[Terminé] Une soirée pour rattraper le temps perdu | Sydonnie

La journée c’était terminé un peu plus tôt qu’habituellement. Pour une fois, elle avait été calme quoiqu’un peu complexe émotionnellement pour la coutilière qui semblait commencer à commettre quelques impaires. Si son autorité n’était pas contesté dans sa coutillerie, autour d’elle c’était bien différent. Là où quelqu’un de son grade n’avait normalement pas d’argumentation à fournir, pour elle, il fallait justifier telle ou telle chose. D’Algrange était dans l’obligation de fournir un rapport détaillé, ce qui avait le don de l’agacer. La femme d’armes ne se laissait cependant pas démonter ni malmener en toute impunité, elle s’appliquait évidemment à tout faire avec soin, afin qu’on ne puisse rien lui reprocher. Rêvait-elle toujours secrètement de toucher du bout du doigt le titre de sergent, un peu trop naïvement certainement.

Terminant son rapport, elle l’avait immédiatement déposé à son responsable, qui s’était autorisé des sous-entendus discutables et des gestes bien déplacés. Comme à chaque fois, la gérante de groupe l’avait repoussé, comme à chaque fois elle l’avait recadré et comme à chaque fois elle avait essuyé des menaces et des sanctions qu’elle acceptait sans rechigner. Le mauvais moment passé, elle s’était changée pour opter pour une tenue plus confortable, une tenue plus féminine aussi, sans forcément qu’elle n’en prenne conscience –l’influence d’un regard masculin qu’elle appréciait très certainement-. Une jupe, un corset et le comble du petit bijou spécifique : son épée courte à sa ceinture. Le changement n’était donc pas si radical que ça, sa jupe bleue venait frôler le sol sans que cela ne la gêne particulièrement, sa chemise sous son corset venait relever joliment sa poitrine. Après une brève hésitation, elle avait fini par faire un détour par le temple, prétextant une prière qui n’avait rien d’innocent, cherchant à tomber sur le prêtre avec qui elle avait débuté un petit quelque chose non identifiable. Aaron hantait parfois ses pensées et bien qu’elle cherche à l’éloigner avec force, l’homme ne pouvait que s’imposer à son esprit un peu fatigué. Sydonnie appréciait cette relation qu’elle nommait qu’essentiellement physique, mais notait néanmoins des visites de plus en plus régulières. Ce soir-là, elle avait fini par le trouver et si elle n’avait été là que pour discuter, la discussion avait très rapidement dérapé. Les deux amants avaient manqué de se faire surprendre par un autre prêtre, ce qui avait semblé amuser la coutilière qui avait choisi aussitôt de disparaître. Elle était en retard.

La jeune femme avait fini par presser le pas, passant une main dans sa crinière pour lui donner un sens, la remontant légèrement, terminant par la suite de refermer les boutons de sa chemise. Un sourire avait fini par orner ses lèvres, alors qu’elle se sentait plus légère et moins contrariée que juste avant, sans avoir les mots, l’homme avait les gestes qui l’apaisaient. C’est plus joyeuse, moins froide, moins bougonne que la coutilière avait fini par retrouver le chemin de la chope sucrée, rapidement rejoint par sa cadette. Sydonnie c’était mise à rire, secouant doucement la tête :

- « Pardon je suis passée au temple pour prier, cela a dû prendre plus de temps que je ne le pensais…. Promis, je vais me faire pardonner. » elle lui avait rendu son regard plein de tendresse avant de poursuivre « La fin de journée m’a permis de pleinement me ressourcer, je suis donc prête pour notre nuit de beuverie » un clin d’œil complice plus loin « Et toi est-ce que tout va bien ? »

Les deux jeunes femmes avaient fini par rentrer dans l’établissement, essuyant quelques regards un peu plus poussés sans s’en sentir offusqués. Elles étaient habituées après tout, la milice ça renforce le caractère et la capacité à passer outre bien des regards. Suivant attentivement son amie, la femme d’armes semblait néanmoins un peu hésitante, elle rêverait de pouvoir lui parler de cette liaison, de Chris, de sa vie en long en large et en travers, mais conserver cette réserve de protection, ce masque, cette façade. Serena n’avait pas changé dans le fond. En tirant la chaise, quand les regards se sont croisés Sydonnie avait dû revoir cette gamine qu’elle affectionnait tant, qui gonflait toujours les joues quand elle était contrariée, qui idolâtrait son frère. Faisant signe à Estelle, la rouquine n’avait pas tardé à faire son apparition, un large sourire sur les lèvres comme toujours. Elle avait pris la commande pour les bières, ainsi que les aliments, insistant un peu quand Sydonnie lui avait dit ne rien vouloir.

- « La même chose que mon amie alors… » avait-elle cédé à cet abus d’autorité, cette femme qui n’avait fait qu’être inquiet pour elle.
- « Parfait, vous savez, elle remange depuis pas très longtemps, c’est une sacrée votre amie » fit-elle en direction de Serena avant de disparaître

La responsable de groupe avait dû la maudire intérieurement, secouant doucement la tête en roulant des yeux. À quoi bon mentir, ce n’était pas un secret, elle ne respirait plus cette joie de vivre depuis longtemps, elle n’avait plus la sensation d’être la gamine de son passée, celle pleine de rêve et d’espoir, non Sydonnie avait changé, la vie l’avait obligé à changer. La mort encore et toujours, la perte, l’abandon toujours le même, celui qui écorche la peau à vif, celui qui s’insère dans les âmes, celui qui vous trahis, qui kidnappe sans ménagement ceux que vous aimez.

