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| [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] | |
| Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Dim 2 Juin 2019 - 21:52 | | | Très tôt le matin, début mars. “Les départs donnent souvent l'illusion d'une renaissance.” -”Debout, Estelle. C’est l’heure.” Oh, Merrick Lorren le savait. Même probablement mieux que quiconque. C’était un combat perdu d’avance. Tenter de sortir de la torpeur enivrante du sommeil celle qui faisait de son repos une forteresse inexpugnable était comme vouloir vaincre un chevalier à l’aide d’une brindille. Dès lors, réussir ce tour de force était hautement impossible, fortement improbable. Pour autant, le milicien n’en démordait pas et tentait coûte que coûte de vaincre. Pourquoi me demanderez-vous ? Car en ce jour, il était enfin l’heure du départ vers une nouvelle aventure, vers un futur peut-être moins affreux et dangereux que son passé et leur présent. -”Allez, princesse. Il faut y aller…”En ce jour, le duo s’apprêtait à prendre la direction du Labret. La dame de Chantauvent avait besoin de s’y rendre pour pouvoir tisser des liens commerciaux avec les gens de la région qui lui permettait de fournir la Chope Sucrée en denrées alimentaires. Logiquement, Lorren s’était rapidement emparé de l’idée, histoire de promouvoir un voyage à deux, une escapade qu’il pensait être idyllique. Oui, c’était hautement stupide comme vision des choses, de présenter cette pérégrination comme un voyage ou comme des vacances. Après tout, comment un milicien, qui avait vu les dégâts que pouvait occasionner la fange, pouvait oublier si rapidement la présence plus que lourde du prédateur de l’humanité en dehors de Marbrume ? -”...Ne m’oblige pas à devenir méchant, Estelle de Chantauvent !”Dans les faits, ce n’est pas que Merrick avait oublié les monstres qui se repaissent de chair humaine. La réalité était plutôt que l’homme d’armes craignait en cette heure beaucoup plus fortement la perfidie humaine, la malveillance de certains hommes de leur entourage. Entre la présence d’Adrien de Miratour, frère plus que vénal qui avait pris de force sa soeur, et l’existence de Martin, psychopathe en puissance qui voulait leur infliger mille souffrances, le Labret et sa fange semblaient un ennemi bien plus bénin. Se trompait-il ? Très probablement. En avait-il conscience ? Aucunement. Ainsi, le plateau était un endroit qui lui semblait bien loin de tous les tracas de leur réalité. Soupirant, Lorren secoua la tête de gauche à droite. “ Tu es incroyable…” .De fait, l’homme d’armes avait tenté toutes les manoeuvres de son répertoire pour réveiller sa tenancière avec douceur. Doux murmures, tendre contact et même un baiser n’avait pas suffi à réveiller celle qui se refusait encore à ouvrir les yeux. En un sens, Lorren la comprenait. Il était excessivement tôt. Le soleil était encore loin de se lever, et la noirceur de la nuit régnait encore en maître sans égal sur la voûte céleste. Pour autant, il fallait se dépêcher. Le convoi ne les attendrait pas. “Tu l’auras voulu.” Dit-il avec un petit sourire qui commençait à naître sur son visage. Prenant ce défi comme un énième jeu qui transportait quasiment l’ensemble de leurs échanges et de leur relation, l’ivrogne s’attela à la tâche sans la moindre gêne. Tirant sur les couvertures pour complètement sortir Estelle de la protection des draps et de leurs chaleurs, Merrick alla perdre son visage dans le cou de la rouquine. “Il est l’heure.” Répéta-t-il. En ce début de journée, la pièce était particulièrement froide. Déposant ses lèvres à la naissance du cou, Lorren y alla même d’une attaque déloyale, mordant sa victime. “Debout. Debout. Debout !” Se levant du lit, commençant à faire du raffut ici et là, le milicien qui combattait le sommeil creva la quiétude du silence en parlant de tout et de rien. “N’avais-tu pas hâte de partir ?” Ouvrant l’armoire et claquant la porte, il jeta le linge qu’il comptait enfiler pour la route. “Ce sera une magnifique journée aujourd’hui !” Continua-t-il en ouvrant les rideaux en grand. “Nous sommes chanceux de ne pas partir sous la pluie. Hein ? Dit ? Tu n’es pas d’accord ?'' Prenant une gorgée dans le verre d’eau qui traînait sur le bureau, il exagéra un fort soupir de contentement à s’hydrater, redéposant ledit contenant trop fortement sur le bureau. C’est à ce moment qu’il ne croisa le regard de nul autre qu’Estelle de Chantauvent. -”T’aurais-je enfin réveillé, princesse ?” Dit-il avec un grand sourire. S’approchant de son “opposante”, Lorren s’assit sur le lit. Replaçant une mèche rebelle de la crinière rousse de la propriétaire de l’établissement, Merrick tenta de percer au travers des iris encore endormis de la jeune femme, une trace de mal-être ou de tristesse qui commençait à être de plus en plus présente chez elle depuis qu’il se connaissait. Après tout, quoi de plus normal, alors que les derniers jours avaient été difficiles pour l’un et l’autre, tandis qu’ils avaient failli mourir et que le milicien avait annoncé à sa tenancière que son frère avait potentiellement et possiblement abusé d’elle ?? “Bien dormi ” Demanda-t-il, réellement concerné par son état, sachant pertinemment que les nuits de la rouquine n’étaient plus de tout repos. En ce jour de renouveau, Merrick Lorren tentait de se montrer assez guilleret et heureux pour tenter de repousser au loin les affres et la truculence des derniers événements. De là à savoir si cela serait une réussite auprès d’Estelle de Chantauvent… -”Je te laisse t’habiller, je vais aller préparer deux infusions.” Conclut-il en déposant ses lèvres sur le front de sa partenaire. Enfilant rapidement une chemise et son pantalon, Merrick descendit l’escalier pour se retrouver au premier plancher. Sifflotant gaiement, l’ivrogne suspendit son approche et tout bruit lorsqu’il remarqua qu’une lumière diffuse sortait de la cuisine. Fronçant des sourcils, le regard concerné par ce chiche éclaircit amené probablement par l’âtre de ladite pièce, le jeune homme resta à l’arrêt durant quelque temps. Était-ce Adrien de Miratour qui était présent ? Mû par un réflexe plutôt qu’une pensée réfléchit, Merrick prit une chope qui traînait sur le comptoir avant de lentement avancer. Ce n’était guère une bien belle arme pour se défendre, mais mieux valait ne pas arriver les mains vides face à celui qui était son ennemi le plus direct… -”Bon matin, Merrick !” -”Ah. Aurore...bon matin à vous.” Dit-il soulager de se trouver en présence de la jeune serveuse plutôt que du bourgeois vénal. -”Une petite soif du matin ?” -”...Hein ? Ah, non !” Dit-il lorsqu’il comprit qu’elle faisait référence à la chope qu’il tenait dans ses mains. “ Je venais plutôt préparer deux infusions, voilà.” Laissant la petite brune vaquer à ses occupations, l’homme d’armes déposa son “arme” sur la table et se mit à l’ouvrage. Faisant chauffer de l’eau, qui avait été prise au puits, il attendit patiemment que cette dernière ait une chaleur adéquate pour y faire infuser les herbes. Il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’Aurore soit déjà présente. Après tout, c’est cette dernière qui s’occuperait de l’établissement durant l’absence de sa propriétaire. Regardant les flammes lécher le chaudron qui contenait l’eau, l’ivrogne se morigéna de n’avoir pas prévu cela. Est-ce qu’il commençait à voir le pire et des ennemis partout ? Quelques jours plutôt, il avait même pensé avoir aperçu une ombre épier la Chope Sucrée. Décidément, il devenait paranoïaque ! Secouant la tête pour raffermir ses idées, il prépara et termina les breuvages avant de retourner dans la pièce principale de l’auberge. Déposant les mixtures sur le comptoir il attendit patiemment la venue d’Estelle. Pianotant sur la surface de bois, le regard perdu dans le vague et l’esprit ailleurs, Lorren ne vit apparaître la rouquine qu’au dernier moment. De fait, le milicien avait de plus en plus tendance à se perdre dans les méandres de la réflexion. Chose qui ne lui ressemblait guère, mais qui se devait d’arriver, devant les nombreux maux qui peuplaient désormais leur quotidien et certaines décisions qu’il avait prises. Pour lui, il devenait plus ardu de réfléchir et de prendre des décisions, maintenant qu’il savait que tout ce qu’il entreprenait impactait aussi Estelle. Merrick Lorren ne s’était jamais soucié de quelqu’un d’autre. Même par le passé, sa famille n’avait pas été un lien avec lequel il avait eu besoin de cogiter longuement. Le beau salopard faisait tout simplement ce qui lui plaisait, qu’importe les conséquences en découlant. Mais aujourd’hui, tout était différent. Si différent. Était-ce pour le meilleur, ou pour le pire ? -”Ah, te voilà.” Dit-il finalement en se rendant compte de sa présence. Lui tendant la tasse dans un sourire, Merrick resta attablé durant un moment, prenant le temps de s’abreuver de la mixture qu’il avait préparée. Il ne brisa aucunement le silence, laissant la chance à la rousse de parler si tel était dans son bon vouloir. Décidément, il commençait à s’améliorer au niveau des infusions ! Le milicien restait toujours un aussi piètre cuisinier, mais pour ce qui était de faire bouillir de l’eau et d’y incorporer des feuilles, il pouvait se targuer de ne plus être un débutant ou un novice ! “Je vais aller chercher nos affaires en haut. Pourrais-tu préparer un petit sac de nourriture pour la route ? Pour calmer une potentielle fringale.” Lorren avait mis l’accent sur le mot “petit”, espérant que sa tenancière n’irait pas jusqu’à apporter un véritable festin avec elle. Sur un sourire, retournant au second étage, il laissa la Chantauvent seule avec Aurore. Probablement et potentiellement que les deux femmes auraient à échanger l’une avec l’autre. Connaissant un peu la dame de Chantauvent, Lorren se doutait qu’elle inonderait la petite brune de conseil et d’avertissement pour qu’elle puisse tenir l’établissement d’une main de maître. Avait-il tort ? L’autre questionnement qu’il se posait était de savoir si Estelle laissait derrière elle Brigitte. Aussi farfelu que cela puisse paraître, l’homme d’armes n’aurait guère été étonné de la savoir du voyage. Récupérant les sacs, il commença à faire le chemin en sens inverse. Son paquetage était plutôt léger. Quelques vêtements, quelques outils et babioles et le tour étaient joués. Voyageant avec un convoi, qu’ils avaient trouvé la veille, l’homme d’armes ne s’était pas surchargé plus que nécessaire. Mais quand était-il du sac -ou pire, des sacs- de la Chantauvent ? Il y avait de cela quelques jours, elle lui avait demandé son aide pour savoir ce qu’il fallait prendre ou ne pas prendre. L’avait-elle écouté ? Voyagerait-elle léger elle aussi ? S’était à espérer… -”Prête ?” Enfin, il fut l’heure d’un départ. Plus rien ne semblait être à même de les retenir à la Chope Sucrée, ni dans la cité. Tout était prêt et il ne restait qu’à gagner le lieu de départ du convoi qui partirait non loin de la porte du crépuscule. Merrick espérait simplement qu’Adrien ne se montrerait pas avant leur départ. L’affaire n’avait guère été ébruitée, mais Arthur avait tout de même été avisé. Est-ce que c’était suffisant pour voir rappliquer le frère vert de jalousie ? L’ivrogne voulait croire que non. Passant sa besace sur son épaule et soulevant la seconde de sa main libre, le milicien sourit à la Chantauvent. “Après vous, madame.” Saluant