Troublante révélation ♠ [Serena]

Sujet: Troublante révélation ♠ [Serena] Mar 29 Jan 2019 - 13:35

Manoir de Rivefière

Roland et Serena.

Hiver 1166, période froide, sinistre. Roland n’appréciait guère cette saison, il ne pouvait pas aisément se délecter de la douceur du soleil, humer le doux parfum floral flottant dans les airs. De nature généralement, assez romantique, le manque de l’enivrante senteur d’un printemps fleuri se faisait d’ores et déjà ressentir. En ces périodes de trouble, la mal-être était encore plus présent, à peine dissimulé, par ce masque de perfection, légèrement fêlé ; ainsi que ces habits d’apparat, dûment choisis.

Le noble héritier était au manoir, en ce début de soirée. Les parents étaient de sortie, ils avaient quitté les lieux, pour un très certain évènement mondain. Roland ne leur avait pas posé davantage de questions quant à leur sortie, restant quelque peu circonspect face à leur discussion inattendue.

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Comtesse
- "Roland, ton père et moi même avons besoin de nous entretenir avec toi, concernant une nouvelle à t’apprendre, que nous ne pouvons plus retarder."

Comte
- "Assieds-toi, nous allons être clair, inutile de tergiverser."

Roland
- "Cela a l’air grave, venez-en donc aux faits je vous prie, vous commencez à m’inquiéter."

Comte
- "Non rien de grave, rassure-toi mon fils. Cependant, après le décès tragique de ton épouse, qui t’a laissé sans héritier potentiel, sans descendance, tu te doutes bien qu’il faudra bien un jour que tu te remaries."

Comtesse
- "Ce jour pourrait arriver plus vite que tu ne le penses. Vois-tu, avant le décès de la mère de Sydonnie d’Algrange, nous avions arrangé un mariage. Tu connais bien Sydonnie, enfin bien sûr vous vous êtes perdus de vue. L’amie de ta sœur Serena. Cela ferait un bon mariage."

Roland
- "Sydonnie ? Oui bien sûr, je me souviens parfaitement d’elle. Mais… Jamais je ne l’ai vue comme une potentielle épouse. Enfin, une amie de Serena, une enfant à mes yeux."

Comte
- "Tu ne l’as pas revue de la bonne manière. Sydonnie est à présent tout sauf une enfant. Cette période de nos vies est loin derrière nous. Tu es un homme et elle une femme, maintenant. Pense à l’avenir de notre famille. Nous n’avons pas besoin d’un fils récalcitrant, nous avons déjà bien assez de soucis à nous faire avec Serena et ses idées de liberté, sottises."

Roland
- "Je dois y réfléchir…"

Comtesse
- "Nul besoin de réflexion. C’est un fait, le mariage doit avoir lieu. Cela pourrait aider nos affaires, nous être profitable.
Nous devons sortir à présent, fais-toi, je te prie, à cette idée rapidement. Bonsoir mon fils."

Roland
- "Bien, si telle est votre volonté. Bon divertissement à vous, chers parents."

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Bien évidemment, le noble héritier ne voulant point vexer ni fâcher ses géniteurs, s’était explicitement soumis à leur volonté. Toutefois, il ne s’était pas encore fait réellement à cette fatalité. Sydonnie semblait très loin d’être une mauvaise personne. Mais en tant qu’épouse, cela pouvait s’avérer difficile. Elle se montrait sauvage et incomprise, déjà étant jeune, Serena et elle avaient un peu le même caractère. Ou au moins, se rejoignaient sur un point, elles ne se pliaient pas aisément à la volonté des hommes et elles étaient engagées dans la milice toutes les deux. Déjà, Roland ne voyait pas d’un très bon œil cet engagement vis à vis de sa petite sœur. Mais si en plus, il devait subir une épouse de la sorte. Enfin, il ferait certainement tout pour la faire quitter cette idée à jamais, en son pouvoir de mari. Mais il fallait avant tout lui parler, la voir. Ils étaient si éloignés à présent… Leur entente était cordiale par le passé, ce qui serait un obstacle en moins. Mais qu’en serait-il à présent, seul l’avenir le dira.

L’héritier Rivefière entendit un bruit de porte. Ses parents ne pouvaient pas être déjà revenus de leur soirée, il était bien trop tôt, le petit dernier de la famille était cloîtré dans sa chambre. Il ne restait que deux possibilités, Jacob ou Serena. Roland apprécierait que cette dernière fusse celle à entrer dans le manoir. Il avait bien besoin de lui parler. D’une part, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas eu le loisir de parlementer seul à seul avec sa petite sœur, eux qui étaient avant si complice. D’autre part, il lui fallait partager cette nouvelle avec quelqu’un, Serena serait la mieux placée, si tant est qu’elle soit de bonne humeur. Roland quitta le grand salon, afin de se diriger vers l’entrée principale. Agréablement surpris d’apercevoir l’ombre de sa sœur, il s’exclama :

- « Serena ! »

Sujet: Re: Troublante révélation ♠ [Serena] Jeu 31 Jan 2019 - 13:58

Depuis quelques mois déjà, la jeune Vicomtesse avait pris la mauvaise habitude de venir de plus en plus tard à son logement lorsqu’elle avait la chance de ne pas être en extérieur. On aurait pu facilement imaginer la raison : son devoir de milicienne notamment. Pourtant, même si ce dernier jouait un rôle certain, la véritable raison était tout autre. Non, les tensions alimentées par son attitude et son obstination à choisir sa voie au sein de la milice, voilà ce qui faisait réellement fuir la jeune femme.

Car oui, elle fuyait. Fuyait ces regards, ces remarques haineuses qu’elle ne parvenait point à comprendre, fuyait ses responsabilités et ce destin qui lui déplaisait tant. Aussi, elle attendit sagement que ses parents quittent la demeure pour finalement se décider à s’aventurer à l’intérieur du domaine. Car malgré tout, c’était également chez elle, son seul point de rattache, l’endroit où elle ne finissait toujours pas revenir. Jamais Serena ne s’était décidée à rompre ses liens et cela malgré les nombreux différends. Son sang restait particulièrement important à ses yeux.

