Lorsque les réputations se précèdent [PV Victor]

Mars avait été placé sous le signe du froid et du deuil, mais le début du mois d'Avril s'annonçait porteur d'espoir et de renouveau avec l'installation du Printemps et le début des beaux jours. La Fange allait devoir commencer à reculer face à l'astre solaire qui allait prendre davantage de temps au quotidien, la menace battrait partiellement en retraite malgré le danger qui persisterait et, surtout, le temps des plus grandes récoltes arriverait rapidement, permettant ainsi de nourrir à nouveau tout le monde avec plus de facilité. Si la pluie amena l'ami de longue date, le Baron de Sombrebois qui fut d'un réconfort et d'une présence bienveillante, le soleil ramena quant à lui l'une des relations de ce cher Hector et dont la réputation -et les nombreuses rumeurs à son sujet- le précédait de bien des façons. Aelys était dans sa boutique, profitant du soleil passant par les grandes vitres de la devanture pour arranger les habits qu'elle gardait en exposition loin des rayons brûlants, mais suffisamment mis en avant pour qu'on les aperçoivent sitôt la porte passée. Celle-ci d'ailleurs ne manqua pas de s'ouvrir tandis qu'elle lui tournait le dos, une petite clochette tintant en un son clair pour annoncer la venue d'un nouveau client. L'endroit était propre et l'air était sain, les boiseries le disputait à une tapisserie aux détails fins sans fioritures exagérées, le grand comptoir en bois permettait certainement de travailler dessus, quelques fauteuils étaient disposés ça et là ainsi qu'une petite estrade pour les essayages avec un paravent replié de côté. Lorsque Victor passa le pas de porte, il pu apercevoir une silhouette féminine en robe longue et fluide, de teinte à mi-chemin entre le marron et le doré, de longs cheveux blonds ondulés cascadant dans son dos. La Couturière fit volte-face en entendant le son de la clochette et adressa un sourire poli au Noble qui venait d'entrer.

- Soyez le bienvenu ! J'arrive tout de suite.

Elle reporta son attention sur l'habit qu'elle terminait de placer convenablement sur le portant, avec un soin du détail qui ne souffrait d'aucune dérogation, puis reculant de quelques pas, elle avisa le tout avec gravité avant de sembler satisfaite, se détournant de son ouvrage pour revenir vers le comptoir. Les seuls apparats qu'elle portait étaient un bracelet de métal précieux entourant le haut de son bras ainsi qu'un ruban noir enroulé finement autour de son poignet.

- Je suis Aelys de Beauval, la Maîtresse de ces lieux. Que puis-je pour vous sir ?

Il ne faisait aucun doute en voyant la vêture de son interlocuteur qu'il s'agissait d'un noble, aussi dans l'attente de connaître son titre, l'appellation "sir" semblait-elle toute indiquée pour s'adresser à l'homme qui lui faisait face. Souriante et aimable, la Couturière n'en demeurait pas moins professionnelle et fort bien éduquée, non seulement par sa naissance bourgeoise, mais également par les fréquentations et les nobles clients qu'elle côtoyait de façon régulière.

Il n'avait sans doute jamais vécu pareil hiver, entre joies, déceptions et frustrations, le Comte de Rougelac n'avait pas été épargné par les intempéries de la Haute. Mais le printemps c'était installé et avec lui, un répit sans doute éphémère. Alors qu'il s'était assuré que les premiers convois d'ouvriers s'étaient bien rendus à Sombrebois, Victor s'était rendu à l'évidence qu'il lui fallait rapidement une nouvelle livret pour représentait sa nouvelle fonction.

Homme de goût, raffiné et soucieux de son image physique, il n'avait plus requiérit les services de couturier depuis l'été dernier et avait profité d'une radieuse matinée ensoleillée pour quitter l'Esplanade en direction du quartier de Bourg-Levant, escorté par son tout nouveau homme de main, un colosse de plus de mètres qu'on surnommait la "Muraille". Il connaissait évidemment la réputée enseigne que tenait mademoiselle de Beauval pour la simple et bonne raison qu'il était auparavant passé par l'une de ses employée pour lui fonctionner quelques tenues d'apparat.

En pénétrant la boutique au cliquetis d'une clochette qui avertissait de sa présence, son homme d'arme dut quand à lui se baisser et tenir le mécanisme pour ne pas l'arracher de l'encadré de la porte. Une femme s'était manifestée avant que son sbir ne le succède dans ce lieu en tout point convenable, à la décoration modéré mais soignée. Lui réclamant un peu de patience, le femme à la toilette simple mais plutôt élégante mise en valeur par une crinière dorée semblait alors ajuster une création sans doute récemment confectionnée avant qu'elle ne reporte son attention sur le Comte dont l'imposante présence de sa sentinelle dans son dos le mettait bien étrangement en valeur. Drapé d'une tunique à col haut et d'une pelisse finie garnissant ses épaules, il avanca vers la femme qui venait de de présenter comme la gérante à en entendre son nom et son statu.

- Mes respects Madame de Beauval. La réputation de vos lieux n'est plus à faire.

Il indiqua son homme d'arme d'un élégant geste de main avant s'exécuter lui aussi aux conventionnelles présentations.

- Voici Sieur de Rochemont et je me nomme Victor, Comte de Rougelac et Gouverneur de Sombrebois. J'ai par le passé eut à faire à l'une de vos petite main, mademoiselle Héloïse Coutrier. N'est-elle plus à votre service ?

Il reporta alors son attention sur les vêtements laissés en exposition, déambulant même jusqu'à un fauteuil dont il caressa habilement la boisure de son assise, alors que le colosse restait posté sans bruit tout à côté de la devanture intérieur.

- Qu'importe Madame. Je suis venu ici refaire ma garde robe, vous vous en doutez bien et je suis bien heureux de rencontrer la très réputée jeune femme aux doigts d'or. Vos talents semblent ne plus être à contester, belle dame.

Un soupçon flatteur, Victor restait l'éternel mondain à l'étiquette et à la verbe douceureuse lorsqu'il s'agissait d'affronter ou de deviser avec une représentante de la gente féminine. Continuant d'investir la boutique de sa noble présence et de sa théâtrale représentation, il rajouta non sans venir vérifier du bout des doigts la riche facture de certaines pièces de tissu en exposition.

- Je vous avouerais volontiers ne point vouloir avoir à faire avec l'une de vos apprentie ou employée. Je veux ce qu'il y a de mieux, sans la moindre imperfection. Pourrais-je compter sur vous? Mais soyez sûre que demoiselle Coutrier vous rendez honneur, une femme dont j'en suis sûre c'est prit d'une passion en apprenant d'une préceptrice comme vous.

Ce jour était placé sous le signe du repos, tout du moins Aelys avait-elle mit en pause sa plus importante commande le temps de fignoler les détails des dernières à exposer dans l'attente de l'arrivée de ses clients. A l'arrière de la boutique, à l'abri des regards et des intrigants, une robe de mariée attendait sagement le lendemain pour l'un des derniers essayages avant l'heureux évènement qui surviendrait dans quelques jours. Pour l'instant cependant, l'attention de la Couturière était portée sur le Noble qui venait de franchir le seuil de sa boutique, accompagné d'un colosse à l'allure intimidante et à l'air peu avenant. Le mieux né de l'endroit ne manquait pas de verve et de politesses dont il usa sans grande modération, faisant à sa façon des ronds de jambes d'une manière qui ne fut pas sans rappeler à la propriétaire des lieux sa rencontre avec un certain Baron qui avait voulu se montrer tout aussi charmant à l'époque.

- Miss Coutrier n'est hélas plus des nôtres depuis de longs mois et j'ignore où elle s'en est allée, je l'espère au bras d'un époux qui saura prendre soin d'elle.

