Marbrume


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 Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]

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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyJeu 14 Mar 2019 - 15:11
La pluie les accompagna tout au long du chemin qui les ramenait vers le vieux marché. Ellisabeth était restée silencieuse, tant pour éviter de se faire remarquer que pour ruminer ce qu'elle avait appris. Elle savait qu'elle ne devrait pas mais malgré tout elle voulait croire Marwen lorsqu'il disait ne pas être revenu pour lui éviter des ennuis. Le simple fait d'être considéré comme pirate pouvait bien lui coûter la vie tant cet équipage de forbans mettait en péril le commerce précaire entre Marbrume et le Labret. Personne ne soutenait la cause des pirates car tout le monde souffrait de leurs actions, s'annoncer comme étant l'un des leurs c'était signer son arrêt de mort. Alors peut-être bien qu'il disait vrai et qu'il l'avait fait tant pour se protéger lui que pour la laisser elle en dehors des ennuis. Peut-être...
À plusieurs reprises la jeune femme glissa un regard en coin vers son compagnon, essayant vainement de deviner par quelques indices mystérieux s'il la manipulait encore une fois ou s'il lui disait toute la vérité. Leurs retrouvailles avaient été aussi mouvementées que boiteuses et elle se sentait parfaitement en droit d'être furieuse après lui, cependant elle n'était plus aussi certaine que rester en colère soit ce qui la soulage le plus. Bien sûr il ne fallait pas s'attendre à ce que cette tête de lard de contrebandier se répande en excuses face à une mine ronchonne, il n'était pas fait de ce bois-là, mais elle reconnaissait que ç'aurait été agréable de le voir un peu contrit, un peu désolé. Et un peu moins ivre. Sans doute n'aurait-elle pas été si hargneuse s'il s'était montré plus courtois... Mais qu'est-ce qu'elle s'imaginait ? Marwen et Courtoisie ne pouvaient pas aller de pair ! Elle devait renoncer à l'idée qu'il se comporte comme le commun des mortels, c'était comme attendre d'un chien qu'il se conduise comme un poisson : complètement vain.

Résignée à ne jamais recevoir le moindre mot d'excuse et également résignée, en son for intérieur, à ce que la richesse passe avant tout le reste aux yeux de son agaçant compagnon de déveine, Elisabeth s'engouffra dans la petite ruelle tortueuse qui passait entre les bâtisses de son quartier et qui rejoignait l'arrière du Crapaud. Mieux valait être prudent, les voisins passaient rarement la tête par la fenêtre lorsqu'il pleuvait à verse mais la milice en revanche faisait quelques rondes.
Elle sentit plus qu'elle ne sue véritablement qu'il y avait un souci dès qu'ils mirent les pieds dans la petite cours au puits derrière sa boutique. Instinctivement, elle ralentit le pas pour s'approcher avec circonspection de la porte. Il suffit d'une légère pression sur le battant pour que ce dernier s'ouvre, n'opposant aucune résistance. Le cœur de l'apothicaire manqua un battement : cette porte était verrouillée lorsqu'elle avait quitté son domicile ! À bien y regarder, la serrure avait été malmenée et des traces boueuses de pieds marquaient tout le perron. Cependant ce n'était rien en comparaison de la scène de saccage qui s'offrit à leurs yeux une fois la porte entièrement ouverte. La jeune femme ne réalisa même pas qu'elle portait ses deux mains à sa bouche pour étouffer une exclamation.

L'arrière-boutique qui servait de laboratoire avait été entièrement retournée : les livres avaient été jetés au sol, les fioles brisées, les sacs éventrés, les pots vidés de leur contenus et les ustensiles jetés au sol. La fouille avait été rapide et brutale. La propriétaire des lieux entra presque timidement dans sa propre maison, le regard allant de droite à gauche sur les restes éparpillés de ce qui était moins de deux heures auparavant son domicile, son antre et son refuge. Une crainte nouvelle la frappa alors aussi soudainement que la foudre et elle quitta sa tétanie horrifiée pour se précipiter dans la boutique. Tout ce qui était sur et dans le comptoir avait été retourné mais par bonheur, le reste des étagères était toujours intact. Elle fit alors volte-face sans s'inquiéter de Marwen et gravit au galop l'escalier pour rejoindre l'étage où elle habitait. Ici, il semblait que la frustration était plus à blâmer que de quelconques fouilles. Tout avait été brisé, arraché, déchiré ou renversé. Tout. La table était retournée et un pied avait été brisé, les chaises étaient lardées de coups de couteau, toute la vaisselle était au sol et aussi endommagée que possible, les quelques vivres avaient disparus des placards. Même depuis l'escalier on pouvait voir que l'intérieur des deux chambres avait été ravagé avec la même minutie, les lits éventrés, les malles fouillées et les vêtements déchirés.
En guise de signature, un morceau de tissu avait été cloué au mur avec un couteau pour exhiber le symbole maladroitement peint dessus représentant trois crânes empilés en pyramide.
Elisabeth eu l'impression que toutes ses forces l'abandonnèrent d'un seul coup et elle dût s'adosser à un mur pour ne pas tomber à terre tant ses jambes tremblaient. Une vague de dégoût et de mal-être s'abattit sur ses épaules et elle eut cette nette impression d'avoir été souillée personnellement à travers le saccage de sa demeure. Pour avoir été si efficace, ils avaient été plusieurs et avaient fait vite. Leur quête était sans doute un échec étant donné la rage avec laquelle le mobilier avait été fracassé, mais l'idée ne consolait pas l'apothicaire. Se forçant à l'action, elle traversa ce qui avait été sa salle à manger pour aller décrocher du mur le macabre étendard. Le bruit de pas du contrebandier dans son dos lui rappela qu'elle n'était pas seule et elle roula en boule le tissu pour le lui lancer dans les mains.

Des amis à toi ? demanda-t-elle avec un léger tremblement dans la voix qu'elle aurait aimé contrôler un peu plus.
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyLun 18 Mar 2019 - 13:44
Elle n’avait pas répondu, bien évidemment, lorsqu’il lui avait expliqué à quel point elle n’avait rien pigé dans ce qu’il lui avait dit. Que sa colère lui faisait voir des choses qui n’existaient pas, qu’elle redirigeait toujours contre lui le moindre des soucis qui pouvait lui compliquer la vie. Il fallait désormais qu’il se justifiât en large, en long et en travers pour espérer pouvoir la convaincre. Et encore. Il pouvait toujours deviner une petite étincelle suspicieuse qui luisait au fond de prunelles de la sorcière, prunelles à présent bien plus sombres et ternes que celles qu’il avait jadis connues.

Le reste du chemin se fit dans le silence que continuait d’oblitérer la pluie qui tombait drue. L’eau éclatait contre les pavés dans des geysers qui leur trempaient les pieds, rebondissait contre les murs de pierre, dégoulinait le long des toits de chaumes pour leur jaillir sur le coin de la tête. Ils avaient cessé depuis longtemps de se prémunir contre cette humidité conquérante qui s’infiltrait là où elle le voulait. Les cheveux, les cils et les nez gouttaient comme jamais, les pieds pataugeaient des les bottes prétendument étanches, et l’on eût juré qu’ils venaient tout juste d’émerger de l’océan. A dire vrai, parler aurait été vain, et les deux ruminaient leurs pensées propres, plongées dans leurs torts et leurs travers. Mais cette atmosphère, pourtant déjà pesante, ne le devint que plus encore lorsqu’ils parvinrent en bordure du Crapaud Apothicaire.

Elisabeth s’était arrêtée nette devant la porte, avant de la pousser dans un mouvement empli de crainte et d’appréhension. Le battant, étrangement maculé de boue et creusé d’impacts, s’ouvrit sans forcer, laissant apparaître un capharnaüm des plus horrifiants. Si la jeune femme pouvait encore pâlir davantage, nul doute qu’elle ne l’eût fait. Elle se contenta de museler le cri d’effroi et de stupéfaction qui menaçait de quitter ses lèvres avant d’entrer dans son établissement d’une démarche un peu raide.

Tout était sens dessus-dessous. Les ouvrages avaient été ouverts en grand avant d’être jetés, et leurs pages commençaient à éponger les gouttes d’eau que les deux visiteurs répandaient autour d’eux. Chaque nouveau pas amenait avec lui son petit crissement détestable ; les pots de verre et autres fioles s’étaient brisés en une myriade de petits cristaux nitescents après avoir subi le même sort que les parchemins, et il était impossible de ne pas leur marcher dessus. Les toiles de jute des sacs avaient été saccagées avec véhémence et leur contenu une fois de plus renversé. Suivant la sorcière, Marwen était entré dans le bâtiment sans plus trop savoir où se mettre. S’il avait déjà pu contempler un pareil spectacle, et en avait déjà même été la cause, il connaissait trop bien Elisabeth pour demeurer insensible à cette vision. Ce n’était pas rien ; c’était le labeur d’une vie entière qui venait d’être dévasté. Elisabeth avait tout bâti de ses mains, monté son commerce elle-même, toute seule, dans ce monde où la femme était davantage considérée comme un meuble que comme une personne. Elle s’était battue pour maintenir sa boutique à flot, forgeant aussi bien cette dernière que ce caractère bien trempé qui la caractérisait tant. Et, en l’espace d’une heure, tout cela venait de voler en éclats. Il déglutit.

C’était que, à sa manière, le contrebandier avait déjà causé du tort à ce même établissement, lors d’une nuit où l’ivresse et la maladie l’avaient conduit aux portes de la folie et de l’endêvement. Irrité au plus au point, il avait décidé de passer ses nerfs contre la porte de la chambre de la sorcière plutôt que sur la jeune femme. Ce simple geste avait été perçu comme un viol, comme une tentative effrénée et destructrice pour s’impatroniser au sein même de son sanctuaire, s’appropriant tout ce qui lui appartenait, tout ce qu’elle avait voulu cacher du regard des autres. Une porte. Une simple foutue porte. Quid, alors, de l’intégralité de la bâtisse ? Elisabeth courut à l’étage, et Marwen la suivit de près, non sans avoir hésité un instant, eu égard à leur dernier passif en la matière.

Dans les autres pièces, ce fut pire encore. L’Esbigneur avait déjà mené des sacs, mais ce qu’il constatait là allait au-delà de la simple fouille. Tout n’avait été que colère et dévastation. La visée même de cette intrusion n’avait pas été autre que de tout ravager, sans distinction aucune. Les chaises avaient été jetées contre les murs, se brisant dans un millier d’éclisses. La table avait été sabordée, les tapisseries déchirées, les oreillers poignardés, les couvertures lacérées, et le contenu des placards renversé. Cela n’avait ni queue ni tête ; ce n’était que l’expression la plus parfaite de la violence gratuite. Tandis qu’il demeurait là, les bras ballants, ne sachant plus que faire au beau milieu de ce carnage, la sorcière manqua de tourner de l’œil, témoin de l’anéantissement de sa vie. Elle tituba, se retenant tout juste au mur, et l’Esbigneur se précipita vers elle.

« Holà, sorcière, holà. Tout doux. Eh, tu m’entends, tu vois toujours clair ? C’est que j’ai toujours rêvé de te foutre des baffes, mais maintenant que mes souhaits se concrétisent, je les trouve subitement bien moins séduisants, tu vois… »

Elle parvint à tenir debout sur ses jambes, mais ce fut tout juste. Ces dernières tremblaient, de même que ses bras et ses poings fermés. Ses mèches détrempées lui tombaient devant le visage, difficilement reconnaissable ; elle semblait avoir pris dix ans d’un seul coup, alors que le poids de cette réalité qu’elle devait affronter lui affaissait les épaules et lui courbait l’échine.

Le contrebandier n’avait jamais été quelqu’un de très compatissant, mais, là, la voir si mal en point le toucha plus que de raison. Il se trouvait fort bête, aussi, à ne savoir comment se comporter dans une telle situation. Il se riait bien du destin et s’amusait bien volontiers du danger, car c’était là ce qui le faisait vivre. Mais, face à cet abandon qui menaçait d’être total, face à la mine terrassée de la sorcière, il se trouvait alors aussi désemparé qu’un nouveau-né. L’Esbigneur se mordit la lèvre en la regardant, ne sachant que faire, ne sachant comment l’aider à supporter cette épreuve. Mais elle trouva quelque part en elle la force de continuer. Suffisamment, en tout cas, pour s’emparer de la signature des malfaiteurs, encore accrochée au mur, et la lui envoyer à la figure. Marwen accusa le coup.

« Non, j’ai rien à voir avec ces fils de pute. Tu vas pas imaginer ça, quand même ? », grogna-t-il. La question d’Elisabeth était légitime, après tout ; ne lui avait-il pas avoué qu’il faisait partie des pirates, désormais ? Et elle connaissait son passé, son histoire. Elle savait à qui elle avait affaire. S’il le prit toutefois comme un affront personnel, le balafré préféra remettre cette offense sur le compte de la douleur. La tenancière du Crapaud Apothicaire était aux abois, après tout. Il tâcha de ne rien montrer, et s’opiniâtra, devant cette insulte, à réprimer un « j’espère au moins qu’ils n’ont pas volé mon coffret » capable de la mettre au fond pour de bon.

« Sais-tu ce qu’ils cherchaient ? J’ai pas bien l’impression que ça soit la vengeance d’une donzelle parce que son mari peut, grâce à tes talents, sauter sa maîtresse plutôt qu’elle, cette fois-ci. Merde. Je sais pas. Je suis désolé, sorcière. Si ça se trouve, peut-être que si j’avais pas été là pour t’éloigner de chez toi, ben… »

Il se passa la main dans les cheveux, un peu gêné. Mais cette réflexion en amena une autre.

« D’un autre côté… Va savoir. Qui sait ce qu’il se serait passé si tu avais été là au moment des faits. Ils avaient l’air d’être plusieurs, fut le foutoir, vu à quel point ils ont été méticuleux pour tout foutre en l’air. Mmh…
… Je préfère quand même que ça soit ton oreiller qui soit éventré plutôt que toi, sorcière
», termina-t-il, un peu penaud.

« Tu… Tu vas faire quoi ? »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptySam 23 Mar 2019 - 20:19
Elle ne releva pas l'air mécontent du contrebandier lorsqu'elle lui demanda s'il avait quoi que ce soit à voir dans l'affaire. Elle se foutait bien de ses états d'âme, si tant est qu'il puisse en avoir pour de bon, ça ne lui allait pas de jouer la dignité offensée alors qu'il frayait avec la vermine depuis si longtemps.
En vérité, Elisabeth ne pouvait pas concevoir qu'il fasse partie d'un plan visant à l'attirer loin de chez elle pour permettre une fouille détaillée et brutale. Elle était méfiante de ce qu'il était capable de lui faire ou de lui demander, mais cette scène de carnage était d'un tout autre niveau et elle ne pouvait se résoudre à l'associer à tout cela. Elle avait juste espéré qu'il reconnaisse un blason, un symbole, une armoirie de gang... Hochant simplement la tête pour lui signifier qu'elle n'avait aucune idée de ce qui avait motivé les intrus, la jeune croisa les bras en sentant le froid la mordre plus fort encore.

Tu… Tu vas faire quoi ?

Le regard vague, elle ouvrit la bouche et failli répondre mais sa voix demeura coincée dans le fond de sa gorge. Aussitôt elle pinça les lèvres et haussa les épaules. Plusieurs choix s'offraient à elle et pour l'instant, elle ne se sentait la force d'en arpenter aucune. Se pelotonner dans ses draps et dans des vêtements secs était, pour l'instant, son désir le plus cher mais lorsqu'elle se retourna vers sa chambre, elle se rappela qu'il ne lui restait pas grand-chose en draps ou en vêtements encore en bon état. Elle prit alors une profonde inspiration, se forçant à ignorer l'étau de détresse et de crainte qui lui écrasait la poitrine.

Pour l'instant je vais ranger. Jeter. Ensuite je...

Sa voix s'étrangla encore.
Elisabeth ne voyait que deux grandes options face à elle : panser ses plaies et se barricader dans l'espoir que ça n'arrive plus ou se mettre en chasse pour rappeler à tout le monde dans les bas-fonds que sous ses airs affables, elle était la meilleure empoisonneuse de la ville. Quoi qu'elle décide, la tâche lui semblait colossale, trop pour elle en cet instant. De nouveau elle haussa les épaules.

Faut rallumer le feu et se sécher avant d'attraper une fièvre. Je vais sauver ce que je peux en bas et balayer tout le reste jusque dehors. Peut-être que comme ça on saura ce qu'ils voulaient... Son regard se porta sur le bras de Marwen. Et je vais te rafistoler ça aussi.

Sans plus s'attarder sur ce qu'elle projetait de faire, l'apothicaire entra dans ce qui avait été sa chambre et fouilla une malle d'où elle sortit des vêtements assez quelconques mais toujours en bon état et surtout bien secs. Ignorant le drap lardé de coups de poignards, elle fit deux piles sur son lit, l'une avec des habits de femme, l'autre avec de quoi vêtir un homme.

Changes toi sans mettre de sang partout. Je n'ai pas envie de devoir encore une fois endurer tes sautes d'humeur ou tes délires fiévreux, dit-elle en regagnant la pièce principale et en désignant la chambre au contrebandier d'un mouvement de tête. Je vais chercher du bois. La chemise sera peut-être un peu étroite, mon père n'était pas charpenté pour distribuer des baffes...

Son pas s'arrêta à hauteur de Marwen dont elle soutint le regard un moment et cette fois sans colère. Difficile de croire que son retour et cette mise à sac n'avaient aucuns liens, même s'il n'en était pas responsable, cependant elle avait désormais mieux à faire que d'épuiser son énergie à lui en vouloir. Tout ceci était bien plus grave que cette histoire de disparition qui, finalement, n'avait eu qu'un impact très personnel sur l'apothicaire et aucunes répercutions sur son commerce ou sa vie. Et pour le moment, il était ce qui ressemblait le plus à un allié dans tout Marbrume. Malgré sa désertion, malgré sa cupidité et malgré ses nouveaux amis des mers.
Elisabeth failli porter une main à son bras pour se raccrocher à lui mais elle s'interrompit immédiatement, craignant trop d'abandonner ce semblant de force qui la tenait debout si elle se reposait un seul instant sur quelqu'un d'autre. Malgré tout, elle lui demanda d'une voix un peu plus basse :

J'aimerais que tu restes un peu, s'il te plait. En échange de ton coffre, d'accord ?

