[Terminé] Polychromatique [PV Lyanna & Hector]

13 Avr 1166

Le soleil commençait à descendre. C'était une fin d'après-midi fraîche et ensoleillée. Hector avait pris place dans l'arrière-cour de l'auberge des Trois Sous, et s'était avachi sur quelques bottes de paille destinées aux chevaux. D'ailleurs, Moto était là, à côté de lui, le regardant d'un œil morne bourrer sa pipe des herbes invendues sur le marché du matin. Il aimait bien, parfois, se trouver seul, et s'adonner au plaisir de la rêverie, de la contemplation, de... l'oisiveté ! comme aurait dit péjorativement Flore Maisonfort.

Cette petite arrière-cour était carrée. Un côté donnait sur l'auberge. Le côté opposé était le mur de pierre d'une résidence cossue. Un côté adjacent donnait sur les écuries et, le quatrième coté, sur un petit bosquet en pleine ville derrière une simple barrière de bois. C'était l'Esplanade après tout, il n'y avait pas grand chose à craindre des promeneurs. Et puis l'auberge n'avait rien de très onéreux à protéger. Et donc, le baron de Sombrebois, tel un garçon de ferme fainéant, profitait de la moelleuse assise de ces bottes de paille au milieu de la cour, le soleil lui réchauffant légèrement les joues. Il n'avait pas encore allumé sa pipe. Il cherchait son petit matériel adéquat.

Autour de lui, les chants des oiseaux, le bruissement du vent dans la paille, les pas des passants un peu plus loin ; mille et un petits bruits qui formaient comme une petite musique relaxante, apaisante. Il était pas bien là, notre cher Hector ? Paisible, à la fraîche, décontracté du gland ? Ah la la, une fois de temps en temps, une petite pause s'impose, n'est-ce pas ? Et bien ce jour là, en cet endroit là, c'était ça : le moment de faire un peu le point sur sa vie et son oeuvre, son passé et son futur, ou juste se la couler douce une heure ou deux !

- Bons Dieux, où j'ai mis c'foutu matériel ? s'interrogea-t-il à mi-voix.

La journée avait été belle, plus chaude et ensoleillée. Elle faisait du bien au moral, redonnait des forces, et la cité avait semblé renaître de ses cendres face à ces rayons de soleil encourageants. Les rues étaient à nouveau animées : marchés, stands, discussions. Le brouhaha apaisant de la ville reprenait son court, donnant une illusion de parfaite normalité dans cette période troublée de la fin de l'hiver.
Mais si la bonne humeur était au beau fixe dans les coeurs des habitants de Marbrume, il n'en était rien pour la voleuse qui marchait à pas lents le long des rues mondaines, le regard posé sur les pavés, l'esprit perdu dans des méandres brumeux. Sa vie avait prit une drôle de tournure depuis quelques mois et elle se sentait totalement dépassée par les événements qui étaient survenus aussi subitement que ce regain de vie dans la cité.
La rousse profitait d'un jour de congé pour se balader un peu. Voler ne lui disait rien, elle n'avait pas la tête à ça. Elle voulait se changer les idées et oublier un peu la précarité de sa situation, les intrigues fumeuses aux quelles elle se trouvait mêlé, et vivre un petit fragment de vie "normale" comme tout à chacun.
Alors qu'elle passait devant l'enseigne d'une taverne nommée "Les Trois Sous", le regard bleuté de la rousse s'arrêta sur une petite boîte faite dans un bois qui semblait assez noble, polie et ouvragée, dont les motifs gravés laissaient entendre que l'objet avait tout de même une certaine valeur. La jeune femme s'arrêta, intriguée par ce petit conteneur abandonné au milieu de la rue. Il lui semblait quelque peu familier, comme si elle l'avait déjà vu, par le passé. Curieuse, elle se baissa et le ramassa. Un simple petit crochet le maintenait fermé. Elle en examina le contenu : des mèches d'amadou, des pierres silex, et une sachet contenant, au vu de l'odeur, un mélange de plantes séchées à fumer.
Etrange... Celui qui l'avait oublier là devait s'en mordre les doigts...

- Bons Dieux, où j'ai mis c'foutu matériel ?

Lyanna tourna son regard en direction de la voix d'homme qui retentit derrière la végétation qui cachait l'arrière cours de l'établissement. Il lui sembla, là encore, qu'il y avait quelque chose de familier, à cette intonation.
Poussée par la curiosité, là encore, et la petite boîte toujours à la main, la rousse enjamba la rambarde et se faufila dans le bosquet pour pouvoir observée, sans être vu, le client affalé dans la paille qui se plaignait, pipe au bec, de ne pouvoir l'allumer.
Au premier coup d'oeil, elle le reconnut de suite.
Hector de Sombrebois... Eh bien ! Si elle s'était attendue à le croiser ce jour ! Ou à le recroiser un jour tout court ! La dernière fois qu'il s'était vu - et ça avait été la première fois aussi -, ils avaient vécu bien des péripéties, en seulement vingt quatre petites heures ! Elle s'était longtemps demandé ce qu'il était advenu de lui, après qu'elle ne se soit sauvé, prêtres aux trousses, pour lui permettre de s'envoler avec l'étrange jeune femme qu'ils venaient d'arracher à un triste sort. Il semblait allez bien, en vérité. Une bonne mine, un sourire de bien heureux... Il semblait s'être bien remis des affreuses nouvelles que lui avait donné la jeune femme, quelques temps plus tôt.
Tant mieux. Il ne méritait pas de finir ses jours à pleurer une amante perdue. D'autant qu'en vu de sa réputation, il ne devait pas se retrouver sans bonne compagnie pour partager sa couche.
Il semblait se porter comme un charme, si ce n'était qu'il cherchait vainement quelque chose qu'il semblait avoir égaré.
Sourire aux lèvres, Lyanna s'avança, car elle savait pertinemment ce qu'il lui manquait.

- Auriez vous perdu quelque chose, Monsieur de Sombrebois?

Brandissant son trésor trouvé, elle s'approcha doucement du Baron de sa démarche féline et silencieuse.

- Vous devriez faire plus attention à vos affaires... Des personnes mal intentionnées pourraient l'avoir trouvé et ne jamais vous le rapporter...

Sa voix avait un petit ton de malice.
Elle lui rendit son bien et se planta devant lui, dors et déjà raffraichit par cette rencontre à laquelle elle ne s'attendait pas.

Il reconnut cette voix malicieuse avant même de voir le visage de sa propriétaire.

- Lyanna ! Fit-il avec contentement.

Il eut pu être dérangé par nombre de connaissances... mais celle-ci n'était pas dérangeant. Elle était au contraire d'une bien agréable compagnie.

- Toujours aussi discrète, je ne vous avais pas entendu arriver !

Bon, il n'était pas vraiment aux aguets, c'était le moins qu'on eut pu dire, mais, la démarche souple et féline de la demoiselle, en plus d'être agréable pour le regard, était silencieuse et très adapté à son métier. D'ailleurs, son métier, Hector ne le connaissait pas. Il la croyait mercenaire, espionne peut-être mais...
- Vous devriez faire plus attention à vos affaires... Des personnes mal intentionnées pourraient l'avoir trouvé et ne jamais vous le rapporter...
- Heureusement que vous n'êtes pas une voleuse, Lyanna, commença-t-il en se levant et en posant une main amicale sur son épaule tandis que l'autre récupérait la caissette, sinon je pouvais dire adieu à mon petit moment de détente !