Aurore d’un bref sourire et d’un petit hochement de tête, il suivit celle qui ouvrait la voie vers l’extérieur de Marbrume. ----- Comme il avait été dit, la journée s'annonçait radieuse. Le ciel qui commençait à se peindre de couleur était dénué de toutes traces de nuage. Pour autant, Merrick Lorren était habillé en conséquence. Enseveli sous une cape, l’épée et sa dague battant son flanc, l’homme d’armes rentrait la tête dans les épaules, comme si cette drôle de posture pouvait le préserver des dernières bourrasques nocturnes -et glaciale- de la nuit. Oui, le beau temps serait au rendez-vous, mais probablement pas la chaleur ! Déplaçant d’un mouvement d’épaule le sac qui se trouvait sur cette dernière, et qui menaçait de tomber, Merrick ne put retenir une petite grimace de douleur de venir prendre le contrôle de ses traits durant un infime instant. Les blessures de leurs péripéties avec Martin et son “frère” étaient encore bien vivaces et tenaces. -” Le convoi devrait nous attendre avant de partir. J’ai parlé avec l’un de mes confrères miliciens qui l’escortent. Ils n’ont rien contre accepter une épée de plus et la présence d’une jeune femme. En groupe, le voyage n’en sera que plus sécuritaire, sans le moindre doute. Et puis je n'ai entendu que de bons mots pour le chef de ce groupe !” Dit-il à titre informatif pour Estelle, la voix chargée d’une fébrilité et d’une excitation à peine contenue. En effet, Merrick Lorren avait hâte de partir. Aussi bien pour s’éloigner des maux apportés et guidés par les hommes, que pour retrouvé cette once de liberté qui lui manquait tant. Depuis l’apparition de la fange, il n’était jamais véritablement sorti de l’enceinte fortifiée de Marbrume. Or, avec l’imminence du voyage, cette réalité s’arrimait comme une promesse aussi magnifique que belle, aussi lancinante qu’entêtante et enivrante. Merrick avait aussi la conviction qu’en grand groupe, rien de spécial ne pourrait leur arriver. Quelle stupidité… Au bout d’un certain temps, le couple émergea à l’endroit du départ. Déjà, quelques chariots attelés à des chevaux étaient en train de se faire remplir d’outils et d’autres marchandises destinés aux habitants du Labret. Aux alentours, une pléthore de milicien plutôt endormi et attendant l’heure du départ passait le temps en regardant les ouvriers s’activer à mettre en oeuvre les derniers préparatifs. Regardant le fourmillement qui s’opérait aux alentours, Lorren remarqua la présence de l’une de ses connaissances. Invitant Estelle à le suivre d’un petit mouvement du menton et d’un sourire, Merrick alla à la rencontre d’un de ses compatriotes. -”Bon matin, Arti.” -”Eeeeeeeeeeh, Lorren !” Beugla le petit milicien aux chicots cariés. -”Toujours aussi propre de ta personne, à ce que je vois.” -”T’jours aussi drôle !” Puis, rivant son regard libidineux sur Estelle. “C’t’elle ton bout d’femme ?” Soupirant fortement, Merrick Lorren laissa la chance à Estelle de Chantauvent de répondre d’elle-même.Pour ce genre de “civilité”, elle n’avait pas besoin de son aide pour se défendre. Celle-ci avait tout de même une répartie aussi affûtée que la sienne ! -”Ce n’est pas que je ne veux pas te parler, l’ami.” Enfaîte, c’était complètement ça. Et le mot “ami” avait été proféré avec un innommable dégoût. “Mais, j’ai à faire. Pourrais-tu me montrer où se situe le chef du convois je te prie ?''-”Par las bas, l’ami !” Dis le petit milicien en pointant évasivement le bout de la colonne. Alors que Lorren et de Chantauvent s’éloignait sans demander leur reste, Arti finit par pousser une dernière gueulante : “Hey ! T’oubliras pas d’me donner ton truc, hein ? L'partage entre vieux frères, hahahaha !” Termina-t-il avec un regard lubrique pour la rousse et en se pourléchant les lèvres. Soupirant à s’en fendre l’âme, Merrick se permit un coup d’oeil en direction d’Estelle. Ouvrant la bouche, ne sachant pas trop que dire, il poussa un énième soupir. “Désolé…” Que proférer de plus ? Remontant tranquillement la colonne, saluant les badauds et les quidams qui feraient partie du voyage, Merrick s’arrêta devant un petit homme au ventre impressionnant. Ce dernier, bien habillé et propre de sa personne, semblait être un bourgeois bien en fond. “Bonjour ! Monsieur de Marais, j’imagine ?” -”Lui-même. Pour vous servir !” Dit-il dans un sourire affable en tendant sa main vers le milicien. “Madame.” Salua-t-il Estelle poliment. Sur le point de serrer la main de l’honnête homme, qui venait de lui faire forte impression de par sa politesse et sa droiture, Lorren ne put le faire tandis que le bourgeois retira rapidement sa main. “Ne nous serions-nous pas déjà croisés, mon ami ?” Fronçant les sourcils, Merrick Lorren secoua la tête. “Pas que je sache, monsieur de Marais.”Plissant des yeux, ledit homme se pencha vers l’avant. “...Me...Merrick Lorren ?!”Surpris d’être connu par ce genre d’homme, le milicien offrit un sourire à Estelle. Comment sa réputation pouvait-elle le précéder de la sorte ? C’était plutôt flatteur ! “Lui-même, monsieur !”-”LE Merrick Lorren ?!”-”Heuuu...Oui…?” Questionna l’ivrogne qui ne comprenait plus rien. -”Le Merrick Lorren qui a couché avec ma femme Rosalia ?”La mâchoire de l’homme d’armes tomba. C’était une blague ?! Un mari cocu comme chef de convois ? Impossible ! “Enfin, monsieur, je…” Il n’arrivait plus à ce souvenir de pareille histoire. Y avait-il eu quelque chose avec une soi-disant Rosalia ? Peut-être...un vague souvenir d’une jeune femme qui se plaignait de l’insipidité de son mari et de la lourdeur de ses traits. Coulant un regard à la Chantauvent pour se dédouaner, il leva les deux mains en l’air. “C’était...il y a si longtemps…”-”DÉGAGEZ ! Je ne veux plus vous voir ! Partez vous et votre maîtresse loin de moi. Si je vous revois, je vous promets la mort, salopard ! Vous ne partirez JAMAIS avec mon convoi.” Fulminant, aussi rouge qu’un visage humain pouvait l’être, monsieur de Marais retourna fustiger et passer ses nerfs sur ceux qui chargeaient la marchandise, laissant le duo complètement seul. Restant silencieux pendant un petit moment. Évitant le regard d’Estelle de Chantauvent par peur d’y lire quelque chose qu’il ne voudrait pas voir, l’homme d’armes déposa l’un des sacs pour se passer une main dans la chevelure. Que faire à présent ? Soupirant et faisant comme s’il était absorbé par la contemplation de la porte du Crépuscule, Lorren tenta de dresser des mots pour expliquer l’histoire et pour définir la suite. “ C’est une vieille histoire…” Ça partait mal. “Je...je ne m’en rappelais plus vraiment et puis… enfin, bref. Désolé.” Au final, peut-être valait-il mieux ne pas trop en dire ? “Au moins il semblerait que leur mariage en ait survécu…?” Il fallait véritablement qu’il se taise. Et maintenant, qui plus est ! -”Je crois que...non.” Dit-il en lui faisant finalement face. “Nous pourrions atteindre Conques par nos propres moyens. Ce serait une longue journée de marche, mais de là-bas, nous serions probablement capables de trouver un autre convoi ou un autre groupe qui partira vers le Labret ? Il annonce une belle journée, alors qu’est-ce qui pourrait nous arriver, hein ?” Le milicien était en train de proposer à sa tenancière de faire le voyage à deux. Oui, il perdrait en sécurité en se trouvant isolé sur les routes, mais ne gagnerait-il pas en vitesse ? Il leur était possible d’atteindre Conques aujourd’hui. De là, ils seraient en sécurité pour la nuit et la suite du voyage pourrait être faite avec des individus voulant d’eux, et plus particulièrement de lui, non ? “...Ou alors, nous pouvons aussi attendre… Cherchez un autre convois qui part de Marbrume et repoussez notre départ de quelques jours…'' L’idée ne lui plaisait pas. Mais qui était-il pour la refuser, si Estelle de Chantauvent préférait cela ? C’était, après tout, à cause de lui et lui seul que le duo ne pouvait partir avec de Marais. Le choix de la suite serait donc, logiquement, entre les mains de la propriétaire de la Chope Sucrée. |
| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Mer 5 Juin 2019 - 0:10 | | |
Il y a des combats que l’on sait perdu d’avance et pourtant, pourtant on ne peut s’empêcher d’essayer quand même de gagner cette petite bataille. Merrick était de ceux-là, de ceux qui pensent qu’il y a toujours une manière de remporter le combat, même quand tout prédit la défaite à venir. Ainsi, tenta-t-il de réaliser l’improbable : faire lever Estelle très tôt, trop tôt. Parfaitement endormie et enroulée dans un drap qu’elle avait fini par apprendre à partager, la rouquine n’avait guère à l’esprit d’ouvrir le moindre petit bout d’œil. Ne percevant qu’à peine le premier roucoulement du milicien, elle n’eut comme unique réponse qu’un petit grognement, avant de tirer davantage sur le tissu recouvrant sa peau pour se retourner et ne lui offrir que pour unique vision la silhouette de son dos. La deuxième prise de parole n’obtint guère une meilleure réussite, puisqu’en plus de ronchonner davantage, la rouquine tira le drap pour le passer sur sa tête, enfonçant son visage dans la couche, convaincue qu’ainsi, l’homme n’insisterait pas davantage.
C’était mal connaître Merrick Lorren, qui, bien loin d’avoir dans l’idée de renoncer, tenta de menacer habillement la dame de Chantauvent. Devenir méchant hein ? La gérante s’autorisa une œillade à l’aveugle sous la multitude de tissus qu’elle avait sur la tête. Ne pouvait-il pas faire grand-chose de plus de toute façon, bougonnant plus fortement, elle referma son emprise sur l’ensemble de son lit, bien décidé à ne pas bouger d’un pouce. Refermant les yeux, s’emmitouflant convenablement, Estelle semblait bien avoir dans l’idée de sombrer une nouvelle fois dans le sommeil, d’autant plus dernièrement, alors que ses nuits devenaient complexes. Même si elle n’osait pas lui demander, était-elle convaincue que les jambes de son cher et tendre avaient dû se trapper de multitudes de petits cercles bleutés.
L’homme d’armes n’avait pas de cesse, pas d’hésitation était-il venue glisser son visage sous le drap pour venir l’embrasser, avait-il laissé entendre sa voix douce, comme un ronronnement agréable. Rien. Absolument rien n’était parvenu à tirer la dame de Chantauvent de son sommeil. Annonçant une nouvelle mise en garde, l’homme d’armes avait fini par agripper les couvertures pour venir tirer l’ensemble. La silhouette féminine avait fini par être entièrement dévoilée, la différence de température la fit frissonner, alors qu’elle ronchonnait beaucoup plus fort. « Mhhhh » fit-elle « Merrick’heu… » Murmura-t-elle contrariée. Malgré cette voix plutôt bougonne, ce froncement de sourcil particulièrement visible, un léger sourire avait pris naissance sur ses lèvres alors qu’elle sentait le souffle chaud de son amant au niveau de son cou, jusqu’à même la mordre. « Aïe » tenta-t-elle en ouvrant un œil « Tu triches ». La voix encore endormie d’Estelle se faisait un peu plus portante, signe que l’homme parvenait à ses fins avec la multitude de brouhaha qu’il mettait en œuvre. N’était-ce pour autant pas forcément l’idée la plus lumineuse de la mettre de mauvais poil dès le réveil. Plus les portes claquaient, plus il se faisait bruyant et plus elle soupirait en fronçant les sourcils, laissant sa crinière rousse venir protéger son visage. « Dommage, sinon j’aurais pu essayer de te noyer dans une flaque » bougonna-t-elle définitivement contrariée.
