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 [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].

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Roland de RivefièreComte
Roland de Rivefière



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MessageSujet: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyVen 29 Mar 2019 - 17:28
17 Mars 1166
Cimetière du Labourg.



La pauvreté, la violence, la saleté, en un mot, la misère. Pourquoi les pas de l’héritier l’avaient conduit dans les bas quartiers, qu’il évitait toujours habituellement. Peut être pour cette raison justement, ne plus suivre ses habitudes, ne pas se cantonner dans ses projets. Comment pouvait-on aider et faire le bien, si l’on ne se rendait pas compte du mal-être ambiant. Pourtant, il n’était pas réellement là par charité, tourmenté psychologiquement par la tournure que prenait sa relation, il errait dans les ruelles de la cité, las.

Il était habillé très sobrement, en sortant du manoir, il savait que ses pas l’amèneraient plus ou moins à dévier du chemin habituel, sans avoir prémédité cependant la destination. Sans son épée, simplement un couteau dissimulé sous sa veste, pour parer éventuellement un danger. Pas d’argent non plus, le but n’étant pas de chercher les ennuis, simplement de déambuler, de s’imprégner. Le blond vagabondait, ne se souciant peu des regards parfois appuyés, sur sa personne.

Le crépuscule s’avançait peu à peu, tuant avec lui les dernières lueurs de ce jour maussade. Encore un nouveau jour allait s’éteindre, encore un. Et le lendemain, tout recommencerait. Roland avait des idées en tête pour casser cette routine, s’en sortir avant de perdre la tête, il allait rechercher plus de missions vers l’extérieur, orienter ses choix vers ce qui se trouvait à l’extérieur de la cité. Il ne pourrait pas vivre éternellement dans ce manoir prêté par le duc, jusqu’à quand, combien de temps, des questions qui n’avaient point de réponses. La situation ne s’éterniserait pas, il le sentait. Surtout avec ses rumeurs de plus en plus poussées sur une potentielle ascension de ce cher duc, un roi. Il fallait oser. Cela allait peut être faire naître des opportunités, l’aîné Rivefière ferait son possible pour les saisir, si elles se présentaient à lui.

Pour l’heure, il avançait vers le Labourg. Quelle folie de venir en ce lieu, même s’il était vêtu des plus sobrement, son allure tranchait tout de même avec la population alentour. L’odeur de la mort était palpable, saisissante. Les pauvres âmes traînaient jour après jour, dans une errance sans fin, dans les ruelles tourmentées, où ordures et immondices s’entassaient. Les nuits étaient impures, sordides, où les plus atroces bacchanales se déroulaient pour ni plus ni moins qu’un quignon de pain. Roland pu en avoir presque la nausée, d’imaginer ses voluptés insalubres, en posant les yeux sur une femme si amaigrie, l’œil totalement vide, mélangées à l’odeur de fumée persistante et nauséabonde. C’en était trop, cette misère faisait si peine à voir, il culpabilisait d’avoir cette place de choix, de se plaindre, de geindre, alors qu’il avait lui, plus d’un bon repas par jour.

Honteux, désabusé, il entra dans le cimetière du Labourg. Le spectacle n’était guerre plus réjouissant, mais au moins, il serait seul. Les morts ne parlaient pas, ne lui lançaient pas de regard qui le rendait coupable. Enfin, les morts, ou ce qu’il en restait. Les tombes ouvertes, intentionnellement ou non. Par les pilleurs ou ceux s’étant relevés en fangeux. Triste monde, triste monde. Il déambulait à travers les sépultures, contemplait les tristes tombes arrachées, dénaturées. Même les morts n’avaient plus droit à la paix.

Accablé par ce qu’il voyait, il ne se rendait pas compte qu’il avait pu être observé, suivi. Le comte se retourna, croyant avoir entendu le bruit de pas approchant. L’obscurité arrivant, couplée à la fumée des bûchers qui peinait à se dissiper, il ne distinguait rien. Inquiété, il s’éloigna tout de même dans l’ombre, veillant à ce que son couteau soit toujours dans sa veste.


Dernière édition par Roland de Rivefière le Ven 19 Juil 2019 - 14:26, édité 1 fois
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Cédric GravèneMilicien
Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyMar 2 Avr 2019 - 6:45
[/!\ Attention ! ce post contient une scène explicite pouvant heurter la sensibilité des plus sensibles ! /!\]

On pourrait croire qu’à traîner ses vieilles savates au milieu d’un champ de pierres tombales à une heure diabolique, en pleine nuit noire et brumeuse, avec le froid qu’il fait, et les hululements lugubres des chouettes en fond sonore, on pourrait croire comme ça qu’il viendrait à Cédric, dans cette atmosphère funeste, presque fantomatique, ayant inspiré des générations de poètes à l’âme sombre, à la mine morose, au regard vitreux, mais luisant au fond d’une flamme secrète, on pourrait bien croire qu’il lui viendrait donc dans ces conditions très spéciales, forcément un peu effrayantes, au moins quelques pensées plus ou moins profondes à propos de l’existence, de sa précarité, de l’impermanence des choses et de leur destin radical…

Ou bien seulement, à défaut d’une idée, peut-être un sentiment indicible, un frémissement, même faible, une peur subtile, légère, mais bien réelle, une vapeur confuse enflant au fond de lui, comme un début, comme un soupçon de délicatesse intime, cette vibration dans la chair qui précède historiquement la réflexion, et qui nous amène peu à peu, par ses murmures, à nous intéresser de plus en plus à la pire de toutes ces choses qui nous hantent, et pourtant la seule qui vaille vraiment qu’on s’y intéresse, jusqu’à vouloir la regarder en pleine face, et la comprendre, pour percer ses terribles mystères… Quelle folie…

Mais non.

La mort, sur le plan philosophique, Cédric n’y connait rien, ne s'en émeut pas. Il n’en maîtrise que les manifestations physiques, quelques bonnes manières de la donner, sans trop d’effusions, pour écourter les cris, le raffut… Les façons discrètes donc, expéditives, définitives, de mener son affaire… Pour lui la mort est un moyen, un outil, pas une fin. Elle fait partie du jeu, un jeu qu’il accepte, qu’il embrasse, dans son entièreté, sans rien en renier de ses règles et de ses objectifs, sans aucun dégoût, même pour l’ordure, pour le fiel qui s’y trouve, aucune conscience… Seulement des appréhensions normales, et des tremblements automatiques, de peur ou de joie, de douleur ou de plaisir.

Bien sûr, Cédric n’est qu’un animal, bête et brutal, un mufle à forme humaine. Pas une nature sensible, poétique, oh non. Un roc abruti, banal, qui va roulant sur le flanc de la montagne, dévalant dans les précipices de la vie avec fracas et violence, avec un bruit d’enfer, un écho de tempête… Il s’écrasera aussi avec violence, avec force, au terme de sa chute, la gueule dans le ruisseau, aplatie, explosée. Sa fin sera brutale comme lui, soudainement éclatante. Assurément sanglante. Éviscérée.

C’est écrit.

Après tout, quand on vit comme un monstre de rue, en joli cœur de fange, on ne peut pas s’attendre à mourir dans son lit, paisiblement. C’est bien le lot des assassins que de périr par le fer. Alors que son cadavre, à Cédric, reste en un seul morceau, plus ou moins cohérent, qu’on puisse le reconnaître, lorsqu’il sera découvert, un petit matin, au croisement de deux ruelles, ce serait déjà une chance.

Par exemple, celui qu’il enterre en ce moment, n’a pas eu cette chance. Non, celui-là ne peut pas en dire autant. Il faut le voir comme il est, tout esquinté déjà, sans même le recours des mouches et des vers. Le visage tuméfié à coups de poing et de bâton, tant et si bien qu’on n’en saurait dire son sexe, à première vue, rien qu’aux traits qui n’apparaissent plus, sous le couvert des ecchymoses multicolores, du brun-noir vert, au rose et violet prune. Un vrai treillis de bleus et de bosses.

Les membres ne sont pas mieux non plus, pas dans un meilleur état, tout disloqués, écartés selon des angles impossibles à reproduire au naturel. Il est manifeste que cette personne s’est faite copieusement tabasser avant, et même encore un peu après sa mort… Plus un os dans ce corps ébranlé, distordu, qui se tienne correctement, droit et sans fracture. Ça n’est plus qu’un croquis maladroit, ou moqueur, dessiné par un enfant sadique… Plus qu’une ébauche primitive d’être humain…

On devine donc à peine qu’il s’agit d’un homme, de par la carrure globale, la largeur comparée des hanches et des épaules, et les cheveux courts, même si rien de tout ça n’est une preuve irréfutable. Enfin, de toute façon, ça n’a plus d’importance, maintenant, l’identité de cette personne. Elle n’est plus rien. Elle n’était déjà pas grand-chose de son vivant, et maintenant c’est définitivement réglé. Il (ou elle) ne sera jamais quelqu’un, ou quelque chose qui compte. Et c’est plus par précaution, par réflexe même, que par vraie crainte, que Cédric et ses trois acolytes l’enterrent en cette nuit, pas si loin d’ailleurs de l’endroit où ils se trouvaient au moment des faits.

Lesquels ?

Simple racket ayant mal tourné, une intervention ordinaire auprès d’un pauvre réfugié fraîchement débarqué au sein de la grande ville, isolé, perdu, vulnérable… Presque la proie parfaite. Presque, puisque la vraie proie parfaite, déjà, n’essayerait pas dans un premier temps de dénoncer ses tortionnaires, de crier à l’aide - première raison de sa mort subséquente - et ensuite, elle aurait aussi de l’argent. Mais les pauvres, isolés, perdus, vulnérables, n’en ont pas, par principe… Ce genre de pauvre homme désemparé, sans le sou, et qui en plus fait mine de se rebeller, ça n’est bon que pour passer ses nerfs. Au moins, ils sont bien détendus maintenant, nos quatre lascars.

Cédric en particulier se sent spécialement heureux ce soir, sans plus de raisons apparemment que cet assassinat gratuit. Si gai et joyeux d'ailleurs qu'il ne rechigne pas, pour une fois, à mettre la main à la pâte, à donner de sa personne, encore maintenant qu'ils en ont presque terminé de creuser le trou devant recevoir rapidement le cadavre mutilé. Au lieu de superviser, comme il dit, d’ordinaire, de se servir de sa relative autorité pour tirer au flanc et se contenter de flâner sur le côté en regardant les autres se tuer à la tâche, cette fois il participe. Il gratte lui aussi la terre, les deux pieds dans la boue, avec ses camarades, même avec une certaine exaltation. Parfois c’est comme ça, on se sent bien, sans savoir exactement pourquoi. Le bonheur ne se commande pas non plus.

- Ça va, c’est bon. C’est assez profond.

Qu’il annonce finalement, mettant fin à ce premier labeur. Et tous les quatre se redressent et s’étirent, comme un seul homme, pour délasser leurs dos et leurs bras endoloris, avant d’essayer d’essuyer, toujours à l’unisson, leurs mains dégueulasses sur leurs pantalons pas beaucoup plus propres… De toute façon, tout n’est pas fini. Il faudra encore reboucher, autant ne pas perdre trop de temps en coquetteries.

- Dadet, attrape-le par les pieds, Sourissôt, par le haut.
- Attendez.
- Quoi ?
- On va pas le mettre comme ça.
- Pourquoi ?
- Sa tête...
- Ben, qu'est-ce qu'elle a sa gueule ?
- Ah, c'est vrai ! Parait qu'y faut y trancher l'cou, à tous les morts, pour pas prendre de risques.
- Et comment tu veux faire ça ? T'as une hache planquée dans ta poche ?
- Bah... On va y aller au couteau, hein...
- Quelle merde, vraiment...
- Laissez. Je m'en occupe.

En se proposant de lui-même, Père-Siffleur parvient à couper court à l'embarras grandissant qui semblait gagner la petite assemblée d'assassins du dimanche. Il se saisit du long poignard que lui tend Grand-Dadet et s'approche du corps gisant juste à côté. Sans rien dire, un peu fascinés à la fois par l'acte en lui-même, comme par la dévotion et l'habilité de leur camarade, ils le regardent donc se pencher lentement sur le cadavre, s'agenouiller contre lui, avant de se mettre à tâter délicatement la gorge déjà presque froide, et toute souillée de terre et de poussière, du bout des doigts. Il explique :

- Faut pas couper n'importe comment... Ça sert à rien d'attaquer le muscle en plein milieu, c'est fatiguant et c'est tout. Vaut mieux trouver les parties molles...

Pour mettre ses paroles en application, Père-Siffleur pose la lame au ras de la mâchoire, à l'angle, pas loin de l'oreille, avant de la faire glisser jusqu'à l'autre, dessinant dans la chair un long trait rose, qui ne tarde pas à suinter de rouge, comme pour tracer le pointillé de sa future découpe.

- En plus, la trachée est trop solide en plein milieu. Sans les bons outils, on est obligé de ruser.

Revenu à son point de départ, cette fois-ci, c'est la pointe du couteau qu'il applique contre la peau, formant un angle droit entre la direction du métal et la surface de la chair, avant de l'enfoncer d'un coup sec. Et toute la lame s'engouffre à l'intérieur, sans produire aucun bruit, disparaissant toute entière, et empêchant la fuite du sang en bouchant la plaie.

- Là je suis juste au-dessus du larynx. Normalement, je préfère saigner le bonhomme avant, laisser le temps au corps de se vider, pour pas en foutre partout, mais on n'a pas toute la nuit...

Alors il déplace enfin la lame, en contournant progressivement le larynx qu'il dénude rapidement, mais qu'on n'aperçoit pas vraiment, alors que la peau séparée se remplit très vite de sang.

- Le cœur s'est arrêté de battre depuis longtemps, ça devrait pas trop pulser non plus. Par contre, il va me falloir un plus gros engin...

Cédric et les deux autres, toujours attentifs, se regardent aussi avec étonnement. Jamais de mémoire ils ne l'avaient entendu si bavard. Visiblement, évoquer les manières adéquates de décapiter un homme déjà mort était un des rares sujets capable de le mettre en verve. Et même si chacun s’efforce encore de conserver un air détaché, voir dubitatif, tout au fond d'eux, ils éprouvent à présent, en réalité, en plus de la fascination naturelle pour le macabre, une certaine admiration, mêlée de crainte, à l'endroit de Père-Siffleur, qui, lui, démontre un savoir faire incroyable autant qu'un sang-froid assez glaçant...

Ils ne disent donc rien non plus alors que ce dernier se redresse maintenant pour tirer sa courte épée, avant d'en déposer la pointe contre la plaie béante, pour viser, juste sous le menton du mort, qui dégouline d'un sang noir, épais. Avec deux petits coups bien placés, le premier rempart de cartilage cède, et la tête bascule légèrement en arrière, s'écartant du corps, peut-être pressée d'en finir, élargissant encore plus la plaie, qui lui fait comme une seconde bouche, à la salive cramoisie et abondante.

- C'était la partie facile.

Après quoi, lui aussi pressé d'avancer, Père-Siffleur continue son ouvrage de manière plus grossière, dégageant les côtés du cou avec le tranchant de son épée, jusqu'à ce que la bouche devienne un large cercle grand ouvert. Le muscle principal, rattaché derrière le crâne, ne résiste pas trop longtemps à ses assauts, mais lorsqu'il bute enfin sur l'os, il est obligé de se calmer, de réfléchir. Il se penche à nouveau sur la cadavre, tenant toujours son arme d'une main, et plongeant l'autre dans les chairs déchirées et baveuses, qui n'en finissent plus de suinter la mort sur l'herbe rachitique du cimetière...

- Le truc c'est de trouver la jointure entre deux vertèbres... Et puis... Ah, là... voilà. Et puis, y caler une lame assez fine, mais assez solide. La subtilité vaut autant que la force ici.
- Si tu l'dis...
- Faut que j'empoigne la lame, j'ai besoin d'un autre gant, même deux.
- Quelle main ?
- La droite.
- Tiens.
- Et voilà.

Et puis, après avoir triplé l'épaisseur de cuir recouvrant sa main, Père-Siffleur attrape effectivement le fer de son arme, une main sur la poignée, l'autre sur la lame, avant d'appuyer de toutes ses forces, portant vers l'avant tout le poids de son corps, une fois, deux fois, trois fois... Du sang se met à gicler sur son visage, ses vêtements... Et on entend quelques craquements mouillés, en plus des grognements du bourreau, à mesure que le métal s'enfonce entre les os, sépare peu à peu la colonne, et termine de rompre le dernier lien entre le crâne du pauvre homme décédé et le reste de son corps meurtri... Sur la fin, il se met carrément à se balancer de gauche à droite, pour scier le tendon le plus solide, quand un petit bruit sec, un claquement annonce que la pire besogne vient finalement de s'achever.