- « Estelle s’inquiète toujours un peu trop pour moi, elle exagère » fit-elle simplement les yeux devant trahir la réalité « Je serais ravie de passer et d’essuyer les réflexions de tes parents, pour être honnête… Cela me rappellera mère… Et voir le changement de tes frères aussi. »

La tenancière n’avait pas tardé à revenir pour déposer le tout sur la table. La rouquine avait déposé d’avance deux chopes devant chacune des miliciennes, c’est qu’elle commençait à les connaître sans aucun doute. Disparaissant, la jeune femme ne s’était pas éternisée, il y avait du monde ce soir. Sydonnie avait attrapé sa chope, la soulevant légèrement :

- « A nos retrouvailles ma douce Serena » fit-elle en étirant ses lèvres avant d’avaler une longue gorgée « Je voudrais qu’on rattrape le temps perdu tu veux ? Que tu me parles de toi, de ta famille… Je voudrais pouvoir oublier notre séparation… »

L’abandon encore et toujours, celui-là qui brise des âmes, des vies, qui va créer des cicatrices bien trop profondes pour pouvoir être oubliées. Celle à la chevelure de jais avait dû avaler une nouvelle gorgée, cherchant à se détendre, le plat déposé ne lui donnait pas réellement faim, pourtant tout avait l’air délicieux, mais n’avait-elle plus l’habitude de manger si régulièrement.

- « De mon côté, je n’ai pas beaucoup changé, tu sais… Je crois que je suis restée cette enfant pleine de révolte, qui veut ce qu’elle ne peut pas avoir… Ou plutôt ce qu’on lui dit qu’elle ne peut pas avoir » murmura-t-elle un brin amusée « J’ai fini dans la milice, j’ai essuyé les coups, je rentrais avec le visage tuméfié les premiers soirs et mère n’avait de cesse de s’en offusquer, enfin je suis certaine que tu dois bien l’imaginer » elle c’était mise à rire « Puis j’ai eu une certaine routine et j’me suis retrouvée coutilière. Je pensais que ça changerait ma vie, mais ça ne change pas grand-chose dans le fond, hormis quelques sous supplémentaires à la fin du mois, mais je ne fais pas ça pour ça… »

Pourquoi alors ? La question aurait pu être posée, mais il était évident que ce n’était juste qu’une question d’orgueil, de sentiment, de protection, rien de plus. Elle avait dû avaler une autre gorgée, se contentant pour l’heure à cette vie prof et non privée, il fallait bien avouer qu’elle n’avait pas grand-chose à raconter quant à sa vie intime, elle n’avait pas nombre d’amis ou plus, pas de relation ou presque pas, Aaron lui permettant de se remettre petit à petit de la disparition de Chris et ce fut presque naturellement qu’elle avait fini par aborder le sujet.

- « J’ai eu quelqu’un tu sais, quelqu’un qui a eu beaucoup d’importance dans ma vie, mais cette relation était incompatible avec ma fonction et j’ai fais le mauvais choix je crois. J’ai vu quelque chose à laquelle je ne croyais même pas me filer entre les doigts… » elle avait fini par secouer légèrement la main, comme pour balayer l’air « Enfin, suffisamment parlé de moi, TOI. Ne me fais pas croire que la belle femme que tu es n’a pas moult prétendants, ou n’a pas cédé à une quelconque tentation… »

Elle voulait savoir ce qu’elle avait manqué, oui Serena avait loupé par mal d’épisode tragique de la vie de son amie, pour autant, la milicienne ne lui en voulait pas. Sydonnie était une grande rancunière par le passé, maintenant avait-elle appris à mettre de l’eau dans son vin, à accepter de voir les personnes venir et repartir de sa vie sans pouvoir rien n’y faire, sans avoir la moindre emprise sur la situation. Après tout, les deux femmes c’étaient abandonnés mutuellement, elles étaient gamines, comment auraient-elles pu imaginer une seule seconde que l’humanité elle-même allait finir par s’effondrer ? La coutilière lui avait offert un sourire qui se voulait à la fois compatissant et rassurant, presque tendre sans aucun doute. Elle avait serré la main de son amie entre ses doigts, signe de toute l’affection qu’elle pouvait lui porter. Peu importe le passé, elle était là maintenant et Sydonnie avait la certitude que l’une comme l’autre n’allait plus jamais se quitter, se faire du tort, s’abandonner.

D’Algrange avait fini par s’exprimer sur son passé, du moins par survoler les événements sans entrer dans les détails. Parce qu’elle craignait le jugement et les conséquences que les révélations pouvaient entraîner, mais aussi et simplement parce qu’à chaque fois qu’elle pensait à Chris elle sentait son cœur se serrer si fort qu’il lui donnait la sensation d’exploser, de se décomposer petit à petit dans sa poitrine. Elle avait pu une gorgée, alors que son amie tendait la perche des révélations sans oser formuler des questions qui devaient pourtant lui brûler les lèvres. La femme d’armes lui était reconnaissante pour ça et reposant sa chope sur le côté avait commencé à s’intéresser à son potage. La milicienne avait relevé le regard vers son amie quand celle-ci lui parlait de sa vertu préservée, une chance ou une malchance selon les points de vue, ça avait manqué de le faire rire, peut-être même qu’un petit toussotement s’était extirpé de ses lèvres.

Serena n’avait pas changé, cette constatation était particulièrement réconfortante pour celle à la chevelure de jais. La jeune femme était toujours cette petite bougonne indomptable qui aimait dire non, provoquer, rire et retourner la situation en sa faveur. Ne restait-il que cette différence de taille de physique, cette évolution d’enfant à femme. Néanmoins, d’Algrange l’écoutait avec une fascination non feinte, comment avait-elle fait pour préserver cette âme d’insouciance, cette détermination à ne pas changer ? La désormais unique porteuse de son nom avait fini par commencer sa dégustation, détaillant la diminution du potage d’un œil plutôt satisfait. Ses mouvements s’étaient néanmoins arrêtés lorsque son amie avait parlé du forgeron, encore lui, comment en aurait-il pu être autrement, avec Serena les choses ne changeaient pas.