Aussi, elle ne fut pas désagréablement surprise d’apercevoir son frère aîné l’accueillir chaleureusement. Ignorant les nombreux services et recommandations des quelques domestiques venus également l’accueillir, Serena se dirigea rapidement vers son aîné. Évidemment, elle n’était pas aussi présentable qu’elle le devrait, vêtue de son équipement de combat, mais pour l’heure, cela n’importait point.

« Roland ! »

Mettant de côté les courtoisies liées à leur rang, Serena vint enlacer son frère avec force et affection sincère. Si les événements récents les avaient éloignés, Roland restait ce frère protecteur qu’elle avait toujours profondément admiré et apprécié.

« Cela me fait tant plaisir de te voir ! »

S’éloignant d’un pas, elle détailla alors ce bel homme dont elle était tellement fière et si heureuse de voir. Son sourire était d’ailleurs bien la preuve de sa réjouissance sincère.

« Moi qui craignais l’accueil aigri de Mère, j’ai bien fait d’attendre son départ ! Celui-ci est bien plus agréable… » Lança-t-elle sur un ton plaisantin « Comment vas-tu ? »

Sujet: Re: Troublante révélation ♠ [Serena] Jeu 31 Jan 2019 - 16:12

Roland était sincèrement ravi de voir sa sœur en cette soirée. Bien sûr, il eut envie de gommer son sourire la voyant apparaître vêtue de son équipement de milicienne. Mais non, il était bien trop content de la voir. Puis, ce n’était pas comme si cela était la première fois qu’il la voyait ainsi. Il ne cautionnait pas ses choix, elle le savait. Inutile de revenir maintes et maintes fois que la question. Tout vient à point à qui sait attendre. Roland tacherait donc de se montrer patient. Il ne voulait pas de ce genre de discussion, pas ce soir, pas maintenant. La chaleureuse salutation rendue par sa sœur le conforta dans cette idée.
Roland se laisse enlacer par sa petite sœur, sa grande taille l’encadrait complètement, il pu respirer le parfum de ses cheveux. Même si elle n’était plus la petite fille qu’elle était auparavant, la serrer dans ses bras lui rappelait ses bons et doux souvenirs.

- « Cela me fait très plaisir aussi de te voir, Serena. Tu nous enchantes de ta présence si rarement en ce moment. J’ai bien l’impression que tu essaies de fuir nos parents, me trompé-je ? »

Roland lui adresse un sourire taquin. Il ne la réprimandait pas, il l’asticotait gentiment, comme un frère pouvait le faire. Les chamailleries entre les deux étaient souvent de mise, mais jamais rien de bien méchant. Une sincère fraternité régnait entre les deux Rivefière.
Serena s’éloigna par la suite quelque, lui laissant ainsi le loisir de l’observer plus en détail. Il en fit de même, s’efforçant de gardé une attitude positive, face à la tenue de Serena.

- « Ma foi, plutôt bien. Et toi ? »

Bien évidemment, il n’allait pas lui déballer cette soudaine annonce de but en blanc, sans doute prendrait-elle la nouvelle étrangement.

- « Peut être souhaites-tu de mettre plus à l’aise, te rafraîchir ou que sais-je ? Nous pourrions par la suite prendre le dîner ensemble, cela fait bien longtemps. Magareth a préparé le souper, mais je n’y ai pas encore touché, alors cela me ferait très plaisir que ma petite sœur se joigne à moi. »

Il ne savait pas si Serena avait déjà soupé, mais il en doutait. Sans doute allait-elle accepté, par simple envie de faire plaisir à son frère, d’aller se changer avant de le rejoindre à table.

- « Quoique tu décides, rejoins-moi dans la salle à manger dans une vingtaine de minutes, s’il te plaît. Cela me ferait plaisir de te parler. »

Voilà qui lui laisserait le temps de se refaire une beauté. Le noble héritier apprécierait très certainement de voir sa sœur vêtue autrement que dans cet équipement destiné aux hommes, en toute logique. Elle était belle, radieuse, elle méritait tellement mieux. Il lui adressa un dernier sourire avant de monter les escaliers, afin de rejoindre la grande salle. Il indiqua à la domestique par ailleurs de servir le dîner pour deux. Il attendrait Serena dans cette pièce, préparant l’annonce du supposé mariage…

Sujet: Re: Troublante révélation ♠ [Serena] Jeu 31 Jan 2019 - 16:51

« Eux et leur effroyable invité ! »

Rétorqua-t-elle convaincue qu’il avait entendu parler de son comportement vis-à-vis de leur cher créancier. Plutôt de bonne humeur, elle ne put que rire sincèrement à l’invitation o combien délicate et courtoise de son frère à se changer. Évidemment, elle se doutait bien qu’il n’appréciait pas à la voir ainsi et pour ses beaux yeux, elle était prête à faire un effort.

« Avec plaisir mon frère. Et promis, je vais essayer de me montrer présentable si cela peut te faire plaisir, mais vingt minutes… Je ne suis pas sûre d’y arriver ! »

Lança-t-elle en riant à nouveau avant de s’éclipser sagement. Roland était encore un des rares à pouvoir admirer une Serena aussi conciliante et encore, tout cela dépendant de son humeur. Mais pour l’heure, la jeune femme s’imaginait déjà une agréable soirée en compagnie de son frère le plus proche et cela ne pouvait que la réjouir.

S’en allant dans ses quartiers, elle nettoya rapidement son corps avant d’enfiler des vêtements plus dignes de son rang et surtout bien plus féminins. Ce n’était pas le genre de vêtement qu’elle appréciait à porter, mais si cela pouvait faire plaisir à son frère, alors pourquoi pas. Elle coiffa également rapidement sa chevelure pour paraître plus sophistiquée, quelques touches de maquillages et elle pouvait enfin le rejoindre dans la salle à manger. Oh, elle n’était pas admirable, vingt minutes étaient un temps extrêmement court et d’ailleurs elle était en retard !