Une main était venue se déposer sur son visage, ses doigts frôlèrent ses yeux lentement, avant de retirer l’excédent de ses mèches pour dégager son visage. Comprenant qu’il avait gagné la bataille –mais certainement pas la guerre-, l’homme s’installa à ses côtés alors qu’elle se redressait, replaçant une mèche de sa chevelure. Fixant son attention sur le visage masculin, le regard de la rouquine dû se teinter de ce léger voile de tristesses, impossible d’oublier ce rêve récurant, celui où Adrien évoquait que Merrick n’était pas si innocent. Convaincue de l’improbabilité de l’ensemble, une part de doute, ou d’inquiétude avait néanmoins pris naissance dans le fond de son cœur, minuscule détail qui semblait la perturber plus que de raison. Ainsi, involontairement, Estelle se faisait moins tendre, moins pleine de proximité, moins en recherche de tout rapprochement physique, aussi bénins soient-ils. Quoi de plus normal lorsqu’on apprenait que peut-être son propre frère avait abusé de notre corps, quoi de plus normal, lorsque le doute concernant l’homme qu’on aime se faisait un peu trop présent ?
- « J’aurais pu dormir plus, si quelqu’un n’avait pas décidé de me tirer de mon lit » un regard plus sombre à son égard, suivi d’un petit sourire un brin plus tendre, elle ajouta « D’accord, je vais essayer de ne pas être trop longue »
Pas de baiser, pas d’effleurement des lèvres ni de main qui vient le retenir lorsqu’il cherche à s’éloigner pour descendre. Elle l’avait néanmoins laissé l’embrasser sur le front, avant de le regarder disparaître derrière la porte de la chambre. C’était le moment le plus douloureux pour la rousse : être seul avec elle-même, dans le silence. Assise sur le lit, ses deux prunelles vagabondant sur son lieu de vie, alors que nerveusement ses ongles venaient gratter ses cuisses, ses bras, ses épaules. Acte provoqué uniquement par sa crainte, par ce sentiment d’être sale, renié des dieux. Se mordillant la lèvre, alors qu’elle sentait déjà sa gorge se nouer, cette boule d’angoisse se former dans son bas ventre, la dame avait fini par se relever pour s’habiller. Faisant glisser sa jupe brune par les pieds, la remontant jusqu’à ses hanches, elle passa par la suite sa chemise blanche, plutôt large et termina par son corset bleu dont elle noua avec minutie les moindres lacets. Estelle n’était pas une femme à bijou, loin de là, pour autant se sentit-elle attirée par le collier offert par son défunt mari, un morceau de ficelle contenant une gravure du symbole de la trinité. Lui avait-il promis de la protéger, aujourd’hui plus que jamais, Estelle avait ce besoin de se rassurer. Passant une main dans sa tignasse rousse, elle la releva très légèrement, sans chercher à forcément maintenir l’ensemble de ce volume impressionnant. Là elle ouvrir un petit tiroir, récupéra son ruban de mariage qu’elle glissa dans une poche invisible. Si elle devait partir, cela ne serait certainement pas sans ça. Avait-elle pensé à l’offrir à Merrick, oui avait-elle hésité, comme pour lui confirmer sa confiance, mais chaque fois qu’elle avait manqué de le faire, elle avait fini par renoncer. Là encore, en emportant les deux rubans, hésitait-elle encore. N’allait-il pas mal le prendre ?
Après une nouvelle inspiration, elle avait fini par faire disparaître dans l’ensemble de sa poche invisible –à comprendre au niveau de son décolleté bien au chaud-, elle avait fini par se relever. Poussant les volets pour laisser les quelques premiers rayons de soleil entrer dans la chambre, elle dévisagea un long moment, tout en étant immobile l’ensemble des sacs. Un soupir avait fui ses lèvres, alors qu’un nouveau sentiment s’inspirait de son esprit : la peur du départ, la peur de l’inconnu. Elle n’avait pas revu Adrien, avait-il essayé de la contacter, mais l’avait-elle fui à chaque fois. Le frangin semblait éviter Merrick et l’inverse était tout aussi vrai, pour autant ne semblait-il pas au courant de cette fuite programmée.
Si Estelle avait écouté Merrick pour ne prendre que le strict nécessaire, elle n’en restait pas moins convaincue qu’elle avait dû trop en perdre quand même. Surtout que même si elle ne l’avouait pas vraiment, elle n’avait pas le moindre pantalon et qu’elle restait certainement que ses robes et jupes n’étaient l’idéal pour ce genre de voyage. Peu importe, il était trop tard pour réaliser quoi que ce soit de toute façon. Quittant la pièce pour descendre les marches, elle s’arrêta à la dernière, détaillant celui qui se trouvait au comptoir, les deux tasses d’infusions fumantes non loin de lui.
- « Je suis là, je me disais que… » l’apparition d’Aurore la coupa une nouvelle dans son idée « Bon matin, Aurore » souffla-t-elle simplement.
Récupérant sa tasse, dans un demi-sourire vers celui qui semblait désormais partager sa vie, elle s’installa au niveau du comptoir, humant l’odeur agréable, elle sembla avoir envie d’y plonger ses lèvres, pour autant elle y renonça au dernier moment. Habituée par les réveils difficiles de sa patronne, la jeune femme ne s’était pas éternisée, s’engouffrant de nouveau dans la cuisine pour préparer l’ouverture. Merrick aussi avait visiblement dans l’idée de lui fausser compagnie, elle laissa une grimace s’imprégner de son visage. Regardant sa tasse, elle ne parvenait pas à se défaire de cette idée, cette possibilité, après tout, Merrick qui avait toujours voulu s’épancher dans ses draps ne tentait plus rien… N’était-ce pas là un signe ? Non. Elle devait arrêter d’hésiter, de douter.
- « C’est à quoi ? Ça sent bon… » fit-elle pour se rassurer avant de se forcer à tremper ses lèvres dans le liquide chaud « Tu m’abandonnes déjà, je vais croire que ce voyage à plus d’importance à tes yeux que nous… Bon dépêche-toi, on va finir par être en retard, en plus Amélise nous a fait une livraison, de la bonne viande séchée et cuisinée rien que pour nous. »
Elle fit cette petite moue enfantine, propre à son habitude, avant de l’aviser disparaître une nouvelle fois dans les marches. Il sera plutôt fier de voir qu’elle ne s’est pas encombrée d’une multitude de choses à emporter, bien au contraire. Merrick était donc montée et la dame n’avait pas cherché à consommer l’infusion, préférant s’engouffrer dans la cuisine pour retrouver Aurore.
- « Aurore ? Ca va aller, tu es certaine, je peux reporter de quelques jours sinon… » - « Non, non ça te fera le plus grand bien Estelle, et puis ça sera l’occasion de vous retrouver ou trouver avec Merrick »
Un petit silence, alors que la dame semblait un peu perdue.
- « Estelle ? Tu vas bien ? » - « Oui, oui, pardon. Bon, normalement nous sommes bons niveaux stock, Amélise a livré hier, je t’ai laissé de l’argent. Je te prends Brigitte, mais je t’ai mis sa jumelle sous le comptoir. Si jamais quelqu’un exagère, tu n’hésites pas, les consignes sont les mêmes, pour toi aussi. Tu peux faire appel à la milice, évidemment. » - « Estelle, ça va très bien se passer, file, tu vas être en retard ! »
La rouquine lui offrit un sourire termina de ranger dans des petits récipients la viande séchée, avant de sortir, détaillant Merrick qui se trouvait déjà en bas des marches. Enfilant son sac de nourriture –qui contenait également Brigitte et des plantes-, elle offrit un sourire à Aurore, puis son milicien avant de passer la porte pour disparaître dans les ruelles, laissant la chope derrière elle, avec cette boule d’angoisse toujours bien présente. Instinctivement, son regard c’était porté sur son environnement, à la recherche d’une silhouette hostile, comme Adrien ou Martin. Un soupir avait rapidement fui ses lèvres, de soulagement, avant qu’elle ne glisse sa main dans celle de l’homme d’armes.
- « Je suis un peu nerveuse… » avoua-t-elle néanmoins « Tu n’es pas un peu anxieux toi ? »
◈ ◈ ◈ En sortant, la dame avait passé une cape sur son épaule, s’emmitouflant dedans pour supporter le vent ou les températures trop basses encore pour elle, malgré le soleil s’installant. Marchant au rythme de Merrick, une main dans la sienne, s’appliquant à ne pas s’éloigner physiquement de lui. La dame dévoilait largement sa nervosité malgré elle, cependant, n’avait-elle pas en tête de changer d’avis. Estelle n’était pas une adepte des grandes marches, aussi, était elle satisfaite de s’imaginer pouvoir aller un peu dans le convoi lorsqu’elle serait épuisée.
- « Merci Merrick… Pour avoir préparé le voyage, ça me rassure cette idée de convoi, vraiment. Je ne suis plus réellement sortie depuis la fange. » et depuis la disparition de son mari « Il est comment ce chef, tu le connais ? Tu as déjà eu l’occasion de travailler avec lui ou ce ne sont que des murmures ? »
Elle lui offrit un sourire, simple avant de rejoindre le convoi qui lui semblait particulièrement impressionnant. Détaillant l’ensemble y compris et plus particulièrement les chevaux qui avaient toujours eu le don de l’attirer de cette manière inexplicable. Pour autant, son attention fut très vite détournée par un léger mouvement de menton de son acolyte, lâchant la main de Merrick elle le suivit à la rencontre de ce fameux collègue. La femme eut largement le temps de découvrir à la première phrase qu’il ne manquait pas que des chicots à son nouvel interlocuteur, sa main glissa sagement jusqu’à son sac, ou elle vérifia la présence secrète de Brigitte. Rassurée, elle se contenta un léger roulement des yeux, poursuivant :
- « C’est bien, vous avez une vision remarquablement juste » répondit-elle un peu désabusée « Je suis moi aussi ravie de faire votre rencontre »
Silencieuse un peu en rentrait elle suivit la fin de l’échange sans un mot, cependant, la dernière phrase fut presque la phrase de trop. Son regard se fit un peu plus intense, un peu plus dérangé sans qu’elle ne l’explique clairement. Il voulait connaître le truc ? Elle allait lui en donner.
- « Je peux vous montrer si vous voulez » fit-elle dans un demi-sourire en coin que Merrick devait pleinement identifier.
Évidemment l’homme s’était approché pour voir lorsqu’elle lui avait fait signe d’approcher, Estelle avait dégainé Brigitte et BIM.