- « L’espoir fait vivre, paraît-il, il ne faut renoncer à ses rêves et ses désirs et puis… J’ai envie de croire que de nos jours rien n’est impossible »

La voix de Sydonnie était venue interrompre cette souffrance qu’elle percevait chez son amie, comment pourrait-elle l’ignorer, elle-même ayant connu cette désagréable sensation de ne pas pouvoir, de pas avoir le droit d’être avec une personne à cause de son titre, de son grade dans la société. Puis la conversation avait poursuivi naturellement et d’Algrange n’avait offert qu’une oreille attentive et des regards compréhensifs. Les deux jeunes femmes avaient toujours des points communs importants, le récit en était bien la preuve et si elle tiqua sur le mot tentation qui semblait rappeler des souvenirs à Serena, elle n’eut pas le temps de réellement y réfléchir, la suite lui faisait très certainement afficher une mine beaucoup plus grave.

- « Qui ? » questionna-t-elle avec sévérité alors que son regard avait dû s’assombrir

Dans le fond, tout le reste n’avait plus d’importance pour la jeune femme qui une fois le nom en poche se ferait très certainement un malin plaisir pour retrouver celui qui avait cru bon de venir essayer de prendre ce qui ne lui appartenait pas. Sydonnie n’avait pourtant pas démontré une agressivité particulièrement forte, elle était inquiète, mais ne dévoilerait pas ses projets, consciente que Serena y verrait très certainement une offense.

- « Tu sais si il t’embête trop je peux tout à faire jouer de mon influence aussi » murmura-t-elle dans un sourire malicieux « On a tous un point faible finalement, il suffit de trouver où appuyer pour faire mal. »

La jeune femme avait attrapé sa chope pour en avaler une gorgée, il était difficile de savoir de quoi parler, comment s’exprimer et pourquoi, se dévoiler, sortir de sa carapace de cette image qu’on se façonne pour se protéger.

- « J’ai cédé à la tentation » murmura-t-elle « J’ai une relation avec un prêtre » ça, c’était échappé comme ça, sans qu’elle ne puisse le retenir « Ne me regarde pas comme ça, cela ne deviendra très certainement jamais officielle… Je ne sais pas trop ce qui me prend, c’est juste pour me réconforter parfois… »

Elle aurait pu lui dire de nombreuses choses, comme le fait qu’Aaron aimait toutes les femmes, elle aurait pu lui dire aussi qu’elle commençait à penser à lui un peu trop souvent, ou que ce n’était pas qu’une question de réconfort, mais pour ça, il fallait en avoir conscience et Sydonnie n’en avait absolument pas conscience.

- « Il ressemble à Chris, physiquement j’entends » fit-elle en se faisant violence pour communiquer « Ne me juge pas… Ma relation était longue tu sais presque un an… J’aurais vraiment pu tout quitter pour lui… » elle n’arrivera pas à dire sa condition, elle devait le comprendre, le deviner seule « On était opposé, je devais le tuer et je ne l’ai pas tué, j’ai fait pire que ça… J’étais stupide… Enfin, je ne regrette pas, je crois… Je ne sais même pas grand-chose de lui, même aujourd’hui… Un an c’est long et tellement court… Il a disparu, du jour en lendemain, il n’est plus venu à nos points de rendez-vous, ou alors c’est moi qui ne suis plus venue… Je ne sais plus très bien… Qu’est-ce que tu aurais choisi toi, entre le peuple, le duc, la vie pour laquelle tu as rêvé et ce sentiment étrange qui te ronge le cœur ? J’ai mal choisi, je n’avais pas conscience que la vie ce n’est pas qu’uniquement ce que tu dois être ou veux être, c’est aussi ce que cette petite voix te murmure régulièrement à l’oreille… »

Elle avait avalé de nouveau une gorgée de sa chope avant de poursuivre :

- « Ton forgeron, pourquoi ce n’est pas possible ? Et qu’est-ce qui te chagrine ? Qu’est-ce qui te plaît à toi, la milice, la noblesse autre chose ? »

La responsable de groupe détaillait son amie en avalant une nouvelle gorgée de bière. La gêne semblait être un peu trop visible sur les joues de la blonde, ce qui avait don d’agacer légèrement la noiraude. La milicienne était inquiète pour la femme d’armes, ne sachant pas réellement si elle devenait intervenir ou la laisser se débrouiller. Jusqu’à présent, elle laissait chaque femme se dépatouiller, mais là, on ne parlait pas d’une femme, il s’agissait de Serena. SA Serena. Les sourcils épais de la coutilière se fronçaient légèrement, alors qu’elle essayait de déterminer à la fois de qui il s’agissait, mais aussi pourquoi. Sans qu’elle ne comprenne pourquoi, D’Algrange avait immédiatement pensé à Rougelac, c’était le genre d’agissement qui lui ressemblait bien et son amie lui avait confié être un peu malmenée par ce goujat. Malheureusement pour Sydonnie ses suppositions ne firent ni confirmées ni infirmées, ce qui avait le don de l’agacer un brin. Elle fut néanmoins soulagée de constater que quelqu’un s’en était occupé, si l’homme avait reçu une sanction exemplaire, cela lui suffisait. L’évocation des hommes bien tira un sourire à celle qui avait pu le constater également. Même si cela était plutôt rare, il y avait en effet des miliciens qui étaient capables d’évoluer, d’accepter la présence féminine. Avait-elle dû rencontrer ce type de personnes, ce qui ne pouvait que soulager la responsable.

La blonde avait semblé mal prendre sa proposition, ce qui pouvait être compréhensible, inversement Sydonnie aurait très certainement envoyé baladé plus sévèrement que ça, son amie. D’Algrange avait étiré ses lèvres en un demi-sourire, signe qu’elle n’avait pas mal pris la réaction, devait-elle apprendre à réfléchir davantage avant d’agir, de réagir. Serena avait sans aucun doute raison, cela ne serait avantageux ni pour l’une ni pour l’autre. Pour l’aspect idée, tuyaux c’était un peu plus complexe, il n’y avait pas de solution miracle pour se faire une place, hormis survivre, encaisser sans rien dire et se dire chaque jour que la situation va bien finir par évoluer.