- Bon, l'épée est foutue, mais c'est fait.

Père-Siffleur dit cela en se relevant, sans oublier d'attraper la tête tranchée par le peu de cheveux qu'il lui reste, en faisant mine de la brandir à moitié vers ses collègues, avec un sourire un peu fier, mais timide, traversant son visage hideux, tâché et strié de larmes rouges. Mais comme sa prise ne déclenche pas l'enthousiasme de ses compères, aussi impressionnés que dégoûtés, il finit par la balancer dans le trou, sans autre forme de procès. Elle percute le sol et roule avec un bruit mat.

- Bon.
- Ouais... Allez, on s'y remet.

Et la suite se déroule plus normalement. Bientôt, ils font tous ensemble glisser le corps décapité dans le grand trou, Père-Siffleur et Cédric aidant à le guider vers le fond. Seul Sourissôt, rapidement remis de ses émotions, se sent obligé de commenter l’action, comme à son habitude, à croire que surtout le silence l’effraie. Il remet en même temps un peu de vie dans l'assemblée.

- Et qui disait qui pouvait même pas s'payer à becqueter… Ça l’empêche pas de peser son poids, l’enfoiré…
- C’est qu’toi qu’est pas assez balaise, minus.
- Tu verras qui c’est l’minus, quand je t’aurais latté les couilles.
- Hé, fermez-la, on n’en a pas encore terminé.

Après quoi nos quatre bonhommes s’extirpent du gouffre funeste pour se mettre à le remplir péniblement, en repoussant, à coups de pieds principalement, sur le corps pathétique, baisant le sol de ses lèvres fendues, de son ventre boursouflé, les monticules de terre humide qu’ils s’étaient pourtant donné tant de mal à extraire, juste auparavant. En à peine plus de cinq minutes cependant, la besogne est accomplie. Il ne leur reste plus qu’à tasser l’emplacement de cette sépulture improvisée en le piétinant paresseusement, histoire de le rendre un peu moins suspect. Et c’est chose faite.

Ensuite, bien que l’heure avance, ils se dirigent sans se presser vers la sortie Est du cimetière, comme ils sont en mission de surveillance toute la nuit, de toute façon. Ils peuvent bien prendre leur temps. Et puis, qui surveille les surveillants ? Personne, évidemment. Ils sont tranquilles. Ils conduisent leurs affaires immondes au nez à la barbe du monde entier, qui s’en fout, bien sûr, le monde, trop occupé à se débattre dans cette existence et cette ville malsaine, à tenter de survivre encore un peu, face à l’apocalypse qui avance sur lui, qui finira bien par l’avaler. En attendant, il faut tout de même vivre. L’imminence de la fin des temps n’est visiblement pas une raison assez nette encore pour s’arrêter de faire du profit, de s’entretuer, ou de copuler frénétiquement…

Baiser, manger, boire, mentir, tuer… On n’arrête pas le plaisir.

A propos de mascarade, en voilà une qui va vous intéresser. Ça se passe juste après, alors que notre petit groupe de miliciens meurtriers arrive en vue du grand portail noir en fer forgé qui sépare le territoire des vivants, du territoire des morts. Bien entendu c’est Père-Siffleur qui repère en premier l’étranger qui vient de passer la porte, rien qu’une silhouette vu d’ici, et qui déambule maintenant à pas feutrés entre les marbres, l’air de ne pas savoir vraiment où se trouver, ni où aller. Il arrête toute la bande en levant le bras, d’un geste sec. Ils sont habitués.

- T’as vu quelque chose ?
- Là.
- Qui…

Un à un, ils localisent la silhouette de l’homme, toujours flottante dans l’obscurité, dérivant lentement, comme un genre de spectre solitaire. Tout de suite intrigué, Cédric pose un doigt sur sa bouche et fait signe aux autres de le suivre. Alors ils vont tous ensemble se réfugier une dizaine de mètres plus loin derrière un haut mausolée. Là, ils se concertent.

- Merde, c’est quoi ce type ?

- P’têt un trafiquant quelconque…
- Tu crois qu’on devrait l’dépouiller lui aussi ?
- C’est tentant en tout cas.
- Pas un trafiquant.
- Hein ?
- Plutôt un sang-bleu.
- Comment ?
- Trop propre, trop droit, trop fier. Pas d’ici.
- T’as vu tout ça de là-bas ?
- Ouais.
- Eh ben…
- Un trafic de nobliau alors ? Ça sent pas bon…
- Si ça se trouve, y s’est juste perdu…
- Faudrait être un peu toqué pour venir se perdre par ici.
- P’têt un suicidaire ? Ce genre… Il attend seulement qu’on lui ouvre le bide, j’parie.
- J’ouvrirais bien sa bourse déjà.
- On n’a qu’à l’secouer pour voir.
- Attends… j’ai une idée.
- Ouais ? Quel genre ?
- Si c’est bien un sang-bleu, c’est typiquement l’genre de lascar dont la vie vaut plus qu’une petite bourse pendue à une ceinture…
- Heu…
- J’veux dire, ça pourrait rapporter beaucoup plus gros de la lui sauver que d’la lui prendre, sa vie.
- J’pige pas.
- Voilà c’que vous allez faire. Vous trois vous allez retirer vot’ bordel, vous grimer un peu, pour pas passer pour qui vous êtes, et puis vous lui tombez d’ssus.
- On l’éclate ?
- Nan. Au contraire. Vous lui faites peur, vous lui foutez la pression, et là, je débarque.
- Pour quoi faire ?
- Je vous chasse. C’est moi qui vous déboite. Vous faites semblant d’insister, puis vous détalez. Je sauve la peau du bonhomme, il est reconnaissant, et après…
- Après quoi ?
- Après quoi c’est la gloire, mon con… la gloire ! Je sauve les miches d’un aristo, ça me vaudra au moins une médaille !
- Et pourquoi c’est toi qui devrais tirer les marrons du feu ?
- C’est vrai.
- Parce que c’est moi l’cerveau… Et dites-vous bien que le jour où je serais capitaine de la garde, il y aura une place de sergent pour chacun d’vous…
- C’est juré ?
- Craché, même.

L’argument, quoique mensonger, en plus d’être hautement spéculatif, parait faire mouche. Alléchés par la petite fiction que Cédric vient de leur servir, discrètement, on voit déjà ses trois compères s’affairer à retirer leurs insignes, les pièces d’armures les plus distinctives, laissant leurs épées courtes caractéristiques de côté, pour ne garder que couteaux et gourdins, à la manière des malandrins. Après s’être étalé une ou deux poignées de terre fraîche sur la tronche, les voilà fins prêts, très ressemblants à quelques ordures ordinaires du Goulot, des coupeurs de gorges quelconques.

- Vous êtes beaux.
- Putain, on s’les gèle…
- Allez-y lui fout’ les pétoches. J’arrive très vite.
- Et merde…

Alors les trois miliciens déguisés en pauvres malfrats se tirent de leur cachette pour retrouver leur cible. Grâce aux yeux toujours perçants de Père-Siffleur, c'est vite vu. La silhouette se tient désormais immobile apparemment, peut-être alerte, entre deux hautes dalles de pierre, aux pieds mangés par les mauvaises herbes. Ils foncent droit sur lui maintenant. Autant abréger le suspens. Arrivés à cinq ou six mètres, Sourissôt, toujours lui, décidément le plus hargneux du lot, l'interpelle déjà.

- Eh, dis-donc toi, tu crois qu'on t'as pas vu ?

Sur ces mots, ils se mettent en position, se séparant tous les trois pour élargir leur formation, en triangle, pour essayer d'entourer plus ou moins leur victime désignée, limiter les voies de retraite, stratégie d'encerclement classique. La lame du poignard dans la main de Grand-Dadet luit très faiblement, mais tout de même, sous la lumière ténue des quelques rares étoiles à se montrer dans le ciel, tout le reste n'étant que bancs de buées, nuages marrons, et colonnes de fumées...

- Alors, tu sors de ton trou ? Ou c'est qu'on doit v'nir te chercher nous mêmes ? T'as qu'à dire, on est pas compliqué...

Cédric lui aussi s'était rapproché entre temps. De derrière le marbre à moitié brisé d'un ancien panneau mortuaire, il observe la scène qui se déroule juste devant, sous ses yeux, et tout ouïe, paré à intervenir au moment juste...


Dernière édition par Cédric Gravène le Jeu 4 Avr 2019 - 5:13, édité 7 fois
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Roland de RivefièreComte
Roland de Rivefière



[Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. Empty
MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyMar 2 Avr 2019 - 15:47
L’endroit était glauque et pourtant le noble s’y sentait mieux ici. Il avait besoin de calme, de réflexion. Les cimetières apaisent parfois, le repos, le silence des défunts. Il ne fallait pas y voir là que le seul côté sinistre, c’était un tout. Les cimetières étaient propices à la réflexion, à la philosophie. S’interroger sur le vaste sujet qu’était la vie et encore davantage sur celui qu’était la mort. Roland croyait dur comme fer au royaume des Dieux. Il se voyait les rejoindre à l’heure de son trépas. Néanmoins, il s’interrogeait sur la pureté de son âme. Il avait commis des fautes récemment. Bien qu’il avait déjà été marié, il n’était plus pur. Mais avait tout de même fauté avant le mariage, avec Sydonnie. Puis avant cela, il y avait eu la soirée à la choppe sucrée où il s’était retrouvé ivre à en vomir, drogué à son insu et tenant tête à un prêtre. Même s’il ne se souvenait plus de tout ce qui avait bien pu se passer ce soir là, il en restait marqué. Il se sentait tellement honteux, cela ne lui ressemblait tellement pas. Les ravages de l’alcool étaient puissants, tellement. Il ne voulait pas finir comme le dernier des soûlards, cherchant toujours à retrouver la faible lumière d’une taverne, s’alcoolisant jusqu’à perdre totalement conscience. Se retrouver certains matins, encore un peu ivre, recherchant les premiers rayons du jour. Il fallait survivre en ce monde, et non plus seulement vivre. Ne pas gâcher sa vie à coups de la maladresse, ne pas salir son âme.

L’errance de l’âme lui faisait peur, prisonnier de la terre et des hommes à jamais, en proie à un gouffre éternel de solitude. Il fallait qu’il rectifie le tir. Mais sans le comprendre, il était poussé vers les ténèbres. Le mal semblait parfois le ronger, cherchant à s’insinuer en lui tel un serpent. Les démons étaient rusés, malins, prêts à faire tomber le cœur le plus pur. Pourquoi lui, pourquoi pas maintenant. La fange contaminerait-elle aussi les pensées des honnêtes hommes et pas seulement le corps des défunts ? Qu’est-ce qu’il y avait de pire, errer seul pour l’éternité dans un monde dénaturé, ou se réveiller en fangeux. La question méritait réflexion. La solitude rongeait c’était certain, des siècles d’errance détruiraient peu à peu son âme, au fil du temps. Elle se désintégrerait peut être, sans possibilité de se réincarner. Mais un fangeux, imaginer ses proches devoir tuer l’abomination, le reflet cadavérique qu’il serait devenu était au dessus de ses forces. Qu’on le brûle s’il venait à mourir précipitamment, qu’on le brûle, sans plus attendre.

Avec ses réflexions angoissantes, l’héritier ne s’était pas rendu compte qu’il était effectivement suivi. Trois hommes approchaient de lui dans une formation triangulaire. L’éclat d’un couteau brillait dans la nuit, ce n’était visiblement pas qu’une simple visite de courtoisie. Les hommes avaient le visage sale, les vêtements sans grand soin non plus. Des bandits, des assassins, des voleurs. L’un était très grand, à cette distance, peut être même plus grand que le noble, qui lui faisait pourtant déjà plus d’un mètre quatre-vingt, c’était d’ailleurs celui-ci qui tenait la lame. Le deuxième était beaucoup plus petit, le physique plutôt ingrat et semblait bien agressif. Et le dernier semblait être le plus mystérieux des trois.

L’aîné Rivefière était dans une indélicate posture, les hommes semblaient bien décidés à en découdre, lui voler ses biens. Dommage pour eux, le noble n’avait rien de valeur sur lui, pas d’argent, pas de bijoux, pas de vêtements clinquants, juste ce couteau, avec lequel il comptait bien se défendre. Il allait peut être y passer ce soir, mais non sans se battre. Il était de sinistre humeur, cherchant à oublier ses angoisses, à se jeter parfois dans le danger. Traîner dans le quartier était déjà bien dangereux. Il jouait avec le feu, là il avait tenté quelques démons. Il fallait agir.

Le plus petit s’occupait déjà de lui balancer des paroles, dans le but de le faire plier. Roland se dégagea du coin d’ombre dans lequel il était. Après tout, il l’avait repéré, commençait à l’encercler, il pouvait difficilement fuir.

- « C’est marrant que tu parles de trou, t’as bien une gueule à fréquenter les trous à rats toi ! »

Ce n’était peut être pas la meilleure idée du monde de les attaquer verbalement. Mais le blond voulait leur montrer qu’il n’était pas intimidé. Il ne se laisserait pas avoir aussi facilement. Et quand bien même, il devrait y laisser sa peau ce soir, ce ne serait pas sans riposter. Il n’avait pas pour habitude de fréquenter des individus de cette espèce, mais lorsque cela l’exigeait, il pouvait user d’un vocabulaire adéquat, bien éloigné de son quotidien, évidemment.
Le plus petit, visiblement vexé par les propos du noble, vint à sa rencontre. Roland était prêt à en découdre avec lui et dès qu’il fut assez proche, se rua sur lui pour lui balancer un coup de poing en pleine figure. L’attaque fut efficace, le petit se prit un bon coup dans le nez.

- « Voilà qui n’arrangera rien à ta face de rat ! »

Se moqua l’héritier, l’adrénaline aidant. Le même loubard avait tenté de frapper à son tour, mais le sang bleu l’évita de justesse, tout en lui administrant un coup de couteau dans l’aile. Ce qui eut le mérite de stopper l’individu, se tenant l’endroit touché, qui perlait déjà de sang. Son pronostic vital ne semblait pas engagé à première vue, mais il valait mieux faire cesser l’hémorragie rapidement. La lame quelque peu ensanglantée, pointée vers les deux autres, le blond leur cria :

- « Vous devriez aller soigner votre ami, il n’a pas l’air sous son meilleur jour ! »

Il espérait bien qu’ils fassent cela, qu’ils déguerpissent. Pourtant, l’attaque du noble ainsi que ses moqueries n’eurent pas l’air de les refroidir. Au contraire, ils avaient plutôt l’air d’avoir été un peu trop titillés et sans nul doute que Roland allait passer un sale quart d’heure. Encouragés dans leurs méfaits, les deux bandits s’approchaient de lui. Il ne pourrait pas lutter bien longtemps. Venir à bout d’un homme, avec chance, il y était parvenu. Mais les deux qui étaient prêts à se jeter sur lui, ne lui inspiraient pas du tout confiance. Toutefois, le comte de Rivefière se maintenant droit sur ses appuis, la lame à la pointe vermeille toujours brandie.

Le plus grand des deux autres se rua le premier vers lui, le deuxième était prêt à enchaîner si besoin. À deux contre un, Roland était en très mauvaise posture. Le grand lui balança un violent coup de poing, il ne put le parer qu’à moitié. Le choc fut atténué, il ne s’écroula pas, mais porta la main à sa bouche, il avait une lèvre en sang. Il l’essuya du revers de la main, il ne pourrait pas encaisser et parer de nombreux coups avec autant de facilité que la première fois.
Mais inopinément -ou pas-, un autre homme semblait prendre part à la bataille. Il ne distinguait pas sa tenue au loin. Chance ou malchance pour le blond, il serait rapidement fixé.





Lancer de dés a écrit:
Pour les actions concernant les PNJ, j'ai tout joué aux dés. Bon, j'ai une chance folle avec les dés en ce moment, alors j'en ai refait un à la suite, ayant réussi les trois premiers -_- haha.

