Invité chez Rivefière ♠ [Victor].

Roland rejoignit son invité dans la pièce chaleureuse, spécialement conçue pour l’accueil et la détente. Il vit le Comte de Rougelac en train de contempler les peintures du salon, peintures qui plaisaient aussi beaucoup au Comte de Rivefière. Même si ce n’était pas lui qui les avait ordonnées, elles étaient présentes bien avant l’arrivée de la famille, elles lui plaisaient et lui rappelaient son Manoir d’antan. Lui aussi possédait beaucoup de peintures murales, égayant et apportant une atmosphère accueillante, propice au bien-être.
La première parole de Victor le dérangea, il masqua avec brio sa déstabilisation, étant tellement habitué à porter son masque, ce n’était que habitude de dissimuler ses émotions. Mais il reconnut que le Comte de Rougelac savait piquer. Ce dernier esquissa par la suite un sourire taquin, signe qu’il plaisantait. Puis, reprit de manière beaucoup plus légère. Roland était rassuré. Même si le Comte les tenait financièrement à la gorge, il ne tolérerait pas être rabaissé et humilié dans sa maison. Qui même si cela était un prêt, pour le moment, c’était son lieu d’habitation, et celui de sa famille, acquise par le Duc, lui seul avait le pouvoir de retirer cela. Il ne laisserait pas intimidé. Il n’était tout de même pas un paysan des bas-fonds, il était juste, bon, loyal. Il méritait d’être respecté. Les problèmes d’argent, certes étaient fort contraignants, mais ne remettait pas en cause tout ce qui faisait sa personne, sa morale et sa dignité.

- « Il est vrai que vous êtes plutôt grand, comme moi. Ravi de voir que le poids des années n’est pas un fardeau trop lourd à porter. Voilà qui m’enlève une crainte, il n’a pas encore affaissé vos épaules, Victor. »

Il esquissa le même sourire taquin que son interlocuteur. Oui, Victor, Roland a lui aussi de l’humour. Ne le prends pas mal, il est bien éduqué, mais a de la répartie. Ce n’est pas méchant, au contraire. Tu as choisi de détendre l’atmosphère, il te suit donc.

Victor vint s’asseoir, l’hôte en fit de même. Leur véritable discussion pouvait à présent débuter, taquineries mises de côté.

- « C’est tout naturel. Il est vrai que nous n’avons pas eu le loisir de converser à notre guise. La dernière fois que vous êtes venu dîné, j’étais occupé à l’extérieur, me semble-t-il. »

La matriarche avait rapporté quelques brides de ce qui c’était déroulé durant ce fameux dîner. Victor et Serena s’étaient apparemment chamaillés, la soirée ne s’était pas déroulée sous les meilleurs hospices. Serena était sauvage, indomptable. Il reconnaissait bien là sa sœur, elle n’était pas du tout du genre à se laisser marcher sur les pieds par un homme tel que Victor de Rougelac. Roland ne l’était pas non plus, mais il agissait peut être plus subtilement, sans foncer tête baissée. Mais il est vrai qu’étant une femme, les choses étaient pour elle, forcément plus compliquées en ces temps.

Victor en vint ensuite à l’objet précis de sa visite, alors il s’agissait des compétences équestres de Roland. Intéressant. Victor aurait besoin de ses services en la matière ? Pour quelqu’un ou pour lui-même ? C’était étonnant qu’un Comte ne sache pas monter à cheval. Personne ne lui avait enseigné durant l’enfance, sa famille ne possédaient pas de chevaux, ou il en avait peut être peur ? Tant de questions qui se bousculaient déjà dans sa tête. Roland était comme cela, il était constamment obligé de tout étudier, analyser, décortiquer. Cela pouvait s’avérer utile, mais aussi usant à la longue. C’était comme si son cerveau n’avait jamais une seconde de répit.
Roland allait répondre à la première question de son interlocuteur, mais celui-ci enchaîna rapidement sur un tout autre sujet, Serena. Sujet ô combien sensible, son engagement dans la milice, entre autres. C’était délicat d’aborder ce sujet avec le Comte. D’une part, Roland n’appréciait pas tellement de parler de sa sœur, en son absence, encore moins avec une personne qui le lui était pas familière. D’autre part, évidemment qu’il rejetait par dessus tout les choix de Serena, mais était-il judicieux d’en faire part à Victor, montrant visiblement leur désaccord, leur faille ? La situation de Serena ne jouait pas en leur faveur, c’était un fait établi et pas un secret. Il décidé de jouer la carte de la sincérité, espérant que cela paie. Inutile de toutes les manières, de nier l’évidence.