Sans attendre de réponse, la jeune femme reprit les escaliers pour se mettre en quête de quelques buches et se confronter une seconde fois au décor de son laboratoire dévasté. Le coassement de ses deux crapauds l'accueilli telle la lumière vacillante d'une bougie sous le vent. Elle se précipita vers le vivarium qui avait été miraculeusement préservé et dont les occupants semblaient en parfaite santé. Le soulagement qui l'étreignit alors lui ôta un peu du poids qui l'étouffait : elle n'avait pas encore tout perdu. Veillant à nourrir assez les batraciens pour qu'ils retournent à leur torpeur, la jeune femme s'occupa enfin de retirer son manteau gorgé d'eau pour le suspendre près de la porte qu'elle avait refermée et barricadée d'un lourd linteau de bois en travers. Si d'habitude elle n'avait jamais besoin de recourir à ce verrou imposant, les conditions s'y prêtait désormais tout à fait. Par acquit de conscience elle vérifia également que la porte de la boutique était fermée à double tour. Qui que puissent être les intrus, ils ne remettraient pas les pieds ici de si tôt, elle en fit le serment.

Tout en ramassant à la hâte les livres répandus au sol pour les empiler à l'abri sur une table, la jeune femme tenta de mettre un peu d'ordre dans ses idées et d'insuffler un peu de courage à son corps encore frémissant du choc de cette découverte. Pour l'heure, personne ne pouvait plus entrer chez elle, elle ne craignait donc plus rien. Tous les stocks dans la boutique étaient intacts et malgré le saccage, elle avait noté que le tapis sur la trappe menant au sous-sol n'avait pas été soulevé. Il faudrait s'en assurer mais il y avait de grandes chances que les voleurs n'aient pas touché à la cave non plus, ce qui était une excellente nouvelle. En définitive, on lui avait porté un coup violent par surprise, mais elle n'était pas blessée à mort.
Tandis qu'elle dépliait les pages écornées d'un vieux volume relié, le souvenir de son père manipulant le même livre, quelques années auparavant, refit surface. Qu'aurait-il pensé de tout cela ? Et qu'aurait-il conseillé à sa fille pour la suite ? Sans doute l'aurait-il prise dans ses bras pour la rassurer avant de lui promettre qu'ils s'en relèveraient ensemble. Malgré son humeur tranquille, le père Gardefeu était, de son vivant, une sacrée tête de mule. Rien ne le faisait jamais fléchir. Et sa fille se sentait désormais déterminée à ne pas rester les yeux baissés face à cette intrusion. Elle ne pouvait pas, après tant d'années d'efforts, se montrer faible et rendre les armes sans se battre. Elle ne pouvait pas faire honte à la mémoire de ses parents. Une fois tous les livres en sureté, elle s'empara de trois buchettes et regagna l'étage pour y raviver le feu, non sans avoir pris au passage un panier contenant de quoi recoudre et panser la plaie du contrebandier.

De retour dans son séjour, elle s'attela immédiatement à raviver les braises dans la cheminée, sans encore oser chercher Marwen du regard. Il lui avait déjà prouvé qu'il n'avait aucuns soucis à se promener nu et pour l'heure, elle se passerait bien de l'admirer dans le plus simple des appareils. Malgré tout, elle l'appela dès qu'un semblant de flamme se mit à lécher la première buche.

Approche-toi, je vais recoudre ton bras. Pas la peine que tu te vides de ton sang sur mon parquet, il a bien assez souffert comme ça je pense, ironisa-t-elle en s'asseyant en tailleur, son panier à côté d'elle. Et puis je crois que j'ai décidé de ce que j'allais faire.

Lorsque son patient fut installé face à elle, Elisabeth lui prit le bras et examina un moment la plaie avait de passer dessus un linge propre imbibé d'un liquide qui sentait fort l'alcool et les plantes. Comme toujours, elle prenait grand soin de ne pas se montrer inutilement brusque et veillait à épargner autant de douleur que possible. Soigner n'était pas sa vocation première, du moins pas dans l'application concrète des soins, elle était plus versée dans la préparation. Cependant le temps et les occasions avaient œuvré à lui inculquer quelques notions bien utiles pour raccommoder les gens. Et puis elle avait un bon coup d'aiguille.

Je vais trouver qui est entré chez moi et pourquoi. Je retrouverai ces enfoirés de fils de puterelle vérolée et quand on découvrira leur cadavre, même leur mère n'arrivera à les reconnaître, articula-t-elle avec un stoïcisme inquiétant. Puisqu'on me traite de vipère, je vais me conduire comme une vipère : quelqu'un a cru malin de donner un grand coup de pied dans mon nid et il ne va pas repartir sans se faire mordre.

L'aiguille à la main, elle suspendit son geste juste au-dessus de la peau et releva les yeux vers le contrebandier.

Tu m'aideras ?
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMar 26 Mar 2019 - 17:26
Difficile pour la jeune femme que d’outrepasser le choc qui l’avait saisie afin de se projeter vers l’avenir. Marwen le sentit bien lorsqu’il lui posa la question de ce qu’elle allait faire. Plus pâle encore que d’ordinaire, elle ne savait où porter le regard au milieu de ce capharnaüm composé de toutes ses affaires personnelles. Elle se mordit les lèvres, et sembla un instant sur le point de craquer, de tout balancer, d’abandonner la lutte. Mais, au dernier moment, elle se reprit quelque peu, et tenta de s’organiser un minimum. D’abord, ranger ce qui pouvait l’être, et jeter ce qui ne pouvait être sauvegardé. Un plan simple ; s’en remettre au plus basic afin de remettre ses idées en marche. Agir pour ne pas dépérir, sûrement. La voix de la sorcière s’étrangla tout de même.

Le contrebandier ne l’interrompit point, conservant un pudique silence. Ça ne lui ressemblait pas du tout, mais, en l’instant, il ne savait que faire, ne savait comment se comporter. Là où il aurait déjà dû balancer une bonne dizaine de vannes, l’Esbigneur attendait avec une certaine patience qui ne lui ressemblait pas, allant même jusqu’à baisser les yeux. Difficile que d’assister ouvertement à une telle scène. Ne lui avait-elle pas dit, un jour, qu’elle savait bien qu’elle n’était qu’une faible femme par rapport à tous ces hommes rustres et imposants, mais qu’elle tâchait toujours de donner le change, de faire semblant de leur tenir tête jusqu’à y parvenir ? Voilà qui faisait éclater tout le mythe, toute l’armure qu’elle s’était construite, exhibant toute la vulnérabilité de cette femme qui n’avait jamais voulu en entendre parler.

Si fait, elle désirait remettre de l’ordre dans tout ce bordel. Rallumer le feu et se sécher afin de ne pas prendre froid. Faire du ménage, trier, comparer, de manière à voir ce que les malfrats lui voulaient. Et raccommoder la plaie que s’était fait Marwen. A ces mots, ce dernier tiqua, avant de regarder sa blessure. Il avait complètement oublié l’estafilade qu’il s était lui-même causée, avec toute cette histoire.

« Nan, mais laisse, c’est pas bien grave, tu sais. Tu ferais mieux de t’occuper de toi, plutôt, et de ton enseigne. Vous en avez bien plus besoin que moi. »

Mais pas sûr que la sorcière voulût bien l’entendre de cette oreille, avec son caractère bien trempé. Et pour cause, elle l’ignora tout simplement, et ouvrit une malle d’où elle sortit différentes vêtures ; des habits de femme et d’autres d’homme, ces derniers étant pour Marwen. En les lui refourguant, la jeune femme fit quelques références à un de leurs moments communs, assez brutal pour ainsi dire. Ce qui donna la même idée à Marwen ; celle de sous-entendre que, pour avoir ainsi plusieurs tuniques d’homme à disposition, la sorcière cachait bien son jeu, devant prendre du bon temps en dépit de toutes ses récriminations à l’encontre de la gent masculine. L’Esbigneur fit bien de se retenir ; il apprit juste après que les vêtements qu’il allait enfiler appartenaient à feu le père de la tenancière du Crapaud Apothicaire. C’était la seconde fois en quelques minutes qu’il ne se jetait pas sur la première remarque qui lui passait par la tête, et force était de constater que cela lui réussissait plutôt bien. Il réfléchit à l’idée tandis qu’Elisabeth s’approchait de lui.

Elle s’arrêta à quelques pas de lui, croisant son regard, le soutenant même. Point de colère, cette fois-ci, point de rancune ni même de peur. Marwen n’y voyait qu’un puits insondable de lassitude et de fatigue, quoiqu’il y perçût malgré tout une once de résolution. Elle effectua un semblant de mouvement dans sa direction, mais se ravisa aussitôt. Le gaillard toussota maladroitement, affectant l’air distrait de celui qui n’avait rien remarqué. Ça aussi, c’était peut-être mieux qu’une blague salace sur les capacités de la sorcière à réussir à agripper quelque chose de sa main. Elle lui demanda de rester un peu, en échange de son coffret.

Il passa sa main dans ses cheveux, gêné. Il ne s’attendait pas à ça. Enfin, il l’avait deviné, certes. Il était évident que l’apothicaire avait besoin de soutien, de quelqu’un à qui se raccrocher après avoir vu tout son établissement dévasté. Mais pas qu’elle eût pu proférer ses mots. A lui.

« Tu me demandes ça, à… Moi ? questionna-t-il, hésitant. C’est que tu dois avoir plein de gens qui accourront pour t’aider dès qu’ils entendront parler de ça. Des amis, des proches, voire même des clients, peut-être. Enfin, je dis ça, mais c’est pas que ça me dérange, non. Je reste, oui, sorcière. Coffret ou pas», lui assura-t-il tandis qu’elle descendait à l’étage.

Il profita de cette solitude nouvellement gagnée pour retirer ses vêtements détrempés par la pluie. Lorsqu’ils retombèrent sur le parquet, ce fut tout juste si une petite mare ne se forma pas. Il n’avait rien pour proprement se sécher, et ses yeux se posèrent sur les draps déchiquetés de la chambre. Il regarda à gauche, puis à droite, comme s’il craignait d’être découvert, puis, constatant qu’il n’y avait personne, s’empara du tissu et s’en servit comme serviette. Vu l’état, dans tous les cas, il doutait fortement qu’Elisabeth en vienne à l’utiliser encore par la suite. Puis il enfila ses nouvelles affaires, veillant à ne pas les tacher de sang. C’était un peu serré, effectivement, mais ça convenait assez.

Il entendit remonter la sorcière dans l’escalier et entrer dans la pièce juxtaposée à la chambre dans laquelle il se trouvait. Quelques secondes plus tard, et le ronflement d’un feu se fit ouïr en même temps qu’une lumière diffuse se propageât dans les environs. Elle le héla, et il vint la rejoindre, tirant un peu çà et là sur sa tunique aux coutures trop serrées pour lui.

« Je comprends pourquoi t’es aussi gringalette, avec un paternel comme ça, maugréa-t-il en roulant un peu des épaules afin de tester l’élasticité du tissu. Mais merci tout de même pour l’attention. »

Face à l’âtre qui dispensait une agréable chaleur, Marwen s’assit à côté de la sorcière, et celle-ci lui prit le bras. Avec un air sérieux et précautionneux pour le goût de l’Esbigneur, qui jugeait qu’il n’y avait rien de grave, elle étudia la blessure, avant d’appliquer une lotion qui lui picota fortement la plaie. Puis, aiguille en main, elle s’apprêta à lui percer la peau. Mais s’interrompit aussitôt ; elle venait de prendre une décision, elle savait précisément ce qu’elle prévoyait de faire. Trouver qui était entré chez elle par effraction, connaître l’identité de ces corniauds pour les faire payer au centuple. S’il aimait bien la voir reprendre du poil de la bête, il appréciait moins, en revanche, ce champ lexical de la morsure, du poison et du serpent. Surtout alors même qu’elle tenait une aiguille, bien haute, qu’elle s’apprêtait à lui plonger dans son bras. Elle croisa son regard, lui demandant de l’aider dans l’assouvissement de sa vengeance.

« Eh, c’est que c’est une demande sincère ou une menace ? Je dis ça parce qu’avec ton aiguille, là… T’as pas besoin de ça, sorcière. Ouais, donc, je vais rester. Et ouais, aussi, je vais t’aider. C’est que je voudrais pas te voir comme tout à l’heure, désabusée, au bout du rouleau, pâlotte comme tout, alors que, cette fois-ci, j’en aurais été la cause, tu vois. »

Il maintient son regard, avant de le détourner le premier. Ce n’était pas croyable, ça, comment ça le perturbait. Il se rappelait sa première rencontre avec elle, où ils en avaient failli venir aux mains. Elle lui tenait tête, à ce moment-là, et lui avait fait de même. Pareil dans cette même pièce, il y avait de cela un bout de temps, quand il était ivre. Ils s’étaient verbalement écharpés, avec une incroyable violence, se détruisant mutuellement petit à petit. Il avait riposté à ses assauts, devenant hargneux, brutal, mais, lorsqu’elle s’était finalement effondrée et qu’il avait entendu ses sanglots, toute la colère s’était évanouie, sa rage avait fondu comme neige au soleil pour ne laisser qu’un arrière-goût amer de regrets. Voilà qu’il réitérait cela, à présent. Malgré lui, il roula des yeux au plafond.

« Mais je sais pas trop où l’on va commencer, à dire vrai. Je sais pas qui sont ces gus, je ne connais pas leur symbole, là. Et je ne sais pas qui peut t’en vouloir. J’ai peut-être des contacts à qui ça pourrait dire quelque chose, mais bon. Mais j’y pense, aussi. Ça va finir par se savoir, tout ça. Ta boutique en pagaille. Ça pourrait enquêter. Et si, sur un malentendu, l’on me trouve ici… »

L’Esbigneur la regarda de nouveau, avant de lever les bras, l’air fataliste.

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Elisabeth GardefeuApothicaire
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyLun 1 Avr 2019 - 18:00
L'esquisse d'un petit sourire reconnaissant se dessina au coin de ses lèvres tandis qu'elle hochait la tête. Mieux valait avoir quelqu'un pour surveiller ses arrières si elle décidait de mener à bien cette vendetta et elle préférait que ce quelqu'un soit capable de distribuer quelques coups de poing si nécessaire. En la matière, elle savait ce que valait l'esbigneur.

Pour l'instant on a juste besoin de trouver des informations et tu connais plus de gens que moi qui pourraient nous renseigner. Ensuite on avisera. Les groupes de pendards se forment et se délitent rapidement d'habitude mais je trouve que depuis quelque temps, il y en a de plus en plus en ville. Peut-être que ce n'est qu'une impression.

Sans répondre immédiatement à la question de la milice qui pourrait venir fouiner, Elisabeth lui reprit le bras et cette fois elle piqua l'aiguille dans la chair pour faire quelques points de suture. Elle travaillait vite pour éviter de faire durer le plaisir. Martyriser son compagnon était un bonheur éphémère qu'elle ne se permettait pas assez souvent à son goût, mais elle pouvait comprendre que le sentiment ne soit pas partagé. En quelques instants les deux bords de la plaie furent ressoudés. D'un geste habile, elle fit un nœud au bout du fil et se pencha pour le couper avec les dents.

Là. Évite d'encrasser la plaie ces prochains jours, fit-elle en rangeant tout son matériel dans le panier d'où elle l'avait sorti. Je ne pense pas qu'il y aura la moindre enquête tu sais, la milice a bien mieux à faire que de s'enquérir du tapage dans le quartier. Ma boutique est en bon état, je pourrais même l'ouvrir dès demain si je voulais et personne ne se rendrait compte de rien.

La jeune femme haussa les épaules avec une sorte de détachement fatigué. Elle avait pris l'habitude, comme tous les autres habitants de Marbrume, de ne plus compter autant sur la protection des gardes et des miliciens. Ils avaient souvent mieux à faire et le reste du temps ils n'avaient tout simplement pas envie. Les petits incidents qui avant méritaient que l'on s'y intéresse étaient désormais si fréquents qu'on laissait les gens se débrouiller par eux-mêmes.

Je n'aurais qu'à mettre un mot sur la porte pour signaler que la boutique sera fermée quelques jours et j'aurais la paix. Tu ne crains rien ici, j'ai la réputation d'être une célibataire bien comme il faut et loin de toutes mauvaises fréquentations, personne n'aura l'idée de venir te chercher ici, ajouta-t-elle avec un peu plus de légèreté en se relevant et en le gratifiant même d'un tapotement au sommet du crâne comme s'il avait six ans.