Jet d'ATT 11
11 et moins = Coup de poing réussi
12 et plus = Coup de poing raté
Puis,
Jet PAR 11
11 et moins = Parade réussie
12 et plus = parade ratée
Et enfin:
Jet ATT 11
entre 1 et 6 = coup de couteau qui mérite des soins
entre 7 et 13 = coup de couteau, éraflure
entre 14 et 20 = coup de couteau raté
'D20' : 7, 7, 5

11 - 1 = 10 mauvaise posture, deux contre un
1 à 6 = Roland n'est pas touché
7 à 10 = touché mais l'impact n'est pas fort
11 à 20 = touché, gros impact
'D20' : 9

Je n'ai pas fait parler tes PNJ par contre, donc je te laisse le choix de le faire ou non, suite aux répliques x)
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Cédric GravèneMilicien
Cédric Gravène



[Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. Empty
MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyDim 7 Avr 2019 - 21:21
Depuis sa funèbre cachette, Cédric avait une vue dégagée sur toute la scène. Aussi il observait avec une certaine excitation ses camarades prendre peu à peu position, pour tenter d’encercler leur cible comme le faisaient les loups. Du moins, lui avait-on dit, car de loups, il n’en avait jamais vu, et n’en verrait probablement jamais non plus, étant donné la fin du monde. Non pas qu’il y pensa, de toute manière, ni aux loups, ni même à la fin du monde, en cet instant précis, ni même jamais tellement d’ailleurs… Non, les loups n’étaient qu’un symbole, bien sûr, et l’Apocalypse, une chose encore abstraite pour lui, inimaginable, malgré tout. Malgré toute la merde et la désolation qu’il recevait plein les yeux jour après jour… Car il avait les yeux trop portés au-dedans de lui, vers son petit cœur de glace, ses envies putrides et mesquines, pour réussir à se soucier de ce que le monde, en mourant, lui montrait. C’est bien connu, après tout : au royaume des cadavres ambulants, les vampires sont rois ! Et Cédric avait au moins du vampire, cette soif inextinguible de puissance, cette volonté prédatrice de tout réduire et soumettre à ses désirs, à son plaisir… Lui, le petit tyran des ruelles, l’ordure déterminée par-dessus tout à devenir un jour une huile.

Alors il aurait voulu jouir du spectacle, regarder ses petits camarades accomplir leur office avec ardeur, et sans coups férir. Mais il n’en fut pas ainsi. Bien au contraire, les évènements prirent très vite une tournure tout à fait inattendue et pratiquement catastrophique. Le type qui sortait de ses ténèbres, pour afficher sa haute stature, et son précieux minois de blondinet, ne se dégonfla pas devant les menaces de Sourissôt, et choisi de porter l’estocade en premier, portant le combat sur ses assaillants. Cédric n’en revenait pas. Il avait pensé l’affaire pliée d’avance, et voilà que le bonhomme se révélait capable, hargneux, et plus que prêt à vendre chèrement sa peau. Ce qui ne devait être qu’une mascarade intimidante, se transforma en un bal meurtrier, où s’échangeaient les coups et les cris, les railleries et le sang, au lieu des œillades, des confidences, et des baisers. Après une première passe musclée, vive, d’ailleurs, Sourissôt parut touché. Il ne pouvait pas bien voir non plus, dans l’obscurité, mais celui-ci se tenait le flanc, peut-être percé.

- Et crotte, quelle merde… !

Cédric siffla entre ses dents, avant de se précipiter hors de son observatoire avancé, l’épée à la main, décidé à mettre un terme rapide à cette bastonnade qui devait autrement mal tourner, et pas pour ceux qu’il fallait. Et lui devait apparaître au plus vite, pour servir à quelque chose déjà, et récolter un minimum de lauriers. Il aurait l’air fort stupide s’il devait atterrir après la pluie, avec ses trois complices battus, découpés en rondelles, gisant éventrés sur le sol, et lui comme un crétin, l’arme au poing, mais sans but, l’air désolé, effaré par tant de gâchis et par sa propre impuissance. Non, il était encore temps de tirer les marrons du feu, en se dépêchant un peu ! Donc il plongea dans la mêlée en brandissant son fer, s’époumonant pour faire bonne mesure.

- Au nom du Duc, messieurs, cessez le combat ! Baissez les armes ou tâtez de la fureur de la Loi !

Il pénétra ainsi en hurlant dans le cercle de la bataille, sans craindre d’exagérer, repoussant Grand Dadais et Père-Siffleur qui revenaient à la charge, avec de grands moulinets, avant de les tenir en respect du bout de sa lame. Plaçant le présumé nobliau dans son dos, en espérant qu’il ne le poignarde pas d’entrée, il ajouta, toujours l’air terrible.

- Que se passe-t-il donc ici ? Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ?

- Moi c’est Sour…
- Ferme ta gueule, imbécile !

Heureusement, l’un des trois au moins possédait un minimum d’esprit, et se souvenait encore du plan élaboré quelques cinq minutes à peine plus tôt, conservant son sang-froid malgré les échauffourées. C’était bien entendu Père-Siffleur. Le seul sur lequel on pouvait décidément compter, dans cette troupe de branquignoles. Cédric ne saurait jamais le remercier suffisamment, et cela tombait bien, puisqu’il n’aurait jamais l’intention de le faire non plus, du moins pas avec des mots tendres. La rudesse, les tapes viriles, les crachats et les injures à profusion étaient une forme de langage comme une autre au fond, peut-être moins riche que la moyenne, mais assez directe pour se montrer complètement compréhensible.

- On laisse tomber les gars, ça vaut pas la peine…

- Heu, ouais ! Z’avez de la chance… ! Cette fois… la prochaine on vous écharpe !
- Fuyez, vauriens !

Et pour illustrer ses mots, Cédric fit un bond en avant, menaçant, et fendit l’air de son épée à deux doigts de l’oreille de Grand Dadais, faisant mine de le manquer de peu, et celui-ci prit tant peur sur le coup, qu’il détala ensuite en couinant. Le deux autres le suivirent dans un grand fracas d’insultes, de menaces frustrées, parfaitement jouées, et de pas de course sur un sol à moitié boueux, trempé. Quand ils eurent disparus au milieu de la nuit, enfin notre noir héros se retourna vers l’homme mystérieux qu’il venait de sauver d’un danger chimérique, pour lui faire face et le toiser, tout en rengainant son épée. Il faisait toujours trop sombre pour bien lire ses traits. Le milicien pouvait seulement se douter qu’il était assez jeune, à sa carrure imposante, à la forme de son visage, ferme et bien dessinée. Il était aussi plus grand, et sans doute plus beau que lui, d’au moins une bonne marge. En plus, l’homme avait démontré une certaine bravoure dans l’adversité, autant qu’une belle habilité. De tout ça, de toute cette idée, Cédric en tirait un profond agacement. Il n’aimait pas se sentir inférieur, en quoique ce soit, aux personne qu’il côtoyait, sa jalousie, sa nature envieuse, ne le laissaient jamais en repos. Il était incapable de s’empêcher de comparer ses mérites et sa force à ceux des autres, instinctivement, en permanence. Sa vanité en souffrait beaucoup, constamment. C’est pourquoi il s’adressa d’abord assez sèchement à l’étranger.

- Par les Trois, vous avez un sacré bol que j’sois passé dans l’coin, que j’ai entendu du boucan… Vous pouvez me dire qui vous êtes, et ce que vous foutez là ? Je suis de la milice, alors si vous avez quelque chose à déclarer, si vous étiez dehors pour commettre un forfait quelconque, je vous préviens…

Après quoi, Cédric bomba le torse, pour se donner plus de contenance, plaçant ses poings fermés sur ses hanches, ses bras pliés de chaque côté de son corps, pour augmenter son envergure. Il se gonflait comme un crapaud, pour tenter d’impressionner le bœuf. Mais il n’ajouta rien tout de suite. Il préférait se montrer ferme pour commencer, puisqu’un ton immédiatement mielleux aurait été forcément suspect à son avis. Il tenta tout de même de détendre un peu sa grimace, pour ne pas paraître entièrement hostile. Bien qu’il était peu probable que son vis-à-vis puisse vraiment le dévisager de là, alors que lui-même ne le pouvait pas. Enfin, il fit tout de même un pas en avant, et termina sur une note qu’il voulait plus douce.

- Alors dites-moi. J’attends vos explications…


Dernière édition par Cédric Gravène le Dim 14 Avr 2019 - 23:26, édité 1 fois
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Roland de RivefièreComte
Roland de Rivefière



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyMer 10 Avr 2019 - 17:44
La chance finalement semblait lui sourire alors que le dernier venu sortait sa lame et s’interposait. L’épée courte typique du milicien et la tenue également reflétait sa fonction. Roland avait certainement échappé à un triste sort. Il ne se sentait pas de taille à affronter les deux hommes, il s’en était bien sorti avec un, deux de plus, non, ce n’était pas envisageable.
Les deux bandits furent stoppés dans leur assaut, tenus à l’écart par cet homme et son arme, qui leur demandait de cesser le combat et de décliner leur identité.

Le noble laissa les truands parler, l’un des deux idiots se fit reprendre par l’autre. Ils n’avaient pas l’air bien fins ces zigotos. Roland prit soin de ranger son couteau dans sa poche intérieure, puis passa sa main sur sa lèvre. La blessure saignait encore un peu, mais rien de bien gênant, elle restait très superficielle.
Ils prirent la fuite, non sans balancer quelques menaces à l’égard du blond. Il préféra ne rien rétorquer et les laisser s’échapper. Mais non sans être étonné que le milicien les laisse filer sans demander s’ils avaient eu le temps de le voler, ou quoi que ce soit d’autre.

Le milicien semblait bien sûr de lui, bombait même le torse en lui parlant, se permettant de s’adresser à lui comme s’il n’était qu’un vaurien de plus. Il fallait dire, que vêtu de manière très moyenne, dans la nuit et traînant dans un cimetière des bas-quartiers, personne ne pouvait s’imaginer qu’il avait le sang bleu.

- « Merci d’être intervenu. Comte de Rivefière. »

Il se présenta sans tarder, histoire de remettre les choses dans l’ordre. Et ainsi de faire comprendre au brave milicien, qu’il avait plutôt intérêt à lui parler plus correctement. Batailler avec les trois bandits l’avait quelque peu énervé. Il lui fallait le temps de redescendre, de se calmer, avant d’entamer une discussion plus saine.

- « Je marchais simplement, je pensais trouver du répit ici, même les cimetières ne sont plus calmes dorénavant. »

Il justifiait oui et non sa présence. Au fond, il n’avait aucun compte à lui rendre, il n’était bien sûrement qu’un milicien de bas-étage. Mais il lui avait peut être évité une mort certaine, alors autant rester poli.

- « C’était bien imprudent, je vous l’accorde. Et vous, un milicien patrouille seul dans cet endroit peu fréquentable ? »

Il fallait bien avouer que l’héritier ne connaissait pas très bien le fonctionnement de la milice, mais tout de même, cela lui semblait étrange qu’un homme accomplisse seul sa patrouille, dans des lieux tels que celui-ci.
L’homme d’armes paraissait à première vue pas très solide, se comportant plus théâtralement qu’autre chose. Était-ce ce genre d’hommes qui faisaient trembler tous les criminels du coin ? C’était peu probable, du moins pas tout seul. Enfin, les apparences sont parfois trompeuses. Roland ne le savait que trop bien, dissimulant dans la nuit son rang de comte.

- « Je n’ai même pas l’impression que ces trois bandits cherchaient à me voler, ils auraient été bien déçus de toute façon, je n’ai rien sur moi. De la violence gratuite, sans doute. Comme s’il n’y en avait déjà pas assez. »

L’héritier se rapprochait un peu plus de lui, éclairé par la lune, il déchiffrait un peu mieux les traits de son visage. Les cheveux et les yeux sombres, une allure ordinaire, mais pas désagréable, une carrure plus solide qu’il ne l’avait pensé, de loin.

- « Et vous, quel est votre nom ? » Lui demanda-t-il, seulement s’il ne le lui avait pas déjà révélé plus tôt.
Sans doute aurait-il pu tourner les talons et disparaître en cet instant. Mais il faisait partie de ceux qu’il pensait que le hasard faisait parfois bien les choses. Si cet homme avait été mis sur le chemin de l’aîné cette nuit, c’était sans doute pour une raison. Il lui avait peut être sauvé la vie, ou pas. Les voleurs auraient pu simplement lui coller une bonne raclée, pour venger leur ami, puis ils auraient pu partir, voyant qu’il n’y avait finalement rien à voler sur le comte. Ou bien, cela aurait pu n’être qu’une petite bande d’assassins, de criminels. Roland s’en vient même à se demander si quelqu’un aurait pu lui vouloir du mal et commanditer son assassinat. Cela lui semblait gros, il n’imaginait pas qu’il soit dans ce cas. Mais parfois, les faits arrivaient sans que l’on ne s’y attende. Il repensait à la sale histoire de Sydonnie, une affaire d’enlèvements de femmes et d’enfants, sous les ordres d’un noble affluent. Il faudrait peut être se replonger dans l’affaire, il devrait certainement la questionner sur son avancée, sur l’enquête. Au risque, possiblement, de la faire replonger dans des souvenirs qu’il savait douloureux.


- « Nous devrions peut être quitter ces lieux, si on nous surprend ici, on pourrait penser que nous préparons un mauvais coup. Qu’en pensez vous, marcheriez-vous un peu avec moi, pour me faire la discussion et me raccompagner vers mes quartiers ? Ou vous avez peut être à faire dans le coin ? »

Roland n’avait pas besoin de lui pour rentrer, il lui offrait simplement un prétexte de poursuivre leur discussion. S’il pouvait le remercier en écourtant sa patrouille dans les ruelles insalubres du Labourg, l’aîné Rivefière était quasiment certain qu’il lui en serait reconnaissant. S’il acceptait de l’accompagner, Roland prit la plus large allée du cimetière, enjambant ou contournant les débris de tombes éparpillés de ci de là. Ils se dirigeaient vers le grand portail noir du cimetière, un des battants était résistante, et s’ouvrait dans un léger bruit lourd et métallique. Il refermait la porte derrière lui, se disant qu’il ne retournerait peut être jamais dans ce lieu de désolation. Pas de paix, pas de justice ici bas.
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Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyLun 15 Avr 2019 - 23:38
Si Cédric Gravène, en bon miséreux, était habité depuis l'enfance par un mépris profond, hérité de son père, à l'égard de tous les grands de ce monde - à l'égard de tous ceux qui, d'ailleurs, à présent, possédaient un minimum de mérite ou de prestige, valide ou non, le moindre avantage sur lui - si bien qu'il s'intéressait fort peu, en général, aux nouvelles venues d'en haut, à la chronique des puissants, aussi bien qu'à leurs identités respectives, il existait bien tout de même une tripotée de noms, d'entre toutes ces illustres familles, desquels il était relativement familier, dont un en particulier qui, récemment, revenait avec une certaine insistance parmi les conversations secouant chaque recoins de la caserne, en sourdine, après s'y être insinué d'abord par la rumeur la plus méchante qui soit...

Et ce sacré nom de nom, c'était celui-ci : Rivefière !

Aussi, lorsque l'autre se présenta, après s'être un peu avancé vers lui, ce fut pour Cédric comme si le ciel lui tombait violemment sur la tête. Le nom de l'ex-inconnu résonna dans son esprit embrumé comme un coup de tonnerre au beau milieu de la nuit. Toutes ses pensées furent brusquement soufflées, anéanties en un instant, comme emportées par une charge de cavalerie, pulvérisées par une lance en plein front. Il en demeura interdit, presque béat, et clignant des yeux à répétition, l'air plus que con, durant plusieurs secondes d'affilées, passées à dévisager fixement son vis-à-vis. Abasourdis du bout des cheveux à la plante des pieds. Avant de s'arracher finalement à sa stupide contemplation, en se rappelant tout de même à quel point cela était impoli de scruter quelqu'un comme ça, surtout d'aussi près. Ce fut ce réflexe de bonne conduite, cette crainte vaniteuse, qui le sauva d'un rien du dernier des ridicules. Il pria silencieusement tous les Trois ensemble que l'autre n'ait pas remarqué sa réaction si déplacée, et si révélatrice aussi des idées qui commençaient maintenant à se bousculer dans sa caboche, se battant presque pour emplir le vide béant qu'elles y trouvaient. Une vraie cohue de pensées soudaines, une déferlante étouffante pour un si petit cerveau.

Il avait dit Rivefière. Pas d'erreur ! C'était bien cela, il ne pouvait se tromper. Vraiment ? Ou bien on le trompait, lui ? Était-ce possible ? Ce pouvait être une farce, après tout, un imposteur. Mais pourquoi, en quel honneur ? Et ses oreilles alors ? Auraient-elles pu fourcher de la sorte, lui mentir ainsi ? Déformer les sons au point de lui jouer un si vilain tour, lui faire entendre une baliverne pareille ? Encore pourquoi ? Il ne l'avait même pas imaginé, ce n'était pas comme si le bonhomme hantait ses jours et ses nuits, comme si l'affaire parsemait vraiment ses pensées, ses désirs n'auraient pas pu se projeter comme ça, à la place de la vérité, pour la remplacer, comme cela arrive, on entend parfois que ce qu'on veut... mais là ? Lui s'en foutait, au fond ! De ces histoires, ils en ricanaient entre collègues seulement, en lâchant des plaisanteries toujours plus grasses, toujours plus sombres, tant que le coutilier ne guettait pas, au sujet de ces histoires, et même si la rumeur enflait sans cesse, au point qu'on ne doutait plus que l'affaire devint très vite tout à fait officielle, ça ne le tracassait pas vraiment, lui... Non, non, il allait bien falloir se résoudre, comprendre, avaler, digérer la chose, accepter l'information... Mais comment ?