- «  Je ne valide en aucun cas la décision prise par Serena. Selon moi, une femme n’a strictement rien à faire dans la milice. Encore moins, une femme de son rang. Il s’agit de ma petite sœur, mon devoir est de la protéger, vous le comprenez aisément. Elle me met en échec en se jetant elle-même dans la gueule du loup, comment pourrais-je accepter cela ? »

Roland avait volontairement écarté la question équestre, Victor avait déjà évoqué le fait qu’il tenait l’information de son père, alors inutile de répondre une deuxième fois par la positive, c’était acquis. De toute façon, le Comte de Rougelac reviendrait de lui-même sur le sujet initial.

- « Pourquoi me posez-vous cette question Victor ? Avez-vous quelque chose en tête au sujet de ma sœur ? »

Oui, Roland n’y allait cette fois pas par quatre chemins. Il ne lui parlait pas de Serena, simplement histoire de faire la conversation, c’était évident. Il jaugeait leur relation, le positionnement de Roland face à la situation, dans quel but ?

Le Comte de Rougelac eut un léger mouvement de tête, ajoutant verbalement qu’il était d’accord avec les propos de Roland. Son humour avait fait mouche, bien. Roland n’était pas véritablement un homme très drôle, c’était en effet loin d’être sa qualité principale. Mais il appréciait tout de même l’humour, tant que l’on se fichait pas de lui. De l’humour courtois, des petits piques pour détendre l’ambiance, cela passait aisément bien, encore plus lorsque l’interlocuteur ne s’en offusquait pas.
Victor fit savoir à son hôte qu’il n’avait pas à s’excuser sur ses absences. C’était certain, il était encore libre d’aller là où il le souhaitait, sans rendre de compte. Il n’en rendait pas sur ce point à son père, il n’allait pas devoir rendre des comptes à un autre homme. Roland était quelqu’un de poli, soucieux de ne pas véhiculer une image désobligeante de sa personne, il s’efforçait de toujours mettre les formes lorsqu’il s’exprimait. C’était dans ses habitudes, il ne se rabaissait pas, il était fort courtois. Il acquiesça simplement suite à ses propos, arborant un fin sourire poli.

Lorsque la discussion tombe sur Serena, le sourire de Roland s’efface presque aussitôt. C’est un sujet épineux, fâcheux, qui cause du tort à sa famille. Mais comment régler la situation, sans se mettre complètement sa sœur à dos, qu’elle décide de s’émanciper, quitter le manoir familial. Il ne le permettrait pas. Il préfère encore la voir dans la milice, que de ne plus la voir certes. Mais le problème est que dans la milice, elle court tout de même un danger réel et sérieux. Tout serait tellement plus simple si elle pouvait revenir sur ses idées.

- « C’est bien aimable à vous de nous soutenir, Victor. J’apprécie le geste. »

Bien sûr, Roland doutait fortement que le Comte de Rougelac agisse de la sorte par simple altruisme. Mais inutile de le provoquer vainement. Gardons en tête qu’il valait mieux s’en faire un allié, qu’un ennemi.

- « J’ai bien l’intention de la ramener à la raison. Cela va plus loin que le déshonneur qui pourrait s’abattre sur notre famille. Elle est mon sang, je m’inquiète pour elle. De plus, je ne connais que très peu les rouages de la milice. Elle se montre si distante ces derniers temps, ce qui n’arrange en rien mes affaires. »

Victor secoua ensuite la tête de gauche à droite, significativement, en réponse à la question de l’aîné Rivefière. Il prit un air désolé pour lui répondre, qui sonnait presque faux. Le Comte de Rougelac était un homme difficile à cerner. Roland avait pour intention de se rapprocher de lui, mais, écartant le côté financier, il serait improbable qu’ils deviennent amis un jour. Victor n’insufflait pas la confiance. Peut être se trompait-il à son sujet, chaque personne avait le droit au bénéfice du doute, mais l’héritier resterait sur ses gardes.

