crane. Mais ils étaient encore très proche, leurs visages en face l’un de l’autre, empourpré pour celui de Nath mais surtout encadré d’un grand sourire radieux. Avec toute les menaces de cette ville, avec de si belle paroles empreintes de la philosophie « carpe diem » il n’avait pas réussi à faire autrement que de se lancer. Puis une légère brise souleva la chevelure grenat des épaules de la belle et lui n’avait qu’une envie c’est de remettre en place les mèches éparpillés, il n’osa pas, mais resta là à les contempler.

Oups:

La lueur dans ses yeux n’était donc pas un leurre, il n’avait pas rêvé, il pouvait continuer à espérer. Elle s’était rapprochée de lui, juste assez, juste un peu. On dit que l’amour rend aveugle et il ne voyait plus rien d’autre que le bleu de ses yeux, étincelant à la lumière du soleil couchant. Il n’entendait plus que le bruit de son cœur palpitant à dix mille à l’heure dans sa poitrine. Il ne sentait plus que le parfum de ses cheveux, ondulant dans la brise marine. L’espace d’un court instant qui dura des siècles, il oublia son propre nom, il oublia son passé et ou il se trouvait. Il ne ressentait plus ni le froid, ni la faim, son corps s’était figé dans un nuage cotonneux. Le regard perdu, les mains moites et puis cette chaleur qui remontait vers sa tête et qui devait l’avoir rendu écarlate. Puis doucement le contact s’atténua, il resta planté sur place avec dans la gorge une boule de nervosité qui l’empêcha de prononcer un mot. La belle replaça ses mèches vrillées dans un geste délicat qui finit d’apprivoiser le jeune homme.

Tout ça était trop rapide, oui, ça allez vraiment trop vite. Nathaniel ne maitrisait plus ses émotions alors qu’il n’avait pas voulu de cette soudaine accélération. Ce mouvement qu’il avait eu en ce plaçant devant elle, avait déclenché une réaction en chaine des plus surprenante, à la fois chez lui mais aussi chez elle. Il voyait bien que la belle était dans le même état que lui, il avait fait preuve de spontanéité pendant une seconde, pris le risque d’être rejeté et maintenant il avait perdu le contrôle. Mais que c’était une bonne sensation, de se laisser allez ainsi, sans penser au déroulement des événements, sans à avoir peur des conséquences. Lyanna semblait aussi troublée que lui, sa voix se faisait vacillante et douce. Ils se tenaient encore par la main, alors que c’était Nath qui avait initié le geste, c’était bien elle qui refusait de le lâcher. Une main qui tremblait un peu et qui parut fraiche à l’aubergiste.

- Je... Oui, je mangerai volontiers quelque chose... Et puis, il va bientôt faire nuit et il risque de faire de plus en plus froid...
- Oui ...

Il avait eu l’intention de sortir une tirade digne de Rostand, en souffleur qui prendrait son envol mais l’existence n’étant pas aussi théâtrale qu’on le voudrait, il dut se résigner pour cette fois au rôle de Christian*. Ce « Oui ... » fut une réponse si timide et ridicule, qu’il aurait voulu s’enterrer dans un trou pour ne plus jamais en sortir. Heureusement Lyanna ne sembla pas l’avoir entendue et elle continua :
- Il y a une auberge pas très loin. On y mange certes pas aussi bien que chez vous, mais ce n'est pas mauvais...

Il ne répondit rien, de toute façon il n’aurait rien pu répondre d’intelligent ou d’intelligible. Au lieu de ça il se laissa faire comme un pantin, la suivant à travers les ruelles pendant qu’elle l’attirait vers l’inconnu. Une fois arrivé devant la porte, ils entrèrent et Nath ne fit pas attention au lieu car rien n’avait plus d’importance. Il lui tira une chaise pour l’aider à s’installer puis s’assis en face, y avait il de la musique, d’autre client ? Aucune idée. Son grand manteau posé sur le dossier, il portait un pourpoint d’hiver court et en dessous une chemise de lin qui laissait découvert ses avant-bras. Avec toute les émotions de cette fin de journée, il avait les veines du cou qui ressortaient et battaient la chamade. Difficile pour lui de dissimuler quelque chose dans cet état.

Le service se fit attendre mais Nath ne remarqua rien, confortablement installé sur son siège il cherchait la meilleur façon de la questionner sans pour autant être trop indiscret et risquer de la faire fuir.

- Vous n’aviez rien de prévue ce soir ? Commença t-il timidement.