Premièrement, se tenait devant lui, en chair et en mèches blondes, pour la première fois de toute sa vie, un véritable nobliau, un pur sang, un de ces gars bien nourris, bien nantis, de la race supérieure, de la vraie viande de seigneur ! Et pas celle d'un triste chevalier, d'un misérable baron, d'un vicomte à la manque, non ! D'un comte ! Carrément celle d'un comte ! Bordel de sacrebleu, de nouille infâme, se dit-il. Rien que cela, c'était déjà beaucoup, énorme, pour un miteux de sa trempe. Jamais il n'avait pu en approcher un d'aussi près, à ce point qu'il aurait presque pu le toucher du doigt, le sentir du nez, renifler son parfum capiteux, probablement très cher. Une fragrance dont un seul flacon serait plus coûteux que dix ans de sa solde... Ça lui titillait les narines, et bien d'autres choses encore, cette idée, mais passons. Car deuxièmement, en plus d'être un comte, s'il était vrai que le bonhomme le fut, qu'il était bien celui qu'il prétendait, alors il était non seulement, en rapport à lui, Cédric, une créature issue de l’outre-monde, un navigateur glorieux des hautes sphères de l'existence, mais il était donc, par-dessus le marché, si la connexion était correcte, le fiancé en personne de sa supérieure lointaine, la cent fois maudite, la putain d'Algrange ! Le promis de sa foutue sergente ! Quelle aubaine ! Et quelle menace en même temps !

Aussitôt il se demanda quelle attitude convenait-il d'adopter dans ces cas-là, avant de se présenter lui-même ? Devait-il s’aplatir céans devant sa majesté, ramper à terre pour venir lui baiser les souliers, lui suçoter les orteils en quémandant sa pitié ? Ou bien seulement se casser le dos en deux, descendre le front aussi bas que son propre cul, en écartant un bras, ou les deux, en pliant un peu les genoux, pour une révérence improvisée ? Jusqu'à quel degré fallait-il qu'il s'humilie à l'occasion d'une rencontre pareille, aussi phénoménale qu'impromptue, pour satisfaire à l'usage ? Il hésitait totalement, paralysé entre les feux croisés de tout un tas de tentations contradictoires, de suppositions ignorantes. Une sueur froide comme la mort continuait de lui couler le long de la colonne. Il se sentait glacé jusqu'au squelette par l'enjeux incroyable qui lui apparaissait de plus en plus, dans toute son immensité. Il pouvait jouer sa carrière toute entière sur ce seul événement ! En caressant de la bonne manière son invité surprise, il pourrait attirer sur lui plus de bienfaits, pensait-il, que jamais au cours de ses vingt-sept ans additionnés il n'en avait reçu, et de loin, de très, très loin. Mais aussi, un seul faux pas, dans ces conditions, et tous ses rêves de grandeur se verraient balayés d'une seconde à l'autre. Quitte, ou double. Il allait devoir en prendre son partie, de toute manière. Le corps tremblant, les nerfs à vif, le cœur bondissant dans sa cage, à se fracasser contre les barreaux, il choisit donc de doubler la mise.

En tentant d'établir, à la fois dans son attitude et dans sa voix, une sorte d'équilibre entre dignité et modestie, pour démontrer tout le respect possible, sans s'avilir exagérément, tout en lui fut modifié, comme si la structure même de son âme se remodelait à l'instant même, il essayait pour plaire au mieux à son puissant interlocuteur de recomposer tous les paramètres de sa propre personne, pour devenir celui que la situation exigeait. Mielleux, mais juste assez, sans vouloir paraître vulgaire. Se montrer direct, franc, et honnête, mais sans trop en dire, sembler un homme sérieux, un homme de confiance, à la hauteur de sa tâche, de plus de mérite en vérité que sa naissance humble le laissait supposer. Il fallait se montrer doux, mais pas faible, serviable, mais pas servile, agréable, mais pas flatteur... En somme, il allait devoir invoquer et mettre en branle tous ses petits talents de comédien, de menteur acharné, pour parvenir peut-être par charmer le bellâtre qui se révélait devant lui, à la faveur d'un rayon lunaire, et qui continuait de le questionner, avec quelques variations soupçonneuses dans la voix. Cédric se mit à réfléchir encore plus vite, encore plus fort, avec un effort de concentration surhumain pour lui. Il creusait dans ses méninges, à travers les strates de sa bêtise, avec la fureur d'un chercheur d'or, à la recherche des couches profondes et solides, de quelques riches idées, de ses dernières pépites d'intellect. Enfin il crut trouver son bonheur.

Alors, détendant tout son corps, après avoir déjà abandonné depuis une bonne minute ses manières cavalières, il plia légèrement l'échine, et s'inclina doucement. D'une voix calme et un peu sourde, toute empreinte d'humilité, le milicien lâcha son laïus :

Pardonnez mon impudence, messire, je vous en prie... ! Je n'imaginais pas qu'un... qu'un homme de votre qualité, de votre classe, puisse traîner dans ces parages, aussi dangereux, la nuit... Vous l'avez deviné, ces lieux sont pleins de malotrus qui seraient prêts à assassiner n'importe qui pour le plaisir. Que vous ayez transporté de l'or ou non, je doute qu'ils vous auraient épargné en fin de compte... Nous vivons des temps très sombres, comme vous le savez... Et si j'ai pu me rendre utile à votre personne en chassant ces gredins, la joie que j'en retire est ma récompense... Non, bien sûr, je n'étais pas seul, jusqu'à il y a peu. J'avais plusieurs hommes avec moi, sous ma responsabilité, quand nous avons entendu des cris, à quelques rues d'ici, il y a plus d'un quart d'heure déjà, nous avons pris en chasse deux hommes armés qui venaient d'agresser un troisième, ils se sont séparés, et nous aussi avons fait de même, pour tenter d'en coincer au moins un... Mais ces rues, ces ruelles, sont traîtresses, et se ressemblent toutes un peu, surtout à cette heure. Je me suis retrouvé isolé, et perdu, à ma grande honte, alors je suis venu par ici, en terrain dégagé, dans l'espoir de retrouver ma troupe, mais au point où j'en suis... Et nous voilà vous et moi, aussi démunis l'un que l'autre... Si je puis vous accompagner ? Bien entendu, mon seigneur, si je peux faire route à vos côtés au moins jusqu'à rejoindre un endroit plus civilisé que celui-ci... Nous ne serons pas trop de deux, je crois, pour dissuader d'autres marauds de tenter le démon. D'autant que s'ils ne sont pas ici, je devine que mes hommes seront retournés directement à la caserne, s'il ne leur est rien arrivé, et j'en ferais de même une fois que vous serez en sécurité. Enfin, je parle tant, et je ne me suis toujours pas présenté, veuillez m'excuser... Je me prénomme Cédric, et Gravène est le nom que mon père m'a légué, bien pauvre héritage en somme, mais il est tout mon bien... Je sais qu'un homme doit être fier de son nom, et vous avez toutes les raisons de vous glorifier du votre, il me semble. D'ailleurs, j'y pense... C'est un hasard, je vous assure, mais il se trouve qu'il ne m'est pas inconnu, votre nom, comme il se fait que je sers au quotidien une dame de grande qualité également, et qui, si je ne m'abuse, est une personne de votre connaissance ? Pardonnez mon indiscrétion, mais je ne peux m'empêcher d'y songer maintenant... On raconte depuis des semaines que le sergent d'Algrange et le comte de Rivefière, vous-même donc, seraient engagés. Est-ce bien la vérité ? Dois-je vous féliciter pour vos fiançailles ?

Sur ces mots, l'un et l'autre, côte à côte, quittaient le cimetière, en franchissant le portail à moitié défoncé, comme tout ce que contenait ce lieu de malheur, comme tout le contenu de cette ville entière, et s'en allaient marchant parmi les ombres, comme deux ombres eux-mêmes, deux ombres bavardes... Et Cédric se sentait désormais bien en jambes, et presque à l'aise, dans ce rôle qu'il se donnait, celui du gentil petit parfait milicien, au service de sa majesté. Le rideau était levé, la foule assise, silencieuse et concentrée, les premières mesures, le ton, étaient en place, enfin le théâtre commençait. En avant pour la plus importante scène de sa vie !
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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyLun 22 Avr 2019 - 17:47
La réaction du milicien lorsque Roland se présenta fut pour le moins étrange. Il ne bougeait pas, continuait de le fixer sans parler. Ce comportement ne dura que quelques secondes, mais c’était assez long lorsque deux inconnus se contemplaient ainsi, de plus, dans un cimetière. Roland avait envie de le secouer un coup pour le faire parler, taper des mains ou claquer ses doigts. Juste pour voir s’il allait réagir ou s’il demeurait figé sur place comme un bloc de glace.

L’héritier le vit alors bouger, doucement, il vint s’incliner. Bon, le comte, au milieu de l’endroit funeste, la lèvre en sang, le couteau dans le poche, ne s’était pas attendu à tant de cérémonie. Mais soit, l’homme d’armes devait certainement vouloir rattraper sa conduite précédente, sachant à présent qu’il était en présence d’un sang bleu et non d’une âme perdue des bas-quartiers.

S’en suivit alors une longue tirade, qui laissa le blond tout à fait perplexe. Il commença par s’étonner du fait qu’un homme de son rang se balade la nuit en ces lieux sinistres. Bon sur cela, il n’avait pas tout à fait tort. Lorsque le noble guerrier a l’esprit perturbé, il a besoin de l’occuper. La nuit, difficile de trouver une occupation valable, lorsqu’il n’est pas en mission dans les faubourgs, pour aider à éloigner la fange. Il n’avait pas le cœur à lire ou écrire, il préféra aller marcher, longuement. Ses pas l’avaient mené ici, le hasard ou non, cet homme était maintenant face à lui. Et ils échangeaient. Sans doute était là la volonté des Dieux, le destin, nul ne savait. Mais ils étaient tous deux en cet endroit. Roland l’acceptait et profitait de cet instant pour dialoguer et peut être en apprendre davantage sur son nouvel interlocuteur improbable. D’ailleurs, ce dernier, lorsqu’il faisait l’effort de bien s’exprimer, savait pertinemment le faire. Il parlait bien et avait semblerait-il appris à brosser ses supérieurs dans le sens du poil, à bien lécher les bottes. Le comte n’était pas forcément habitué à rencontrer ce genre de personnage. Bien sûr, certains avaient déjà croisé son chemin, mais c’était loin d’être une habitude. Il n’était pas vraiment friand de ce genre d’attention un peu trop poussé. Mais bon, il voulait simplement se montrer correct et peut être rectifier le tir. Il ne lui en tenait donc pas rigueur et le laissa continuer son monologue.

Le milicien lui raconta ensuite comment il se retrouva seul, ayant perdu ses coéquipiers. Roland acquiesça alors d’un signe de tête. Il est bien vrai que toutes ces ruelles formaient un immense labyrinthe, il fallait être connaisseur du coin pour ne pas s’y perdre. Ce n’était pas le cas de Roland. Et il était bien content que l’homme accepte de faire un bout de chemin avec lui. Il était courageux, mais pas téméraire, encore moins suicidaire. L’heure était bien avancée et il n’y avait plus que des personnes très malfamées qui peupleraient les rues sordides des bas-fonds. Il avait déjà lutté, il ferait pas cela toute la nuit durant. À deux, c’était déjà un peu plus sûr.

Il s’appelait Cédric Gravène, le nom sonnait dur, sans être totalement désagréable non plus à l’oreille. Il semblait fier de l’héritage de son paternel. Et ne mentait certainement pas sur une chose, sur le fait qu’il était bien bavard ! Il ne laissa pas l’aîné Rivefière en placer une et enchaîna directement sur un autre sujet. Quel phénomène ce Gravène ! Roland eut presque un sourire en coin en l’écoutant parler. Il disait le connaître, ou tout du moins son nom. Il l’avait entendu à la caserne. Les rumeurs des fiançailles, évidemment, cela avait bien dû faire le tour de la moitié de Marbrume, si ce n’est plus. Enfin, l’homme s’arrêta de parler alors qu’ils quittaient tous deux les lieux, franchissant le vieux portail. Replongé à nouveau dans le quartier du Labourg.

- « Ravi de faire votre connaissance alors, monsieur Gravène. Et pour vous répondre, les rumeurs sont bien fondées. Dame Sydonnie d’Algrange et moi-même sommes fiancés depuis le début du mois, à vrai dire. »

De retour dans le quartier si insalubre, où régnaient la pire des misères, Roland ne se sentait pas à l’aise. Il comprenait très bien que la milice soit submergée par tout le travail qu’il y avait à accomplir ici bas. Les divers trafics, d’êtres humains également. Le marché noir des enfants et des femmes, quel horrible idée. On serait prêt à vendre et troquer n’importe quoi pour des simples restes, un morceau de nourriture. La survie n’avait plus de prix et ici, si les âmes pouvaient se marchander, sans nul doute qu’elle y trouveraient bon prix.

- « Vous avez donc entendu la rumeur de nos fiançailles au sein même de la milice ? J’imagine que les miliciens doivent beaucoup parler entre eux, les rumeurs circulent vite. Ma fiancée est-elle votre sergente d’ailleurs ? »

Il essayait de se renseigner, l’air de rien, des bruits qui courraient sur leur futur mariage, et bien évidemment sur celle qui était l’élue de son cœur. Sans doute que l’homme d’armes ne lui révélerait pas grand-chose, par crainte ou par ignorance, mais il serait vite fixé. Puis, au fond, avait-il réellement envie de savoir ? Ce n’était pas certain.

À l’endroit où ils se trouvaient, il y avait plusieurs possibilités pour rattraper la porte des anges. Continuer de traverser le Labourg, au risque de faire encore quelques mauvaises rencontres et être confrontés à la décadence des lieux. Ou rallonger un petit peu la distance, en passant par le quartier du Temple pour rattraper la grand rue des Hytres.

- « Je vous proposerai de passer par le quartier du Temple, si cela ne vous dérange pas. Je pense avoir suffisamment été confronté aux douleurs des bas-quartiers pour cette nuit. »

C’était un bien triste constat, il en était conscient. Mais il ne pourrait de toute façon rien faire de plus pour eux dans ces conditions, alors autant ne pas s’infliger d’autres supplices.
Ils marchèrent alors tous deux, si le milicien acceptait toujours de l’accompagner bien évidemment, vers le gigantesque édifice religieux.

- « Êtes-vous un fidèle pratiquant monsieur Gravène ? Quelle est votre position quant au fléau qui s’abat sur l’humanité ? Pensez-vous que les Dieux nous punissent de nos péchés ? »

Il ne connaissait rien de cet homme, aborder ce genre de sujet était plus que délicat. Mais ils étaient là, tous deux, proches du quartier religieux, cherchant à s’éloigner pas à pas de la misère des bas-fonds.
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Cédric GravèneMilicien
Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptySam 11 Mai 2019 - 21:15
Toute cette petite affaire ne s'engageait pas si mal en fin de compte. Cédric, qui aurait pu s'attendre à quelques remontrances pour ses manières initiales, ou bien simplement à du mépris naturel, de la part d'un puissant devant une aussi petite crotte que lui, se sentait fort aise au contraire de ne recevoir aucune forme claire d'hostilité, aucun dédain manifeste, mais plutôt une sorte d'intérêt relatif, de reconnaissance polie, sans doute aidée par cette précédente simulation de rescousse, mais tout de même, il avait de quoi s'en réjouir. D'ailleurs, sa longue et baveuse explication concernant les modalités de sa présence en ce lieu lugubre sembla faire mouche, puisque, apparemment satisfait, le noble blondinet ne revint pas dessus, ne le questionnant plus à ce sujet, et c'était une épine majeure qui se trouvait ainsi ôtée de son pied. Décidément, il y avait de quoi jubiler un peu, discrètement, à l'intérieur. Pour ce qui était de l'extérieur, la modestie et la retenue restaient de mise. Il s'efforçait de conserver la mine grave et une expression concentrée, à la manière d'un gardien de l'ordre appliqué et convaincu.