- « Je n’ai pas de solution magique, malheureusement. Survivre et faire ta place, montrer que tu en es capable, essuyer les coups sans rien dire… Et peut-être, oui, peut-être qu’un jour tes qualités vont finir par être soulignées… »

Ce n’était pas évident, ce n’était pas simple, mais c’était un bon test de sa détermination, de son envie de poursuivre dans cette voie. Puis la discussion avait doucement tournée et la milicienne n’avait pu que se sentir écouter, elle avait offert un sourire désolé, culpabilisant terriblement des révélations qu’elle était en train de faire. Elle l’avait aimé son banni, plus fort que de raison, terriblement, intensément, et la chute n’en avait été que plus grande, plus douloureuse, plus destructrice. D’Algrange s’apercevait petit à petit, à chaque journée qui s’écoulait que Chris lui manquait, terriblement, et qu’aussi doué soit Aaron il ne pouvait combler ce vide intense et grandissant dans sa poitrine. Pour autant, la coutilière s’accrochait à ce prêtre, sans doute pour des mauvaises raisons, sans doute allait-elle être terminer dans un état plus dramatique, mais pour l’heure elle voulait y croire, restait convaincu qu’il lui faisait du bien, qu’ils se faisaient du bien ensemble et que ça allait aller. Fort heureusement, Serena ne creusa pas davantage et une nouvelle fois, la conversation avait fini par dévier pour se concentrer uniquement sur la jolie blonde, et cet amour non réciproque. Les prunelles de la coutilière avaient dû s’écarquiller et une main tendre était venue se déposer sur celle de son amie, resserrant doucement son emprise.

- « Moi non plus je ne te jugerai jamais Serena, la confiance est quelque chose de précieux, les amitiés se font plus rares et notre monde s’effondre, s’effritent petit à petit… Ce sont les liens d’aujourd’hui qui feront les survivants de demain… »

Elle avait hésité, retiré sa main pour attraper sa chope et terminer sa première bière. Les pensées s’embrouillaient légèrement dans son esprit, elle aurait tellement voulu prendre sa douleur sur elle, parce qu’après tout, Sydonnie était persuadée que rien ne pourrait davantage lui faire mal, rien ne pourrait être pire que ce vide dévorant, grandissant, mordant. Oubliait-elle un peu dans les bras d’Aaron, mais pourquoi s’attacher, offrir à un autre le pouvoir et la puissance de la tirailler davantage. Si seulement elle avait pu le voir ce mur si important, si grandissant, mais trop têtu elle n’envisageait rien d’autre qu’un moyen de se soulager.

- « Tu ne pouvais pas prévoir Serena, ni même faire quoi que ce soit, serais-tu certainement.. toi aussi… Ce n’est pas de ta faute. Elle t’aimait, lui aussi, mais pas de la manière que tu voulais c’est vrai… Un jour tu trouveras, un jour, tu verras. »

Sydonnie l’avait détaillé avec cette force dans le regard, cette détermination et l’acte qu’elle eut envie de réaliser fut presque instinctif, ça n’avait pas le moindre sens et pour autant ça voulait dire tellement à ses yeux.

- « Lie-toi à moi Serena. » fit-elle en passant la paume de sa main sur sa lame pour l’ouvrir avant de lui tendre « Accorde-moi ta confiance et je t’accorderai la mienne, deviens mon point d’appui et laisse-moi devenir ton pilier. Laisse-moi te protéger et protège-moi en retour, hurle avec moi quand ça va pas, cours avec moi tôt le matin pour oublier, pleure silencieusement en me regardant et je pleurerais moi aussi à tes côtés. Deviens mon ombre, celle qui sera toujours là et je serais tienne Serena. Redeviens cette amie, reste cette amie fidèle, donne-moi le but de continuer et je t’aiderai à trouver le tien, je te ramasserai quand tu seras au sol, te porterait quand tu n’arriveras plus à avancer… Sans limite, sans but, l’une pour l’autre, l’une avec l’autre avec comme unique règle celle d’être honnête, toujours. Pas de tromperie, pas de cachotterie, on monte ensemble, on tombe ensemble. J’ai besoin de toi Serena, putain comme j’ai besoin de quelqu’un de toi à mes côtés… Parce que je le sens, je le sens que je sombre et je crois que si la Trinité te remet aujourd’hui sur mon chemin, si je suis de nouveau sur ton chemin… Lie-toi à moi. »

La noiraude l’avait détaillé de ce regard si persuasif, si perdu, tendant cette main dont les gouttelettes commençaient à dégouliner légèrement sur la table en bois. Lier par le sang, devant Rikni par Rikni c’était bien ça qu’elle lui proposait, un pacte que plus personne ne pourrait briser : le sang ne pouvait plus se troubler, plus s’effacer, plus se retirer. C’était une cérémonie ancienne que plus personne ne devait connaître ou les quelques inconscients qui acceptaient encore de lier une existence à une autre, de protéger quelqu’un d’autre, d’exister pour une autre personne que soit même. Cela n’avait rien d’amoureux, c’était bien plus fort que ça. Quoi qu’il en soit ici et maintenant, cela n’aurait pas grande valeur, faudrait-il un prêtre pour faire le lien avec Rikni elle-même.