Même si à aucun moment Heloïse n'avait fait mention d'un quelconque galant, Aelys préférait espérer que rien de fâcheux ne soit arrivé à celle qui du jour au lendemain avait donné son congé au père de la Couturière, obligeant ce dernier à gérer la boutique le temps que sa fille ne revienne de Traquemont, fort heureusement avant que la forteresse ne tombe. Sans doute la Trinité y avait-elle été pour quelque chose, nul n'aurait pu le certifier, mais ainsi était-ce ce que les parents de la blonde avait songé secrètement. Pour l'heure, il s'agissait d'affaires et non d'une simple visite de courtoisie, aussi la jeune femme désigna-t-elle deux fauteuils non loin du comptoir.

- Prenez place Comte de Rougelac et vous aussi Sieur de Rochemont. Ici nul danger ne menace et je puis même fermer la porte si vous désirez que nous ne soyez point dérangés.

Une autre aurait pu s'inquiéter de se retrouver seule avec deux hommes, mais l'opiniâtreté de la Couturière couplée à son expérience à Traquemont ou même pour une certaine noble aux mœurs anormales l'avaient préparé à toute éventualité, ou peu s'en fallait. En outre, l'on ne se sentait jamais en danger chez soi en temps normal.

- Je vous remercie pour vos aimables compliments Comte, votre réputation vous précède également, ne serait-ce que par le Baron de Sombrebois qui est de mes amis. Je suis heureuse d'apprendre que le château et le bourg renaissent et que la Fange recule, c'est là une noble et difficile tâche à accomplir.

La gravité et le sérieux de son ton sur les derniers mots ne laissaient aucun doute quant à l'importance qu'elle accordait réellement à la cause, ce qui pouvait se comprendre pour qui avait eu vent du deuil dont elle se remettait depuis quelques semaines à peine. Ses yeux verts suivaient du regard les gestes de son client qui semblait apprécier les belles choses, l'écoutant avec attention vanter à la fois son talent, celui de son ancienne apprentie et même des qualités supposées de maîtresse d'apprentissage. La blonde ne pu retenir un léger sourire amusé, sans moquerie aucune cependant, voyant bien là en cet homme la digne incarnation des rumeurs le concernant.

- Vous n'avez point besoin de me flatter pour vous assurer de mon sérieux, Comte de Rougelac. Sachez que je met un point d'honneur à perfectionner chacune de mes créations et à honorer chaque commande en temps et en heure. La haute noblesse ne saurait s'adresser à une bourgeoise sans être assurée d'un résultat de qualité.

Il ne s'agissait pas tant de défendre la profession que sa propre réputation, laquelle avait été bâtie sur de nombreux efforts et un entêtement digne des plus grandes têtes de mules. N'eut été sa volonté de s'élever par le travail et de se forger par l'effort, Aelys aurait pu se contenter d'un mariage avec un noble de moyenne condition qui l'aurait rendue heureuse et à qui elle aurait pu se dévouer. Ce rêve était désormais dans les bras de la Trinité et seule demeurait sa passion pour la Couture.

- Refaire une garde-robe nécessite du temps et de la matière. De combien d'habits avez-vous besoin exactement et à quel usage ? Aurez-vous à cœur d'une tenue différente pour chaque activité, pour chaque saison, ou bien même selon le temps qu'il fera ?

L'on parlait présentement d'au moins cinq à huit tenue différentes, de quoi occuper une Couturière durant de longues semaines. Le prix serait à la hauteur de la difficulté à se procurer certaines ressources, à moins que le Comte n'y pourvoi de lui-même, quant à celui de la main-d’œuvre mieux valait ne point y songer sans en avoir les moyens. L'homme était-il aussi aisé que sa vêture et sa réputation le laissaient croire ?

Celon les dires de la Maitre Couturier, Miss Coutrier n'avait plus donné signe de vie depuis déjà de long mois ce qui équivalait à dire qu'elle avait suivi vraissembablement une autre destinée. Victor espérait qu'elle vivait des jours paisible mais en ces temps de troubles rien n'était moins sûre. Après tout cela importait peu au Comte de Rougelac qui n'était venu en ce lieu que pour une seule et unique chose, maintenir au goût du jour sa prestance, un détails et non des moindre qui faisait parti de sa personnalité. Il avait connu bien des gens qui s'en était allé sans donner signe de vie, c'était les aléas d'une existance humaine après tout.

Loin de se montrer sensible à cette disparition, il rejoignit le fauteuil qu'on lui proposa, son imposant sbir l'imitant dans un silence que certain aurait pu considérer comme inquiétant. Seulement Aelys, bien que ne cachant un sentiment certain d'être impressionné par l'homme de main du Comte, gardait tout son sérieux et son professionnalisme, comme si elle ne se sentait nullement en danger entre ses propres murs face à ses deux hommes l'invitant à un huit-clos de circonstance.

- Faite donc Madame de Beauval. Je crois en effet devoir réclamer votre pleine sollicitude. Nul doute que je remplirais votre carnet de commande pour vous offrir le luxe de fermé votre établissement pour la journée.

Se faisant, la Maitre Couturier accepta volontier les compliments formulés à son égare, offrant par la même occasion à son potentiel client quelques intéressantes révélations par la biais de sa réputation et de sa nouvelle entreprise couronné de succès sur les terres du Baron de Sombrebois dont elle connaissait et entretenait une relation d'amitié. Son ton grave rappelait en effet à son récent deuil et Victor n'était évidemment sans savoir que la blonde consommaire encore son deuil, la Fange n'épargnant décidément personne.

- Je vous l'accordé volontier madame, la tâche s'annonce difficile. Mais si ma réputation me précédent, vous n'êtes sans savoir que je n'investi jamais à panier percé. Et qui sait si un jour le Bourg retrouve sa splendeur d'entant, ne seriez vous point désireuse d'y investir également. Il nous faudra compter sur certains investisseurs... lorsque la grande place renaîtra de ses cendres. Les opportunistes auront alors une longueur d'avance sur leur concurrent dans tour corps de métier confondu. Nous aurons peut etre l'occasion d'en deviser.

Un appel subtile du pied assurément. Évidemment ce projet mettrait longtemps à voir le jour mais lorsqu'une partie des bâtisses sera remise sur pied, nul doute que certains artisans saurons saisir l'opportunité de faire affaire et profiter d'une situation de monopole dans leur activité sur cette place forte en quête d'une seconde vie. La Dame de Beauval s'employa alors à affirmer ses lettres de bourgeoises, ses aiguilles et fils dédiés à la noblesse et par ses mots, venait elle rassurer un Comte déjà convaincu d'avoir frappé à la bonne porte. Chemin faisant, la belle veuve, qui assurément méritait un second mariage avec un homme digne et noble, ne perdit point le Nord et reprit sa posture de commerçante en venant prendre de court son prestigieux client qui ne put que lui offrir un sourire satisfait face à sa prestation sans le moindre impair car elle avait vu juste.

- Une tenue par activité et par saison. Pour le printemps et l'été. Je reviendrais évidemment vers vous pour mon apparat d'automne et d'hiver, mais chaque chose en son temps. Et comme vous semblez deviner mes intentions et n'êtes sans ignorer ma réputation ainsi que mes titres et fonctions, pourrais-je me permettre de laissez libre cours à vos instincts de Maitre Couturier. Vous avez, après tout, presque toutes les cartes entre vos mains. Percez donc mes intentions, mes envies en matière de bon goût.

Après tout, le talent d'un maître couturier de renommée n'était-il pas également basé sur la capacité à anticiper les besoins de son client comme lire dans un livre ouvert ? Comme un artiste, un simple regard pouvait donner le ton d'une oeuvre et Victor était certain qu'Aelys serait le sublimer, ne restait donc qu'a trouver l'osmose avec la commerçante pour obtenir des toilettes et une garde robe touchant la perfection même que ce soit dans les choix de tissu, les coupes, les couleurs et les utilisations.

