Les visiteurs du Soir [Melisende - Auriane - Lorentz ]

Sa propre respiration, de plus en plus syncopée... les battements de son cœur comme un tambour de guerre

Assourdissant

Les regards terrifiés de la jeune femme, sa robe tachée de sang...

aurais jamais du accepter qu'elle vienne avec nous

La douleur, déchirante d'abord;
irradie tout au long de la jambe;
mais peu à peu s'atténue...en même temps que le membre s'engourdit.

Leur course,
chaotique,
claudiquante,
Qui ralentit quand leurs pieds s'enfoncent dans la tourbe gargouillante,
Puis repart,
quand les pieds s'en arrachent et que le marais relâche ses proies
Semblant manifester sa déception par un bruit de succion obscène.

De ça de là, ils laissent sur les mains crochues des arbres des traînées écarlates de leur sang.

Dix fois chutent
Et dix fois se relèvent.

Au loin derrière...des silhouettes?

Certainement pas celle de leurs deux compagnons...pas d'incertitude sur leur sort.

Tout devient de plus en plus flou.
Et leurs jambes flageolantes les supportent de plus en plus difficilement.

Encore une fois Lorentz s'affale, à plat ventre, de tout son long...gardant pourtant serrée sa hache éclaboussée d'un sang presque noir.

fermer les yeux...se laisser aller?

"Là! devant!" la voix d' Auriane lui parvient, comme bien lointaine.

Allongé, semi conscient, il entre-ouvre les yeux, et dans la brume de son esprit devine devant lui des murs.

Lourdement, il se relève, aidé par la jeune fille.
Un coude;
un genou,
Puis l'autre.

Et ils repartent titubant vers ce qui est visiblement une enceinte fortifiée.

Enfin, arrivés devant la porte d' Hautes-Granges, il reprennent leur souffle, puis Lorentz rugit plus qu'il ne crie:

-"OUVREZ NOUS !!!"

En heurtant violemment le panneau de sa paume, vite relayé par les cris d' Auriane.

Si ils ne peuvent être confondus avec des fangeux, la haute silhouette de Lorentz n'en est pas pour autant bien rassurante, maculée de sang de la jambe au visage en passant par la lourde hache, les cheveux ébouriffés et boueux dans le jour déclinant...

La châtelaine avait prit la décision secrète de partir hors des murs protecteurs de Marbrume afin de chercher son mari. Trop avaient jusqu'alors tentés de la décourager. Trop riait quand elle le disait toujours en vie, et ils avaient peut-être raison. Peut-être était-il mort depuis le temps. Seulement Auriane ne voulait pas y croire. Tant qu'elle n'autait pas vu son cadavre, elle douterait de sa mort.

C'est donc sur un coup de folie qu'elle avait rejoint un convoi vers les marais en direction de l'Ouest. Elle ne savait pas ce qu'elle espérait réellement. Probablement retrouver son mari sain et sauf entre les murs de leur château. Se battant encore et encore pour sa survie et celle de leurs gens.

Cela semblait une éternité qu'elle restait sans nouvelle de lui. Partie seule en direction de Marbrume, sous les ordres de son marie, la jeune châtelaine culpabilisait de le savoir seul à l'Ouest dans leur domaine. C'était un homme fort, il avait du trouver refuge quelque part, mais sans moyen de communiquer avec elle. Une bonne épouse se devait de trouver et sauver son mari.

Pourtant, aujourd'hui, beaucoup la traiterait d'idiote s'ils la voyaient ainsi. Sa robe de voyage en jute grise couverte de sang en partie coagulé. Elle avait une vilaine plaie à la cuisse droite et une autre au bras gauche. L'homme devant elle courait à en perdre haleine. Lui aussi était dans le convoi. Ils avaient subit une attaque de Fangeux, un horrible bain de sang se trouvait derrière eux.

Les voilà donc tous les deux, courant à cloche pied en direction de l'horizon. Puis elle les vit. De hautes murailles, une chance d'être sauvé ! Mais voilà que l'homme chute. Auriane le dépasse, emporté dans sa foulée. Puis elle crit: "Là !! devant !!"

Luisambre se relève, une lueur d'espoir dans le regard. Une montée d'adrénaline les pousse tout deux jusqu'à la grande porte.

Il crit: "OUVREZ NOUS!!!"

La châtelaine vint le rejoindre et tape de toute ses forces le battant en bois. Martelant ses poings à les en faire saigner.

"DÉPÊCHEZ-VOUS ! PAR PITIÉ !!!

La douce châtelaine n'a rien d'une délicate fleur fragile à cet instant. Un instinct presque animal lui fait vibrer le corps. S'il n'ouvrent pas, elle escaladera s'il le faut !

Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il n'y eut de pertes humaines au sein de la ferme de Hautes-Granges. Le sentiment de victoire semblait porter l’étendard de l'espoir au delà de l'espérance, et pourtant dans la brume avarice les corps tombaient, déchirés dans un dernier râle de désespoir. Melisende avait levé ses yeux, tandis que posait contre son sein, dormait paisiblement son enfant. Le silence fut place à l'agitation. En bas, près de la porte, quelques paysans se rassemblèrent.

- OUVREZ NOUS !!!

La porte s'ébranla sous le regard médusé des témoins.

- DÉPÊCHEZ-VOUS ! PAR PITIÉ !!!

L'homme qui était assigné à l'entrée du domaine hésita, tandis qu'un autre s'écrira qu'il avait vu des silhouettes se mouvoir dans la brume.

- Qu'on leur ouvre les portes ! Clama une voix suppliante à ce dernier.

- C'est un piège ! Protesta une autre.

Les portes tardèrent à s'ouvrir légèrement. Les gardes traînèrent les deux individus à l'intérieur pour refermer ces dernières aussitôt. L'un d'eux sortit son épée et la pointa sous le menton de l'homme qui avait une hache pour lui intimider de la lâcher.

Inquiète de ce rassemblement, Melisende se sépara de sa chair, pour en connaître la cause. Là dans le tumulte grandissant, elle se fraya un chemin. D'autres la suivirent, empêtrés dans un silence méfiant. Une rangée humaine se déployèrent sur les remparts.

- Soldat ! Dites aux autres de vous rejoindre en haut. Ceux qui ont attaqués les voyageurs ne doivent pas être loin !

Melisende se pencha sur la femme, puis l'homme. Tous deux se trouvaient maculés de sang. Elle souleva les pans déchirés pour connaître l'étendues des plaies. La grosse Hilaire qui se trouvait à ses côtés, alarmée par l'état des blessés, ne put s'empêcher de faire la remarque :

- Nous avons perdu notre guérisseur lors de la dernière attaque... Nul autre nous a rejoins depuis !

- Je le sais... Souffla Melisende d'une voix à peine audible. Mais nous ne pouvons les laisser mourir par terre. L'homme est à peine conscient. Amène-les dans la grande salle, je vais chercher Jehan...

La cloche d'alarme retentit. Ses mains tachée de sang tremblèrent.

Quand la porte enfin s'entrebaille en grinçant, Lorentz s'avance, la démarche lourde, heurtée et mécanique.

Teint livide, regard bleu gris pâle, on lui dirait l'aspect d'un tissu oublié depuis longtemps en forêt, décoloré par le soleil, la pluie et le temps qui passe...

Il ne réagit pas vraiment à la menace du garde, ne serait ce en lâchant la lourde hache d'un geste las.

De la longue estafilade qui court de mi cuisse à la moitié du tibia, le sang continue de couler, mais à dire vrai, il ne sent plus grand chose.

Il jette un regard vide alentour, où s'allume juste une petite lueur étonnée en voyant Melisende.

Encore un pas, et puis là, un voile noir s'abaisse devant ses yeux, tandis que quelque chose siffle à ses oreilles.
Juste le temps de s'assoir par terre, tombant à moitié...

Des voix percèrent le bourdonnement de ses oreilles. Auriane vit les lourdes portes s'ouvrir dans un grincement sourd. Son corps fit un dernier effort pour en passer l'embrasure à toute vitesse.

De l'autre côté, une cour et la foule. Des villageois apeurés s'attroupent autour des deux blessés. Une femme semble les commander. Elle lance des ordres aux vigiles en hauts des portes, afin qu'ils montent la garde et protègent les lieux.

Auriane sent la lourdeur de son corps peser sur ses frêles jambes. La course a été trop rude, trop intense, trop effrayante. L'heure de repos semble arrivée. La châtelaine se laisse choir à même le sol boueux, tendis que des mains l'examinent.

Malchance, elle entend qu'ils n'ont pas de guérisseurs. Éreintée, la douce blonde se laisse aller à sa fatigue. Ses paupières papillonne un instant, puis se ferment complètement. Elle sent des mains la soutenir sous sa nuque et ses reins. Son corps quitte la froideur du sol pour se retrouver dans la tiédeur de bras puissants.

La châtelaine s'abandonne à se portage sécurisant. Sentant le rythme des pas la bercer doucement. La lumière qui perçait au travers de ses paupières, laisse place à l'obscurité. Probablement, on l'aura amené à l'intérieur d'une des bâtisses.

Basculant sa tête en arrière, la délicate jeune femme sent son esprit partir à la dérive et s'évanouie. Tenir avait été le mot omniprésent de ses pensées jusqu'à cet instant. Désormais, se sentant entourée, Auriane s'était laissée aller. Oubliant par la même la, douleur de ses blessures.