- « Tout est dans le mouvement du poignet. » ajouta-t-elle simplement « Bon courage pour le mal de tête, ça passe très rapidement lorsqu’on apprend à mieux s’exprimer, tout est une question de mot monsieur, non pas de maux comme celui-ci que vous devez ressentir là... »
S’approchant de Merrick, elle lui offrit un petit sourire désolé en rangeant sagement Brigitte. De là, elle l’accompagna simplement jusqu’au fameux chef. Le couple ne pouvait pas faire pire en entrée en matière de toute façon, c’est ce qu’elle n’avait de cesse de se répéter en offrant son plus beau sourire à celui qui dirigeait l’ensemble. Estelle le détaillait, inclinant poliment la tête, laissant une nouvelle fois les deux hommes discuter. La rousse n’était visiblement pas prête pour ce qu’elle allait entendre, ou très loin de s’en douter. Fronçant les sourcils, la jeune femme ne comprenait pas pourquoi Merrick ne lui avait pas dit connaître l’homme, pourquoi lui avoir menti ? Mais il semblait si sincère dans sa surprise et quand l’évocation de la femme et de la relation éclata, les lèvres de la gérante s’écartèrent légèrement.
Déglutissant, elle sentit néanmoins son cœur se pincer, incapable de relativiser, avant de finalement se remémorer tout le reste. Finalement, la suite logique ne tarda pas à arriver, Estelle ne pouvait même pas faire semblant d’être surprise. L’homme était devenu rouge, si rouge, si blessé, comment pouvait-elle ne pas le comprendre ? Affichant une moue compatissante, la Chantauvent se contenta de s’excuser avant de suivre le milicien dans sa fuite.
Retour au point de départ, devant la grande porte. Un sac sur le sol, elle debout, lui aussi, détaillant ce point d’entrée parfaitement bien gardé. Estelle n’en voulait pas à Merrick dans le fond, comment le pourrait-elle alors que son esprit n’avait de cesse de penser à Martin, de penser à Adrien, de penser à ce mauvais rêve. Oui, finalement, cela n’avait pas de grande importance.
- « On ne peut pas se séparer, le mariage à forcément survécu » souffla-t-elle dans un premier temps « Ils ont dû obligatoirement se reconstruire ou au moins essayer »
Avait-elle été dans ce type de situation elle aussi, avait-elle pardonné. Merrick avait un passé, Estelle en avait parfaitement conscience, il ne lui avait pas caché, même si le milicien n’en avait jamais réellement parlé. Alors de quel droit pouvait-elle aujourd’hui lui en vouloir ou même lui reprocher ? Pour autant, ça l’avait blessé, d’une certaine manière oui, même si la douleur était si superficielle vis-à-vis de tout le reste et quel reste. Avisant l’intérieur, avisant ce Marbrume qu’elle avait eu envie de fuir, elle semblait soudainement hésitante, prête à fuir, à l’abandonner lui, lui qui avait fait naître involontairement et sans le savoir un petit doute dans l’esprit de la rousse. Silencieuse, la tenancière semblait un peu perdue, alternant son attention entre un milicien qui lui proposait de faire un premier voyage à deux et cette envie soudaine de renoncer. L’évidence de la situation sembla alors la frapper, si elle renonçait que lui restait-il ?
- « Alors qu’est-ce qu’on attend ? » fit-elle lentement en sa direction « Mais tu vas m’entendre me plaindre de mes pieds, Merrick, sans le moindre doute. »
Elle aurait pu lui dire qu’il formait un étrange duo, qu’elle ne lui en voulait pas, qu’elle était prête à accepter la multitude de conquêtes, elle aurait pu oui, mais lorsque son regard effleura sa silhouette, ce fut simplement un silence. Presque naturellement, elle était venue récupérer le sac qu’il avait déposé sur le sol, le glissant sur son épaule et puis elle avait pris le chemin dont elle se souvenait pour Conques. Un pas un peu plus rapide, elle avait poursuivi le petit sentier, toujours prise dans ses pensées, silencieuses. Poursuivant simplement, elle octroyait de temps en temps un petit regard à celui qui venait de la rejoindre, que pouvait-elle lui dire ? Exprimer ses doutes, exprimer que dernièrement les cauchemars s’éclaircissaient ? Trop difficile, beaucoup trop ne parvenait-elle-même pas encore à y croire, à le tolérer, alors à quoi bon ?
Depuis combien de temps le duo progressait dans un silence qui n’était pas particulièrement pesant. La gérante semblait accaparée par l’environnement, la végétation, le bruit de ses pas sur le sol, sur les branches et l’herbe. Là, où avant il y avait une véritable vie, ne se trouvaient plus que pour la plupart des maisons vides, parfois non vides où vivaient encore des survivants, ou plutôt des inconscients. Sentait-elle son cœur battre plus fort dans sa poitrine, vibrer, trembler, tout comme sa respiration qui parfois semblait se bloquer douloureusement. Comme par habitude, ou plutôt mauvaise habitude, elle n’essayait pas de rentrer physiquement en contact avec l’homme d’armes. Être touché, effleuré lui semblait soudainement quelque chose d’insurmontable, d’irréalisable. Aurait-il lui aussi, la trahir, abuser de cette proximité, d’une possible facilité ? Puis soudain, elle brisa ce vide, un instant, une fraction de seconde.
- « Est-ce que tu as toujours été avec des femmes d’accord ? » ce ne fut qu’une fois formulée qu’elle se rendit compte de la stupidité ou de la violence de sa question, s’immobilisant, la dame n’eut pas le temps de se reconnaître, qu’elle tenta de réajuster, de se rattraper « Je veux dire, des femmes mariées, enfin, des hommes mariés.. Non, pas des hommes » elle lâcha un soupir « Je crois que je ne suis pas très doué pour rebondir sur autre chose… Je me demandais simplement si ça t’arrivait souvent de tomber sur des maris jaloux. Au moins, le mien ne risque jamais de venir à ta rencontre.»
Piétinant un peu sur place, le détaillant en laissant une main passer derrière sa nuque, Estelle l’observait un petit regard désolé. Ce n’était pas si simple de réfléchir dans le bon sens lorsque tout ne tournait sans le moindre sens. Elle avait besoin d’un repaire en l’absence de repère. Déglutissant, elle finit par tendre la main vers lui, un moyen physique de se réconcilier, de s’excuser, mais peut-être aussi dans le fond de ne pas perdre pied. D’ailleurs en parlant de cette extrémité la rouquine sentait déjà l’ensemble plutôt douloureusement, reprenant la marche, soit main dans la main, soit avec une main solitaire qui restait en la direction de son homme d’armes.
- « Tu penses qu’on est bientôt arrivé ? » questionna-t-elle une nouvelle fois, puis sortant deux morceaux de viande séchée un pour elle, l’autre pour Merrick qu’elle lui tendit, elle poursuivit tout en mastiquant « On a de la chance d’avoir du soleil, tu penses vraiment qu’on pourra avoir un autre convoi à Conques ? Et Martin, tu penses qu’il nous suivrait jusque-là ? Dernièrement j’ai l’impression d’être observé… souvent… »
C’était tout à fait probable que cela soit le fruit de son imagination, c’était même plus qu’une possibilité envisageable. Cependant, là, alors qu’elle semblait avoir dans l’idée de poursuivre, ce fut un nouveau silence. Un peu plus loin, des buissons s’animaient déjà, étrangement s’immobilisant, incapable de bouger, ce fut un cri soudain qui s’échappa de ses lèvres alors qu’elle observait la bête qui venait de surgir. IMMENSE. LARGE. MONSTRUEUSE. ÉNORME. Elle faisait au moins un mètre, oui au moins, s large, si grosse, si grosse… Un pelage noir et blanc, en bande, oui en bande… Un nez. Un nez GROS très GROS. Noir. Aussi gros qu’une montagne, une grosse montagne. Une vague de frisson animait lentement déjà la rouquine qui se reculait vivement, sortant déjà Brigitte, elle ne pouvait qu’aviser tremblante la bête à la queue longue, si longue, trop longue. Était-ce obligatoirement un monstre, au minimum une créature envoyée par Rikni pour la tester. Immonde créature, atroce créature. Immobile, la bête hideuse observait d’un regard dubitatif le duo, sans bouger, grognant, avant de secouer ses grosses pattes courtes de droite à gauche, sur place, piétinant là alors que ses immenses griffes sombres venaient embrocher les feuilles. Ploc ploc. La bête se dandinait à droite, à gauche, sans boucher sans trop comprendre ce que les deux bipèdes faisaient là.
- « Me-Me-Me-rrick… » grommela-t-elle « Il va… Il va… nous… embrocher ! Il est hor-horrible… HORRIBLE » gémit-elle prête à prendre ses jambes à son cou.
Puis ce fut un mouvement, un simple mouvement de l’animal et la rouquine avait fini par disparaître en entraînant évidemment son milicien dans sa poursuite. Hors de question de le laisser se faire manger par cette affreuse et horrible chose. Une main dans celle de l’homme d’armes, l’autre tenant fermement Brigitte, le sac en bandoulière sur son épaule, ce fut une fuite sans précédent. Inutile d’essayer de la raisonner, de la faire ralentir, Estelle était apeurée et courrait aussi vite que ses jambes et ses pieds douloureux le lui permettaient. Ce ne fut qu’après un sacré temps qu’elle se laissa tomber à genou sur le sol, épuisé, sans savoir combien de temps sa course avait duré, mais elle craignait encore que l’horrible chose soit là.