D'un signe de tête, Aelys indiqua avoir saisi et s'en alla à la porte de sa boutique qu'elle verrouilla d'un tour de clef, plaçant un petit panneau indiquant la fermeture avant de tirer le rideau qui dissimulait désormais à la vue la présence d'invités de marque au "Fil du Temps". Revenant vers ses clients, la jeune femme prit place dans un siège qui faisait face aux leurs, reprenant le fil de leur échange en évoquant à la fois Sombrebois, leurs réputations respectives, mais également une allusion sur l'avenir de Marbrume qui, si elle ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde, ne récolta en apparence qu'un simple sourire appuyé d'un sage hochement de tête.

- Nous aviserons le moment venu, Comte, bien que j'espère comme tout un chacun pouvoir assister à cela de mon vivant.

Quand bien même il y avait peu de chances que la Fange ne recule avant qu'elle ne soit une veille dame âgée qui aura déjà passé le flambeau de sa boutique, cela serait une bien belle vision que celle des Hommes libérés du tourment des Fangeux avant de partir rejoindre les Trois. Pour autant l'instant n'était pas à de telles considérations et la Couturière reprit immédiatement le bon cap, émettant plusieurs suppositions à l'égard de son Noble client qui sembla passablement étonné et amusé à la fois, sans doute car elle avait vu juste. Les propos de son vis-à-vis tendirent à le confirmer et la jeune femme acquiesça en l'écoutant dire qu'il reviendrait vers elle pour les saisons plus fraîches. Voilà qui était une sage décision et qui témoignait des connaissances de l'homme concernant la profession : on ne demandait jamais à un artisan de tout réaliser en une seule fois, un travail bien fait demandait du temps et de la minutie, pas de la précipitation, à quelques exceptions urgentes près. Le défi fut cependant posé par Victor lorsque ce dernier demanda à Aelys de laisser libre court à ses instincts, la blonde plissant alors légèrement ses paupières, ses yeux verts scrutant le Noble avec un mélange de sérieux et d'amusement, auréolé d'une pointe de fierté. Elle ne répondit pas d'abord, se levant lentement de son siège pour s'approcher du Comte, le scrutant à deux pas en face de lui avant de commencer à lui tourner autour, lentement, le détaillant des pieds à la tête avec une intense concentration qui aurait pu mettre mal à l'aise quelqu'un qui manquerait d'assurance, ce qui n'était pas du tout le cas de son client. Elle devinait que malgré tout ce qui venait d'être dit, l'homme ne recherchait pas seulement une professionnelle de la Couture, il voulait être pris au dépourvu, agréablement surpris ou les Trois savaient quoi d'autre, ce qui en soi était à la fois usuel et pourtant un brin flatteur : sa réputation devait être vraiment bonne auprès de la Noblesse pour qu'un Comte la sollicite de cette façon.

- Le bleu et le gris sont certainement des couleurs qui vous vont à ravir, mais pour l'Hiver ce n'est point ce qu'il vous faudra. Sachez d'ores et déjà que je vous imagine fort bien vêtu de noir avec de délicats liserés d'or pour souligner votre allure, de même que l'Automne appréciera de vous voir paré des mêmes teintes que celles des feuilles qui flottent au-dessus des simples hères. Mais pour l'heure puisqu'il convient de s'intéresser aux beaux jours...

Elle termina son tour en revenant face au Comte, croisant les bras en portant une main à son menton, la mine songeuse et les yeux toujours plissés tout en l'observant avec la même attention soutenue qu'elle avait eu jusqu'à présent.

- Je pense qu'il vous faut changer radicalement vos habitudes, Comte de Rougelac. Votre tempérament transpire les couleurs vives et marquantes, sans doute même le rouge vous sied à ravir, mais si vous désirez vous parer de masques, vos habits doivent refléter votre nouvelle condition et l'image que vous souhaitez renvoyer.

Aelys n'était pas dupe concernant l'homme, quand bien même celui-ci savait fort bien user d'une verve à double face permettant de tromper autrui. Elle avait reçu une éducation similaire à celle d'une noble dame de par sa mère sang bleu, elle connaissait donc les usages, les manigances et les apparences, bien qu'elle s'en soit toujours tenue le plus éloigné possible. Cet univers n'était pas le sien, aurait pu l'être il est vrai, mais ne l'était point et c'était bien ainsi. Victor désirait se parer de ses nouvelles fonctions au travers de nouveaux habits, alors il lui fallait quelque chose qui le fasse paraître plus respectable, plus "doux" en quelque sorte, ce qui était loin d'être chose aisée assurément.

- Du vert... oui, cela vous siérait à ravir. Bordé d'un vert plus pâle en arabesques discrètes... avec des boutons en bois.

Un pétillement apparu dans les yeux verts de la Couturière alors qu'un léger sourire étirait ses lèvres, trahissant le début d'impatience qui s'instaurait toujours lorsqu'une nouvelle idée de création germait dans son esprit et que le bout de ses doigts la picotait déjà, la démangeant d'avance de manier le fil et l'aiguille, de mettre en forme les tissus et d'assembler le tout en une tenue unique sur mesure.

- Ceci sera pour le retour des beaux jours, un rappel à la Nature et un hommage appréciable et apprécié à Serus lui-même. Quant à la chaleur qui ne tardera pas à s'installer ensuite, je vous suggère une tenue claire qui éblouira vos rivaux et ravira les prunelles de votre promise. Nul doute que vous ferez des envieux.

Et Aelys hocha la tête d'un air approbateur, imaginant déjà l'agencement des pièces de tissus les unes avec les autres, prenant mentalement les premières mesures de la stature de Victor avant de finalement pivoter vers celui qui était en charge de sa protection.

- Mais j'y pense, Sieur de Rochemont, désirez-vous également passer commande ?

Après tout peut-être le Comte était-il enclin à laisser l'occasion à son vassal de profiter de l'occasion qui lui était donné, à moins que l'homme ne soit déjà satisfait de ce qu'il possédait déjà.

Il semblait qu'à l'appel du pied du Comte à venir s'installer dans le futur sur le domaine de Sombrebois, la bourgeoise n'avait pas tout à fait comprit la subtilité de la proposition, mais comme cette dernière le lui fit remarquer il était préférable de remettre à plus tard ce sujet. Consentant, Rougelac acquiesça d'un humble hochement de tête avant s'abandonné finalement à l'oeil expert de la couturière. On reconnaissait d'ailleurs un artiste par sa signature et la blonde ne dérogeait à cette règle évidemment. Le regard perçant, elle observa alors son client sous toutes les coutures. Silencieusement et concentrée après avoir tiré les rideaux de son établissement, Aelys s'employait alors à laisser s'exprimer ses talents, ne laissant à proprement parlé rien au hasard.

Ainsi, tel un objet d'étude, Victor consentait donc à se voir épier de tous angles, de toutes perspectives, comme le ferait un peintre avant de poser les premières esquisses de son oeuvre sur une toile vierge. Une évidence semblait alors sauter aux yeux de la Maitre Couturière quand aux tonalités automnales et hivernales qu'elle relégua rapidement à la prochaine visite du riche sang bleu. Pour l'heure il était primordial de s'intéresser à la prestance de son client pour les beaux jours et il semblait que la jeune femme se montre investi d'une mission requièrant la plus extrême concentration comme le dénotait cette main portée au menton, la mine songeur. Physionomiste, elle l'était plus que jamais, rendant grâce à sa réputation, ainsi, capable de reconnaître au premier coup d'œil une personne comme si elle l'avait déjà rencontrée, la connaissait de longue date, ses premières révélations vinrent surprendre le sang-bleu. Désireuse de chambouler ses habitudes en terme de tonalité de couleur, la blonde jugeait nécessaire de changer radicalement les habitudes du Comte sous prétexte que sa nouvelle condition exige une sorte de rafraîchissement dans son apparence qui se voulait habituellement sombre.