La solution miracle de Victor serait de marier Serena. Évidemment, Roland était d’accord avec cela. Mais il fallait trouver ce bon parti et convaincre sa sœur que ce choix était le seul possible. Après, à elle de voir. Mais si les géniteurs, toute la famille était derrière elle, elle ne pourrait pas leur tourner le dos. Elle a grandi, mûri, beaucoup changé, mais elle reste tout de même leur fille. Elle n’irait pas jusqu’à les renier, c’était impensable.
Roland restait pensif, tout en écoutant la tirade de son invité. Il souhaitait véritablement que Roland lui apprenne à monter à cheval. Et peut être que lui, lui apprendrait à son tour une autre activité. Cela ne pourrait qu’améliorer leur relation et être profitable à tous les deux. Bien évidemment, Roland accepta.

- « J’accède à votre requête avec grand plaisir, Victor. Monter à cheval est un vrai atout, pour un gentilhomme ; Et j’avoue ne pas être trop inexpérimenté dans ce domaine. »

Roland tentait de rester un brin modeste, mais il est vrai qu’il possédait un vrai talent équestre.

- « Nous en profiterons pour poursuivre cette discussion, effectivement. Vous souhaiteriez débuter nos séances dès aujourd’hui ? »

L’affaire Serena mise de coté pour le moment, Victor fit part de sa volonté de s’atteler à cette nouvelle activité commune, qui serait la monte à cheval, sans attendre. C’était parfait. Sachant que le Comte de Rougelac lui rendait visite ce jour, Roland avait également libéré sa journée, ne savant pas par avance comment leur discussion allait évoluer.

- « Très bien. Dans ce cas, je vous propose de nous rendre sans plus tarder dans notre écurie. Si vous voulez bien me suivre, Victor. »

Les deux hommes sortirent donc de la demeure, puis empruntèrent le petit chemin, menant à l’arrière du domaine, là où se trouvaient les chevaux de la famille Rivefière. Bien sûr, un bon nombre d’hommes et de chevaux avaient péris avant d’avoir pu atteindre les portes de la cité. Il restait à présent deux chevaux simplement, celui de Roland, un fier et noble étalon. Ce cheval, entre le coursier et le destrier, dont il avait fait l’acquisition juste avant la fange, était en tout point parfait. Il était assez robuste et très rapide, pour survivre et l’accompagner en extérieur. Et était aussi assez docile pour permettre au Comte de s’exercer avec lui. Un animal fiable et indispensable. Quant au deuxième cheval, il était tout jeune, à peine débourré, même si l’exercice aurait pu s’avérer drôle, le Comte de Rougelac n’apprécierait très certainement pas s’y frotter.

- « Nous allons utiliser mon propre cheval, si cela vous convient. »

Il n’y avait que deux boxes, un donc pour chaque cheval. Ce qui était amplement suffisant pour ce petit espace équestre, que l’héritier avait demandé à aménager pour son loisir. Il y avait un rond, spécialement étudié pour l’apprentissage équestre, un peu plus loin. Le cheval avait bénéficié d’un brossage complet dans la matinée par un domestique, Roland veillait à ce que ses animaux aient toujours les soins quotidiens appropriés. Il ne restait plus qu’à harnacher l’animal. L’héritier aurait bien pu demander à un des domestiques de le faire également. Mais il perdrait davantage de temps à le chercher et lui demander. Inutile, Roland n’était pas de ces nobles ne sachant pas se servir de ses dit doigts, encore moins dans le domaine équestre.

- « Je vais rapidement chercher le matériel, je vous laisse vous familiariser avec la bête. »

Oui, le ton était un brin taquin, mais rien de méchant, encore une fois. Roland revint avec l’équipement nécessaire. Tandis qu’il positionnait le tapis de selle, brodé de leurs couleurs héraldiques, Roland s’adressa une nouvelle fois au Comte :

- « Victor, comment se fait-il qu’un homme tel que vous n’ait pas appris à monter à cheval ? »

Il osa à présent la question, par simple curiosité. Bien sûr, libre à Victor de lui répondre sincèrement ou non.
Le noble héritier positionna rapidement la selle. Aussi, il avait choisi un mors de bride, le cheval serait ainsi plus docile et malléable, même si Roland ne s’en inquiétait pas. Il passa les rênes autour de l’encolure du cheval, voilà il était prêt. Le Comte de Rivefière tenait les rênes dans une main et invita Victor à se mettre en selle, d’un geste de sa main valide. Ce n’était pas très compliqué de monter à cheval, ainsi de sa place, Roland pourrait jauger de l’habileté et de la souplesse du mondain.