Il sourit avec chaleur à la demoiselle.
- Ça fait longtemps ! Venez avec moi, je suis sûr que vous avez le temps de partager cette récréation avec moi !

D'une main accueillant, il lui montra les bottes de paille qui formaient une sorte de canapé de fortune. Il s'y assit et, pendant qu'il s'occupait de bourrer avec application sa pipe des feuilles séchées de sauge et de chanvre, demanda à la rousse :
- Comment vous en êtes vous sortie la dernière fois ? Je m'excuse de ne pas vous avoir suivi dans les rues... mais comme vous m'aviez fait signe de rester caché... et que je vous imaginais bien plus rapide que les deux lourdeaux à vos trousses, j'ai appliqué votre plan. Et ça a marché. Alors, oui, racontez-moi votre fin de soirée !

Les feuilles étaient bien tassées alors il posa sa pipe dans la paille et, dans la caissette, alluma un petit feu qu'il transmit à la pipe via une paille bien sèche. Ensuite, il tira sur la pipe, toussa, et expira un joli petit nuage blanc qui se dissipa dans l'air frais et sous le bleu ciel de Marbrume.

Aaaaaaaaaaaaaaah, que c'est bon... Fit-il à mi voix.

Lyanna fut soulagée et heureuse de constater que le Baron, lui aussi, semblait ravi de cette nouvelle rencontre inattendu. Elle lui adressa un sourire charmant en se plantant devant lui, un regard réellement amical braqué sur son faciès joyeux.
Un léger rire s'échapa de ses lèvres.

- Je ne suis pas si discrète que cela ! C'est plutôt vous qui avez la tête dans les nuages !

En vérité, bien sûr, habituée à se faire la plus effacée possible, la jeune femme avait acquis l'art du silence dans ses mouvements et ne s'en séparait plus.
Elle produit un nouveau gloussement en entendant parler de voleuse, car bien entendu, il ne se doutait pas vraiment à qui il avait à faire.
Souriant de plus belle au contact de la main sur son épaule, Lyanna rendit sans résistance son bien au Baron de Sombrebois qui retourna bien vite sur son trône de paille allumer sa pipe. Il l'invita à le rejoindre et elle s'exécuta, prenant place à côté de lui sans pour autant le toucher, légèrement tournée vers lui pour que leur échange fut plus aisée. Qu'il était bon de paresser un instant ! D'oublier ses problèmes et ses obligations ! Un sourire de bien être s'afficha sur le visage de la rousse qui offrit son visage blême au beau ciel découvert qui les dominait. Elle posa son regard bleuté sur le Baron alors qu'il la questionnait sur la fin de leur précédente aventure, tout en tirant sur sa pipe en relâchant des voluptes de fumées blanches.
En vérité, ca avait été incroyablement facile. Peut être même trop... Presque décevant comparé à l'excitation que lui avait procuré le restant de l'épopée.

- Oh, vous savez... Ca n'a pas été très difficile de me débarasser de ces deux prêtres. Il suffisait de forcer un peu l'allure, et comme ils n'étaient pas spécialement endurants, je les ai vite distancé. Après je suis passée par les toits, pour qu'ils ne puissent pas retrouver ma trace.

Ce petit aveu ne la mettait pas en grand danger, même s'il dévoilait une autre part de ses talents et de sa personnalité.
Elle reprit gaiement :

- Eh vous, Monsieur de Sombrebois? Qu'avez vous fait après cela? Qu'en est il advenu de cette... Euh... Quel était son nom déjà? QuelqueChose-Ange?

Elle se rappelait la drôle de prêtresse à laquelle ils avaient porter secours et à cause de laquelle ils s'étaient trouvés embarquer dans leur course folle dans les rues de Marbrume. Une belle femme... Mais aussi une diseuse de bonne aventure. Elle leur avait prétendu pouvoir parler aux morts, ce en quoi ne croyait pas la voleuse, qui n'avait sans doute pas eu autant de sympathie qu'Hector à son égard.
Et encore... Elle n'avait rien vu de leur baiser...

Elle avait la grâce d'une panthère et le don surprenant de pouvoir éclairer un peu plus encore une journée pourtant bien ensoleillée ! Elle s'assit à côté du baron qui aima sa chaleur et l'imita lorsqu'elle tourna son doux visage vers le ciel.

- Cette journée sera l'exact opposée de notre dernière entrevue ! vous verrez !

Et tandis qu'il allumait sa pipe, Lyanna lui compta la fin de cette fameuse nuit d'action. Tout s'était bien fini pour elle et Hector en fut ravi. Il commença à fumer, donc, et quand ce fut à son tour de raconter sa fin de soirée, il passa sa pipe à la voleuse, lui proposant d'un geste de la main, d'y goûter tranquillement.

- Et bien c'est une histoire bizarre : nous nous cachâmes donc dans ce renfoncement dans la rue... et Marie-Ange m'embrassa... prétextant que c'était ce que je souhaitais ! J'vous avoue que ça ne me déplu pas malgré le fait que ce n'était pas vraiment un souhait que j'avais ! Enfin... Une fois la menace passée, nous nous rendîmes rapidement à mon auberge pour y passer la nuit...

Devait-il lui raconter la nuit ? Les quelques inhalations de pipe l'avaient déjà un peu désinhibé mais c'était encore insuffisant pour raconter ce genre de choses ! A moins qu'elle ne lui en demande plus, il allait se contenter de :

- Et le lendemain matin, nous partîmes à la première heure pour Sombrebois. Marie-Ange prit la précaution de se cacher sur le plateau de ma charrette, sous une toile de jute, au milieu des caisses de légumes, de chanvre et de sauge. Dans Marbrume, j'avoue que je n'étais pas des plus rassuré. La vue des prêtres me faisait craindre le pire... Mais bon, ils ne semblaient pas s'intéresser à moi. Le fait que nous n'ayons pas eu à les combattre frontalement - et ce grâce à vous ! - Sa main se posa sur l'avant bras de Lyanna. m'a sans doute permis de ne pas être reconnu et de pouvoir quitter Marbrume sans encombre. Et puis... étant légèrement connu... et ma réputation n'étant pas des meilleurs... mieux valait ne pas être associé à l'histoire de Marie-Ange. Sa main prit position derrière sa tête pour se caler plus confortablement encore.
Une fois hors des murs de la cité... et même un peu après, lorsque nous quittâmes les faubourgs, là seulement Marie-Ange me rejoignit sur le banc de l'attelage, soulagée. Le reste du voyage se passa pour le mieux... pas de fangeux ou de brigands cette fois là.

Cela n'expliquait ni où et comment il passèrent la nuit étape, ni le rôle qu'avait actuellement la prêtresse à Sombrebois. Mais pour l'heure, Hector arrêta là son histoire, prenant le temps de plonger ses yeux aux iris noisette dans la clarté de ceux de Lyanna. Il lui sourit à pleine dents.

- Alors, cette pipe, qu'en dîtes vous ? Pas mal hein ?!

Jamais client ne s'était plein du goût de son mélange d'herbes. Ses effets seulement pouvaient parfois gêner mais c'était rare. La plupart des gens avaient plutôt tendance à en redemander. Dans la sombre cité de Marbrume, l'on cherchait à oublier le quotidien ou à prendre un peu de ces couleurs artificielles pour rendre la noirceur plus douce, plus agréable ; offrir aux bâtiments aux arrêtes si rudes, des courbes abstraites et des teintes polychromatiques...

