Troublante révélation ♠ [Serena]

Sans trop avoir le temps de comprendre, ni même de réaliser comment, Serena se retrouva dans les bras de son frère, soulevée du sol et conduite dans une autre pièce. Il y avait bien de la chance qu’il soit l’un des rares hommes à avoir toute sa confiance, sinon jamais elle ne se serait montrée si docile. S’agrippant simplement à lui, elle se laissa amener au salon, l’observant d’un air inquiet et interrogateur.

Très certainement, elle s’était un peu trop laissée aller. Mais il n’imaginait pas toute la pression, la culpabilité et les angoisses qui la rongeaient à cet instant. Le sourire, l’expression que lui offrit son aîné lui déchira le cœur et ne fit alors qu’augmenter ce sentiment de tort, de faute et de tristesse. Jamais, elle ne souhaitait lui faire afficher une telle expression et pourtant.

Honteuse et impuissante, elle détourna son regard, fuyant ses yeux et son jugement. Elle n’osait pas imaginer à quel point, elle aussi, devait être déçue. Déçu d’avoir une sœur pareille, déçu de la voir dans un tel état et peut-être même déçu qu’elle soit celle ayant survécu… À cette triste et terrible pensée, Serena put sentir les larmes lui monter aux yeux. Elle se sentait épouvantable, misérable, sur le point de craquer.

Pourtant, elle se le refusa. Plus encore lorsque la main de son frère dans sa chevelure lui fit prendre conscience de son regard si affectueux. Serena, tu dois te ressaisir. Voilà ce qu’elle tenta de se répéter encore et encore avant de finalement venir passer ses bras autour du cou de son aîné, lui offrant une étreinte forte et chaleureuse.

« Pardon, Roland… excuse-moi… »

Murmura-t-elle son visage caché et enfoui contre lui. Comment osait-elle essayer de le déstabiliser dans ses convictions ?! Il était fort, bien plus fort qu’il ne le pensait, bien plus fort qu’elle. Elle soupira douloureusement contre sa peau, retenant toute la détresse qu’elle ressentait.

« J’aimerais tant être différente… »

Mais elle n’y arrivait pas. Reculant alors son visage pour apercevoir celui de son frère aîné, le détailler d’un sourire o combien désolé, mais remplit de tendresse. L’une de ses mains se posa sur sa joue, la caressant doucement avant de lui affirmer.

« Je suis si chanceuse de t’avoir à mes côtés… » Mais malheureusement, il ne pouvait pas en dire autant. Elle savait que trop bien. « Sans toi, je n’aurai jamais réussi à avancer jusqu’ici, n’en doute pas Roland.» Serena laissa un profond soupire lui échapper fermant ses yeux, sachant bien que l’alcool et la fatigue devaient jouer un grand rôle dans son bien triste état. « Je suis juste fatiguée… Ça été une année…des années difficiles. »

Serena s’était laissée porter, docilement. Installée au salon, elle fondit de nouveau en excuses, détournant le regard, sûrement gênée. Elle enfouit son visage contre lui, il ne put que réagir en la serrant dans ses bras, passant la main dans ses cheveux. C’était dur de la voir dans cet état, elle qui était son sang, sa chair.

- « Tu es déjà pardonnée Serena, voyons. Pourquoi voudrais-tu être différente ? Je te trouve tellement courageuse. »

Il ne lui avait jamais encore dit ces mots. Il n’avait fait que rejeter son statut de milicienne, être en désaccord avec ses choix. Mais n’avait jamais vanté ses mérites, ses qualités, son courage, sa bravoure. Il s’en voulait pour cela. Ce soir avait été rempli de révélations, finalement. Il comprenait bien plus sa sœur à présent et serait même prêt à accepter, dans un sens, sa place au sein de la milice.

- « Je suis fier de toi, Serena. »

Il espérait qu’elle n’en doute plus désormais. Ses paroles réconfortantes étaient très sincères. Ils devaient tous deux se soutenir et pas se quereller vainement.
Il se laissa ensuite caresser la joue, Serena retrouva son joli sourire, c’était beaucoup plus plaisant de la voir ainsi.

- « Elles ont été si difficiles oui, je te l’accorde. Peut être le temps adoucira nos cœurs et nos esprits. »

Il lui sourit de nouveau, déposant un tendre baiser sur son front. Un amour fraternel, pur et sincère, cela le réconfortait aussi. Il avait l’impression avec elle, à cet instant, de n’être plus seul face au monde. Ils étaient deux et cela changeait tout.