Le noble héritier écoutait le bref récit de Victor, au sujet de son enfance. C’est vrai qu’il ne connaissait pas du tout intimement le Comte de Rougelac, il ne savait rien de sa famille, de son enfance, de sa vie avant tout cela. Il dit ne pas avoir eu d’éducation ‘traditionnelle’, qu’entendait-il par là. Cela piqua quelque peu la curiosité du Comte de Rivefière, mais son interlocuteur vont un tant soit peu étayer sa réponse. Il était flagrant que le Comte de Rougelac appréciait les mondanités, au contraire des enfants Rivefière. Enfin, Roland faisait tout son possible pour garder une attitude en tout point respectable envers la noblesse, mais il était aussi bon guerrier. Le combat, l’attitude d’un chevalier, tout cela lui plaisait nettement plus. Mais il comprenait parfaitement que tout le monde ne soit pas du même avis. La chevalerie n’était pas qu’un don inné, cela demandait une volonté propre, un violent désir de faire ses preuves.

Après avoir sellé et harnaché convenablement l’animal, Roland avait donc invité son élève du jour à monter à cheval. Il l’observait avec une certaine discrétion, ne souhaitant pas le mettre mal à l’aise, dans une situation qui lui était visiblement un peu délicate. Il se mit enfin en selle après une ou deux tentatives échouées. L’héritier écoutait Victor, qui ne semblait véritablement pas rassuré. Cela était étonnant de le trouver en pareille posture. Le Comte de Rougelac, toujours fier et un brin arrogant, le voici donc perturbé et décontenancé par un cheval. Intéressant. Non, Roland n’allait pas en profiter pour se moquer, il était bien trop courtois pour cela. Mais la tentation était fort présente, surtout lorsqu’il évoqua Serena. Il imaginait en ce moment sa petite sœur assisté à la scène, elle ne serait pas gênée pour le coup d’émettre quelques railleries à l’égard du Comte. C’était certain.

- « Je l’avais avant la Fange, il a fait le chemin avec moi jusqu’à Marbrume et par chance, il s’en est sorti aussi. »

Roland tapota le cheval sur l’encolure, repensant en un instant au voyage et à l’attaque des Fangeux ce jour là…

- « Je ne lui ai pas donné de nom particulier. Mais, il écoute très bien le son de ma voix et est assez docile, vous n’avez pas à craindre de lui. Tant que vous êtes pas trop brute dans vos mains, du moins. Le mors est assez sensible. »

Roland se rapprocha, indiquant à Victor comment bien placer ses mains, les pouces vers le haut, il retendit les rênes et les place justement dans les mains du Comte.

- « Voilà, ne tirez pas brusquement sur les rênes, il est dressé très sensiblement. Il réagit à de légères pressions, inutile donc d’avoir la main lourde. Et je n’en parlerai pas à Serena, vous avez ma parole. »

De toute manière, s’il se comporte trop brutalement, l’étalon lui fera comprendre en l’envoyant à terre. Et il avait donné sa parole, donc s’y tiendrait au sujet de sa sœur. Même s’il voyait d’avance sa mine en lui contant la scène.

- « Pareil au niveau des jambes, une pression suffit pour le faire avancer, inutile de lui marteler les côtes. »

Si vous êtes prêt, nous pouvons rejoindre le rond, un peu plus haut. Vous serez plus à l’aise, il y a plus d’espace pour évoluer librement. L’espace était aménagé pour le dressage, il pourrait évoluer en cercle, le cheval ayant l’habitude d’avancer sur ce chemin circulaire tracé. Le noble héritier se plaça à gauche du cheval, attrapa le bout de la rêne, proche de la bouche du destrier et guida le nouveau binôme vers le lieu adéquat. Arrivés, Roland vint se positionner tout au centre, il pouvait ainsi observer et intervenir si nécessaire.

- « Aller marche, marche ! »

Le ton était autoritaire, le noble s’adressait bien sûr à l’animal. Il reprit, cette fois-ci pour Victor.

- « Détendez-vous Victor, le cheval est un animal intelligent, il peut sentir votre crispation, sans nul doute. 
Je vous laisse faire tranquillement quelques tours à cette allure, dites-moi quand vous serez prêt à accélérer la cadence. »

Victor se révélait être un élève modèle, il écoutait attentivement les remarques constructives de Roland, respectant ses conseils et s’exécutait sans broncher. Le cheval du Comte de Rivefière obéissait docilement aux ordres qui lui étaient simplement demandés. Le nouveau duo fonctionnait plutôt bien. Victor, au bout de quelques minutes à basse allure, affirma qu’il était prêt à passer à la seconde étape.