Lyanna regardait le Baron, un sourire aux lèvres. Contrairement à beaucoup de nobles qu'elle avait récemment eu la possibilité de rencontrer et fréquenter, Hector, lui, ne lui était pas désagréable. Il n'usait pas d'elle comme d'un pion, ne se jouait pas d'elle, ne la forçait à rien... C'était plutôt le contraire. Il était vrai que leur folle épopée passée avait été des plus mouvementées, aussi bien stressantes qu'éprouvante. La peine de l'homme restait gravée dans sa mémoire, alors qu'elle revoyait la scène où elle avait été contrainte de lui apprendre la disparition de Kira de Terresang, son ancienne amante. Son visage déconfit, ses yeux perdus dans le vague, sa main sur la sienne... La voleuse, pourtant pas coutumière à ce genre de tragédie, s'était sentit envahie d'une compassion à laquelle elle ne s'était pas attendue. La personne de Sombrebois était attachant et si humain...
Elle en oubliait les dures épreuves qu'elle venait d'endurer, ainsi que la situation précaire dans laquelle elle se trouvait plongée.

A demi tournée vers lui, elle écouta le récit qu'il avait à lui faire quant à sa propre fin de leur précédente rencontre. Il fallait avoué... Qu'elle ne s'attendait pas à ce qu'elle allait entendre. Pourtant, elle n'en fut pas vraiment étonnée.
Hector lui apprit donc que, si tôt la rousse les avait propulser tout deux dans le renfort du mur pour les protéger de la vue de leurs poursuivants, que déjà la dénommée Marie-Ange ne s'était pas fait prier pour joindre ses lèvres à celles du noble. Bien sûr, ce cher Baron, pour ne pas la vexer n'en doutons pas, ne l'avait pas repousser. Une fois la voleuse partit, il semblerait que leur petite escapade n'avait pas été des plus désagréable, ni pour l'un ni pour l'autre.
Lyanna leva un sourcil, témoignant son étonnement comme une forme de réprobation.
Ah bah ça, c'était du joli tiens...
Il n'avait pas besoin d'entrer dans les détails pour qu'elle devine de tout les tenants et aboutissants de cette soirée passé ensemble à l'auberge. Personne n'aurait été dupe.

- Eh bien, on dirait que votre soirée a été bien plus mouvementée que je ne l'aurais supposé, Monsieur de Sombrebois ! Vous ne perdez pas de temps... Et ne trahissez pas votre réputation...

Toute jeune femme ne vivant pas recluse chez elle n'ignorait pas la scandaleuse rumeur - qui n'en était plus tant une, à force - au sujet du Baron. Un coureur de jupons invétéré, un homme à femmes, un libidineux et charmeur aux attraits de bon vivant. Son personnage était, semblerait il, à la hauteur de la légende qu'on lui avait octroyé. Il fallait dire que le scandale avec la belle Kira suffisait lui même à faire valoir sa popularité.
Lyanna récupéra la pipe qu'on lui tendait et la regarda un moment, en hésitant. Elle n'avait pas coutume de ce genre de pratiques. Il fallait dire que pour survivre, quand on est une femme de son genre, seule, il vaut mieux garder les idées en place et les réflexes sur le qui-vive. Mais là, dans cette arrière cours, avec Hector, elle ne risquait à priori pas grand chose. Et elle mourrait d'envie de se plonger dans un état relativement second, de se détendre un peu, et de chasser les gros nuages qui surplombaient sa vie depuis quelques temps. Aussi, elle porta l'objet à ses lèvres, inspirant une petite dose.
Si tôt, elle fut prise d'une quinte de toux. Elle se reprit au bout de quelques secondes, et se risqua à nouveau à en aspirer une bouffée. Pas de quinte de toux cette fois. Elle laissa s'échapper la vapeur doucement de ses lèvres, en une petite traînée blanche qui s'évaporait rapidement une fois chassée par la brise.
Pas d'effet particulier, pour l'heure, juste le sentiment grisant de faire quelques choses qu'elle n'avait encore jamais fait de sa vie, tranquillement, avec une personne qui ne lui voulait pas du mal.
Le Baron enfonça ses yeux bruns dans les siens, lui souriant amicalement. Elle répondait à cette chaleureuse marque de la même façon, lui tendant sa pipe pour qu'il la récupère.

- Ce n'est pas désagréable... Mais je crains ne pas avoir beaucoup de point de comparaison, c'est la première fois que je me laisse tenter. Vous fumez souvent ces herbes?

Elle s'installa à son tour plus confortablement, se couchant presque en totalité sur la botte de paille. Une de ses jambes restait à pendre, alors que l'autre pied s'était posé sur son rebord. La tête renversée, s'offrant aux rayons chauds du soleil, elle regardait le ciel bleu dans lequel se chamaillaient quelques oiseaux. Ses mains étaient reposées sur son ventre.
Sans le regarder, la rousse souriait pourtant. C'est d'une voix guillerette et quelque peu amusée qu'elle étancha sa curiosité, reprenant le court de leur discussion.

- Eh donc... Cette... Marie-Ange... Qu'est elle devenue, à présent?

Ah sa réputation ! Voilà qu'elle réapparaissait là, au détour d'une conversation amicale, alors que le baron s'apprêtait à s'offrir un moment de calme et de volupté. Mais... non, ce n'était pas ça qui allait l'énerver ! Il rit doucement dans sa barbe à son évocation.

- Tant que ma réputation ne vous fait pas fuir, elle ne me dérange pas !

Et voilà. Le baron reprit sa pipe et, en inspirant profondément sa fumée délicieuse, oublia complètement tout ce qui aurait pu le tracasser. C'était aussi simple que ça.

- Je fume bien moins souvent que mon cousin Florian. C'est d'ailleurs lui qui a inventé cet objet et qui a eu l'idée d'y fumer les feuilles de chanvre et de sauge. Je crois qu'il avait par erreur fait brûler ces plantes et c'était aperçu, en éteignant l'incendie, que l'inhalation de leur fumée était... disons... agréable. Il a alors cherché à construire une mini-cheminée et c'est ainsi qu'est née la pipe de Sombrebois... et j'avoue que c'est la meilleur trouvaille qu'il n'ait jamais faite ! Elle nous rapporte de l'argent et... vous verrez, ça détend ! Et même parfois - je ne saurais pas trop vous dire ni pourquoi, ni comment, ni quand exactement - elle nous fait... disons... voir les choses différemment !

Le baron regarda la demoiselle s'installer plus confortablement, s'allongeant presque dans une position plaisante au regard. Hector laissa ses yeux se poser sur le pantalon serré, le chemisier entrouvert qui laissait entrevoir la naissance d'une poitrine généreuse...

- Eh donc... Cette... Marie-Ange... Qu'est-elle devenue, à présent ?

Elle avait les yeux tournés vers le ciel et sa belle chevelure rousse était éparpillée sur et autour de ses fines épaules. Et elle souriait. Hector tira de nouveau longuement sur la pipe, sentant une langueur sereine s'emparer de lui.

- Une fois à Sombrebois, elle est devenue la prêtresse de nos terres... et elle s'occupe aussi de soigner nos blessures. Cette rencontre impromptue a finalement été bienvenue, nous n'étions pas très doués pour les bandages et les potions. C'est important d'avoir quelqu'un comme elle dans un endroit reculé comme Sombrebois.

Il tendit la pipe à Lyanna.

- Tenez, jeune fille.

Il écoutait les chants merveilleusement mélodieux des oiseaux. Il devait s'agir de champions rossignols pour chanter aussi bien ! Hector tourna la tête à droite et à gauche pour tenter de trouver l'origine de ce chant bienfaisant.