Aussi, il s'assurait surtout de tendre l'oreille, pour ne rien rater des paroles de son auguste interlocuteur, auxquelles tout son destin se trouvait potentiellement suspendu. Une miette de ratée, ce pouvait être une occasion cruciale de manquée, un levier fondamental dont il n'aurait pas su se saisir. Il ne lui fallait rien laisser passer, rien en perdre, sous peine de s'en sortir lésé. Et puis, un triste manant comme lui n'aurait pas pu se permettre de demander à un sang bleu de se répéter. Qu'un tel individu use une fois sa salive à son adresse, c'était déjà suffisamment exceptionnel comme situation. Autant ne pas trop tirer la queue du diable, ne pas commencer à solliciter sa patience. Heureusement, en pleine nuit, en marchant côte à côte à travers une rue déserte, il n'était pas compliqué de s'entendre, avec tout ce silence qui les entourait, et même qu'un léger écho, réverbéré par moments, au passage d'une ruelle, appuyait la dernière syllabe prononcée. Quoiqu'il en fut, Cédric demeurait absolument attentif, prêt à bondir verbalement sur la moindre opportunité de faire subtilement sa propre promotion. Ainsi donc, il tendait l'oreille.

La première réponse qu'il reçut vint confirmer ses plus importants soupçons. Le doute n'était donc plus permis. Il se tenait côte à côte auprès du fameux comte de Rivefière, l'espèce de salopard de péteux décoloré qui devait sûrement être bien pressé à cette heure de rentrer à son château, peut-être même pour aller du même coup tremper sa queue entre les cuisses complaisantes de sa putain de promise, sa catin de sergente, occupée actuellement sans doute à se languir de son beau prince, toute ruisselante du bas ventre, entre des draps de satin, ou que sais-je, pensait-il. Quelle vie de merde il menait, lui, Cédric, en comparaison. Si l'envie lui prenait de se faire tailler une pipe - et c'était souvent, en réalité - il lui fallait d'abord repérer une fille de joie pas trop vérolée, pas trop édentée, pas trop dégoulinante, et puis éventrer sa bourse, saigner ses économies, pour une maigre consolation, rapidement pratiquée, sans envie ni chaleur. Alors que son incroyable compère de promenade, lui, il n'avait qu'à claquer des doigts, à porter sur elle son regard de braises pour obtenir de sa bouche sucrée, amoureuse, tous les baisers les plus délicieux qui soient. Quelle putain d'injustice ! Il en fulminait aussi, intérieurement, toujours en silence, s'efforçant de maintenir en place son masque d'impassibilité professionnelle, malgré les nerfs de son visage qui tressaillaient d'impatience, de frustration, de colère sourde, sous la surface.

Il en rêvait depuis les prémices de l'adolescence, le Cédric, de goûter un jour à la vie des puissants, d'en être un lui aussi, une huile incomparable, de porter de jolis vêtements hors de prix, avec des galons dorés, du velours pourpre, toutes ces choses ridicules et magnifiques, et d'écraser à son tour, de son talon, tous les pauvres, les miséreux, les gredins dans son genre, de se vautrer lui aussi dans le luxe et la luxure, de se remplir la panse avec des vins merveilleux, des mets raffinés, d'avoir tout le temps de s'en lasser, de s'habituer à toutes les bonnes choses, à la beauté, comme on s'habitue à l'alcool, jusqu'à ce que tout devienne fade. Seulement, le cul des princesses, voilà qui jamais ne lui semblerait incolore, insipide. Les deux fesses rassemblées des jeunes filles de bonne famille, blanches et douces, rondes comme les deux astres jumeaux gouvernant les marées de son âme. Sa plus tendre, sa plus vivace ambition pouvait se résumer comme ça, pratiquement.

Au fond, oui, son plus terrible appétit n'était que sexuel. Une sale bête avec une bite à la place du cerveau, pile entre les deux yeux. Juste un pénis avec deux bras, deux jambes. Et une force de conviction irrépressible. La conviction qu'il était temps pour lui aussi de recevoir les égards d'un sang noble, d'être reconnu et adoré, ou même haï, à la manière des grands, de façon radicale. Marre de cette indifférence routinière, de n'être qu'un misérable sans valeur, sans intérêt, une ordure qu'on peut balayer de devant sa porte, et ne plus jamais s'en soucier. Un jour ou l'autre, d'une façon comme d'une autre, il serait quelqu'un. Il pourrait alors imposer sa volonté aux uns, être un poils à gratter pour les autres, pour tout le monde, plus jamais futile, oubliable, et pouvoir plier les êtres inférieurs à ses désirs les plus virulents, soumettre des hommes, des femmes, d'un regard, d'un mot, comme des chiens, rien qu'en levant la main... Il en tirerait un plaisir immense, c'était certain. Il ne vivait que pour ça, bien entendu.

En attendant de remplacer le duc sur son trône, il était toujours tenu cependant par la courtoisie de répondre aux questions qu'on lui posait. D'autant qu'il lui fallait s'appliquer. Donc il s'appliquait, poursuivant dans son rôle de serviteur assidu de la communauté.

Absolument, messire. J'ai l'honneur de servir sous les ordres de votre dame au quotidien, bien que, pour être franc, je ne l'ai jamais rencontré. Je l'ai à peine aperçue, deux ou trois fois, peut-être. Alors oui, les rumeurs sont à peu près tout ce que nous avons, vous savez, à notre petit niveau, nous autres miliciens de la garde... Tout se sait comme ça, chez nous, mais au fond, on n'est jamais sûr de rien.

D'autant qu'en l’occurrence, les rumeurs étaient parfois salées. Des rumeurs, ou plutôt des fantasmes de bouseux jaloux, de mâles frustrés dans leur orgueil, de rustres à la langue bien pendue, et trempée dans l'acide. Sur la d'Algranges en particulier, on racontait tout un tas de saletés venimeuses, le soir dans les dortoirs, en tapant dans la bouteille entre camarades de ragots. On lui prêtait bien sûr des mœurs assez peu dignes de son rang, autant que de sa condition de femme, pas glorieuses du tout, et des aventures innombrables, dans l'objectif évident de sauter les étapes vers le sommet, là où elle était parvenue, à force d'agiter les fesses, autant que d'avoir frayé avant ça avec le petit peuple de la garde. On savait de source sûre qu'elle avait pris l'habitude de se mêler un temps aux hommes pour boire et jouer. De là, il était facile de s'enflammer et d'imaginer qu'elle aurait en plus joué de ses charmes pour s'attacher la loyauté de ses camarades, de façon plus ou moins explicite, plus ou moins corporelle. C'était bien simple, dans le petit cercle des collègues de Cédric, on l'appelait communément la putain d'Algranges.

Mais son petit cercle à lui était, fallait-il le préciser, particulièrement médisant et mauvais. Il en connaissait d'autres, des camarades un peu plus éloignés, qui n'auraient jamais dit un mot de travers, même en secret, au sujet de la sergente, qui devaient même lui vouer une certaine admiration. Si lui-même se prêtait avec assez d'enthousiasme au jeu immonde des racontars, c'était surtout pour le plaisir d'inventer des histoires, de salir gratuitement l'honneur des gens supérieurs, même sans y croire, de trouver un peu de joie à faire sortir et partager son fiel avec les autres, de se retrouver autour d'une haine commune, se rapprocher comme ça, à défaut de savoir encore rêver, par la méchanceté pure, se réchauffer et le rire, et le cœur. Entre gens de rien, entre vilains sans idées, sans avenir, on s'assemble comme on peut.

Après, quand l'autre lui proposa de virer par un autre quartier, pour éviter de se coltiner plus longtemps les vicissitudes propres à celui-ci, évidemment, Cédric ne fit pas le difficile.

C'est vous qui commandez, messire, je vous escorterai jusqu'à bon port, dût-on faire tout le tour du duché pour cela. Je marche après vous.

Par contre, l'interrogation suivante le prit complètement de court. Il ne s'attendait pas le moins du monde à ce que le grand blond s'enquiert d'un seul coup de ses théories personnelles au sujet de la Fange, de l'état de sa relation avec les Dieux. Il lui fallut faire quelques efforts de discernement pour finir par se douter que son vis-à-vis devait se sentir d'humeur étrange, peut-être un peu mélancolique, et que c'était sans doute pour cela qu'il avait dérivé dans le coin, venu chercher conseils et réponses à quelques atermoiements existentiels, au sein du pays des morts. Quel meilleur endroit qu'un cimetière, après tout, pour aller bercer son spleen. Être, ou ne pas être, n'est-ce pas, on en revient toujours là. Cédric et ses compères avaient-ils interrompu le comte au milieu de quelques vagues velléités de suicide ? Si tel avait été le cas, il ne se serait pas aussitôt défendu comme un beau diable. Il aurait laissé les trois gugusses le transpercer, à moins d'avoir rêver une autre mort ? A quel genre de mort rêve en fait une grande âme noble comme la sienne ?

Sûrement, l'épée au poing, lancé à toute allure au dos de son fier destrier, descendant la colline vers le champ de bataille comme la foudre descend du ciel, pour frapper de terreur et de taille ses ennemis réunis en armée. Renversé par un bouclier trop solide, le voilà qui chute de sa monture et se répand dans la boue, au milieu de la mêlée. Il se redresse aussitôt, dans sa grosse armure de plate, il pare quelques coups, mouline avec adresse, tranche un bras, découpe une gorge, traverse une cuisse avec sa lame, distribue les coups et la mort avec une habilité phénoménale. Mais les adversaires sont si nombreux, il est entouré, il se bat tout de même, jusqu'au bout, jusqu'au dernier souffle, blessé de partout, une flèche plantée dans la jugulaire, il continue d'affronter les démons qui l'assaillent, il aura fait couler dix fois plus, cent fois plus de sang qu'il n'en aura perdu lui-même, avant de finalement rendre l'âme, genoux à terre, la poitrine et son plastron traversés par une lance scélérate, jetée de derrière. Il regarde le fer ensanglanté qui lui a perforé un poumon, et s'étouffe en gargouillant, avant de fermer les yeux, et de se laisser porter, de tomber dans un puits noir, sans fond et sans douleur... Il meurt bien sûr en se couvrant de gloire. Pas seriné bêtement entre deux marbres oubliés, ou au détour d'une ruelle sinistre, abattu pour deux sous par de la racaille illettrée.

Enfin Cédric, en reprenant ses esprits, bricole, à sa propre surprise, une réponse à peu près sincère, avec de vrais accents de sollicitude, pour une fois dans sa vie.

Je vais au Temple quand je peux, vous savez, messire, avec la vie qu'on mène... Environ une fois par semaine... C'est déjà difficile de s'occuper correctement de soi, et les Dieux non plus n'ont pas l'air très inquiets de mon sort, alors, quant au sort de l'humanité... je ne sais pas vraiment, pour tout vous dire, je n'ai jamais pris tellement le temps d'y réfléchir... Je ne sais pas... Je me dis, peut-être, peut-être que... Peut-être que oui, après tout. Les Dieux doivent avoir leurs raisons, de laisser la misère s'abattre ainsi sur le monde, sans doute ont-ils des choses à nous reprocher. Qui peut prétendre avoir tout à fait les mains propres ? C'est peut-être une punition. C'est une explication facile, en tout cas. Enfin, moi ce que je crois, c'est que l'horreur ne peut pas durer toujours... Un jour les Dieux verront le désastre ici et seront satisfaits. S'ils en ont le pouvoir, ils arrêteront la Fange, et la vie reprendra son cours. Peut-être s'agit-il d'une épreuve, plutôt que d'une punition ? Peut-être les Dieux ont-ils envoyé le mal sur terre pour faire le tri entre les bons et les méchants, pour débarrasser le monde d'un fléau pire encore, d'une certaine manière. Je pense que nous survivrons. Je pense que tout ça finira par se tasser. A quoi bon réduire le monde en cendre ? Les Dieux n'ont pas intérêt à châtier leurs loyaux sujets jusqu'aux derniers. Qui pourra les prier ensuite ? Ça ne me semble pas logique... On peut faire un exemple de temps en temps, mais on n'assassine pas tous ses enfants sous prétexte que quelques-uns n'ont pas été sages... Enfin c'est une question pour un prêtre ! Et vous alors, messire ? Que dites-vous de tout ce chaos ? Vous me semblez un peu soucieux, si je puis me permettre. Même si le monde court à sa perte, vous, au moins, courrez vers le mariage. Vous devriez vous réjouir. Une vie nouvelle vous attend. Tout le monde n'a pas la chance de changer de vie, et ça n'arrive surtout pas tous les jours...

Si l'on avait pu l'enregistrer, Cédric, en se réécoutant, sans doute ne se serait-il pas lui-même reconnu, tellement sa voix planait basse, posée, et, à son tour, presque mélancolique...
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Roland de RivefièreComte
Roland de Rivefière



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyLun 13 Mai 2019 - 1:46
Ce Gravène était donc un milicien affilié à Sydonnie, il aurait pu lui poster des questions, chercher à en savoir plus sur les rumeurs qui courraient à propos de sa future épouse. Mais en avait-il réellement envie, voulait-il vraiment savoir toutes les horreurs qui étaient dites sur son sujet ? Il connaissait les hommes, les miliciens, leur désir de vengeance et leur jalousie. Certains devaient beaucoup en vouloir à la sergente, d’être leur supérieure, d’être une femme qui plus est. Roland ne poserait pas des questions sur ce sujet. Il était inutile de donner raison à ces hommes, de les pousser dans leur bêtise. Après tout, même si le Cédric se montrait très serviable et coopératif, qu’est ce qui prouvait qu’il ne jouait pas tout simplement la comédie. C’est en apprenant son titre après tout, que le milicien avait fondu en courbettes et en jolis mots. Il en était bien conscient. Après, était-ce par simple politesse et quelconque connaissance de l’étiquette, par respect pour son titre ou par convoitise et manipulation. L’héritier ne pouvait le dire à cet instant. Il ne connaissait pas suffisamment l’individu pour en juger. De plus, pour le moment, aucun de ses faits et gestes, pour Roland, ne le trahissait. Il restait aimable, apte à la conversation et répondait judicieusement et semblerait-il, honnêtement, aux questions posées. Comme celle-ci d’ailleurs, où il lui apprenait être sous les ordres, indirectement, de sa fiancée. Et qu’il y avait bien évidemment des rumeurs qui couraient à son sujet. Quoique le milicien pouvait en penser, il se gardait de révéler quoique ce soit. Il ne niait pas, évidemment. Certains auraient pu craindre totalement la réaction du comte et futur mari et chercher à nier tout en bloc. Fatale erreur, qui aurait prouvé que l’homme n’était pas honnête et plutôt couard. Il n’en était rien pour Cédric Gravène, qui marchait à présent aux côtés du sang bleu.

- « Les rumeurs, il y en a eu et il y en aura toujours, certes. Les gens ont ce besoin frénétique de commérer sur la vie des autres. J’ai appris à m’en détacher. »

Ce n’était pas tout à fait vrai, le comte prêtait encore attention aux rumeurs qui circulaient sur lui. Mais, avec le temps, il avait appris à prendre beaucoup de recul vis à vis de celles-ci. En revanche, il se montrerait certainement moins tendre, s’il entendait des horreurs sur sa future femme.
Les deux hommes quittèrent pas à pas les bas quartiers, s’éloignant de la misère, de la douleur de la pauvreté et de la famine, et de l’odeur nauséabonde qui en émanait.
Bon, là, peut être qu’il en faisait un peu trop le Gravène, avec son idée de faire le tour du duché à ses côtés, mais cette réplique eut au moins le mérite de faire naître sur les lèvres du noble guerrier, un très mince sourire. Et le pire, c’est qu’il n’arrivait toujours pas à voir s’il était réellement sérieux, s’il tentait de faire de l’humour ou s’il se foutait éperdument de sa tronche. Enfin, il préféra prendre cela à la légère. Il ne lui manquait pas de respect, il ferait en sorte de le couvrir afin qu’il poursuive son chemin en semi sûreté, jusqu’à l’esplanade. Il tenait la discussion et n’était pas si désagréable à écouter, alors il n’allait pas s’en plaindre. En d’autres occasions, il aurait même pu lui proposer d’aller boire quelques choppes dans une taverne de la Hanse. Mais pas ce soir, sa mélancolie mélangée à l’alcool lui jouerait certainement des tours. Inutile de pousser le vice jusque là.