Elisabeth déposa son panier sur une commode encore debout et prit la direction de la chambre. Elle n'était toujours pas changée et sa robe gouttait toujours sur le plancher, lui pensant sur le corps. Il était temps qu'elle se débarrasse de cette chape de tissu humide et froide qui la faisait grelotter. Estimant inutile de préciser qu'elle n'avait besoin ni d'aide ni de compagnie, l'apothicaire repoussa la porte qui battait désormais mollement sur ses gonds pour la refermer sur elle et avoir un peu d'intimité.
Sous la lumière grise qui dégoulinait par la fenêtre à travers la pluie qui battait toujours la ville, la pièce avait des allures bien lugubres. Des plumes étaient répandues partout au sol, la grande malle avait été ouverte et renversée, l'armoire avait été vidée également... Des fangeux en furie n'auraient pas fait mieux. Essayant de ne pas s'attarder sur l'état des lieux, la jeune femme entreprit de rapidement délacer ses jupes et sa blouse pour tout retirer d'une traite. Il faisait trop froid pour s'effeuiller délicatement comme si elle était sous l'œil attentif d'un public ! Elle repoussa le tas humide de linge du bout du pied tout en se saisissant du drap déchiré qui avait visiblement servit de serviette. Pourquoi pas après tout ? Au point où il en était... Veillant inconsciemment à toujours faire dos à la porte, elle se frictionna rapidement de la tête aux pieds, essorant ses cheveux du mieux qu'elle put avant d'aller ramasser un peigne qui traînait là, au sol, après avoir été jeté à terre avec tout ce qui pouvait l'être. Sans s'inquiéter de n'être toujours pas habillée, Elisabeth prit le temps de soigneusement démêler ses cheveux. Le choc passé, elle se sentait désormais comme étrangère à tous ces événements : le retour de Marwen, la foule en colère dans la taverne, leur retour sous la pluie en se disputant, la découverte du saccage. Tout lui semblait soudain étrange, comme s'il s'agissait d'un rêve un peu fiévreux qui n'était pas le sien. Parce que sa vie à elle, tranquille et parfois monotone, qu'elle s'était construite peu à peu et qu'elle avait continué de vivre même lorsque le contrebandier était partis, cette vie-là était si loin du déchaînement de violence de cette journée. Un instant elle repensa à ce qu'avait dit son compagnon à propos de ce qui serait arrivé si elle était restée chez elle au lieu de sortir et elle frissonna si bien qu'elle croisa un bras sous sa poitrine comme pour se protéger de cette idée. Peut-être qu'effectivement elle n'aurait rien pu empêcher et qu'elle serait alors dans le même état que ses meubles : brisée, laissée pour morte. Elle se surprit alors à penser "heureusement qu'il était là" alors que repassait devant ses yeux les premières images de leur triste découverte. Heureusement qu'il n'avait rien dit et qu'il avait juste accepté de rester un peu, heureusement qu'elle n'avait pas été seule avec ses craintes en rentrant chez elle et finalement, heureusement qu'il était revenu. Certains jours elle l'avait pensé mort et cette pensée n'avait pas été réconfortante.

Tout en essorant une dernière fois ses cheveux désormais moins en pagaille, elle remercia brièvement les Trois d'avoir épargné la vie de cet imbécile qui, malgré son train de vie désastreux, ne méritait pas de mourir. Elle aurait juste aimé qu'il revienne plus tôt. Un an c'était long, trop long pour que ce fameux baiser veuille encore dire quoi que ce soit et c'était peut-être ce qui lui déplaisait le plus. Elle n'aurait sans doute pas eu à demander qu'il reste avec elle s'il était rentré plus tôt pour alimenter un peu ce qui les liait ensemble. C'était assez étrange de le réaliser et surtout de l'accepter seulement maintenant qu'ils s'étaient bouffé le museau une énième fois, mais toute cette journée était étrange après tout, se dit-elle en enfilant la longue chemise par-dessus laquelle il faudrait nouer ses jupes.
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMar 2 Avr 2019 - 19:51
La simple promesse de rester avec elle encore un moment, pour l’aider à affronter ces nouveaux problèmes, réussit à rallumer l’once d’un sourire sur le visage de la sorcière. Un sourire sincère et reconnaissant, un sourire léger mais qui valait bien davantage aux yeux de l’Esbigneur. C’était la première fois qu’il revoyait ce sourire depuis plus d’un an, le dernier remontant à une séparation qui n’aurait jamais dû l’être et pour laquelle il se sentait responsable, étant l’unique coupable. Il se mordit l’intérieur de la joue, distrait, avant de reporter non plus son attention sur le visage et les souvenirs qui le hantaient, mais bien sur les paroles qui venaient d’être proférées. Pour le moment, la jeune femme tablait sur les relations que possédait toujours Marwen, ce dernier lui ayant justement avoué qu’il détenait quelques contacts. Le contrebandier acquiesça du chef quant à des dires.

« Tu m’étonnes ; au plus ça va, au plus la situation empire. L’Esplanade ne cesse de nous ponctionner toujours pour que ça puisse vivre dans le luxe, là-haut, tandis que, ici, on vivote comme l’on peut. Et comme ils sont trop bien protégés, l’on s’en va plutôt castagner les petites gens sans défense, c’est plus facile. J’en sais quelque chose. »

Il la regarda bien en face, disant cela. Il n’avait pas spécialement honte, pas plus qu’il ne ressentait la moindre vergogne. C’était comme ça, c’était ainsi. Il fallait survivre, et le principe même de la loi du plus fort, en quelque sorte, était inhérent à la notion d’existence. Les plus forts tapaient toujours sur les plus faibles, quand il s’agissait de vivre au jour le jour.

« Fallait bien que ça te tombe dessus un jour, malheureusement, poursuivit-il avec fatalisme, avant de reprendre. Mais ouais, on ira voir quelques contacts. J’ai deux trois idées de gus à qui glaner des informations. »

Elle piqua sa peau de son aiguille –peut-être avec un peu de véhémence, comme si elle lui en voulait pour son cynique pragmatisme ? Marwen ne pouvait lui en tenir rigueur. Il endura l’épreuve avec stoïcisme, quoiqu’il ne pût s’empêcher de grimacer quelque peu. Manger des beignes et des coups de genoux, ça, il avait l’habitude. Mais là, c’était différent, encore. Il percevait ce petit fil serpenter à l’intérieur même de ses chairs, comme un asticot qui remuait sournoisement. C’était beaucoup trop subtil pour lui, comme sensation, et l’idée du tissu qui frottait contre sa plaie à vif lui était fortement désagréable. Elisabeth termina l’opération en coupant le fil de ses dents, se penchant sur son estafilade pour ce faire.

« Ah, c’est tout ? Je pensais que j’allais avoir droit un à bisou magique, moi, » ironisa-t-il.
Il posa le regard sur le travail qu’elle avait effectué. Si la blessure avait bien saigné, la lame de sa dague avait proprement découpé les chairs, et la plaie était nette. Ainsi ravaudée, cette dernière paraissait « belle », dans le sens médical. Car il y avait toujours un petit quelque chose de désagréable à considérer la peau humaine comme un simple tissu que l’on recoud à la manière d’une chemise.

« Ouais, j’y ferai gaffe. »

Ce que la sorcière lui dit, en revanche, à propos de la milice, ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Il l’a regarda, la mine taquine.

« Je pensais, au contraire, que tu les portais si bien dans ton estime que tu étais prête à me vendre, tout à l’heure, à tes miliciens, là. Bha, feinte à part, on est bien d’accord qu’ils ne servent à rien. Faut se débrouiller soi-même, icicaille. Et je te parierais même qu’ils pourraient fricoter avec les gredins qui ont dévalisé ta boutique. Va savoir. »

Cela dit, Marwen nourrissait quelques doutes sur les facultés d’Elisabeth à rouvrir dès le lendemain. Une fois de plus, il laissa son regard se promener sur le sol parsemé des plumes de ses oreillers éventrés et des parchemins arrachés à ses livres. Il faudrait bien davantage qu’un simple coup de balai, mais peut-être bien que, ès qualités de sorcière, elle y connaissait un rayon sur la question. Mais c’était bien un sujet sur lequel il ne voulait pas la lancer, ça. Donc, oui, il n’était pas contre un petit mot sur la porte. Il acquiesça, avant de grogner quand elle lui tapota le crâne comme s’il n’était qu’un gamin. Aussi décida-t-il de lui répondre en ces mots :

« Ça me fera du bien, d’avoir enfin une vraie piaule, dit-il avec un peu de légèreté tout en s’étirant paresseusement. P’t’être bien que, si on met la main sur ces fils de putes, je leur redemanderai en douce de recommencer, histoire que je me mette bien. J’aurais dû y penser plus tôt, tiens. Je serais arrivé, là, tel un sigisbée venu sauver sa donzelle. Même si, bon, vu le caractère trempé de la vieille célibataire endurcie que t’es, je me demande bien si je ne me tirerai pas avec la dragonne à la place. »

Prend donc cela, chérie, songea-t-il pour lui-même tout en lui lançant un regard moqueur tandis qu’elle se levait pour rejoindre sa chambrée. L’idée de lui asséner qu’il pouvait être un remède à son célibat lui traversa l’esprit, mais il se dit que cela faisait bien trop pour une seule réplique. Il se la garderait pour plus tard, celle-là. Et puis, il devait se l’avouer ; il aurait très certainement pu y mettre fin de lui-même s’il ne s’était pas sauvé avec les pirates pour y chercher la fortune plutôt que la compagnie d’une femme. Il n’avait plus véritablement de légitimité pour ce genre de plaisanterie, à dire vrai, et imaginait bien la réponse directe que lui rétorquerait la sorcière. Et cela avec raison.

La porte de la chambre avait fortement souffert, et le contrebandier percevait les mouvements qui se dessinaient au travers des lattes désolidarisées. Il tiqua, se mordilla pensivement la lèvre, hésitant. Et puis merde, de quoi avait-il peur, au final ? Il fallait qu’il arrête de se conduire de la sorte ; cela ne lui ressemblait pas. Aux côtés de la sorcière, il avait quelque peu perdu de son mordant, de sa fougue et de sa témérité. Bref, de tout ce qui le caractérisait si bien. Il ne devait pas se laisser aller. Et puis, il avait décidé de l’aider, non ? Cela valait bien quelque rétribution que ce fût. Avec la démarche souple et discrète que sa lourde carcasse savait étonnement emprunter, l’Esbigneur se leva pour s’approcher du battant. Le spectacle qu’il épia alors au travers des interstices lui plut bigrement.

La jeune femme était en train de délacer ses jupes, lesquelles tombèrent une à une sur le parquet. Bientôt, ce fut au tour de sa blouse que de les rejoindre à même le sol, et Marwen put découvrir, ou redécouvrir, quoique sous un nouvel angle, bien davantage de peau blanche qu’il en avait vue récemment. La lourde masse de cheveux que possédait la sorcière, plus désordonnée mais plus volumineuse également du fait de l’eau, retombait le long de son dos, s’arrêtant à la cambrure des reins. Sans vergogne ni scrupule, le contrebandier se rinça l’œil, tout son saoul, descendant plus bas encore dans sa méticuleuse inspection. Se rendant compte qu’il retenait son souffle, il soupira alors, sentant une certaine chaleur le gagner. Ça faisait quelque temps, déjà, que… Et la sorcière, quoique peu menue, ne lui avait jamais été déplaisante. L’esprit échauffé, il se maudit que de ne pas l’avoir revue depuis, comme si cette vision rendait subitement sa culpabilité plus lourde encore, même s’il savait très bien ce qui le motivait. Foutue imagination.

Elisabeth s’empara d’un peigne, et se mit à se brosser les cheveux. Ces derniers ondulèrent lentement de gauche à droite, balayant le bas de son dos, dévoilant, le long de sa silhouette, les maigres reliefs de délicates courbes. Ne pouvait-elle pas tout simplement faire un effort et se mettre de profil ? En jouait-elle, par ailleurs ? Se savait-elle ainsi regardée, pour qu’elle s’opiniâtrât à demeurer de dos ? Difficile de le deviner. Ses gestes s’arrêtèrent l’espace d’un instant, comme si elle se plongeait dans ses pensées, et elle enfila la nouvelle vêture qu’elle s’était préparée. Ce fut ce moment précis que Marwen décida d’entrer en scène.

Il poussa la porte, l’air de rien, et celle-ci grinça tout en s’ouvrant, annonçant sa présence. Un sourire égrillard inscrit sur ses lèvres, il croisa les bras, s’appuyant d’une épaule le long du chambranle, avant de déclarer, matois :

« Je sais bien ce qui aurait pu me convaincre de revenir plus tôt, tiens. Car faut pas croire ; même si tu tentes ribon-ribaine de le planquer, t’as clairement un sacré joli p’tit cul, sorcière. »

Il la considéra bien franchement, sans bouger. Pouvait-il se permettre d’aller plus loin encore, d’aller la cueillir dans l’état de faiblesse dans laquelle elle était ? Serait-elle contente de trouver une épaule sur laquelle puiser du réconfort, réparant les pots brisés, ou, au contraire, feulerait-elle devant son imposture ? Ne la quittant pas du regard, il s’avança vers elle, tandis qu’elle demeurait en petite tenue. Un pas, puis un autre, se rapprochant toujours de celle qu’il avait quittée plusieurs mois auparavant, brisant la distance qui les séparait l’un de l’autre… Que pour mieux la dépasser sans plus la regarder, bien que l’effleurant au passage dans une proche intimité. Il s’abaissa, recueillant ses jupons, et les lui tendit dans un grand sourire.

« Je ne réponds plus de rien si tu te trimballes sans rien, sorcière. Et je prendrai alors même pas le risque que l’on aille visiter mes p’tits copains pour leur soutirer des informations. Je serai trop jaloux que tu sois ainsi en compagnie de pareilles crapules, vois-tu. »

Voilà qu’il redevenait lui-même, et cette simple pensée, qui le confortait dans le fait d’être sur la bonne voie, ne le rendait que plus téméraire encore. Il s’affala sur le lit, bien tranquillement, les coudes en arrière, tout en profitant pour la reluquer ouvertement.

« C’est que j’ai quelques pistes à te proposer. La plupart, ce sont des bordels. C’est toujours la même histoire, mais ce sont les endroits que je connais le mieux. Nan, j’t’arrête tout de suite, fit-il en levant un doigt, car je sais ce que tu vas dire. C’est juste que, si jamais tu veux des informations, il n’y a pas mieux que le fameux mélange putes et alcool pour faire parler un bouffon. Il peut aussi y avoir le temple d’Anür ; incroyable le nombre de crétins qui se réfugient dans la religion sitôt qu’ils ont fait une connerie, et qui tentent de se confesser pour alléger leur peine en pensant que ça leur permettra de recommencer de nouveau. Si si, je t’assure. Je pensais aux pirates, aussi, mais… Je doute qu’ils sachent quoi que ce soit. »
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMar 2 Avr 2019 - 23:49
Une crispation presque familière à présent raidit les épaules de la jeune femme lorsque la porte grinça dans son dos et elle fit volte-face en sachant très bien ce qu'elle allait trouver sur le pas de sa chambre. Si l'espace d'un instant elle avait pensé que son invité surprise se ferait discret, il fallait bien qu'elle admette que ce n'était pas vraiment une surprise de le trouver là. Leur première rencontre s'était soldée par un déguisement avilissant et une nuit dans un tombeau alors pourquoi maintenant se retiendrait-il de jouer les butors ? Si elle lui jeta bien un regard noir, elle n'ouvrit cependant pas le bec pour lui dire de ficher le camp. À quoi bon ? Il aurait été facile de lui rétorquer que, visiblement, ce n'était pas une motivation suffisante pour revenir dans les temps à Marbrume, cependant l'apothicaire n'était pas certaine de vouloir jouer sur ce tableau.
Au regard clairement provocateur qu'il lui lança, Elisabeth répondit par une expression plus neutre, presque indifférente. Elle n'avait pas la force de se rebiffer contre ce manque chronique d'intimité qu'il lui imposait toujours et n'en avait même pas envie en définitive. Il ne restait sans doute plus grand-chose à cacher et ils étaient assez adulte l'un et l'autre pour savoir à quoi ressemble un corps dénudé. La bataille ne se joueraient donc pas entre elle tentant de le faire reculer de force et lui tentant d'avancer toujours plus. Pas cette fois.

La tête haute et sans ciller, elle le laissa approcher bien qu'il fut évident qu'elle se tenait prête à lui envoyer une gifle s'il tentait un geste de trop. Sa chemise longue la couvrait jusqu'à la moitié des cuisses cependant elle n'était pas bien épaisse et les lacets du col étaient entièrement défait, laissant le tissu bailler largement sur son décolleté. Clairement, ce n'était pas la tenue la plus appropriée pour accueillir un hôte. Pourtant, si l'indiscrétion patentée du contrebandier rebutait la pudeur de la jeune femme, elle ne se sentait pas pour autant aussi vulnérable que les fois précédentes. Cette pauvre chemise lui tenait lieu d'armure plus sûrement que ses corsages et elle en fut la première surprise. À croire qu'après l'intrusion violente de son domicile, cette intrusion là était peu de choses.
Elle prit les jupes qu'il lui tendait avec ce sourire goguenard qu'elle lui connaissait bien et le laissa s'installer dans le lit comme dans un sofa oriental. Avec la lumière de l'âtre dans l'autre pièce, leur silhouette se découpait d'un côté dans des tons chauds tandis que l'autre restait plongé dans le noir. Et ce fut bien volontairement qu'Elisabeth mit à profit toutes les ombres que découpait cette lumière sur le corps de ce rustre d'esbigneur, laissant courir à son tour son regard sur lui. Ce vêtement qui lui serrait les épaules était décidément trop petit mais il se tendait bien sur son torse qu'elle redécouvrait solide et large. Définitivement pas gringalet, comme il disait.

C'est ça qui t'inquiète ? Qu'on puisse me reluquer ? Ou est-ce que tu crains que je ne n'ai pas les tripes d'aller chercher des informations dans un bordel et de devoir faire tout le travail ? demanda-t-elle tranquillement, les sourcils haussés.

Bien sûr que les endroits les moins fréquentables étaient de liste, on ne trouvait pas les ruffians et les pendards dans les salons de l'Esplanade. Contre toute attente, Elisabeth avait déjà vu son lot de bordels et de taudis à putes. Une partie de sa clientèle féminine s'y trouvait et il lui était arrivé plusieurs fois de nouer un accord temporaire avec des maquereaux et maquerelles selon lequel elle acceptait de faire une visite à domicile et un prix de groupe en échange de l'exclusivité pour la vente des remèdes. Des accords peu retables pour son affaire et qui n'avaient jamais duré longtemps cela dit. Et bien sûr elle ne les avait jamais fréquenté comme cliente, contrairement à Marwen.
Laissant mollement retomber au sol ses jupes, elle se tourna tout à fait vers le contrebandier et fit un pas dans sa direction.