La vrai question qu’il voulait poser étant plutôt sur un éventuel ami qui l’attendrait mais il jouait à l’idiot sans le vouloir. Absorbé par la réponse, il n’entendit pas la personne qui arrivait pour prendre les commandes et sursauta légèrement quand on lui adressa la parole.

- Pour moi ce sera un vin chaud et une assiette de légumes grillés, vous avez ça ?
Dit-il vivement puis en souriant il se tourna vers la dame et ajouta.
- Et vous Lyanna ?

Les boissons arrivèrent rapidement comme on pouvait s’y attendre. Nathaniel paya immédiatement les deux consommations puis prit le gobelet avec la main droite et plaça sa main gauche à plat sur la table, tapotant nerveusement le bois de ses doigts. Il écoutait, puis lui posa une vrai question, surtout une dont la réponse l’intéressée vraiment.

- Je peux vous demander votre métier ? Ou pas si ça vous gêne.

*Christian étant le prétendant de Roxanne, à qui Cyrano donnait les répliques.

« Libre » c’était bien ça, être libre. Pouvoir faire ce que l’on veut, quand on le veut, c’était un bien précieux difficile à obtenir et facile à perdre dans les temps qui courrait. Oh Nath n’avait aucune intention de prendre ... ou de retirer sa liberté à qui que ce soit, bien au contraire. Il ne se sentait pas libre par contre, encore retenu par un lien marital qui bien que s’estompant peu à peu existait encore. Malgré ça il n’avait laissé aucune chance à son invitée de sortir sa bourse ! Il aimait bien être payé à la commande, pour s’assurer que le client ne lui causerait pas de problème, alors ce fut instinctivement qu’il régla la note pour eux, pas par esprit de galanterie ou je ne sais quoi, juste une coutume pourrait on dire.

C’était bien la seul chose qui lui restait en ce début de soirée, l’instinct, parce que tout le reste s’était évanouie. La pensée logique et rationnelle, le sens de l’observation ou de déduction, pouf évaporé. Sinon il aurait remarqué le flagrant mensonge, lui dont la mère travaillait comme bonne à tout faire dans une taverne et qui l’accompagnait régulièrement pour ne pas rester seul à la maison. Simplement il ne vit rien, il ne cherchait pas à le voir de toute façon alors il accepta ce que Lyanna lui dit. De plus son attention se portait sur les lèvres de la jeune femme, ainsi que sur cette irrépressible envie de baisser le regard vers son merveilleux corsage. Il résistait à la tentation, difficilement mais il résistait. Il avait été bien appris le bougre, d’abord par sa mère qui n’avait jamais eu aucun problème pour faire la leçon à son fils sur la manière de se comporter avec les femmes, puis par sa Léna qui aimait tellement le taquiner qu’elle avait réussi à en faire un gentleman.

- Les affaires marchent elles bien pour vous? Votre établissement a du succès?
- Hé bien ... Oui, ça tourne de mieux en mieux. Il y a des clients qui reviennent souvent et d’autre de passage, en plus de ça j’ai trouvé un fournisseur régulier.

Le moment était agréable pour Nathaniel, il allait continuer à parler de son auberge, de la cuisine qu’il avait prévu et des différents divertissements quand la jeune femme le ramena à son passé. La question était légitime, pas du tout déplacé, après tout ils étaient là tout les deux pour faire connaissance alors se poser des questions et y répondre était logique. Certaines réponses néanmoins se devaient de rester courtes, ce fut le cas pour celle-ci.

- Vous avez dit avoir vécu dans le coin, autrefois. Pourquoi l'avoir quitté?
- Non, il ne faut pas vous excuser. Lui répondit-il un peu gêné. J’ai laissé cette maison à la mort de ma femme, ... une maladie, il y a longtemps

Afin de ne pas gâcher l’instant du repas, le jeune homme préféra tourner la tête à la recherche de la serveuse, il se passa la main dans les cheveux et son visage redevint apaisé. Il sourit à Lyanna et commença à boire à son tour, l’alcool qui descendit dans sa gorge le brula mais il termina son verre d’un trait. Puis il allait continuer en lui demandant d’où elle venait mais se rappela que la ville était remplie de réfugiés qui devaient avoir des histoires bien plus tristes que la sienne alors il s’abstient.

- Ma mère était serveuse dans ses jeunes années, c’est elle qui ma convaincue d’ouvrir l’auberge. Ça vous plait comme travaille ? Vous êtes très belle et ça ne doit pas être facile.