Arrivée dans la pièce, elle accorda un immense sourire au noble héritier de sa famille. Certaine qu’il allait apprécier son effort, Serena tournoya sur elle-même afin de lui faire admirer sa robe de jade ainsi que ses quelques bijoux qu’elle s’autorisa à porter.

« J’espère m’être suffisamment rafraîchie pour avoir l’autorisation de te rejoindre, mon cher frère ? »

De toute manière, elle n’allait pas pouvoir faire beaucoup plus et elle n’en avait pas l’envie. S’approchant à nouveau de lui, elle glissa son regard sur la table déjà préparée et le plat prêt à être dégusté.

« Voilà une agréable fin de journée. Cela fait bien longtemps que nous n’avons plus eu l’occasion de nous retrouver. Alors que deviens-tu ? »

Loin de se douter de l’annonce qu’il avait à lui déclarer, Serena patienta le temps que ce dernier ne l’invite à s’asseoir et commencer le repas, tout en l’observant avec curiosité.

Sujet: Re: Troublante révélation ♠ [Serena] Jeu 31 Jan 2019 - 22:00

Serena faisait allusion au Comte de Rougelac, elle ne pouvait visiblement pas le sentir. Roland ne savait pas que c’était à ce point.

- « Effroyable ? Oh, il n’est pas si terrible que cela, si ? »

Roland la taquinait une nouvelle fois. Serena et sa fougue légendaire, il lui était presque impossible de retenir le fond de ses pensées. Même si au final, elle le faisait tout de même un peu. L’aîné de la famille n’osait à peine imaginer ce que cela pouvait donner lorsqu’elle relâchait complètement toute bride.
Serena accéda à la requête proposée par son frère et disparu se changer dans un rire qui en disait long. Elle n’était pas dupe pour un sou, elle savait pertinemment où Roland voulait en venir en parlant de se mettre davantage à l’aise. Mais il était comme cela, charmant et poli en tout point, avec une si belle tête d’ange, on lui donnerait les dieux sans confession. Difficile d’y résister. C’était donc parfait. Roland pouvait s’atteler à sa prochaine mission, celle de se rendre vers la salle de réception, où le dîner serait servi et réfléchir à la manière dont aborder les choses avec sa milicienne de sœur.

Serena arriva après le temps qui lui était imparti, quoique légèrement dépassé, mais Roland ne s’en offusquait en aucun point. Il prit, cette fois-ci, beaucoup plus de plaisir à la contempler. Elle était si belle, lorsqu’elle faisait l’effort de faire ressortir sa classe, son rang. Des vêtements féminins, quelques bijoux, ses cheveux domptés.
Roland sourit à la remarque de sa sœur et lui répondit, la regardant de haut en bas :

- « En tout point exquise, tu as bien gagné le privilège de venir t’asseoir à table avec moi. »

Il lui fit signe de se rapprocher. Qu’il était bon de l’avoir près de lui, oubliant les dangers de ce monde avorté. Elle lui apportait un brin de légèreté, de joie simple, qu’il ne côtoyait plus tellement.

- « c’est vrai, cela fait bien trop longtemps. C’est dommageable. Mais rattrapons cela, veux-tu ? »

Il leva son verre en sa direction, l’encourageant à faire de même, avant de porter la coupe à ses lèvres, il ajouta :

- « A nous. »

Il prit une gorgée, puis reposa la coupe. Ils commencèrent à dîner.

- « Ce que je deviens ? Je fais aller, Serena. Comme je l’ai toujours fait. J’essaie de tenir les affaires de la famille à flot, cela n’est pas tâche aisée. Et toi, comment vas-tu, réellement ? Tu sais pertinemment où je me situe quant à tes choix. Mais je ne souhaite pas revenir dessus pour le moment, ce n’est vraiment pas une confrontation avec toi que je cherche. Mais, au moins, me fais-tu assez confiance pour me dire si tu te sentais en danger, ou si quelqu’un s’en prenait à toi ? Je sais que tu es assez grande pour te défendre toute seule, je te vois venir ! »

Il marqua une pause, observa sa petite sœur avec attention, puis reprit, sur un ton plus calme :

- « Enfin sache que malgré cela, je te protégerai, quoiqu’il arrive. Tu pourras toujours trouver en moi un allié. »

Spoiler:

« A nous ! »

Le verre relevé vers un avenir qu’elle espérait toujours meilleur et en cette excellente soirée en perspective, Serena en avala une gorgée avant de reporter toute son attention sur son aîné. Naturellement, elle le connaissait suffisamment bien pour deviner toute la fatigue dissimulée dans ses premières phrases. Elle n’osait imaginer toute la pression qu’il subissait en tant qu’héritier de la famille. La situation était critique et elle avait conscience que ses engagements ne lui facilitaient point la tâche.

Elle devait d’ailleurs le féliciter pour ne pas ruiner ce moment en revenant à la charge sur ce sujet épineux. Elle en lui était reconnaissante après tout. Maintenant, l’interrogation retournée la rendait un tantinet embarrassée. Une main massant sa nuque, elle lâcha un bon soupir. Il y en avait des choses que son frère ne savait pas, et c’était sans doute mieux ainsi.

« Évidemment, ce n’est pas toujours facile. Les esprits sont aussi fermés dans la milice qu’ici. Mais crois-le ou non, je me sens mieux ainsi et puis… parfois c’est ici, entre ses murs que je me sens le plus en danger. »

C’était sans aucun doute un concept que son aîné ne pouvait point comprendre et elle ne lui en voulait point. C’était ainsi. Elle espérait cependant un jour qu’ils parviennent à l’accepter, elle et ses idées. Néanmoins, sa dernière phrase lui arracha un sourire tendre. Sa main vint alors prendre la sienne dans un geste affectueux.

« Merci, Roland. Sache qu’il en va de même pour moi, vraiment. »

Après tout, cette voie, elle ne l’avait pas choisie juste pour énerver ses parents comme une adolescente en pleine rébellion l’aurait fait. Non, même s’ils devaient le penser, il n’en était rien. C’était simplement ce qui lui paraissait le plus naturel à faire, sa place, sa destinée… et elle ne comptait pas se laisser aisément distraire de cette voie.