Le quartier du temple tranchait nettement avec le Labourg. La magnificence du temple était sans appel, vieux de plusieurs siècles, il surplombait le quartier et lui donnait une aura mystique et sacrée. L’aîné Rivefière arpentait presque chaque jour que les Dieux faisaient l’endroit, en prières, en aides fournies aux religieux et aux enfants. Fervent croyant et pratiquant, défenseur de la Trinité, il servait cette noble cause. Néanmoins, comme tout homme, cela ne l’empêchait pas d’avoir ses faiblesses et ses doutes. Comme ce soir. Cette nuit, où ses pas lents l’avaient conduit vers le cimetière. Un lieu désormais maudit, où même le repos éternel n’était plus respecté.
Le blond avait interrogé son interlocuteur du soir et ce dernier semblait prendre le temps de la réflexion. Alors qu’ils passèrent devant le temple, l’héritier s’arrêta un moment, contemplant l’édifice qui les dominait complètement. Il écoutait alors le discours du milicien, il n’était pas forcément d’accord avec lui sur tous les points qu’il évoquait. Mais cela restait intéressant d’avoir le point de vue d’autrui sur les évènements de ce monde. Il ne connaissait pas cet homme, c’était la première fois qu’ils se voyaient. Et pourtant, ils étaient là, devant le temple, en pleine nuit, à déblatérer sur la vie, sur la mort, sur la fange, sur la volonté des Dieux. C’était cocasse. Il aurait très bien pu avoir cette discussion avec un ami, autour de verres, lors d’une soirée arrosée. Mais non, il était là, dans le froid, moins mordant, d’une nuit de mars, philosophant avec un milicien, parfaitement inconnu. Mais parfois, cela faisait du bien, de juste parler, de marcher. Puis de se battre aussi, comme il l’avait fait quelques instants plus tôt. Sa lèvre s’en souviendrait encore le lendemain matin, lorsqu’elle sera enflée et colorée de sombre. Mais peu importait, après tout, il prétextait une mission avec la milice auprès de ses proches, après tout, cela restait en partie véridique.

- « Je ne sais pas si ce sont les Dieux qui nous envoient ce fléau, ni s’ils le font par punition ou pour faire passer une quelconque épreuve. Mais ce que je sais, c’est que la Fange n’épargne personne. Elle ne fait aucune différence entre les gentils et les méchants, comme vous dites. Il n’y a pas de tri dans la mort, elle est violente rapide et radicale. Avez-vous déjà été confronté à un fangeux Cédric ? » Oui, il l’avait soudainement appelé par son prénom. « Avez-vous été en contact avec son regard ahuri, bestial et sanguinaire ? Non la fange ne fait aucune différence entre le bien et le mal. Ni entre les riches et les pauvres. Il n’y a pas de titres, de rang, de classe, aucune différenciation face à ces monstres. »

Son ancienne épouse et sa petite sœur étaient les êtres les plus doux et les plus dévoués qu’il connaissait. Elles ont pourtant toutes deux été arrachées et déchiquetées par ces créatures. Donc non, elles n’étaient pas sur le royaume pour faire le tri, impossible que ce soit le cas. Il voyait plus une punition divine qu’une simple épreuve. Mais après tout cela restait des suppositions. Personne n’en savait fichtre rien. Même les prêtres auxquels le sang bleu avait parlé n’étaient pas tous unis sur la question. Il y avait des divergences d’opinion, des actes différents sur l’étude de la fange, des extrémistes et des modérés. Impossible de déterminer pour l’heure ce qu’était la Fange exactement, leur constitution, leur cause, etc. Tout n’était que théorie. Et pour la plupart, sans doute totalement farfelues.

- « Enfin oui vous avez raison, ces pensées concernent plus précisément les prêtres. Je ne vais pas vous ennuyer avec ce genre de débat, vous avez bien d’autres choses à penser ! »

Roland reprit alors la marche, quittant le parvis du temple, invitant le milicien à le suivre, évidemment. Il reprit ensuite, en réponse à la remarque de Cédric concernant le mariage et son changement de vie. 

- « Je suis soucieux, sans doute oui. Je dois vous faire sourire au fond, même si vous n’avez pas l’audace de me le dire. Je suis comte, je vais célébrer mon mariage bientôt, je devrais me réjouir et sourire à la vie, mais je joue au pauvre petit noble triste. Vous auriez bien raison, vous savez. Hélas, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Je ne me plains pas de ma vie et de ma situation. Je m’interroge simplement sur les potentielles causes de tout ce vacarme et sur le devenir du monde. Nous n’avons plus aucune nouvelle du reste du Royaume, nous sommes là terrés dans cette cité, jusqu’à quand ? La vie, même d’apparence belle, peut apparaître douloureuse. Un titre n’est qu’une façade au fond. »

Ils s’engouffrèrent à présent dans une ruelle de Bourg-Levant, le lieu était encore différent, le quartier était vivant et bourgeois la journée, bien qu’il avait certainement bien perdu de sa fraîcheur d’antan. Roland n’avait pas connu l’intérieur de Marbrume avant le drame, sa famille venait d’un domaine extérieur. Mais il imaginait très bien les commerçants prospères et les marchés bondés de produits frais. La cité, construite en bord de mer, offrait un point stratégique pour le commerce. Bien que les échanges avec le royaume étaient à présent stoppés. La pêche, les Dieux soient loués, restait une ressource importante, vitale.

- « Et vous, Cédric, êtes-vous marié ? Ou l’avez-vous été ? Avez-vous une famille ici à Marbrume ? » Beaucoup avaient perdu femme, mari, enfants, proches, amis… La fange enlevait tout sur son passage. Mais parfois, de bonnes rencontres arrivaient aussi. Tant que l’humanité tenait bon, il y avait encore un peu d’espoir. Le monde n’était pas encore devenu tout à fait sans saveurs.
« La milice, l’avez-vous intégrée depuis longtemps ? »

Des questions, pour le connaître davantage, s’intéresser à cette personne, à l’humain qu’il était. Alors que beaucoup ne les considérait comme de la chair à canon. Ils faisaient un bout de route ensemble, ils pouvaient très bien garder le silence. Mais la discussion aidait parfois, au fond, peut être que Roland s’aidait lui-même, à penser à autre chose, à avancer, dans son esprit et vers sa demeure. Demain matin, peut être que l’humeur sera différente.
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Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptySam 18 Mai 2019 - 5:05
Tout hormis la mort n'est qu'une illusion. Un rêve.

Tout ce qu’on ouïe, tout ce qu'on goûte, tout ce qu’on touche, tout ce qu’on voit, et tout ce qu'on croit, tout ce qu'on jouit, tout ce qu’on crève, tout ça… Rien de tout cela n'est vrai. De l’enfance au tombeau, la vie n’est qu’un songe… Triste ou gai, plaisant ou douloureux, ça n’a pas d’importance au fond. Un jour le réveil sonne, et voilà qu’on se couche dans notre dernier lit, et le rêve est fini. La machine s'arrête. Ça n’était pas grand-chose, non, vraiment, après tout... Rien qu’un petit rêve idiot, truffé d’espoirs, de chagrins, de grimaces, de renoncements surtout. De renoncer à tout, petit à petit, de l’amour à la haine, de la souffrance à la passion, se résoudre un peu plus chaque jour à l’indifférence reine, à l’oubli des ambitions, des tremblements du sexe ou du cœur, qui se répondaient l'un à l'autre en un concert infernal. Obligé désormais de s’accommoder de la solitude, du silence, de son néant personnel, qui nous apparaît lentement, de plus en plus clair, vide, et gigantesque, éprouvant.

Quant à la sagesse qu'on s'imagine, toute cette prétendue patience accumulée, notre tiédeur chèrement acquise, au fil des contrariétés, par l'accumulation des désillusions, comme une cendre refroidie par la pluie, elle n'est pas un signe d’intelligence, d'une expérience difficile, mais précieuse, quoiqu'on en pense, mais bien plutôt la somme ignoble de nos lâchetés, de nos débâcles, la marque du déclin de notre vigueur, à la fois morale et physique, sous le poids des ans, qui nous pèse à nous écraser. C'est le fardeau de l'existence qui fait se courber le dos des vieux, et chuter leurs épaules de plus en plus bas vers la terre, vers la tombe...

Non, vraiment, vieillir n’est qu’une longue et lente, fastidieuse, descente à la cave, un escalier qui sans cesse se raidit, à force de s’enfoncer sous les degrés de la déchéance. Et comme on a laissé la surface et la joie derrière soi, trop conscient des soubresauts du chemin, du chaos de la route, alors on s’entoure pour seuls compagnons de toujours plus de monstres impuissants, de blessures plus ou moins aseptisées, certaines encore suintantes parfois, et de toute une légion de fantômes fades et fuyants… Et pourtant, pourtant, pour n’arriver à rien, finalement, sauf au fond du gouffre… Non, vieillir n’est qu’un cauchemar. Une trahison permanente. Un irrémédiable ratatinement du corps et de l'âme. Et la mort, une délivrance ? Comment le savoir ?

Être, ou ne pas être, n'est-ce pas, on en revient toujours là.

Donc on aura beau lutter avec ou contre les autres, se conformer sans cesse à la comédie grotesque d’une existence civilisée, de s’attacher à des chimères communes, comme le mariage, comme l’avancement, la richesse, ou les enfants… Rien n’y fait. Impossible d’échapper à cette pensée. De se dire qu’au fond, nous glissons tous sur la même pente, et que le vide ordure est sous nos pieds, grand ouvert, au bout du toboggan, qu'il nous attend, destiné à nous broyer, comme n’importe quel sachet plastique. Qu’il suffirait en plus d’un seul pas de côté, de rouler sur le flanc, et hop… disparaître en avance. Non seulement la chair est dérisoire, mais nos rêves encore plus.

Alors le suicide nous obsède.

On se tient nuit et jour assis dans les mains de la mort, dans la lumière obscure de son regard de glace. Elle nous berce en silence sur son sein famélique, asséché comme toute sa peau de parchemin. On peut d’ailleurs y lire encore les mémoires des grands hommes, de ceux qui ont su marquer leur époque, à coups de plumes ou d’épées, plantées dans la chair de l'Histoire, et trempées dans le sang des pauvres gens, qui en est aussi l'encre et le carburant... Notre nom n’y figure pas. Tant pis. On est résolu. De toute manière, tous les noms s’effacent aussi, avec suffisamment de temps. Les souvenirs de l’Humanité s’éteindront avec elle. Ça n’a pas d’importance non plus… Toute cette agitation est vaine, après tout, on le sait. On se débat seulement dans un rêve. En craignant seulement la vérité, de la rencontrer.

Car la seule vérité, la seule vérité qui vaille : c’est la mort.

Le reste n’est que digressions futiles et vaines quêtes animales, combats de chiens et de chats pour des jardins stériles, des petits bouts de trottoirs abîmés. Ce sont juste des calculs mesquins, ou même rien que des culs et des pénis qui s’emboîtent confusément dans une cohue de sexes gonflés, toujours empressés de s’enfiler encore plus vite, encore plus fort, pour obéir sans se l’avouer à l’instinct qui nous tyrannise. Cette horreur poilue en nous qui nous ordonne de nous dévorer, puis de nous multiplier, pour nous dévorer encore d’avantage, toujours plus. Chaque petite créature de plus sur cette terre n’est qu’un sacrifié en attente, un pion dans le jeu des puissances, un petit agneau à saigner, ou un soldat en partance bientôt vers un nouveau front, sans le moindre espoir de retour.

Car oui, la vie c’est la guerre. Et alors, la mort… la paix ?

Et si, finalement, la mort n’était qu’un portail vers une autre vie encore, une vie pareille, aussi ridicule, inutile et craintive, à quoi bon ? Un monde miroir, pour un calvaire identique, ou la résurrection, à quoi bon ? S’il faut recommencer de crier, de frapper, de geindre, même après la mort… à quoi bon ? Mieux vaut le néant, les ténèbres invincibles, et l’indolence absolue, enfin, à ce cinéma pathétique, à ce cirque irrésolu, à cette confusion meurtrière, ces appétits déchirants, ces rancunes imbéciles… À nos appels lancés dans le vide, sans échos ni réponses, sans espérance réelle d'atteindre jamais vraiment quiconque, SOS condamnés au silence, à la nuit énorme, à s'évaporer dans ce grand froid des âges infinis, ce réservoir creux illimité, cet univers angoissant, absorbant sans broncher tous nos bruits et toutes nos larmes, tous nos empressements maniaques, toutes nos manifestations de détresse, et au sein duquel nous ne sommes, en définitive, que des particules pratiquement indétectables, aussi éphémères qu'insignifiantes... Plus dérisoires et fragiles encore qu'une mince poignée de poussière livrée soudain à la furie du vent...

Alors pourvu que la mort nous achève une bonne fois, pour l'éternité toute entière, qu'elle soit enfin le terminus définitif de cet insupportable voyage... Et qu'on n'en parle plus. Jamais.


.~♪♫♪~.


Mais tout cela, tout cela, Cédric Gravène ne le comprendra jamais. Il n'y a pas d'idées du genre existentielles qui puissent pénétrer sa petite cervelle mesquine, bourrée de fiel, ratatinée par le stupre et l'ambition mauvaise, qui puisse naître et trouver de la place pour grandir entre toutes ses pensées odieuses, étouffantes de méchanceté... Alors quand le Sieur Roland de Rivefière tente de l'embarquer dans quelques réflexions religieuses de premier plan, forcément, il bafouille, il se raccroche à ce qu'il peut, bavant quelques supputations maladroites et limitées en portée, en éclat. Le milicien n'est pas philosophe pour deux sous. Pourtant, il tente néanmoins de tenir la baraque, de fabriquer à la truelle un semblant de discours potable, relativement solide. Lui-même a l'impression de ne s'en être pas trop mal sorti, d'avoir pondu quelques envolées superbes et subtiles même, bien qu'il n'en soit rien. Il ne faut pas trop lui en demander, d'ailleurs il s'excuse de n'être pas autre chose qu'un pauvre homme. Et il a raison, de le faire. Il devrait même encore s'excuser d'exister, vu la pourriture qu'il représente. Mais ça n'arrivera pas. Il ne faut pas pousser, pas trop croire aux miracles. Autant prier les Dieux. Ça n'est pas plus efficace, mais au moins, on se déresponsabilise de nos horreurs, de nos débâcles. Et c'est gratuit.

Tandis que rien du reste de l'attitude de Cédric n'est gratuit. Tout est calculé, millimétré comme il peut, assez maladroitement tout de même, pour essayer de paraître sous son meilleur jour, au top de son intelligence, de sa bonté, de sa classe de sale pécore fumeux et meurtrier, d'assassin dévoyé. Il fait de son mieux, de toutes ses forces. Donc, quand son vis-à-vis de prestige le rembarre poliment en lui soutenant en face et sans trembler que son erreur est totale au sujet de la Fange, Cédric ne peut en retour qu'avaler la couleuvre, avec quelques grandes gorgées de sa propre fierté. Si un collègue ou un ivrogne quelconque s'était permis de le contredire de la sorte, il serait monté très vite dans les tours, il aurait défendu sa paroisse, mordicus, déjà par principe, trop vexé de se sentir idiot, quitte à en venir aux poings. Il ne manquait d'ordinaire jamais une occasion de faire la preuve de son tempérament bagarreur et grossier. Mais là, à côté d'un comte, que pouvait-il faire, hormis fermer sa bouche et ligoter son orgueil, pour ne pas qu'il bondisse hors de sa couche, et foute tout en l'air ? Donc Cédric opine, et puis c'est tout. Comme un bon toutou bien dressé. À peine, quand l'autre le questionne assez réthoriquement, répond-t-il dans un murmure :

Oui, je l'ai vu... J'ai vu les fangeux, je l'ai vu à l'oeuvre, sur le champ de bataille...

Ensuite, il n'en dit pas plus. Il continue seulement d'avancer auprès de son noble partenaire de promenade. Ils arrivent à présent près du temple, mais Cédric ne capte rien de ce qui les entoure. Il est et reste totalement focalisé sur les paroles de Roland, à les enregistrer et les analyser à toute vitesse, comme un logiciel décrypteur, lancé à la recherche de la bonne combinaison, pour réussir à craquer le code menant vers l'ouverture de sa boîte de Pandore, vers son accession aux sommets, au moins sur un univers de possibilités, d'opportunités. Il ignore tout des environs, et même les minutes glissent sur lui, le temps est sans effet, tant d'adrénaline se déverse dans ses veines, tant la tension en lui est à son comble, et qu'il s'oblige en même temps à le masquer, à dissimuler sa nervosité, toujours sous une figure factice d'impassibilité. Il n'est plus qu'une statue informe, un bonhomme de glaise, avec un visage à modeler en fonction des circonstances, un discours sur mesure, du moins c'est ce qu'il tente, d'être et de faire, à l'écoute et aux abois, au taquet. Prêt à bondir.