- Vous entendez cette mélodie ?! Fit-il avec étonnement et fascination.

Cela venait du petit bosquet. Le baron se pencha un peu au dessus de Lyanna pour regarder s'il voyait quelques oiseaux chanteurs... mais il n'en vit pas. Harassé par cet effort intense, il se laissa retomber à sa place, ne se rendant pas compte qu'il avait frôlé Lyanna et que son bras était maintenant collé à celui de la rousse. Il ressentait seulement une agréable sensation de chaleur comme si l'été avait déjà succédé au printemps.

- Qu'il fait bon aujourd'hui ! Fit-il d'un air enthousiaste.

Lyanna tourna doucement son regard bleuté sur le baron qui lui expliquait alors l'origine du drôle de petit objet qu'ils s'échangeaient tout deux. Elle l'écoutait patiemment et avec attention. Une belle invention, en effet ! Une idée qui avait du permettre à son créateur de se mettre à l'abris du besoin pour un bon moment. Elle lui souriait poliment, appréciant ce petit moment de repi dans la vie qu'elle menait depuis plusieurs longues semaines, et qui lui en faisait voir de toutes les couleurs.
Le Baron enchaîna, répondant à sa question à propos de la belle prêtresse qu'ils avaient tout deux secouru. Elle s'allongea et tourna son regard vers le ciel avant de fermer les yeux. La chaleur des rayons du soleil sur son visage contrastait avec le froid qu'il avait fait durant l'hiver. Ils étaient prometteurs, comme une promesse que les beaux jours reviendraient bientôt, que le plus dur était désormais passé. Bientôt fleuriraient les fleurs, chanteraient les oiseaux... La ville serait à nouveau rempli d'animation et d'une certain joie face au retour tant attendu de l'été. Les affaires reprendraient pour tout à chacun, offrant de meilleures perspectives de survie à tous. Beaucoup se diraient que les choses ne pourraient aller que mieux...
Pas elle.
Malgré cela, la douce caresse de la lumière sur sa peau blême réchauffait son coeur et éclairait son visage d'un fin sourire de bien-être.
Elle écoutait distraitement, mais néanmoins sans perdre une seule information, les nouvelles qu'Hector avait à lui offrir sur la diseuse de bonne aventure. Ainsi, demeurait elle désormais à Sombrebois, avec notre cher Baron qui devait s'en faire une joie ! Elle était bien jolie, cette petite traîtresse des Trois, et il lui avait dors et déjà avouer son trouble et son attirance à son égard. Visiblement, ce n'était pas que ces capacités charnelles qu'elle avait eu à offrir, car il lui parla de qualité en tant que soigneuse, de potions, de bandages... Elle se rendait utile en somme, et c'était une bonne chose. Lyanna n'osait imaginer les dangers terribles qui sévissaient au dehors. Si elle ne se servait pas de sa position de prêtresse que pour répandre la parole des morts et séduire les nobles, c'était plutôt une bonne chose.

- Tout et bien qui se finit bien alors, j'imagine?

Elle se sentait relativement détendue, ainsi affalée dans la paille. Elle s'était offerte, grâce aux paies des Rougelac - mari et femme -, une tenue plus pratique pour ses affaires diverses : un pantalon sombre et serré, ainsi qu'une chemisette blanche et élégante. Le tout lui offrait une liberté de mouvement sans précédent, lui permettant de se concentrer sur ses missions, sans se soucier d'en dévoiler un peu trop dans un faux mouvement. Elle était satisfaite de cet achat, bien qu'elle fut plus que frustrée de n'avoir que très peu de temps pour la mettre à profit.
Le Baron lui tendit sa pipe pour qu'elle puisse y goûter à nouveau. Sans changer de position, elle l'apportait à ses lèvres et en tira plusieurs petites bouffées, sans s'étouffer cette fois. Elle se fit une fois de plus la réflexion que les propriétés qu'on accordait à ce curieux mélange était bien loin de faire l'effet qu'on rapportait. Elle se sentait inchangée. Si ce n'était peut être qu'elle était bien plus détendue...
Lorsqu'Hector se pencha par dessus elle, son instinct la poussa à réouvrir les yeux et à le détailler dans ses gestes sans bouger pour autant d'un pouce. Elle n'était pas l'objet de sa curiosité, c'était plutôt le buisson, non loin d'elle, d'où s'élevait une extraordinaire mélodie. Pour sûr, ce chant était l'un des plus beaux qui lui avait été donné d'entendre. Cristallin, mélodieux, il mettait en gaieté la voleuse qui tournait à son tour la tête pour en chercher les investigateurs. Impossible... Les petits malins s'étaient bien caché.
Hector se laissa retombé lourdement à côté d'elle. S'ils étaient plus proche l'un de l'autre à présent, la jeune femme ne sembla pas s'en rendre compte. Son esprit était quelque peu ralenti, et elle scrutait avec fascination le ciel avec la curieuse impression qu'il n'avait jamais été si bleu par le passé.
Les volutes de fumées blanches continuaient de virevolté autour de nos deux compagnons, tendit qu'elle les laissait s'échapper doucement de ses lèvres.
Sa voix avait un petit timbre curieux, une note de béatitude dont elle se surpris elle même.

- C'est même incroyable comme il peut fait bon et beau, alors qu'il y a peu de temps encore tout était si triste et froid...

Elle rendit sa pipe au baron, non sans lui accorder un petit sourire.
Si la douce musique des oiseaux et de la ville en arrière fond était des plus agréables, notre espionne était d'un naturel curieux, et ne tarda pas à reprendre ses habitudes en questionnant de nouveau son compagnon de repos.

- Alors, dites moi... Qu'avez vous fait avec Marie-Ange?

Elle s'empressa de rajouter, se rendant compte du côté ambigu de sa phrase.

- Je veux dire, avez vous parlé? Vous a-t-elle assuré pouvoir parler avec feu vos proches? Mais surtout, plus intéressant encore, y avez vous cru? Je serais curieuse de savoir, si c'est le cas, quel genre de balade elle a bien pu vous raconter...

Il semblait plus qu'évident que la rousse n'en croyait pas un traître mot. La mort était pour elle quelque chose de définitif, sans retour possible. C'était une pensée rassurante pour cette voleuse sans attache, sans famille, sans personne... Car l'idée de fantômes parlant de l’au-delà était quelques choses d'angoissant...
Surtout lorsqu'on repensait que l'un deux détenait le secret de sa liberté... et du sang qu'elle avait sur les mains.

- Tout est bien qui se finit bien alors, j'imagine?
- Oui, vraiment... J'vous avoue que j'avais une petite appréhension au vue des raisons de sa fuite... et de... son attitude à mon égard. Mais - bon elle n'est pas toujours avec moi - mais elle ne fait rien de mauvais pour les habitants de château ou pour moi-même.

Le baron ne savait évidemment pas ce que la jeune prêtresse pouvait faire de ses nuits. Des incantations, des expériences qu'elle menait lorsque chacun dormait paisiblement... Mais comme il l'avait dit, elle ne nuisait en rien à la vie à Sombrebois.