- « J’espère qu’il était beau au moins… C’est le côté sauvage c’est ça… » elle s’était mise à rire, la main toujours tendue « A Marbrume, on étouffe toujours, dehors on est libre… Et surtout plus on s’approche du danger, plus on est vivant, tu sais…»

Sydonnie n’était pas confiance, même si ses paroles se voulaient sincères tout comme sa proposition, elle n’en restait pas moins inquiète de voir un refus poindre le bout de son nez. Il fallait bien avouer qu’ainsi dans cette position, après avoir mis à nu le fond de sa pensée, un non aurait été de très mauvais goût et l’aurait sans aucun doute blessé plus de raison. Serena n’avait pas semblé réagir, du moins son regard trahissait sa surprise sans que la milicienne ne puisse définir si c’était une bonne surprise ou une mauvaise, elle avait dégluti quelque peu, alors que le trouble commençait à l’animer. Elle avait été trop rapide, encore, comme toujours, son amie tout juste retrouvée allait prendre peur et s’échapper, elle allait de nouveau la perdre, caresser la sensation de solitude, se faire abandonner. Les idées s’entrechoquaient dans son esprit encore et encore, alors que sa main restait tendue au-dessus de la table, alors que les perles rougeâtres tombaient de temps en temps sur le bois lui-même.

La décision n’avait néanmoins pas tardé à être prise, la femme d’armes avait récupéré sa dague pour s’entailler la main avant de venir entrelacer ses doigts avec celle de la coutelière. La sensation fut agréable, certainement trop pour que cela soit aussi rationnel que ce qu’il paraissait. Une vague de réconfort inexplicable avait envahi la jeune femme alors que la jolie blonde avait repris la parole, alors qu’elle sentait la chaleur de sa main contre la sienne. Les paroles de Serena furent particulièrement touchantes pour celle qui n’avait plus l’habitude de s’ouvrir, de se donner sans barrière, sans contrôle et là c’était d’une violence pour elle, complète, entière. Il n’y avait pas de mot pour expliquer les gestes, pas de mot pour apprécier cette main qui longe sa poitrine pour sentir son cœur battre dans sa poitrine. A ce moment précis, alors que les regards se croisaient, alors que la situation était intense entre elles, sans qu’elle n’identifie pourquoi Sydonnie aurait pu lui dire qu’elle l’aimait. Réellement, les trois mots interdits auraient pu être formulés à cet instant précis, sans honte ni gêne.

Je t’aime. C’était quelque chose de si basique et si complexe à la fois, pour elle cela ne voulait pas dire je t’aime, je veux passer ma vie avec toi avoir un chien et une maison non, ça voulait dire je tiens à toi réellement et tu m’apportes beaucoup là maintenant tout de suite. Les deux mains l’une dans l’autre, posé sur la table sur le côté, un rire commun et ce fut cette sensation étrange, ce besoin de démontrer, d’exprimer tout ce qu’elle avait pu enfouir si profondément dans ses pensées.

- « Ca tombe bien j’en connais un » fit elle en se mettant à rire « Au pire, je suis convaincu que notre idée en intéressera plus d’un, c’est devenu rare ce pacte. »

Il faut dire qu’il était aussi très controversé, on murmurait tout et son contraire, deux âmes définitivement liées ne pouvaient que mourir quand l’une ou l’autre perdait la vie, les caractères se mélangeaient, les pensées aussi. Des rumeurs évidemment, mais personne n’était là pour prouver ou non ce type de murmure. Puis Serena c’était relevé brusquement avec cette phrase qui pouvait avoir tellement de sens à la fois « On va chez toi ou chez moi », ça avait dû se retourner dans tous les sens dans l’esprit de la noiraude qui ne comprenait pas réellement ce revirement de situation, qu’est-ce qu’elle attendait ? La réflexion n’eut pas le temps de germer dans l’esprit de la coutilière qui avait récupéré ses affaires pour entraîner son amie avec elle, sa demeure n’était pas bien loin elle y arriverait vite. Un p’tit signe à Estelle avait suffi à lui faire comprendre qu’elle la payerait plus tard, ce qui devenait une habitude qui ne dérangeait pas le tenancière.

- « Allons chez moi, pas de parents, donc pas d’oreille indiscrète on pourra y dire et faire tout ce qui nous plaît, j’ai de très bonnes bouteilles en plus ! Mère avait bon goût ! »

La route fut plutôt calme, sans grande discussion, les deux femmes restant main dans la main sans rompre le pacte qui était désormais scellé dans le sang commun. Il serait sans aucun doute renouvelé officiellement devant un prêtre, peut-être Aaron, peut-être un autre, la milicienne savait que l’homme de foi n’était pas très enjoué par les différentes cérémonies. Le duo était rapidement arrivé devant la maison, elle l’avait lâché cette fois-ci pour ouvrir la porte et la faire entrer. Le lieu n’avait pas changé, la pièce principale était encore divisée en deux, à gauche un petit salon avec fauteuil et une bibliothèque remplie de bibelots et de quelques ouvrages, au mur des représentations de la famille, en face de la porte, les escaliers menant à l’étage, à droite une grande table avec des nappes en dentelles, un pot avec quelques légumes, un peu plus loin un semblant de cuisine et une imposante cheminée ou le feu semblait encore crépiter. Un instant Sydonnie eut cette envie stupide, folle de déposer ses lèvres contre celle de cette amie si particulière, secouant doucement sa chevelure, elle repoussa ce besoin un peu surréaliste en se décalant proche des placards.

- « Du vin ça te convient ? Il est vieux, donc il doit être un peu fort. Installe-toi, fais comme chez toi… Il n’y a que moi ici. Alors tu voulais me parler de quoi exactement sans regard indiscret ? »

Elle avait sorti deux verres, ouvert la bouteille pour en déverser le liquide pourpre avant de revenir vers son amie, là elle s’était penchée pour déposer le verre sur le petit meuble à côté d’elle et là ses lèvres avaient réellement effleuré les siennes dans un geste de tendresse, doux avant qu’elle ne parvienne à se reprendre et se reculer afin de s’installer face à elle sur le fauteuil, croisant doucement ses jambes. La responsable de groupe semblait un peu perturbée, bien qu’elle ne semblait pas réellement vouloir en parler. Une nouvelle fois, elle avait secoué sa chevelure avant de reprendre la parole, on pas sans avaler une gorgée.