J'irais les débusquer là où il faudra, ne t'en fais pas. Et puis, je t'ai toi pour surveiller mes arrières, pas vrai ? Que ce soit contre tes p'tits copains dans les bordels ou à travers le trou d'une serrure pendant que je me change apparemment.

Elle avança de nouveau, jusqu'au lit, et hissa même un genou sur le matelas. Que lui restait-il à protéger ? Ni sa chambre, ni sa réputation (surtout pas devant lui), ni son intégrité. Elle était fatiguée de le faire en vain alors peut-être que cette fois il reculerait si elle allait dans son sens. Pousser le culot plus loin que lui encore, lui couper l'herbe sous le pied et le laisser fuir ensuite.
Tout son équilibre bascula lentement vers l'avant tandis qu'elle appuyait une main contre le ventre de Marwen pour le surplomber.

C'est parce que tu as passé trop de temps en mer que tu ne peux pas t'en empêcher ou c'est l'idée d'aller écumer les bordels avec une bonne excuse pour le faire qui te titille l'imagination ? Parce que je ne vois pas vraiment ce qui justifie que tu viennes me reluquer ouvertement, avec cette assurance crasse qui te va si bien, en pensant me faire une faveur de me laisser encore une chance d'échapper au grand méchant loup, acheva-t-elle dans un murmure, sans baisser les yeux un instant et sans faiblir.

Il aurait pu faire demi-tour et jouer les innocents tout comme il aurait pu la forcer en sachant bien qu'elle n'était pas de taille à se défendre. Alors à quoi rimait ce petit manège ? Ne pouvait-il pas attendre une minute de plus pour lui expliquer quelles pistes il voulait suivre, qu'elle soit habillée et présentable ? Et s'il n'était ici que pour prendre du bon temps, à quoi bon lui laisser à elle une porte de sortie ?
Elle nota inconsciemment que cette lumière en biais lui faisait les yeux très clairs et les cheveux très sombres, un contraste qui lui allait bien.
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMer 3 Avr 2019 - 22:38
Lorsque la porte s’était ouverte dans le dos de la sorcière, Marwen avait bien perçu la raideur qui s’était tout de suite emparée de la jeune femme. Sa tête s’était quelque peu rentrée dans ses épaules, et ces dernières s’étaient contractées dans un sentiment d’exaspération mêlé de colère. Lorsqu’elle fit volte-face, l’Esbigneur ne put croiser qu’un regard noir. Ce qui ne fit sourire l’intrus que plus encore, pour une raison qu’il se garda bien de dévoiler pour le moment, mais qu’il lui expliquerait sous peu. Mais bien qu’elle se tînt droitement, tâchant de ne pas sourciller et de conserver la tête haute, le contrebandier put une fois de plus sentir la tension qui animait son hôte. Au moindre geste supplémentaire et déplacé de sa part, la main de la sorcière atterrirait sur sa joue. Elle le laissa tout de même, dans un simulacre d’indifférence, lui donner les jupons et s’étendre royalement sur ce lit qui n’était pas le sien. Puis elle prit la parole sur un ton aussi plat que ne l’était son attitude, rebondissant sur les dires de Marwen.

Avait-il peur qu’on la reluquât véritablement ou la pensait-il trop faible pour s’introduire dans un bordel et faire tout le travail ? Cette dernière notion le fit tiquer, et son ego l’obligea à se poser la question de savoir ce à quoi elle faisait référence, en supposant cela. Mais, en se tournant tout à fait face à lui, elle lui assura que ses craintes n’avaient pas lieu d’être. Qu’elle irait au bout des choses, dût-elle visiter les pires lupanars qu’avait à offrir Marbrume. En un mot, qu’il se mettait le doigt dans l’œil s’il avait une aussi piètre opinion de la jeune femme. Et puis, n’était-il pas là pour surveiller ses arrières ?

« Effectivement, tu sais bien que je serai toujours derrière toi, sorcière », renchérit-il alors avec ce même air goguenard qu’il affectait tant, dans un sous-entendu des plus évidents conjugué au petit regard cauteleux qui allait de pair avec cette assertion. Il continua de l’observer, la taquinant toujours plus de manière à vérifier ce qu’il pouvait faire ressortir de l’apothicaire et de son caractère bien trempé. Le petit jeu auquel ils s’étaient essayés la dernière fois qu’ils s’étaient vus venait tout juste de reprendre, quoiqu’avec des tempéraments différents. Alors qu’ils avaient manqué d’être très proches auparavant, les choses n’étaient désormais plus tout à fait les mêmes ; ils avaient tous deux effectué un pas en arrière sur l’échelle de leur accointance. Pourtant, Elisabeth adopta un nouveau comportement, et l’Esbigneur haussa un sourcil aussi intrigué qu’amusé.

Délaissant les jupons qu’elle tenait toujours dans sa main, la sorcière les fit tomber à même le parquet. Sans plus se préoccuper de son état, elle hissa un genou sur le lit, s’avançant dans la direction d’un Marwen toujours affalé sur les draps. Ce dernier la laissa faire, se demandant bien où elle voulait en venir. Il avait une petite idée, certes, mais allait-elle la concrétiser jusqu’au bout, ou s’agissait-il d’une de ces nouvelles règles personnelles qu’elle souhaitait ajouter à leur entrevue ? Tandis qu’elle se penchait vers l’avant, elle stabilisa son équilibre en posant sa main sur la poitrine du contrebandier. Une certaine chaleur commençait à s’’emparer de son être, et, malgré lui, malgré tout le contrôle qu’il désirait s’imposer, il sentit son cœur battre plus frénétiquement comme sa respiration se faisait plus profonde.

Souvent, femme varie, n’était-il pas ? Alors distante, alors enragée la tenancière du Crapaud Apothicaire avait accueilli Marwen avec toute la froideur glaciale dont elle était capable. Elle s’était faite menaçante, puis avait manqué de s’effondrer dans ses bras une fois de retour dans sa boutique dévastée. S’en était suivi quelques regards noirs et l’intention de le gifler –ce qui était mérité, certes-, puis, la voilà qui reposait lascivement au-dessus de lui, le défiant presque, à quelques pouces de tomber l’un sur l’autre. Sacrée sorcière. Mais il devait avouer qu’il appréciait ses sautes d’humeur, comme au bon vieux temps. Surtout lorsque son tempérament évoluait comme il le faisait en ce moment même, pour atteindre l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait présentement. Toujours plus proche, elle remit en question, sur un ton de louve, la pertinence de cette irruption dans sa chambre, alors même qu’elle se changeait. Concrètement, l’Esbigneur ne pouvait lui donner tort, ni même lui fournir une justification qu’elle trouverait probante. Etant ce qu’il était, il lui déclama ce qui lui était passé par la tête, avec son once de mensonge habilement parée des reflets d’une certaine réalité.

« Non, je ne doute pas une seconde que tu aies les tripes de t’inviter dans un bordel où, habituellement, toute femme étrangère au métier de putain est assez mal vue, car source de potentielle concurrence. Je doute plutôt pour ta sécurité. Et je sais également que, sitôt que je prononce le mot de maison close ou de catin, ta mâchoire se contracte, tes yeux se lèvent au ciel, et tu montes sur tes grands chevaux comme quoi je ne suis qu’un rustre et que je ne vaux pas mieux que les autres. Il attendit quelque peu, avant de poursuivre, comme si c’était là le clou du spectacle de ce premier échange. Note cela dit que je ne souhaite pas te détromper, non. Il me sera difficile de te prouver le contraire. C’est juste que j’adore te faire courir et te lancer sur le sujet », acheva-t-il dans un sourire désarmant.

« Quant au second point… »

Si Elisabeth ne le quittait pas des yeux, un air de défi toujours inscrit sur ses traits, Marwen, lui, décida de rompre le contact et de jouer jusqu’au bout des ongles le personnage que lui prêtait la sorcière. Il n’était plus à cela près. Avec une lenteur affectée, le contrebandier détailla avec plus d’attention encore la jeune femme qui le surplombait.

Sans ses jupons, la chemise lui tombait déjà mi-cuisses. Là, avec son genou perché sur le lit, sa vêture lui remontait tout en haut des jambes, à la limite de l’indécence, ce qui était loin de déplaire au contrebandier. Et cette même chemise n’y allait pas de main morte ; en plus d’être relativement courte dans ces circonstances, ses lacets avaient été défaits. Tout à l’heure, lorsqu’elle était debout, son corsage décousu révélait généreusement la naissance de sa poitrine. Maintenant, eu égard à la position de la sorcière, l’échancrure béait plus que de raison, et, si ce n’avait été la présence des longs cheveux de la jeune femme qui lui cascadait sur un côté du visage et formait un rideau impénétrable, Marwen eût eu une vue des plus imprenables. Il comptait déjà y remédier. Il accrocha de nouveau le regard de sa partenaire, avant de se redresser sur ses coudes. Son visage n’était plus qu’à une infime distance de celui d’Elisabeth.

« Disons que j’aurais pu attendre, très certainement, souffla-t-il sur le même ton de la déclaration murmurée. Mais après t’avoir vue dans pareil état, il fallait que j’agisse, pour que tu retrouves cette flamme que je connais si bien. Je sais très bien quoi faire, dès qu’il s’agit de te faire surréagir. Et puis, je me languissais de ton fameux regard noir. De ton air perpétuellement accusateur à mon encontre. De ces sourcils hautains qui se plissent, de ces lèvres qui esquissent une moue affligée. Je sais comment faire apparaître tout cela, chez toi. »

Tout comme elle, il ne faiblit pas, tenant la distance, ou, plutôt cette promiscuité qu’ils avaient tous deux formée et s’associant de la sorte, l’un sur l’autre. Puis, un sourire torve se dessina sur le visage de l’Esbigneur.

« Me voilà un homme comblé, désormais. »

Il leva lentement une main qui vint se couler entre les mèches toujours humides de l’apothicaire, remontant jusque sous sa mâchoire. Les faisant glisser sur le côté, il dévoila ce cou qui lui avait fait si forte impression la dernière fois, cette gorge noble et gracieuse qui lui allait si bien et lui attribuait une posture altière. Mais, écartant ce rideau d’écrins de cette même gorge, il eut tout le loisir de perdre pour de bon son regard dans la béance de la chemise délassée, dont le tissu reposait sur le torse du contrebandier. Après s’être bien rincé l’œil, il releva les yeux ; la sorcière n’était pas dupe, mais il décida de lui couper l’herbe sous le pied.

Parcourant les derniers pouces qui le séparaient d’elle, Marwen cueillit les lèvres de la jeune femme des siennes, avec force et témérité. Ce baiser, toutefois, n’avait rien à voir avec celui qu’ils avaient partagé lors de ces derniers adieux qui n’auraient pas dû en être, non. Celui-là avait été passionné, sincère, alors qu’il avait enchristé le corps de la jeune femme entre le sien et le mur. Alors que celui qui était en train de se produire, là, dans la chambre d’Elisabeth, était bien plus soudain, farouche. Car, au moment même où leurs bouches se rejoignaient, le contrebandier grignota la lèvre inférieure de la sorcière, la mordant de manière prononcée. Cette embrassade n’avait pas la même visée, pas les mêmes sentiments. Il y avait de la provocation, de l’ardeur, et également cette même pointe de défi que la jeune femme n’avait cessé de lui témoigner depuis qu’il s’était impatronisé dans cette pièce. Il voulait la faire réagir, la pousser encore un peu plus loin dans ce jeu qui les liait, sans même qu’ils sussent l’un comme l’autre quel pouvait bien en être le but. Rompant le contact aussi vite qu’il était arrivé, il la fit rouler sur le dos, et, maintenant de ses mains les poignets de la jeune femme, de chaque côté de sa tête, il se pencha à son tour au-dessus d’elle.

« Mais je m’égare. A jouer à ce petit jeu, je risquerai de te rendre amoureuse. Tu serais désormais toute guillerette, l’esprit léger, le baume au cœur. Tu sautillerais sur le chemin en allant cueillir tes champignons, tu chanterais quelques joyeuses chansonnettes, et tu mettrais plus de fleurs encore dans ton chez toi, ironisa-t-il. Et tous ces regards noirs, toutes ces mines réprobatrices que je me serai efforcé de te forger disparaîtront instantanément. Je serai dévasté. Et puis, adopter une telle attitude, dans ce monde aux mille dangers, n’est pas ce qui est des plus probants. »

Grand sourire, tandis que ses mains, après qu’il se fut redressé pour la libérer, se refermaient calmement sur le bas de la chemise de la jeune femme. Tirant de petits coups secs vers le bas, il tâcha de lui recouvrir le haut de ses jambes, lui assurant un minimum de cette décence qu’ils avaient tous les deux déjà bien perdue. Il fit quelques pas en arrière.

« Bien, je te laisse donc te préparer pour de bon sans t’interrompre, pour cette fois. Fais-moi signe quand tu seras prête à les débusquer dans un bordel. Oh, je sais aussi que ce n’est pas facile, tout seul, rajouta-t-il en désigna d’un geste le corsage d’Elisabeth et ses lacets défaits. Si tu as besoin d’aide, je suis ton chevalier servant, tu n’en doutes pas »

Sifflotant, l’air de rien, il quitta la pièce, sachant que, avec la dignité de la sorcière, il ne risquait pas de jouer de si tôt les camérières.
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Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyLun 8 Avr 2019 - 18:47
Évidemment le fourbe ne faiblit pas aussi vite qu'Elisabeth aurait aimé. Il se rengorgea même un peu plus, relevant le défi et admettant sans vergogne qu'il n'avait fait cela que par amour de la taquinerie. Elle était, d'après lui, une sorte de jouet très divertissant à irriter. Rien d'étonnant à ce que la démarche lui plaise quand on connaissait son goût prononcé pour les situations fumeuses…
Si elle n'eut aucun mal à rester de marbre malgré la distance qui se réduisait comme peau de chagrin, la jeune femme dut cependant faire un effort pour dissimuler la perplexité que lui causait l'explication. Au-delà de l'acte purement mesquin de venir l'épier à son insu, elle trouvait presque bienveillant de sa part de chercher à la faire revenir à elle en quelque sorte. Ce n'était pas exactement du réconfort, mais n'était-ce pas mieux d'avoir l'énergie de se fâcher plutôt que d'être complètement abattue ? L'apothicaire n'était pas certaine de devoir le croire cependant la démarche lui semblait plausible. Encore fallait-il que l'exécution soit acceptable et il n’y avait rien d’acceptable dans le fait de reluquer une femme nue à travers une porte.

Sans se défiler cependant, elle accepta qu'il la touche et qu'il se dégage même une vue qu'elle devinait imprenable sur sa poitrine. Il en fallait décidément bien peu pour satisfaire un homme... Devant un autre elle aurait été morte de honte, mais après toutes les remarques et les incartades à la loi ainsi qu'aux bonnes mœurs que lui imposait Marwen, elle n'était pas convaincue que la pudeur soit encore à l'ordre du jour dans leurs interactions. Bien sûr elle n'y renoncerait pas ! Néanmoins puisqu'elle avait initié cette rixe, elle devait la mener jusqu'au bout, quitte à y sacrifier un peu de peau mise à nue. La chaleur de la paume contre son cou la fit bien plus frissonner que le regard bêtement satisfait qu'il promena sur ses lignes à demi dévoilées. Elle le lui fit d'ailleurs savoir lorsqu'il daigna enfin revenir à ses yeux, haussant un sourcil tandis que se préparait une réplique appropriée prête à fuser.
C'était sans compter sur une nouvelle fourberie de la part de l'esbigneur qui avait décidé de parier gros. Une exclamation étouffée passa tout juste entre eux lorsqu'elle sentit la pression de la morsure sur sa lèvre. Aussi vive à réagir que lui l'avait été à agir, elle agrippa son col, lui griffant le cou sans y prendre garde, dans une tentative un peu vaine de le maîtriser. Il n'avait pas le droit de franchir cette ligne, surtout si c'était pour moquer un geste qu'elle avait pris à cœur par le passé. Elle aurait bien grondé, mordu et griffé à son tour, pour lui rendre la même effronterie qu'il lui servait, mais n'était-ce pas lui rendre le même baiser et la même fougue ? Un sursaut de timidité l'en empêcha et l'instant d'après, elle se sentit repoussée contre le lit, glissa de son appuie et se retrouva les quatre fers en l'air. L'air sidérée et le cœur battant, la donzelle se renfrogna bien vite alors qu'il la moquait de plus en plus. Il pesait lourd sur elle, trop lourd pour qu'elle puisse lui envoyer son genou dans les valseuses et pourtant ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Sans doute qu’en d’autres temps et d’autres circonstances elle aurait été plus encline à rouler dans les draps avec lui.

Rouge comme une tomate, Elisabeth fut bien obligée de le laisser repartir dans le séjour avec l'invisible trophée de la victoire. Battue à plate couture à son propre jeu, elle se sentait tellement bête d'avoir tenté cette approche qu'elle était encore plus furieuse contre le contrebandier qu’à son entrée dans la pièce. Ça pour avoir des regards noirs, il était servi ! Dès qu'il franchit le pas de la porte, elle bondit du lit et ramassa au pif ce qui lui tombait sous la main - ici la boule lourde et détrempée de l'une de ses précédentes jupes - pour la lui jeter à la tête. Le vêtement fit une sorte de "splotch" à l'impact avant de retomber mollement au sol. On avait sans doute vu plus redoutable comme projectile.

Et bien peut-être que je devrais tomber amoureuse, oui ! Puisque pour un malheureux baiser tu as disparu pendant un an, peut-être qu’avec une déclaration tu disparaîtrais pour toujours ! Et ça me ferait des vacances ! lui piailla-t-elle depuis la chambre avant de refermer le battant de la porte avec force, faisant voler quelques esquilles de bois supplémentaires.