A vrai dire... Madame de Beauval n'avait que trop raison, seulement jusqu'alors, Victor s'était interdit tout parure en adéquation avec ses fonctions et obligations. Elle bousculait les préceptes de son client et c'était bien pour cela que le quadragénaire avait fait appel à elle. Bousculé dans sa zone de confort à matière d'apparat, chaque remarque qu'émettait transpirait de vérité et clairevoyance. Vert, bois, ton clair tranchant avec le commun des nobles, l'argumentaire pouvait certe le choquer mais il n'en fut rien. Se reposant sur le jugement d'une dame dont la réputation n'était plus à faire, Victor acquiesça d'une hochement de tête, consentant à radicalement changer ses habitudes qui lui donnait un air peut etrêtre pas sinistre mais mystérieux et craintif.

D'ailleurs, les rappels aux Trois n'avaient que toutes leurs places dans cette étude de sa nouvelle apparence tout comme l'évoquation de sa promise qu'il venait d'épouser. Mais Victor n'était pas dupe, éblouir Adélaïde était chose impossible car la seule et unique chose qui pouvait ravir les prunelles de la Baronne de Nerra était ce maudit amant, ce Logan dont il avait consenti à laisser toute sa place auprès de sa femme. Pensif, il laissa la couturière réfléchir mentalement à la naissance d'une livret pouvait faire resplendir son client de marque avant qu'elle ne pose son dévolue sur une autre proie qui n'était autre que l'imposant homme de main du Comte. La Muraille n'émit aucune réponse, laissant son Seigneur parler en son nom.

- Sieur Rochemont passera également commande et vous mettrez également sur ma note le coût de vos travaux à son endroit.

Joignant les mains sur ses genoux comme pour prendre une pose plus altière, il rajouta.

- Évidemment, il ne devra se parer de toute tenue qui ternirait ma splendeur, cela devra rester sobre dans les tons mais non moins raffiner dans le choix des tissus et coupes sans pour autant lui enlever de son imposante carrure. Mais je dois tout d'abord vous avouer avoir hâte de connaître quels genre d'étoffes nous sierra ma chère.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, fixant de Beauval d'un air curieux et légèrement excité.

- Vous m'avez fort surprit dans le choix des couleurs qui me feront paraître plus noble que je le suis déjà. J'ose imaginer que vous ne manquerez pas non plus d'originalité quand aux tenues qui me et nous démarquerons de nos semblables? A votre convenance, nous seront dont vos objets d'étude pour la journée. Mais je dois vous avouer être impatient. Vous avez admirablement bousculé mes habitudes vestimentaires et je ne puis qu'être assoiffé de connaître quelles gammes de produits vous me réservez à cet effet.

Aelys sortira elle des conventionnels et clichés tuniques, veston et chemises ? Il allait s'en dire qu'elle serait créatrice, il l'espérait d'une nouvelle mode avant-gardiste dont il serait le premier échantillon vivant.

Il fut évident à voir les discrètes réactions du Comte que ce dernier apprécia l'avis que lui donnait la Couturière et son acquiescement fut le signe pour elle que ses idées étaient approuvées, ce qui lui permettait d'ores et déjà de se projeter plus avant dans ses futures créations, non sans jeter son dévolu sur l'homme de haute taille qui accompagnait son client. Le fait qu'il ait également besoin de nouveaux habits ne fut guère étonnant, de même l'impératif qui lui interdisait d'être plus élégant que son maître, ce à quoi la jeune femme acquiesça sans émettre le moindre avis à ce propos. Ainsi en allait-il des liens vassaliques de certains membres de la noblesse, ce n'était point à elle de juger cela, quand bien même ses propres tenues pouvaient faire ombrage à celles de certaines nobles dames. Pour sa part le Comte semblait surtout s'intéresser à cet instant à l'étoffe que la jeune femme choisirait pour confectionner les commandes dont il était question et il ne fallu guère plus de quelques secondes à l'intéressée pour répondre à cette interrogation.

- La toile sera idéale pour la belle saison, finement tissée elle permettra malgré tout de vous éviter la chaleur du velours ou de la laine que je vous réserve pour les frimas de l'Hiver.

Un sourire convenu fit surface tant cela lui avait semblé évident, de même qu'elle était certaine que Victor y avait également songé. Avec la Fange, les ressources n'étaient plus aussi diversifiées qu'auparavant et c'était déjà une bénédiction que d'avoir encore de bons tisserands au sein de la Cité, quand bien même ils étaient extrêmement peu nombreux comparé au nombre d'habitants.

- Quant à la coupe, il sera essentiel de laisser vos bras libres de tout mouvement tout en les dissimulant habilement sous une étoffe plus ample qui vous donnera la sensation de fraîcheur recherchée durant l’Été. Je vous laisse la surprise de votre ensemble final, de même que pour Sieur Rochemont qui ne sera point dérangé pour manier l'épée, je vous le promet.

Fit-elle à l'intention de l'homme de haute taille qui était demeuré silencieux durant tout ce temps, hochant légèrement la tête avec un mélange de gravité et de fierté.

- Feu mon promis était d'une haute stature et j'avais songé à lui confectionner quelque habit de qualité, vous ne risquez donc rien de ce côté-ci, j'habille aussi bien la Noblesse que les hommes d'armes.

Un sourire plus doux passa furtivement sur ses lèvres, avant qu'elle ne chasse le début de réminiscence de ses souvenirs pour se concentrer sur l'instant présent, invitant son client à se lever d'un geste de la main.

- Par ici je vous prie, Comte de Rougelac. Je vous demanderais d'ôter votre surcot afin que je puisse prendre vos mesures avec la plus grande exactitude possible.

Aelys s'en alla chercher son mètre ruban en tissu et revint d'un petit pas rapide et léger, sa bonne humeur l'accompagnant sur ses traits comme à chaque fois qu'elle avait l'occasion de plonger tête la première dans la passion qui lui tenait lieu de travail. Faisant étendre les bras à Victor, elle entreprit de mesurer la distance entre les poignets et les coudes, les coudes aux épaules, poignet à épaule, d'un côté et de l'autre, la circonférence de son poignet, de son avant-bras, coude, biceps bas et haut. Concentrée et désormais silencieuse, elle laissait le soin à son client de continuer ou non leur échange verbal, ne voulant pas lui imposer un bavardage non désiré.

Aelys se montrait des plus brillante dans l'expertise de la nouvelle livret à produire pour son riche client et son sbir à l'envergure peu conventionnelle. Victor ressentait dans ses mots et sa gestuelle toute la passion qui la transcendait. Un artisan hors pair dont il fallait assurément suivre ses bons conseils pour resplendir au sein de la Haute société Marbrumienne. Le Comte l'écoutait religieusement, l'azur de son regard allant même jusqu'à briller et l'envier. Tout semblait réfléchi et d'une extrême précision, la dame de Beauval ne lésinant sur aucun détails, car en effet chaque détails comptait et il n'avait aucun doute quand à la minutie qu'elle apporterait dans la réalisation des futurs étoffes.

Après sa longue prestation pas le moins du monde ennuyeuse, Aelys invita alors le mondain à venir la rejoindre pour débuter une démarche essentielle qui n'était autre que la prise de mesure afin d'obtenir le patron de la carrure du Comte de Rougelac. Ce dernier se plia alors volontiers à l'exercice, retirant sa surcote puis tendant ses bras au besoin et respectant à la lettre chaque demande de la part de la maître couturière. Un travail de précision où chaque millimètre comptait afin que les vêtements qui seraient réalisés ultérieurement épouse le corps de son propriétaire à la perfection. Se faisant donc mesurer sous toute ses coutures (l'expression était bien appropriée pour l'occasion), Victor resta un instant sans mots dire avant de briser le silence.

- Si je puis me permettre mademoiselle de Beauval, vous évoquiez feu votre promis. Qu'en est-il aujourd'hui après votre deuil ? Je veux dire... votre position est enviable et la bourgeoisie sera sans doute amenée à prendre une place tout aussi importante voir plus importante que la noblesse lambda, de fait vous ne devez pouvoir compter vos innombrable prétendant ? Et qui sait... Peut être trouver dans ce gratin un parti vous permettant d'assurer une santé financière plus que profitable en ces temps de disette. Je vous l'accorde, cela ne me regarde en rien, seulement, je porte un profond respect à votre endroit.

