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 L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]

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MessageSujet: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyMer 6 Fév 2019 - 15:42
♪♫♫♪

Le pain. Père de toutes les nourritures, roi des tables, maître des festins, compagnon des aventuriers et voyageurs, consolateur des prisonniers dans les cachots, incontournable ami dans les banquets. De toutes formes et de toutes les tailles, il fascine de par sa simplicité et sa précieuse utilité. Aucun marbrumien n’aurait tenu la disette qui régnait en cruelle maîtresse ces derniers mois sans ce roi gustatif, ces nobles céréales qui couronnent chaque repas. Un cadeau des dieux, une ambroisie céleste.

Voilà ce qui traversait l’esprit du prêtre à mesure qu’il contemplait devant ses yeux fascinés l’œuvre des boulangers devant leur modeste établissement. Il admirait comment le grain était moulu avec force, comment la pâte était pétrit avec vigueur par des mains expertes. Ses prunelles d’ambre étaient envoûtées par les flammes des fourneaux qui dévoraient les ronds blancs avant de recracher un véritable trésor doré. Par les Trois, le parfum qui venait caresser ses narines était si exquis qu’il se sentait emporté vers un monde nouveau où malheurs et chagrins n’avaient pas leur place. Le grondement de son estomac, par contre, lui rappela la dure réalité. Les prix avaient explosé à en juger par l’ardoise de craie accrochée au-dessus de l’entrée de la boulangerie. Certes ils restaient à portée du citoyen lambda, mais jamais on avait vu des prix aussi élevés pour un produit que n’importe qui considérerait comme de première nécessité. Un triste rappel des conditions déplorables de la surpopulation des lieux en comparaison avec la rareté des ressources acheminées vers la cité.

Cesare se souvenait d’une époque où ils avaient un pain complet à chaque repas, fumant et croustillant sous la dent, fondant sur la langue. Une miche suffisait à apaiser les faims les plus voraces. Maintenant, ils se contentaient de pain blanc légèrement moins nourrissant. Il laissait toujours les prêtres sur leurs faims malgré la longueur des miches qui promettent un véritable festin. On se contentait de noyer la faim avec l’illusion d’un estomac remplit d’eau fraîche et un bol d’orge. Chaque jour le jeune ecclésiastique remerciait leurs créateurs pour leur générosité. Les choses auraient put être pires, Marbrume aurait put sombrer dans la famine si de braves âmes n’avaient pas défié les dangers de l’extérieur pour saisir le Labret et approvisionner les survivants.

« Excusez, mon Père ! »

Le prêtre s’écarta de la route pour livrer passage à un bonhomme aux joues cramoisies qui poussait une brouette contenant diverses bricoles à livrer aux orfèvres et forgerons du quartier. La Hanse était décidément plus vigoureusement vivante que les autres ruelles sombres et tristes de la cité. Les gens s’activaient inlassablement dans tous les sens, s’adonnant à un quotidien mouvementé sans montrer un seul signe de fatigue. Le quartier méritait bien sa réputation de cœur battant de la forteresse de l’humanité. Un choix qui lui parut naturel pour rencontrer la créature la plus intrigante qu’il eut à communiquer avec. Sa curiosité était-elle si brûlante à son égard ? Depuis quand s’intéressait-il à l’individu plutôt qu’à la communauté ? Beaucoup de questions qui l’avaient rongé depuis quelques jours, durant ses séances de méditation, au cours de ses confessions, parfois quand il se donnait le fouet pour éclaircir son esprit.

Et pourtant le voilà, à l’attendre, lui qui en ce moment serait déjà plongé dans l’agréable lecture d’un ouvrage parcheminé ou à participer aux chants glorifiant la Trinité dans le Grand Hall.


~~~

C’était hier qu’il avait fait la connaissance d’une autre jeune fille. Elle ne se démarquait point des autres fidèles qui attendaient patiemment leur tour pour être bénits par le bon prêtre et sa mixture consacrée, un mélange d’eau salée, de venin de vipère dilué et de bois de cerf broyés. Quand l’ascète trompa son pouce dans l’urne en céramique contenant le mélange au fort parfum, il fut interrompu par la demoiselle qui sembla le reconnaître à en juger par son sourire malicieux. Cesare ne put l’identifier, non pas qu’il avait une mauvaise mémoire mais parce qu’il donnait des séances à des centaines de croyants par jour, les visages se confondant généralement en une brume commune de traits familiers mais indistincts.

Leur conversation avait été brève, après tout il y’avait encore toute une file de pieux qui attendaient leur tour pour la bénédiction qui les aidera à se préserver du mauvais-œil et des maléfices. D’une voix candide, l’étrangère avait rapidement annoncé :

« Oh mais vous êtes le prêtre dont nous a parlé Ombe ! Vous lui avez fait forte impression la première fois - jamais vu la gamine aussi furieuse... - mais ça s'est arrangé, n'est-ce pas ? Vous devriez prendre le temps d'aller marcher un peu en ville pour discuter, je suis sûre que vous vous êtes mal compris »

Quelque peu décontenancé, Cesare semblait être la proie de deux courants qui le réduisaient à une immobilité de pierre. Ce n’est que lorsque, discrètement, l’amie d’Ombeline saisit la main du clerc que ce dernier reprit connaissance de son devoir et murmura vivement les prières à l’égard de l’âme, du cœur, du corps et de l’esprit de la servante des Trois. Puis lorsque la pulpe de son pouce vint caresser le front de la citoyenne, Cesare lui murmura furtivement :

« Auriez-vous l’amabilité de dire à votre amie que je serais prêt à la rencontrer près de la boulangerie de la Hanse ? À la ruelle des orfèvres, demain après l’aube. Je vous en serais reconnaissant, mon enfant. »

Hochant vivement la tête, la malicieuse demoiselle embrassa les mains salvatrices du beau prêtre avant de s’éclipser, le laissant plongé dans ses réflexions sempiternelles.

~~~

Croisant les mains, Cesare rejoignit un petit carré de lumière qui perçait les nuages matinaux, profitant ainsi d’une chaleur des plus bienvenues en cette période froide et rigoureuse. Un couple de miliciens armés de guisarmes passa près de lui, le saluant d’un geste de la tête respectueux. Le statut de membre du Clergé lui conférait une sécurité sacrée fort réconfortante en ces périodes douteuses où n’importe qui était prêt à commettre un meurtre pour un bout de pain. D’ailleurs il décida de se redonner du courage pour faire face à la journée qui s’annonçait inédite pour son quotidien et commença à murmurer à tue-tête quelques versets qui ne le quittaient jamais, se parant d’une armure de foi et d’un bouclier de piété.

L’espoir de ne pas regretter cette audacieuse décision reprenait le dessus sur ses hésitations grandissantes. Tout au plus cela sera une expérience qui raffermira sa volonté. Il ne pouvait craindre ni corruption ni tentation puisque les Trois veillaient sur leur loyaux servants.

Non ?
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyJeu 7 Fév 2019 - 21:43
Demain après l'aube, devant la boulangerie un peu plus haut.

Ombeline avait battu des cils à plusieurs reprises, incertaine d'avoir bien compris ce qu'on lui disait. Elle demanda que Fleur répète une nouvelle fois l'histoire parfaitement abracadabrante qui lui était arrivée. Cela faisait un peu plus d'une semaine que la jeune femme avait eu son entretien en privé avec le Père Cesare dans les jardins du temple et elle ne soupçonnait pas que son prochain contact avec lui se fasse si rapidement. Pourtant sa comparse était revenue en ce début de soirée avec une fable étrange à propos du fameux prêtre.

Il a dit qu'il était prêt à te rencontrer dans la ruelle des orfèvres, demain, pour t'accompagner en promenade. Tu penses que je vais te laisser être en bisbille avec un saint homme après ce que tu nous as raconté ? Ombe, on ne fait peut-être pas le métier le plus honorable qui soit mais il ne faut pas tourner le dos au temple ni à ses serviteurs ! S'il te plaît, tu vas sortir Kornog de toute façon, marche un peu avec lui et essaye de... D'arrondir les angles ?

La jeune femme poussa un profond soupir par le nez, l'air parfaitement ennuyée par le discours de son aînée. Fleur était une bonne âme, une personne douce et parfois triste sans raison, qui s'inquiétait beaucoup pour elle mais également pour les autres. C'était sans doute la plus pieuse de toutes les filles du bordel et pourtant aucune n'avait renié les Trois. En apprenant les mots qu'avait échangés Ombeline avec le prêtre, elle avait été horrifiée en s'imaginant que le temple pourrait la prendre en grippe et l'excommunier. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait tenté une manœuvre pour que sa cadette puisse s'excuser.
Bien sûr, la concernée n'avait aucunement l'intention de demander pardon, cependant elle ne souhaitait pas faire de peine à Fleur et ne se voyait pas non plus poser un lapin à Cesare. L'idée d'avoir un rendez-vous, même parfaitement innocent, avec cet homme lui donnait l'impression que quelque chose dans le tissu de la réalité allait de travers mais ce n'était tout de même pas une sinécure. Elle rendit donc les armes en promettant de se rendre au point de rencontre à l'heure dite, priant intérieurement qu'aucun client ne lui paye une nuit entière car elle ne se voyait pas sortir aux aurores après avoir dormi deux heures.

La soirée fut active mais elle put aller se coucher seule - quoique Kornog avait réclamé à monter au pied du lit - et put profiter d'une bonne nuit de sommeil avait de se faire tirer des draps par les premiers rayons du jour. Avec assez peu d'entrain elle traîna des pieds jusqu'à la pièce normalement réservée au bain, fit chauffer rapidement un ou deux seaux d'eau devant l'âtre allumé par Dom et entreprit une toilette complète de la pointe des cheveux jusqu'à celle de ses pieds. Malgré le petit passage près du feu, l'eau était plus froide que tiède, mais c'était assez agréable de sentir le savon en début de journée.
Sans plus d'énergie qu'à l'aller, elle retourna dans sa chambre et entreprit de choisir un robe parmi l'incroyable sélection de toilettes qui se proposait à elle. Alors, la bleue ou la rouge ? Considérant que la rouge sentait l'herbe à fumer, elle opta pour la bleue afin d'éviter les réflexions désagréables. Que dirait le père Cesare s'il apprenait qu'elle tirait de temps en temps sur une pipe ? À la réflexion, mieux valait ne pas lui parler de pipes du tout pour éviter de l'effaroucher. S'emmitouflant du mieux qu'elle put dans sa cape, Ombeline siffla son chien qui bondit alors sur ses pattes.

Kornog était un grand garçon bien sage, il avait compris qu'il fallait se retenir de faire pipi partout le matin parce que la maîtresse l'emmenait de toute façon dehors pour soulager sa vessie et s'étirer un peu les pattes. En rentrant il aurait droit aux restes de la veille et s'il avait de la chance, sa maîtresse lui achèterait même un petit quelque chose sur la route comme un os ou des boyaux de poisson. Puis ce serait la sieste. Une vraie vie de chien... C'était qu'Ombeline se découvrait un vrai plaisir à gâter l'animal lorsqu'il se conduisait bien, ce qu'il lui rendait en faisant à merveille son office de garde du corps. Le duo sortit donc dans la vive fraîcheur du matin alors que la ville commençait déjà à grouiller d'activité.

Piquée par l'air froid de l'hiver, la jeune femme sortit tout à fait de sa torpeur et accéléra même le pas pour se réchauffer. Le rendez-vous n'était pas très loin, elle ne mit pas bien longtemps à atteindre sa destination. L'énorme chien sembla se souvenir du prêtre car il approcha au petit trot en poussant de gros aboiements rauques, la queue en l'air. Si Cesare ne représentait pas une menace, il n'était pas encore un ami et l'animal se remembrait très bien le ton entre lui et la maîtresse. Cette salutation bruyante était sa façon de dire "Hey, je me souviens de toi ! Tu as crié sur mon humaine !". À sa suite, Ombeline arriva au coin de la rue, visiblement très amusée par le concerto donné par son chien.

Vous rendez sa promenade infiniment plus intéressante, je suis certaine que ça lui plaît.

Comme toujours lorsqu'elle était dans la rue, elle se plaça du côté du mur pour avoir un repère.

Alors comme ça on donne rendez-vous à une femme non mariée hors de l'enceinte du temple ? J'espère que votre sens moral ne sera pas trop écorné par cette marche en ma présence.

Son ton n'était pas vraiment piquant, il s'agissait plus de taquinerie. Que pouvait-il y avoir de plus plaisant que de taquiner un prêtre à cheval sur la bienséance ?
S'approchant sans sommation, elle tendit une main et lui prit le bras, y glissant le sien avec tout le naturel du monde. Hé, puisqu'il voulait marcher en ville avec elle, qu'il se plie à la règle commune : lui donner un appui pour qu'elle puisse avancer sans trébucher. De plus, il était une source de chaleur à ne pas négliger bien qu'il puisse avoir l'air d'un animal à sang froid lorsqu'il se mettait à parler de ce qu'il fallait ou ne fallait pas faire.

Descendons vers le port. Il faut trop froid pour se baigner mais Kornog aime courir le long de la plage. Et ça vous laissera le temps de m'expliquer pourquoi vous m'avez invitée à vous retrouver ici. Ne me laissez pas dans l'ignorance, je risquerais de me faire des idées, ajouta-t-elle avec un sourire en coin matois.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyDim 10 Fév 2019 - 18:38
Doux Serus ! Le monstre infernal refaisait surface, surgissant telle une chimère engendrée par les foudres de Rikni. Si dans les ténèbres de cette nuit particulière l’animal lui avait parut relativement imposant, la lumière matinale révélait sa robuste constitution de berger marbrumien. Quant le chien s’approcha du prêtre, ce dernier ne put s’empêcher de se tendre comme un arc, son corps anticipant déjà malgré lui la sensation des crocs sur sa chaire. Le limier semblait se rappeler de lui vu ses aboiements menaçants. La présence de la bête à ses côtés lui donnait envie d’appeler les miliciens à proximité, mais Cesare garda son calme et sa superbe. Il n’allait tout de même pas laisser un molosse lui faire perdre toute crédibilité.