Enfin, pour l'instant, l'autre ne lui tend pas grand-chose jusque là, en fait de perches auxquelles se raccrocher, pour se placer, pour avancer ses petits pions. Et maintenant, le blondinet se lance en plus dans une tirade pseudo-dépressive sur le mode faussement modeste de l'auto-dérision, et, effectivement, Cédric ne peut que pouffer en lui-même. Il pouffe, mais il cherche, il essaye toujours de comprendre, d'apprendre, de voir comment se placer, quelle attitude adopter pour plaire à son compère de nuit, quel rôle emprunter pour satisfaire au mieux son désir d'amitié, quel genre de type saurait lui plaire, l'amuser le mieux ? Comme il dit, Cédric aurait raison de se moquer, alors, est-ce ce qu'il veut ? Est-il du genre à aimer s'entendre dire qu'il n'est qu'une merde prétentieuse et privilégiée ? En ce cas, Cédric saurait le servir, lui en servir des tonnes, en matière d'injures plus ou moins sous-entendues. Mais le doute plane, et persiste. Ils sont nombreux ceux qui prétendent désirer quelque chose, et puis, une fois qu'ils l'ont, se rendent compte que ça ne leur plaît pas du tout et la rejette immédiatement. L'être humain est fait comme ça, de fantasmes, et sa vie parsemée de déceptions. Cédric n'en a pas vraiment conscience, mais il se méfie tout de même, instinctivement. Il n'a pas l'intention de froisser son vis-à-vis, même pour lui "faire plaisir". Il vaut mieux encore assurer ses arrières, s'en tirer à tous les coups avec une mention passable, que risquer le zéro pointé.

Donc il ne va pas répondre à cet appel, il ne va pas mettre à Roland le nez dans son caca, pas comme ça, pas de façon si franche. Il se contente toujours de prendre sur lui, d'emmagasiner les informations, et d'attendre son heure, la bonne, la brillante. Il ne répond même pas tout de suite. Il préfère se réfugier un temps dans le silence, plutôt que de commettre une bavure irréparable. Ce serait ballot ! Enfin, à sa grande joie, le nobliau renvoie la conversation vers lui, vers sa petite personne, en l'interrogeant sur son pedigree. Voilà une manière de se faire mousser, peut-être. Il ne se fait pas prier pour.

Je n'ai pas cette chance, messire, malheureusement, je vis tout seul. Du moins, avec les camarades, dans le dortoir, à la caserne. Je n'ai, ni n'ai eu, ni femme, ni enfant. Mais ma famille habite ici, cependant, oui, je suis né ici, à Marbrume, et j'ai bien l'intention d'y mourir. Le plus tard possible tout de même. Vous venez d'ailleurs, je crois ?

Il avait entendu des rumeurs à ce sujet, que le Rivefière de sa Sydonnie n'était pas un marbrumien d'origine, mais plus une pièce rapportée. Il s'en foutait pas mal. Mais il fallait bien retourner la politesse. Après quoi, sans attendre, il répondit à la seconde question.

Oh oui, je suis dans la milice depuis sa création. Et avant ça, j'étais même dans l'armée. J'y suis entré dès que j'ai pu, vous savez. Ça a toujours été ma vocation. J'ai voulu défendre ma ville, mon seigneur le duc. Et puis, en ces temps troublés, je ne refuse pas non plus un bon repas sûr, à peu près sûr, par jour !

Cédric eut ici un petit rire un peu graveleux qu'il s'empressa d'étouffer. Avant de reprendre sur une note plus intimiste.

Alors oui, vous me parliez de la Fange, j'étais là-bas... J'étais sur le champ de bataille, avec toutes les forces du duché, à affronter cette... cette chose... Ça a été la pire expérience de ma vie, je dois dire... Je me demande encore comment j'ai survécu...

Par la fuite, évidemment, mais Cédric ne se sentait pas prêt à l'avouer. Surtout pas au comte de Rivefière. Il allait tout de même tenter de lui servir une petite légende improvisée.

Je ne vais pas mentir, ça a été une boucherie... Je n'ai jamais rien vu d'aussi terrifiant, autant de sang par terre, à en faire des flaques, à en rougir même la boue... Mon unité a réussi à se replier, miraculeusement, tandis que les autres se faisaient tailler en pièces, puis on s'est retrouvé isolés en forêt, coupés du reste de l'armée. Il a bien fallu rentrer, retrouver le chemin de la maison... Ça a été horrible, des jours à marcher sans vraiment savoir où on allait, dans le froid, dans la nuit... presque sans manger... je ne vous le souhaite pas, je ne le souhaite à personne... Alors je donnerais cher pour être à votre place, honnêtement. Je ne suis peut-être pas né sous la bonne étoile, mais j'aimerais bien me marier, moi aussi, avoir une façade pour moi, comme vous dites. Ça n'est peut-être pas grand chose, mais ça protège un peu du vent, au moins, je pense... J'aimerais le croire. La vie n'est peut-être pas belle, mais au moins, à plusieurs, avec une femme, elle est moins dure...

Cette fois, le regard de Cédric se perd dans le vide... Son cœur a vraiment parlé, du moins ses derniers petits lambeaux... Il en est tout retourné. Pas vraiment sûr de savoir quoi rajouter. Donc il se tait. Et il continue de marcher.
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Roland de RivefièreComte
Roland de Rivefière



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyLun 20 Mai 2019 - 14:06
Le champ de bataille ? Cédric était alors dans l’armée, avant la milice. Donc oui, évidemment, la fange, il savait bien ce qu’elle était, il avait vu les horreurs, ses frères d’armes tomber, se faire massacrer sous les dents carnassières et les griffes acérées de ces créatures des ténèbres. Il comprenait ce qu’il avait pu voir, aussi, ce choix d’avoir intégré la milice de l’intérieur. Parfois chez certaines personnes, cela fait l’effet inverse. Ils ont ce besoin d’extérieur. Mais pour d’autres, lorsqu’ils ont eu leur compte, se retrouver à l’intérieur des murs de la cité, était différent. Est-ce qu’il le vivait bien, il n’osa pas le lui demander. De toute façon, au sein même de la cité, les miliciens n’affrontaient pas les mêmes monstres, mais l’humain était parfois encore plus mauvais. Le fangeux était animal, une bête qui chasse sa proie de façon bestiale, brutale certes, mais très primaire. Ce n’était pas forcément calculé, prémédité et réfléchie. Sans doute n’agissaient-elles que par instinct. Mais pour l’homme, c’était bien différent. Il enfonçait ses mêmes griffes et ses mêmes crocs profondément dans la chair, il lacérait, il violait, il tuait et pillait. Pour quoi ? Pas forcément pour se nourrir. Par vengeance, par plaisir, par ennui, par méchanceté gratuite ? Tant de raisons, aussi mauvaises les unes que les autres. Pour assouvir des besoins sadiques, parce qu’ils étaient eux aussi à présent ravagés par la folie de ce monde. L’homme était prisonnier de sa propre folie, avec ce boulet attaché à ses pieds, il errait simplement, sans but précis. Juste ce besoin de survie étouffant, décalé, qui l’engloutirait certainement bientôt.

Le milicien resta un moment silencieux, alors qu’ils quittèrent le temple et sa contemplation, du moins pour le sang bleu. Il avait énormément de mal à cerner le personnage qu’était ce Gravène. Il paraissait prendre des gants pour s’adresser à lui, enfin surtout depuis qu’il connaissait son titre. En tout premier lieu, il n’était pas aussi avenant et poli. Cherchait-il à l’impressionner, ou simplement le caresser dans le sens du poil ? Impossible à vraiment savoir. Mais, une chose est sure, Roland l’avait compris maintenant au fil de leur discussion, le milicien n’était pas spontané. Il cherchait ses mots. Pourquoi ? Juste pour l’impressionner, pour paraître doué et non un rustre milicien de bas étage. L’héritier s’en fichait un peu sur le moment. Bien qu’il est nettement plus agréable de tenir une discussion avec un homme plus ou moins réfléchi, qu’avec un débile notoire. Il voulait se comporter en parfait altruiste, en homme bon et respectueux en toute circonstance. Mais c’était faux. Il arrêtait à présent de se voiler la face. Il avait essayé, mais il n’était pas l’homme aussi bon qu’il croyait être. Son masque de perfection s’était brisé depuis un petit bout de temps maintenant. Il savait qu’il était capable du meilleur, comme du pire. Il n’était pas seulement bon. Il jugeait les autres, il était un peu égoïste aussi, il aimait bien se faire mousser parfois, c’est vrai. Même s’il le niait. Il tirait des leçons de ses erreurs sur lui-même. Il ne connaissait pas encore parfaitement, mais il se découvrait de jour en jour. À trop gratter sous la surface, il craignait ce qu’il pouvait découvrir. On lui avait appris comment se comporter, quoi dire, quoi penser. À présent qu’il ne se réfugiait plus derrière un masque d’impassibilité, les sentiments et les émotions devenaient réels, bruts, presque étouffants. Il ne savait pas toujours comment lutter contre cela. Les émotions arrivaient par vague, plus ou moins intenses. Parfois, cela passait bien, jusqu’à maintenant, il les évitait, ou se laissait flotter. Mais lorsque les vagues se déchaîneront et lui arriveront en pleine gueule, sera-t-il assez fort pour les encaisser, ou se laissera-t-il sombrer, consciemment ou non…

Cédric lui répondait alors, il n’était point marié, il vivait à la caserne, seul. Néanmoins, il était natif de la cité. Contrairement au comte. C’était un avantage tout de même, s’il avait sa famille ici et peut être des biens, une demeure familiale. L’aîné Rivefière avait encore sa famille, oui. Mais plus de domaine, plus de manoir à eux, son titre ne restait qu’une façade. Leur demeure était prêtée par le Duc, en échange de bons et loyaux services. Il n’était pas si différent d’un milicien. Il commandait certes, sur les missions, c’était lui le chef. Son titre lui accordait les pouvoirs d’un sergent. Mais à l’extérieur, contre la fange, il était pareil que les autres, au même point. Il n’agissait pas sous les ordres d’un coutilier, mais sous ceux du bailli, et du Duc lui-même. Si, du jour au lendemain, il n’est plus apte à combattre et à se rendre utile à la cité, ses parents n’auront plus rien et seront jeté à la rue comme des malpropres, des non natifs. Leur fortune ? Elle était épuisée, sous les créances de Rougelac. Non, il n’avait plus grand-chose. Tout ce qu’ils avaient encore à présent, ils le devaient au bon vouloir du Duc. Si demain, il décide qu’ils n’avaient plus rien, ils n’auraient plus rien. Comte ou non.

- « Je viens du duché voisin, en longeant la côte vers Ventfroid. Notre domaine est bordé par la mer, entouré par les montagnes d’un côté, puis par la plaine de l’autre. Il n’en reste plus rien à présent. Tous sont morts. Une infime poignée a survécu à l’attaque et encore moins au voyage jusqu’à Marbrume. »

C’était toujours douloureux d’évoquer ces souvenirs. Son domaine lui manquait parfois, comme la vie qu’il avait avant. Tout était beaucoup plus simple, limpide. La jeunesse lui manque, l’enfance, le temps de l’insouciance. Il aimerait parfois tirer un trait, revenir en arrière. Effacer les moments pénibles, se réinventer.
Il lui confirma sa pensée, le milicien était là depuis les débuts et avant cela c’était l’armée.

- « C’est bien brave de votre part. Beaucoup de vos compères s’engagent simplement pour le repas et pour le toit. Et même ceux-ci, je ne peux les blâmer. C’est pourtant malheureux d’emmener de si jeunes hommes et femmes au combat. Ils n’ont pas le temps d’être bien formés, il faut aller vite, tout se fait dans la précipitation, tout le monde est débordé. J’aide quand je le peux, à former à l’épée, mais c’est compliqué. Il y en a toujours plus. Combien sont ceux que j’ai formé la veille, qui, au bout d’une journée de mission à l’extérieur, ne sont jamais revenus. »

Le Gravène enchaîna ensuite, il avait l’intention de se livrer, de décrire ce qu’il s’était passé là bas, sur le champ de bataille. Certes, Roland imaginait bien l’horreur, ce spectacle de sang et de tripes. L’armée s’était faite décimer, il en restait quelques rares survivants. Comme lui.
Le noble guerrier s’était alors arrêté, tentant de répondre à la sincérité du milicien. Ou tout du moins, ce qu’il jugeait être de la sincérité.

- « Il ne faut pas vous en vouloir d’avoir survécu. Pourquoi vous et pas un autre, ou une autre. Nous sommes nombreux à s’être posé la question. Mais il n’y a aucune réponse valable. Ce n’est pas nous qui choisissons notre destin. C’est seulement la volonté des Dieux. Alors croyez en cela et avancez, encore. C’est tout ce que nous pouvons faire. Croire et combattre. Pour notre survie à tous. »

Il reprit alors la marche, le long de la grande rue des Hytres.
Le blond avait évoqué les femmes dans la milice, il avait envie de connaître l’avis de Cédric sur la question. Allait-il lui mentir, ou continuer sur l’honnêteté ? Rares étaient les miliciens qui cautionnaient cette volonté du Duc.

- « Avez-vous des femmes dans votre coutellerie ? Vous prenez la chose comment ? »
Il aurait bien aimé savoir la vérité, mais au fond, est ce que cela changerait quelque chose ? Est-ce qu’il allait se mettre à le cogner si jamais il lui disait que c’était la pire aberration que le monde n’aie jamais connu. Certainement pas. « Je crois ne pas me tromper en affirmant que vous êtes quelqu’un d’assez conciliant. Soit vous l’êtes vraiment, soit vous jouez votre rôle à merveille. Et pour cela, félicitations si c’est le cas. Avez-vous des aspirations ? Je suis amené à faire des missions, en renfort de la milice, aussi bien en intérieur qu’en extérieur. Je pourrais faire ponctuellement appel à vous, si je vous sens digne de confiance et si vous avez de l’ambition. »
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Cédric GravèneMilicien
Cédric Gravène



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyMar 11 Juin 2019 - 5:13
C'était une drôle de soirée, assurément. Une nuit bizarre. À se demander par quel étrange mécanisme le destin était-il parvenu à réunir en des lieux aussi incongrus deux êtres aussi dissemblables, et pourquoi ? Pour leur permettre de se rapprocher, comme il semblerait ? Ou bien, pour les faire s'affronter, plus tard ? Dans un objectif tragique, ou bien burlesque ? Les Trois eux-mêmes ne connaissaient peut-être pas la réponse. Il n'est pas dit que les Dieux soient omniscients. Et peut-être, en ce moment même, aussi intrigués que vous et moi, se penchaient-ils sur la scène en cours pour observer, et découvrir en même temps que nous tous, le résultat de cette incroyable facétie.

Après tout, à en croire certaines langues peu amènes, on pourrait penser qu'ils n'ont rien de mieux à faire, ces trois-là, et tous les autres comme eux, les idoles célestes de tous les pays du monde, sinon que de nous regarder nous haïr et nous désirer, nous prendre et nous tuer, pour se distraire, rire et s'émouvoir, sans jamais vraiment chercher à rien arranger, en fait, de nos affaires. Sourds à jamais à toutes nos prières. Peut-être en réalité ne sont-ils tous que des voyeurs pervers, des spectres sadiques, dotés d'un sens aigu de l'ironie et d'un goût violent pour les histoires violentes. Si tant est qu'ils nous aient un tant soit peu créé à leur image, alors ça ne fait plus vraiment de doute, n'est-ce pas ? Ne sommes-nous pas de cette sorte ? Quel est celui de nos plus grands plaisirs qui surpasse en puissance et en douceur le fait de jouir du malheur de nos adversaires ? Et celui de réduire une autre âme que la nôtre à notre volonté ? La plus intense de toutes les joies, ou bien la plus simple, la plus évidente, n'est-elle pas la joie mauvaise ?

Et le grand maître de la langue n'écrivait-il pas justement :

« Et les hommes, morbleu, sont faits de cette sorte !
C’est à ces actions que la gloire les porte !
Voilà la bonne foi, le zèle vertueux,
La justice, et l’honneur, que l’on trouve chez eux ! »

Avant de rajouter :

« Allons, c’est trop souffrir les chagrins qu’on nous forge,
Tirons-nous de ce bois, et de ce coupe-gorge ;
Puisque entre humains, ainsi, vous vivez en vrais loups,
Traîtres, vous ne m’aurez de ma vie, avec vous. »

Pour cela, devrions-nous nous enfuir à notre tour, faire comme le misanthrope, se résoudre à l'exil pour enfin s'extirper du traquenard de la société humaine ? Mais même encore, réfugiés dans quelque grotte humide, au sein de la montagne la plus isolée qui soit, la plus inaccessible, défendue dès sa base par des forêts impénétrables, serions-nous réellement à l'abri alors des Dieux et de leurs terribles jeux ? Rien n'est moins sûr. Dans leurs appétits de tortures, ils viennent vous débusquer jusque dans la tombe, jusqu'après la vie, à croire qu'ils ne se lassent jamais d'entendre les cris et les lamentations de nos tristes âmes, de nos corps endoloris. Qui sont les véritables monstres au juste, d'entre nous, les fourmis suicidaires et anarchistes, occupées à se dévorer entre elles, dans l'espoir d'un gain ou de la gloire, et elles, les entités insaisissables, éternellement muettes, et pourtant moqueuses, dont le silence même est une interminable injure à nos rêves, à notre vanité, et qui ont donné vie à nous créatures de chair et de sang, mortelles et puériles, dérisoires et pourtant meurtrières, seulement pour jouir du spectacle ? Le spectacle pathétique, éclatant, et morbide, de nos amours et de nos guerres... Si échapper aux Hommes est une chose, déjà, échapper aux Dieux en est une toute autre...