Cette fois il n’avait pas fait de gaffe, le compliment était réfléchi, il devait le dire à un moment ou à un autre et c’était maintenant ou jamais. De plus la sollicitude était réelle, avec tous ces hommes à moitié ivres qui traînaient dans les bars et toutes les histoires de jeune fille violentée, Nath eut une pointe d’inquiétude sur le visage en y pensant.

Le compliment avait touché la jeune femme, juste assez pour ne pas la brusquer mais Nathaniel ne s’était pas rendu compte que le moment fût mal choisi, pour ne pas changer. Souvent quand il annonçait à quelqu’un sa condition de veuf, il recevait différentes sortes de réactions. La plupart des gens compatissaient à sa douleur, le plaignaient jusqu’à le prendre en pitié. D’autres faisaient preuve d’un esprit critique et accusateurs, n’avoir pas put tenir sa promesse de protéger son épouse, une honte. Lyanna était visiblement comme la majorité des gens, gentille. Nath lui s’en voulait énormément, il savait bien que ce n’était pas de sa faute et que même si il avait été présent ça n’aurait rien changé. Les dieux avaient décidés, il devait subir. Il avait été beaucoup plus facile de croire au destin du monde, au destin que Léna devait suivre, plutôt que de continuer à se sentir coupable.

Il lui avait fait une promesse cependant, celle de ne jamais en aimer une autre. Un serment idiot quand on y pense puisqu’on ne choisit pas qui et comment on aime. Les émotions n’étaient plus qu’ambiguïté dans sa tête, tiraillées entre le désir d’aimer à nouveau et la résolution de garder ses distances avec les femmes. Il n’avait pas eu de problème pour le faire jusqu’à présent, mais les gens changes et leur volonté avec eux. Le sourire de sa belle amie en témoignait, la longue chevelure de feu bouclée qui lui retombait sur les épaules le captivait et sa douce voix mielleuse l’envahissait. Il était séduit sans aucun doute, elle incarnait pour lui la tentation de rompre sa promesse pour se consacrer à une nouvelle.

La serveuse arriva, toute guillerette, bien audacieuse de chercher à attirer l’attention de Nathaniel alors même qu’il était déjà en charmante compagnie. Il ne lui accorda pas un regard, seulement un coup de main professionnel en l’aidant à poser les assiettes sur la table et en désignant son verre pour être resservi. Nath écoutait son interlocutrice dire qu’elle avait assez de caractère pour remettre les ivrognes à leur place et ça le rassura un peu. Elle semblait hésitante et lui s’imaginait déjà les mauvais évènements qui avaient pus se dérouler, toutefois la discussion revint vite sur lui et sa perte. Il se trompait, elle était embarrassée par sa propre curiosité et Nath fut soulagé que ce ne soit pas plus grave. Il aurait pu en rire si le sujet n’était pas si personnel et délicat.

- Ne soyez pas inquiète, tout ça c’est du passé. Il est difficile de s’en séparer pour de bon mais c’était il y a longtemps.

Il s’étonna du ton léger sa voix, comme si une autre personne s’exprimait à sa place. Il voulait à tout prix paraitre le plus à l’aise possible, même si ce n’était pas le cas. Sa main avait repris sa place, bien à plat sur la table et Lyanna en profita pour établir un contact, simple, mesuré et diablement efficace. Une caresse qui laissa sur le visage de Nath un sourire candide.

- Délicieux, ...

Tout en picorant les légumes il la regardait, cherchant le meilleur moyen d’éviter toutes ces questions qui visiblement rendaient la situation ennuyeuse. Alors il continua sur la première chose qui lui vînt à l’esprit, l’auberge.

- La prochaine fois, il faudra revenir à l’auberge Lyanna, j’ai trouvé un négociant qui m’a vendu des poulets. Je ne sais pas pour vous mais ça fait longtemps que je n’ai pas eu l’occasion d’en manger.

La faire venir à la Rose, ça c’était une sacré bonne idée. Le cuisinier pourrait lui préparer ses spécialités même si pour le moment leurs repas étaient agréables. Voilà la serveuse qui revient et remplit le verre de Nath, il en bu une gorgé pour s’éclaircir la voix et reprit.

- On a plus l’occasion de manger de la bonne viande de nos jours. Figurez vous que le matin même de l’ouverture, j’avais du faire changer la serrure de la porte parce que quelqu’un avait essayé de la forcer. Peut-être qu’ils avaient pensés trouver une réserve pleine ... je sais pas trop.