Et voilà que sa maîtresse capricieuse et incorrigible faisait son apparition avec un sourire espiègle. Il aurait dut se douter que la volage concubine des damnés allait saisir la moindre occasion de défier son autorité et le pousser au ridicule. Une fois de plus un goût amer se fit sentir dans la bouche du clerc agacé qui tira sur sa robe d’un air supérieur pour la soustraire au flair indécent du chien.

« Tant que vous le tenez en respect. »

Pourquoi ne lui faisait-il pas porter une laisse comme tout le monde ? Décidément cette jeune femme défiait toutes les règles communes auxquelles croyait le bon ecclésiastique. Cet amalgame de défiance, d’insolence, d’orgueil et d’espièglerie formaient un puissant mélange, non pas savamment réunis mais plutôt un cocktail explosif dont le parfum irritait et attirait Cesare comme le loup serait attiré par l’odeur de sang séché. Ou comme le papillon de nuit tournerait follement autour d’une lampe dans la nuit. Elle lui inspirait autant de mépris que de pitié. D’un côté il désirait la moudre et la modeler dans le four de la passion religieuse, la remodeler en parfaite créature et ainsi lui ouvrir les portes de la pénitence. De l’autre, il voulait rester à l’écart de sa présence qui n’était qu’un rappel des vices de ce monde, une effigie vivante de tout ce qui avait été interdit et déclaré comme malfaisant. Pouvait-il espérer l’aider à abandonner sa fierté pour un destin plus prometteur sans se souiller lui-même ? À essayer de porter un démon vers l’absolution, ne risquait-il pas de s’en brûler les mains ?

Sur le navire de sa détermination, il flirtait avec un tourbillon déchaîné mais cachant dans ses profondeurs un trésor sacré. Le marin pouvait à tout moment abandonner la quête et rentrer à bon port, mais pas Cesare. Il était bien décidé à saisir ce trésor et l’extirper des eaux glacées, au risque de se faire happer par les courants impitoyables dans une virevoltante déchéance.

« Mon sens moral est à l’abri de tout préjudice, je vous rassure. Celui qui veille sur sa vertu en fait une forteresse imprenable. »

Imprenable, mais qui semblait être bien exaspérée par les assauts incessants de l’armée de damnés qui peuplaient cette malheureuse cité. Jamais il n’avait vu autant de débauche, de laxisme, de désintérêt au culte et de vices en si peu de temps qu’entre les murs de Marbrume. Une éternelle croisade s’était annoncée pour le brun dès son premier pas au cœur de la ville, vendant ainsi son âme pour une guerre qui semblait loin d’être gagnée.

Soudain il sentit quelque chose se faufiler comme un serpent malicieux entour de son bras, avant de lancer un regard de surprise confuse à la fleur nocturne qui s’était collée à lui. Un contact bien trop intime au goût du prêtre qui ne put s’en détacher au risque de s’attirer la désapprobation des passants qui pensaient qu’il offrait une main charitable à l’aveugle. Ravalant sa gêne, il maugréa néanmoins du coin des lèvres :

« Vous devriez songer à acheter une canne chez un menuisier local, sans doute le bâton jouera un rôle plus conciliant que ma compagnie, comme votre molosse d’ailleurs. »

Entamant les premiers pas le long des rues, le bon clerc jetait de nombreux regards aux alentours plutôt que son habituelle attitude stoïque. Les prunelles d’ambre semblaient guetter la moindre menace avec une paranoïa qu’il ne se connaissait pas. Les murs semblaient se rapprocher discrètement en un étau menaçant, les ombres des ruelles susurraient de vicieuses conspirations, les citoyens lançaient des regards curieux qui l’irritaient. Se demandant soudain pourquoi il était à ce point sur ses gardes, il se rendit compte que sa posture était particulièrement rigide et sa démarche presque mécanique. Sa main libre se porta sur sa mâchoire crispée et la massa légèrement pour en soulager les muscles tendus. Peut-être était-il un peu trop sur le qui-vive, nullement à l’aise en compagnie douteuse. Sa stricte morale reprenant le dessus, il adopta une posture plus confiante.

« Votre amie dont je dois louer la fidélité ponctuelle au sein du Temple m’avait proposé d’enterrer la hache de guerre entre nous deux. Devant l’innocence d’une demande aussi sincère, j’ai décidé de vous accorder audience tout en visitant un peu plus les lieux de vie des citoyens dont j’ai la charge spirituelle. »

Le parfum salé qui commençait à attaquer leurs narines lui indiquait qu’ils s’approchaient du port. On pouvait déjà entendre le brouhaha des vendeurs de poisson exposer les produits de la mer au peuple affamé. La pêche était en effet la principale source de nourriture au vu de la difficulté d’accès aux autres nourritures plus terrestres. Le port s’était donc aussi convertit en marché local où les citoyens se bousculaient sur les dalles boueuses et les arrêtes fumantes dans l’espoir d’acheter quelques maigres provisions.

« Mais dîtes-moi plutôt, avez-vous songé à enfin quitter le berceau qui vous entrave pour vos tourner vers de plus nobles occupations ? Peut-être avez-vous déjà envisagé un futur métier qui serait à votre portée. »

Ses expectations n’étaient pas grandioses concernant la malheureuse âme perdue pendue à son bras, mais au moins s’inquiétait-il un minimum pour elle, comme un honnête professeur se soucierait de l’avancement d’un élève particulièrement cancre et désespérant. L’inquisiteur n’était pas sans cœur, après tout.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyLun 11 Fév 2019 - 18:26
Sans trop de surprise, le bon père Cesare s'écarta d’elle autant qu'il put, comme si elle était porteuse d'une maladie contagieuse. Cet homme avait le don rare et fabuleux de pouvoir insulter les gens autour de lui, même sans ouvrir la bouche. La jeune femme leva les yeux au ciel et se retint à grand-peine de ne pas planter ses ongles dans le bras qu'elle tenait lorsqu'il lui fit la remarque qu'une canne pourrait l'aider.

Je n'ai pas besoin d'une canne pour marcher. C'est simplement plus confortable de pouvoir mettre ses mains au chaud dans les plis de votre vêture, répliqua-t-elle d'un ton dégagé, comme s'il s'agissait là d'une évidence.

Puisqu'il ne l'avait pas tout à fait dégagé de son bras et qu'il se contentait de ronchonner avec humeur, elle ne lui fit pas le plaisir de le lâcher. Il ne fallait pas exagérer non plus, elle ne se frottait pas à lui de tout son long alors il pouvait bien tolérer le poids de son bras et sa présence à moins de deux pas de sa sacro-sainte personne, tout de même !
Ils prirent le chemin vers le port, se laissant porter par la pente qui les entraînait vers la mer. Les rues du port directement reliées à la Hanse étaient un peu plus glissante mais on prenait soin de jeter de la paille pour éviter que les chariots ne s'embourbent en passant. L'activité, quoi qu'amoindrit à cette époque de l'année, y était assez intense. Si l'étrange duo avait décidé de prendre vers le sud, ils auraient vu les maisons propres et un peu entassées du quartier commerçant céder la place à des bâtisses plus sales, des rues véritablement boueuses et sentit une odeur d'algue mélangée à celle des embruns. Les marées et les grandes vagues que le mauvais temps pouvait soulever venaient souvent lécher le pied des habitations ou ramper dans les rues les plus basses, charriant algues, débris de coquillages, crabes morts et écume odorante jusque dans la ville. Le bois vermoulu de certaines fondations pouvait attester du niveau de l'eau et de ses visites récurrentes. Le coin du Goulot qui se frottait au port était sans doute le plus sordide de tous les guêpiers de la ville. Ombeline veillait à ne jamais s'aventurer trop au sud du port.

Se laissant guider par le prêtre, la jeune femme eut tout le loisir de profiter de l'atmosphère des lieux et de s'imprégner des bruits. Le roulement des charrettes sur les pavés, le bruit des pas un peu humides, les mouettes qui criaient alors qu'ils approchaient des marchés aux poissons. Elle aimait cette animation, cela lui rappelait confusément son enfance.
Lorsque Cesare reprit la parole, elle ne put s'empêcher de pouffer de rire. Comment cela "accorder une audience" ? Était-il sérieux lorsqu'il disait ça ? Se voyait-il vraiment comme un grand seigneur qui, profitant d'arpenter ses terres pour superviser l'activité quotidienne des gens qui y vivaient, écoutait d'une oreille les requêtes ou les excuses de ceux qui n'étaient pas dans ses bonnes grâces ? Ce qu'il ne fallait pas entendre !

Ah oui, une audience ? Parce que moi je crois me souvenir qu'on m'ait dit que vous m'avez donné rendez-vous sans que je ne demande rien, fit-elle avec un petit sourire en coin narquois.

Il ne manquait pas d'assurance celui-là, elle devait le lui reconnaître.
La foule plus dense l'obligea à faire un peu plus attention à ses pas et à deux reprises elle trébucha, se rattrapant rapidement au bras qu'elle tenait pour ne pas perdre l'équilibre et continuer à marcher. Évidemment, Cesare marchait au milieu de la rue et non pas près des murs comme elle avait l'habitude de le faire. Il en vint à lui demander ce qu'elle envisageait comme avenir pour sortir de la prostitution. Encore cette histoire ? Au moins il ne lui parlait plus de venir au temple.
La forme noire de Kornog se faufila à travers les badauds et Ombeline la suivit, sachant très bien vers où elle se dirigeait : les quais et la plage. Ils y seraient tous les trois plus au calme pour profiter de cette froide matinée. Le vent soufflait presque en continu mais le ciel semblait se dégager petit à petit, laissant voir le soleil plus longtemps. La catin entraîna le prêtre pour passer à travers le flux de personnes qui arpentait les étals. Ça se haranguait d’un côté et de l’autre, les mères de famille venaient négocier quelques crevettes grises ou des sardines, les pêcheurs chargeaient ou déchargeaient les caisses derrière les étals, les gamins profitaient du manque de surveillance pour jouer ou se disputer, parfois chaparder. La vie battait tranquillement son rythme quotidien malgré les yeux fatigués, les joues un peu creuses et les vêtements encore plus fatigués qu’ils n’auraient dû l’être.

Je dois encore rembourser quelques écus, intervint la jeune femme. Vous n'êtes pas familier du système monétaire d'une maison close, n'est-ce pas ? Laissez-moi vous expliquer.

Tout en avançant, elle lui expliqua le système de payement de son établissement : les clients donnaient la somme convenue pour une prestation particulière, Dom empochait le tout, Madame faisait les comptes et redistribuaient un petit pourcentage du gain d’une fille à la concernée. Si le gain était faible, on ne récupérait rien, et s’il était trop faible, la dette se creusait en conséquence au lieu de se recouvrir. Ainsi il y avait toujours une petite dette, une petite somme à rembourser, un petit quelque chose à devoir à la patronne et à l’établissement.

Alors vous voyez, gagner un seul écu est une gageure même pour une fille qui fait de bonnes soirées. À moins que je ne me découvre tout à coup une fortune insoupçonnée léguée par de la famille, je ne peux pas rembourser ma dette si facilement. Après si vous avez cinq écus à m'offrir... Je saurai me montrer reconnaissante, fit-elle avec un petit air enjôleur qui lui allait fort bien.

Ils parvinrent à s’extirper du flot de passants pour gagner un quai. Un petit escalier glissant taillé dans une pierre fatiguée descendait jusqu’à la grève. Kornog ne les attendit pas et fila au galop rejoindre la bande de sable gris que la mer venait lécher paresseusement.
Ombeline quitta le bras du Père Cesare pour descendre les marches, d’un pas précautionneux et la main appuyée contre les murs autant que possible.

Quel métier voudriez-vous que je fasse, mirote comme je suis ? Je ne pense pas que couturière, lavandière ou même serveuse puisse me convenir.

Elle posa enfin le pied sur le sable. Le mouvement et le bruit des vagues à sa gauche, le quai en pierre, surélevé de plus d’un mètre, à sa droite et son chien qui n’était qu’une tache toute noire en pleine cavalcade le long du rivage, heureux de sentir le vent dans sa fourrure. Le bonheur excité du molosse la fit sourire lorsque ce dernier revint en trombe vers eux avant de faire un demi-tour serré pour repartir.

Et vous, avez-vous songé à ma suggestion à propos de votre façon d’aborder vos croyants ?
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyMer 13 Fév 2019 - 22:32
« Une erreur de communication, il semblerait. On ne peut blâmer votre amie, la présence réconfortante de la spiritualité qui imprègne chaque pierre de notre Temple peut souvent emporter les esprits et faire trébucher les langues. Quoi qu’il en soit, nous voilà à nouveau réunis sur un désaccord. »

Pour le meilleur comme pour le pire.

Enjambant les arrêtes de poisson qui jonchaient le sol, son regard se perdait dans la foule de marchands, pêcheurs et citoyens qui s’activaient hardiment à survivre, à travailler pour subsister, à tenir tête à la dramatique situation qui condamnait Marbrume. Malgré les loups à leurs portes, la rareté des provisions et les conditions insalubres de vie, les derniers rejetons de l’humanité continuaient à se battre, guidés par un instinct ancestral de survie. Ils improvisaient, s’adaptaient, surmontaient les difficultés, se contentant du peu et en tirant le meilleur.

Des mouettes se rassemblaient en véritable gang de chapardeurs autour des étals de poissonniers qui étripaient avec une experte rapidité la viande maritime, laissons tomber à leurs pieds boyaux et autres organes non comestibles, en tout cas pour les moins désespérés. Des chats rivalisaient avec les oiseaux, s’arrachant la première bouchée de viande fumante qui tombait sur le sol boueux dans un bruit mou. Cesare s’étonnait presque de ne pas voir de rats grouiller un peu partout mais il savait que les rongeurs étaient plus discrets et furtifs que les autres opportunistes. C’est justement en y pensant qu’il vit dévaler un rat d’une taille effarante, véritable boule grisâtre qui fusa comme une flèche vers les grilles rouillées et éventrées d’un égout proche, tenant entre ses crocs une tête de sardine luisante.