- « C’était PIRE qu’un fangeux » fit-elle en écarquillant les yeux, le souffle coupant le moindre de ses mots « Pi-pi-PIRE » reprit-elle en le regardant avec des billes à la place de ses prunelles « Dis-moi qu’il est plus là… il est plus là HEIN HEIN. C’est Martin, Martin il nous envoie des choses…des créatures… Y en a beaucoup des choses comme ça, dehors ?! »
- Spoiler:
Félicitations tu as terminé la lecture tu peux ouvrir le MP héhé
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| | | Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Mer 5 Juin 2019 - 20:37 | | | Merrick Lorren avait réussi à tirer Estelle de Chantauvent de son sommeil. Or, pouvait-on réellement parler d’un succès ou d’une victoire ? Lui-même en doutait plus qu’il n’en fallait. Peut-être qu’il avait gagné une bataille, mais aucunement la guerre. À l’heure actuelle, son triomphe était ô combien bénin, ténu et d’une facilité écrasante comparativement à l’âpreté de la véritable lutte qui se jouait et qui les distançait. Où se situait la véritable zone de conflit, l’élément que le milicien voulait oblitérer, réduire à néant et vaincre pour de bon ? Nulle part ailleurs que dans le regard de la Chantauvent. Pourquoi y lisait-il continuellement une lueur de doute à son égard ? Pourquoi la sentait-il distante ? Était-ce simplement pour ce qu’il avait tenté d’imputer à son ignoble de frère ? Peut-être. Mais alors, pourquoi percevait-il qu’Estelle le regardait parfois, souvent au moment où elle pensait qu’il ne pourrait la voir, comme un monstre…? -”Prends ton temps pour descendre.” Lui répondit-il dans un simple murmure avant de s'éclipser, de fuir ce regard aussi inquisiteur que scrutateur. Oui, les mots étaient à double tranchant bien que le ton ne le soit aucunement. Aucun signe ne trahissait son désarroi et l’incompréhension qui le minait autant qu’elle le déchirait... Sauf, comme à son habitude, à la main qui vint se perdre dans sa crinière. Bref, que la jeune femme prenne tout son temps pour le rejoindre. Ce n’était pas “elle” qu’il attendait, qu’il cherchait à retrouver. C’était la tenancière que l’ivrogne avait connue au détour d’une soirée beaucoup trop aviné, celle qu’il avait appris à connaître au fur et à mesure de leur rencontre toujours plus nombreuse. La rousse qu’il avait embrassée sur la muraille, la jeune femme qu’il aimait. Pas celle qui le fusillait du regard et fuyait son contact. Refermant la porte de la chambre, Merrick soupira et secoua la tête. Les départs donnaient souvent le sentiment d’une renaissance, d’un renouveau. Aujourd’hui, il fallait simplement que l’adage ne déroge pas à la règle pour retrouver la Estelle de Chantauvent qu’il cherchait. Face à cela, il ne souffrait pas du moindre doute; pour y arriver, il devrait être prêt à mener la plus difficile des guerres, la plus âpre des batailles. La réveillé n’avait été qu’un échauffement, qu’un jeu d’enfant comparativement au conflit qu’il aurait à mener… mais Merrick Lorren ne venait-il pas de lui offrir la preuve qu’il était un homme qui était du genre à mener à bien des causes perdues d’avance, qu’il était de ceux qui pensent qu’il y a toujours une manière de remporter le combat, même quand tout prédit la défaite à venir ? Il n’abandonnerait pas. ◈ ◈ ◈ Attablées au comptoir, les deux infusions prêtes, la propriétaire de l’établissement étaient venues le rejoindre. L'apercevant à la dernière minute, ou plutôt l’entendant venir grâce au début de son élocution, Lorren s’ébroua pour sortir de sa rêvasserie qui ne menait nulle part et qui prenait racine dans ces iris gris-bleu qui le regardaient désormais. Lui offrant un sourire de façade, celui qu’il dressait comme le masque de beau salopard et de charmeur, l’homme d’armes poussa du bout des doigts l’infusion qui était destinée à Estelle. “À quoi ? C’est plutôt à toi de me le dire. Je ne sais pas trop les plantes que tu as ici.” Dit-il en haussant les épaules. “Par contre, ce n’est pas celles que tu as au-dessus de la cheminée, ne t’inquiète pas.” Termina-t-il dans un clin d’oeil qui se voulait amusant. À l’heure actuelle, Merrick n’avait pas encore conscience qu’il avait déjà “eu” la chance de goûter lesdites plantes. Parfois, il devait y avoir des choses qu’il ne fallait mieux ne jamais savoir… Se levant pour aller chercher les sacs, Merrick se retourna, continuant à avancer en reculant. “ Ce voyage c’est pour “nous”. Rien n’est plus important que ça…” Dit-il nébuleusement en écartant les bras. Parlait-il du voyage ou de leur couple ? C’était à Estelle d’en juger. Elle qui semblait souffrir de l’un et l’autre… Dans les escaliers, les montants quatre à quatre il finit de déclamer les derniers mots de sa tirade, parlant un peu plus fort pour être entendu par la principale concernée. “ Je l’attendais cette livraison !” Ladite bouchère du Labret était une fine cuisinière. Ses viandes n’avaient pas d’égal. Peut-être qu’ils auraient la chance de la rencontrer durant leur expédition sur le plateau ? Une femme aussi bonne en cuisine devait être une hôte digne de ce nom ! Satisfait de voir que la rousse avait suivi ses conseils et ne voyageait pas trop lourdement, Merrick souleva les deux sacs et redescendit rapidement en direction des deux jeunes femmes. Un sourire aussi enfantin qu’espiègle sur les lèvres, le milicien et la tenancière s’éclipsèrent rapidement, sans demander leur reste. Une fois dehors, le duo du faire face au baroud d’honneur de l’hiver. Celui-ci s’accrochait encore désespérément à ce mois de mars qui sonnait le glas pour sa vie, qui se faisait sentir au travers des bourrasques glaciales de la bise mordante qu’il soufflait sur Marbrume. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Lorren rentra le cou dans ses épaules, se cachant derrière les pans de sa cape et appréciant les joies de cette nouvelle aventure qui venait de commencer. Heureux de sentir la main d’Estelle venir trouver ses doigts, Merrick la regarda avant de proférer et de définir le sentiment qui l’habitait : ”Je suis impatient.” C’était la plus stricte des vérités. Depuis combien de temps n’avait-il juste pas profiter de quelque chose qui l’électrisait au plus haut point, qui lui donnait véritablement envie ? Son existence s’était naturellement engoncée dans une routine aussi morne que fade à son arrivée à Marbrume. Service, ivresse, maigre repos, service, ivresse… La seule chose qui avait amélioré cette sempiternelle assuétude à un train de vie bien lassant avait été la rencontre de la personne qui lui tenait présentement la main. Or, aujourd’hui il se dirigeait loin de tout cela. Ils partaient vers l’inconnu, vers quelque chose qui avait le mérite de le faire trembler d'excitation et non de peur. Aurait-il dû être un peu plus dubitatif et hésitant face aux prémices de ce voyage ? Peut-être… Pour autant, le milicien n’était pas aveugle ni idiot... enfin, généralement. Bref, toujours est-il qu’il avait perçu la petite dose d’inquiétude qui étreignait Estelle vis-à-vis de l’inconnu et du voyage. Merrick aurait pu se montrer rassurant, tenter de dresser des mots pour oblitérer les maux, mais il resta plutôt silencieux, ne faisant qu’acte de présence et laissant leur proximité et ses doigts entremêlés avec ceux de la Chantauvent faire leur travail. Depuis quelque temps, il préférait ne pas parler, ayant le sentiment que ses phrases enchaînaient ou ne semblait pas être bien comprise ou prise par sa partenaire. Lorsque la question était directe, il y répondait, bien évidemment. -”C’est normal, voyons.” Commença-t-il en regardant droit devant. “ Moi non plus à dire vrai, alors je ne pense que c’est plus qu’une bonne idée de voyager via un convoi !” S’exclama le couard, heureux lui aussi de pouvoir se retrouver entouré d’une protection et de milicien de l’extérieur. “ Je ne l’ai jamais vu, mais certains de mes frères d’armes en parlent plus qu’en bien. Ils le disent honnête et généreux.” Arrivés sur les lieux du convoi, les événements se précipitèrent plutôt rapidement. Tout d’abord avec Arti, qui eut le droit de découvrir le “truc” de la Chantauvent. Lorsque Lorren avait vu LE sourire de sa tenancière venir prendre le contrôle de ses traits, il avait ouvert la bouche sans trouver la force d’arrêter ce qui allait se perpétrer. Était-ce réellement une bonne idée de frapper dès le départ un membre de leur escorte ? Lorsque Brigitte sortit du sac de provisions et vint percuter la tête du vicieux milicien, Merrick ne put s’empêcher de pouffer avant de se ressaisir. S’éloignant sans rien proférer de plus à l’adresse du malheureux Arti, alors qu’Estelle avait été parfaitement claire avec ce dernier, l’homme d’armes haussa les épaules devant sa petite mine désolée. “Il l’avait mérité et je ne l’aime pas beaucoup.” Dit en répondant à son sourire. “ Je me doutais bien qu’elle serait du voyage celle-là.” Poursuivit-il en pointant du menton le sac de provisions. “ Moi qui pensais que nous partions seulement à deux… devrais-je être jaloux de sa présence ?!” C’est sur ces entrefaites que le duo alla à la rencontre du chef du convoi. Tandis que l’ivrogne pensait que le pire était passé et que rien ne pourrait plus mal aller, mis à part si Estelle décidait d’assommer aussi ce lascar, le jeune homme découvrit un homme en tout point affable et jovial. Du moins, lors des premiers instants, avant que celui-ci ne découvre et rappel à sa mémoire que Merrick Lorren avait couchée avec sa femme. Crise de nerfs, insulte et rougissement intempestif du faciès furent les réactions de De Marais, avant qu’il ne s’éloignant dans une tempête de haine et de colère. Interdit, indécis et surtout abasourdi, le fautif ne savait plus quoi faire ou que dire, évitant d’ailleurs le regard d’Estelle. Que lirait-il à l’intérieur de celui-ci ? Quelque chose de pire que la lueur de doute qu’il percevait de plus en plus régulièrement ? Restant silencieux aux répliques de la jeune femme, tandis que tout ce qu’attendait l’homme d’armes était de savoir la suite des choses. Partiraient-ils ou resteraient-ils ? Le plus honnêtement du monde, Merrick avait le sentiment que si le duo restait dans la cité, leur histoire et leur relation allait péricliter et connaître un dénouement abrupt. Pour ça, nul besoin de la présence vénale de Martin ou de la perfidie d’Adrien. Ils s’éloignaient l’un de l’autre sans l’aide de quiconque. Était-ce une preuve que leur connivence n’était pas idéale, pas assez forte et puissante pour traverser la truculence du destin ? Bien que l’homme d’armes ne la regardait pas, il pouvait voir du coin de l’oeil que la Chantauvent était indécise, tergiversant quant à la marche à suivre. C’était plutôt mauvais signe… Lorsqu’elle lui donna son aval pour un départ simplement et seulement à deux, Lorren la regarda sans dresser un sourire ou un soupir de soulagement. Hochant la tête lentement, il ne fit que proférer deux petits mots. “Très bien.” Il aurait pu lui présenter un plaidoyer d’excuse aussi grandiloquente que réelle. Il aurait pu tenter de vaincre ses incertitudes en assurant qu’il était empreint et empli d’une confiance qu’il n’avait pas. Mais en la regardant, tout ce qui le vrilla fut cet impératif de silence. Merrick Lorren était désarmé et ne savait plus où mettre les pieds. “Je te porterais s’il le faut.” Tenta-t-il de réagir face au possible mal de pieds d’Estelle de Chantauvent. “Mais toi, pour encore combien de temps pourras-tu me supporter ?” Ne put-il s’empêcher de penser en étant incapable de le proférer... ◈ ◈ ◈ Le début de leurs pérégrinations s’articula dans un silence d’outre-tombe, dans un non-bruit et un non-dit quasiment mortuaire. Par chance, la vision qu’offrait l’extérieur méritait le détour et toute sa concentration. Ébahi par des éléments