Il prit un temps de pause avant de relancer un sujet dont son interlocutrice semblait peut être précédemment en avoir mal saisi le sens.

- J'évoquais tout à l'heure l'idée de vous voir investir dans le domaine du Baron Hector de Sombrebois. Après la reconstruction du mur du Bourg, j'envisage de réhabiliter toute où une partie des bâtisses... Peut être, si le projet semble certes ambitieux, ne pas y ouvrir un second établissement, peut être de moindre qualité du fait d'une cible de clientèle moins aisée mais qui assurerait pourtant une rentrée d'argent non négligeable. D'ailleurs... sauf votre respect conscient que cela ne me regarde en aucun cas, mais... le seigneur de Sombrebois pourrait se révéler être un bon parti ?

Biensure il outre-passait la bienséance, mais il espérait cette prise de risque toute mesurée surtout qu'il offrait un fort profitable carnet de commande à la maître couturière.

Le silence qui s'installa ne dura guère plus d'un bref instant, juste assez pour que Aelys ne commence à prendre ses mesures avec tout le sérieux qu'on lui connaissait, mais pas suffisamment pour laisser s'installer le moindre ennui chez aucune des trois personnes présentes dans la boutique. Victor était probablement d'un naturel curieux et enclin à connaître autant de choses que possibles de ses interlocuteurs, aussi la Couturière ne s'étonna-t-elle qu'à peine de l'entendre la questionner au sujet de son deuil et de potentiels prétendants, ce qui ne manqua pas de faire naître un léger sourire amusé, bien qu'un léger voile de chagrin demeura au fond de ses yeux verts tournés vers ses mesures et non vers le visage de son vis-à-vis.

- Je vous remercie pour cette attention, Comte de Rougelac, cependant il me semble que tous les hommes sont occupés avec la Fange et n'ont guère la tête à batifoler, tout du moins est-ce ainsi que l'on peut le supposer. Je n'ai nul prétendant actuellement et n'en désire point, le souvenir de mon promis m'est encore par trop présent pour cela. Il est vrai que j'ai remisée ma robe de deuil, cependant cela me paraît encore trop récent.

Comme pouvait en attester le ruban noir qu'elle portait encore au poignet, discret mais néanmoins présent. Bougeant de position, la jeune femme passa dans le dos de son client pour mesurer ses épaules et son dos, sa nuque et son tour de buste ainsi que de taille avec la même application que jusqu'alors, écoutant le Noble évoquer Sombrebois, d'abord pour une question d'investissement futur puis, finalement, d'une façon qui ne manqua pas de faire naître un sourire amusé et touché à la fois. La jeune femme secoua légèrement la tête, ses cheveux blonds noués suivant le mouvement avant de revenir à leur place avec souplesse.

- Le Baron est un ami qui m'est cher, Comte, mais il ne sera jamais plus que cela, un ami.

Elle revint face à lui, prenant les mesure du tour des épaules, puis du cou tandis qu'elle reprenait d'une voix songeuse.

- Quant à votre proposition, j'en prend bonne note sachez-le et je trouve effectivement qu'il peut s'agir d'une excellente idée. Le Baron de Sombrebois saura m'aider à installer une seconde boutique là-bas j'en suis sûre, d'autant plus qu'il apprécie tout comme vous les beaux habits.

Sa main suspendit son geste alors qu'elle tenait le ruban autour du cou de son client, son regard accrochant le sien, indéchiffrable, avant qu'elle ne le laisse glisser en libérant sa prise, lui offrant un sourire amusé avant de s'accroupir devant lui, prenant les mesures de ses jambes.

- Si je puis me permettre, Comte de Rougelac, songez-vous à aider à la reprise des terres que la Fange nous a ravit ? Le domaine de Sombrebois est entouré de forêts, mais il y a suffisamment de terres arables et de petits villages pour espérer relancer plus encore la croissance des environs du domaine.

Nombreux étaient ceux qui ne voyaient en Aelys qu'une belle jeune femme aux doigts de fée, certes toujours d'une bienveillance sincère et d'une réserve poli, mais la plupart ignoraient que sa mère, bien qu'ayant épousé un bourgeois, était fille de noble et qu'elle avait inculqué à son unique enfant l'art de la conversation mondaine et des intrigues, quand bien même la blonde préférait s'en tenir éloignée en temps normal. L'occasion cependant était flagrante pour Victor d'en faire usage et, puisqu'il frisait l'impolitesse par sa curiosité, pourquoi ne pouvait-elle point le titiller un peu en retour ?

Il n'était pas rare de voir le Comte de Rougelac s'offrir le luxe de se montrer plus qu'audacieux. Curieux et surtout sans gêne, le mondain tira à profit le silence qui lui était offert pour questionner la bourgeoise sur certains aspects de sa vie personnelle ce qui ne manqua pas de faire sourire la couturière qui ne se laissa nullement perturber dans sa prise de mesure face à l'insolence dont faisait preuve son noble client. Ainsi, alors qu'elle était encore en deuil de son défunt promise, preuve en était le port du ruban noir, Victor cherchait à connaitre les projets futurs de la demoiselle de Beauval qui honoré par l'attention que lui portait Rougelac, se défendit alors de trouver pour l'heure un autre parti. Évidemment, les prétextes et arguments de la belle blonde avaient de quoi être réfutés pour la plupart, mais Victor, conscient de flirter avec les limites de la descence et de la bienséance, préféra retenir ses remarques. Si la Fange monopolisait ou plutôt mobilisait les hommes, cela ne suspendait nullement tout autre activité après tout ? Il était préférable en ces temps incertains de raffermir la position de chacun et une alliance maritale était un bon moyen d'y parvenir, fusse le cas récemment pour Rougelac qui s'était offert le luxe de s'acoquiner avec la plus talentueuse rivale dans la sphère des intrigues de Cours.

Soit, elle n'avait donc point consommé son deuil et se targuait de ne voir le Baron de Sombrebois comme un ami qui lui était cher, rien de plus. Telle une statue de chair et de sang, le mondain restait tout du long de la prise de mesure comme figé dans le temps, voyant par moment Aelys disparaître de sa vision pour réapparaître plus tard, toujours muni de son outils de mesure qui ne cessait de voir défiler les chiffres à mesure que le temps s'écoulait. C'est alors qu'il senti le ruban étreindre son cou avant que la Maitre Couturière ne se fige, songeuse. A la proposition du Comte, Beauval ne semblait nullement réfractaire à l'idée d'installer une seconde boutique dans le Bourg de Sombrebois grâce à l'aide d'Hector. Seulement Aelys avait-elle bien prit la mesure de la fonction de l'homme avec qui elle devisait ? En tant que Gouverneur, Rougelac avait tout pouvoir sur le futur Bourg dans la limite du serment qu'il avait prononcé devant le Seigneur du domaine et il lui serait aisé de donner toutes les cartes pour que la bourgeoise s'y installe. Mais qu'importe, ce n'était qu'un détails face à cette petite victoire qu'il avait rondement mené. Si l'espace d'un instant, il avait laissé sa vie entre les mains de la blonde qui d'une pression aurait pu tenté d'étouffet son client, il ne s'en était jamais inquiété car son banneret veillait non loin. Mais ce qui le perturba était bel et bien ce regard indéchiffrable que la demoiselle lui adressa. C'est alors qu'il s'imaginait toute une pléiade de signification, comme celle d'intenter à sa vie. A quoi jouait-elle ? Lâchant sa prise en lui offrant finalement un sourire amusé, la démarche avait de quoi interpellé et sans doute n'en trouvera t il jamais la raison. La couturière s'accourpi alors pour ptendre la mesure de ses jambes. L'image était à la fois singulière et cocasse, somme toute naturelle dans l'exercice des fonction de la demoiselle de Beauval mais l'espace d'un instant Victor s'amusa à laisser libre cours à ses fantasmes dans son esprit vérolé par la luxure.