Quand il y pensait, ils n’étaient que des rats. Furtifs et vulnérables, tournant en rond dans les ténèbres, s’emmitouflant à s’en étouffer pour se protéger tout en tentant de grimper l’un sur l’autre dans l’espoir d’avoir accès à un peu d’air frais, un peu de cette nourriture si difficile à partager. Ils étaient comme un groupe d’aventuriers au cœur d’une forêt hostile et inhospitalière. Encerclés par les ronces, le murmure furtif du vent, des yeux qui les épiaient dans l’ombre des buissons. Difficile camaraderie, au bord de l’affliction, autour d’un feu de camp ténu. Les heures les plus sombres du royaume.

C’est d’une oreille à la fois attentive et hésitante que le clerc découvrait les rouages de la finance au sein du domaine de la luxure, ses règles et ses procédés. Simple et détestable. Son estomac se nouait presque rien qu’à visualiser ces tordus personnages qui ramassaient impunément l’or acquis par leurs filles condamnées à vivre dans le péché sans pouvoir s’en libérer. C’était de l’esclavage à la seule exception, aux yeux du prêtre, que les esclaves s’arrachaient un lambeau de leurs âmes chaque jour. Petit à petit elles devenaient des épaves irrécupérables, condamnées à errer dans les océans noirs et troubles, loin du repos éternel. Que des personnes profitent pleinement du péché des autres pour s’enrichir le dégouttait immensément. Mais sa colère avait aussi pour avantage intrinsèque de lui faire découvrir que ce n’étaient pas les malheureuses prostituées qui étaient à blâmer pour la perdition de leurs clients égards, mais bien leurs geôliers qui s’engraissait sur leurs dos.

Si Ombeline se montrait enjouée dans sa description de ce détestable système, le père spirituel lui avait changé d’attitude envers elle, troquant son masque indifférent et hautain pour un visage un peu plus triste. Les rides sur son front, ses prunelles dorées perdues dans l’horizon, ses lèvres couleur de corail plissées comme une balafre, des signes évidents d’une colère lointaine et contrôlée.

« Une fois de plus je découvre, grâce à vous, l’étendue de l’indifférence que porte les humains à leurs frères et sœurs. On dit que nous sommes crées à l’image de nos Dieux et pourtant, voilà que j’entend de vos propres lèvres parler d’individus vous poussant à abandonner jour après jour les règles les plus importantes de notre foi, à les ignorer … non, à les transgresser pour quelques écus qui ne leurs apportent que le maigre confort de cette vie en échange d’une éternité d’horreur dans l’au-delà. »

Cesare ne remarqua qu’ils étaient sur une plage grisâtre que lorsqu’il sentit les grains de sable s’immiscer dans ses sandales de cuir, lui arrachant un petit frisson. Ses orteils étaient si froids que ses sens en étaient presque inhibés. L’air marin était froid, glacé. La robe de l’ascète ne lui accordait qu’une maigre protection contre les caresses du vent. Pourtant son sang lui brûlait par l’ardeur de ses émotions. Après tout, il était du genre à se perdre totalement par la tempête de ses pensées et l’ouragan de ses sentiments. La colère, entre autre, l’aveuglait littéralement au point où il se détachait de la réalité comme ces dérangés qui se visualisaient déjà commettre un crime, encore et encore. Ce problème qu’il avait était chronique, récurrent. Ce soir, il allait devoir s’isoler dans le silence apaisant de la méditation pour se libérer de déception humaine qui risquait de noircir son désir de guider les esprits vers l’illumination divine.

« Vous devez vous libérer de ces chaînes qui vous traînent vers la damnation. Le salut de votre âme importe plus que tout, même à mes yeux. Bien sûr, il est aisé pour moi de vous dire ça tout en sachant que vous extirper de ce bourbier est une affaire difficile et délicate. Ma volonté de vous venir en aide était sincère, la dernière fois que je vous ai proposé de rejoindre nos rangs. Mais sans doute la vie au sein du Temple ne vous convient pas. »

Il s’humecta les lèvres tout en suivant du regard le chien enjoué gambader par-ci par-là à travers la plage. Une joie simple, primitive, pure. Un don que les humains ne pouvaient rêver d’acquérir avec toute la complexité de leurs esprits, puzzle vicieux avec ses avantages et ses limites. Quelle ironie, que l’animal sois plus libre que la plus intelligente création des dieux, des êtres qui s’enfermaient dans leurs propres règles sociales de peur de s’autodétruire.

« Peut-être qu’il existe une profession qui m’échappe, quelque chose qui vous irait bien. Vos mains doivent avoir quelques talents tactiles que j’ignore, à vous de voir comment les utiliser. Peut-être dans l’artisanat ou la médecine. Servir en tant que ménage dans une demeure de bourgeois ou de noble, après tout vous êtes jeune et ravissante, je suis sûr … »

Venait-il de lui faire un compliment ? Incroyable et insensé. Surprit par l’audace de sa propre langue, il se tut rapidement avant qu’il ne trahisse son désarrois, le camouflant par une tentative de regarder derrière lui comme si un son ou une forme avait attiré son attention. Il épousseta brièvement sa robe cléricale en fixant le vol de mouettes par-dessus les récifs couverts d’algues odorantes.

« Mes méthodes n’étaient pas souples mais avaient pour avantage d’être justes et strictes, comme la loi. Néanmoins j’ai constaté que penser un peu plus comme un homme et un peu moins comme un émissaire céleste m’a permit de mieux me détacher du sentiment de rancœur qui pouvait m’animer durant les confessions des fidèles. Cependant ce mérite a aussi pour désavantage de me laisser appréhender la noirceur de nos âmes, de me perdre dans le décodage des mystères qui poussent chaque individu à faillir, à succomber, à goûter à l’interdit. Ainsi je comprends que le fruit défendu est souvent le plus juteux et attirant du jardin, notre espèce est vulnérable face à la tentation de posséder ce qu’elle n’a pas. Sans doute est-ce la décision des Trois de nous faire ainsi, si faibles, si fragiles … Ne pensez-vous pas ?»

Il était curieux de connaître l’avis de la dame de joie concernant cette question plutôt philosophique, un thème très peu abordé au sein du Clergé.

« Généralement on nous défendrait de nous approfondir dans ce genre de sujets, la contemplation peut nous mener à nous perdre dans les abysses de la réflexion et ne jamais y revenir. Une épée à double tranchant. Cependant j’ai confiance que mes convictions sont aussi solides que les murailles de notre cité et je ne doute pas que votre vision des choses m’aidera à mieux appréhender la façon de penser de vos proches et vos pairs. »


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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyDim 17 Fév 2019 - 19:38
Malgré le ton un peu supérieur, le phrasé un peu ampoulé, Ombeline percevait plus de bienveillance dans les paroles de Cesare qu’il n’en avait eu lors de leur première rencontre ou même pendant cette petite conversation dans les jardins. Elle n’était pas certaine de savoir si c’était là une volonté de sa part de répondre aux attentes qu’elle avait ou s’il le faisait sans se rendre compte, mais elle appréciait. Bien sûr il parlait toujours de sauver son âme, de se détacher des vices et de la corruption de cette vie de débauche qu’elle menait, cependant il avait adouci sa verve et elle s’en trouvait elle-même plus adoucie. Elle n’en perdait pas pour autant sa nature car lorsqu’il parla de l’habileté qu’elle devait détenir et dont il ne savait rien, la donzelle dut faire un effort pour ne pas lui proposer de constater par lui-même ce qu’il pouvait en être. La réplique était cependant trop évidente et sa victime trop prude pour qu’elle s’aventure à l’exprimer à haute voix. Dommage.
Elle faillit lui répondre que pour être femme de ménage encore fallait-il voir où se trouvait la poussière, cependant son élan fut interrompu par l’incongruité d’entendre dans la bouche si sévère du prêtre un compliment tout à fait charmant. Mais qui était donc cet homme sur la plage qui se faisait passer pour le Père Cesare ? Aurait-elle perdu le vrai prêtre sur le marché au poisson tandis qu’un parfait inconnu prenait sa place ? La surprise était néanmoins agréable et Ombeline n’eut même pas envie d’asticoter son partenaire de promenade. Ç’aurait été dommage de le décourager à poursuivre cette voie en se moquant, même gentiment, de cette initiative involontaire.

Merci… Ne vous inquiétez pas tant pour moi, je trouverai à m’occuper le moment venu.

Un peu plus loin, Kornog semblait avoir trouvé un crabe et lui tournait autour d’un air excité tandis que le pauvre crustacé faisait de son mieux pour rejoindre le couvert d’un rocher. À plusieurs reprises il brandit ses pinces pour faire reculer le molosse mais ce dernier finissait toujours par le chahuter d’un coup de patte dans une tentative désespérée de s’en faire un compagnon de jeu.

Mes méthodes n’étaient pas souples mais avaient pour avantage d’être justes et strictes, comme la loi. Néanmoins j’ai constaté que penser un peu plus comme un homme et un peu moins comme un émissaire céleste m’a permis de mieux me détacher du sentiment de rancœur qui pouvait m’animer durant les confessions des fidèles. Cependant ce mérite a aussi pour désavantage de me laisser appréhender la noirceur de nos âmes, de me perdre dans le décodage des mystères qui poussent chaque individu à faillir, à succomber, à goûter à l’interdit. Ainsi je comprends que le fruit défendu est souvent le plus juteux et attirant du jardin, notre espèce est vulnérable face à la tentation de posséder ce qu’elle n’a pas. Sans doute est-ce la décision des Trois de nous faire ainsi, si faibles, si fragiles … Ne pensez-vous pas ?

La jeune femme releva la tête pour le regarder, le visage légèrement penché sur le côté comme si elle l’interrogeait. Le soleil qui perçait à travers les nuages semblait parvenir à percer également à travers la brume de ses yeux et révélait le bleu opalescent qui se cachait derrière. Il renvoyait quelques reflets couleur corbeau sur ses cheveux attachés et ravivait la teinte rosée de ses lèvres. Elle semblait ainsi moins fade et terne, un peu plus vivante peut-être. La question semblait l’avoir plongé dans une sincère et profonde réflexion dont elle mesura les mots avant de les exprimer.

Je pense que la perfection vers laquelle nous poussent les principes divins ne doit pas être un objectif à atteindre, mais plutôt une direction vers laquelle il faut tendre au mieux. La perfection n’est l’apanage que des Trois, pas celui des hommes.

Son pied heurta quelque chose et le projeta un peu plus loin, attirant l’attention de la jeune femme qui se pencha alors pour le ramasser avec précaution. Il ne s’agissait que d’un petit galet poli par les vagues.

Il est illusoire de croire que l’on peut s’abstenir de tout vice et de toute tentation, que l’on peut mener une existence entièrement vouée au bien et à la pureté. Nous ne sommes pas fais pour l’être parce que s’il l’on essaye, on finit comme vous par devenir froid et distant, incapable de comprendre les autres et alors de leur pardonner ou même de les écouter.

Ombeline s’approcha du rivage, là où les vagues léchaient le sable et le rendait plus sombre et plus compact. La pierre en main, elle prit deux pas d’élan et la lança le plus fort possible vers le large, au hasard, la perdant rapidement de vue. Même le « plouf » de son petit galet s’écrasant dans les flots lui échappa, couvert par le cri des mouettes.

Et à l’inverse, si on ne se surveille pas un peu, on finit par devenir une bête plus qu’un homme. On tue, on viole, on pille sans respecter plus rien. Ce n’est pas souhaitable non plus. Alors je dirais qu’il faut choisir ses vices et ses travers, ne pas tomber tout à fait dedans et surtout s’accrocher à quelques valeurs que les Trois nous ont enseignées pour maintenir un équilibre, conclua-t-elle en se retournant vers le prêtre. Je crois que je préfère fauter par luxure que par colère ou ambition. Vous-même avez quelques défauts, à commencer par cette colère assassine qui vous monte si facilement au nez. Vous étiez si furieux lorsque nous nous sommes rencontrés l’autre soir que j’ai bien cru que votre cœur allait éclater. Alors si même vous, qui passez votre vie à suivre l’enseignement des Trois, avez une faille aussi béante, je ne doute pas que vous en ayez d’autres. C’est bien la preuve que malgré toute la bonne volonté du monde, nous ne sommes pas fais pour être parfaits.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyMar 19 Fév 2019 - 22:13
La main du prêtre caressa lentement son menton, les doigts glissant sur les angles imberbes de sa mâchoire d’un air pensif. L’exercice de la philosophie dans le domaine théologique était un terrain glissant et de ce fait dangereux à pratiquer. Il fallait prendre de grandes précautions des deux cotés pour éviter à la fois d’indigner celui qui était attaché à sa foi par des propos jugés hérétiques, mais aussi d’agacer celui qui voulait comprendre la religion dans toutes ses facettes et ne supporterait pas un avis aveugle. De ce fait, il s’agissait de bien peser ses mots tout en se mettant sur un commun accord de partage d’avis et d’opinions sans jugement. Chose difficile, hélas, surtout pour un homme de foi dont la plus tendre enfance fut passée entre les quatre murs d’un petit temple de campagne, à apprendre ses versets sous la lumière qui filtrait d’une petite meurtrière.

Il faisait des efforts colossaux pour ne pas tiquer au premier mot de travers qui pourrait sortir des lèvres d’Ombeline, une tâche lourde et surtout éprouvante psychiquement. Ses mots avaient du sens, il n’était pas à ce point aveugle pour ignorer les vérités cachées. Par contre, son cœur de bon petit ecclésiastique ne supportait tout bonnement pas qu’on puisse accepter nos faiblesses face aux vices comme une fatalité, une partie prenante de notre vie, une pièce du tout qui nous compose. C’était tout bonnement insensé ! Il ne pouvait clairement pas accepter une telle idée ! La fatalité de la faiblesse humaine ne devait en aucun cas être un prétexte pour justifier ses actes indignes et malhonnêtes. Là encore, elle avait réussit à donner une réponse qui n’avait pas mordu la fierté religieuse de Cesare tout en partageant son avis sur les péchés et l’homme. La conversation pouvait donc continuer sans souffrir de l’ignorance de l’un ou son exaspération.