Les joues en feu, elle ramassa les vêtements secs qu’elle avait délaissés un peu plus tôt et s’habilla en marmonnant des malédictions et des promesses de vengeance, serrant avec rage sa ceinture et les cordons de son corsage. Dans un effort pour rendre la pièce un peu plus accueillante, elle ramassa pêle-mêle ce qui était tombé au sol pour le fourrer dans un premier temps dans la malle qu’elle avait remise sur pied. Les draps finirent en boule pour les plus abimés et elle rassembla le plus de plumes possibles pour les remettre dans les oreillers. Avec quelques coups d’aiguilles elle devrait pouvoir rattraper les choses.
La chambre ayant moins une allure de champ de bataille, elle regagna la pièce à vivre la tête haute et l’air toujours un peu vexée, se plantant devant sa table retournée avec les poings sur les hanches.

Bon, on va commencer par remettre debout ce qui tient encore et essayer de réparer ce qui peut l’être. Le reste tant pis.

À deux ils redressèrent la table et trois chaises encore solides, l’étagère où reposaient quelques livres et instruments puis l’apothicaire laissa le soin à son partenaire d’évaluer les dégâts tandis qu’elle ramassait ustensiles de cuisine, volumes reliés, bocaux encore entiers et instruments de mesure. Ils firent de même pour la chambre d’invité qui, heureusement, était presque intacte. Par chance, la famille Gardefeu n’était pas de ces bourgeois qui aiment la vaisselle en faïence et les objets fragiles aussi restait-il tout de même de quoi reprendre la vie quotidienne sans avoir à manger à même le chaudron et assit par terre. Le mobilier de famille était amoché mais tout l’héritage n’était pas à jeter. Armée d’un balais presque aussi grand qu’elle, Elisabeth semblait plutôt satisfaite de leur ménage. Ou du moins, elle semblait un peu moins renfrognée tant par l’intrusion surprise que par le manque de manière de son nouveau colocataire. Elle hocha la tête en balayant la pièce du regard à la recherche d’un détail qu’elle aurait manqué.

Rien ne manque en particulier, j’imagine qu’ils ont surtout fouillé le laboratoire. Je n’ai pas grand chose de précieux d’un autre côté…

La jeune femme se mordilla la lèvre et glissa un regard au contrebandier, débattant avant elle-même sur la suite du programme. Elle n’était pas contre un nouveau coup de main pour s’occuper de rez-de-chaussée, cependant une question lui trottait dans l’esprit depuis qu’ils avaient découvert l’état de la maison. Non, elle devait en avoir le coeur net !
Délaissant son balai pour s’approcher de l’âtre, elle se pencha vers l’un des flancs de la cheminée et tendit la main le plus loin possible derrière le lourd buffet qui était resté solidement contre le mur.

Je suppose que je te dois une récompense pour te motiver à m’aider pour la suite ? C’est pas comme si tu fonctionnais à l’altruisme, marmonna-t-elle, toujours à farfouiller dans son recoin.

Dans un dernier effort, Elisabeth parvint à atteindre la pierre de bâti qui faisait office d’interrupteur et appuya dessus aussi fort que lui permettait le bout de ses doigts. Le loquet caché fut un peu réticent mais finit par céder dans un “clac” étouffé. Elle se redressa alors et tâtonna le dessus du linteau de cheminée, toujours sur le flanc de cette dernière, jusqu’à sentir la trappe cachée désormais amovible. D’un bon coup de paume elle délogea le panneau mobile et fit entrer sa main dans le trou qui était parfaitement dissimulé pour tout adulte se tenant debout. Un système plutôt ingénieux tant qu’on ne souhaitait pas cacher un cheval ou une malle.
Le tintement de l’argenterie résonna bientôt et l’apothicaire pu tendre à son esbigneur préféré un petit baluchon un peu rapiécé mais plutôt bien rempli.

Le voila ton trésor, fit-elle en lui mettant le butin dans les mains.

Et à présent, allait-il trouver une excuse pour filer et lui fausser compagnie ? Elle ne l’espérait pas mais après une année à douter, elle ne pouvait pas nier avoir quelques doutes.
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMer 10 Avr 2019 - 16:08
Et Marwen continuait de siffloter tout en quittant la pièce, un air goguenard plaqué sur le visage, les lèvres qui s’ourlaient en un sourire sacripant, tout satisfait qu’il était de ce dernier retournement de situation. Il repensait à ce qui venait de se dérouler, à la sorcière qui l’avait plus ou moins laissé faire lorsqu’il lui avait effleuré la peau, à cette exclamation de surprise qui avait saisi la jeune femme lorsqu’il l’avait embrassée à pleine dent, et à ce « o » qui s’était joliment dessiné sur sa bouche quand il l’avait faite rouler sur le dos et l’avait surplombée de toute sa stature. Il avait noté la solide rougeur qui s’était emparée du visage de l’apothicaire, et force était de constater que, s’il ne l’avait que trop rarement vue de la sorte, ce teint lui allait à merveille. Ou était-ce la satisfaction égrillarde d’être parvenu à lui arracher un peu de dignité, de pudeur ? Difficile à dire, mais il gardait en mémoire ce regard si unique avec lequel elle l’avait cloué tout du long. Un regard dans lequel il avait pu lire l’amertume, la surprise, la colère et l’irritation, mais, également, un brin de fièvre.

Le contrebandier n’eut toutefois pas l’occasion de savourer plus longtemps ces remembrances ; la sorcière jaillit derrière lui, en furie, pour lui balancer au visage et l’une de ces jupes, et toute sa rancœur d’avoir ainsi été flouée. L’Esbigneur n’eut pas le temps de réagir ; il se la prit bêtement au visage, mais sans heurt. Et, après avoir constaté la nature du projectile, il éclata de rire.

« J’ai toujours sur qu’un jour ou l’autre, tu me jetterais tes jupons au visage, sorcière », lâcha-t-il sur un ton de circonstance, tout en lui lançant un clin d’œil grivois suivi d’un petit baiser de la main. Et, tandis que le claquement violent d’une porte retentissait dans toute la maison, le sifflement de Marwen ne crut que plus encore. Effectivement, elle n’avait plus besoin d’aide pour se rhabiller.

Quelques instants plus tard, Elisabeth sortit de sa chambrée, s’efforçant de garder la tête haute et la mine impassible, quoique le contrebandier, ayant fini par bien la connaître, remarqua aisément le petit air butté qui ressurgissait çà et là. Mais assurément y était-il pour quelque chose. Car le bougre, bien entendu, mira avec attention l’arrivée de sa chère sorcière, scrutant le moindre détail de son expression. Par ailleurs, il n’était pas pensable de pouvoir ignorer ce petit air suffisant et ce sourire d’enfant mauvais qui grignotait le visage du contrebandier. Il s’agissait de la provocation pure et dure, mais il s’en amusait comme un fou. Et il continuait de siffloter comme si de rien n’était, imperturbable, tout en lançant à la tenancière ses éternels petits regards en coin. Il n’était pas chez lui, mais c’était tout comme, et il adoptait un tel comportement, sciemment, qu’il savait que la jeune ressentait l’envie de le baffer. C’était voulu.

Cela ne l’empêcha toutefois pas de se montrer aussi serviable que le ruffian pouvait l’être à ses heures perdues ; il aida l’apothicaire à remettre de l’ordre dans ses affaires, à redresser les meubles, à ranger les étagères, à trier les livres –par couleur, taille, et épaisseur, l’alfabé n’étant pas son fort-, et à récupérer ce qui pouvait encore l’être. Mais sans jamais se départir de sa royale et prétentieuse nonchalance héritée de ce dernier affrontement qu’il estimait avoir si bien gagné.

La pièce avait désormais une bien meilleure allure, même si les outrages qui lui avaient été faits la défiguraient encore et toujours en quelques endroits précis. Après une rapide inspection, la sorcière indiqua que rien de précieux ne semblait manquer. Ce fut à ce moment-là qu’elle eut une expression suspecte qui n’échappa point à Marwen. Sitôt que l’on parlait d’argent, les visages et les mimiques avaient tendance à s’altérer légèrement. Elisabeth ne dérogea pas à la règle, et leur regard se croisèrent longuement. Elle parut hésiter, puis jeta simplement l’éponge, manquant tout juste de soupirer. Elle estimait lui devoir une récompense, de celles qui motivent pour aider par la suite. De manière évidente, l’Esbigneur ne put résister à la tentation de se fendre d’un petit commentaire.

« ’Faut voir comment tu vas réussir à me motiver. »

Bien que l’apothicaire lui tournât le dos, elle put assurément saisir l’entièreté de la note grivoise qui perçait dans la voix de Marwen. Ce dernier avait bien conscience qu’il aurait pu aller plus loin il y avait de cela quelques minutes, alors que la sorcière était à sa merci et que, peut-être, elle ne se serait point dérobée. Et oui, c’était bien lui qui avait rompu les rangs et qui plaisantait maintenant à propos d’un sous-entendu fallacieux qu’il avait pourtant lui-même refusé. Mais qu’importait ; il imaginait déjà la jeune femme lever les yeux au ciel, lui rétorquer un petit taquet bien sentit, ou même se taire en en pensant toutefois pas moins. Et c’était là tout ce qui comptait, à son sens. Il ne cesserait jamais de se saisir de ce genre de perche graveleuses, dussent-elles être en contradiction avec ses actions précédentes.

Quoi qu’il en fût, le manège de la tenancière intrigua Marwen, et il l’observa se déhancher et se contorsionner le long de la cheminée. Après avoir activé un interrupteur qui s’enclencha dans un petit « clac », la jeune femme se porta à hauteur du linteau de l’âtre et glissa les mains dans une anfractuosité invisible d’où elle ressortit un petit baluchon. Le cliquètement de l’argenterie que le contrebandier entendit le mena aux portes du paradis, et il oublia tous ses soucis pour se concentrer uniquement sur ce petit paquet. Il était là, son trésor. La sorcière l’avait toujours conservé, effectivement, et, alors que sa maisonnée avait été dévalisée, sa propriété, qu’il lui avait confiée, demeurait. Là, Elisabeth avait les lèvres pincées, adoptait une posture défensive, et avait le regard légèrement inquiet. L’Esbigneur n’y prit pas même garde ; il n’avait d’yeux que pour ce colis.

« Ben voilà, fit-il le plus simplement du monde tout en s’emparant du paquet. C’est là tout ce que je voulais savoir. »

Il soupesa le baluchon, apprécia son poids, jeta un coup d’œil à l’intérieur en écartant légèrement le tissu, puis décocha un petit clin d’œil à la sorcière. Puis, sans un mot, sans un regard, il tourna les talons, et se dirigea en direction de la porte. Marwen ne se retourna pas, pas plus qu’il ne lui adressa le moindre mot. A dire vrai, après toute la cacophonie qui les avait toujours entourés, tous les deux, seuls résonnait l’écho de ses bottes sur le parquet portant encore les stigmates de sa dernière agression. Là où une atmosphère tumultueuse avait toujours régné entre ces deux-là, un calme malséant venait de prendre possession des lieux. Des paroles réconfortantes, il ne restait plus qu’un silence assourdissant. Des promesses qui avaient été faites, un lâche abandon, alors que chacun des pas rapprochant l’Esbigneur de la sortie l’éloignait de son Elisabeth. Mais il venait de récupérer son trésor, lequel lui avait toujours appartenu, au fond, n’était-il pas ? Ce n’était que justice, la dure réalité, certes, mais un retour normal aux choses, qu’il le récupérât.

La porte du Crapaud Apothicaire se referma, et Marwen disparut.





***




Voilà qui les sortiraient enfin de la misère, lui et quelques pirates. Car si, au tout début, l’argent avait coulé à flot en s’attaquant aux navires qui transitaient entre Marbrume et le Labret, les marchands et autres propriétaires terriens avaient finalement jugé moins risqué de revenir aux convois terrestres, et l’activité de ces brigands des mer avait si fait périclité. Ils avaient dû, au même titre que tout le monde, remettre le pied sur le plancher des fâches et frayer de nouveau avec les fangeux pour arracher la nourriture à qui la possédait. Et pire encore, ainsi, sur terre, ils n’étaient plus les seuls à convoiter le contenu de ces caravanes. Les bannis n’étaient pas en reste, à ce sujet. Et, par la force des choses, les ressources des pirates avaient fondu comme neige au soleil, les prises de plus en plus rares ne parvenant plus à payer l’ensemble des hommes. Alors, oui, cela représentait beaucoup, pour lui. Il fallait mettre tout cela en sécurité, au plus vite.

Il erra un moment dans les sombres ruelles de Marbrume, affichant un profil bas, rasant les murs. Il ne tenait pas à être reconnu, que ce fût par les rares chalands qui traînassaient encore si tard ou, pire encore, par une patrouille hasardeuse. Parvenir à récupérer le butin que pour mieux se faire arrêter par la suite eût été des plus risibles, et, en dépit de son comportement et de ses dernières exactions, l’Esbigneur doutait fortement de mériter un tel destin, aussi tragique que cocasse.

Esquivant les soldats et les flaques d’eau, il franchit le parvis d’un de ces cimetières que la fange avait voués à l’abandon. Enterrer les morts, désormais, s’avérait trop risqué, et l’on préférait plutôt les brûler proprement et simplement. Par ailleurs, quelques traînées de fumée noirâtres s’élevaient çà et là, de part et d’autre de la ville, aimantant de leurs ténèbres la perpétuelle couche de nuages qui jamais ne faiblissait dans le ciel. En ces temps troublés, les prêtres de Rikni étaient bien davantage préoccupés par les bûcher funéraires que par l’entretien des tombes, et, sous la surveillance des morts, les objets que l’on enfouissait dans les sépultures demeuraient bien à l’abri.

Regardant une dernière fois à gauche et à droite qu’il n’était pas suivi, Marwen s’engouffra dans une crypte bien précise.




***




A la boutique du Crapaud Apothicaire, le silence avait pleinement repris sa place dans l’établissement ; il eût été très étonnant que la fille Gardefeu se fût mise à pleurer, brisant la quiétude environnante, suite au départ du bandit. Cela n’était pas son genre. En revanche, les remords silencieux pouvaient être présents, ainsi que la colère, l’irritation, aussi bien contre Marwen pour avoir déguerpi de la sorte qu’envers elle-même pour s’être peut-être un peu trop raccroché à l’espoir de le voir rester. Un espoir morcelé, possiblement, une certaine forme de tristesse, éventuellement, ou, peut-être, encore, le désintérêt le plus certain, car elle s’y était attendue depuis le début.

L’on toqua brutalement à la porte, sortant la jeune femme de ses méditations rageuses, songeuses, nostalgiques, éplorées, ou tout simplement stoïques. Mais qu’elle l’eût espéré ou non, ce n’était point le contrebandier, qui se présenta à l’entrée, non pas, mais plutôt un simple client. Celui-ci avait sa femme, dénommée Kaïsa, qui était sur le point d’accoucher, et qui nécessitait une aide, n’importe laquelle, que ce fût pour l’assister dans la venue de l’enfant ou pour lui procurer de quoi soulager sa douleur. Un homme désespéré face à la pénurie de compétences en la matière, mais qui désirait pourtant la survie de sa femme aussi bien que celle de son futur enfant alors même que ce monde n’avait plus rien à offrir au nouveau-né. Mais, alors que la tenancière s’avançait vers le battant pour voir de quoi il s’agissait ou qu’elle lui répondait effectivement, sur le parvis de sa demeure, la porte arrière de sa boutique s’ouvrit à la volée.

« Ouaiiis, ouaiiis, je sais bien, sorcière, j’aurais dû te prévenir que je reviendrai pour pas te causer trop de chagrin, mais fallait juste que je mette mon p’tit trésor en sécurité, pour de bon, gueula l’Esbigneur sur un ton léger, sans même avoir pris la peine de s’annoncer. C’est que, bon, tu m’en voudras pas, mais j’ai cru comprendre que c’était pas sûr-sûr, icicaille. »

Il s’arrêta net une fois parvenu dans la boutique, constatant soit que l’on toquait à la porte, soit qu’Elisabeth était en train de converser avec un potentiel client, et lâcha un « qu’est-ce que c’est » ou un « qu’est-ce qu’il veut » d’un ton bien moins guilleret. C’est qu’il jugeait que, tous les deux, ils n’avaient pas le temps pour ces conneries, alors même que lui-même s’était absenté pendant près d’une moitié d’heure. Et surtout, il risquait d’être reconnu.
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Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMer 10 Avr 2019 - 18:40
Sans doute pâlit-elle un peu lorsqu'il fit volte-face sans prévenir. Les bras croisés, les lèvres pincées, elle n'avait pas esquissé un seul geste envers lui. Malgré tout ce qui était arrivé, malgré tout ce qu'elle s'était dis pour se convaincre, elle n'éprouvait aucune stupeur, aucune véritable surprise ni aucune détresse. Il ne restait plus dans son réservoir à émotion que l'amère et banale déception. Comme une flaque d'un liquide saumâtre à la couleur peu engageante devant laquelle on fronçait volontiers le nez avant de simplement passer son chemin. Des flaques comme il pouvait y en avoir plein dans les rues de Marbrume. Alors elle demeura là, immobile, à écouter les bottes du contrebandier claquer contre le bois de son escalier puis contre le plancher encore sale de son laboratoire avant de quitter les lieux. Elle aurait pu aller à la fenêtre pour vérifier ce qu'elle savait déjà, à savoir qu'il se tirait comme si de rien était avec son butin, mais c'était parfaitement inutile.
L'étrange réflexe de faire ses comptes, comme après une transaction, lui vint alors : elle avait marché sous la pluie à en ruiner ses vêtements, s'était faite accuser de sorcellerie et était passée à deux doigts du lynchage, sa boutique avait été ravagée et elle venait de donner volontairement au pire fils de chienne de la ville un pécule qui aurait été bienvenue à présent qu'elle devait faire réparer des meubles. De l'autre côté de la balance, qu'y avait-il ? On lui avait fait de nouveau de jolies promesses complètement creuses qui n'avaient pas tenues plus d'une heure, on l'avait humiliée une fois de plus, moquée et défiée. Tout ce qu'elle avait effectivement eut c'était un peu d'aide pour ranger.

Eh bien ma fille, tu commences à perdre la main pour ce qui est des négociations on dirait. Si ta pauvre mère voyait ça...