Rien ne trahissait évidemment ses pensées mais l'image qu'il se fit sur le moment ne put l'empêcher de faire naître un léger sourire espiègle à la commissure de ses lèvres tandis que la donzelle reprenait l'usage de la verbe pour porter intérêt au vaste projet du Gouverneur de Sombrebois. Aelys possédait l'art de la conversation et de la bonne éducation et il semblait plaisant de deviser en sa compagnie au risque de lui céder quelques informations tenues encore secrètes.

- Comment pourrais-je ne pas aider à éradiquer cette menace ? A quoi bon faire fortune si l'avenir de l'homme disparaît. Malheureusement, Sombrebois est entourée de forêt et de marécages et les quelques terres arables aux alentours ne suffiront pas au besoin d'une population décente. Nous pourrons exploiter quelques lopins de terre mais de vous à mois, cela nourrira pas plus d'une dizaine d'habitants. J'ai le folle espoir de repeupler Sombrebois pour en faire la troisième zone la plus peuplée derrière le Labret et Marbrume.

Il inclina la tête vers le bas, toisant la crinière dorée qui flirtait bien malgré elle devant son entre jambe, lui faisant raviver de salaces pensées avant de se ressaisir, reprenant le cours de son exposé.

- Mes investissements, vous vous en doutez, son conséquents et c'est pourquoi le Baron m'à confié ce poste aussi gratifiant, prestigieux que lourd d'obligations. Il me faudra donc à la fois faire revivre le Bourg que d'assurer sa pérennité. Dans ce cadre, il va me falloir trouver des partenaires, exploiter les ressources et subvenir aux besoins. Une vaste équation ma chère, mais je ne voudrais point vous incommoder dans un exposé plus détaillé qui je suppose, ne vous intéressera pas le moins du monde.

A l'image d'un barbier tenant son coupe-chou, la Couturière tenait son ruban de tissu autour du cou de son client en lui adressant un regard indéchiffrable dont le Noble ne connaîtrait jamais les tenants et aboutissants. Cependant il n'avait nullement à craindre pour sa vie, tout au plus pour son intégrité physique, mais il s'agissait là d'un avertissement silencieux dont Aelys usait parfois lorsqu'elle avait face à elle un homme potentiellement entreprenant et, n'en déplaise au Comte, les propos de celui-ci avaient fait naître chez la jeune femme une méfiance sous-jacente instinctive qui l'avait poussé à lui montrer que d'un geste, elle pourrait le blesser, quand bien même d'une part elle n'aurait pas la force nécessaire pour l'empêcher de la repousser et, d'autre part, le Banneret qui veillait ne la laisserait jamais achever quoi que ce soit à l'encontre de celui qu'il se devait de protéger. Pour autant aux yeux de la blonde cela porta ses fruits puisque lorsqu'elle se plaça à genoux devant Victor pour s'occuper de mesurer ses jambes et autres zones délicates, elle ne constata nulle réaction inappropriée tandis qu'ils continuaient leur conversation comme si de rien n'était. Fort bien, l'homme n'avait point seulement le titre, mais également de véritables manières malgré la réputation qu'il avait. A la question qu'elle lui posa sur la menace Fangeuse, elle releva les yeux en entendant la réponse de son vis-à-vis, l'observant avec une gravité teinté de volonté et d'une certaine satisfaction. Rougelac était certes beau parleur, sa verve était vive, mais il était évident qu'il avait sincèrement à cœur l'éradication des monstres occupant leurs terres et cela ne pouvait qu'inspirer l'envie de lutter sans faillir.

- Cet espoir n'est point fou, il est à mon sens essentiel à la survie des Hommes. Si nous parvenons à reconquérir les terres alentours ainsi que les petits villages, nous repousserons progressivement la Fange et aurons davantage de moyens pour lui résister.

L'on sentait que cela tenait à cœur à la Couturière de voir cette lutte prendre une tournure en leur faveur, cependant elle ne s'appesantit pas sur ce qu'elle venait de dire et reprit ses mesures avec la même application, écoutant son client évoquer ses responsabilités ainsi que les devoirs qui lui incombaient désormais. La jeune femme eut un léger sourire qu'elle chassa bien vite : décidément les hommes de pouvoir étaient tous les mêmes.

- Vous vous méprenez à mon sujet, Comte de Rougelac. L'avenir de Sombrebois m'importe autant que m'importait Traquemont et j'espère sincèrement que vous et le Baron saurez lui rendre sa gloire d'antan et en faire un pilier dans cette lutte incessante.

Elle replia son ruban tout en se relevant, époussetant sa robe d'un geste de la main devenu usuel avant de sourire légèrement, adressant au Noble un regard sérieux où brillait cette lueur qu'ont ceux qui usent de leur esprit et pas seulement de leur joli minois.

- Si je puis me permettre un conseil, ne cherchez pas du côté de la Noblesse pour vos investisseurs, fort peu y consentiront sans obtenir de pouvoir en échange, or la main-mise sur Sombrebois ne saurait échapper à son propriétaire légitime, ce serait criminel et indigne des talents que l'on vous prête.

Car Victor était connu pour ses alliances, ce que d'autres appelaient manigances, mais l'on ne pouvait nier qu'il savait mener sa barque et qu'il s'en sortait beaucoup mieux que d'autres familles qui, si elles conservaient pour elles prestige et fierté, n'en avaient pas moins perdu pour autant, bien au contraire.

- Cherchez les bonnes âmes volontaires, ceux qui veulent vivre et se battre. Montrez-leur que cela en vaut la peine et qu'ils y gagneront sur le long terme, ravivez leurs espoirs et ils sauront en être reconnaissants. Sombrebois était autrefois un grand domaine, quoi de mieux pour des gens du peuple et des bourgeois solidaires que d'en devenir un élément à part entière ? Ne leur parlez point de prestige cependant, pensez victoire, pensez à la Fange qui reculera, aux histoires que l'on contera sur eux, de l'exemple qu'ils incarneront pour les prochaines générations.

Car c'était ainsi que pensait son ami Hector et c'était de loin la meilleure façon de le faire, avec opiniâtreté et volonté, avec espoir un peu fou certes, mais néanmoins réalisable et envisageable. L'avenir appartiendrait aux générations futures, eux autres seraient considérés comme les résistants, les bâtisseurs d'un monde en ruines, ceux par qui les Hommes ne se seront point éteints. Songeant à tout cela, Aelys s'éloigna de Victor par quelques pas en arrière, lui faisant signe qu'il pouvait aller s'asseoir avant d'inviter son Banneret à se lever à son tour.

Le regard de la couturière en disait long alors qu'elle s'attaquait à la partie basse du corps de son client dans l'exercice incournable de la prise de mesure. Quand bien même la bourgeoise n'était en position de force pour se mesurer au Comte et à son imposant protecteur, elle possédait pourtant quelques atouts afin de se prémunir de tout geste qui pouvait nuir à son intégrité physique. Victor en avait pleinement conscience et d'ailleurs n'avait-il pas la moindre intention de laisser quelques places à la luxure malgré la tentation. Non, il était venu dans l'objectif de s'offrir quelques resplendissantes livrets et également s'offrir le luxe de tisser un nouveau lien. Dans cet optique, il se montra d'ailleurs bien bavard, une fois n'était pas coutume. Folie ? Que néni ! Très rapidement son instinct le reconforta dans ses choix de parler librement de choses qui pourtant ne regardait en rien la demoiselle de Beauval.

La couturière possédait beaucoup d'esprit et son jugement venait affirmer tout l'intérêt naissant que le Comte portait à son endroit. Aelys était soucieuse de voir les places fortes reprendre du terrain face à la Fange et en un sens, elle soutenait les investissements et projets de son client sur le domaine du Baron de Sombrebois qui assurément était un ami cher de la couturière. Se redressant finalement, elle le toisa de son regard brillant, un léger sourire aux lèvres avant de lui prodiguer quelques conseils et mises en gardes. Pouvait-il lui en tenir rigueur ? Non puisqu'il partageait la même philosophie que la ravissante blondinette. L'avisant alors d'un regard entendu, il prit le soin de la laisser finir son oeuvre et poursuivre le développement de son argumentaire avant de laisser la place à son homme de main.