« Choisir ses vices, comme vous dites, me paraît être une solution bien trop réconfortante pour ceux qui sont encore habités par le doute d’être un jour délivrés de leurs fardeaux spirituels, incertains que le repos éternel leur soit accordé. »

Croisant ses mains derrière son dos, il commença à longer le rivage, évitant la limite où les vagues glacées venaient lécher le sable grisâtre de cette froide journée. L’indocile avait toute liberté de le suivre au vu de son rythme délibérément lent, enjambant les coquillages vides qui s’était échoués comme autant d’épaves à ses pieds, abandonnées par ses résidents.

« Notre existence entière, de notre naissance jusqu’à l’appel du linceul, est une balance. D’un coté nous avons nos bonnes actions, notre vertu, ce qui fait de nous les bons fidèles que nous somme sensés être. De l’autre se trouve le cumul de nos péchés, crimes, infidélités et hérésies. Naturellement toute personne désirera avoir le bon côté comme étant le plus lourd et ce afin que les portes célestes lui soient ouvertes. L’équilibre est extrêmement difficile à maintenir en sachant qu’il est infiniment plus aisé de succomber à la tentation, de trahir, tuer, blasphémer. On peut se dévouer à de nobles causes et servir ce qui est bon et juste, mais autant de bonne volonté peut s’avérer fragile face à la marée noire du côté sombre de la balance qui s’alourdit si aisément. Du coup peut-on réellement se permettre le luxe de choisir nos vices en sachant qu’on se condamne à ne plus jamais voir la lumière promise ? »

S’arrêtant soudainement, il se retourna brusquement en face d’ Ombeline et se pencha vers elle, ses yeux à la couleur d’ambre brillant d’un éclat de fauve, pétillant d’une lueur intense. Ses sourcils étaient froncés et son visage exprimait à nouveau cette expression sévère qui le quittait si rarement.

« Dîtes-moi franchement : pouvez-vous mesurer exactement les deux bras de votre propre balance ? Vous priez les divins, vous aidez peut-être ceux qui vous sont chers, mais vous êtes aussi la victime d’un des fléaux défendus. Seriez-vous prête à parier sur l’espoir que vos bonnes actions triomphent sur l’équilibre précaire de votre âme ? »

Une question dont il ne voulait pas entendre la réponse, pensant qu’elle était tout simplement évidente. On ne peut savoir si nous avons suffisamment de bon en nous pour se garder une place auprès des créateurs. La noirceur de l’âme pouvait être si insidieuse qu’elle estomperait tout souvenir d’actes relativement détestables et interdits, la mémoire ayant tendance à tenter de faire disparaître tout souvenir désagréable et maladif.

Un long soupir s’extirpa difficilement de sa poitrine. Agacé par le courant mordant de la mer, il invita d’un mouvement de la tête la jeune prostituée à se réfugier avec lui vers le climat moins impitoyable des docks où les mouettes faisaient fureur, attaquant de leurs becs acérés les bancs de crabes imprudents attirés par les daphnés emprisonnés dans les petits bancs aquatiques creusant les rochers paresseux. Un groupe de joyeux bambins aux vêtements décolorés et aux nez humides s’amusaient à rompre les formations de soldats à plumes blanches en riant aux éclats, tentant d’attraper entre leurs mains couvertes de sable humide les oiseaux qui s’éclipsaient à grand caquètements indignés.

Frottant ses mains l’une contre l’autre pour générer une chaleur bienfaitrice qui sauverait ses doigts d’une gelure inattendue, l’homme semblait bien las et désespéré, comme ces figures qu’on voyait taillées dans les murs du Temple, représentant ces saints et ces martyrs aux mines si affligées et tristes. Des gens qui ont porté le poids des péchés de leurs communautés, qui ont vu à quel point décadence et corruption régnaient en maîtresses dans le cœur des hommes. Cesare se prenait peut-être pour une de ces figures ou tout du moins essayait-il d’acquérir une infime parcelle de la grandeur de ces idoles humaines. Ses yeux épuisés étaient ceux de quelqu’un qui fréquentait un monde de damnés, un témoin au cœur d’un univers où les âmes rongées par leurs vices se déplaçaient en cohortes fuligineuses, évoluant dans les miasmes sulfureuses du mal qui les enveloppait. Voilà pourquoi elle le voyait comme une statue de glace, elle qui à ses yeux était une petite flamme mourante, au bord de l’extinction. Une flamme qu’il pensait pouvoir ranimer pour peu qu’il intervienne avec la vigueur nécessaire. La nuit est sombre et chaque bougie qui s’éteint est un territoire de plus pour la victoire des ténèbres.

« L’humanité a un don et une responsabilité, c’est le pouvoir de choisir, de décider plutôt que d’être qu’une marionnette sans âme. C’est une preuve de la grande confiance que nous accordent nos créateurs, qu’Ils soient mille fois loués. De ce fait, mon cœur ne peut que se tordre et mon sang brûler dans mes veines quand je vois ce don utilisé pour bafouer tous les interdits sous prétexte que notre espèce est bien trop fragile. Nous pouvons devenir meilleurs pour peu qu’on enjambe les pièges tendus par de fourbes démons pour nous priver de l’ultime récompense. Je veux sincèrement aider les gens et je crois que la seule façon de le faire est de libérer leurs âmes du péché. Les fangeux sont le parfait exemple de ce qui arrive quand la noirceur de nos êtres prend manifestation physique. Je ne veux pas que les derniers enfants des Dieux deviennent à leur tour des abominations anthropophages. Voilà pourquoi je m’étais emporté en découvrant ta profession, tout comme je m’offusquerais de bien d’autres blasphèmes. »

Joignant ses deux mains sur son visage, il se massa le front ridé et les joues glacées, les paupières fatiguées et la peau épuisée.

« Rédemption dans la pénitence, absolution dans l’acceptation, libération par le dévouement … On ne peut faillir. »

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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyVen 22 Fév 2019 - 16:40
Suivant le mouvement, Ombeline avait délaissé les vagues pour suivre le prêtre et continuer la promenade. Il fallait reconnaître que la conversation avait pris un tour inattendu et beaucoup plus profond qu'elle n'aurait pu l'imaginer, cependant elle ne trouvait pas désagréable de converser ainsi sur le sens des choses. Pas désagréable du tout. Au quotidien elle n'avait pas grand monde avec qui discourir en long et en large, les filles avaient leurs propres activités et les clients il ne fallait pas compter dessus. Une prostituée qui veut parler de bien et de mal en s'interrogeant sur la bonne conduite à avoir devant les dieux, c'était à l'opposé de ce qu'ils venaient chercher à la Balsamine. Tous n'étaient pas des bœufs complètement idiots, mais tout de même. Il faudrait peut-être penser à remercier Fleur pour cette initiative une fois de retour.

Le brusque volte-face de Cesare la fit piler net et tandis qu'il se penchait avec ce qu'elle devinait être une expression renfrognée, un peu de lumière du jour fit briller la pupille du prêtre, assez fort et assez proche d'Ombeline pour qu'elle la voit presque nettement. Elle se fit la réflexion que si cette couleur miel n'était pas un tour de son imagination, alors il devait avoir un regard très troublant pour ceux capables de le croiser. Elle regretta un peu de ne pas en faire partie et se sentit rougir de penser à ces futilités alors qu'il lui demandait si elle était capable de mesurer l'étendue de ses fautes. Décidément elle n'était pas faite pour se tenir sage très longtemps, même si elle le voulait. Elle maugréa donc un "je suppose que non" avant de reprendre sa marche.
Ils quittèrent la proximité des vagues qui plaisaient tant à la jeune femme malgré avoir pris son père des années auparavant et revinrent vers les docks où piaillaient les mouettes. Kornog était occupé à explorer entre les rochers un peu plus loin et ne s'intéressait pas aux enfants ni même aux adultes qui discutaient. Tout était paisible, il était presque aisé de s'imaginer que la fin du monde n'avait pas eu lieu et que hors de Marbrume, tout était normal.

La jeune femme écouta avec attention le plaidoyer du prêtre. Elle pouvait presque sentir la même fatigue s'abattre sur ses épaules et le croyait aisément lorsqu'il disait vouloir aider. Il était convaincu de ce qu'il disait et certain de ce qu'il faisait, même si la façon d'exprimer son intérêt pour le bien-être de la cité n'était pas des plus douces. Le Père Cesare était animé de bonnes intentions, même lorsqu'il était méprisant ou en colère, il songeait vraiment que ce qu'il disait ou faisait était pour le plus grand bien commun, c'était palpable à travers ses mots. Ce qui rendait assez difficile le fait de le détester tout à fait. Voilà qui était fâcheux, elle aurait préféré pouvoir le trouver simplement agaçant.
Avisant son geste fatigué, elle eut un sourire en coin. Il n'était pas assez vieux pour avoir cette attitude qu'elle ne voyait que chez les anciens ! Peut-être manquait-il simplement de sommeil ? Sans doute s'abimait-il les yeux sur de vieux textes religieux ou s'épuisait-il à prier pour la ville jusque tard dans la nuit ?

N'ais pas l'air si accablé, fit-elle en posant brièvement sa main contre son bras comme s’il fallait le retenir de s’effondrer dans le sable.

Ombeline n’avait pas manqué le tutoiement et s'alignait dessus sans même y prendre garde. C’était une sorte de cessez-le-feu.

Je ne suis sans doute pas la meilleure des femmes et je n’aurai jamais la prétention de l’être, mais est-ce que toi tu peux te targuer d’être le meilleur des hommes ? Es-tu toujours sage et réfléchis, attentif et bienveillant, compréhensif, généreux et travailleur ?

Ce n’était pas très juste de poser la question de cette façon puisqu’il était évident que non, ne serait-ce que lors de leur rencontre. Le but n’était pas vraiment de le piéger mais plutôt de le faire redescendre de cette certitude qu’il est évident que chacun peut être parfait et infaillible. À quoi bon être si dur avec la nature humaine alors qu’elle était sans cesse en train de trébucher ?

Je ne t’accuse pas, simplement… Regarde-toi : tu as l’air déçu, dégoûté et toujours un peu fâché. Si on devait tous être comme ça entre nous et pour nous-même ce serait un véritable enfer ! On ne peut pas passer sa vie à expier ses fautes. Et puis il y a les péchés pernicieux, ceux que l’on commet avec de bonnes intentions et pour lesquels on ne se repends jamais puisqu’on ne les juge pas véritablement mauvais.

La jeune femme referma ses bras autour d’elle comme pour se protéger d’un froid soudain, pourtant le vent ne s’était pas levé. Malgré l’épaisse brume dans ses yeux il n’était pas difficile de voir passer des souvenirs désagréables, fulgurances d’une vie qui n’était pas aussi douce qu’elle le laissait parfois croire. Elle ouvrit la bouche et hésita un instant avant de demander de nouveau :

Il y a cinq ans ils ont arrêté une femme. Elle était lavandière mais travaillait pour un petit noble et avait eu l’audace de plaire à son maître. Elle a été enfermée dans le temple pendant des semaines entières et le jour où ils l’ont conduit à l'échafaud, j’étais tout près du cortège. On m’a décrit dans quel état elle était. Au nom des Trois et de leur justice, que serais-tu prêt à faire toi ? Parce que si les Trois interrogent, jugent et punissent de cette façon alors…

Cette fois elle referma la bouche d’un coup pour retenir les mots. Cette histoire l’avait marqué parce qu’elle avait pu voir la pauvre femme passer juste devant elle, parce que toute la ville croyait en son innocence et que le bourreau avait été hué, parce que l’odeur dans le sillage de la condamnée était si infecte que certaines personnes avaient vomit. Depuis lors, une petite partie d’Ombeline redoutait qu’on l’enferme elle aussi au temple pour lui faire subir les mêmes traitements. Si le prêtre était prêt à avoir une conversation profonde avec elle, qu'il l'éclaire donc sur cette histoire lugubre.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptySam 23 Fév 2019 - 23:02
« Nous chutons afin d’apprendre à nous remettre debout à nouveau. »



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Non, il ne pouvait se targuer d’être un être parfait, ni même se prétendre être intimement proche de ce qu’il considérait comme la perfection. Douloureuse vérité qui le désespérait sans pour autant le décourager. Le prêtre avait beau mener une vie de piété exemplaire et s’adonner cœur et corps aux tâches et corvées qu’imposaient la vie spartiate au sein du Temple, il n’ignorait pas que certaines facettes de son âme n’étaient pas des plus reluisantes, surtout quand c’était Ombeline qui les exposaient comme si elle l’écorchait vif, dévoilant sa chaire avec toutes ses imperfections et ses détails indignes.

Etait-il sage ? Parfois, il avait l’impression de l’être, comme ses mentors. À force d’avoir prit pour exemple ses maîtres et instituteurs, de s’être inspiré des grandes figures du Clergé, d’avoir suivit la voie des saints et des martyrs, son orgueil lui susurrait à l’oreille à quel point il était un personnage exemplaire, une figure de proue pour la foi. Se convaincre d’être un puis de bon sens, de vertu et de modestie … n’était-ce pas là les symptômes d’un orgueil aveugle ? La confidence hautaine et dédaigneuse était plus mortelle que le plus insidieux des poisons, hors il s’abreuvait chaque jour de sa fierté comme l’habitué des tavernes vidant ses chopes jusqu’à s’en éclater la panse.