- « A la tienne et notre pacte alors… Je ne pouvais pas rêver mieux que de te retrouver Serena… Excuse-moi si je te parais un peu maladroite, je suis un peu… fatiguée en ce moment. Il s’appelait Chris, il était banni… Je l’ai fait passer pour un architecte dans la ville, ça a fonctionné… Je l’ai emmené à des soirées, devant tout le monde… Je pensais sincèrement qu’il pourrait se faire réintégrer, j’avais l’espoir que le Duc renonce à cette peine.. Il y a renoncé en effet… En ordonnant que les bannis soient tués à vue… »

Installée dans son fauteuil, Sydonnie se remémorait ce très bref contact des lèvres contre lèvres, de cette odeur sur sa bouche, qu’elle aurait très certainement souhaité approfondir sans en comprendre pourquoi. Comme pour camoufler sa gêne la milicienne avait dominé la conversation se dévoilant petit à petit, osant raconter des détails de sa vie passée. L’alcool devait aider sans doute, quoi qu’elle n’en avait pas consommé beaucoup et qu’elle s’appliquait à résoudre cette problématique en buvant légèrement son verre de vin, quitte à remplir une nouvelle fois son verre. De la réserve elle en avait. Ainsi, la coutilière lui avait fait un bref résumé de sa vie avec Chris, en omettant les débuts dans les marais, les points de rencontre, la tour, la satisfaction d’être avec lui et ce manque grandissant qui était toujours là, chaque jour dans le fond de son être. Sans grande surprise Serena ne l’avait pas jugé, expliquant qu’elle devait la rabrouer, c’était vrai, il fallait être inconscient pour faire tout ce qu’elle avait fait et pourtant, elle l’avait réellement fait. Les deux prunelles de la milicienne l’avaient détaillé encore et encore, s’attardant sur les mains de son amie, remontant le long de son bras, pour terminer sur ses lèvres, puis son regard dans lequel elle aurait fort volontiers aimé plonger.

- « Toi aussi, je sais bien que notre amitié a toujours été… un peu compliqué, cependant, malgré nos disputes rien n’a jamais changé dans notre relation. Inutiles d’avoir des regrets, nous sommes là maintenant.»

D’Algrange avait appris, ou tout du moins, essayait de rester sur cette idée d’accepter les événements, accepter les départs, accepter les retours, la vie était finalement ainsi faite. Prenant une légère inspiration qui avait terminé par une énième gorgée de ce liquide pourpre qui se tortillait dans son verre au rythme de ses légers mouvements de poignets. Serena avait fini par se relever, s’approchant d’un pas visiblement déterminé de la responsable de groupe, annonçant une fois face à elle et la surplombant de par les positions –une assise et l’autre debout- qu’elle voulait s’installer à ses côtés. Là, ce ne fut pas simple pour Sydonnie dont l’esprit était légèrement embrouillé par les événements et leurs enchaînements. Serena ne lui avait de toute façon pas laissé le choix, venant s’installer contre elle et obligeant la femme d’armes à se décaler légèrement. Être à deux sur un fauteuil une place, ce n’était pas ce que pouvait appeler de plus simples niveaux éloignement. Dans cette position, il était évident que la proximité était de mise, les deux femmes avaient dû se réinstaller l’une contre l’autre pour être à l’aise. Les deux verres avaient fini par s’entrechoquer et naturellement d’Algrange avait répété le « a la tienne » avant d’avaler une gorgée qui terminait le liquide. Extirpant la bouteille elle avait de nouveau rempli le récipient de la précieuse substance avant de redeposer le tout non loin d’elle.

Les deux mains ensanglantées avaient fini par se retrouver, ce qui ne sembla pas outre mesure déranger la responsable, c’était presque naturel.

- « Tu veux vraiment tout savoir hein… » avait-elle murmura en la bousculant un peu de l’épaule, avant de passer un bras autour d’elle, plus dans un intérêt de confort qu’autre chose « Alors, il était grand et brun, avec une sacrée barbe, des petites rides et des éclats de gris dans les cheveux » elle avait fini par fermer les yeux « Ses yeux étaient marrons et toujours particulièrement froid, sa peau était rugueuse forgé par un travail manuel et sa survie en dehors des murs… Il était grand et large, il me surplombait largement en taille ou en largeur, j’étais toujours obligé de relever la tête pour lui parler… »

Sydonnie se rappelait de chaque minuscule détail, de chaque cicatrice, de chaque parole, chaque discussion. Oui, la milicienne n’avait rien oublié, ne pouvait rien oublié.

- « Il était quelqu’un de très peu bavard, je parlais certainement beaucoup plus que lui… » elle fit une pause « Je chassais… Mère n’arrivait plus à remplir convenablement les placards, il y avait de moins en moins de nourriture en ville alors j’avais commencé à disposer des pièges autour de mes tours habituels à l’extérieur de Marbrume… Ça fonctionnait parfois et un matin en faisant le tour, je me suis aperçue qu’on m’avait volé ma proie… Ça m’a rendue folle, c’était lui. On a fini par partager le tout et il m’a appris à chasser, tout a commencé comme ça… Je n’ai pas d’excuse, il m’a montré sa marque dès la première rencontre et je n’ai pas réussi à voir autre chose qu’un homme essayant lui aussi de survivre. »

La milicienne ne regrettait rien, même encore aujourd’hui, comment le pouvait-elle ? Une année merveilleuse s’était écoulée avec ou sans difficulté, un lien si fort, une écoute, de l’amour sincère. Le seul arrière-goût d’amertume encore présent dans son esprit et son hésitation à le suivre, à tout quitter, aujourd’hui la question ne se poserait même plus.