- Si je puis vous donner un conseil, armez-vous d'un marche pied.

Dit-il légèrement taquin alors que Desmond se porta à hauteur de la demoiselle, la dépassant de plusieurs têtes. Le Ser de Rochemont était plus qu'imposant et son surnom de "Muraille" ne lui était point volé tant il était massif. Le sculpte de son corps semblait être à l'opposé de son Seigneur et les mesures de son cou, de ses hanches, de ses bras allaient prendre bien plus de temps à la couturière, sans le moindre doute. Ainsi, Victor retourna s'installer dans son fauteuil et reprit la parole afin de ne laisser quelques silences s'installer.

- Je plussoie à vos dires, mademoiselle de Beauval. D'ailleurs, mes intentions sont convergentes. Il n'est que trop judicieux de ne mêler autre sang bleu dans ce vastes projets au risque de voir mes investissements s'effondrer tel un château de carte. C'est bien pour cela que je m'emploi à éveiller l'intérêt de la bourgeoisie et du petit peuple afin de les associer à ce projet de grande ampleur. J'ai prêter serment auprès de votre ami et si vous n'êtes pas sans savoir que mes alliances sont nombreuses dans les sphères de la Haute, je m'efforce qu'aucune d'elle ne prête à ingérence. Mais bien évidemment leur diversité me permettent de m'assurer un semblant de protection. Il est ainsi plus complexe de vouloir et pouvoir me nuir.

Il laissa s'écouler quelques instants tout en admirant la ravissante jeune femme apprivoiser les galbés musculeux de son second client avant de reprendre, la mine toujours sérieuse et la verbe sans filtre aucun.

- Raviver leurs espoirs. A la bonne heure. C'est bien tout le paradoxe et pourtant la nécessité d'usage afin que puisse retrouver le domaine de Sombrebois ses plus grandes lettres de noblesse. D'un commun accord nous avons d'ailleurs convenu avec le Baron d'offrir une demeure a tout homme et femme contribuant justement à voir cet espoir prendre forme. Mais cela suffira-t-il ? J'en convient, les gens reclamerons quelques assurances et je m'emploi à leur en trouver. Mais il me faut des soutiens. Puissiez-vous dans la limite de vos capacités, porter la bonne parole, je vous en serez fort reconnaissant. Quand au reste, vais-je aussi devoir me tourner vers le Labret pour obtenir quelques alliances. Il s'agit après tout de notre "grenier" et il sera indispensable d'y quérir des ressources.

Victor laissa la couturière paufiner ses mesures avant d'ajouter, sensible à la qualité des propos et de l'esprit de la demoiselle de Beauval.

- Je ne me suis guère trompé à votre sujet mademoiselle. Votre esprit vous honore et j'oserais même dire que vous pourriez jouer un grand rôle dans l'avenir de l'humanité. Vos conseils sont bien avisé et votre discrétion semble être une grande qualité. Vous savez tout comme moi que si avenir il y a, il appartiendra à la bourgeoisie est au peuple, la noblesse perdra de son pouvoir comme un sacrifice nécessaire pour le bien commun.

Le conseil s'imposa comme une évidence lorsque le protecteur du Comte arriva à la hauteur de la jeune femme qui pour autant ne se démonta pas une seconde. Adressant un sourire ravi et assuré au géant, elle alla effectivement prendre un marche-pied qu'elle tira à l'aide d'une petite corde, plaçant le petit escalier composé de trois larges marches en bois solide qu'elle plaça près de son second client avant de grimper dessus en tenant le bas de sa robe. Une fois perchée, visiblement amusée, elle observa brièvement l'expression de l'homme avant de lui sourire de plus belle.

- Vous m'avez vu faire, vous savez donc ce que j'attends de vous Sieur de Rochemont.

Ce fut tout naturellement qu'elle prit les mesures de son cou, de ses épaules et de ses bras, l'obligeant à davantage bouger que le Comte puisqu'il était plus aisé pour le Noble de pivoter qu'elle de faire changer de place son marche-pied.

- Mon promis n'était pas aussi grand que vous, mais peu s'en fallait. C'est une chance pour vous que j'ai fait confectionner ce marche-pied à l'époque.

Lui glissa-t-elle gentiment avant que la conversation ne reprenne avec Victor, faisant dévier le fil de ses pensées, l'arrachant au passé pour revenir dans l'instant présent où des préoccupations plus graves qu'une livrée étaient au premier plan de leur échange. La mention des alliances dont bénéficiait le Noble ne tombait pas dans l'oreille d'une sourde, cependant le fait demeurait que Sombrebois ne pourrait réellement renaître que si le peuple et les bourgeois y participaient, car ils étaient à la fois les plus nombreux et ceux qui avaient le plus besoin de renouveler leur espoir. La mention d'une demeure offerte pour chaque homme et femme qui viendrait s'installer sur le domaine ne manqua pas de faire se suspendre les petites mains agiles, alors que la Couturière tournait la tête vers Victor, sa surprise augmentant plus encore alors qu'il lui demandait de porter la bonne parole sur ce point autant que possible.

- Bien des gens s'entassent ici à Marbrume dans des maisons qui tiennent plus du taudis que d'une véritable demeure.

Affirma-t-elle avec gravité, suspendant un instant son travail pour fixer le Noble avec une certaine intensité.

- La meilleure garantie que vous pourrez leur proposer est l'abri du château de Sombrebois en cas d'attaque, pour le reste je suis persuadée que l'on acceptera bien volontiers une maison en échange d'une paire de bras et de bonne volonté, pourvu qu'ils aient de quoi manger en prime. Les gens souffrent, Comte de Rougelac, je le vois chaque jour moi qui vit ici et nombre d'entre eux n'ont parfois pas même un toit au-dessus de leur tête, ni de quoi s'offrir une tunique neuve...

Elle pivota pour faire de nouveau face au protecteur de Victor, reprenant ses mesures avec une mine songeuse et passablement accablée par la misère qui régnait à Marbrume.

- Le Labret devrait accepter si vous arguez des atouts d'une alliance, ils savent que faire front commun est le meilleur moyen de lutter contre la Fange, quant à moi... Je parlerais de Sombrebois à ceux qui souhaiteront m'écouter, en espérant que cela leur apporte le réconfort et l'espoir dont ils ont besoin.

Il y eu quelques secondes de silences qui s'étirèrent, avant que son Noble client ne reprenne la parole, ne manquant pas de faire preuve d'un mélange de franchise et de flatterie que la Couturière savait n'être qu'à peine usurpée, grâce à son éducation et à son vécu.

- Je ne me suis guère trompé à votre sujet mademoiselle. Votre esprit vous honore et j'oserais même dire que vous pourriez jouer un grand rôle dans l'avenir de l'humanité. Vos conseils sont bien avisé et votre discrétion semble être une grande qualité. Vous savez tout comme moi que si avenir il y a, il appartiendra à la bourgeoisie est au peuple, la noblesse perdra de son pouvoir comme un sacrifice nécessaire pour le bien commun.

Aelys sourit légèrement, descendant de son marche-pieds pour passer à la partie inférieure du corps de son second client, s'appliquant toujours avec assiduité et concentration malgré l'échange pour le moins actif.

- Certains Nobles survivront à tout cela. Et même s'ils perdront du pouvoir, ils conserveront toujours leur influence et l'on continuera de les écouter, parce qu'ils auront fait ce qu'il fallait sans craindre de se mettre en danger ou de se salir les mains. Le peuple n'oubliera pas qui s'est battu à ses côtés, qui leur a porté secours et qui, au contraire, demeura à l'abri dans son manoir sur l'Esplanade à festoyer sans jamais les aider... Ah, pardonnez-moi, je crois que j'emporte un peu.