Etait-il bienveillant ? Au fond, oui ! Bien sûr ! Comment pouvait-il remettre en doute sa propre bonté ? Cesare était généreux, attentif, toujours plongé dans son travail, toujours prêt à servir les intérêts de la Trinité. Quelqu’un dont le grand désir était d’aider les gens à s’extirper des miasmes boueux de leurs existences pécheresses ne pouvait qu’être bon. Mais au fond de son cœur, un doute s’immisçait telle la graine de la discorde étendant ses racines corruptrices. L’homme de foi laissait son regard se perdre vers les murailles aqueuses au-delà de la plage, les cercles azurés et grisâtres se défiant au-dessus des eaux perturbés, en constante évolution.

« J’essaye de l’être, Ombeline … j’essaye de l’être. »

Puisque la demoiselle à la chevelure de jais s’était permise un tutoiement timide, Cesare prit la liberté d’utiliser pour la première fois le prénom de la douce créature, enjambant ainsi le vocabulaire moins fournit qu’il lui réservait comme appellations douteuses, bien que la plupart étaient trop vulgaires pour que le bon prêtre les utilise, ou en ait même entendu parler tant son cloisonnement au sein du Temple relevait de l’autarcie maladive. On serait surprit de voir à quel point l’ascète ignorait certaines choses accessibles au commun des citoyens moyens, notamment en termes d’amusements et autres activités douteuses. Les mots vulgaires étaient un langage obscur et quasi-inexistant entre les murs de l’édifice sacré. Sans doute Cesare rougirait fort s’il entendait le langage Ô combien riche et développé des rues malfamées.

« Mon mentor disait ceci : Tous les actes de bonté ne sont pas forcément sages et tous les actes de cruauté ne sont pas forcément mauvais. Il nous incombe, néanmoins, de toujours chercher à faire ce qui est juste. C’est dans cette logique que j’ai toujours essayé de faire ce qui me paraissait être l’intérêt commun. La spiritualité avant tout, la foi avant tout, l’âme avant tout. La fin justifie les moyens, dit-on. »

Mais s’il avait réussit à garder cet esprit pragmatique, c’était essentiellement en essayant à tout prix de fermer les yeux sur le prix de ces sacrifices, de ces actions. Y penser était un moyen sûr de perdre foi et de s’abandonner aux profondeurs abyssales de réflexions terribles et d’un regret amer, comme s’il ruminait les restes d’un frère qu’il avait assassiné. Le chevalier qui terrassait le bandit des grands chemins ne cherchait pas à imaginer les raisons qui avaient poussé ce dernier à commettre ses crimes, que ce soit pour nourrir sa famille affamée ou parce qu’il était endetté jusqu’au cou. Non, il se contentait d’occire le gredin sans y penser d’avantage, remplissant son rôle au nom de la justice et de la loi.

La loi … dure est la loi, mais c’est la loi. Une règle d’or que personne ne pouvait changer. Ainsi les lois divines, plus que tout le reste, étaient sacrées, à ne surtout pas modifier et encore moins violer. Hors il était extrêmement difficile, des fois, de s’y soumettre tant certaines règles et sanctions paraissaient terribles et impitoyables. La nature humaine était-elle si sombre et changeante qu’il fallait neutraliser son bellicisme naturel par le fouet ?

Cesare se crispa soudainement à la mention d’un des jugements du Temple. Une femme accusée d’avoir charmé son seigneur, punie selon les règles pour cet acte de sorcellerie. Les juges en avaient décidé ainsi, croyant plus aux paroles du noble qui avait défendu la cause d’une succube ayant hypnotisé son esprit pour le pousser à enfreindre ses convictions de fidélité plutôt que les supplications larmoyantes de la condamnée. Un atroce souvenir ressurgit alors au fond du cœur du clerc. Un souvenir au goût de cendre, des images atroces, un sentiment qui lui arrachait les tripes et lui donnait la nausée. Si le père spirituel n’était pas déjà pâle à cause de la froideur du climat, il aurait défié en couleur un maître vampire en quelques instants. Les souvenirs avaient ressurgit avec une violence telle que le prêtre semblait avoir perdu tout contrôle sur son corps, immobile et pensif. Heureusement qu’il avait le dos tourné à la belle-de-nuit, sans quoi elle aurait peut-être remarqué légèrement la mine brisée du cultiste.

Il se souvenait d’un cachot. Des chaînes. Des outils dignes de l’imagination d’un démon infernal ou d’un esprit dérangé. Une femme, crasseuse, brisée, les yeux faibles. Le regret, le doute, la pitié, la colère … Il avait été jeté dans le terrible monde du jugement divin et en avait découvert les terribles responsabilités et les pouvoirs atroces qu’il conférait à ses détenteurs. Il avait porté les bottes d’un inquisiteur et avait eut goût de la sensation d’autorité parfaite, d’avoir la vie d’une personne entre ses mains, de juger et accabler, de punir au nom des Trois. Un pouvoir qui lui avait tordu les boyaux et hanté ses nuits depuis bien des mois. Les cauchemars furent terribles et son esprit en était à jamais marqué par les terribles implications de cet exorcisme qui fut tant un échec pour lui qu’une âpre leçon.

« On dit que le mal peut se cacher derrière les masques les plus tendres et innocents. J’ignore complètement ce qui en était pour cette pauvre lavandière car je n’ai ni la sagesse ni la prétention d’être capable de discerner la sorcellerie de l’innocence. Je suis un piètre juge dans ce domaine difficile, un terrain glissant où seuls les êtres les plus implacables parmi nous peuvent y décerner la lumière mourante de la vérité. De nos jours, on craint qu’une sorcière ne s’exerce dans de noirs sabbats derrière la cour de nos bâtisses, à invoquer les esprits malins pour servir ses noirs desseins. Le doute et la suspicion planent tels des vautours autour de notre cité, rongeant nos esprits et consumant la compassion de nos cœurs. Les temps durs sont un terrain fertile pour la naissance des pires exactions. »

Il se retourna lentement en direction des marches qui menaient hors des sables froids, vers des dalles plus solides pour ses pieds où seuls quelques vieillards se trouvaient, à jouer avec insouciance aux échecs à l’aide de petites pièces de bois taillées, à rire et s’échanger des plaisanteries tout en se partageant une petite cruche de vin épicé. Des marchands qui se permettaient un petit moment de plaisir, quitter la tourmente de leurs commerces ambulants pour s’accorder une bouchée de vie. Il enviait leur insouciance actuelle, aurait désiré avoir de doux souvenirs d’amitié partagée, de rires et de joie plutôt que la routine de son existence passée à prier, méditer, écouter des confessions, allumer des cierges, répandre l’encens …

Se rendant soudain compte que ses pensées étaient un grave affront, il se mordit les lèvres avec fureur. Que pareille pensée frôle son esprit était inacceptable et il planifiait déjà à la fin de cette entrevue particulière de s’enfermer dans une salle froide pour châtier son corps. Etait-ce la présence de l’asphodèle aux yeux de jade qui faisait naître ces réflexions indignes ? Il espérait que non … Cesare n’était pas aussi superstitieux que par le passé, mais il pouvait aisément s’emporter à la mention d’une quelconque abomination maléfique.

« Et si nous quittions les lieux ? La mer est si grise, si froide … à croire que cette journée reflète l’état d’âme de Marbrume. Pourriez-vous me conduire vers un lieu un peu moins inhospitalier ? »

Cette phrase, cette envie de changer de décor, le retour inconsciemment au vouvoiement … le prêtre voulait oublier ses souvenirs, oublier cette ère où la logique et le sens du devoir étaient devenus aussi troubles que sa propre conception de la bonté humaine. Qu’il s’éloigne, fuit, abandonne son passé et se consacrer au présent. Qu’importe où, qu’importe comment, mais qu’il se débarrasse à tout prix des cancrelats qui rongeaient sa conscience.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyJeu 28 Fév 2019 - 22:41
C’est horrible.

Elle ne put retenir ses mots, ils s’évadèrent de sa bouche à peine Cesare eut-il terminé lui dire que certains actes barbares pouvaient être justifiés par la cause qu’ils servaient. Comment pouvait-on se targuer de vouloir le bien des autres et être capable, au nom de ce même bien, de faire du mal ? C’était aussi cohérent et acceptable qu’un enfant qui en frappe un autre sous prétexte qu’on l’aurait pincé. Elle ne pouvait pas accepter qu’on lui fasse la leçon sur sa façon de vivre alors qu’elle n’avait aucun autre recours mais qu’on lui assène que “la fin justifie les moyens” lorsqu’il s’agissait de torturer une malheureuse pour lui faire avouer un crime qu’elle n’avait sans doute pas commit. C’était de l’hypocrisie au dernier degré.
La jeune femme pinça les lèvres et resserra ses bras autour d’elle comme si elle souhaitait se refermer comme une huître. La réponse était décevante. Le temple était décevant, surtout dernièrement à ses yeux. Elle avait envie de lui demander en quoi sa situation à elle n’était pas justifiable, en quoi il était juste et bon de l’accuser et de la menacer alors qu’elle n’avait rien fait pour cause du mal, en quoi les Trois pouvaient cautionner que l’on fasse du tort à quelqu’un en leur nom. Mais elle demeura silencieuse, consciente qu’il était inutile de poursuivre dans cette voie. Les choses n’étaient pas justes, elles ne l’avaient jamais été et il fallait l’accepter, tout comme elle avait accepté son sort depuis longtemps. C’était inutile de se battre ou de se mettre en colère, elle n’était qu’un grain de poussière sous la meule énorme du destin et de toutes les lois qui régissaient Marbrume alors à quoi bon ?

Lorsqu’il lui demanda de quitter la plage à cause de la mer froide qui échouait ses vagues sur le sable, Ombeline se tourna machinalement vers le large. C’était une grande bande grises très sombre et en mouvement avec au-dessus une bande grise très pâle et immobile, désormais sans soleil. Il était parti au détour de la conversation. Ce paysage n’avait pour elle ni froideur ni inhospitalité, il était simplement trop vaste pour être correctement appréhendé. Oui, la mer était trop vaste… Et trop dangereuse pour les hommes, alors on la disait morne, froide et parfois même mauvaise. Elle pouvait comprendre qu’on ne l’apprécie pas autant qu’elle l’appréciait. En deux pas la belle-de-nuit fut à côté du prêtre et lui prenait de nouveau le bras. Ses épaules étaient raidies par le froid et le bout de ses doigts était bleu.

Allons-y. Je sais où on pourra se réchauffer.

Portant deux doigts à sa bouche, la jeune femme siffla son chien qui revint immédiatement au pied et ouvrit même la marche pour revenir sur les quais. Il savait bien qu’il était l’heure de quitter la plage.

Accédant au vœu du prêtre, Ombeline l’entraîna un peu plus bas dans le quartier avant de bifurquer dans une ruelle qui faisait dos à la mer. L’activité ici était moins grouillante : du linge essayait vainement de sécher sur un fil entre deux maisons, quelques morveux se disputaient pour des billes en terre et on entendait des rires gras quelque part derrière une fenêtre mais c’était à peu près tout. Kornog et sa maîtresse évoluaient avec l’aisance de l’habitude, ce qui trahissait des visites régulières dans ce coin de la ville. Ce n’était pas tout à fait le Goulot mais ce n’était pas non plus Bourg-levant. Ils passèrent dans une cordonnerie fermée ainsi qu’une ancienne boulangerie dont la porte tenait à peine en place. Des traces de griffures étaient encore visibles sur le bois des colombages et la chaux des murs, vestiges d’une attaque meurtrière de fangeux un an auparavant. La ville avait encore les séquelles de cet épisode.

Ils arrivèrent, au détour d’une nouvelle ruelle, devant l’enseigne un peu crade d’une petite auberge. On pouvait entendre à l’intérieur des conversations plus ou moins animées et quelqu’un jouait même du pipeau. Sans attendre que son compagnon s’offusque de la qualité de l’établissement, Ombeline tira Cesare à sa suite en poussant la porte. Immédiatement, l’air chaud d’une salle bondée leur sauta au visage, accompagné des habituelles odeurs de ragoût, de graillon, de bière et de sueur. Ici on mangeait un morceau, on buvait beaucoup et surtout on essayait d’oublier tout ce qui se trouvait hors des murs. L’atmosphère était plutôt joyeuse et détendue, la clientèle plutôt bon-enfant et inoffensive, du moins au premier coup d'œil. On n'était jamais à l’abri de quelques abrutis après tout.

J’étais tentée de t’attirer dans un bordel pour te faire une mauvaise blague, mais je pense qu’un lieu de perdition plus innocent te conviendra mieux, dit-elle avec ce petit sourire en coin qui témoignait bien de sa taquinerie.

Évidemment qu’elle n’allait pas le faire entrer dans une maison de passe… Pas dans l’immédiat du moins. Puisqu’il lui avait ruiné l’humeur un peu plus tôt, elle pouvait bien se venger en le faisant s’asseoir parmi quelques joueurs de cartes malodorants. Le tirant toujours pour ne pas lui laisser le temps de faire marche arrière, elle avisa une table vide un peu plus loin et y prit place, Kornog à ses pieds.
Les tabourets étaient un peu étroits et bancales, la table collait vaguement et avait été entaillée en plusieurs endroits mais le sol était d’une propreté relative, ce qui était déjà un sacré luxe.

Tu es déjà venu dans une auberge j’imagine, mais sans doute pas dans celle-là. Si tu as de quoi te le payer, je te conseille d’aller demander un poisson grillé. Tu vois la fille avec le plateau ? Essaye de l’appeler pour qu’elle s’approche. Moi je ne la vois pas, je ne saurais pas dans quelle direction crier, justifia-t-elle avec un petit haussement d’épaules.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptySam 2 Mar 2019 - 18:01
« Toutes les facettes de divertissement et de déliement attendent ceux qui passent la porte avec des écus à la main. »


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« Hm, la différence est bien faible entre les deux. » répondit le bon prêtre à la vue de l’édifice d’où s’échappaient rires et exclamations sonores.