Lyanna passa de nouveau la pipe au baron qui répondit au joli sourire de celle-ci par un petit hochement de tête et un sourire amical... qui se transforma rapidement en un éclat de rire joyeux et naturel lorsque la jeune femme lui demanda ce qu'il avait finalement fait avec l'entreprenante prêtresse. Voulait-elle savoir s'ils avaient couché ensemble ? Il le crut un instant... jusqu'à ce qu'elle ajoute, visiblement confuse :
- Je veux dire, avez vous parlé ? Vous a-t-elle assuré pouvoir parler avec feu vos proches? Mais surtout, plus intéressant encore, y avez vous cru? Je serais curieuse de savoir, si c'est le cas, quel genre de balade elle a bien pu vous raconter...

Le baron essaya de se calmer mais il n'y parvint pas. Son rire le dépassait complètement. Il était submergé par ce fou rire qui dû faire peur aux petits volatiles chanteurs car on n'entendit plus du tout leurs jolies mélopées (ou étaient-elle seulement couvertes par le rire tonitruant du baron ?).
- ... Oh mes Dieux ! Vous allez me tuer Lyanna ! Fit enfin le baron, une fois qu'il eut retrouvé ses esprits.
- A dire vrai, je ne lui ai pas demandé quoi que ce soit à ce sujet. Je... ne voudrais pas parler à mes aieux. Ils sont avec les Trois et je suis en charge de Sombrebois. Les choses sont ainsi, et je ne souhaite pas qu'elles soient autrement. Ah la la, sans blague... vous m'avez eu... mais je suis sûr que vous aimeriez savoir...

Il fit un clin d'oeil à la rouquine et garda son visage bonhomme tourné vers celle-ci.

- Ce qui s'est passé à l'auberge n'est pas vraiment secret. Vous connaissez ma réputation de toute façon ! Ah ah ah ! Donc, oui, évidemment, j'avais qu'une chambre puisque j'étais seul... et à l'heure où nous rentrâmes à l'auberge, évidemment, il y avait de fortes chances qu'aucune autre chambre ne soit disponible... mais à vrai dire, ni elle ni moi ne posâmes la question. J'emmenai directement Marie-Ange dans ma chambre, autant pour sa sécurité... que parce que je... disons, je n'étais pas contre un peu de chaleur. Son baiser, un peu plus tôt, sans pour autant m'avoir mis en appétit, avait créé une sorte de proximité entre nous. Je ne craignais rien d'elle, en fait !

Le baron posa un chaste baiser sur la joue de Lyanna.

- Voilà, comme ça, avec vous aussi, je ne craindrais plus de devoir partager une chambre avec vous !

Il prit une longue inspiration de la pipe enchantée. Il faisait vraiment chaud à présent.

- Donc après ça, nous nous déshabillèrent et allâmes sous la couette. La bougie éteinte, elle dit quelques prières aux Trois, puis je fermai les yeux. Là, honnêtement, dans un p'tit coin de ma tête, je me disais que rien n'allait se passer, que son baiser précédent était peut-être sa façon à elle de briser la glace ou de me remercier. Et j'en étais un peu déçu car... et bien, dans cette situation, allongé dans le lit à côté d'elle - et ma foi elle n'était pas repoussante ! - mon esprit rêvait de plus de sensualité... Bizarrement les prières et le silence de Marie-Ange - et sa condition de prêtresse - m'empêchèrent de faire un geste vers elle... et au bout de quelques instants... une minute peut-être ou cinq... je ne saurais dire vraiment... j'entendis les draps bouger légèrement et je sentis... quelque chose comme ça...

Il se mit sur le côté, posa sa main sur le poignet de Lyanna et remonta lentement, très lentement, caressant son bras en direction de l'épaule... C'était comme un extraordinaire voyage. La peau de la voleuse, sous ses doigts, semblait extraordinairement douce et chaude et soyeuse et voluptueuse et fraîche et délicate et agréable. Hector ferma les yeux et inspira profondément. Il était si bien là. C'était un moment de repos parfaitement parfait. Même les petits oisillons s'étaient remis à siffloter, même le vent maintenant les accompagnait d'un bruissement mélodieux, comme un hautbois lointain joué par un troubadour las. Il arrivait tranquillement vers la courbe de son épaule qui lui fut interdite par le tissu si rêche et froid et insensible de la chemisette blanche...

Dommage !

Arrivée au bout de son beau voyage, la main du baron alla s’enfoncer dans la paille derrière sa tête... Ainsi allongé, son bras se reposa de ce beau périple et il rouvrit les yeux. Le ciel, derrière le visage de Lyanna, avait les couleurs les plus brillantes qu'il n'eut jamais vu. Elles allaient du bleu de méthylène à l'indigo des nuits tropicales en passant par le fuchsia des fleurs des jardins ducaux...

- Oh, fit le baron avec surprise, beauté !

Ce qu'il y avait de rassurant dans la réponse du baron, c'était qu'il semblait avoir conscience que les prétendus pouvoirs de la prêtresse n'étaient peut être que des mensonges et qu'ils pouvaient s'avérer dangereux pour les personnes capables de croire en pareilles sornettes. Bien sûr, Lyanna ne prétendait pas tout savoir ni comprendre, loin de là d'ailleurs. Mais tout de même... Communiquer avec les morts...
Le Baron, toujours bien jovial, semblait néanmoins bien plus heureux qu'il ne l'avait été lors de leur dernière rencontre. Il fallait dire que ce jour-là, il avait été quelque peu saoul, ils s'étaient mis tout deux dans des situations bien dangereuses, et Hector avait de plus appris de fâcheuses nouvelles de la part de la jeune femme. Mais là, il semblait tout particulièrement en joie de se trouver ici, à se prélasser dans la paille, en fumant sa pipe, en sa compagnie. C'était une constatation qui réchauffait étrangement le cœur de la voleuse, qui ne s'était jamais sentit appréciée par qui que ce soit en ce monde, et moins encore que jamais ces derniers temps passés.
Lyanna pourtant ne put réprimer un petit sursaut lorsqu'un rire franc et joyeux s'éleva de la bouche du Baron. Elle ne s'y était pas attendu et demeurait perplexe à regarder son compagnon s'esclaffer sans comprendre la raison de cette hilarité soudaine. Pourtant, ce rire avait un petit quelque chose de contagieux, et la rousse elle même ne put réprimer un gloussement en le voyant ainsi.
Elle fut néanmoins rassurée de constater qu'Hector ne s'était pas laissé corrompre par les pratiques et élucubrations plus que douteuse de Marie-Ange. Il n'était pas bête, ce Baron de Sombrebois. Mieux valait laisser les morts – et leurs terribles secrets – là où ils étaient, et vivre dans le présent en compagnie de ceux qui respiraient encore, en tâchant de rejoindre les défunts le plus tard possible.
Ainsi couchés l'un à côté de l'autres, on eut dit deux vieilles connaissances conversant de tout et rien en profitant d'une belle après midi ensoleillée. Les tracas, les dangers et la fatalité étaient loin derrière eux et ils passaient tout bonnement un bon moment dans l’innocence la plus parfaite. Le monde semblait être un petit cocon joyeux et lumineux, calme et paisible, qui leur appartenait à eux seuls.
Les explications – qu'elle n'avait en aucun cas demandé, soit dit en passant – qui suivirent firent monter le rouge aux joues de la voleuse qui s'agita un petit peu, mal à l'aise qu'il n'aborde plus profondément ce sujet. Et elle n'était pas encore au bout de ses surprises, puisque l'homme approcha alors son visage et déposa un bref baiser sur sa joue. Les yeux bleus de Lyanna s'arrondirent, et elle porta doucement un main à l'endroit où c'était fait le contact de ses lèvres. Là encore, ce n'était pas le genre de choses à lequel elle était accoutumée. Plus gênée que jamais, elle détourna le regard vers le ciel, et ne parvint pas à trouver le souffle pour le couper dans son récit qui ne risquait pas de la mettre davantage à l'aise.
La jeune femme suivit du regard la main du Baron qui venait se poser sur son poignet et qui remontait doucement en une caresse tout le long de son bras. Parcourue d'un frisson, la jeune femme regardait tour à tour la main d'Hector puis le visage de son compagnon aux yeux encore clos. Que faisait il, là au juste? Pourquoi se laissait elle faire? Elle ne bougeait pourtant pas d'un pouce, ne trouvait pas un mot à dire... Les idées un peu confuses, elle ne se rendait sans doute pas compte que la pipe aux effets extraordinaires faisait peu à peu son oeuvre. Arrivant en bordure de son vêtement, le Baron s'arrêta et reposa son bras dans la paille non loin d'elle. Elle sentit un certain soulagement la gagner, bien que la caresse ne fut pas désagréable au demeurant.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, le Sombrebois contempla le ciel dont les nuances de bleus avaient un éclat des plus surnaturels. Lyanna elle, demeurait rougie, fixant son interlocuteur avec une incompréhension certaine. Ignorer? S'expliquer? Le repousser tout à fait?
Finalement, elle lui reprit doucement la pipe des mains et tira dessus doucement en laissant s'échapper doucement la fumée de ses lèvres.