« Tu sais, je réfléchis beaucoup malgré tout. A notre situation… à la façon dont nous pourrions survivre ici. Pas à la politique, mais concrètement. Je pense apprendre à chasser, à reconnaître les herbes précieuses…. Ainsi, je pourrai rapporter des trophées de mes missions à l’extérieur. Oh, je sais, tu n’approuves pas ! Mais penses-y. Les ressources se retrouvent là dehors, la vie et l’avenir également ! Ce n’est pas en restant cloîtré ici qu’on parviendra à survivre ! Ni en priant les Trois que Victor veuille bien nous laisser en paix. Il nous faut reconquérir des biens, des biens précieux et s’en servir…acquérir un bâtiment, une échoppe, de quoi avoir une rentrée d’argent conséquente ! »

C’était bien rare de voir Serena parler de la Maison Rivefière et de ses souhaits la concernant. Sans doute que la pression mise par un éventuel mariage avec le Comte la faisait réfléchir à trouver d’autres solutions et cela rapidement. Et puis, Serena était assez convaincue de ses propos. Elle n’avait jamais aimé l’idée de voir ses remparts comme un refuge éternel et admirant toutes personnes vivant à l’extérieur. Bien entendu, si elle s’engageait dans un tel débat avec son frère, c’était d’une part qu’elle avait parfaitement confiance en lui et d’autre part qu’elle n’avait pas la moindre idée que ce dernier avait quelque chose d’autre à lui annoncer.

Roland nota le léger malaise de sa sœur après sa question. Elle passa la main à l’arrière de sa tête, elle soupira. Cela ne lui disait rien qui vaille. Il la contemplait, à présent l’air un peu plus grave, espérant qu’elle ne soit pas dans une situation encore plus délicate qu’il ne se l’imaginait. Elle était mieux ainsi, selon elle. Pour l’héritier, Serena se voilait la face, mais impossible de lui en faire part sans entrer en conflit avec elle. Il lui avait promis que ce soir il ne remettrait pas cela sur le tapis, il tachait donc de s’y tenir, bien que cela lui démangeait.

- « Ici ? Je ne comprends pas. Même si père et mère sont un peu plus insistants que moi, je suis certain qu’ils font ce qu’ils jugent le mieux pour toi. »

Le visage de sa sœur se radoucit à l’écoute des paroles rassurantes de l’aîné. Le visage de Roland en fit de même, lorsque leur main se joignirent affectueusement. Il caressa doucement, de son pouce, le dos de sa main, lui adressant son regard océan empli d’empathie et de réconfort.
Le noble laissa sa sœur reprendre la parole par la suite, elle lui décrivit un plan qu’elle avait tracé.

- « Je suis bien d’accord avec toi sur le fond. Bien qu’à mon sens, ce ne sont pas des responsabilités qui doivent t’incomber. J’ai quelques plans en tête aussi.
Mais vu que tu as l’air bien décidé, inutile de se priver de tout ce qui pourrait nous être utile et profitable, à travers ton activité petite sœur. »

Roland était ravi de constater que l’avenir de leur famille touchait encore de près Serena. Mais, bien évidemment, parler d’avenir familial lui rappelait la toute récente révélation des parents. Il fallait lui dire, maintenant. Ils étaient tous deux assez détendus. L’héritier trouva judicieux de lui reverser un peu de vin. Il en fit de même pour lui, prit une gorgée, avant de se lancer.

- « Serena, avant que tu ne rentres, j’ai eu une petite discussion avec nos parents. Pour une fois, sache qu’ils n’étaient pas en train de vouloir négocier ton avenir, mais le mien. »

Il marqua une pause, passa rapidement la langue sur sa lèvre inférieure, tapotant son verre.

- « Voilà, je ne vais pas y aller par quatre chemins, nos chers parents ont conclu un mariage avec Eleonore d’Algrange, avant sa mort. Ils souhaiteraient que j’épouse Sydonnie. »

Roland fixait Serena, impatient d’avoir sa réaction sur cette troublante révélation.

« Je n’ai aucun doute là-dessus, grand frère. Et je suis certaine que tu réussiras. Tu es le meilleur après tout. »

Lui dit-elle dans un petit clin d’œil et un sourire complice. Enfant, Serena avait toujours considéré son frère comme le meilleur. Il était son héros favori, celui qu’elle regardait avec admiration et qu’elle suivait partout. Maintenant, avec le temps, elle avait pris conscience que tout humain avait ses faiblesses, ses limites, lui y compris. Mais cela ne l’empêchait jamais d’y voir un homme admirable dont elle était extrêmement fière et qu’elle continuait d’affectionner tout particulièrement.

Détendue, elle profita enfin de son repas, mangeant assez sereinement. Cela lui faisait un bien fou de pouvoir profiter enfin d’un moment avec lui, d’un moment sans tension, en toute complicité. Loin de s’imaginer ce qui allait suivre, elle le remercia simplement pour le vin qu’elle se mit à nouveau à déguster.

Néanmoins, elle remarqua aisément l’attitude de son aîné changé de tout au tout. Arquant un sourcil à ses premières révélations, elle se demanda rapidement ce qui se passait. De quoi avaient-ils bien pur discuter pour le mettre dans un tel état d’hésitation. Que pouvait-il bien le rendre soudainement aussi nerveux ?

La réponse, elle n’eut pas besoin d’attendre pour l’avoir. Non, sans crier gare, Roland décida de lui balancer une étrange, troublante, impensable révélation. Si le mariage ne l’étonnait guère, c’était bien le nom de la prétendante qui la fit immédiatement s’étouffer dans son vin.

Toussant, crachant l’annonce qu’elle se refusait de croire, elle tapota sa poitrine dans l’espoir de faire passer le tout. Dès qu’elle put reprendre ses esprits, sa respiration, Serena releva ses yeux sur son frère, cherchant, espérant d’désespérément que cela ne soit qu’une blague. Malheureusement, elle comprit assez rapidement à ses yeux que cela n’était pas le cas…

Dès lors, elle se sentit prise de vertige. Son esprit était vide, blanc et ne parvenait simplement plus à travailler correctement. Sydonnie et Roland ? Peut-être devrait-elle s’en réjouir, mais… lorsqu’elle repensa à ses retrouvailles, les dernières révélations avec son amie et leur confiance, Serena se sentit à nouveau perdre pied.