La chaleur nauséabonde qui les frappa en ouvrant la porte le surprit tout en le poussant à plisser du nez. On aurait dit une de ces vastes écuries où on enfermait le bétail jusqu’à ce qu’une odeur brûlante s’installe, agressant les narines et vous faisant hoqueter de dégoût.

Certes, peut-être que Cesare exagérait un peu sa réaction mais force était de constater que la taverne n’était pas une maison des plus nobles et respectables, du moins comparés à ses stricts critères d’homme de foi. Après tout, n’importe quel édifice qui n’avait aucune fonction religieuse n’avait que peu d’intérêt pour lui, même quand il avait porté ses yeux vers les vastes et luxurieuses demeures des seigneurs. Leurs vastes murailles décorées d’arabesques complexes, le bois précieux, la pierre éclatante, les statues de bêtes mystiques, les tapisseries … un art qui ne glorifiait en rien le nom des Trois et de ce fait était totalement obsolète pour Cesare, bien qu’il devait admettre qu’il y’avait du talent à l’œuvre. Un talent gâché !

Ses yeux vifs contemplèrent rapidement ce repère de soudards et de paresseux. Hommes et femmes de tout âge discutaient à vive voix, s’échangeaient plaisanteries rauques et rires gras en tapant la surface d’une table salie par la mousse d’une boisson malodorante et amère. Certains s’adonnaient à des jeux d’hasard, un divertissement que l’ascète méprisait particulièrement. C’était une vicieuse pratique où on laissait non pas les Dieux mais la pure chance déterminer si on pouvait priver son compère d’écus durement gagnés à la sueur de son front ou si on s’engouffrait un peu plus dans la dépendance et la dette. Certains, grisés par la sensation de risque que conférait ce jeu, ne connaissaient aucune limite raisonnable et pouvaient tout sacrifier aveuglément. Un zèle qu’il aurait aimé voir chez certains de ses collègues au sein du Temple. Un peu plus loin, un bedonnant personnage au menton volontaire racontait fièrement les mérites de son commerce florissant malgré la pauvreté qui sévissait sur Marbrume. Le port d’une riche redingote et son attrait à se sentir supérieur irritait doucement Cesare, mais pas autant que la femme assise de façon incongrue sur ses genoux, le sourire aux lèvres et les vêtements bien trop légers au goût du prêtre qui détourna le regard avec une froide colère.

« Tout compte fait, je ne vois pas grande différence. Si le péché avait une odeur ce serait surement celle qui émane de cette auberge.»

Malgré ses propos la demoiselle le tirait vers l’intérieur peu accueillant telle une démone traînant un malheureux vers le gouffre d’une éternelle damnation. Les regards qu’on lui lançait étaient un mélange de curiosité mal-placée, de douce moquerie condescendante et de petits sourires dissimulés. Ce faisaient-ils déjà des idées sur la présence d’un prêtre traîné par une demoiselle assez ravissante pour embraser l’imagination des plus vicieux ? Par tous les dieux, il en rougirait presque s’il n’était pas déjà occupé à garder une façade fière et noble, mais qui lui donnait plus un masque hautain au nez légèrement plissé.

Le clerc tira son propre tabouret en bois avant de relever vivement la main, une vilaine écharde plantée dans son majeur. Pestant silencieusement, les oreilles les plus fines devineraient quelques faibles mots murmurés entre ses lèvres plissées telle une balafre rosée, à savoir des « damnation » ou « malédiction » ponctués de grognements.

Se débarrassant de l’aiguille de bois plantée dans sa chair, il passa son doigt endolori sur sa langue dans une faible tentative de lécher la plaie, tout en prenant place sur le tabouret avec une mine pour le moins ravageuse.

« Je commence à croire que j’aurais mieux fait de rester entre les murs de mon bon Temple. Je me sens comme un étranger en ces lieux, c’est très désagréable. »

Cesare n’écouta qu’à moitié les consignes d’Ombeline, trop prit à analyser, juger et épier du regard le décor qui l’entourait, cet environnement si étrange, si peu hospitalier pour cet ecclésiastique qui préférait de loin la compagnie silencieuse des statues pleureuses des Catacombes que ce ramassis d’individus aux mœurs bien trop légères. Les tapotements de son pied contre le sol couvert de paille humide étaient un indice suffisant sur son inconfort. Il sursauta presque lorsqu’une jeune servante s’approcha de lui, sourire éclatant aux lèvres et mine joviale. Sans qu’il commande quoi que ce soit, la demoiselle déposa deux choppes de bière devant chacun d’eux avant de s’expliquer avec une voix malicieuse et juvénile.

« Cadeau de la maison, mon père. On n’a pas pour habitude d’êtres honorés de la présence d’un homme de la Trinité entre nos murs. J’espère que vous apprécierez votre repos ici. »

« Je … hm … merci mon enfant, que les Trois vous gardent de tout malheur. »

La serveuse s’éclipsa rapidement pour répondre aux bouches assoiffées du reste de la clientèle, laissant Cesare contempler d’un air douteux le contenu de sa boisson avec un haussement de sourcils.

« Je n’ai malheureusement aucun écu sur moi, nous prêtres ayant fait vœu de ne pas alourdir nos enveloppes spirituelles par les entraves physiques de l’or et des pierres précieuses. Je crains fort que si ton ventre hurle famine je ne pourrais t’offrir qu’un bol de seigle et d’orges au Temple. Quant à la bière … je vais me garder de tremper mes lèvres dans l’alcool. D’ailleurs pourquoi as-tu choisis ce lieu en particulier ? Si c’est une de tes sournoises tentatives pour malmener ma patience, je peux te dire que ton humour n’est pas des plus plaisants ! »

Lâchant un profond soupir, il croisa ses doigts sur la table pour s’y adosser, mais retira bien vite ses bras quand il sentit la surface collante de la table s’accrocher comme une immonde sangsue sur les manches de sa robe.

« Je ne comprends toujours pas pourquoi on vient noyer son chagrin et ses doutes dans l’alcool et els jeux. Le Temple est parfait pour chasser la peur et le désespoir du cœur des gens et, mieux encore, il est gratuit, ne comptant que sur la générosité des fidèles à travers de modestes offrandes. Là, j’ai l’impression de voir un repère de brigands camouflés en débonnaires citoyens, à offrir un réconfort factice aux désemparés et égarés. Tu devrais d’ailleurs inviter un peu plus tes connaissances à venir s’absoudre de leurs péchés plus souvent plutôt que satisfaire les démangeaisons incongrues de votre clientèle incorrigible. Imagines alors à quel point notre existence serait d’avantage plus harmonique, plus proche de la douce utopie que nous promettent nos douces progénitures à notre trépas. »

Il était tenté de se relever pour inciter quelques badauds à le suivre pour une session de prières et de chants religieux à la gloire de la Trinité, mais la simple vue des visages rouges, les lèvres baveuses et les regards pétillants calma ses ardeurs religieuses. Surtout que certaines conversations avaient de quoi lui arracher des frissons d’épouvante.

« Alors moi j’dis, mais merde Rob ! J’sais qu’t’es plus ivre que mon oncle qu’on il a essayé de d’me fesser, mais c’est pas une raison pour trousser ma chèvre ! Ma chèvre, qu’mes ancêtres en soient témoins ! »

« Aye aye »


« Et c’pas encore finis, Luc. Alors moi j’prends ma pelle pour lui en coller une à ce fils de sorcière, c’est qu’il s’défend en me disant qu’il voulait sauter Gertrude. Gertrude, Luc ! »

« C’est pas ta tante, elle ? »

« Ouais ! L’salop voulait déglinguer ma tante, par la barbe de d’mon ancien ! Alors moi j’sais plus si je le tabasse parc’qu’il voulait s’faire ma tante ou parc’qu’il l’a confondue avec ma chèvre, mais j’te dis, je lui en ai collé une qu’il n’était pas prêt d’oublier. »


« Aye aye. Drôle de gars, c’Luc, j’dis. »

« Aye. »

Le prêtre tenta tant bien que mal de ne pas jeter un regard incrédule sur la bande rassemblée près du comptoir, un duo de bonhommes en haillons décolorés qui éructaient pareilles inepties devant l’aubergiste amusé qui crachait sur les verres avant de les nettoyer avec son chiffon noirâtre. Posant une main dramatique sur son visage, Cesare se sentait emprisonné dans une triste caricature de la nature humaine dans tout son déshonneur.

« Ô divins, donnez nous la force de surmonter la grossièreté de nos êtres. »

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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyDim 10 Mar 2019 - 18:25
Ombeline sourit lorsqu'il dit se sentir étranger. Oh il l'était sans doute et par bien des aspects. Mais n'était-ce pas justement ce qui devait l'alerter ?

Comment peux-tu prétendre faire ce qui est bien et vouloir le bien de personnes dont tu te sens étranger à ce point ? Demanda-t-elle sans réprimer ses mots.

Il ne lui ferait pas croire qu'il se souciait réellement des gens dont il ne savait rien. On lui avait appris à le faire et par automatisme, il s'y essayait et se le répétait sans doute, mais au fond il se fichait bien des petites gens qui l'entouraient. Et alors ressortait le mépris, la colère et le dégoût. Elle n'avait pas besoin de le voir sur son visage ou même de l'entendre s'expliquer, elle pouvait le sentir aussi sûrement qu'on sent le soleil ou la pluie frapper sa peau.
La jeune serveuse arriva plus vite que prévu et offrit d'office deux bières. Une attention aussi aimable qu'intéressée : il fallait supputer que le patron préférait sauver un peu de son âme en offrant de l'alcool plutôt que de gagner deux piécettes qu'il devrait de toute façon rendre en offrande au temple. Ombeline n'allait tout de même pas se plaindre de pouvoir boire à l'œil de quoi se réchauffer un peu le ventre à défaut de le remplir d'une pitance pourtant bienvenue. Une petite voix dans sa tête lui fit la remarque que plus d'un se serait porté volontaire pour lui mettre dans le ventre de quoi se réchauffer et un frisson de dégoût lui remonta dans le dos. Parfois elle craignait que la bêtise des hommes ne soit contagieuse. Et en parlant de bêtise, Cesare reprenait ses laïus sur le monde merveilleux du temple et de la prière. Cette fois la jeune femme réprima ses remarques en avalant une grande rasade de bière de mauvaise qualité. Il avait la tête tellement dure que ce n'était pas en une seule après-midi qu'elle arriverait à lui faire ouvrir les yeux. S'il arrêtait déjà de froncer les sourcils ce serait une bonne avancée.

La jeune femme posa sa chope sur la table en faisant claquer le fond, à la mode des miliciens. Elle n'avait rien manqué des conversations qui attristaient le prêtre bien sûr mais contrairement à lui, elle ne s'en offusquait pas. C'était juste... Le quotidien. Sous la table, Kornog se faisait aussi petit que possible et pesait contre les jambes de sa maîtresse. Il n'appréciait pas particulièrement les tavernes, on l'obligeait toujours à se mettre hors du chemin ou à se tasser, mais au moins il n'avait pas froid aux pattes et parfois on lui donnait de quoi manger en dehors des repas. Alors il se tenait sage.

Tous les prêtres et prêtresses ne font pas montre d'autant de chasteté ni de pauvreté que toi mon cher Cesare. Et si je me prends à imaginer toute la population de Marbrume s'entasser dans le temple, je crois que je pourrais en faire des cauchemars. Pas assez à manger et à boire pour tout le monde, la culpabilité et la peur sur tous les visages dans l'attente d'une quelconque réponse miraculeuse, l'immobilité et le confinement... Je crois que ton très cher temple et toi-même n'y survivriez pas.

La belle-de-nuit croisa les mains sur la table et pencha la tête que le côté pour lui tendre mieux l'oreille. Le vacarme était conséquent.

Qui fait pousser l'orge et le blé dont tu te nourris ? Qui tissu l'étoffe et brode ces belles robes dont tu t'habilles ? Qui vend aux soigneurs du temple les herbes utilisées pour te soigner ? Hors de la ville, certains temples étaient en grande partie autonomes et je dis bien en grande partie. Celui de Marbrume dépend entièrement de la générosité et du travail acharné de ce ramassis de corniauds qui t'entoure. Ceux qui jouent à la table là-bas sont des marins et vont jeter leurs filets pour que l'on puisse manger un peu de poisson de temps en temps. Derrière moi j'entends deux hommes parler du labourage des champs dans les Faubourgs qui sera difficile s'il gèle encore. Mais ils le feront quand même, ils n'auront pas le choix. Et au bar je reconnais la voix d'un menuisier qui travaille dans la Hanse. Tu leur dois ta pitance et ton lit, au sens propre du terme, alors pour l'amour de Serus arrête avec ce petit ton condescendant, s'emporta-t-elle sur la fin de sa phrase.

Il y avait de quoi être un peu irrité de voir autant... D'ingratitude de la part de quelqu'un qui n'avait jamais fait ne serait-ce que l'effort de sortir de sa tanière pour savoir de quoi il pouvait bien parler dans ses sermons.

La plupart de ces hommes sont grossiers, parfois un peu bêtes et ils peuvent se montrer brutaux ou agressifs. Mais la plupart vont aussi au temple et courbe l'échine devant les Trois et même devant toi lorsque tu fais tes prêches. Tu leur dois de vivre à l'abri du besoin et avec de quoi manger tous les jours même si ce n'est pas un festin tandis qu'eux ont pu passer, comme moi, des jours entiers sans avaler rien d'autre que de l'eau et cela pas plus tard que l'année dernière. Tout ce qu'ils demandent en échange c'est que tu leur rendes un peu d'espoir et de force pour continuer à se tuer à la tâche et toi, bougre d'ingrat, tu ne fais que leur servir des gronderies apprises par cœur par des maîtres à l'âme aussi sèche que leurs vieux parchemins. Tu veux savoir pourquoi ils viennent ici ? La jeune femme se pencha un peu plus vers le prêtre et descendit encore d'un ton. Parce que chez eux les attend sans doute une rombière aigrie qui va leur rabattre les oreilles avec des reproches plus ou moins justifiés, une chiée de marmots qu'ils doivent garder en vie et nourrir et que l'hiver commence à être long. Au temple, ce n'est pas sur toi qu'il faut compter pour un peu d'encouragement puisque tu aimes tant gronder toi aussi. Ici au moins personne ne les sermonne et ils peuvent rire, même si c'est pour des choses aussi triviales que trousser une chèvre. Montre donc un peu plus de pitié pour ceux dont le quotidien est fait de plus de peines que de joies, hm ?