bien bénins pour d’autres, Merrick s’extasiait comme un enfant devant les bruits de l’environnement, que ce soit le vent dans les feuilles ou le piaillement des oiseaux. Humant la riche odeur de la terre après une nuit pluvieuse, le milicien se promenait, dans les prémices de cette escapade, le sourire aux lèvres. Bien que concerné et concentré par tout ce que ses sens pouvaient lui renvoyer, Lorren n’en oubliait pas Estelle de Chantauvent. Loin de l’ignorer ou d’éviter de réfléchir, les yeux de l’ivrogne revenaient souvent se perdre sur les omoplates de la rousse. Le sac était-il trop lourd pour elle ? Est-ce qu’ils marchaient trop vite ? Voulait-elle faire une pause ? Hésitant à chaque fois à proférer le moindre son, il continuait ainsi à se murer dans le silence… -"...Que viens-tu de dire ?!” Ne put-il s’empêcher de proférer avec une certaine dose de véhémence et d’amour propre froissé. Estelle venait de briser les non-dits d’une manière bien affreuse et douloureuse. Était-elle sérieuse ? Ses oreilles ne lui réverbaient plus aucun bruit entourant et avoisinant. Tout ce qui se jouait encore dans son esprit était ces mots. Le prenait-elle pour un monstre ? Oui… sûrement. Son regard, lui, ne mentait pas. À l’arrêt la mâchoire avachie et les épaules prostrées, Merrick tenta de dire quelque chose, mais rien ne vint. Le fracas de ce qu’elle lui imputait potentiellement lui avait soufflé toute velléité de réponse. Ce fut finalement Estelle qui se rétracta et résorba la calomnie de ses propres mots, de ses paroles, en redéfinissant le cadre de ce qu’elle avait voulu proférer. Était-ce suffisant pour oblitérer toute la truculence de sa prise de parole ? Loin s’en fallait pour Merrick Lorren qui se sentait toujours aussi esseulé et isolé, tel un marin à la dérive sur une mer tourmentée. “ C’est la deuxième fois que je tombe sur un mari jaloux.” Le ton était morne et égal. Aucune intonation. La première fois, Lorren avait même était pris sur le fait par l’homme trompé… ” Je ne regardais pas leur situation. Marié ou non, cela ne me dérangeait pas.” Dit-il en haussant les épaules. Se dédouanait-il de toute problématique ? Peut-être. Mais c’était le choix de la femme de venir le rejoindre et de le laisser la courtiser. Il n’avait jamais forcé quelqu’un. “Et non, je n’ai jamais forcé quelqu’un. Me prends-tu pour…” un monstre, un violeur, pour ton frère ? Ne put-il proférer. À la place il soupira, se passant une main sur le visage. “Et que des femmes ! Pas d’hommes !” Préféra-t-il tout de même mettre au clair, alors que l’un de ses yeux allait s’ouvrait d’entre ses doigts qui se trouvait encore sur son faciès. Cela lui semblait logique, mais mieux valait tout définir avec sa tenancière qui avait de drôle de question pour l’heure… Immobile sur place et devant Estelle, Merrick resta à l’arrêt jusqu’à ce qu’un autre signe de la Chantauvent vienne ne le trouver. Voyant la main de la jeune femme se tendre vers lui, Lorren resta sur place durant quelques secondes, regardant ces doigts qui invitaient les siens à les retrouver. Puis, faible devant cette promesse de contact physique qui se faisait de plus en plus rare, le milicien accepta la gestuelle, s'agrippant à cette main et au contact de sa paume dans la sienne. La marche reprit, tandis que l’ivrogne restait enfermé dans son marasme et dans l’ambivalence des derniers mots d’Estelle. “Je ne sais pas. Probablement qu’il nous reste encore quelques heures de marche. Du moins, j’imagine.” Conques n’était pas véritablement loin. Le duo l’atteindrait sans mal avant la nuit. Mais de là à savoir dans combien de temps exactement… La suite fut plus douloureuse à entendre. Estelle s’inquiétait à propos de Martin et révélait qu’elle avait le sentiment d’être épiée. Sentiment qui venait corroborer la même sensation qu’avait Merrick. Se pouvait-il que ce ne soit pas que leur imagination ? Est-ce que le psychopathe était déjà en train d’ourdir sa revanche ? L’ivrogne voulait croire que ledit homme ne les suivrait pas à l’extérieur des murs de la cité. “Il y a peu de chance qu’il nous suive. Pour ça, il faudrait qu’il réussisse à traverser la porte du Crépuscule sans se faire remarquer. Son signalement a dû être répandu dans les postes de garde…” Convaincu de ses dires, Lorren hocha la tête. Oui, cela avait du sens ! Et puis, bien que sortir de la cité soit assez simple, le retour en était beaucoup plus ardu. Martin devait le savoir; s’il s’amusait à les suivre vers le Labret, jamais il ne pourrait revenir dans la ville. La milice était très méfiante vis-à-vis des nouveaux arrivants en provenance de l’extérieur, notamment pour prévenir une intrusion des bannis. Dès lors, il se ferait sûrement reconnaître. “Je…” Merrick Lorren ne put jamais continuer sa prise de parole. Car devant eu se dressait… un blaireau. Tout sourire Merrick se pencha au niveau du sol, ne lâchant pas pour autant la main de sa “princesse en détresse”. Détresse qu’il n’avait aucunement perçue, complètement absorbée dans la contemplation de ce petit mammifère. “Oh un blaireau ! Petit, petit…” Tenta-t-il de l’appeler à lui en claquant de la langue et tendant une main. Écoutant d’une oreille distraite les paroles décousues d’Estelle, l’homme d’armes fut long à comprendre la formulation de la Chantauvent. “...Hein, quoi ? Nous embrocher ? Il n’a même pas de défense !” Le jeune homme ne l’aurait pas qualifié d’horrible. D’ailleurs, il le trouvait plutôt attendrissant cet animal. “Moi je le trouve aussi char…” Que moi. Or, le beau salopard ne put jamais finir sa phrase, entraîné dans une cavalcade effrénée et frénétique par nul autre que la propriétaire de la Chope Sucrée. Déséquilibré par la fuite qu’il n’avait pas le moins du monde prévue, Merrick dut se faire violence pour ne pas chuter. Réussissant à retrouver son équilibre de peine et de misère, après être passé d’une position accroupie à un véritable sprint, il ne put récupérer son sac qu’il avait déposé au sol pour tenter d’appâter le blaireau. “Est...Este….Estelle !” Évitant les branches et les arbres qui se dressaient sur leur chemin, Lorren n’avait aucunement le temps de tenter de la raisonner. Toute sa concentration allait à suivre le mouvement, la cadence, sans discontinuer. Car après tout, le plus important en cette heure était de ne pas perdre son accompagnatrice. L’homme d’armes pouvait être plus que content que la rouquine ne soit pas plus entraînée que cela sur le plan physique. Car déjà, leur course avait été longue et les avait amenés loin de la route. Si cette dernière aurait été plus en forme, possiblement qu’elle aurait continué pendant un bon, un très bon moment… Ahanant lui aussi sous l’effort, une main sur le genou et l’autre enserrant toujours les doigts de la fuyarde, Lorren la regarda et l’écouta. Gardant son sérieux, pour un temps, il hocha la tête avant d’ouvrir la bouche. Or, au lieu d’un flot de paroles, ce fut un puissant rire, une véritable hystérie qui prit le contrôle et le dessus sur sa retenue. Incapable de s’arrêter de s’esclaffer, Merrick se laissa lui aussi tomber au sol, se tenant les côtes et retenant bien difficilement une larme de venir couler de ses yeux. Cela faisait combien de temps qu’il n’avait pas eu autant d’amusement ? Depuis bien trop longtemps. Entre les situations compliquées et difficiles qui les liaient à Martin et Adrien, adjoint à la méfiance de sa tenancière envers son milicien, son rire se faisait beaucoup moins entendre. Réussissant de peine et de misère à retrouver son calme, ou plutôt forcé à le retrouver, alors que l’air commençait à manquer et cruellement se faire ressentir, Merrick Lorren souffla, s’essuyant les yeux humides. -”Au...aurais-tu...un pro...un problème avec les bêtes, Estelle de Chantauvent ?” Demanda-t-il, la voix encore entrecoupée d’un amusement non feint. “ Le rat le soir de notre rencontre, puis un blaireau.” Dit-il, retenant une esclaffation de poindre à nouveau. Il espérait ne pas la choquer avec son amusement, mais difficile de circonvenir à cette hilarité. “Pire qu’un fangeux ? Allons, Estelle, il était tout mignon !...non ?” Le sourire aux lèvres, il continua en haussant les épaules. Puis, remarquant que l’inquiétude de la jeune femme n’était pas feinte et loin d’être diminuée, il la rassura en serrant sa main un peu plus fort. “ Ça va, il n’est plus là. Il est loin. Bien, bien loin.” Même peut-être trop loin, lui et la route… ”Martin ? Allons, s’il ne fait que nous envoyer des “créatures” comme ce quadrupède, nous serions choyés !” Laissant le silence s’égrener pendant quelques instants, il regarda la rouquine tenter de raffermir son calme. “Tout va bien.” Ne fit-il que répéter. Le duo était encore au sol. Loin de chercher à se relever, profitant simplement du calme de la canopée et de la barrière contre le vent qu’offrait la forêt, Merrick regarda la main qu’il tenait entre ses doigts. Même au pire moment de la fuite de la Chantauvent, ils ne s’étaient pas lâchés. Bon signe ou non ? Preuve que tout pouvait être plus solide qu’il ne pouvait le croire ? Rejetant la tête vers l’arrière, fermant les yeux un instant et chassant ces millions de questions qui prenaient de plus en plus de place dans sa vie et dans ses réflexions, Merrick ne fit que profiter de l’instant présent. Un faible sourire en coin dressé, il finit par reprendre pied dans la réalité, offrant un oeil amusé à sa partenaire. “Nous devrions tenter de retrouver la route. J’ai laissé mon sac sur place dans notre fuite vers l’avant.” Se levant, lâchant la main d’Estelle, s’époussetant lui-même, il s’approcha de la jeune femme pour lui enlever une branche qui s’était glissée dans sa chevelure. “Prête ?” Convaincu de prendre la bonne direction, l’homme d’armes prit cette fois-ci la tête de l’expédition. Tassant branchage et buisson de sur leur chemin, faisant bien attention de ne pas laisser Estelle esseulée et trop isolé à l’arrière, Merrick avançait lentement. De fait, leur rythme était beaucoup plus lent en ce chemin accidenté et nullement dégagé. Loin d’être un habitué de ce genre de milieu, de ce genre de forêt limitrophe aux marécages non-loin, leur progression était nettement plus lente que lorsqu’il cheminait via la route qui aurait dû les mener vers Conques en toute sérénité et sécurité. D’ailleurs, en ce lieu, la terre était plus vaseuse et moins tapée. Dès lors, leur progression n’en était que plus difficile. Et puis, au bout d’un moment il fallut se rendre à l’évidence; ils n’étaient pas sur le bon chemin. Oui, leur avancée était bien plus lente que le rythme frénétique de leur fuite. Or, ils auraient déjà dû déboucher sur leur point de départ depuis un bon moment ! Se pouvait-il que Merrick Lorren soit parti dans la mauvaise direction…? Arrêtant tout mouvement brusquement, fronçant les sourcils et balayant le paysage de son regard de droite à gauche puis de gauche à droite, le milicien se tourna pour faire face à Estelle, prêt à lui dire qu’il venait de les perdres. L’avisant, ouvrant la bouche, il n’en eut pas la force. Cette jeune citadine, en robe, qui avait déjà mal au pied et qui venait de fuir devant un simple blaireau. Comment lui imputer ne serait-ce qu’un malheur de plus, à cette longue liste de déboire ? Le jeune homme ne voulait pas lui faire peur, mais encore moins la voir regretter son choix d’être partie avec lui. Aussi, fut-il faible et ne dressa-t-il pas les mots qui auraient signifié explicitement qu’ils étaient perdus. Ô, peut-être qu’elle le comprendrait. Après tout, Estelle était loin d’être stupide. Mais, lui ne l’avouerait pas ! “...Est-ce que tu sais c’est par où à partir d’ici ?” Attendant une réponse qu’il désirait plus que tout positive, espérant l’aide de la jeune femme qui aurait