Ce qui était sur, c’est que cet essai n’avait pas été le dernier et qu’à chaque fois il fallait payer pour réparer les dégàts. Heureusement les braqueurs ne devaient pas être très doués parce qu’ils n’avaient jamais réussis à entrer.

- Je les plains ces gens obligés de voler pour vivre, si j’étais à leur place je ferais surement la même chose. J’ai eu de la chance de pouvoir compter sur ma famille pour m’aider dans les moments difficile, d’autre ne peuvent pas en dire autant.

« Magnifique ! » Pensa-t-il quand elle accepta son invitation à venir à la taverne. Il avait bon espoir qu’elle dise oui mais n’en était pas certain, comment savoir, mais maintenant il était clair que l’attirance que Nathaniel ressentait était réciproque. A ce moment là, il n’avait pas encore réfléchit aux conséquences et implications d’une relation avec la jeune femme mais en rentrant chez lui, il était certain que ça allait lui trotter dans la tête. En attendant il continuait à grignoter son repas et se réjouissant que son histoire de tentative de vol échouée plaise à sa belle, elle n’avait rien de bien passionnant en soi mais à la vue de sa posture, elle semblait réellement intéressée.

Puis elle s’étrangla ... et pas qu’un peu. Nath commença à se lever pour l’aider mais déjà la quinte de toux était partie. La suite ne fut pas très délicat parce qu’en voyant l’air gêné et les grosses larmes qui perlaient dans les yeux de la jeune femme, Nath eut un sourire taquin. Cette envie incontrôlable de rire s’estompa néanmoins bien vite, le visage grave et sérieux de Lyanna le ramena à leur conversation et se qui s’annonçait ne devait pas être joyeux.

- Je suppose qu'il faut bien trouver un moyen de survivre... Tout le monde n'a pas votre chance...

Nath ne comprit pas ou elle voulait en venir, car à voir la tête qu’elle faisait, il y avait forcément quelque sous entendu. Il ne pensa pas qu’elle était elle-même une voleuse, l’idée ne lui effleurât pas l’esprit une seconde. Avant la fange, alors qu’il écumait les routes du duché avec sa troupe, Nathaniel méprisait les bandes de vauriens qui sévissaient sur les routes. Des hommes prêts à égorger femmes et enfants pour un peu d’or, des bandits trop lâches pour s’attaquer aux convois protégés et trop paresseux pour se trouver un travail honnête. Depuis le désastre et la déroute des vivants, son opinion avait évoluée vers plus de compréhension pour les gens qui tentaient de se sortir de la misère. Pouvait il réellement accepter leur choix ... choix qui n’en était pas vraiment un, leur façon de concevoir le monde.

Nathaniel s’était raidit sur sa chaise, l’ambiance autour d’eux était devenue angoissante, il continuait à la regarder dans les yeux et la laissa parler sans l’interrompre. La phrase qui suivit clarifia son propos précédent, un aveu qui sembla si difficile à faire. Il entendit parfaitement se qu’elle venait de dire, mais la chose n’avait rien de si honteux en soi pour le tavernier. Il n’avait personnellement jamais payé les services d’une catin mais beaucoup de ses clients le faisaient, certain même lui demandaient régulièrement sur un ton de plaisanterie pas si anodin quand il allait en embaucher une dans son établissement. Asservir une jeune fille n’était pas du tout aux gouts de Nath, et pas non plus dans ses projets.

- - Je suis née dans une maison close. Je ne sais pas qui est ma mère et encore moins qui est mon père...

La situation avait changée d’une façon bien imprévue, et ce n’était peut être pas une mauvaise chose. Se faire des confidences n’était il pas une preuve de confiance ? Quoi qu’il en soit Nathaniel se leva et approcha sa chaise de celle de Lyanna, puis il prit sa main dans la sienne pour la réconforter. La seule chose dans cette histoire qui ébranla le jeune homme c’était la tristesse et l’incertitude qu’il pouvait lire dans le regard et les gestes de sa belle amie.

- Tu es une bonne personne et ce n’est pas toi qui as choisie ta naissance, ni même qui sont tes parents.

Dans l’élan de l’instant, ils se retrouvèrent côte à côte et main dans la main. Nath ni prêta pas toute suite attention, il était focalisé sur l’état émotionnel de la rousse. Bien trop préoccupé pour se rendre compte de la proximité entre eux, avait-il réussi à la rassurer ? Il n’en était pas certain alors il ajouta

- Je suis désolé que tu n’es pas connue tes parents mais il ne faut pas t’en faire autant ! Le passé, c’est du passé. La personne que j’ai devant moi est belle, gentille et intelligente ! Et il n’y a que ça de vraiment important.