Malgré elle, la jeune femme pensait beaucoup à sa propre situation dans ce qu'elle racontait. Ce soir encore il faudrait être disponible pour ces messieurs et leur offrir de quoi se changer les idées. Accepter les mains au cul et les baisers dans le cou, même s'ils sentaient la vinasse. Embrasser en retour des joues pleines d'une barbe mal taillée et des lèvres crevassées par le froid, essayer de ne pas montrer son dégoût lorsqu'il serait temps de mimer quelques caresses sur des carcasses sans aucun attrait. C'était pénible et parfois même douloureux dans la limite du raisonnable, mais c'était le quotidien. Pour compenser il y avait les jours sans travailler, les grasses matinées sans avoir à balayer dans la salle, le bouillon encore tout chaud du début de journée, les promenades avec Kornog et les conversations avec certains rares élus plus agréables et plus doux que les autres. Même venir ici et en compagnie de Cesare était une contre-partie au déplaisir de sentir les mains brutales d'un énième larron saoul comme un porc.
D'un levé de coude plutôt entraîné, Ombeline fit descendre à grandes gorgées sa bière dans son gosier et repoussa la chope désormais vide. Elle s'était laissée emporter par le souvenir de ce travail qu'il faudrait reprendre dans quelques heures et aujourd'hui elle avait sans doute un peu moins la force de s'y mettre que la veille. C'était ainsi, parfois elle avançait sans sourciller et parfois elle tanguait si fort qu'elle se sentait prête à s'écrouler pour de bon.

Elle sembla sur le point de reprendre lorsqu'un son attira son attention et lui fit relever un peu la tête, soudainement très attentive. Avec toutes les conversations, c'était assez difficile de l'entendre, cependant on pouvait percevoir la mélodie sautillante sortant d'un flûtiau. Le joueur se trouvait sans doute dans la foule un peu plus loin. Ombeline sentit le poids dans sa poitrine s'alléger un peu et le sourire lui revenir.

Moi c'est pour lui que je viens ici. Et avant que tu ne joues les rabats-joie, c'était ça que j'étais venu te faire écouter : le joueur de flûte. Je n'ai jamais pu m'approcher, ça fait des mois qu'il vient ici et il est toujours trop loin. Mais sa musique est si légère, je pourrais l'écouter toute la journée. Si on me jurait sur les Trois que chaque jour passé au temple je pourrais entendre cette musique, alors peut-être bien que je pourrais y passer ma vie en fin de compte.
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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyVen 15 Mar 2019 - 22:47
♪♫♫♪


Se faire gronder par la Ô combien inquisitrice prostituée commençait à devenir une activité récurrente durant les discussions philosophiques que Cesare partageait avec elle. Lui qui, à leur première rencontre, lui avait dressé un portrait bien plus flatteur mais tellement éloquent en terme de métaphores à caractère diabolisant et de préjugés grotesques se retrouvait aujourd’hui à subir heure après heure les remarques tranchantes comme des rasoirs de cet esprit malin. Inutile de dire qu’elle savait plonger sa lame dans les protections du fanatisme ancré dans l’esprit de l’homme de foi qui avait tout le mal du monde à ignorer la perspicacité de certains commentaires qu’il jugeait pertinent, tout en se retenant à travers des chaînes invisibles de patience et de contrôle de bondir à la gorge de cette jeune femme qui lui rappelait, malheureusement, que certains de ses collègues étaient loin d’être les soldats du culte pieux et intègres qu’il s’imaginait de la part de sa sainte communauté.

« Ah ! Ne me mentionnes pas ces frères et sœurs qui ont tant de mal à suivre les enseignements qu’ils inculquent eux-mêmes à leurs fidèles ! Mon cœur saigne à la simple idée de savoir que certains reposent leurs robes à la fin des confessions pour aller rejoindre des autels de la concupiscence et se morfondre dans la décadence, entraînant un peu plus le Clergé dans la perdition tant redoutée par mon défunt maître, que les Trois veillent sur son âme de martyr. »

Amer, le prêtre s’affala légèrement sur son tabouret, semblant ignorer l’adhésion repoussante de la surface de la table et y glissant un index sans grand but que celui de porter son regard ailleurs plutôt que soutenir les yeux couleur de miasme de son interlocutrice. Les yeux étaient un puissant indicateur de jugement, un miroir reflétant l’apparence physique mais aussi les émotions de son porteur. Quand il parlait avec un être de chair et de sang, Cesare pouvait se baser sur ce contact visuel mutuel pour établir un pont lui permettant alors de dresser convenablement les mots nécessaires pour défier et faire soumettre par la douceur comme par l’intimidation toute âme à la portée de sa guidance.

Mais pas Ombeline.

Le reflet laiteux constant qu’il observait était un piège déroutant pour lui. Chaque fois qu’il se décidait à la défier du regard pour la soumettre à son autorité naturelle … non, son autorité religieuse offerte par les dieux même, il se perdait aussitôt dans les brumes à la fois envoutantes et mystérieuses de ces deux perles de cristal. Désemparé, perdu, il battait alors en retraite et regardait ailleurs, se murant dans des grognements de noble pompeux irrité de peur que ces iris surnaturels ne parviennent à capturer à jamais son âme dans une prison de glace, le subjuguant alors à sa volonté tel un pantin entre les mains d’un marionnettiste. Là où certains y verraient un signe de malédiction ou une absence d’âme, lui voyait autre chose. Quelque chose d’étrange mais attirant, telle la forme obscure que le marin au cœur d’un océan inconnu guette sur son navire plongé dans les brumes, intrigué de savoir s’il allait découvrir une île aux mille et un trésors ou un monstre qui allait l’emporter dans les abysses insondables des ténèbres. Et lui, Cesare, avait peur de s’y perdre pour ne plus jamais revenir.

« Je sais tout ça, crois moi. C’est juste … »

Le rigoureux clerc se pinça les lèvres, jetant un regard alentour en levant la main comme pour exprimer son idée sans pour autant piper mot, se contentant de rabattre avec lassitude son poing levé comme si le péché de paresse s’était soudain affalé sur ses épaules en un fardeau invisible et éprouvant, absorbant toute force de défiance et de ténacité chez le brun.

« Pourrais-tu ignorer le fait que quelqu’un se fait du mal devant toi sous prétexte qu’il y prend plaisir ? C’est ce que je ressens à chaque fois que je laisse mes yeux plonger dans le cœur de ces individus. Je vois des enfants égarés, apeurés, en proie aux maux qui rongent notre quotidien. Je vois le père qui travaille d’arrache-pied pour les besoins de sa famille, une mère solitaire tentant de s’oublier dans la boisson pour noyer son chagrin, des soldats inhibant peur et cauchemars dans l’ivresse pour faire face aux monstruosités qu’ils guettent. Mais je suis sûr, au fond de mon cœur, que celui qui défiera la révolte de la chair contre l’esprit, celui qui ignorera le triomphe de l’adultération et la saveur de la dépravation s’arrachera des ronces qui empêtrent les ignorants pour être promu à quelque chose de plus glorieux. »

L’index noirci par la table vint caresser avec douceur les courbes rugueuses de la chope de bière, le prêtre laissant ses prunelles se perdre dans le fond douteux du liquide tandis que son ton se faisait toujours moins acerbe et suffisant, prenant une tonalité qui n’avait plus rien à voir avec le frottement d’une lame tirée de son fourreau mais plutôt l’étrange et apaisant murmure du vent au fond d’une caverne sans fond.

« Mais peut-être que c’est mieux ainsi … au moins, je ne vois pas les traces des cultes hérétiques et païens qui prônent la destruction des murailles qui retiennent la fange, ni encore de ces dégénérés adorateurs d’une divinité destructrice et maléfique, odieux assassins se complaisant dans le sang et les larmes des enfants de la Trinité. Je devrais être heureux de voir ici des hommes et des femmes qui tiennent encore dans leur cœur la chandelle de la vraie foi et n’ont pas abandonné le don des divins pour se damner éternellement. »

Prenant son courage à deux mains et chassant ses dernières hésitations, il saisit sa choppe et la porta à ses lèvres, pressant ses paupières jusqu’à en martyriser ses orbites tandis qu’il avalait difficilement la première gorgée avant de réprimer une forte toux en reposant son verre à la manière d’un soudard vétéran. Un mince filet s’était malicieusement glissé à travers ses lèvres pour perler le long de son menton et retomber sur sa robe cléricale, arrachant un petit pincement de nez affligé de la part du serviteur de la Trinité. Le goût de la bière n’était clairement pas appréciable et encore moins apaisant, mais son moral était assez alourdi pour anesthésier l’espace d’un moment la garde jusque là rancunière du prêtre. Son regard devenu presque inexpressif alla guetter la source de la musique désignée par la jeune femme à ses côtés. Une mélodie joyeuse et enjouée, rapide et entraînante, un rythme qui symbolisait la vie même, avec ses hauts et ses bas, ses fluctuations aussi imprévisibles que les remous des vagues. Elle n’avait pas tort, le musicien avait du talent pour apaiser les cœurs avec son instrument et l’ascète se sentait porté par les crescendos et fortissimos de la flûte tout en s’oubliant presque.

Emporté par un élan romanesque, un poème religieux qu’il avait consulté dans les parchemins ancestraux de la bibliothèque lui revinrent en mémoire et s’écoulèrent de sa langue comme le nectar d’une amphore.

« À Vos yeux, nul n’est pur du péché, pas même le bambin qui n’a qu’un jour d’existence sur cette terre bénite par Vos soins. Je me regarde alors devant le miroir de Votre jugement et je vois mon âme. Je vois les vapeurs qui s’exhalent d’une chaire gangrenée par les vices, je vois une puberté bouillonnante par l’aveuglément de mes pulsions. Mon cœur s’offusquait tellement que je ne pouvais plus discerner la douce clarté de l’affection que Vous nous portez, mes yeux obscurcis par la danse sensuelle de ténèbres lascives. Ma débile jeunesse m’invitait à me dissoudre dans un marécage de vices stériles, m’effritant de lassitude devant tant de bassesses et ne constatant que trop tard que j’ai souillé Votre amitié et la ternissais avec les flammes de la vanité qui me consumait et noircissait mon âme tandis que je me ruais vers Votre amour comme l’enfant envers sa mère. »

Sans s’en rendre compte, il avait vidé sa choppe au fil de sa citation, se gorgeant de cette médiocre bière comme la plante du désert s’abreuvant de la moindre source d’eau pour apaiser sa soif. Fixant le fond vide de la choppe, il la repoussa du dos de la main et essuya de la pulpe de son pouce ses lèvres luisantes. Claquant de la langue, il eut enfin le désir de fixer les deux perles pâles qui le dévisageaient sans pour autant le voir et s’expliqua avec une voix paresseuse :

« Les écrits d’un saint sur le bonheur dans les bras des dieux. Il invitait les lecteurs à méditer, à se refléter pour sonder son cœur. Son regret et son désir de repentit peut être sentit dans chaque mot avec une puissance telle que j’avais du mal à retenir les larmes qui perlaient à mes yeux. Je pense que c’est une belle histoire qui me permettait de penser à autre chose que la hiérarchie des péchés qu’on m’enseignait et qui stipulait que l’œil en soit était un vil héritage qui, métaphoriquement, nous aveuglait avec notre perception des sens qui nous bernait. »

Posant son menton contre l’écrin de ses deux mains jointes à la manière d’un socle, il pianota doucement contre ses joues de manière presque enfantine, écoutant la musique, les chants, les rires et les exclamations, découvrant un côté presque splendide dans cette maison qui lui paraissait pourtant, il y’a un instant, comme la plus banale des porcheries.

« Une forte boisson, des dés à la main, de la musique et de la bonne compagnie … la course de la vie. Si ça se trouve, peut-être que c’est ainsi que nous imaginons le domaine des Trois. Des terres royales, des domaines fastueux avec des fontaines de vin et des arbres fruitiers à perte de vue, buvant du nectar dans de vastes halls en compagnie de nos aimés, à chanter et à danser sous le regard bienveillant de nos créateurs. J’en ai rêvé, une fois. Je me voyais baigné dans une lumière si éblouissante que je sentais tous les fardeaux de ma chair s’évanouir et mes craintes s’estomper comme des pétales fanées derrière moi. Je pouvais sentir Leur amour et en me réveillant, j’avais trempé mon visage de larmes de joie. Au fond, je veux juste partager mon rêve et aider les autres à l’atteindre. »

Mordillant le bout de son pouce entre la limaille de ses dents, il ajouta sur un ton encore plus bas :

« Puisse les Trois nous pardonner pour la faiblesse de nos esprits et nous aider à suivre le juste chemin. On fait tous des efforts pour ne pas décevoir nos parents.»
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Ombeline



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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyMer 20 Mar 2019 - 19:50
Elle l’aurait sans doute regardé avec une certaine perplexité en le voyant gratter la saleté de la table, mais le geste lui échappa en grande partie. De plus elle était restée attentive à ce qu’il lui répondait. Malgré le mépris dont il avait fait preuve en rentrant dans l’établissement, il avançait des arguments qui n’étaient pas tout à fait mauvais en plus de reconnaître que l’endroit n’était pas peuplé que de rejetons du chaos. Bien sûr qu’elle ne resterait pas sans agir si elle voyait quelqu’un s’infliger des souffrances, cependant elle n’était pas certaine qu’imposer un comportement à une personne, même pour son bien, soit la solution au problème. Mais après tout, elle n’était qu’une catin, rien d’étonnant à ce qu’elle n’ait pas l’autorité pour dire à quelqu’un ce qu’il était ou non en mesure de faire. Un prêtre avait déjà plus de légitimité dans ce rôle…

Ce fut avec un haussement de sourcil stupéfait qu’elle observa Cesare lever le coude avec détermination. Il avait repoussé sa chope avec tellement de conviction lorsqu’on la lui avait servis qu’elle s’était attendue à devoir la vider à sa place, mais visiblement il avait décidé de ne pas se défiler. On devait avoir l’habitude de bien mieux au temple que la pisse d’âne qu’ils servaient ici, mais on ne peut pas dire qu’on n’aime pas tant qu’on n’a pas goûté.
Il ajouta à cela un poème. Bien que novice en matière de rimes et de poésie, Ombeline se prit à apprécier le récit et la voix qui le déclamait. Lorsqu’il ne s’indignait pas de tout et de rien, Cesare avait un grain de voix assez grave et feutré, tout à fait charmant pour les oreilles attentives. Il fut très facile pour la jeune femme de l’imaginer déclamer autre chose que de la poésie religieuse avec cette même voix caressante. Elle se perdit d’ailleurs quelques secondes dans sa rêverie et n’en sortit qu’en le voyant repousser sa chope, désormais vide. Mieux valait ne pas sous-estimer sa descente donc ! Avec un sourire en coin elle appuya elle aussi sa joue contre son poing refermé pour lui rendre son regard, quoi qu’elle fut certaine de ne pas parvenir à le fixer dans les yeux. De quelle couleur les avait-il d’ailleurs ? Elle ne lui avait jamais demandé encore.