peut-être un sens de l’orientation à toute épreuve et bien caché, Lorren se permit de demander un coup de pouce aux Trois. Le duo avait déjà subi beaucoup d’aléas néfastes du destin. Cette fois-ci, la Trinité ne pouvait-elle pas se montrer magnanime ? Que la réponse soit positive ou non de la part de la jeune femme il fallait se faire une évidence. Ils étaient encore plus loin qu’avant de la route. Se rapprochaient-ils des marais ? Cette interrogation lui fit froid dans le dos. Il ne fallait surtout pas s’approcher de ce genre de lieu, la nuit qui plus est. Relevant rapidement la tête vers le ciel, Merrick put aviser le soleil qui trônait encore haut dans la voûte céleste. Par chance, lui semblait être de leur côté… “Je...je crois qu’on est perdu.” Finalement, il ne pouvait pas retenir cette information plus longtemps. Le couple devrait travailler ensemble pour retrouver leur chemin et la route qui les mènerait à Conques. Car, passer une nuit à l’extérieur n’était peut-être pas la meilleure des idées… “Nous devrions tenter de trouver un point en hauteur. Oui, ça me semble une bonne idée...non ? Pour pouvoir voir où nous nous situons !” Rasséréné à l’idée d’avoir l’ébauche d’un plan, Merrick retrouva le sourire et hocha la tête d’un mouvement convaincu. Du moins, d’un mouvement qui se voulait convaincant… Aussi bien pour lui que pour Estelle… Laissant son regard vagabonder de nouveau, l’ivrogne remarqua que le terrain sur sa droite suivait une légère pente ascendante. Tendant sa main vers la jeune femme, il lui laissa le choix de la prendre ou non. “Le terrain monte par là. Je crois que nous devrions être en mesure de percer la canopée au bout d’un moment.” Il fallait se montrer encourageant et ne pas laisser le pessimisme les étreint, se répétait-il mentalement et avec conviction. “De là, nous aurions une vue sur ce qu’il nous reste à parcourir et comment rejoindre le chemin !” Ne laissant pas réellement le choix à Estelle, Merrick prit les devants. “Je ne pense pas que ce soit trop long pour arriver au sommet de cette petite butte !” Il était dans l’erreur. Cette “butte” était un promontoire qui montait certes assez haut pour apercevoir les alentours, mais qui était aussi longue à gravir. Loin d’être difficile, l'ascension avait tout de même le mérite d’être éreintante sur la durée. Notamment pour celle qui avait déjà mal au pied… rappelant cette information à sa mémoire, Lorren se retourna et tandis une main -ou sa main libre- vers la propriétaire de la Chope Sucrée. “Donne-moi les sacs. Je suis rendu beaucoup plus léger sans le mien et je me sens en pleine forme !” C’était un mensonge. Les contrecoups de la fatigue résiduelle, aussi bien physique qu’émotionnelle des derniers jours, commençaient à se faire ressentir. Toujours est-il qu’il se savait en meilleure condition que sa tenancière, alors… “ Traînais-tu une quelconque bouteille d’alcool dans ce sac de provisions ?” Demanda-t-il avec un sourire, mais aussi avec le plus grand sérieux du monde. De fait, l’outre qu’il s’était préparée était restée avec son paquetage. N’avait-il alors plus aucune goutte de spiritueux pour ne pas succomber à cette longue marche. “ Au moins nous avons de la nourriture…” Est-ce que la dame de Chantauvent se rendrait compte qu’il parlait -probablement trop- à tort et à travers, pour essayer de balayer au loin la nervosité qui le menaçait ? Ils devaient retrouver le chemin. Ils devaient arriver à Conques avant la nuit. Ils ne pouvaient dormir dehors...non ? Il devait les guider et ne plus faire d’erreur. Au bout d’un certain moment, bien plus long que ce qui avait été prévu, le couple déboucha -enfin- au sommet du petit promontoire. Simple piton rocheux sortant du couvert des arbres, la vue ne portait pas excessivement loin, mais permettait de voir aux alentours. Marbrume était caché par les arbres qui se trouvaient autour d’eux. Pour autant, un peu plus loin sur la gauche, la mer était quant à elle perceptible. Le chemin était aussi visible. Ils avaient quasiment marché parallèlement à ce dernier. Le rejoindre ne serait guère plus long, mais qu’en serait-il pour rejoindre leur destination ? Conques était aussi bien caché que leur point de départ. Pour autant, plus loin, il était possible de voir de fines volutes de fumée. Probablement des feux. Conques devait se situer à cet endroit. Mais la route semblait encore longue pour s’y rendre. Quelques heures. Quelques heures perdues dans leur fuite face à un blaireau et dans leur errance dans les bois… Pour autant, ce fut un petit vent de quiétude qui vint cueillir Merrick Lorren. Oui, il aurait pu -et probablement du- s’inquiéter pour la route qui leur restait à parcourir. Or, pour un temps, juste une petite période, il se permit de contempler le panorama qui s’offrait à eux. Cela lui rappelait son village, d’où il venait. Et logiquement, une certaine mélancolie et nostalgie s'agrippa à ses sens. “Savais-tu qu’avant d’arriver à Marbrume je n’avais jamais vu la mer ? Mon village se trouvait dans ce genre de décor. Loin de tout, entouré de marais et de boisé. Il y avait aussi quelques champs. Et tu sais quoi ? Je me suis rendu compte, en découvrant cette immense étendue d’eau lorsque j’ai franchi la porte de la cité, que je préférais ne jamais plus la revoir et retrouver quelque chose comme...ça.” Retrouver ce qu’il avait perdu, ce qu’il ne chérissait aucunement avant, ne se rendant pas compte de la chance qu’il avait eue. Chance envolée au vent, oblitéré par sa couardise et l’apparition de la fange. Dérangé par un rayon du soleil qui vint égratigner sa rétine, Merrick Lorren plissa des yeux. Regardant l’astre solaire, le milicien se rendit compte qu’il commençait sa course descendante. “...Bordel.” Dit-il dans un murmure. Quittant sa rêvasserie nostalgique, il reporta son attention sur Estelle de Chantauvent. “Que faisons-nous ? Est-ce que tu te sens d’attaque pour une marche à un rythme plus qu’effréné ? Tes pieds seront capables de suivre ?” Il fallait choisir. Rester, se préparer à une nuit en extérieur -et tous les risques en découlant- ou se dépêcher plus que jamais vers Conques. Mais, était-ce encore possible d’arriver avant la nuit…? Merrick n’avait pas la réponse. “Je n’ai pas mon sac. Je n’ai rien pour démarrer un feu. Aurais-tu quelque chose de ce genre dans ton paquetage ?” Sans ça, ce serait une catastrophe une nuit à la belle étoile. Tout ce que possédait Merrick Lorren en cette heure, c’était sa cape, son épée, sa dague et sa tenancière. Bien que cette dernière ait de plus en plus tendance à lui faire douter de son droit à la considérer comme acquis… bref, passons. -”Que faisons-nous, Estelle de Chantauvent ?” Demanda un milicien qui trépignait sur place, incapable de prendre cette décision qui pourrait s’avérer hautement dangereuse… |
| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Sam 8 Juin 2019 - 0:50 | | |
- « Peut-être que tu devrais oui, sa présence me rassure » elle haussa simplement les épaules se refusant de poursuivre « Et puis, sans elle je me sens toute nue » tenta-t-elle un brin amusé, du moins essayait-elle de le paraître
Ce n’était définitivement pas évident pour la rouquine, qui chaque fois qu’elle observait Merrick se retrouvait entre deux envies si opposées : la fuite et l’envie de sortir le ruban pour le lui offrir. Comment pouvait-elle douter de lui, comment ? Pleine de culpabilité, autant que son esprit se remplissait de doute et de peur toujours plus impressionnante et nombreuse, la Chantauvent avait fini par le suivre, en jetant un dernier coup d’œil à celui qui se massait encore l’arrière de la tête. Merrick lui parlait de jalousie, si sur l’instant les paroles avaient semblé l’amuser, le contre coup semblait la faire réfléchir, était-il un homme jaloux ? Était-il un homme qui pourrait réellement se contenter que de sa personne comme compagne pour une vie ? Avait-il réellement pu abuser d’elle ? Le mot était fort, mais une fois pensé il lui fit atrocement mal. Détaillant Merrick de dos qui s’était retrouvé à dialoguer avec le fameux chef. La situation avait fini par dégénérer et les questions d’Estelle semblèrent prendre soudaine une réalité d’autant plus douloureuse. Rangeant sagement le petit Ruban ou tout du moins, vérifiant sa présence qui n’avait presque plus rien de réconfortant. Revenant sur ses pas, suivant le milicien, la rousse ne semblait pas en mesure de réfléchir dans le bon sens. Perdue avec la sensation de couler toujours plus profondément, Estelle se sentait dépérir de jour en jour, avec plus de force, avait-elle seulement réellement essayé de luter ? Ce fut finalement des paroles prononcées sans grande certitude, l’évocation des liens du mariage malgré les difficultés et sa décision prise sans qu’elle soit convaincue de son choix : celui de poursuivre le voyage à deux.
◈ ◈ ◈ Le début du voyage fut tout aussi pesant, autant pour lui, que pour elle. Silencieuse, ne pouvant retenir le flot de ses pensées, elle semblait une nouvelle fois submergée par l’ensemble. Hésitante, elle n’avait de cesse de s’interroger sur cette fameuse date du mariage, sur cette fameuse envie de s’unir à lui. Si finalement, c’était elle qui ne présentait pas le jour J ? L’idée resta un moment-là, avant de se faire balayer d’un battement de cil, avant le ‘ruminage’ qu’elle avait exercé jusque-là ne s’échappe de la manière la plus brutale possible. Comprenant la maladresse de ses paroles au moment où celles-ci furent prononcées, elle s’immobilisa, le détaillant, écartant les lèvres alors que déjà il semblait s’offusquer. Culpabilisant immédiatement, prenant conscience que ce n’était qu’un jeu de son esprit, la tenancière ne parvenait pas à le voir dans cet état. Pour autant désarmer par tous les événements, dégradés de sa propre vision, trahie par ce qu’elle avait eu de plus précieux, comment pourrait-elle percevoir un homme autrement qu’un monstre désormais ? Comment lui pourrait-il avoir une autre image que celle qui avait été abusé par son frère ? Comment un coureur de jupons pouvait soudainement devenir fidèle ?
Tentant de se rattraper à des branches qui lui donnaient la sensation de se briser sous son poids, elle avait fini par l’écouter. S’enfonçant à chaque parole dans cette sensation de nullité profonde ne pouvait qu’augmenter seconde après seconde. Détournant, tendant néanmoins sa main vers lui, elle avait eu l’espoir qu’il la prenne, unique moyen pour elle pour vérifier que le couple n’était pas tout simplement en train de s’effondrer, de s’émietter.
- « Je suis désolée Merrick » souffla la Chantauvent plus sincère que jamais « Ce n’est pas simple en ce moment… » avoua-t-elle sans poursuivre
Il avait pris sa main, elle l’avait accepté, serrant aussi fort que possible comme pour s’assurer qu’il n’allait pas disparaître, pas s’enfuir, pas l’abandonner. Cela aurait été tellement plus simple pour lui, non ? Tellement plus simple, oui, à force de s’y convaincre tentait elle-même de le convaincre, de le faire prendre cette décision qui lui semblait le plus adapté pour lui, sans en prendre véritable conscience. Poursuivant, la marche, à son rythme, sans trop se plaindre, Estelle s’était fait la promesse de ne pas laisser le silence s’installer, l’interrogea-t-elle sur le temps qu’il restait, avant de finalement déraper sur son inquiétude vis-à-vis de Martin. Merrick avait tenté de la rassurer, à sa façon, sans que cela ne soit une réussite pour celle qui semblait broyer du noir en permanence dernièrement. Lui offrant ce regard plein d’inquiétude, pour la première fois depuis la mort de son mari, Estelle semblait réellement s’éteindre, sombrer, toujours plus bas, toujours plus profondément sans parvenir à s’accrocher aux moindres rebords.