- Pourquoi me racontez vous tout cela, Hector? Je ne vous en avais rien demandé. Vous êtes un grand garçon, bien en droit de faire ce qu'il veut avec qui il veut. Et je ne doute pas en vue de votre dîte réputation que vous savez y faire pour charmer les dames...

Elle lui adressa à son tour un petit clin d’œil, retrouvant un léger sourire béa, alors qu'elle reprenait de sa voix adoucie par la sérénité de l'instant.

- On peut dire que vous n'avez pas perdu de temps à vous remettre en scelle en tout cas ! A peine votre amante disparue, vous trouvez déjà le réconfort dans les bras de la première prêtresse fugitive venue.

Un rire léger lui échappa, alors qu'elle tirait une nouvelle fois sur la pipe. Puis tournant son regard azuré sur le Baron, elle comprit alors à quel point ses propos auraient peut être don de heurter son compagnon et de lui gâcher sa bonne humeur comme son après-midi.

- Excusez moi, Hector... Ce n'est pas ce que je voulais dire... Je ne voulais pas vous blesser ni vous faire de peine...

Elle se mordit la lèvre inférieur, désolée du fâcheux propos qu'elle venait de tenir bien malgré elle.

La voix de sirène de la jolie rousse chanta une gracieuse mélopée aux oreilles du baron :
- Pourquoi me racontez vous tout cela, Hector ? Je ne vous en avais rien demandé. Vous êtes un grand garçon, bien en droit de faire ce qu'il veut avec qui il veut. Et je ne doute pas en vue de votre dite réputation que vous savez y faire pour charmer les dames...
- Da da la la laaaaa ! Commença le baron pour accompagner la chanteuse, avant de mettre quelques paroles sur son joli swing,
Mais j'avais enviiiiiiie
De vous raconteeeeeeeer
Tout c'que l'on a fééééééééé
Avec Ange-Mariiiiie

Et lorsqu'elle se permit une remarque sur sa promptitude à la consolation, il ajouta :
Mais voyons Lylyyyyyyyyy
Je n'vous ai pas diiiiiiiiit
Que son corps je priiiiiiiis
Dadibababiiiiiiiii

La voix n'était pas très juste mais pourtant Hector se plaisait à chanter. Lui-même trouvait sa voix particulièrement harmonieuse et musicale... Ca y est, il avait un nouveau don pour le chant !

Ne trouvez vous paaaaaaas
Jolie Lyannaaaaaaa
Qu'j'ai une jolie voooooiiiiix
Chantez avec mooooooiiiiii !

Et il entonna une petite ritournelle fort amusante ; une chanson de son enfance qu'il avait oublié mais qui lui revenait en tête à présent :
Je chante, je chante soir et matin
Je chante sur mon chemin
Je chante, je vais de ferme en château
Je chante pour un peu d'eau
Je couche dans la paille avec les ch'vaux
Je couche je fais dodo

Avec moi Lyly !

et puis tout en chantant, il changeait les paroles...

Je chante, je chante soir et matin
Je chante sur mon chemin
Je chante, je vais de bar en taverne
Je chante pour un bon vin
Je couche dans la paille avec lya
Je couche je tire... une latte !

Il ne chantait pas particulièrement fort, mais il était heureux, s'amusait follement ! Il récupéra la pipe et fit ce qu'il avait chanté. Il regarda sa voisine et vit qu'elle faisait la planche, sur une eau aux reflets rouge orangé. La baignade avait l'air agréable car elle souriait abondamment. Hector, qui avait toujours aussi chaud, plongea sa main dans l'eau.

- Mmmmmmh, elle est bonne, ça donne envie de se baigner ! Fit-il lentement.

Sa main caressa la longue chevelure rousse posée sur la paille et il ferma les yeux trente secondes.

- Allez, à l'eau !

Il redonna la pipe à Lyanna, se mit à genou à côté d'elle et plongea dans l’océan rubis si doux et si chaud.

- Venez, n'ayez pas peur, elle n'est pas profonde ! Conclut-il en relevant la tête un instant.

Ce fut une véritable surprise que de voir le Baron pousser la chansonnette au beau milieu de leur conversation. Lyanna en demeura d'abord perplexe, fixant le visage d'Hector avec de grands yeux ronds aussi étonnés qu'inquiets. Qu'est ce qui lui prenait subitement? Avait il abusé de la boisson avant qu'elle ne le rejoigne? Ou était ce l'un de ces fameux effets euphorisants qu'il vantait à sa pipe de Sombrebois qui le rendait si guilleret et enjoué?
Passé l'effet de surprise, la jeune femme laissa un grand sourire étirer ses lèvres sans quitter du regard le curieux personnage qui continuait sa mélopée à voix basse. Sa voix était agréable à l'oreille, même si le ton n'était pas tout à fait juste, et que même en n'étant pas experte en matière de chant et de musique, elle devinait qu'il manquait sans doute d'entraînement en cette discipline. La mélodie n'en était pas moins douce à entendre et des plus amusantes.
Lyanna se prit même à glousser un peu, sans l'interrompre pourtant, profitant de ce curieux spectacle avec une frivolité qui ne lui était aucunement coutumière.
La rousse se laissait même entraîner dans son jeu, répétant après lui le petit refrain qu'il entamait alors qu'il lui demandait de joindre la voix à la sienne. Si elle y avait prêté attention, sans doute aurait elle remarqué qu'elle aussi était loin d'être tout à fait dans son état normal. Elle ne chantait jamais... Déjà, parce qu'elle n'avait jamais appris à le faire. Ensuite, parce que sa vie l'avait toujours poussé à rester le plus discrète possible. Or, c'était avec une certaine allégresse qu'elle fredonnait avec lui de sa voix suave et douce qui lui était propre. Sans doute ne chantait elle pas très juste, elle aussi. Mais il lui importait peu. La situation et le jeu était bien trop amusant pour que l'on se concentre sur ce genre de détail.
La pipe revenue dans ses mains, elle tirait de nouvelles bouffées sur l'instrument, prêtant guère attention aux conséquences de la drogue lui vrillant l'esprit, ne prêtant d'ailleurs attention à rien du tout. Il était bon de se laisser aller, de lâcher prise, de s'enfermer dans un petit monde irréel loin des sombres nuages de la vie de tout les jours. C'était un état qui lui plaisait, dans lequel elle se sentait bien et détendue. Le Baron était de bonne compagnie dans cette après-midi particulière et elle le trouvait bien divertissant et agréable comme compère de paresse.
Lorsqu'il eut finit sa chansonnette, Lyanna le détailla avec un sourire aux lèvres. Si elle remarquait ses pupilles dilatées et son regard absent, elle ne réfléchit pas un instant à l'état dans lequel elle se trouvait elle. Elle trouvait simplement qu'il faisait chaud, qu'il était bon de se trouver dans cette paille moelleuse, et que la lumière ne lui avait jamais semblé aussi forte et colorée qu'en ce jour.
La main d'Hector se posa dans ses cheveux. Il se trouvait quelque peu au-dessus d'elle et, bizarrement, elle ne se sentait pas autant oppressée qu'elle se sentait d'ordinaire lorsque l'on s'approchait trop prêt d'elle. Elle demeurait souriante, dévisageant l'homme sans bouger d'un pouce, admirant le ciel dans lequel semblait tourbillonné milles et une nuances de bleu dont elle n'avait encore jamais eu le luxe d'admirer la couleur. C'était tout bonnement sublime, et la silhouette du Baron créant une ombre dans ce faisceau de lumière faisait de sa vue une tableau des plus uniques, impressionnants, marquants.