Le joueur de flûte entama un nouvel air. Ombeline le reconnu facilement, il s’agissait d’une chanson populaire aux accents grinçants. L’histoire parlait d’un pendu sur le bord de la route se balançant à une branche en chantonnant jusqu’à ce que deux passants s’arrêtent pour lui demander pourquoi il peut bien être si heureux. Le pendu leur raconte alors qu’il était jadis un fermier et que le mal est arrivé sur ses terres, ce qui le força à fuir. Il échappa aux bêtes et aux marais, il échappa aux brigands et à la maladie puis il arriva enfin en ville où il pensait trouver la sécurité. Mais le mal le rattrapa et les hommes de la ville en devinrent fous de terreur, s’accusant les uns les autres sans raison jusqu’à ce qu’on l’accuse lui, l’étranger, d’avoir amené le mal avec lui. Les habitants de la ville décidèrent alors de leur pendre pour que le mal reparte. Les deux passants ne comprennent toujours pas pourquoi le pendu est si heureux et le cadavre se met à rire : “Me voilà enfin en sureté depuis mon arbre haut perché tandis que chaque jour je vois passer le Mal qui à Marbrume s’en va ramper.”.
Comme en échos à cette triste chansonnette qui faisait l’éloge de la tranquillité que l’on gagne à être mort par ces temps de catastrophes, Cesare se fit un peu plus sombre et abattu encore. À croire qu’accepter de descendre de ses grands chevaux l’obligeait à plonger dans une sorte de mélancolie poisseuse qui le gluait petit à petit à la table.

Moui, j’imagine… J’aurais du mal à me prononcer sur la question mais je suppose que c’est vrai, fit-elle avec un léger haussement d’épaules. Mais n’ai pas l’air si malheureux en le disant, tu me donnes envie de te prendre dans les bras comme un gamin.

Elle se contenta de lui tapoter sur la main avant de se lever pour ramener sa chope au comptoir, arguant que puisque la première était gratuite, elle allait demander un second service à ses frais. La donzelle ajouta qu’elle comptait sur lui pour ne pas s’enfuir en son absence puis elle disparu entre deux tables.
Son départ signa le coup d’envois pour une autre prédatrice qui jusque-là attendait bien sagement son heure. Assise plus loin à une table où personne n’avait les bourses assez pleines pour satisfaire ses attentes, elle avait remarqué l’entrée du prêtre et son air désormais plus abattu. Il n’y avait pas toujours une grosse somme à se faire avec les hommes du temple, mais si elle réussissait à le faire tomber dans ses filets, il pouvait se montrer plus régulier dans ses visites que les autres grouillots du peuple. C’était du moins la réputation des prêtres : à défaut d’être chastes, ils étaient fidèles à leur crèmerie, sans doute pour compenser.

Dépliant son corps mince, la créature s’approcha avec son plus beau déhanché pour se glisser aux côtés de Cesare. Sa concurrente s’était absentée et n’ayant visiblement pas encore mit le grappin sur le prêtre, c’était l’occasion où jamais. Elle se présenta avec un sulfureux “Bonjour mon Père” en passant la main sur la nuque du prêtre avant d’approcher un tabouret de libre pour s’asseoir, collée à lui. Sans attendre l’autorisation, elle lui prit le bras et se pencha vers lui pour faire valoir son décolleté, une technique un peu agressive mais qui avait déjà fait ses preuves...

Vous avez l’air si maussade que j’ai pensé qu’une meilleure compagnie pourrait vous rendre le sourire. Qu’est-ce qui peut bien vous tarauder assez pour que vous nous honoriez de votre présence ?
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CesarePrêtre responsable
Cesare



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MessageSujet: Re: L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline]   L'adversité et l'existence sont synonymes [Ombeline] EmptyMer 27 Mar 2019 - 18:47
« Le malheur fait partie du quotidien de celui qui se soucie de ses protégés. Il pleure en silence, se sèche les larmes dans la prière et tente de tendre une main salvatrice à ceux qui peuvent encore être sauvés. On apprend à accepter cette tristesse comme ces individus apprennent à apprécier le goût amer de la boisson. Cela fait partie d’un éternel cycle où notre volonté est constamment mise à l’épreuve telle la roue du moulin supportant le flux constant d’une tumultueuse rivière, tournant encore et encore. »

Le prêtre chercha par la suite à convaincre son interlocutrice qu’il était inutile de gaspiller de précieux écus pour cette piètre bière, mais l’indocile s’était déjà envolée vers le comptoir de l’aubergiste, laissant Cesare au cœur de cet environnement si inhospitalier à son goût. Il aurait bien aimé lui proposer une infusion plutôt que l’alcool débilitant, le père spirituel étant un faible consommateur d’alcool de part son dégoût pour cette eau rance qui troublait les esprits et embrumait la perception de chacun. Urine de sorcière, que disait son estimé mentor, invention de la folie des hommes et montrant clairement comment la corruption des miracles des Dieux au profit d’un plaisir indécent pouvait avoir des effets néfastes tant sur l’âme que sur le corps.

Un souvenir vint titiller sa mémoire à mesure que le parfum émanant de la bière effleurait ses narines. Des images enfouies, des sons enterrés, mais le parfum qui persistait encore et encore. Il se souvenait de sa petite demeure à la périphérie du village, du caquètement des poules un peu plus loin, mais surtout du rire. Ce rire annonciateur de troubles. La fête des moissons avait toujours été un moment délicat pour la petite famille du jeune Cesare. Le père, brave fermier qui travaillait la terre d’arrache-pied pour nourrir sa famille, ne ratait jamais la célébration pour boire à s’en éclater la panse. Hors le bon père devenait quelqu’un de moins compatissant, plus impulsif, plus violent. La mère se faisait alors battre sous prétexte qu’il la remettait à sa place, quant au fils … le triste souvenir de nuits passées dans le poulailler, pleurant à chaudes larmes tandis que sa peau cuisait toujours après une sévère correction …

L’amer souvenir fut soufflé comme une traînée de poussière par un contact inattendu et pas des plus plaisants sur sa nuque. Il reconnut la chaleur humaine qui effleura sa peau, manquant de peu de lui arracher un frisson désagréable. La vois suave et féline qui la suivit n’était pas des plus rassurantes non plus et pendant un instant le prêtre fut tenté de se relever brusquement pour apostropher la personne qui se montrait si familière avec lui, un membre du Clergé. Néanmoins sa fierté n’eut guère le temps de s’exprimer dans son juste courroux car l’entrepreneuse demoiselle s’était déjà installée aux côtés du clerc, poussant même l’audace jusqu’à maintenir un contact physique avec le rigoureux religieux. Les mots lui manquèrent devant tant d’insolence, mais ce n’était rien comparé à la vision qu’elle offrit à Cesare, si provocatrice que l’homme sentit son sang brûler ses joues comme si ses veines étaient parcourues d’un fer fondu.

Si, il y’a quelques jours, Cesare avait traité Ombeline de vile succube, désormais il avait devant les yeux un exemple plus concret de la démone assoiffée et tentatrice qu’on craignait chez le commun des mortels pour ses charmes perfides et ses promesses empoisonnées. L’ascète était prit de cours et visiblement déstabilisé, chose que la femme sentait comme un limier pouvait flairer la peur d’un lièvre acculé dans une tanière. Elle poussait d’avantage ses charmes, minaudant de douces paroles, gardant ce contact si troublant, si dérangeant, si lourd de sens. Le prêtre sentait son cœur s’affoler et ses yeux jetaient des regards inquiets tantôt vers la femme, tantôt vers la table, comme pour se soustraire des yeux d’un cobra. Mais il sentait clairement ses prunelles le percer, mettre à nue sa gêne et sa fragilité, transpercer ses barrières mentales et jouer avec son mental à la manière d’un chat s’amusant avec sa proie. Le simple parfum qui émanait de la prédatrice attaquait les sens de Cesare avec une telle violence qu’il avait tout le mal du monde à l’ignorer. Tout en cette dame transpirait l’appel à la perdition, la tentation, l’abandon au vice. Elle incarnait à elle seule ce qu’il craignait parmi les damnés, celle qui souille l’âme des puritains à jamais. Damnée harpie prête à le dévorer sans aucune forme de compassion.

Serait-ce un test des Trois ? Une épreuve ? Maintenant qu’il y pensait, il avait été entraîné par celle qu’il escomptait sauver de ses noires pratiques, coincé dans un lieu transpirant la débauche même et engagé par une manifestation physique de ce qui a été interdit par les lois sacrées. Autant de facteurs couplés avec son moral tremblant comme une vieille tour en ruine ne pouvait pas trahir la vigilance soudainement piquée au vif du prêtre. Ne lui avaient-ont pas appris les nombreuses histoires des prophètes et des saints qui ont été constamment testés par les divins pour mettre à l’épreuve leur foi ? Saint Otto n’avait-il pas perdu sa famille, sa ferme et sa santé sans pour autant abandonner la prière jusqu’à ce qu’il soit récompensé par une divine bénédiction ? L’ermite Justinien n’avait-il pas poursuivit la route de son pèlerinage au cœur d’un désert tout en ignorant l’appel prometteur de la fille d’un démon lui promettant vin et compagnie ?

Soudainement conscient de l’importance du moment, son esprit reprit une clarté aussi affûtée que la lame d’un rasoir, la couleur trouble qui obscurcissait l’ambre de ses prunelles disparaissant pour laisser cet éclat qu’on pourrait comparer à l’or. Sans brusquerie mais fermement, Cesare retira sa main de la prise obscène de l’entrepreneuse, dont la mine déçue démontrait clairement ses pensées. Sans lui donner l’occasion de parler d’avantage, il murmura sur le ton de la confidence :

« Mon enfant, je suis touché que vous vous inquiétez de mon état d’esprit, mais sachez que je n’ai jamais été aussi clairvoyant qu’avant. En vérité, je suis comme la chouette guettant du haut d’un perchoir la souris imprudente qui pointerait le bout de son museau hors de sa tanière. »

La dame de joie semblait dubitative et confuse, perdant son sourire enjoué et ses airs débonnaires au profit d’un petit froncement de sourcils. Appréciant ce changement d’attitude, le prêtre poussa d’avantage sa supercherie en soufflant avec une voix aussi glaciale que le murmure de la Faucheuse.

« Je ne peux dévoiler les raisons de ma présence, mais vous me semblez être une honnête citoyenne, alors écoutez-moi bien. Le Clergé traque des hérétiques, d’abjects traîtres obéissant aux enseignements d’une fausse déité, des serviteurs du mal sacrifiant des innocents pour le malsain plaisir de leur dieu. Nous avons été mobilisés par le Clergé à la suite de sombres rumeurs reportant la présence de ces adorateurs impies dans les parages. »

La peur qui défigurait lentement le visage de l’audacieuse demoiselle fut un résultat amplement satisfaisant. Ne cherchant pas à provoquer un excès d’horreur et une crise de panique dans son cœur, il saisit les mains tremblantes de son interlocutrice avec douceur, son visage affichant le masque compatissant et condescendant du doux berger.

« Ne craignez-rien, nous veillons sur vous. Si je suis ici, c’est pour vous protéger contre pareils malfaiteurs. Tant que nous serons là, ils n’oseront pas tenter l’impossible au risque de tomber entre nos mains vengeresses. Mais prenez garde, car ces maudits chiens peuvent se cacher partout et frapper à tout moment. Quand vous quitterez cet établissement, reste sur vos gardes et surtout, priez. Priez les Trois pour que jamais un de ces monstres ne vous prenne pour cible, car ceux qui recommandent leurs âmes à la Trinité bénéficient du manteau sacré de Leur protection. »

Elle balbutia, son humeur malicieuse envolée, la crainte morbide ayant cédé à sa prédation. Doucement, elle remercia le prêtre pour ses sages conseils, venant même embrasser ses mains avec respect avant de s’éclipser, la tête basse et le sourire évanoui. Secrètement, Cesare espérait que cette rencontre porte ses fruits et que la pécheresse puisse trouver une forme de repentit au-delà de ses mesquines professions.

S’il avait réussit à en dissuader une, il avait par contre un adversaire bien plus tenace et coriace dans la personne d’Ombeline. En soit, cela avait un charme qui ne le laissait pas indifférent, cette adversité qui le poussait à toujours s’évertuer d’inspiration et de passion pour trouver les arguments nécessaires et contrer ses tranchantes répliques. Un duel dont le goût commençait à l’enivrer dangereusement.
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