Encore à bout de souffle, Maurice tira la grille bloquant l’accès aux égouts. Les bras croisés, Gisèle l’observait d’un air sévère. Comment osait-il la prendre en otage de cette façon, tout ça dans le but de retrouver un ridicule bibelot ?
« T’es vraiment sûr que Jack est entré là-dedans ? Il n’est pas assez fou pour ça, et de toute façon je ne vois pas comment il aurait pu bouger cette grille ! »
« Ta gueule, l’est rentré, j’l’ai vu d’mes yeux, » grogna Maurice comme réponse. Il saisit brusquement le bras de Gisèle, la poussant à descendre l’échelle la première. La prostituée lui lança un regard peu rassuré, mais Maurice y fut insensible, la pressant d’entrer.
Gisèle ne rajouta pas un mot. Toute tentative de négociation était futile, elle en était consciente : le pauvre homme n’avait plus toute sa tête, aucun argument (aussi raisonnable soit-il) ne pourrait le convaincre d’abandonner cette idée stupide. A peine eut-elle posé le pied sur le sol humide qu’elle sentit un frisson la parcourir. Elle avait entendu des rumeurs, elle savait ce qu’il se cachait dans l’obscurité des égouts, et elle n’avait aucune envie de rester ici. Maurice descendit l’échelle à son tour, ne prenant même pas la peine de rester discret : ses grosses bottes firent grincer chaque barre, et il atterrit bruyamment sur les dalles.
« Il s’cache où ? »
« Maurice, je sais pas, je suis pas complice je te le promets ! Dis-moi simplement ce qu’il t’a pris et je le récupérerai, mais s’il te plaît ne me fait pas aller plus loin, on ne le trouvera pas ce soir tu le sais bien ! » Elle tentait de maintenir un volume sonore bas, mais la panique se faisait sentir dans sa voix. Il était impossible de discerner quoique ce soit dans cette obscurité, s’y aventurer était du suicide. Criminels et fangeux régnaient en ces lieux, et elle doutait que les uns comme les autres ne les laissent quitter ce dédale en un seul morceau. Sans surprise, le vieil homme ne l’écouta pas, agrippant à nouveau son bras pour qu’elle le suive.
« Peut pas attendre, le Duc en a besoin. » Confuse, Gisèle resta pourtant silencieuse en remarquant l’expression grave de l’homme. Il croyait réellement ce qu’il disait.
Ils s’enfonçaient toujours plus dans l’obscurité des galeries. Maurice ouvrait la marche, sûr de lui. Il semblait savoir exactement où il allait, mais Gisèle savait très bien qu’ils finiraient par se perdre ainsi : s’orienter dans les sous-sols de Marbrume était tout simplement impossible. Maurice s’arrêta brusquement, et elle comprit vite pourquoi : des bruits de pas résonnaient un peu plus loin. Cachée derrière l’imposante carrure du vieil homme, elle risqua un coup d’œil. Peu habituée à cette obscurité, elle n’aperçut d’abord rien de plus qu’un mélange de nuances de noir et de gris, avant de discerner une frêle silhouette s’éloigner d’eux.
« Ils sont par-là. »
« Quoi ? » Il ne prit pas la peine de lui répondre, préférant suivre l’énigmatique silhouette sans lui demander son avis. « Attends, n’y va pas, c’est… » Elle se tut, croyant apercevoir la lueur d’une lame à seulement quelques pas. Incapable de détacher ses yeux, elle recula lentement, son dos se heurtant au mur comme si elle espérait pouvoir se dissimuler dans ce mélange de pierre et de mousse. Etait-elle paranoïaque elle aussi ? Maurice parti, elle se retrouvait désormais seule face à ses pires craintes. L’avait-elle imaginée ? Elle l’espérait. Par prudence cependant, elle préférait se faire aussi discrète que possible, priant silencieusement de ne pas se faire tuer ce soir. Avec précaution, elle se laissa glisser le long du mur, tâtant le sol à l’aveuglette. Ses recherches portèrent leurs fruits : un caillou. Ce n’était pas grand-chose certes, et il n’était pas non plus très gros, mais en cas d’offensive, elle aurait au moins de quoi gagner un peu de temps pour s’enfuir (si elle visait juste).