Sous entendu, de vraiment important pour moi, il avait eu envie de la prendre dans ses bras à ce moment là et de la serrer tout contre lui dans un geste protecteur. Il voulait lui rendre ce si jolie et délicieux sourire qui l’avait séduit. Une chose resterait encore en suspens, pourquoi dire qu’être une fille sans famille l’avait elle mit dans un état de nervosité et de tristesse pareille ? Le nigaud n’avait pas compris que c’est la peur qui avait eu cet effet, la peur de le décevoir et qu’il la rejette.

Nathaniel fut content de lui, il avait réussi à apaiser le désarroi de la jeune femme et ça le rendit heureux pour elle. Dans le même temps cette réussite le surprit lui même, autant par la manière que par la rapidité avec lesquelles les choses se passaient. Il était tellement habitué à faire des bourdes que pour une fois que tout ce déroulaient comme voulu, il en aurait pris peur. Il en avait même la preuve grâce aux légères caresses perçut sur son avant bras, depuis quand étaient-ils devenus aussi entreprenants tout les deux. Son sens du toucher le ramena donc vite à la réalité qu’il avait oubliée depuis ces quelques minutes à s’inquiéter.

- Je vais bien, ne t'en fais pas. Je suis heureuse que tu le prennes de cette manière et de t'avoir rencontré ce soir...
- Je le suis aussi.

Cette taverne avec tout ce va et vient, avec tous ces regards indiscrets qui les épiaient sans vergogne, commençait à ne plus trop lui plaire. La serveuse semblait ricaner avec des clients au comptoir, d’eux peut-être, mais Nath ne tourna pas la tête. Il n’éprouvait plus vraiment cette timidité qui l’avait rendu si nigaud avant de rentrer dans l’établissement et son désir envers Lyanna ne faisait que monter. D’ordinaire, garçon discret, il savait quand se moment il se donnait en spectacle et la seule chose qui l’empêchait d’y penser et de détaler c’était ce regard bleu et enivrant duquel il ne pouvait plus se détacher.

- Je sais pourquoi ton établissement à du succès. Un bel aubergiste qui distribue des conseils et des compliments en plus de la bière et de la soupe ! Ca en ferait rêver plus d'une, il n'y a pas de doute !

Ce sourire allait le damner, il en était certain. Maintenant qu’ils étaient si proche et que Nath en prenait pleinement conscience il ne sut quoi répondre. Son sens de la répartie avait disparu alors il répliqua de la seule manière qu’il connaissait, par l’action. Sa main tenant toujours celle de sa belle comme si plus jamais il n’arriverait à la lâcher, il ajusta une mèche rebelle derrière l’oreille de la rousse avec sa main libre. Approchant son visage il chercha à l’embrasser, sans pour autant être sur qu’elle n’allait pas l’éviter au dernier moment mais ça il en doutait fortement.

Depuis qu’ils s’étaient rencontrés à la « Rose Blanche », une sorte d’alchimie était nait entre eux. Nath n’en doutait plus et seul un retournement de situation des plus insolites éviterait que ce baiser ait lieu. Ils se connaissaient à peine mais dans cette grande ville, ils s’étaient recroisés ce soir. Nathaniel qui croyait sincèrement en Rikni ne pouvait pas mettre cet heureux hasard sur le compte d’autre chose qu’un signe de sa déesse. Depuis quelques semaines ses cauchemars avaient changés et il avait considérablement réduit sa consommation d’alcool. Sa vie avait pris une nouvelle tournure avec l’ouverture de l’auberge alors surement que tout étaient liés mais pour cette soirée, seule une divinité protectrice aurait pu se faire rencontrer ses deux personnalités. C’est ce que Nath croyait en tout cas.

Elle avait rit timidement et c’est après qu’il se lança, un baiser doux et sans artifice sur des lèvres tendre et sucrées. L’endroit n’était pas parfait, le moment peut-être pas le meilleur mais qui se souciait encore de se genre de détail tiré de conte de fée. Les bardes ne chanteraient certainement pas cet événement mais il était pour Nathaniel la fin de tant de d’incertitude sur sa condition de veuf. La fin et aussi le début d’un nouveau cycle, une relation nouvelle qui apporterait son lot de doute et de questionnement. Les quelques secondes de pur plaisir effacèrent le monde et ses problématiques, avec ses fangeux et les crises. Demain n’était plus, tout comme hier ou aujourd’hui, il était maintenant et en profitait tant qu’il le pouvait.