Sa tête baissée, encore sous le choc, se releva à la recherche de Margareth. Sa main se releva péniblement, sans force et sans motivation pour lui faire signe de venir. Elle déglutit, une, deux fois, le regard encore perdu dans l’immensité de la table, avant de demander.

« Apportez-moi quelque chose de fort… S’il vous plaît, le plus fort qu’on a.»

Oui, elle avait bien besoin d’un remontant, un sacré remontant. Essayant de canaliser sa respiration afin de reprendre son calme, la blonde finit par poser un regard o combien troublé sur son frère. Plusieurs fois ses lèvres s’étaient entrouvertes dans l’espoir de prononcer des mots qui ne lui venaient pas. Pour être franche, elle ne savait vraiment pas quoi dire… alors…

« Que... je…euh…mh…. Que comptes-tu faire ? »

Parmi toutes les questions qui s’entrechoquèrent dans son esprit, c’était la seule qu’elle parvint à formuler plus ou moins correctement. Mais elle peinait encore vraiment à comprendre comment tout cela était possible, pourquoi…. Qu’allait-il se passer ? Et était-elle seulement au courant ? Non, impossible, elle lui aurait dit.

Le meilleur, c’était réconfortant d’entendre ces mots sortir de la bouche de sa petite sœur. Oui, des paroles si réconfortantes, si douces. Mais il n’en était rien. Bien sûr, aux yeux de sa sœur, Roland avait toujours suscité la perfection, l’admiration. Mais maintenant il devenait l’ombre de lui-même. Plus le temps passait et moins il ne se reconnaissait. La vie à Marbrume l’avait changé, ce monde en perdition changeait bien tout le monde.
S’en suivit la révélation et l’attente de réaction de Serena. Réaction qui ne se fit d’ailleurs pas attendre très longtemps. Et qui choqua sa sœur bien plus que ce à quoi il s’attendait. Cette dernière se mit à tousser, presque s’étrangler. Roland se leva et se pressa d’aller à ses côtés. Elle qui demandait déjà, pourtant, à ce qu’on lui apporte un alcool fort, pour faire passer la nouvelle.
Margareth revint ensuite avec un puissant Hypocras.

- « Je vais t’accompagner. »

La domestique versa donc un peu de l’alcool prestigieux dans chaque coupe.
Roland bu une gorgée, puis deux, avant de répondre à la question de sa petite sœur.

- « Je vais étudier la question, s’ils avaient prévu une telle chose, il doit y avoir une excellente raison à cela. »

Roland resta silencieux un instant, se demandant pourquoi Serena avait réagit si vivement, certes il connaissait leur amitié d’enfance, mais pourquoi fut-elle si choquée par cette nouvelle ?

- « Sydonnie fait-elle de nouveau partie de tes fréquentations ? Pour ma part, je ne l’ai pas revue depuis tout cela…
Mais, je la voyais comme ton amie, jamais je ne m’étais imaginé qu’on me la choisirait pour épouse. »

Et c’était bien vrai. Pourquoi elle, pourquoi Sydonnie d’Algrange en particulier, ils étaient liés plus ou moins par le passé, c’était une amie de sa sœur, elle était engagée également dans la Milice. Voilà qui ajoutait encore du malheur à ses affaires. Il n’avait pas assez d’une sœur milicienne à gérer, voilà que maintenant le sort lui ajoutait une promise.

- « J’avoue être moi-même quelque peu désorienté par cette nouvelle approche. Je me doutais bien qu’il fallait me remarier un jour. Je ne le voyais pas arriver si tôt.
Cependant, mon désir d’enfants est réel, tu ne le sais que trop bien. »

Sa précédente épouse, décédée durant le voyage, attaquée par un Fangeux, ne pouvait guère lui donner de descendants.

La nouvelle avait eu l’effet d’un ouragan dans l’esprit de la jeune blonde. Des certitudes dévastées dans une simple annonce, une simple promesse dans laquelle elle n’avait aucun pouvoir. Encore sous le choc, sa main vint désespérément s’emparer de son verre. Elle avala une, puis deux, puis trois gorgées espérant à chaque fois que de soit se réveiller, soit que l’alcool l’aide à relativiser la situation.

Si ses yeux ne regardèrent plus son frère, encore perdus dans des réflexions profondes troublées par mille et une questions, ses oreilles elles ne perdirent pas un son de sa réponse. Il allait donc étudier. Une autre façon de dire qu’il allait très certainement accepter. Après tout, jamais elle n’avait vu son frère protester à la décision de ses parents. Et puis, il y avait bien une chose sur laquelle elle était d’accord, ses parents n’agissaient jamais sans raison. Et la raison, Serena la devina assez aisément. Les deux familles étaient proches, comme l’avait pu témoigner la complicité entre les deux femmes dès l’enfance… mais surtout, Sydonnie était devenue une héritière plus ou moins fortunée, avec une demeure située au sein même de Marbrume. Celle-ci étant une femme, tout ce qui lui revient de droit ira directement à son époux et donc dans ce cas précis, Roland. Forcément, avec la position délicate dans laquelle se retrouvait sa famille, c’était une opportunité de premier choix et la voie de la femme dans la milice n’y changeait rien.

Mais de tout cela, Serena n’en dit rien. Non, ce n’était certainement pas à elle de mettre en avant les avantages à cette union, surtout qu’elle se refusait d’user son amie ainsi. La question légitime qui suivit fut un nouvel électrochoc. Si elle se fréquentait ? Serena en riait intérieurement, repensant à l’étrange rapprochement entre les deux femmes ainsi qu’au pacte de sang qui les liait.