- « J’ai été stupide tu sais, inconsciente certainement aussi, mais je ne regrette rien… Je ne me suis jamais aussi sentie en vie que dans ses bras, que lorsque son regard venait caresser ma silhouette, que lorsque je parvenais enfin à faire ses lèvres s’étirer en un sourire… On a joué à un jeu dangereux et j’étais convaincue que j’allais finir pendue ou décapité pour haute trahison vis-à-vis de la ville et du Duc… » ses lèvres avaient laissé passer un soupir imposant, bruyant, rien ne s’était déroulé comme elle l’avait imaginé « Et toi alors, parle-moi de cette rencontre, de cette hésitation… N’as-tu jamais eu envie de te glisser dans les draps d’un homme, de céder à une tentation hormis cette fois-là, puisque sans vouloir t’offenser, tu commences à prendre quelques rides… »

Elle s’était mise à rire, signe que sa dernière fois n’était là que pour rendre plus légère la situation. Naturellement, sans qu’elle n’en prenne conscience sa main était restée dans celle de son amie, ses doigts câlinant avec affection cette peau qu’elle apprenait à reconnaître, à mémoriser. Sa tête s’était légèrement tournée vers le visage de son interlocutrice, alors qu’elle portait enfin à ses lèvres son verre de vin.

- « Je maintiens que Rougelac serait un très bon parti, son expérience… Il t’emmènerait loin.. Pleine de surprises, d’excentricité de zone… » finit-elle par piquer avant d’exploser dans un rire sincère « A son âge, j’ai encore quelque doute sur la fonction de son… asticot si tu vois ce que je veux dire… »

- « T’inquiète pas, je vais t’offrir un chat. Un beau chat hein, attention, je vais pas me moquer de toi quand même »

Heureusement, l’humour de la noiraude avait fini par être perçu par son amie, jamais elle n’irait pas à l’encontre de ses désirs ou de ses besoins : jamais. Pour autant, il y avait cette petite voix, ce petit murmure qui survivait depuis le décès de sa mère, qui n’avait de cesse de rappeler l’importance du mariage pour une femme, il fallait tout simplement trouver le bon. Oui, le bon cela devait être ça. Néanmoins, la milicienne n’avait pas pu s’empêcher d’imaginer Victor et aussi surprenant soit-il, elle avait fini par visualiser ce que jamais elle n’aurait souhaité voir en réalité, oh cela devait être déformé, peut-être très loin de la réalité, mais il fallait bien admettre que cela l’avait fait franchement rire. Elle en avait eu presque mal au ventre et cet humour certes un peu enfantin lui avait fait le plus grand bien.

- « Comment ?! Tu ne veux pas voir le petit Victor de Rougelac à l’action ou plutôt en non-action… À mon avis, je suis certaine que ça vaut le coup d’œil. »

Une nouvelle fois, Sydonnie c’était mise à rire, laissant ses doigts vagabonder sur la main ensanglantée de son amie, caressant, détaillant, mémorisant la moindre petite imperfection de sa paume qui n’avait certainement plus rien de la douceur de celle d’une noble. La conversation ne s’était néanmoins plus éternisée sur cette taquinerie un brin mesquine, déviant naturellement sur le passé, les envies, les expériences de la blonde. Chacun son tour, dans une jolie harmonie, dans un respect mutuel important, les deux femmes alternaient entre écoute attentive et dialogue sincère. Comme Serena avait pu le faire pour elle, D’Algrange avait tendu l’oreille, l’avisant avec cette affection au fond des yeux, aucun jugement, aucun reproche, elle n’était qu’une amie souhaitant apporter son soutien. Fermant les yeux, Sydonnie visualisait parfaitement la scène, elle avait vécu plus d’une comme ça lorsqu’elle était dehors. Ce qui la surpris un peu plus c’est la présence des bannis en plein jour c’était rare, il privilégiait la pluie, l’obscurité comme la fange, même si maintenant il osait un peu plus. La situation se complexa un peu plus, un autre banni était venu l’aider ? Elle n’était pas certaine de comprendre.

Serena ne la regardait pas, mais Sydonnie ne la perdait pas du regard, attentive, comme toujours, elle exprimait tellement de fait et de doute. Elle avait fait ce qu’il fallait pour survivre, celui lui semblait évident, pour le reste, dans des situations extrêmes ou avaient parfois des émotions tout aussi uniques à la situation.

- « Je ne pense pas que ce soit stupide, tu sais… Tu es humaine, vous vous êtes retrouvés dans une situation complexe… C’était ta première fois dans les bras d’un homme alors ? » elle fit un petit silence « Tu sais, je pense qu’on n’est jamais prête pour les grandes étapes… Ta première sortie, ta première attaque, ton premier meurtre, ta première arrestation et même pour ta première fois… »

Sydonnie fit une pause, elle était certainement mal placée pour donner des conseils, elle qui se disait très pieuse et qui s’abandonnait dans les bras d’un prêtre. Cependant la détresse, la peur de son amie la poussa à venir lui donner sa manière de penser.

- « Moi aussi j’ai peur… Souvent tu sais… Le plus important c’est de t’écouter toi et de faire ce dont tu as envie… Je suis convaincue que les trois sont en accord avec ça… Et pour ta mère et Victor, malheureusement ton titre implique des responsabilités… Essaye de l’éviter autant que possible et ensuite… on avisera » elle lui serra la main un peu plus fort « Le reste, ça viendra tout seul Serena, je te le promets. Tu verras… »

Pour changer de sujet, mais aussi pour ouvrir la possibilité à son amie de prendre le temps de réfléchir et de savoir ce qu’elle désire, la coutelière osa donc poser certaine question.

- « Si tu devais me décrire ton homme idéal, physiquement et mentalement ? Qu’est-ce qui te plaît chez un homme ? Qu’est-ce que tu aimes ? Et ne me dis pas Roland, ce n’est pas très bien vu de sortir avec son frère » plaisanta-t-elle pour adoucir l’atmosphère « Tu as déjà essayé de dialoguer avec tes parents… Afin qu’ils acceptent de te laisser un peu de temps… Peut-être qu’ils finiront par comprendre un peu ? Non… »

La jeune femme n’était pas folle, elle savait pertinemment que renoncer au mariage n’était pas envisageable, mais l’idée de se voir accorder un peu de temps supplémentaires pourrait aider la fille et les parents à mettre un peu d’eau dans leur vin, de comprendre un peu, mais aussi et surtout de respirer : Rougelac ne devait pas être l’unique possibilité, il devait bien y avoir moins pire. Dans le pire des cas, il devait toujours être possible de négocier directement avec le comte.