- « En attendant, tu as bien mérité une bonne nuit de sommeil. Je peux toujours te porter jusqu’à ta chambre, tu sais. »

Il mettait sa sœur au défi. Sa carrure et sa force lui permettait sans difficulté de monter les escaliers avec son léger poids sur les épaules. Il voulait lui redonner le sourire. Elle ne méritait pas d’être aussi triste. Personne ne le méritait, au fond.

Fier, vraiment ? Comment pouvait-il l’être après tout ce qu’elle avait fait ? Elle ne parvenait pas à se comporter comme une noble de son rang ni même comme une femme. Elle n’avait ni mari, ni enfant et cela depuis toujours. Si elle avait des prétendants, elle préférait les faire fuir. Alors de quoi pouvait-il bien être fier ? Elle se le demandait. Pour autant, elle n’osa lui demander, de peur de lire la déception, le mensonge…

Et puis, si elle était perplexe à ce sujet, elle ressentait toutefois l’affection de ce dernier, et cela lui suffisait. Lui ne la haïssait pas, pas encore. Se raccrochant à ce maigre espoir, Serena recommença à sourire tant bien que mal, l’écoutant parler avec sagesse. Oui, elle avait besoin de repos. Elle arqua néanmoins un sourcil à son petit défi, avant de sourire avec plus de malice.

« Je veux bien voir ça ! »

Lança-t-elle avec plus de gaieté, riant lorsque ce dernier se mit réellement à la porter jusqu’à sa chambre. Cette complicité enfantine entre eux l’avait bien manqué. Le temps les avait fait prendre des chemins différents, mais elle était heureuse de le retrouver et ses sentiments pour lui étaient inchangés. Il était toujours ce frère qu’elle admirait tant et sur qui elle pouvait compter.

Allongé comme une masse sur son lit, son regard ne perdit pas un seul instant son aîné qu’elle remerciait silencieusement pour tout ce qu’il lui apportait. Doucement, elle lui attrapa la main, le retenant encore un peu à ses côtés pour lui murmurer.

« J’aimerai aussi te voir heureux… » Sans en être encore convaincue, elle ajouta. « Peut-être que Sydonnie sera celle qui y parviendra… J’espère…» Au fond, si les deux devenaient aussi proches qu’elle était avec eux, cela ne pourrait que la rendre heureuse. « Mais attention, elle est encore plus terrible que moi. » Un petit avertissement prononcé dans un sourire taquin avant qu’elle finisse par le relâcher. Il n’était libre de faire ce qu’il voulait, tant qu’il ne la blessait pas, ni ne lui manquait de respect. Ce qui allait se passer entre eux ne la regardait pas. C’est du moins en s’accrochant à ces pensées-ci qu’elle tenta tant bien que mal de gagner le sommeil.

Serena semblait dubitative quant aux dernières paroles de Roland. Ce dernier pensait qu’elle était définitivement une femme honorable. Si malgré son fort tempérament, ses choix discutables, elle gardait tout de même l’intelligence de se remettre en question, de douter d’elle. Ce n’était pas une tête brûlée, elle gardait sa sensibilité de femme, sa vulnérabilité et sa délicatesse. Elle n’était peut être pas parfaite, mais la fierté se lisait dans les yeux de son grand grand frère. Et cela valait bien tout, pour ce soir.

Elle le mit au défi. Roland attrapa sa sœur d’un geste, la glissa sur ses épaules tel un vulgaire sac de légumes. Cela la ferait certainement rire, chassant ses démons de tout à l’heure. Cela était si plaisant de retrouver, en un instant, leur innocentes âmes d’enfant.

- « Alors mademoiselle de Rivefière, nous faisons moins la maline portée ainsi ! »

Taquineries et enfantillages, insouciance d’une soirée, qui seraient balayés dès le lendemain matin, retournant tous deux à leurs occupations, celles d’une milicienne pour l’une, et celles d’un noble guerrier pour l’autre, tel était leur lot. Mais cette soirée n’aura pas été vaine. Riche en émotions, en révélations. Mais à présent, ils savaient qu’ils pourraient compter l’un sur l’autre. Ils en savaient un peu plus sur eux-mêmes aussi. Et encore plus, Roland avait légèrement changé d’opinion quant à la carrière de sa petite sœur. Il y voyait plus clair et se rendait bien compte de son engagement.

Roland étendit donc Serena sur son lit et se redressa prêt à quitter sa chambre, afin de la laisser se reposer. Mais elle attrapa sa main, le retenant et ajoutant quelques mots qui arrachèrent un dernier sourire au noble. Elle semblait digéré un peu la nouvelle, ce qui était plutôt rassurant. Ce qui l’était moins en revanche, c’était sa dernière parole. Sydonnie, plus terrible ? Roland ne savait pas encore dans quel bourbier il allait mettre les pieds, mais il le saurait bien assez tôt…

- « Bonne nuit Serena. »