- « Parfait, nous allons donc demander au cheval de se mettre au trot, l’allure intermédiaire. Vous effectuerez une pression de jambe, accentué par un léger mouvement de bassin. »

Roland laissa le Comte de Rougelac s’exécuter et accompagna ses dires d’un appel de langue et d’une main levée en direction de l’équidé. Le cheval se lança immédiatement, sollicité par Victor d’une part et appuyé par son maître de l’autre. Le trot était léger, impeccable, bien que l’allure n’était que peu confortable, lorsque l’on ne possédait pas l’assiette requise. L’assiette mesurait le bon équilibre du cavalier, sa résistance aux à-coups, dirons-nous pour simplifier.

- « Deux possibilités s’offrent à présent à vous Victor. Soit vous tentez de rester bien assis au fond de la selle, maîtrisant cette allure très ‘sautée’, soit vous essayer d’appliquer ce que l’on appelle le trot enlevé. En se mettant un temps assis, un temps debout sur vos étriers. Debout-assis, debout-assis, debout-assis. »

La deuxième proposition était la meilleure en terme de confort. Mais pouvait s’avérer difficile à maîtriser du premier coup pour un cavalier débutant. Le Comte essaierait de faire au mieux, selon ses facultés et ses aptitudes.
Après quelques tours, laissant au Comte le temps de se familiariser avec cette nouvelle allure ‘tape-fesses’, Roland reprit la parole, dans le but de dévoiler un nouvel exercice.

- « Nous allons repasser au pas. Oooh la ! ooohh la ! Inclinez-vous très légèrement en arrière et fermez complètement les doigts sur vos rênes, il va ralentir. »

Voilà, inutile de tirer fort sur les rênes, le cheval avait juste besoin de ralentir l’allure afin de passer au pas, il n’était pas question de l’arrêter d’un coup sec. Patience, écoute, voilà qui était la clé du talent équestre. Ce n’était pas qu’un jeu de dominant/dominé. C’ét ait un duo cavalier/cheval, tous deux devaient s’écouter, évoluer ensemble pour toujours progresser.

- « Vous évoluez donc sur un cercle, marchant coté gauche, car votre main gauche est placée à l’intérieur de la piste. Je souhaiterai à présent, que vous écartiez cette même main gauche Victor, offrant à la rêne une belle ouverture, afin que le cheval sorte de sa trajectoire et se dirige droit vers moi, formant ainsi une belle diagonale. »

Roland partait un peu dans la technicité, il ne voulait pas perdre son élève, donc mimait également ses gestes. En fait, il lui demandait simplement de tourner à gauche, pour ensuite regagner la piste et changer de sens.

- « Poursuivez cette diagonale jusqu’au bout, puis tournez à droite, nous changeons donc de main. Et je vous invite à repartir au trot. »

Roland le laissait évoluer, n’hésitant pas à le guider et à intervenir pour l’aider, s’il jugeait cela nécessaire.

Victor avait quelques bourdes, commis quelques maladresse, mais qui n’en ferait pas. Après tout, c’était la toute première fois qu’il montait à cheval, il ne fallait pas se montrer trop exigeant. Après quelques tours de plus au trot, voyant que son élève du jour commençait quelque peu à faiblir, Roland décida qu’il était temps de stopper la séance. Il s’avança vers le duo, prononça quelques mots à l’attention du cheval, de manière à le faire ralentir.

- « Inclinez-vous encore une fois légèrement vers l’arrière Victor, serrez complètement et fermement vos mains sur vos rênes. Nous allons nous arrêtez là pour aujourd’hui. »

Le cheval aurait pu continuer encore un bon moment, ayant l’habitude de séances longues et exigeantes de dressage. Mais pour le Comte de Rougelac, l’effort fournit ce jour était suffisant. Roland guida lui même l’animal au centre du rond, le gratifiant d’une caresse sur l’encolure, avant de s’adresser à Victor.

- « Vous pouvez mettre pied à terre. Pour ce faire, déchaussez vos étriers, penchez-vous en avant, basculez votre jambe droite vers l’arrière et descendez en vous laissant glisser calmement. »

Il le guida une dernière fois. Puis l’héritier prit les rênes, afin d’aller délester l’équidé de son harnachement. Il enleva rapidement le matériel, attachant le cheval à côté, un domestique viendrait s’en occuper généreusement.