Sydonnie avait observé son amie alors qu’elle lui parlait, qu’elle évoquait des faits, des ressentis, des avis, des possibilités. Oui la demoiselle, puisqu’elle n’était pas encore l’épouse de qui que ce soit appréciait ce moment, l’instant et la proximité qu’elle pouvait avoir avec cette amie retrouvée. Sa main était restée dans celle de sa binôme, les doigts s’entremêlant, le sang s’asséchant contre les paumes qui se découvraient, s’imprégnaient, s’apprivoisaient mutuellement. Son regard ne se détachait pas de cette silhouette qu’elle apprenait à connaître par cœur, de la moindre petite ride d’expression à la forme des cheveux encadrant son visage, à la couleur de sa chevelure et la manière dont sa gorge se gonflait au fil de ses respirations, de ses paroles, de ses déglutitions. Sydonnie avait déjà aimé, mais pas aussi fortement, pas de cette manière si proche, ce n’était pas de l’amour comme un couple, c’était différent, mais tout aussi plaisant. Essayait-elle de ne pas y penser, certainement honteuse de cette constatation, de sentir ce ventre se tortiller offrant ce besoin, ce désir de venir profiter plus, de donner encore du réconfort, mais dans une autre forme.

D’Algrange venait de terminer ses phrases, ses explications, plus rien à rajouter, à dire, hormis attendre des réponses, un nouvel échange, un nouveau sujet. Peut-être sur Roland et la relation si particulière que le frère et la sœur entretenaient, ou bien sur un quelconque autre sujet, cela n’avait pas d’importance, aucune. Ce fut néanmoins une tout autre danse qui avait fini par se dessiner. La main de Serena était venue se déposer sur sa joue, s’imprégnant de sa peau, l’apprivoisant, réveillant ce besoin, ce petit quelque chose non maîtrisable, non explicable. Juste une fois, un peu de réconfort, un peu autre chose. Les visages des deux femmes avaient fini par se rapprocher, les regards s’étaient caressés avec cette tendresse typiquement féminine et les lèvres avaient fini par se rencontrer, se goûter, s’apprivoiser. Un échange de goût, de texture, la main de la coutilière était venue se déposer sur le visage de Serena, replaçant des mèches, descendant sa main derrière sa nuque. Les paupières s’étaient fermés, les ongles avaient dû s’enfoncer avec cette tendresse physique, ce besoin presque charnel sans pour autant que l’envie d’aller plus loin ne soit véritablement présent.

La blonde avait rompu le contact, s’éloignant sans s’éloigner, la détaillant et Sydonnie lui avait offert un sourire. Elle n’était pas frustrée, ni outrée par le geste, c’était comme une évidence, comme quelque chose de naturel, sans gêne, sans mal aise. Serena était néanmoins un peu plus loin, légèrement, et le regard de la femme d’armes c’était déposé immédiatement sur les lèvres de la milicienne qui devaient avoir le goût des siennes.

- « Il m’a appris plein de choses… » souffla-t-elle dans un sourire en coin « Surtout à discuter et à m’ouvrir un peu… » poursuivit-elle « Mais toi aussi, je sens que tu vas avoir un impact bénéfique » avait-elle terminé dans un petit murmure

Puis la conversation avait de nouveau glissé lentement vers Roland, le torse masculin huilé de sueur et Sydonnie s’était mise à rire doucement. Comme si rien ne c’était passé, comme si l’échange qu’elle désirait pourtant retrouver n’avait pas eu lieu, sans pour autant qu’il soit définitivement oublié par l’une ou par l’autre.

- « Qu’est-ce qu’il devient ton Roland alors ? » questionna-t-elle « Je te trouverai un homme au torse à poil avec des perles de sueurs » finit-elle en riant « Tu es belle Serena 25 ans ou pas… Tu trouveras, peu importe qui, si tu t’écoutes, si tu te fais confiance, moi je te fais confiance et je te soutiendrai toujours. »

Puis ce fut le silence, celui qui lui avait fait comprendre que l’envie avait dépassé la raison. Sydonnie avait eu cette envie de plus, de ce petit contact léger, furtif. Elle avait avalé la dernière gorgée de son verre avant de le déposer sur le sol. Là elle avait pris entre ses mains le visage de cette amie si particulière, glissant sa main droite derrière sa nuque pour l’embrasser, pour laisser les lèvres s’apprivoiser encore, se goûter encore, pour aller plus loin, laisser peut-être les langues se rencontrer pour la première fois. La femme d’armes s’était redressée légèrement, pour s’approcher, pour laisser ses mains l’enlacer, pour la rapprocher, pour la sentir, percevoir sa chaleur, sa manière de respirer, pour soulage ce besoin d’affection et quand enfin l’échange se termina dans un commun accord, dans une non-gêne du côté de celle à la chevelure de jais. S’éloignant Sydonnie lui avait offert un sourire tendre, la fatigue se faisait un peu sentir, tout comme le vin et l’alcool avaient dû avoir une légère influence.

- « Tu es toujours d’accord pour notre pacte de sang, alors ? Peut-être qu’Aaron serait d’accord, mais je veux te laisser le temps de réfléchir Serena. » elle avisa un peu l’intérieur de la pièce « Tu sais, je pense que tu as de très belles choses à vivre et j’espère bien que tu me raconteras tout… J’ai hâte de voir une nouvelle femme coutilière et je suis convaincue que tu feras une très bonne candidate. » elle lui fit un clin d’œil « Ça fait du bien de te retrouver, je sais que je te l’ai déjà dit… Et si tu veux, on peut faire une p’tit visite surprise chez ton ami le comte, pour fouiller un peu dans ses affaires, si ça te permet qu’il lâche un peu prise… »