Enfin, tout cela n'inquiète pas beaucoup Cédric en ce moment, ni même en général. Et même alors que les deux compères traversent la place du temple, écrasée par la silhouette gigantesque de ce dernier, l'influence concrète des Dieux sur sa vie, sur les événements actuels, il lui suffit d'oublier le début de cette conversation, et il ne s'en préoccupe déjà plus. La grande force d'un esprit sain, c'est que lorsqu'il est incapable de les résoudre, il se débrouille simplement très vite pour occulter ses soucis. Et c'est comme si, la plupart du temps, tout ce qui n'occupait pas nos pensées n'existait pas du tout. L'être humain correctement conditionné est une machine à se défaire de ses ennuis, à corriger toutes ses angoisses et ses frustrations, principalement par le mensonge. C'est le rôle, je crois, le rôle suprême de la pensée, consciente et inconsciente, de trafiquer du bordel imaginaire, avant même de servir à trouver des solutions pratiques à des problèmes concrets, elle sert d'abord à effacer le doute, et à contrecarrer la peur, par la création de fantasmes rassurants, arrogants, sur la base d'illusions prétentieuses. Ainsi nos improbables rêves de gloire n'ont qu'un objectif, nous persuader qu'il est possible d'une certaine façon de vaincre la mort. De résister à l'oubli, notre ultime adversaire, et son étreinte inévitable. Le même oubli qui pourtant nous protège de nous-mêmes.

N'ayons plus peur donc du grand sommeil...

En attendant celui-ci, Cédric continue de suivre d'une oreille les paroles du comte qui l'accompagne. Mais de façon beaucoup plus distraite que précédemment. Les derniers développements de la conversation l'ont étrangement secoué. Il ne se souvient pas la dernière fois qu'il a ressenti cette sensation perturbante, cette impression de flotter à l'intérieur, de n'être plus capable de produire une pensée claire et décidée. Quelque chose comme un brouillard oppressant a pris naissance dans sa poitrine, et dilue toutes ses idées. Le voici baignant dans une angoisse diffuse, enfoncé jusqu'aux yeux dans une mare de doute, avec l'âme toute vaseuse... Pas du tout habitué aux confidences et à perdre le fil de son assurance virile et vulgaire, il se sent bizarrement nu, mentalement démuni, pour faire face à la remise en cause et à la terreur issue de ses souvenirs. Sans son masque de salopard, sa petite âme stupide ne sait plus du tout quelle musique jouer. Il en est tout décontenancé. Assez pour avoir du mal à suivre ce que lui raconte encore le seigneur de Rivefière.

S'en vouloir de survivre ? Si Cédric s'était trouvé dans son état normal, en entendant ceci, il n'aurait pu se retenir de ricaner. Lui qui n'était qu'à peine capable de compatir avec les vivants, ou même de s’inquiéter pour son propre avenir, comment aurait-il pu ressentir jamais la culpabilité du survivant ? Ce qui l'accablait en ce moment, ce n'était que le souvenir de l'effroi, d'avoir regardé la mort dans les yeux, de l'avoir côtoyé de si près, au point de respirer son haleine, d'avoir cru s'étouffer en ce faisant. Que d'autres aient péris à sa place, cette partie-là du problème ne lui inspirait que gratitude, au mieux, sinon surtout de l'indifférence. Il ne s'était jamais jusqu'ici inquiété du sort du monde et de l'humanité, il n'allait pas commencer ce soir. Pas sans raison précise.

Il fallut ensuite que blondinet l'interroge sur son opinion au sujet des femmes dans la milice, et là, il dut faire carrément semblant de regarder ailleurs, en détournant la tête, pour dissimuler une grimace mêlant dégoût et mépris. Au moins, cette épineuse question, pour le moins inattendue, a le mérite de le piquer suffisamment pour dissiper un peu son brouillard, le tirer hors du flou pour le rappeler à des problématiques plus concrètes et à ses certitudes imbéciles d'horrible misogyne. Ça le stimule et le rassure à la fois. Sauf au sujet de la bonne réponse, de comprendre en vitesse ce que son vis-à-vis a réellement envie d'entendre ici. Heureusement, il suffit à Cédric de se rappeler que le gugusse est sur le point d'épouser sa foutue sergente pour que la réponse devienne évidente. Néanmoins, elle se trouve tellement éloignée de sa véritable opinion, les mots qu'il devrait prononcer pour lui plaire lui raclant tellement la gorge, que, rien à faire, ils ne peuvent pas sortir. Il ne parvient qu'à diluer son fiel, lui qui ne pense en vérité à la femme que comme un loup pense à un bout de viande, ou comme un bourgeois pense à sa propriété, comme une proie ou comme un dû. Quelque chose à détruire ou à posséder.

Heu, des femmes, dans la coutillerie... Pas en ce moment. Il y en a eu, plusieurs fois, et puis... elles sont parties. Je pense qu'on a besoin de tout l'monde, de toute façon, en ces temps troublés... Ce n'est pas vraiment le moment de finasser, de faire la fine bouche, quand la garde a bien du mal à maintenir ses effectifs. Alors, hommes ou femmes, la chair, c'est d'la chair... Mais il est clair qu'elles ne sont pas nombreuses à faire le poids. Faut pas s'voiler la face... Quand il s'agit de distribuer des mandales, ou seulement d'intimider la racaille, posséder deux fois plus de muscles est toujours un avantage. Bien souvent, dans not' métier, rien n'remplace la force brute, vous savez. On n'y peut rien. Pour les quelques-unes qui s'accrochent, sans même parler de sortir du lot, la majorité ne tarde pas à jeter l'éponge, ou bien à se faire rapidement embrocher. On peut dire que vot' fiancée, elle, est sortie du lot. Plutôt deux fois qu'une... C'est un peu la preuve vivante qu'elles ont leur place, je suppose.

Ces derniers mots furent prononcés avec une réticence assez manifeste, mais pas forcément insultante. Au ton de son discours, on le devine à ce propos dubitatif, mais résolu. C'est le mieux qu'il était parvenu à produire, le maximum d'enthousiasme que la question réussi à lui inspirer, en étant le plus hypocrite possible. Au moins, il faisait sans doute trop sombre pour réussir à déchiffrer dans son regard les vibrations de l'aigreur et de la haine. Le fond de sa voix était mieux maîtrisé que les traits de son visage, ceux-ci étant moins lisibles. Enfin, son petit discours paru être correctement accepté par le jeune comte, qui le commenta d'une manière ambiguë, dont Cédric ne retint que les compliments, tout en frissonnant discrètement à la mention de rôle. Ne pas vraiment réagir à cela lui semble immédiatement la meilleure solution. Après quoi, ô miracle, son interlocuteur commence à formuler une sorte de proposition, sur laquelle le milicien ne peut que bondir, sans même se douter de rien. Mais toujours avec distinction.

J'aspire à servir mon seigneur, et à défendre le duché contre les menaces qui se présentent. Toutes les manières d'y parvenir sont bonnes pour moi. Alors je serais honoré de répondre à votre appel, Messire, si la tâche est digne, et que vos intentions sont justes. Vous saurez toujours où me trouver, puisque je suis sûr que Dame d'Algranges se souvient de tous les coutilliers sous sa responsabilité. Vous n'aurez qu'un mot à lui dire et je suppose que le message parviendra assez vite jusqu'à moi. Je serais au rendez-vous, quand vous vous voudrez.

Voilà donc un grand pas en avant, pense-t-il. L'opportunité qu'il attendait, depuis le départ, enfin à sa portée. Pourtant, il s'étonne de ne pas éprouver la joie qu'il anticipait plus tôt, rien qu'en imaginant la chose. Était-ce à force de s'imprégner de son rôle de noble gardien de l'ordre qu'il en était arrivé à doucher ses désirs, à se gâcher son propre plaisir ? Ou bien à cause d'un reste d'angoisse, des brumes languissantes empoisonnant toujours le fond de ses pensées ? Sans doute un peu des deux. Et ça le dégoûte, quelque part, d'en être arrivé là, pour ne même pas réussir à en profiter tout de suite, d'un point de vue émotionnel. Il aurait voulu ressentir pleinement l'effet de sa victoire. À la place, il se sent tout serein, seulement satisfait, sensation certes agréable, mais bien loin de la jouissance escomptée. Or, Cédric est d'abord un aspirant au plaisir. Il se sent donc passablement frustré, sur le coup. Frustration qui le pousse à lever un peu le nez, à reporter son attention sur les environs, pour se dégonfler. C'est comme ça qu'il remarque tout le chemin parcouru.

Nous ne sommes plus très loin. Vous êtes déjà en sécurité, relativement, avec ou sans moi.

Soudain, il se rend compte que, jusqu'ici, il s'est comporté de manière exagérément formelle, et que, sans doute, il pourrait aller plus loin, peut-être réussir à rompre la glace, et à se rapprocher encore plus de son vis-à-vis, avant que l'heure ne soit venue de se séparer. Il pourrait laisser une meilleure impression en incitant aussi l'autre à lui faire quelques confidences. Au fond, la plupart des gens n'apprécient rien tant que de se raconter, de parler d'eux, et seulement d'eux, afin de toujours se mettre en avant. Il doit lui donner cette option.

Votre chez vous doit vous manquer. Je ne parle pas de la où vous créchez actuellement. Mais de là d'où vous venez. Si la Fange devait disparaître, vous retourneriez là-bas ? Pour tout reconstruire ? Il y a une terre qui vous attend, dont vous êtes toujours le maître, après tout. Vous pourriez y emmener votre femme, alors, avec vos enfants. Retrouver la vraie vie. Marbrume doit vous déplaire. On s'y entasse tous, particulièrement depuis peu. C'est bientôt plus un cloaque qu'une ville. Même s'il faut bien se serrer et se salir pour survivre. Un jour peut-être nous pourrons seulement vivre, à nouveau. Vous y croyez, à ça ?
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Roland de RivefièreComte
Roland de Rivefière



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MessageSujet: Re: [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric].   [Terminé] Noirceur de l'âme ♠ [PV Cédric]. EmptyJeu 4 Juil 2019 - 11:22
Définitivement, Roland n’arrivait pas à comprendre la psychologie du milicien. Il paraissait très secret, comme il l’avait ressenti jusque là, oui il cherchait ses mots. Peut être était-il impressionné par le rang du comte et voulait se faire bien voir, ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait. Ou peut être la raison était toute autre. Il était difficile d’apprendre à connaître une personne et encore plus compliqué après seulement une discussion tardive. Puis, les éléments ayant conduits à leur rencontre n’étaient pas les plus propices à la discussion. Un noble se retrouvant dans les bas quartiers, pour se tester, pour rechercher il ne savait pas quoi réellement.
En était venu cette marche et les paroles s’enchaînèrent. Roland lui avait demandé son avis au sujet des femmes, un sujet épineux. Il avait envie de voir comment l’homme d’armes s’en sortait avec cette question, comprendre son avis ou du moins essayer de démêler une part de vérité dans les mots qui lui sortiraient.

Étrangement, l’héritier de Rivefière n’était pas complètement en désaccord avec les propos du milicien. Il ne l’aurait pas dit ainsi, certes, mais cela avait du sens pour lui. Il n’était pas non plus un grand défenseur des femmes d’armes, ou du moins, il ne l’avait pas toujours été. Sa vision était différente à présent. Mais, il préférerait évidemment que sa sœur quitte la milice et reprenne la place qu’elle devrait occuper. Bien qu’il était fier de ce qu’elle entreprenait, qu’il lui faisait confiance à présent et qu’il comprenait son choix. Il serait davantage rassuré si elle revenait en arrière. Et pour sa promise, il acceptait plus facilement qu’elle soit sergent, le risque encouru est moins important, qu’en tant que chair à canon à l’extérieur par exemple.
Cependant, il restait également convaincu que les femmes ne faisaient pas toujours le poids et avaient forcément du mal à se faire respecter. Le travail d’un homme n’était pas souvent égalé par une femme, même si certaines, comme il le soulignait, sortaient bien sûr du lot. La force et la puissance d’un homme était supérieure. Mais, elle pouvait gagner des points dans d’autres domaines, ce qui leur conférait bien des mérites. De toutes les manières, sur ce sujet délicat, il était difficile de tomber tout à fait en accord avec quelqu’un. Roland hocha simplement la tête à la fin de cette tirade, puis reprit la route, tranquillement.

Ils remontaient la grand rue des Hytres à présent. Cédric avait répondu par la positive à la demande du noble, de toutes les manières, il n’aurait pas vraiment le choix, si tel devait être sa volonté que son sergent était d’accord avec cela, naturellement. Mais, il était toujours intéressant de voir sa volonté et sa réaction. Rien dedans qui ne surprit le guerrier, il acceptait bien volontiers, sous couvert de loyaux services rendus au Duc.

- « Très bien, Cédric Gravène, je saurai m’en souvenir le moment venu. »

Le milicien affirma alors qu’ils n’étaient plus très loin. Évidemment, c’était le cas. Mais pour une raison qui lui échappait, il n’avait pas forcément envie de rompre le dialogue tout de suite. C’était couper alors cette nuit différente, cette nuit dans les bas quartiers, où il n’était alors pas compte, où il s’était bagarré avec trois vauriens et qu’il s’était simplement senti vivant. Sans chercher à paraître, sans n’avoir de comptes à rendre à personne. C’était frustrant parfois, d’avoir envie d’être dans la peau de quelqu’un d’autre, ne plus être celui qu’on était ou que l’on faisait semblant d’être. Ressentir les choses différemment et se laisser flotter sur une eau qui n’était pourtant, pas du tout limpide.
Il s’apprêtait cependant à le renvoyer vers la caserne, là ou était sa place à lui, là où il était sûrement attendu. Ne serait-ce que pour donner signe de vie et voir si ses collègues étaient rentrés, vu qu’ils avaient été séparés en début de service. Néanmoins, Cédric avait reprit la parole, prolongeant un peu plus leur conversation, retardant le départ imminent.
Il sourit à la remarque du milicien, un sourire teinté de mélancolie.

- « Je ne retournerai jamais chez moi. Cela me manque, évidement. Ma vie d’avant me manque, mon domaine me manque. Mais j’ai tiré un trait sur tout cela, à présent. Notre vie, c’est ça maintenant, c’est Marbrume, c’est la fange. Elle ne va pas disparaître. Je pense que c’est à nous de nous habituer à elle, de vivre avec elle et de côtoyer ces immondes créatures. Si nous ne le faisons, elle nous bouffera tous hélas. Notre quotidien est bien différent, mais il est comme ça. Après, je ne suis pas de ceux qui se reposeront ad vitam æternam derrières les remparts de cette cité. Je ne peux pas affirmer avec exactitude ce que sera mon avenir, mais j’espère toutefois qu’il sera ailleurs, qu’il sera un peu différent que ce qu’il est aujourd’hui. Même si, encore une fois, je n’ai normalement pas de quoi me plaindre. Je suis humain après tout, l’éternelle insatisfaction, tout ça, c’est notre lot à tous, non ? »

Il avait dit cette dernière phrase de façon plutôt rhétorique. Il n’était pas de bonne humeur, forcément, cela se ressentait dans ses paroles. Sans être fataliste, il se trouvait quelque peu résigné tout de même.

- « Je ne vais pas vous accaparer plus longtemps, la milice a besoin de vous Cédric. » Il se retourna et vit la porte des Anges, celle qui séparait l’esplanade du reste de Marbrume, ultime forteresse de la Cité, avec le château qui surplombait le tout, cette prison dorée. « Merci pour cette nuit et sans doute à bientôt. »

Puis, il s’en retournerait à son quartier noble, à sa vie, oubliant peut être cette soirée, n’en parlant à personne. Comme si cela n’avait jamais existé, ce n’était qu’un moment perdu, à mi chemin entre deux vies, dont aucune n’était tout à fait celle de Roland de Rivefière.
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