- « J’espère que cette première séance vous a plu, Victor. Et que je ne vous ai pas découragé pour les suivantes ? » Un mince sourire en coin se dessina sur son visage. « Vous aurez certainement quelques courbatures dans les jours à venir, ne me maudissez pas. »

C’était bien vrai, pour les non initiés, la monte pouvait procurer un certain inconfort dans les jours suivants. Mais avec la pratique et le temps, cela s’estompait. Monter à cheval faisait travailler bien des muscles, Victor le constaterait bien rapidement.

- « Permettez-moi de vous inviter à l’intérieur prendre un rafraîchissement, nous l’avons bien mérité. »

Margareth avait déjà préparé le nécessaire, des petits gâteaux étaient aussi mis à disposition. Les deux Comtes revinrent donc s’installer au salon. Roland s’assied dans un siège, encourageant son invité à en faire de même.

- « Prenez ce que vous voulez, Margareth a apporté du cidre, différents jus ou vins sucrés. »

Roland avait prit quant à lui un poiré, le goût sucré serait appréciable face à ce moment passé en extérieur, sous des températures un peu fraîches. Le noble ne savait pas si Victor comptait lui parler de nouveau de sa sœur ou d’affaires de cour. Ou s’il préférait se détendre après l’effort, Roland était paré à toute éventualité.

Victor reconnut la difficulté de l’exercice, mais n’en était pas devenu hostile pour autant. IL se représenterait rapidement pour une nouvelle séance, ce qui était tout à son honneur. Il indique également qu’il opterait pour le confort de sa demeure, si de telles douleurs venaient à faire apparition. Ce qui était certain, selon le Comte de Rivefière.

- « Ce serait plus sage, en effet. »

Le regard plein de malice, il répondit de la tête à la volonté de Victor d’aller se reposer un peu et discuter à l’intérieur du manoir Rivefière, avant qu’il rejoigne à son tour le manoir qui était le sien. Laissant son invité se servir également, Roland écouta sa dernière remarque quant à leur séance du jour. A laquelle il répondit, d’un fin sourire rassurant.

- « Vous vous êtes bien débrouillés, avec patience et entraînement, vous ferez certainement de grandes choses à cheval. »

Le Comte de Rougelac, équitation mise de côté, entama une toute nouvelle discussion. Roland se servit un petit gâteau, il était moelleux et savoureux, prit une gorgée de sa boisson, avant de rétorquer aux demandes qui lui étaient faites.

- « Vos compliments me flattent, Victor. Mes parents me poussent beaucoup aussi, c’est grâce à eux que je suis devenu l’homme que vous voyez devant vous, je m’efforce de leur rendre honneur du mieux que je peux. Les affaires sont difficiles pour moi et ma famille, vous ne le savez que trop bien. D’ailleurs, en échange de bons procédés, si à mon tour je peux devenir votre élève, j’apprécierai grandement que vous me formiez à la négociation ou que vous me fassiez, si j’ose le demander, part de quelques bons renseignements. Je sais que vous êtes un homme plein de ressources chez Comte. »

Après tout, il lui accordait de son temps et de son savoir, Roland osait alors à son tour lui demander des services. Même si les deux Comtes s’étaient un tant soit peu rapprochés grâce à la monte, ils n’étaient pas amis. Une dette financière conséquente les liait, et cela bien loin d’être une relation amicale. Mais, grâce aux efforts de l’héritier, peut être que Victor de Rougelac saurait se montrer magnanime.

- « Sinon, il est vrai que je ne reste pas bien souvent inoccupé. Je suis très peu présent au manoir, tentant de me rendre utile auprès de la population de Marbrume. Je fais très peu et c’est dommageable. Mais je vais tenter de me rendre davantage utile, en proposant mes services. Je me rends également au Temple presque quotidiennement, dès que je le peux. Les prières aux Dieux m’aident en ces temps sinistres. 
Et vous Victor, mondanités mises de côté, vous avez bien d’autres occupations qui vous ravissent ? »

Cela n’était pas une offense. Victor devait rencontrer bien souvent les chers parents Rivefière, eux aussi étaient très friands de mondanité. Ce n’était pas le cas de leur aîné, tout simplement. Mais il ne critiquait pas ces pratiques pour autant.