« Nous nous sommes retrouvées récemment…»

Serena se tenta à un sourire un peu forcé en prononçant un tel euphémisme. Elle se haïssait déjà pour ne pas pouvoir parler librement à son frère... Et semblait profondément perturbée par cela, mais aucun mot ne lui venait. Premièrement, ses sentiments et son pacte envers la noiraude l’empêchaient de trahir ses confidences. Mais même sans cela, par où pourrait-elle commencer ? En lui annonçant que Sydonnie était éprise par un banni ? Qu’elle avait des relations avec un prêtre ? Ou alors que sa petite sœur ici présente s’était permis de l’embrasser avant lui ? Sa tête était sur le point d’exploser.

Enfin en entendant la suite, Serena fut prise par un profond malaise. Se rattrapant à la table, elle finit vautrée sur celle-ci et décida de se reprendre une go… non un verre complet de son hypocras. Des enfants… Ce n’était pas surprenant que Roland se projette ainsi, mais… Il y avait bien trop de choses à digérer d’un coup. Elle n’arrivait même pas encore à digérer le fait qu’ils soient promis l’un à l’autre par leurs parents et son aîné lui parlait déjà d’une descendance. La migraine déjà bien présente, Serena se massait le crâne dans une profonde expiration.

« Roland… Ralentis… »

Oui, il allait devoir clairement aller moins vite dans ses réflexions pour qu’elle parvienne à le suivre et arrive à plus ou moins reprendre des idées claires. Relevant enfin ses yeux de jade sur lui, elle l’observant longuement, les sourcils froncés.

« Je connais tes désirs, Roland… Je les respecte, mais tu devras également respecter les siens. »

Et elle n’osait même pas imaginer la réaction de celle-ci lorsqu’elle apprendra la nouvelle. Sans aucun doute, Roland n’avait pas la moindre idée d’où il s’apprêtait mettre les pieds.

« Il vous faudra parler… mais Roland, j’aimerai sincèrement que tu gardes à l’esprit que c’est une amie qui m’est chère… Je…. » Serena chercha ses mots, n’étant pas sûre de ce qu’elle devait ou non lui dire à cet instant. Devait-elle s’y opposer ? Elle n’avait pas l’impression d’y être autorisée. « Je vous aime tous les deux, alors… promets-moi de la traiter comme tu traiterais la femme de ta vie. »

Oh, elle ne doutait pas vraiment de la manière dont pouvait se comporter son frère, mais… Elle connaissait le caractère parfois explosif de sa consœur et elle ne parvenait pas à prédire la rencontre entre les deux. Les deux étaient des êtres précieux et irremplaçables à ses yeux... et se retrouvait donc dans une situation extrêmement compliquée.

Roland observait sa petite sœur boire plusieurs gorgées du puissant Hypocras, il avait bien envie d’attraper sa coupe, lui dire de cesser, qu’elle avait déjà assez bu comme cela, que cela ne faisait pas pour une dame de boire autant d’alcool. Hélas, elle n’était pas une petite fille, était bien libre et rirait bien certainement à la remarque de son frère, connaissant le caractère de la jolie blonde. Il n’en fit rien, continuant son observation peu discrète, lorsqu’elle lui avoua avoir retrouvé son amie d’enfance récemment. Cela ne l’étonnait pas plus que cela, c’était même amplement légitime de renouer avec d’anciens amis, comte tenu de la douleur des épreuves engendrées par la Fange et tous ces malheurs. Il ne lui en tiendrait sûrement pas rigueur, c’était normal. Mais ce qui l’était moins, c’était cette réaction, qu’il jugeait disproportionnée, au vu de la situation. Peut être que Serena ne lui disait pas tout, peut être que Sydonnie d’Algrange avait quelqu’un déjà dans sa vie, était-elle déjà promise à un autre, vivait-elle dans le péché, Roland n’en savait absolument rien. Mais il fallait qu’il sache, cependant. Il ne pouvait pas se résoudre à aller lui parler, comme cela de but en blanc, sans rien savoir de sa situation présente. Il ne voulait pas se tourner en ridicule, s’il allait de soit que le cœur et la main de la demoiselle était déjà offerts à un autre.

Serena lui demandait de ralentir la cadence de ses paroles, il est vrai que le noble avait tellement de questions. Pour lui aussi la nouvelle avait été relativement dure à avaler. Il aurait aimé peut être rencontrer une jeune femme, que les liens se créent tout naturellement, qu’il l’épouse par amour pur et sincère et non par obligation. Mais les hommes et les femmes de ce temps n’avaient pas bien souvent le choix. On agissait par pragmatisme, et non par romantisme. Ce qui était dommageable, il l’entendait bien.

- « Je respecterai ses désirs Serena, sois en certaine. Quoiqu’en dise père et mère, je ne la forcerai pas à m’épouser si elle si refuse. Je ne suis pas un monstre. »

Les dernières paroles de la milicienne le touchèrent légèrement, comment elle pouvait en douter. Roland avait toujours respecté les femmes. Il était droit, sincère, fidèle. Ce n’était ni un manipulateur, ni un coureur de jupons. Même s’il était bien réel que le manque d’une femme commençait sérieusement à se faire ressentir. C’était oui, un romantique. Il aimait les femmes, il voulait croire en l’amour. Mais parfois, un désir charnel s’immisce dans une partie de son cerveau, qu’il ne peut que difficilement contrôlé. Des pulsions qui habitent l’homme et le fait parfois se comporter en rustre. Il n’en était rien pour Roland, pour le moment. Il restait droit, avec l’aide du Temple et des Dieux.

- « J’ai toujours traité les femmes avec respect, je ne compte pas changer. »

Mais il fallait qu’il en sache plus. Elles étaient amies de longue date, elles se voyaient de nouveau, sans doute se confiaient-elles, aussi.

- « Serena, tu sais que tu peux tout me dire. Je t’aime aussi, d’un amour incommensurable. Je dois savoir si Sydonnie est déjà engagée auprès d’un autre homme, de n’importe quelle manière qu’il soit. »

Roland attendait sa réponse, prenant la main de sa sœur dans la sienne, la forçant à soutenir son regard bleuté, il avait besoin d’entendre la vérité, si terrible qu’elle soit. Il voulait être certain de ne pas se confronter à un mur.