- C'est une bien jolie chanson que vous m'avez offert là ! Peut être devriez vous vous faire engager comme barde ! Vous auriez du succès, cher Hector ! Votre voix est presque aussi belle que le ciel qui nous domine aujourd'hui !

Mais le Baron semblait dans un autre monde... Tout comme elle d'ailleurs, mais leur mondes ne devaient pas être tout à fait les même, parce que d'un seul coup, il se jeta par-dessus elle. Une partie de son corps - son ventre? ses hanches? ses jambes? son buste peut être? - retomba contre son ventre et elle en eut un bref instant le souffle coupé. Le visage de l'homme s'enfuit dans ses longs cheveux sauvages répandu tout autour de sa tête et il sembla parler de se baigner, ou quelque chose de ce genre.
Un véritable fou-rire entre la surprise et l'amusement secoua la voleuse, qui, ainsi coincée, n'était pas en mesure de faire grand chose. Elle n'avait pas mal, cependant. Si Hector était un bon gaillard, il ne lui était pas tombé dessus comme une grosse pierre, et elle ne chercha même pas à se débattre.

- Mais enfin qu'est ce qui vous prend ?! Que faites vous ?!

Sa voix était aigu, secouée de rires, et elle semblait ricocher sur les murs de la cours toujours envahie par une fanfare d'oiseaux dont les mélodies désordonnées créaient une folle symphonie des plus endiablées et émouvantes.
Tournant la tête vers son interlocuteur qui relevait brièvement la sienne de sa chevelure rousse, elle lui adressant un nouveau sourire tout en continuant de rire. Puis elle posa avec douceur l'une de ses mains sur sa joue.

- Je crois que vos herbes ont fini par vous monter à la tête !

Et elle lui donna une minuscule petite tape de la main sur la joue.

Les jeux aquatiques étaient si amusants ! Et cette voix rassurante qui appelait, riante :
- Mes enfants ! Qui est ce qui vous prend ?
- On fait la course, maman, regarde comme on nage bien !
- Quelle fête ! Fous !

Effectivement c'était une belle fête. Hector et ses cousins faisaient les fous dans l'eau, par cette belle et chaude journée d'été. Cela faisait longtemps que Marianne de Sombrebois (la mère d'Hector) avait prévu cette journée à la mer avec son fils, ses neveux et ses nièces... alors là, ils en profitaient pleinement, batifolant dans les reflets scintillants de l'azur ensoleillé ! Hector se sentait léger, insouciant, heureux. Il y avait ses cousins proches, ceux qui habitaient au château avec lui, et même quelques uns plus éloignés, comme Florian, son petit cousin le plus foufou, qui s'amusait, avec sa sœur, à lui lancer de l'eau à la figure. Par réflexe, il ferma les yeux.

- Arrêtez, je vois plus rien ![b] S'exclama-t-il.

Une main vint alors se poser sur sa joue, doux contact aimant. C'était la main d'Anür qui le caressait. Il sourit, resta un moment les yeux fermés.

[b]- Je crois que vos zèbres ont fini par vous montrer la tête !

Hector ouvrit ses yeux tandis que la belle rousse lui tapotait la joue. Il se redressa d'un bond, lui prit la main, et descendit avec elle des bottes de pailles.
- Je n'en ai jamais vu, il ne faut pas les rater !

Où pouvaient-ils bien être ces mythiques équidés aux rayures noires et blanches ? Hector pensait qu'il ne s'agissait que d'histoires pour faire rêver les enfants.
- Je sais ! Venez ! Mais pas un bruit !

Sur la pointe des pieds, il se dirigea vers l'écurie... forcément, si un zèbre poulain était né, il devait s'y trouver ! Se cachant derrière un poteau de bois, il observa les différents box avec attention. Il y avait là un cheval blanc, un cheval marron, un cheval rouge, un cheval bleu et un cheval vert... mais pas de zèbre ! Le baron se tourna vers Lyanna.
- Allons voir les box du fond...

Puis il se dirigea vers le fond de l'écurie... et plus il avançait, plus le soleil descendait entre les jours entre planches de bois qui constituaient le mur du fond de l'écurie ; stries verticales sombres et lumineuses...
- Regardez, il est là ! Oh quel spectacle !

Heureux, ému aux larmes, le baron se retourna et prit Lyanna dans ses bras.
- Si j'avais su qu'un jour je verrais un zèbre ! Par les Trois ! C'est... magnifique !

Il la serra contre lui, son cœur battant à tout rompre, sa peau frissonnant de plaisir et ses mains caressant le dos de la rousse. Quel magnifique après-midi ! Et c'était drôle de voir avec quelle conscience il mesurait la chance qu'il avait d'être là, si près du centre de l'univers, si près de l'absolu bonheur... Il n'entendit même pas le hennissement de sa fidèle Moto, non loin de lui, qui sentait, elle, grâce à son sixième sens animal, que quelque chose avait changé chez son maître.

Les reflets orangés que donnaient ses cheveux au visage hébété d'Hector lui rappelaient vaguement quelque chose... Un souvenir lointain, que sa mémoire avait effacé au fil du temps... Un moment délicieux chassé par d'horribles instants qui semblaient avoir davantage marqués son existence...

- Non Lya ! Ne touche pas à ça !

La femme, les poings sur les hanches, la menaçait d'un regard faussement sévère, la dominant de toute sa hauteur, alors qu'elle, elle était si petite...
Son visage n'était pas très net... Comme s'il était dissimulé sous un voile invisible. Lyanna se souvenait juste qu'elle était très belle et que ses cheveux flamboyaient à la lueur du soleil.

- Petite fripouille ! Tu sais bien qu'ils ne sont pas pour toi. Ils sont pour les clients.

Mais le plat de petits gâteaux à la crème lui paraissait si délicieux et accessible... Et puis elle avait faim, et elle n'avait jamais le droit de goûter aux bonnes choses... Mimant un semblant de bouderie, la fillette croisa les bras, fâchée qu'on lui refuse jusqu'à ce petit bonheur que lui aurait procurer l'une de ces dites patisseries.
La femme sembla s'attendrir quelque peu, sans pour autant quitter sa position autoritaire.