Elle eut un léger sourire désolé, achevant de prendre une dernière mesure avant de reculer un peu, observant avec attention le géant qui lui faisait face, son esprit errant l'espace d'une seconde sur une silhouette imaginaire qui vint se superposer à l'image de sa vision, puis finalement elle sourit gentiment, hochant la tête d'un air satisfait.

- Et voici pour vous également, Sieur de Rochemont. Soyez sûr que je ferais en sorte que vous ne soyez point gêné dans vos mouvements pour le combat.

La jeune femme replia son ruban de tissu avec la force de l'habitude, pivotant vers Victor avec un air de nouveau plus vif et alerte, visiblement ravigotée par cet échange aussi instructif qu'intéressant.

Sans broncher, l'imposant homme de main du Comte s'exécuta au bon vouloir de la couturière pendant que cette dernière continuait à deviser avec le Comte de Rougelac. Toujours aussi habile de sa verbe que de ses petites mains, la blonde donnait le change poussant donc à un diagnostique presque chirurgicale sur la situation à venir du Bourg de Sombrebois. Revendiquant tout autant la place de la populace comme celle du peuple dans un cadre dépassant les toutes les frontières, la jeune femme n'avait que trop raison et c'était presque finalement étonnant de ne pas la voir tenir un rôle plus politique dans l'univers qu'ils côtoyaient. Acquiesçant à de nombreuses reprises, Victor exprimait, transpirait de sagesse, écoutant religieusement le monologue d'Aelys qui s'entrecoupait par moment à raison de ses déplacement autour du personnage massif qui lui faisait face. Laissant finalement Sieur de Rochemont reprendre sa place sur son siège dans ce silence qui semblait plus que jamais le caractérisé, le Comte de Rougelac leva une main vers la maître couturière en signe d'apaisement.

- Vous ne vous emportez nullement ma chère. Je préfère que vous parliez librement sur ce sujet que de taire toute vérité par cet engouement qui vous anime. Vous avez milles fois raisons, le peuple saura juger , se souvenir et le mépriser serait la pire des erreurs. Il n'a peut être jamais été plus indispensable et précieux qu'en ces temps incertains. Je m'efforcerais de l'écouter et de lui donner lui insuffler l'espoir d'un monde meilleur.

Les échanges étaient effectivement des plus instructifs et il n'y avait qu'à voir l'air vif et alerte de la jeune femme pour se rendre compte que ce sujet lui tenait à cœur. Bien sure, Rougelac attendait de l'artisane qu'elle lui offre des livrets dignes de sa personne et de son homme de main et la journée n'était pas indéfini après tout.

- En tout cas, je dois bien admettre que vous êtes un personnage fascinant et je crois qu'à travers vos propos et l'espoir commun que nous entretenons, vous saurez par vos réalisations nous confectionner des apparats à la fois plaisants et riches en significations. Je vous laisserais donc œuvrer les yeux fermés, assuré que vous réussirait à toucher le subconscient du peuple comme de la noblesse, un juste équilibre parfait qui prolongera ainsi la vision et la teneur commune de nos propos.

Le choix des couleurs avaient été fait et les prises de mesures également, Aelys de Beauval était donc armé pour satisfaire à l’onéreuse commande du sang-bleu dont l'emploi du temps des mois à venir serait bien chargé. Sans doute allaient-ils prochainement se séparer, mais nul doute que nombres d'enseignements seraient tirés en chacune des parties présente.

De tous temps et en tous lieux, il est des métiers, des postes, des fonctions, qui permettent à certaines personnes sachant écouter avec attention de saisir l'ensemble des pièces qui vont et viennent sur le grand échiquier que représente le monde. La Cité de Marbrume et ses alentours, ce qu'il en restait d'encore accessible aux Hommes tout du moins, n'échappait pas à cet état de fait et Aelys avait la chance d'être bien née en plus d'être travailleuse. Son éducation couplée à sa position de bourgeoise travaillant de ses mains, probablement aussi son joli minois qui faisait se baisser la garde de nombre de gens, étaient autant d'atouts qui poussaient ses clients à se livrer, à parler sans même qu'elle n'ait à poser de questions indiscrètes. Son écoute, sa bienveillance, son absence d'ambition démesurée surtout, inspiraient confiance et libéraient la parole de ceux qui échangeaient en sa compagnie, mais c'est aussi parce qu'elle pouvait avoir une vue d'ensemble qu'elle s'abstenait de poser un seul pied en politique. Avec tout ce qu'elle voyait et entendait, avec tout ce qu'elle supputait en croisant les différentes informations, il était à son sens hors de question de risquer le courroux de qui que ce soit en prenant partie pour les uns ou pour les autres, Traquemont et Sombrebois exceptés. Traquemont était tombée, sans doute un jour serait-elle reprise à la Fange, mais cela ne serait jamais plus comme avant à présent que Iseult et Eadwin n'étaient plus là. Ne restait que Sombrebois avec Hector, probablement le dernier bastion avec le Labret pour lequel la Couturière pourrait prendre le risque de sortir de la Cité pour venir prêter main forte... un jour peut-être. Sa foi en son ami lui permettait de croire encore en l'avenir malgré la perte de son promis, tout comme feu son promis avait galvanisé sa volonté de lutter contre la Fange quel qu'en soit le prix... oui, quel qu'en soit le prix, aussi lourd fut-il à payer. Et face à elle désormais, le Comte Victor de Rougelac affirmait qu'il préférait l'entendre dire ce qu'elle pensait plutôt que de se museler, et cela lui rappela son chevalier, lui arrachant un léger sourire ravi et douloureux à la fois. Ah, tout cela était encore par trop récent malgré le temps écoulé. Les compliments qui suivirent chassèrent fort heureusement tout début de chagrin qui aurait pu tenter de revenir à la charge, Aelys inclinant la tête avec un certain ravissement. Le Noble savait certes user de flatterie, mais il savait également teinter cela d'une forme de franchise qui ne manquait pas de faire se demander où s'arrêtait le mondain et où commençait l'homme, le vrai, celui qui se cachait derrière ses nombreux masques.

- Je vous remercie de votre confiance, Comte, soyez sûr ainsi que le Sieur de Richemont que vous serez apprêtés comme il convient et que vous ne serez point déçus. J'ajouterais d'ailleurs pour vous Sieur un renfort sur l'avant afin de protéger durant les combats ce qui doit l'être, car j'imagine qu'il n'y a pas que la Fange qui puisse vous attaquer.

Elle adressa un sourire et un signe de tête respectueux à l'intention du garde du corps qui, bien que silencieux, n'en demeurait probablement pas moins attentif et alerte. C'était souvent ceux qui parlaient le moins qui en apprenaient le plus. La jeune femme délaissa ainsi le centre de la pièce pour se diriger vers son comptoir afin d'y noter les commandes, reportant sur une grande page les mesures notées à la va-vite sur le brouillon à la craie sombre qu'elle avait eu en main en même temps que son ruban, calculant mentalement et rapidement le nombre de mètres de tissu dont elle aurait besoin, le prix de la teinture que le teinturier ne manquerait pas de lui demander, le temps de travail estimé, tout cela lui faisant légèrement plisser les sourcils d'un air songeur et grave avant d'acquiescer finalement avec plus de légèreté, l'air satisfaite, relevant sur les deux hommes un regard vert émeraude pétillant.

- Vos deux habits vous reviendront à 28 pistoles et pourront être prêts dans trois semaines, mes Sirs. Souhaitez-vous payer dès à présent ou bien à la livraison ?

L'entrevue touchait à sa fin, quand bien même à l'origine il ne s'agissait que de deux Nobles venus passer commande auprès d'une Couturière de la Hanse, le fait était que les échanges avaient été instructifs pour eux trois et Aelys ne doutait pas qu'elle aurait de nouveau l'occasion de deviser ainsi dans un avenir plus ou moins proche.