Les paroles de Roland ainsi que sa promesse ne pouvaient que rassurer la jeune milicienne forcée à s’accrocher à ce qu’elle pouvait dans une telle situation. Pourtant comment en pouvait-il être autrement avec un frère, un homme tel que lui. Roland était si bon, si serviable et si charmant. Sa popularité envers la gent féminine n’était ni un mystère ni une surprise pour personne, encore moins sa propre sœur. Elle rêvait pour lui d’une vie meilleure, d’une femme digne de sa bonté, prête à lui offrir la famille qu’il espérait. Si Sydonnie remplissait en partie ces critères, elle n’était pas certaine qu’elle accueille la nouvelle avec enchantement. Non, elle était même certaine de tout le contraire et le choc risquait d’être tout aussi rude, voire plus, pour cette dernière.

Maintenant, elle devait également bien admettre espérer tout autant pour son amie proche. Et elle ne pouvait décidément pas trouver un meilleur parti que son propre frère même si l’idée ne lui avait jamais traversé l’esprit jusqu’à présent. Peut-être était-ce finalement le destin qui les avait amenés à cette possible union ? C’est du moins ce que Serena aimait à penser afin de ne pas perdre les esprits.

Tandis que Serena essayait encore faire le tri dans son esprit, la main de son frère la ramena au temps présent. Ses yeux l’observèrent un instant avant de remonter dans les siens et de prendre conscience de toute l’inquiétude qu’il ressentait. La milicienne réalisa alors à quel point ses propres réactions devaient laisser entendre le pire pour son pauvre frère, mais il était bien loin de se douter de la réalité. Et en vérité, la blonde voulait réellement pouvoir lui confier ce qu’elle savait et même ce qu’elle avait fait, mais comment le pouvait-elle ? Les mauvaises langues diraient qu’il suffisait de le dire, mais cela serait également une trahison envers son amie…

« … Roland… ce n’est pas à moi de te dire quoi que ce soit… »

Désolée, la jeune femme baissa son regard tout en gardant la main de son frère dans la sienne. Lèvres pincées, elle était réellement embêtée par la situation, ne sachant pas comment prendre cette possibilité.

« Comprends-moi… pardonne-moi… Mais, je ne peux décidément pas me résoudre à trahir sa confiance. »

Non, elle ne le pouvait pas. Peu importe si ce qu’elle cachait était immense ou non, et c’était le cas, les confidences de Sydonnie restaient et resteraient des confidences entre elles. Maintenant, elle se permit toutefois de lui donner une direction.

« Elle n’a aucun autre engagement actuellement. Mais je ne suis pas sûre qu’elle soit prête à t’accepter… Alors…montre-toi compréhensif…patient. »

Tout était encore chamboulé dans sa tête, mais elle ne pouvait pas aller à l’encontre de ce mariage. Le choix ne lui appartenait pas et plus elle y réfléchissait, plus elle se disait qu’elle ne pouvait pas espérer mieux pour eux deux. Maintenant, elle n’était pas certaine de leur comptabilité… Roland risquait d’être surpris de se retrouver face à un caractère encore plus explosif et affirmé que celui de sa sœur.

Ce n’était pas à elle de lui révéler, elle ne pouvait pas trahir sa confiance… Roland commençait tout de même un peu à s’en inquiéter. Il y avait véritablement quelque chose, ce qui justifierait sa réaction et le fait qu’elle se sente bridée dans ses paroles. Tout se chamboulait à présent dans l’esprit de l’héritier.

- « C’est tout à ton honneur de ne pas trahir ton amie Serena, je comprends parfaitement. »

Il voyait bien que cette situation mettait sa sœur fortement dans l’embarras. Il y avait quelque chose, c’était certain. Mais rien qu’elle ne puisse lui révéler, s’en trahir Sydonnie. Donc pas quelque chose d’officiel, qu’il fallait dévoiler au grand jour. Non bien au contraire, elle avait peut être une liaison secrète, un amour interdit, que savait-il… Quoiqu’il en soit, il essaierait d’en faire abstraction et de partir de zéro avec la dame d’Algrange. Après tout, même si Roland n’avait guère eu d’aventures sans lendemain depuis la disparition de son épouse, il pouvait cependant comprendre la faiblesse de la chair des hommes et des femmes non mariés. Ils vivaient dans le péché, en ayant des relations intimes hors mariage, mais au moins, celles-ci n’étaient dans l’infidélité d’un époux ou d’une épouse.
Tout homme a ses faiblesses, Roland en avait également, même s’il essayait tant bien que mal de les gommer, se plongeant dans la foi, dans le repenti auprès des Dieux.
Cependant, Serena vint lui confirmer que son amie n’avait pas d’autre engagement réel et sérieux. C’était tout de même une bonne chose. Elle était libre d’épouser qui elle voulait, en somme.

- « Merci pour ton aide précieuse, ma sœur. Cela me fait chaud au cœur de constater que je peux compter sur toi. Comme tu es sincère et fidèle envers ton amie, je te demanderai de l’être aussi envers moi. Je t’en prie, ne révèle ce secret à personne pour le moment. Je ne souhaite pas que Sydonnie l’apprenne d’une autre bouche que la mienne. Je t’en serai infiniment reconnaissant. »

Inutile de le divulguer à tout le monde, il fallait que cela reste entre eux, pour le moment. Roland était décidé à recontacter Sydonnie. Si et seulement si mariage devrait avoir lieu, cela se ferait par consentement mutuel. Donc il était vain de commencer à ébruiter ce qui n’était même pas encore une esquisse de quoique ce soit.

- « Je vais contacter Sydonnie par lettre, je la lui ferai porter à sa demeure, par un coursier, dès demain. »

Sa décision était prise.

« Évidemment, Roland, tu peux également compter sur moi… »

Et elle espérait que jamais il n’en douterait. De toute manière pour le moment, tout cela ne la regardait pas. Et c’était un sentiment très étrange de se sentir intruse dans la vie de deux de ses proches les plus précieux et irremplaçables. Si elle commençait à respirer à nouveau, son esprit restait perdu et l’alcool qu’elle venait d’avaler ne l’aidait finalement pas à résoudre ses tracas.