Une profonde lassitude pouvait se lire sur les traits de la jeune femme tandis qu'elle refermait la cache secrète de sa cheminée et redescendait, armée de son balai. Sans perdre de temps, elle commença par ramasser tout ce qui pouvait l'être pour préserver certaines substances puis elle se contenta de rassembler en un tas unique les restes de verre brisé, les herbes et les graines concassées. Faire le ménage avait l'étrange pouvoir de vider l'esprit efficacement et de rappeler à la sérénité. Il suffisait de se concentrer sur la tâche en cours, d'aller chercher les débris dans les recoins et de les rassembler. C'était simple, le résultat était immédiatement visible et on ne dépensait pas beaucoup d'énergie.

L'apothicaire en était à se demander si elle ne devait pas essayer de pousser l'une des grosses caisses en bois entassées sous l'escalier pour la mettre devant la porte de l'arrière-boutique et ainsi la condamner lorsqu'on frappa au battant de l'entrée officielle de son commerce. Elle n'en fut même pas étonnée. À croire que ses nerfs avaient été trop sollicités en une demi-journée et qu'à présent ils n'étaient même plus à même de réagir correctement. Il ne lui vint même pas à l'idée que cela puisse être un piège ou la milice, elle se contenta simplement d'approcher de la porte et jeta un œil par la vitre à côté.
Il ne s'agissait que d'un homme à la mine tordue par l'inquiétude.
Hermétique à l'empressement de son client, elle lui demanda à travers la porte ce qui l'amenait en précisant que la boutique était fermée exceptionnellement. Le pauvre bougre raconta alors son malheur d'avoir une femme sur le point de donner naissance et rien pour l'aider à traverser ce moment. "C'est bien dommage" pensa l'apothicaire sans pour autant l'admettre face au futur père. Elle faillit lui dire qu'elle ne pouvait rien pour lui car elle n'était pas sage-femme et encore moins soigneuse, mais le boucan dans son arrière-boutique attira son attention ailleurs.

Marwen, dans toute sa splendeur, était revenu. Toujours le même air goguenard et sûr de lui, toujours des tonnes de mots à la bouche et l'art raffiné de s'impatroniser partout où il mettait les pieds, qu'on veuille de lui ou non. Il alla même jusqu'à demander ce que voulait le client de l'autre côté de la porte, comme si les affaires courantes du Crapaud lui importaient.
Elisabeth le toisa de loin, sans réagir, avant de revenir à l'homme qui lui demandait son aide.

Laissez-moi une minute pour me préparer, je vais voir ce que je peux faire, lui lança-t-elle avant de revenir à l'arrière-boutique.

Rapidement la jeune femme se saisit d'une besace qu'elle venait de ranger après l'avoir récupérée sous une table durant son ménage et y fourra deux ou trois bocaux et boites ainsi qu'un tablier. Son impératif immédiat était de quitter à tout prix cette pièce où se trouvait l'esbigneur, la quitter aussi vite et aussi longtemps que possible. Son retour n'était qu'une vaste blague et elle ne voulait plus y prendre part. Il ne restait rien de ce qu'avait pu être leur relation, amicale ou non et elle avait autre chose à faire qu'à dépenser son énergie à lui répondre, encore et toujours, pour son simple plaisir.

Reste ou pars, peu importe, on a besoin de moi ailleurs. Et moi je n'ai plus besoin de toi. Merci pour le ménage, lança-t-elle par-dessus son épaule alors qu'elle quittait sa boutique au pas de course, un châle rabattu sur la tête.

Une naissance c'était comme faire le ménage : il suffisait de se concentrer sur la tâche à accomplir et le reste passait au second plan. Et Elisabeth avait si bien l'impression que tout lui tombait sur la tête en cet instant qu'elle ne trouvait pas de meilleure solution que d'attaquer chaque problème un par un, sans penser au reste par peur de se faire écraser.
Elle n'avait pas besoin de Marwen, elle n'avait besoin de personne d'ailleurs. Depuis tout ce temps elle s'était débrouillée seule et si l'espace d'un instant elle avait cru pouvoir compter sur quelqu'un d'autre qu'elle-même, les Trois s'étaient chargés de lui rappeler la vérité. Dans ce monde en ruine elle n'avait personne et si elle croyait pouvoir changer la donne, elle s'en mordrait les doigts.

D'un pas pressé elle rejoignit son client qui trépignait un peu et lui demanda d'ouvrir la voie, sans jeter un regard en arrière.

¤¤¤

Les manches retroussées, la mine concentrée, l'apothicaire broyait aussi vite que possible une poignée de feuilles séchées dans un mortier tandis que l'on s'occupait de la future mère. Juste après son arrivée dans la petite maisonnée, Elisabeth avait fait appeler les voisines les plus proches pour avoir un peu d'aide. Tous les hommes avaient été mis à la porte sans ménagement et aucun n'avait protesté car en matière de naissances, ils étaient aussi indésirables que la peste. Mettre au monde des enfants, c'était une affaire de femmes et on n'avait que faire d'un grand nigaud inutile qui restait là les bras ballants à demander comment ça va toutes les trois minutes.
Sa poudre prête, la sorcière l'ajouta à un peu d'eau et dilua une pâte marronnasse dans le gobelet avant de le faire boire à la femme enceinte. Elle était jeune mais solide et au caractère bien trempé, elle avait déjà eu deux enfants et ce troisième ne viendrait pas à bout de sa constitution, c'était certain. L'affaire se présentait plutôt bien quoi que la douleur soit insoutenable et les deux voisines arrivées en renfort avaient un peu d'expérience dans le domaine, ce qui n'était pas plus mal.

Aller ma grande, c'est le moment, encouragea la plus âgée du groupe en tapotant le ventre rebondit de la patiente. Tu pousses aussi fort que tu peux.

Les cris de douleur et d'effort occupèrent tout l'espace de cette petite chambre miteuse. Il fallut répéter l'opération encore et encore, les linges se tintant de sang tandis que d'autres étaient prêt à recevoir le nouveau-né. La délivrance finie par arriver dans une dernière poussée, accompagner des vagissements du minuscule bébé couvert de miasme. Elisabeth, les avant-bras et les mains tachées de sang, récupéra la petite créature alors qu'on coupait le dernier lui la reliant à sa mère et la débarbouillé rapidement avant de la présenter à la jeune femme épuisée.
Une naissance somme toute classique, pénible mais sans problèmes et qui ajoutait une bouche de plus à nourrir dans cette ville à l'agonie. Combien de temps ce bébé survivrait-il ? C'était le problème de ses parents désormais. L'apothicaire avait fait sa part de travail et se sentait désormais aussi fatiguée physiquement que mentalement. Ces trois dernières heures avaient été éprouvantes.

¤¤¤

Sous la pluie désormais un peu apaisée qui tombait encore et toujours, la jeune femme marchait d'un pas tranquille le long de la Grande Rue. Le vieux marché était à quelques mètres et à l'angle de la prochaine rue, elle pourrait voir sa boutique. Elle pourrait se mettre au chaud et à l'abri, retirer son tablier taché de sang et ranger ses bocaux ainsi que sa paie. Elle était bien maigre d'ailleurs mais peu importait de toute façon. Tout ce qu'elle souhaitait, à présent que le soleil était presque couché, c'était de manger quelque chose, de voir jusqu'à plus soif et de s'allonger pour dormir. Une nuit de sommeil et les conseils de Rikni, voilà ce dont elle avait besoin pour affronter le lendemain.

Dans ta tête tout était prévu : elle commencerait par contacter quelques clients avec qui elle s'entendait bien et prendrait le temps de se fabriquer du Trompe-la-Mort ainsi qu'un peu de cette essence que son grimoire préféré appelait Feu de sang. Elle avait de quoi tout concocter.
Marwen ? Quoi Marwen ? Il était parti bien sûr. Qu'est-ce qui le retenait maintenant ? Il avait son trésor et elle lui avait clairement fait sentir qu'il n'était pas indispensable dans les parages alors pourquoi serait-il resté ? Ah, bien sûr : pour le logis. Il s'était sans doute fait un plaisir de retourner tout ce qui pouvait l'être simplement pour le plaisir de fouiller et puis il se serait dit que c'est pas mal d'avoir un lit et un toit et il serait resté. Alors elle, en maîtresse de maison, elle n'aurait qu'à s'occuper de son confort tout en menant à bien ses activités, pas vrai ? Et si elle protestait, il lui rappellerait avec ce petit air supérieur et narquois qu'elle lui avait donné la permission de rester si ça lui chantait tout en le libérant de ses obligations. Et elle se sentirait bien bête une fois de plus. C'était sans doute le pire scénario qu'elle puisse envisager et pourtant elle n'arrivait pas faire remonter cette colère, cette vexation et ce ressentiment qui aurait du l'habiter.

Sachant la porte principale fermée à clé - à moins que l'esbigneur ne se soit ingénié à l'ouvrir pour une raison qui lui était propre - Elisabeth passa directement par la porte arrière de la boutique. Le loquet avait été défoncé, elle ne risquait pas de se retrouver coincée dehors.
Personne ne l'attendait dans le laboratoire et ce fut un soulagement. Elle put retire son châle et le suspendre avec sa cape près de la porte puis poser sa besace sur la table et souffler. Cette journée semblait interminable et promettait de durer encore un peu puisque le plancher au-dessus de sa tête grinça sous les pas de la seule personne qu'elle s'attendait à trouver chez elle. Comme pour lui donner raison, tandis qu'elle sortait mollement ses ingrédients et préparations de son sac informe, Marwen descendit sa carcasse jusqu'au rez-de-chaussée. Sans doute n'avait-il pas eu très envie de retourner crapahuter sous la pluie. Sans se retourner, Elisabeth lui intima le silence dès qu'il posa une botte sur le sol.

Chut, tais-toi surtout. Ne dis rien, je n'ai pas envie de t'entendre.

Elle referma sa besace et se retourna, s'appuyant contre le bord de la table derrière elle.

Tu as sans doute une excellente raison d'être resté et honnêtement, je me fiche de la connaître, dit-elle sans agressivité. Je t'ai attendu pendant presque une année après ta promesse de revenir parce que j'étais sans doute amoureuse de toi. Je dois l'être encore un peu puisque j'ai accepté sans sourciller de te rejoindre dans cette taverne miteuse et j'étais heureuse de savoir que tu étais en vie. Furieuse que tu m'aies fait tant attendre et espérer vainement, mais soulagée. Malgré ma colère je t'ai accordé le bénéfice du doute et je t'ai encore une fois tendu la main, j'ai laissé tomber toutes mes défenses en me disant que, peut-être, je n'avais pas attendu en vain. Sans surprises tu es reparti sans un mot car la sécurité de ton butin est la chose la plus essentielle à tes yeux.

Elle haussa les épaules avec un pli de lèvre l'air de dire "c'est comme ça". Elle se sentait calme et même apaisée de pouvoir dire toutes ces choses. C'était un problème parmi tous les autres et elle ferait comme avec le ménage et comme avec la naissance : elle s'en occuperait puis passerait à la tâche suivante. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à faire. Elle n'espérait même pas que son honnêteté arrive à quelque chose, elle en avait terminé avec les faux espoirs.

C'est sans doute aussi pour ça que j'ai cru naïvement que tu resterais, comme tu me l'as promis, parce que j'avais peur de rester toute seule dans cette maison qui n'est plus assez sûre ni pour ton or ni pour moi. Que veux-tu, c'est ça les femmes et leur sensiblerie indécrottable, même pour une sorcière dans mon genre. Mais tu as cette manie de ne jamais être là quand il faudrait et de revenir là où il ne faudrait pas. Alors te voilà, comme si de rien était. Ce qui m'amène à cette question un peu bête : qu'est-ce que tu attends de moi ? Je t'ai donné ton or, je t'ai donné toute ma crédulité, je t'ai soigné, j'ai joué à tes petits jeux humiliants en sachant que je serais toujours perdante, je t'ai laissé l'occasion de fouiller cet endroit à ta guise et je t'ai même accordé une chance de faire ce que tu voulais de mon corps puisque je n'ai même plus pour moi le secret de savoir à quoi je ressemble sous mes vêtements. Je t'ai clairement fait savoir que je n'avais plus besoin de toi et je n'ai plus aucune attente d'aucune sorte envers toi, Marwen, alors si tu es encore là c'est que toi tu dois attendre quelque chose de ma part. Dis-moi ce que c'est.
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyVen 12 Avr 2019 - 15:06
Alors que Marwen était entré dans la bâtisse comme s’il s’agissait de la sienne, sans même prévenir de son arrivée et de ses intentions, la sorcière décida de totalement l’ignorer, ce qui doucha l’énergie débordante du contrebandier. Il relativisa toutefois ; s’il avait craint, de prime abord, que l’inconnu pût le reconnaître, il n’en était rien ; il s’agissait simplement d’un client désespéré, eu égard à l’heure à laquelle il rendait visite à l’apothicaire. Le gus paraissait par ailleurs bien trop préoccupé par ses propres problèmes pour s’attarder sur ceux des autres. Restait toutefois le problème du temps ; l’Esbigneur avait envie de se mettre en chasse dès à présent. Au moment où, après avoir froncé les sourcils, il fit un pas en avant pour remettre les idées au clair de la jeune femme, celle-ci répondit à son chaland qu’elle était prête. Puis, sans même se retourner, elle laissa le contrebandier planté là, se fendant toutefois de trois phrases assez vipérines. L’on avait besoin d’elle ailleurs. Elle n’avait plus besoin de lui céans même. Il pouvait rester ou partir, elle s’en foutait, et merci pour le ménage.

Marwen tiqua. Bien sûr que si, qu’elle avait encore besoin de lui ; ne lui avait-elle pas demandé de rester, par ailleurs ? Lui en voulait-elle véritablement parce qu’il s’était éloigné d’elle l’espace d’une demi-heure ? C’était fol. Par ailleurs, des raclures avaient attaqué son domicile, et, sur un coup de tête, simplement parce qu’elle était fâchée contre lui, elle décidait de quitter le navire pour s’en aller ailleurs, sans lui. Cette tête de linotte n’avait décidément pas les idées en place. Il esquissa bien un nouveau pas dans sa direction, prêt à rétorquer que c’était du grand n’importe quoi, mais la porte se referma en claquant, et la première syllabe qui sortit de ses lèvres se heurta durement au battant. Il jura, grommela, pesta contre cette sorcière, et finit par simplement laisser tomber. Le contrebandier ne la connaissait trop bien, cette bachelette qui n’en était plus vraiment une. Elle changeait tout le temps d’avis ; elle aurait bien de nouvelles idées en tête lorsqu’elle rentrerait. Car elle rentrerait, cela était certain. C’était sa boutique, après tout. Mais ne lui avait-elle pas dit qu’il pouvait rester là ? Eh bien, il l’attendrait de bon pied.

Il erra un moment dans la boutique, observant tout ce boxon plus ou moins rangé qu’il ne pouvait comprendre. Des bouquins dans tous les sens qui parlaient de plantes, d’arômes, de mixtures, et de tous ces trucs de sorcière auxquels il ne comprenait goutte. Le long des murs, il observa les différents composants spagyriques qui somnolaient dans les bocaux ; il en ouvrit quelques-uns, sentit, toussa, goûta, et cracha à plus d’une reprise, avant de les remettre bien sagement à leur place après les avoir refermés. Elle semblait en avoir pour un certain temps, la Elisabeth, à n’être toujours pas rentrée.

Le sommeil commença à le gagner, aussi quitta-t-il la boutique pour se rendre à l’étage. L’Esbigneur décida alors qu’il piquerait bien un petit roupillon, même si cela le briderait un peu dans son rôle de cerbère de la maisonnée. Mais cela lui permettrait également de se remettre un peu d’aplomb pour la nuitée qu’il désirait passer. Oh, et puis, la jeune femme ne disposait-elle pas d’une cuve pour ses ablutions ? C’était le moment ou jamais d’en profiter. Il avait le temps, le matériel, ce qui était bien trop luxueux pour sa pomme, et, surtout, il ne craignait pas de se faire épier par une petite écervelée au travers de la porte.

L’eau froide lui suffit amplement ; il n’était que trop habitué à cela. Pas même besoin d’alimenter l’âtre de la bâtisse pour y faire chauffer le bain. Il grelotta, claqua un peu des dents après s’être déshabillé pour se plonger dans l’eau, et s’amusa un peu de tous ces produits différents que pouvait utiliser la mégère. Il y en avait trop, bien trop, et sûrement cela n’était-il pas étranger au fait que la donzelle avait assurément la capacité de produire ses propres mixtures. Mais tout de même ; même s’il roula des yeux à plus d’une reprise, cela ne l’empêcha guère de tenter de multiples mélanges tandis qu’il folâtrait paresseusement dans l’étuve. A dire vrai, il trouva l’expérience rafraîchissante, et se dit que cela n’aurait été que plus profitable encore en compagnie de la sorcière. Bien que l’eau fût glaciale, cela ne l’empêcha pas d’avoir quelques visions assez torrides.

Après s’être relativement bien séché, trouvant ce qu’il pouvait pour ce faire, et après avoir vidé la cuve, l’Esbigneur se choisit un lit. Il y avait le lit de secours de la pièce d’à côté, certes, mais, celui-ci, il l’avait déjà essayé. Il ne ressentait pas l’envie de retenter l’expérience. Par contre, l’autre lit, celui de l’apothicaire, lui faisait bien plus de l’œil. Si c’était dans ces draps qu’elle dormait, c’était qu’ils étaient bien plus doux. Si c’était ce matelas sur lequel elle s’étendait, c’est qu’il devait être bien plus confortable. Ni une, ni deux, Marwen se laissa mollement tomber dessus, le nez dans ces oreillers lardés de coups de poignard. C’était agréable, effectivement. Et, alors qu’il sombrait peu à peu dans les bras de Morphée, l’odeur de la sorcière l’apaisa complètement.