- Cesse donc de bouder... Tu sais bien quelles sont les règles. Un jour, tu apprendras que la vie n'est pas un jeu et que l'on n'obtient pas toujours ce que l'on veut... Il faut travailler dûr pour survivre et s'en sortir. Et j'espère vraiment que tu le feras mieux que moi...

La dame se pencha sur elle et toucha le bout de son nez avec un mélange de taquinerie et de tendresse. La petite fille, elle, ne comprennait pas un traitre mot de ce qu'elle pouvait bien vouloir lui dire. Elle n'avait que ses pâtisseries à l'esprit. Elle trouvait à son expression quelque chose de triste, mélancolique, mais à la fois de bien-veillant.

- En attendant, ma petite Lya, sois sage et va jouer dehors. Ces messieurs ne vont pas tarder à arriver...

Après un nouveau regard doucereux, la jeune femme se releva et se détourna d'elle, rejoignant ses collègues de travail, prêtes pour une nouvelle et longue journée de besogne.
Lyanna haussa les épaules et attendit qu'on se désinteresse d'elle. Comme d'habitude, ce ne prit pas très longtemps. Les enfants, personne n'y prête attention, dans les bordels. Une fois les regards détournés, avec la discrétion et la rapidité d'un chat, elle attrapa l'un des petits gâteaux et s'enfuit à toutes jambes dans les escaliers menants à la cours. Elle manqua de renverser une autre habitante de la maison, au passage, et celle-ci jura haut et fort.

- Non mais franchement ! Quelle sauvageonne cette enfant ! Et voleuse, par dessus le compte ! Qu'est-ce qu'on pourra bien faire d'elle?!

Un mouvement brusque la tira de sa rêverie, et il lui sembla l'oublier à nouveau à la seconde même où elle retrouvait le visage bienveillant du Baron.
Se laissant entraînée avec lui, se retrouvant remise sur ses pieds bien plus vite qu'elle n'aurait cru avoir à le faire, la jeune femme chancela légèrement sous les effets des herbes qu'ils fumaient depuis quelques instants déjà. Elle ne comprennait pas de quoi il lui parlait, et elle le regardait étrangement, comme s'il délirait tout à fait. Oh bien sûr, il délirait... Mais Lyanna n'était pas dans un tellement meilleur état.
Des zèbres...?
Ni une ni deux, il l'entraîna dans une quête à laquelle elle ne comprennait rien. L'écurie était l'habitat de cette créature mystèrieuse qu'il semblait poursuivre. Polie et intriguée, la voleuse le suivait à pas de chat, se tenant à son bras pour maintenir son équilibre quelque peu ébranlée. Même dans cet état second, son talent en matière de silence et de discrétion était tout à fait remarquables, mais ses sens, quant à eux, totalement brouillés, semblaient se refuser à trouver l'objet de cette aventure des plus palpitantes. Ils enquêtaient tout deux avec minutie, se tapissant dans l'ombre, observant un à un chacun des chevaux présents dans l'écurie. Ils n'avaient rien d'anormaux... Si ce n'était ces couleurs peu communes qui fleurissaient leur robe ! Ce "zèbre" n'était toujours pas en vu...
Finalement, arrivé au dernier box, Hector tomba le premier en émoi devant la monture strillé de lumière. Lyanna, elle, y regarda à deux fois. Si c'était cela, ce légendaire zèbre, elle devait bien avouée qu'il ressemblait à s'y méprendre à un cheval... Mais qui était elle, pour contredire le Baron? Il devait bien mieux s'y connaître qu'elle...
Avant qu'elle n'ait eu le temps de réagir, Hector la serra contre lui, carressant son dos, ce qui lui arracha des frissons. Tant de cérémonies pour un vulgaire canasson? Elle se sentait bien bète d'être ignorant au point de ne pas pouvoir réaliser pleinement la merveille qu'elle était entrain de voir.
Laissant l'homme la maintenir contre lui, les mains posées sur son torse, elle savourait la chaleur de ce contact humain avec moins de pudeur que si elle avait été elle même.

- Je suis bien heureuse de vous voir si transporter par cette découverte, Hector ! Mais dites moi... Qu'est-ce qu'un zèbre au juste?

Un destrier, non loin d'eux, hénie pour signifier son désaccord avec tout ce remu-ménage sans queue ni tête. Prise par surprise, la rousse sursauta, bondissant hors des bras de son compagnon d'aventure. Un peu vexée de découvrir que ce n'était qu'un cheval qui avait provoqué sa frayeur, la jeune femme pointa sur le canasson un doigt accusateur, usant d'une voix pleine de réprimande.

- En voilà des manières ! Baissez d'un ton, je vous prie ! Vous importunez tout le monde, âne que vous êtes !

- Un zèbre ? Vous n'savez pas c'que c'est qu'un zèbre ? Regardez-le là ce... Le zèbre avait disparu ! Oh ! Il est parti !

Et la rousse bondit hors de ses bras.
- Woah ! Revenez, veaux, vaches, cochons ! S'écria Hector face à toutes ses disparitions.
- En voilà des manières ! Baissez d'un ton, je vous prie ! Vous importunez tout le monde, âne que vous êtes !
- Mais... mais !? Lyanna, z'allez pas r'commencer comme l'autre soir, j'vous ai même pas invité à dîner, cette fois !? Fit le baron avec incompréhension.

Il regarda la jeune femme. Elle avait un visage si rubicond et un air si ahuri qu'il partit dans un fou rire infernal. Les larmes lui montèrent aux yeux et il ne parvint pas à s'arrêter. Il voyait le monde tournoyer autour de lui dans une gigue terrible ! Il voulu s'accrocher à la porte d'un box pour se retenir mais glissa dans la paille et, par un incroyable coup de chance, fit une sorte de roulade latérale avec réception sur deux pieds. Incroyablement, il était face à face avec la voleuse, droit dans ses bottes, un air incroyablement serein sur son visage.

- Les zèbres sont des amis des lions. Vous connaissez les lions ? Ces grands chats sauvages et féroces ! Rrrrrrrrr ! Les zèbres, eux, sont comme des chevaux, mais blancs, avec des rayures noires. Et donc, ils vivent avec les lions... dans des contrées lointaines, chaudes, très chaudes ! Parait-il qu'on y cuit des œufs en les posant seulement sur une pierre, à même le sol !

Le baron avait entendu parler de tout ça, de ces pays chauds, de leurs coutumes et de leur faune incroyable par un oncle à lui, qui le tenait lui même d'un chevalier voyageur, qui avait rencontré un autre chevalier voyageur qui avait été dans ce pays et qui lui avait conté son épopée.

- Je sais tout ça de source sûre ! Dit-il fièrement avant d'ajouter : Permettez ? Et il reprit la pipe de la main de la rousse pour la porter à ses lèvres, en en prenant une longue bouffée extatique.

Bizarrement, le regard du baron s'arrêta sur cette main qu'il venait de déposséder et qui, en suspend, lui semblait d'une finesse et d'une grâce infinie. Il resta réellement une minute ou deux à la regarder se mouvoir lentement tandis que nul bruit ne lui parvenait plus aux oreilles. Le décor même de cette étrange scène semblait avoir disparu : plus de chevaux, plus de box, de paille ou de Lyanna ! Seule cette main dansait au devant de profondes ténèbres.

Quel merveilleux spectacle !