« Mais, j’commence à avoir raz le bol des mariages… d’ces manigances à la con. »

Là, c’était bien l’alcool qui la faisait déliée sa langue ainsi que la colère et la frustration de se retrouver à nouveau mêler dans des histoires conjugales qui lui donnaient de plus en plus la migraine. Encore vautrée de manière peu élégante contre la table, elle se reprit un verre.

« Pourquoi rien n’peut être simple ? Franch’ment ! HEIN ! ? Roland, tu n’as jamais rêver d’partir ? Tout quitter ? J’sais pas, t’dois bien avoir tes propres rêves… ? On parle de ton mariage, d’Syd, mais… et toi ? Est-ce que t’es prêt à l’accepter ? Tu n’as personne d’autre ? »

Lui demanda-t-elle clairement las de la situation et peu convaincue. Serena n’était plus une enfant naïve. Son frère aussi parfait soit-il à ses yeux, restait un homme avec ses envies et ses ambitions. Peut-être que c’était cette tolérance à la situation qu’elle admirait tant finalement. Elle, elle n’y arrivait pas. Peu importe le nombre de fois qu’elle avait vu des potentiels prétendants, elle se sentait toujours proche de l’explosion. Pourquoi devrait-elle se lier à un homme qu’elle n’aime ni ne respecte ? Et lui donner des enfants ? N’était-elle que bonne à cela ? Pondre des héritiers ? C’est bien depuis qu’elle le comprit qu’elle s’était mise à autant haïr les enfants, lui rappelant ce que la société voulait d’elle.

Un profond soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’elle était toujours là, appuyée sur son coude, l’air fatigué et irrité. Ses yeux observèrent un moment les réactions de son frère, bien curieuses de l’entendre s’exprimer sur la question. Cela faisait bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas confié l’un à l’autre, les rendant un peu plus distant de jour en jour et ce constant était terriblement douloureux. Elle avait l’impression de le perdre et cela était juste insupportable. Serrant à nouveau la main de son aîné dans la sienne et cela sans aucune douceur.

« PARLES-MOI ! »

Sa voix était plus coléreuse et plus forte qu’elle ne l’avait prévu. Elle-même se surprit et se mit à cligner des yeux. Elle jeta un regard accusateur sur son verre avant de se frotter machinalement sa chevelure, défaisant déjà sa coiffure. Puis, en y repensant, de quel droit essayait-elle de le pousser à se confier lorsque même elle n’y parvenait pas. Serena soupira à nouveau, posant carrément sa tête sur la table d’un air désespéré.

« … pardon... »

C’était d’un air un peu boudeur et ronchon qu’elle s’était finalement excusée. Pourtant, elle le regardait toujours d’une manière assez insistante, espérant au moins qu’il lui réponde à ses premières interrogations.

Serena lui confirmait qu’elle ne révélerait pas son secret. Il lui faisait confiance, elle ne le trahirait pas. Cependant, les dernières paroles de la blonde choquèrent Roland. Il ne s’y attendait pas, mais l’alcool et la fatigue aidant, là voilà qui commençait à perdre pied. Elle se resservit un verre, totalement avachie sur la chaise, tenant un discours un peu incohérent, teinté de grossièretés, de ci, de là. Roland arqua un sourcil, contemplant ce désastreux spectacle. Elle lui parlait de tout quitter, de rêves, d’acceptation… Le noble héritier faisait tout pour maintenir la famille à flots, pour sauver les apparences. Bien sûr, il avait des rêves, mais ils s’étaient envolés depuis bien longtemps. Elle pensait réellement que c’était une vie qu’il avait choisit de vivre. Non, il survivait, comme tout le monde. Quoiqu’un peu mieux que tout le monde. Mais non, il n’était pas heureux, non il ne réalisait pas ses rêves. Mais il ne pouvait pas tout envoyer valser, il avait des obligations, ce n’était pas un adolescent en pleine crise existentielle. Il ne devait se comporter en homme, faire des choix pour les autres et non pour lui. C’était là, son sort, son triste sort. Elle serra fort la main de son frère, ce dernier en fut troublé, elle lui cria ensuite de lui parler, comme un appel au secours. C’en était trop, Roland ne supportait pas de voir sa sœur dans un tel état. Elle lui faisait de la peine. Et au-delà de cela, elle lui faisait prendre conscience encore plus du grotesque de leur situation, elle lui renvoyait la sinistre vérité en pleine face. Il n’était pas maître de ses choix, il ne suivait pas ses rêves et ses ambitions. Il était en colère, non pas contre elle, comment le pourrait-il, mais surtout contre lui-même.
D’un geste, il saisit brusquement Serena et la redresse, reposant avec force son verre sur la table.

- « Je pense que vous avez assez bu, jeune fille. »

Ne lui laissant pas le choix, il la souleva carrément de terre, la portant contre lui et l’entraîna dans le salon adjacent. Il déposa sa sœur sur le divan et s’assit à ses côtés.

- « Ne t’excuse pas, Serena. Enfin, pour ta tenue inappropriée à table, si tu peux. »

Il eut un mince sourire, mais le cœur n’y était plus vraiment. L’humour et la bonne humeur du début de soirée s’étaient tous deux envolés, laissant place à une colère et une amertume démonstratives.

- « Pardonne-moi aussi, pour cette révélation. Je n’avais pensé que cela te toucherait autant. Mais tu comprends, je n’ai que toi à qui me confier. Il n’y a que toi en qui j’ai réellement confiance. Pour répondre à l’une de tes questions, non je n’ai personne d’autre. »

Il marqua une courte pause, l’observant, la jaugeant, remettant une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille. Il lui adressa un sourire, tendre et affectueux.

- « Cela m’attriste de te voir comme cela, Serena. Je sens que tu souffres et je me sens impuissant face à cela. »

Il prit une profonde inspiration.

- « J’avais des rêves Serena. Mais cette vie ne nous permet plus de rêver. Il faut rester lucide. »