***


Une porte qui s’ouvra, ainsi que de l’activité à l’étage inférieur, le tira de son état de langueur. Par les trois, cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas goûté au moelleux d’un tel matelas après s’être correctement lavé, et Marwen mit quelques secondes afin de reprendre véritablement conscience de l’endroit dans lequel il se trouvait, ainsi que sa tout récente situation. Il était au Crapaud Apothicaire, lequel venait de se faire profaner, et sa propriétaire avait quitté les lieux. Etait-ce donc elle, qui venait de rentrer, ou les malfrats venaient-ils retenter leur chance ? Il se leva prestement, bien décidé à faire la lumière sur cette affaire. Il les attendait de bon pied, les connards, si c’était eux. Et si c’était la sorcière, il aviserait. En descendant l’escalier, il se rendit rapidement compte que c’était bien cette dernière.

A dire vrai, le premier sentiment qui le traversa fut le soulagement. Elle était là, en chair et en os, alors même qu’on l’avait menacée, qu’on avait mis à sac sa boutique, et que la simplette, en dépit de tout bon sens, avait tout de même décidé de partir en garouage. Devait-il le lui communiquer, ou bien lui tirer les oreilles pour sa dernière fredaine ? Ni l’un, ni l’autre ; il n’en eut pas le temps.

Vraisemblablement, le sentiment n’était pas réciproque, bien au contraire. A peine perçut-elle l’ombre de sa lourde carcasse que la tenancière mit le holà d’un ton bien incisif. Il n’avait pas intérêt à prononcer le moindre mot ; elle ne voulait pas l’entendre. L’Esbigneur vit les épaules de la jeune femme se lever et s’abaisser rapidement, comme si elle prenait une grande inspiration avant de se jeter dans le bain. Et elle se retourna que pour mieux vider son sac.

Au fur et à mesure de sa philippique, Marwen se rembrunit, bien qu’il ne sût comment encaisser le coup face à tant d’accusations. Le ton n’était pas hargneux, ni même agressif, mais l’on sentait une véritable fatigue dans les mots d’Elisabeth. Elle refit le tour de la question, de ce qu’elle lui avait déjà dit dans l’auberge. Elle l’avait attendu que trop longtemps, en vain. Elle était heureuse, finalement, de le retrouver encore en vie, elle s’en retrouvait soulagée, elle lui avait accordé le bénéfice du doute, mais là encore, en vain. Et plus récemment, elle lui avait demandé de rester un peu avec elle, ce à quoi il avait accepté. Mais il n’avait pas tenu une fois de plus sa promesse ; n’était-il pas reparti, il y avait de cela quelques heures ? En fin de compte, elle avait été amoureuse, elle avait agrée à ses foucades, elle l’avait abrité, soigné, et s’était même offerte à lui, mais sans autre chose en retour que des promesses brisées et des absences au moment où elle avait eu le plus besoin de lui. Alors, s’il était toujours là, qu’attendait-il ? Marwen roula un moment des yeux, effarés.

« Allons donc, tu m’as demandé de rester, donc je suis là, c’est tout, » répondit-il le plus simplement du monde, avec évidence, tandis qu’il la regardait droit dans les yeux. Puis il reprit, après un petit instant.

« Quoi, tu ne vas quand même pas me dire que, m’être esbigné une petite demi-heure pour protéger ce que possède, ça a rompu ma promesse de rester avec toi, alors même que c’est toi qui est partie quand je suis revenu peu de temps après et que j’ai monté la garde de ta boutique durant ton absence ?! »

Il ne comprenait pas, ou, plutôt, jouait quelque part celui qui n’y entendait goutte, sans même y prendre garde. Une partie son esprit l’ignorait, tandis que l’autre en avait brièvement conscience. Pourquoi diable était-il parti sans rien dire, emportant avec lui son précieux baluchon ? C’était très simple ; car il avait toujours su, au fond de lui, que cela entraînerait une certaine réaction dans le cœur de la sorcière. Quelle qu’elle fut, elle aurait réagi, de manière plus ou moins forte, et révélerait ce qu’elle avait toujours tu. Ne venait-elle pas de lui avouer, justement, qu’elle avait été amoureuse de sa personne ? Et peut-être même qu’elle l’était toujours actuellement ? Cela aussi, Marwen l’avait su, eu égard au baiser qu’ils avaient partagé, à ces aventures qui avait forgé leurs liens, pour le meilleur comme pour le pire. Mais c’était quelque chose de vivre, comme c’était quelque chose, également, de se l’entendre dire. Et ça, ça le confortait énormément. Ça le rassurait même, à sa manière. Il avait voulu l’entendre, le redécouvrir une nouvelle fois. Faire en sorte que la jeune femme s’accroche à lui, dût-il la manipuler un peu, jouer avec sa patience et ses sentiments, tirer sans cesse sur la corde pour la faire tomber dans ses bras, pour de bon. Mais ne l’avait-il pas déjà eue, tout à l’heure, alors qu’il l’avait emprisonnée de son étreinte, à même son lit ? Certes ; mais il agissait à la manière d’un chat jouant avec proie, en redemandant encore et toujours. A cela près qu’il aimait cette proie, et qu’il aimait à ce qu’elle lui tînt tête. Mais ce qu’il ressentait pour la jeune femme, il ne l’avouerait très certainement jamais, et s’ingénierait à dissimuler cette affection derrière un masque de complaisance, derrière une série d’actions douteuses et avilissantes.

« Je t’ai déjà expliqué pourquoi je ne suis pas revenu vers toi cette dernière année, ça, on a déjà fait le tour. Mais je suis là, là. Encore une fois, tu m’as dit de rester, donc voilà. Etre reparti l’espace de même pas une heure ne compte pas, et ne comptera jamais pour moi. Tu dis être amoureuse, mais de qui ? De moi ? A quoi t’attendais-tu, sorcière, alors, en te livrant à pareils sentiments ? A un prince charmant qui te suivra comme un petit chien ? A un mari bien sage qui te fera le ménage et s’occupera de ta boutique en ton absence ? A un rodomont qui t’offrira des fleurs et qui te chantera la sérénade au balcon ? C’est donc avec ces pensées-là, que tu nourris ton indécrottable sensiblerie ? Ce n’est pas moi, ça, chérie. Ça ne sera jamais moi, et tu le sais au plus profond de toi. Tu ne me priveras jamais de mes foucades, de ma liberté, de mes envies. Et puis… »

Il secoua la tête, soufflant, avant de se relancer dans son argumentaire. Si les choses devaient être claires, alors autant appuyer sur ces points-là.

« Ouais, je ne connais pas bien ta vie, surtout ce qui s’est passé cette dernière année, alors que je n’étais pas là. Et justement ; tu m’accuses d’être toujours là quand il ne le faut pas, et de ne jamais l’être quand la situation l’impose. Vraiment ? »

Il regarda autour de lui, constatant les dernières traces du saccage qu’avait connu la boutique.

« D’après ce que j’ai compris, c’est pourtant bien le contraire. Tu m’as raconté quoi, à la taverne ? Que ta vie, dernièrement, n’avait été qu’aroutinement quotidien. Y’avait rien de particulier, et je n’étais pas là. Pourtant, avant cela, tu avais eu des problèmes. Et j’avais été là pour t’aider à les résoudre. Désormais, tu sembles encore en avoir, non ? Eh bien, en dépit de tout ce que tu clames, je suis là, une fois de plus. Je dis pas que c’est moi qui les crée, les problèmes, ou même que je joue les chevaliers à accourir sitôt que tu en as. Mais si t’as des soucis, et que t’as besoin d’aide… Ben voilà. Et j’attends rien de toi de manière pécuniaire, matériel ou charnel, sorcière. Enfin… »

Il fronça les sourcils ; cette dernière phrase, même s’il reprenait les mots de la vipère, sonnait un peu durement. Et un peu faux, quelque part. Oui, il ne refuserait clairement pas son toit ou son lit, même s’il l’avait déjà fait, en ce qui concernait ce dernier. Mais c’était par jeu plus qu’autre chose, pour gagner une risible victoire psychologique. Ce qu’il voulait dire, c’était qu’il n’exigerait rien d’elle en retour. Il était là de son plein gré. Et, pour une fois, il dérogea quelque peu à cette règle qu’il s’était imposé, selon laquelle il ne révélerait rien de ses états moraux et sentimentaux.

« … Tu vois ce que je veux dire, quoi. Donc si tu piges pas mes manigances et mon langage, je vais te le dire plus clairement ; je serai clairement pas revenu de mon plein gré si tu comptais pas pour moi. »

L’Esbigneur s’arrêta quelques secondes face à ce moment de vulnérabilité qu’il trouvait plutôt gênant. Alors, il décida de s’en protéger en repartant à l’attaque, même si cette offensive n’était qu’une fois de plus tributaire du souci qu’il s’était fait à son sujet. Il s’en voulait presque d’avoir dit cela, et projeta cette irritation de lui-même sur les derniers méfaits d’Elisabeth.

« Et puis toi, alors, reprit-il, passant du coc à l’âne. Qu’est-ce qui t’est passé par la tête pour t’engager dans cette queste, là, dans les rues de Marbrume, par un temps merdique et de nuit ? T’as jamais pensé que ça pouvait être un piège ? Enfin, au hasard ; on vient de rentrer par effraction chez toi, tout a été cassé, et, apparemment, on aurait rien volé. Si ça se trouve, c’était directement à toi, qu’on en voulait, en fait. T’y as pensé ? Mais toi, non, tu files dehors, la bouche en cœur, prête à te faire écharper sans même en avoir conscience. Et après, tu oses dire que tu n’as pas besoin de moi. Pire encore, qu’il faut que je reste là. »

Une fois de plus il leva les yeux au ciel, soufflant ostensiblement.

« ’Fin bref. On a du pain sur la planche, si on veut retrouver ces corniauds. Et quoi que tu dises, je t’accompagne. Faudrait pas que tu m’accuses encore de ne pas être là alors que t’auras besoin de moi. »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyLun 22 Avr 2019 - 19:49
Elle s'était attendue à bien des choses, mais à des accusations certainement pas. Qu'il se moque d'elle, qu'il tourne en dérision ses propos pour les lui renvoyer au visage ou qu'il s'agace de son ton, c'était prévisible. Cependant, qu'il l'accuse, elle, d'être la source de tout ce merdier sentimental, elle ne l'avait pas vu venir. Il avait un vrai talent pour la surprendre, vraiment. Et un autre pour savoir à quel moment retourner le couteau dans la plaie pour que a soit douloureux. Elisabeth n'en laissa rien paraître mais sous le poids de plus en plus écrasant de la fatigue, elle sentait tout de même comme certains mots pouvaient être corrosifs.
Bien sûr qu'elle n'avait jamais envisagé de faire de lui un modèle de vertu et de fidélité dégoulinant de mièvrerie, l'idée ne lui avait pas même effleuré l'esprit. Pour quelle raison se mettait-il à renvoyer des inepties à propos de sérénade et de mari alors qu'elle n'avait jamais fait ne serait-ce que mine de lui imposer la moindre restriction à son mode de vie sous prétexte de l'aimer ? Elle avait bien conscience du sale type qu'il était et de la bêtise qu'elle faisait à s'enticher de lui mais après l'entraide purement intéressée qu'ils s'étaient portés, elle avait espéré qu'il donne des nouvelles, au moins par soucis de préservation de son foutu butin. S'il ne l'avait pas fait c'était bien la preuve qu'il se fichait éperdument de tout ce qui avait rapport à elle et à leurs mésaventures passées alors à quoi bon jouer les sauveurs à présent ?
Il lui assura qu'il était là parce qu'il l'appréciait, qu'il comptait bien l'aider parce qu'il le souhaitait et sans contrepartie, pourtant elle ne parvint pas à trouver de bonté dans ce geste. Il le faisait parce qu'il n'avait rien de mieux à faire sans doute et une fois cela terminé, il repartirait pour un mois, un an, peut-être même plus et ne se repointerait que si lui avait besoin d'elle. Ce n'était pas elle qui était parti à sa recherche pour demander de l'aide, c'était lui qui était revenu pour réclamer son trésor et pour rien d'autre. Les circonstances faisaient qu'il débarquait alors qu'elle se trouvait en difficulté, rien de plus. Tout n'était qu'un hasard, une vaste blague organisée par les Trois. Et il voulait lui faire croire qu'il agissait parce qu'il se faisait du souci pour sa sécurité ?

La jeune femme serra brièvement les dents avant de laisser tomber : à quoi bon s'agacer une fois de plus ? Il avait raison, elle s'était imaginé des choses et peut-être même avait-elle eut des attentes sans se rendre compte. Des attentes qu'il ne pouvait pas combler et qu'elle était bien idiote d'avoir envers lui. Ah sans doute qu'elle devait compter pour lui, oui ! Ça ne courait pas les rues des dindes aussi bêtes qu'elle à donner le gît à une crapule pareille. Elle s'énervait plus de sa propre naïveté que de l'Esbigneur à présent.
Le ladre, lui, se mettait désormais à la gronder comme s'il était son paternel. Et de lui dire qu'elle était bien sotte d'être sorti toute seule et de lui rappeler qu'elle aurait pu tomber dans un piège et se retrouver avec un couteau sous la gorge. Les Trois soient loués, elle n'avait rien car il est bien connu que la chance accompagne les écervelés et lui il était désormais là pour veiller sur elle, qu'Anür soit remerciée. Et de lever les yeux au ciel. Et de soupirer encore une fois. L'apothicaire se demanda s'il n'allait pas la punir dans sa chambre pour cette escapade et la situation lui sembla tout à coup si parfaitement ridicule qu'elle pouffa de rire sans y trouver de joie. Une main devant la bouche elle retrouva rapidement un peu de sérieux.

Marwen, tu veux bien me rappeler à quel moment au cours de ma vie il a été décidé que ce serait à toi de juger ce qui est bon ou non pour moi ? Je n'arrive pas à me rappeler.

La drôlesse croisa les bras sous sa poitrine, toujours adossée à sa table de travail.

Dis-moi, qu'est-ce qui t'a fait croire que tu avais le droit de me dire si j'ai la permission ou non de faire mon travail ? À moins que ta cervelle étriquée ne se soit ratatinée avec le sel et que de m'entendre admettre les faiblesses de mon cœur ne t'ai fait croire que tu étais désormais le maître des lieux et celui de ma vie ? Hm ? demanda-t-elle avec une petite moue interrogatrice avant de reprendre plus froidement. Alors laisse-moi à mon tour être plus claire : je n'ai jamais eu besoin d'aucun homme dans ma vie et je ne laisserai jamais une paire de couilles me dicter ma conduite, encore moins sous mon propre toit. Tu n'es pas une exception. Je reconnais avoir fait preuve d'une faiblesse plutôt honteuse en couinant à l'aide tout à l'heure mais ça ne se reproduira pas. Vas donc faire un tour dans les bordels dès ce soir si ça te chante et reste-y, les filles là-bas sauront sans doute mieux te faire croire qu'elles gobent tes conneries. Maintenant, sans ta permission, je compte profiter de la relative quiétude de ma propre demeure car la journée a été éprouvante.

Elle se redressa pour prendre un peu brusquement deux livres provisoirement rangés sur une pile de grimoires et dépassa le contrebandier à grandes enjambées pour se rendre à l'escalier. Inutile de reprendre point par point la conversation, elle ne voulait qu'éclaircir ce qui lui tenait vraiment à cœur, à savoir qu'elle non plus ne cèderait sa liberté sous aucun prétexte. Aucun.
Toute sa vie elle s'était targuée de pouvoir se débrouiller toute seule, de pouvoir faire aussi bien que les garçons et même mieux parce qu'elle savait lire et écrire, sa fierté lui commandait de redresser la tête et de faire face encore une fois par elle-même. C'était inutile d'attendre quelqu'un encore et encore, l'expérience venait de lui montrer qu'elle n'obtiendrait pas ce qu'elle voulait de cette façon. Surtout si elle espérait se reposer sur une personne peu fréquentable.
Les pieds sur les premières marches, elle lança tout le même :

Si tu veux m'aider malgré tout, fais donc à ta guise. J'espère que simplement que tu as conscience que si tu disparais sans rien dire, je ne partirai pas à ta recherche pour m'assurer qu'on ne t'ait pas troué la peau dans une ruelle et je ne t'attendrai pas non plus pour poursuivre seule. J'en ai assez de m'inquiéter pour un chien errant qui ne fait que me mordre quand j'approche la main.

De retour dans son salon, Elisabeth déposa les livres sur la table et retira enfin son tablier qu'elle mit immédiatement à tremper dans un seau d'eau. Elle y ajouta d'ailleurs des miettes d'algues séchées avant d'aller remuer un peu les braises. Puis elle ouvrit la petite trappe dans le plancher qui donnait accès à un espace pour stocker quelques vivres. Ce genre de cache pas tout à fait secrète était très à la mode à l'époque de ses aïeuls. On y entreposait alors des pommes pour qu'elles passent l'hiver ou bien un peu de sel en réserve. Il n'y avait pas la place de ranger grand-chose mais c'était assez pour que la jeune femme y ait mis de la viande séchée et plus récemment, une miche de pain noir. Elle préleva ce précieux butin pour le disposer sur la table, ravie que les vandales n'aient pas prêté attention à ce rangement discret, sans quoi ils l'auraient sans doute vidé. Quittant ses chausses humides, elle prit place dos au feu pour se réchauffer, s'assit en tailleur sur sa chaise et ouvrit un premier volume à la recherche d'une recette de poison bien particulière.

Elle refusait de penser à Marwen, à ce qu'elle avait dit et à ce qu'il lui avait répondu, elle refusait aussi de penser à ce qu'elle ferait s'il décidait maintenant de lever le camp pour de bon ou de réfléchir à ce que pouvait donner leur collaboration dans cette traque. C'était à la fois trop compliqué et trop pénible. Elle ne voulait que se plonger dans son livre dont elle n'arrivait pourtant pas à lire correctement une seule ligne tant son esprit était ailleurs et prendre une nuit de repos.
Ils pouvaient bien travailler de concert sans avoir à se reposer l'un sur l'autre, pas vrai ? Faire comme à leur première rencontre et avancer dans la même direction sans avoir à se fier à l'autre, rester sur ses gardes quoi qu'il arrive et mettre un terme à la cohabitation une fois l'affaire démêlée. En théorie c'était finalement très simple. Elle n'avait qu'à s'en tenir à la simplicité la plus totale jusqu'à ce que sa vie reprenne son cours sans heurts.

Le manque de bruit ou de mouvement depuis plusieurs minutes lui sauta au nez brusquement. Elle était montée depuis assez longtemps pour que Marwen se manifeste d’une façon ou d’une autre, soit en lui rétorquant quelque chose, soit en la suivant, il pouvait même se contenter de ruminer en bas puis de claquer la porte mais le silence était presque totale et c’était bien plus inquiétant. Le soupçonnant tout à coup de préparer un sale tour, la jeune femme se leva en trombe alors qu’elle venait à peine de s’asseoir et dévala l’escalier, prête à le prendre sur le fait quoi qu’il soit en train de magouiller. Au lieu de cela elle le trouva appuyé à deux mains sur l’une des tables de l’arrière-boutique, la tête entre les épaules.

Qu’est-ce que tu fous ? C’est toujours mauvais signe quand tu la boucles et que tu te tiens sage. J’espère que t’essayes pas un truc stupide pour me mettre en rogne, grogna-t-elle en croisant les bras.

Le contrebandier ne sembla même pas l’entendre mais ses épaules s’étaient mises à trembler et à bien écouter, on pouvait l’entendre ahaner comme s’il peinait à retrouver son souffle après une course poursuite. Peu encline à se prendre une rouste si elle s’approchait un peu trop, la sorcière conserva une distance de sécurité en essayant de le contourner pour mieux l’observer. En notant le front en sueur et les pupilles complètement dilatées, elle comprit rapidement que les émotions n’avaient rien à voir avec ces tremblements.

Je vois qu’on a voulu se taper un petit tour du propriétaire en mon absence. Je me demande ce que tu as pu goûter ou renifler pour te retrouver dans cet état… Il faut quand même être un peu con pour aller fouiner dans mes produits sans avoir aucune idée de si ça peut te tuer ou non, fit-elle avec un large sourire, pas plus inquiète que ça de l’état de son hôte.

Au fond elle était bien contente qu’il se punisse lui-même de cette façon. S’il n’avait fait que goûter, il y avait de bonnes chances pour qu’il survive à sa propre curiosité, après tout la plupart des produits ici étaient fait pour soigner, pas pour tuer. Du moins lorsqu’on les dosait correctement.
Rassurée sur le fait qu’elle ne prendrait pas de baffe, Elisabeth le saisit par le bras pour l’arracher à son support comme on arrache une moule à son rocher et l’entraîna vers l’escalier. Pas question de le laisser délirer au milieu de ce qui restait de son atelier, elle apprécierait le spectacle de ses hallucinations à l’étage. Du moins elle espérait qu’il hallucinerait, ce serait au moins divertissant à regarder. Le poussant sans ménagement pour qu’il mette un pied devant l’autre, elle le guida jusqu’à l’étage où elle lui donna l’autorisation de poser son cul dans une chaise (il faut comprendre par là qu’elle l’y obligea sans concession, profitant de la mollesse du sujet pour se faire obéir).

Alors dis-moi, fit-elle avec un sourire moqueur, penchée en avant vers lui, tu vois des formes étranges ? Tu entends chanter des sirènes ? Tu as l’impression de flotter ? Peut-être que tu es déjà tellement loin que tu ne comprends plus rien de ce que je dis. Mais l’avantage c’est que, quoi que tu aies pris, ça te rend aussi dynamique qu’un escargot alors pour au moins quelques heures, je n’ai plus rien à craindre de toi.

Elle lui tapota la joue, consciente que même s’il était encore bien éveillé, il perdait à grande vitesse tout son tonus musculaire et ses facultés mentales. De nombreuses substances dans ses étagères pouvaient provoquer ça, elle ne se fatiguerait pas à savoir laquelle. En vérité, elle était toujours furieuse de l’accueil qu’il lui avait réservé et tout ce qu’elle avait de pitié et de compassion en elle s’était évaporé. Aussi, au risque de le regretter plus tard, elle ne comptait pas l’aider cette fois-ci. Elle espérait même qu’après ça, il se rappelle qu’elle n’était pas exactement aussi inoffensif qu’il aimait le dire. Faible, sans doute, mais pas tout à fait incapable de causer du mal.
Regagnant sa propre chaise de l’autre côté de la table, elle s’assit et posa son menton dans ses mains, curieuse de savoir ce qui allait se passer ensuite. Que pouvait-il bien faire de pire que les intrus n’aient pas déjà fait ?
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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMer 24 Avr 2019 - 19:01


La réponse qu’Elisabeth lui offrit ne fut pas tout à fait celle à laquelle il s’attendait. Elle commenta plus ou moins les dires du contrebandier, arguant que, quoi qu’il pût affirmer, il n’était en aucun cas le maître à bord et qu’elle se réserverait encore et toujours le droit de le remettre à sa place. Qu’il n’avait pas à juger à sa place de ce qui était bon ou non pour elle. Et que, de manière plus générale, elle ne laisserait jamais un homme gouverner sa vie. L’Esbigneur se demanda avec effroi, l’espace d’un moment, si la tenancière n’avait pas des penchants gomorrhéens. Voilà qui aurait expliqué nombre de choses. Et c’était là bien un truc de sorcière, ça. Il roula des yeux, effaré, secouant la tête pour lui-même histoire de se sortir cette histoire de la tête. Non, sans quoi n’aurait-elle pas avoué le petit faible qu’elle avait eu à son égard. Mais l’un n’empêchait toutefois pas l’autre. Mais une chose demeurait certaine, selon elle. S’il venait à disparaître de nouveau, elle ne partirait pas à sa recherche, pas plus qu’elle ne s’inquiéterait à son sujet. L’intéressé haussa des épaules ; il ne connaissait que trop cette rengaine, et lui aussi en avait assez de ces échanges verbaux. D’autant plus qu’il commençait à se sentir étrangement.



Il laissa la jeune femme partir à l’étage sans rien rétorquer, désormais bien plus concentré sur ce creux qui le prenait à l’estomac. Avait-il faim ? C’était fort probable ; l’on ne mangeait que trop peu, ces temps-ci, et la maigre pitance que l’on trouvait çà et là avait la fâcheuse tendance de vous réveiller la nuit. Il jeta un coup d’œil au plafond. La sorcière était afférée à ses maléfices, très certainement, et cela lui convenait très bien. Alors qu’il se levait, peut-être un peu trop brutalement, sa tête se mit à tourner dans tous les sens tandis que le sang refluait vers le bas. Il s’appuya sur une table, agacé par ce moment de faiblesse. Il lui fallait trouver à grailler le plus rapidement possible, qu’importait ce que pourrait bien lui rétorquer l’alchimiste. Et puis, basté ; elle n’était de toute façon pas présente pour lui faire la morale ou lui mettre une petite tape sur cette main qui se tendrait vers la huche à pain ou ce genre de chose.



Quelques pas supplémentaires après avoir quitté la table qui lui avait servi de support, et voilà qu’il se mit à tanguer avec insistance. Il en perdait ses repères, le Marwen, lui qui ne se trompait jamais de chemin dans les venelles et les souterrains de Marbrume. Mais là, le sol avait la fâcheuse tendance à se mouvoir, à se rapprocher de son visage que pour mieux s’éloigner par la suite. L’on eût dit le flux et le reflux de la mer, tant et si bien que le même mal le pris alors, lui qui avait pourtant le pied bien marin. Il ignora totalement le tabouret que l’on renversa à l’étage, ou les pas précipités qui dévalaient l’escalier dans l’urgence. Il ne la comprenait pas, ladite urgence, par ailleurs. Marwen avait déjà bien déjà à faire avec ses propres problèmes. Tous les sons lui parvenaient de loin, de toute manière, et il ne parvenait pas à les isoler avec précision pour comprendre d’où ils provenaient.



Il commença à avoir chaud, bien chaud, et, en même temps, des sueurs froides lui couraient le long du dos. Entendait-il une voix ? La sorcière était derrière lui, oui, mais il n’y prêtait pas attention. Ses paroles, une fois de plus, lui apparaissaient comme diffuses et lointaines, environnées du chahut de son cœur qui lui battait les tympans. De petits tremblements s’emparèrent de ses membres, et sa tête lui parut subitement bien plus lourde que d’ordinaire. Il devait s’asseoir quelque part, mais se mouvoir, désormais, lui était une tâche impossible à réaliser. Ne pas bouger, ne pas bouger. Dans la périphérie de son regard embrumé, la tenancière apparut, l’air prudent, avant d’afficher un large sourire. Il tendit l’oreille, curieux de comprendre l’objet de sa joyeuse humeur. Marwen avait fouillé dans ses affaires, voilà tout, lui apprenait-elle.



Elisabeth s’empara de son bras, sans douceur ni ménagement, et le poussa vers l’avant, l’emmenant dans les escaliers. Désaxé, le contrebandier, d’ordinaire si sûr de lui, perdit brusquement son équilibre, et s’appuya de tout son poids sur les frêles épaules de la sorcière.



« Kesstufé maugréa-t-il sans même avooir la volonté d’en dire davantage. Se concentrer sur chacun des pas qu’il devait faire lui en coûtait déjà beaucoup, et ce fut pire encore lorsqu’il s’engagea dans les degrés escarpés qui le mèneraient à l’étage. Difficile de savoir s’il devait s’accrocher aux murs ou à sa « bienfaitrice », quoiqu’il doutât bien de ses intentions premières. Dans le doute, il se fixa aux deux, sa senestre s’agrippant aux pierres éparses comme sa dextre, elle, crochetait le poignet de la jeune femme, et son avant-bras, et son bras, et ses épaules, et même ses cheveux. Et bon gré mal gré, il fut bientôt assis sur une chaise, ne parvenant pas à réaliser le miracle qui venait de s’opérer. Il n’avait pas chu.



Et c’était qu’elle voulait lui soutirer tous les fruits de sa victoire, la grognasse. Elle se fendait d’un petit sourire perfide, comme si elle était la responsable de tous ses malheurs et avait, de ce fait, triomphé du maraud qu’il était. Elle se moquait de lui, comme au bon vieux temps, allant jusqu’à lui tapoter la joue comme s’il n’était qu’un bambin avec de la morve au nez. Il tenta bien de lui harper le bras pour lui intimer d’arrêter, mais sa cible se dédoubla subitement, et il brassa davantage d’air qu’il ne choppa la chair de l’apothicaire. Ou avait-il été bien trop lent et engourdi ?



« Ouais, t’es contente, hein ? Curieux qu’y a que quand je suis mal en point comme ça que tu te permets de me morguer de la sorte. »



Il se balançait à gauche à droite sur sa chaise, ne sachant plus trop où il se situait. Il voyait, il en était persuadé, mais sa cervelle ne parvenait pas à mémoriser à la seconde près les images qu’il percevait. Il flottait quelque pars, sans trop savoir où il allait. Se déplaçait-il vraiment ?



« Tes produits… J’savais bien que j’aurais pas dû prendre de bain. J’savais bien que j’aurais pas dû prendre de bain », répétait-il en avalant ses syllabes, ayant du mal à articuler. Toute cette mousse, tous ces machins et ces potions et ces baumes qu’il s’était mis, là. Forcément, tout cela n’avait été que sorcellerie. Elle lui avait tendu un piège, et lui avait été assez bête pour tenter de se laver. Et la diablesse se gaussait dès à présent de sa victoire. Il lui jeta un coup d’œil mal luné, et la vit, là, en train de l’étudier comme s’il n’était pas autre qu’une bête de foire. Ses pensées étaient troubles, son esprit était embrumé. Beaucoup trop embrumé. Puis soudainement, il se leva subitement.



« J’vois la musique ! J’vois la musique ! » glapit-il alors. Puis il se saisit de cette chaise sur laquelle il s’était assis, et la brandit comme une massue.



« Ahhhhh. AAAHHHHH. LES COULEURS M’ATTAQUENT !! » Il rua et rugit et forcena, faisant d’amples mouvements avec l’arme contendant qu’il avait en main et qui se résumait à un dossier et à quatre pieds de bois. Il tourna et tournoya encore, se fendant en avant, obviant les coups de cet ennemi invisible que seul lui était en mesure d’appréhender.



Puis, tout aussi rapidement que cela lui était venu, il s’immobilisa, raide comme un piquet, et lâcha la chaise qui tomba rudement au sol. Il se mit à cligner des paupières, une fois, deux fois, trois fois, de plus en plus rapidement, de plus en plus frénétiquement. A cela s’ajouta un tremblement de plus en violent, qui s’empara de ses épaules, puis de ses bras, puis de ses jambes, et ce fut bientôt trop pour qu’il pût conserver son équilibre. Ses pupilles roulèrent de l’autre côté de son crâne, un mince filet de sang lui coula le long du menton, sortant d’entre ses lèvres, et il tomba comme une masse. Le sol craqua, sa tête heurta d’une fort mauvaise manière le plancher, et il convulsa encore un moment avant de finir par s’immobiliser, face contre terre.

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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen]   Homme sans ennemis, homme sans valeur [Marwen] EmptyMer 8 Mai 2019 - 19:33
Satisfaite comme une gamine un jour de foire, Elisabeth le laissa grommeler tout son saoule sans s’inquiéter de ses gesticulations maladroites.

Oh ça n’a rien de curieux, je m’arrange juste pour me moquer dans les moments où tu es trop faible pour te défendre. Ça serait moins drôle si tu pouvais le faire.

Les coudes posés sur la table et le menton appuyé dans les mains, elle ne fit pas le moindre geste lorsque le contrebandier se leva pour s’armer de la chaise déjà bancale afin de repousser l'assaut imaginaire des couleurs. Étant donné le peu de mobilier encore intact qu’il lui restait, peu importait qu’il casse une chaise de plus. Les effets du produit - seuls les dieux savaient lequel - qu’il avait ingéré n’étaient pas tout à fait inconnus à l’apothicaire, laquelle estimait que tant que son invité ne se mettait pas à agiter d’objet dangereux dans sa direction, elle n’avait pas à intervenir. Il lui offrait même un spectacle tout à fait rafraîchissant après la longue et pénible journée qu’elle venait de vivre.

Eh bien au moins tu as de quoi t’occuper maintenant. Peut-être même que ça t’apprendra à ne pas toucher à mes affaires à l’avenir. Quoi que c’est sans doute t’en demander encore trop, je me contenterai du plaisir de savoir que tu t’es ridiculisé, conclua-t-elle en suivant les moulinets vigoureux qu’il faisait pour mettre KO son adversaire.

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et ce fut aussi le cas de ce petit spectacle improvisé. Toujours plein de surprise, Marwen s’effondra au sol avant de se mettre à tressauter comme un poisson hors de l’eau. Elisabeth eut une grimace de douleur lorsqu’elle entendit le bruit sourd de sa tête contre le plancher et se décida finalement à intervenir avant qu’il ne lui claque entre les doigts.

Pourquoi j’ai l’impression de toujours devoir prendre soin de toi à la fin de l’histoire ? maugréa-t-elle en s’agenouillant à côté de lui avec empressement.

Quoi qu’il ait pu ingérer, il n’y était pas aller de main-morte ! Tout en lui répétant qu’il était l’homme le plus stupide qu’elle ait jamais rencontré, la jeune femme fit son possible pour le retourner malgré son poids et ses spasmes. S’il était sur le ventre au moins il ne s’étoufferait pas avec la bave qui moussait au coin de ses lèvres. Un sentiment d’urgence lui étreignit le cœur et elle réfléchit à toute vitesse tandis qu’elle roulait un torchon pour en faire un boudin de tissu et le lui caler entre les dents pour qu’il ne se morde pas lui-même.
Il y avait de quoi l’assommer pour plusieurs jours dans ses produits mais ce n’était pas vraiment l’effet voulu puisqu’il était déjà inconscient. Alors peut-être quelque chose pour le tétaniser ? Il serait sans doute moins en danger en étant immobile plutôt qu’en gigotant sur le sol et son palpitant serait sans doute plus ménagé lui aussi. Gare à la dose cependant, sinon il risquait de se pétrifier tout entier et mourrait aussi. La solution la plus radicale qu’elle connaisse se trouvait dans l’aiguille qu’elle avait judicieusement replacée dans les plis de sa robe et si l’idée ne lui plaisait pas beaucoup, elle ne voyait pas ce qui pourrait l’aider.

L’apothicaire balaya toute hésitation avant de planter fermement la pointe de son aiguille dans le bas du dos de Marwen. En temps normal le venin causait une paralysie plus ou moins sévère selon l’endroit où elle piquait et la taille de la victime, mais si elle ne se trompait pas, cette piqûre là mettrait un terme aux spasmes incontrôlés. Défaire un poison dont elle ne savait rien était un art trouble et incertain qu’elle n’était pas persuadée de maîtriser cependant elle n’avait pas vraiment le choix. Tenant d’une main la tête du patient pour l’avoir à l'œil, elle pria rapidement les Trois de lui donner raison. Après quelques instants, les tremblements s’apaisèrent jusqu’à disparaître complètement.

Marwen ? Marwen, réveille-toi.

Elle l’appela tout en lui tapotant la joue. Empoisonné ou pas, elle voulait le voir revenir à lui pour être bien certaine qu’il soit toujours vivant. Elle le tira de nouveau sur le dos, lui secoua un peu les épaules, l’appela de nouveau mais rien ne semblait y faire. D’un bond, Elisabeth se leva pour aller remplir un gobelet au seau d’eau claire qu’elle avait remonté plus tôt dans la journée et le jeta au visage du bonhomme inconscient au milieu de son salon.

MARWEN ! DEBOUT ! appela-t-elle de nouveau avec une anxiété non dissimulée, prête à lui asséner une grande gifle.

Elle n'avait vraiment pas besoin d'un drame supplémentaire sur les bras.
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