Une situation dramatique n’arrivant jamais seule, ce fut ensuite l’attaque d’une créature horrible et malicieuse qui l’immobilisa, la faisant entrer dans une phrase de panique impressionnante. Loin de s’en apercevoir, l’homme d’armes tenta même de faire approcher la bête, ce qui crispa davantage la rousse qui s’était mise à hyperventiller. Comment pouvait-il vouloir que ‘ça’ approche ? Jamais, c’était trop dangereux, beaucoup trop. L’immense et horrible créature allait se jeter sur lui, lui agripper la gorge, le vider de son sang OBLI-GA-TOI-REMENT. Ce fut finalement la rousse qui ‘protégea’ le duo, serrant davantage sa main dans celle de Merrick pour l’entraîner dans sa course folle, ou plutôt sa tentative de fuite. Ne sachant ni par où aller, ni même comment, Estelle se contentait de courir le plus vite possible, esquivant banche, arbre, cailloux et tout le reste. Il ne fallait pas que le monstre puisse rattraper le couple, jamais, jamais, jamais.
Chutant finalement sur le sol, tout souffle dehors et le cœur au bord des lèvres, une main néanmoins encore dans celle de son milicien, elle tenta de se convaincre que le risque était évité, que le pire était derrière eux. Ce fut néanmoins un tout autre son qui attira son attention, écarquillant les yeux, elle pivota légèrement pour observer Merrick partir dans un véritable fou rire. Passant une main dans sa chevelure rousse qui ne devait plus ressembler à grand-chose. La dame écarquilla les yeux, ouvrit la bouche, prête à grogner avant de finalement se laisser attendrir par l’amusement contagieux de celui qui en était-elle convaincu sur l’instant, était celui qui lui correspondait parfaitement. Vexée, bien que son regard devait trahir son attendrissement à son égard, la dame se redressa, fièrement, une main sur ses hanches.
- « Serais-tu en train de te moquer de moi, Merrick Lorren ? » fit-elle plus ou moins ‘sévèrement’ « Sache que je n’ai AUCUN problème avec la moindre bestiole, créature, aussi monstrueuse et horrible soit-elle » ajouta-t-elle en s’approchant un peu de lui « Mignon ?! Tu plaisantes, il était horriiiiiible avec des griffes gigantesques et une queue immense… des dents tranchantes ! Il était prêt à te sauter à la gorge !!!! Tu es inconscient Merrick Lorren, inconscient » ajouta-t-elle
Merrick prétendait que tout allait bien, percevait-il à quel point rien n’allait ? Absolument rien ? Le couple tentait de survivre à des épreuves complexes… Ils étaient dans les bois et venaient de se faire agresser par un animal terriblement dangereux. Pour autant, ce ne fut que devant cette réalité, le souvenir de son fou rire et les traces des larmes de joie sur son visage, qu’Estelle avait fini par rire doucement, consciente du ridicule de la situation et sa réaction terriblement excessive. Un blaireau n’était visiblement pas dangereux. Comment en vouloir à celle qui avait toujours vécu dans la ville d’ignorer les caractéristiques des créatures dont il fallait se méfier. Se redressant, se retrouvant sans le lien qui unissait encore le couple, la rouquine l’avisa un instant, retenant une légèrement grimace avant de lui offrir un sourire lorsqu’il s’était approché pour retirer une branche dans sa tignasse flamboyante.
- « Merrick j’ai » elle s’arrêta, coupée par son ‘prête’ et une nouvelle fois, Estelle renonça à lui parler des rubans ou même de son mauvais rêve « Oui, je suis prête »
Le suivant sagement, la tenancière se laissa guider sans avoir le moindre doute que son milicien savait exactement ce qu’il faisait et de ce fait, où il allait. Néanmoins, avançant lentement, manquant à plusieurs reprises de chuter, l’inquiétude d’Estelle n’avait pas tardé à refaire surface, avisant cet environnement qui lui semblait hostile, elle ne savait plus vraiment si cette envie de quitter Marbrume était une si bonne idée. Évitant les branchages, les pierres, la mousse et les petits bruits inquiétants de la nature. La Chantauvent observait l’homme d’armes avec la certitude qu’elle pouvait lui faire confiance, qu’il lui parlerait forcément s’il rencontrait une difficulté d’orientation. Puis l’inévitable avait fini par arriver, il s’était immobilisé, la détaillant pour lui demander le chemin à emprunter.
- « Non… je n’ai pas fait attention lorsque je me suis mise à courir, je voulais juste m’éloigner de l’horrible bête. »
Réalisait-elle qu’elle était responsable de l’état de fait, avisant Merrick et son inquiétude, la rouquine semblait davantage s’enfoncer dans sa culpabilité. Lâchant un soupir, elle opina simplement, s’enfermant dans un nouveau silence. Le milicien avouait que le couple était perdu, qu’il fallait prendre de la hauteur. Aurait-elle pu sombrer dans une crise de panique, s’énerver, mais elle n’en fit rien, se contentant d’hocher simplement la tête à deux reprises. Estelle avait fini par formuler un d’accord, avant d’attaquer la progression vers cette pente qui lui semblait très rapidement ne pas avoir de fin. Laissant le monopole de la conversation à Merrick Lorren, sentant parfaitement son inquiétude, mais incapable d’être celle qui parvenait à le rassurer, elle conserva son silence. Lorsqu’il lui proposa de porter un sac, la tenancière lui donna, lorsqu’il évoqua le fait du transport d’une éventuelle bouteille, elle secoua la tête de droite à gauche. Mensonge évidemment, Estelle avait pris avec elle une bouteille de vin, mais se refusait de la sortir maintenant, n’étant pas certaine que ce soit une bonne idée.
- « J’en peux plus » souffla-t-elle visiblement épuisée, les pieds douloureux « Merrick, j’ai besoin d’une pause, je suis fatiguée » rajouta-t-elle en s’immobilisant « Est-ce que tu es inquiet ? » finit-elle par demander naturellement
Etait-ce parce qu’il lui avait pris la main, ou parce qu’elle avait retrouvé un peu de force qu’elle avait repris la progression, difficile à dire, mais après un très long moment, le couple était enfin parvenu à émerger, observant l’ensemble… C’est là qu’Estelle réalisa que cela n’aidait pas forcément, qu’ils étaient réellement perdus. Marbrume n’était pas visible, le village non plus. En revanche, le paysage était absolument magnifique. Prenant le temps de le contempler, elle tourna ensuite la tête vers son homme d’armes qui évoquait un souvenir. Si Merrick n’avait pas pris sa main, Estelle était venue glisser la lui prendre, serrant doucement, comme pour se montrer réconfortante. Réalisait-elle cependant encore une fois, -ou plutôt ne prenant pas les révélations dans le bon sens- qu’elle n’était peut-être finalement pas dans ses projets. Avalant difficilement l’information, elle offrit un sourire à son milicien :
- « Si c’est ce que tu veux… C’est quelque chose de réalisable tu sais, tu pourrais t’affilier à l’extérieur, retaper une vieille bâtisse dans un village qui résiste, c’est possible, c’est à toi de choisir et de faire ce qui te rend heureux »
Même si c’était sans elle, c’est ce qu’elle avait voulu dire, mais les mots n’avaient pas voulu sortir. Plus le couple s’éloignait, plus Estelle réalisait son attachement envers le milicien, plus elle s’enfonçait, s’engouffrait dans ce sentiment de perdition important. Puis tout s’enchaîna dans son esprit, Merrick sembla davantage inquiet, jura même, avant de la questionner sur sa capacité à marcher encore, plus vite plus rapidement, il l’interpella vis-à-vis de la perte de son sac, l’absence de quoi faire un feu… Il avait fini par se tourner vers celle qui ne semblait pas avoir la moindre réaction avant de l’interroger sur la marche à suivre et ce fut une réponse à une question qui n’avait absolument pas formulé qui avait fini par fuir les lèvres de la rouquine :
- « Je me souviens… » fit-elle « Depuis plusieurs jours » ajouta-t-elle « j’ai un rêve qui revient, je crois que c’est un souvenir mélangé à mes inquiétudes… » c’était difficile à dire, ne parvenait-elle pas réellement à être précise « Adrien… il me dit que tu es comme lui dans ce mauvais rêve, puis il… » il l’abuse, la violente, lui susurre que Merrick à fait exactement la même chose et qu’il en a pris du plaisir « Je suis désolée » fit-elle comme pour lui faire comprendre qu’elle avait douté, qu’elle avait eu peur « J’ai peur que toute cette histoire nous éloigne, j’ai peur qu’on en survive pas Merrick. » Dévoila-t-elle ouvertement son cœur « J’ai peur de n’être pas celle qui te convient… » souffla-t-elle comme désabusé.
Estelle avait dû mal à se reconnaître dernièrement et même si le couple faisait tout pour conserver une normalité, tout n’était pas aussi simple. Prenant une grande inspiration, évitant soigneusement le regard de Merrick, la dame se faisait violence pour lui parler, lui avait-elle promis de ne rien lui cacher, de communiquer. Le moment était très mal choisi, il fallait bien l’admettre, le temps s’écoulait, jouant contre le couple, pourtant elle était incapable de renoncer, de ne pas poursuivre. Sortant de sa cachette les deux rubans, elle poursuivit :
- « Je voulais t’en offrir un… » murmura-t-elle « Je voulais… » que voulait-elle exactement, même pour elle ce n’était pas clair « Te montrer que mon mari, c’était derrière moi, te montrer que je suis vraiment libre et prête à essayer avec toi… » et puis il y avait eu les mauvais rêves, le doute « Comment je pourrais t’entraîner dans ma chute… » souffla-t-elle « Je ne sais pas où tu en es, Merrick, j’ai l’impression de ne plus arriver à croire en quoi que ce soit… Si même Adrien… » combien de personnes même ? « Tu es beau Merrick, amusant, tu mérites tellement mieux qu’une veuve cassée tombant en ruine… »
Elle ne l’avait toujours pas regardé, craignant de voir confirmation dans ses paroles, craignant de voir du dégoût, de l’écœurement, peut-être même de la peur. Celle qui était restée jusque-là silencieuse, avait semble-t-il bien rattrapé son temps d’absence de parole. Elle ressentait ce besoin de l’embrasser, de lui dire peut-être tout le contraire, qu’elle l’aimait, réellement, sincèrement, qu’elle lui faisait confiance, qu’elle était d’accord pour choisir et que son choix c’était lui ? Mais elle bloquait, complètement au lieu de lui offrir le ruban, comme elle en avait eu l’idée, elle avait fini par ranger l’ensemble.
- « On peut essayer d’avancer, de toute façon on ne va pas rester ici… » murmura-t-elle « Merrick… » elle s’était tournée vers lui, avait presque réussi à lui demander, à lui offrir, un je t’aime, mais elle renonça « Embrasse-moi… »
L’échec n’était pas forcément si brutal, avait-elle notifié ce besoin de rapprochement, d’être consolé. Cette fois-ci elle l’avait regardé, avec tendresse, avec besoin, lui offrant un petit sourire. S’il était venu l’embrasser, elle avait évidemment prolongé, l’enlaçant, sinon, était-elle venue jusqu’à lui pour l’embrasser, par véritable besoin. Passion, tendresse, amour, tous les sentiments s’étaient mélangés dans cet échanger et elle fut interrompue par une voix sortant d’un peu plus bas.
- « Vous ne devriez pas rester là » fit-elle « La nuit ne va plus trop tarder et la fange est toujours présente la nuit, vous allez à conque ? »
Qu’elle était la probabilité qu’une femme se retrouve ici, perdue entre la forêt et les marais ? Très basse sans aucun doute, pour autant, se détachant de l’homme d’armes, Estelle ne pouvait être heureusement que de voir une âme qui vive dans cette hostilité constante.
- « On était perdu.. » fit une Estelle semblant retrouver des couleurs. - « Vous avez une drôle de manière de vous perdre, j’suis Herboriste, j’habite à Conques, vous me suivez ? Si on pouvait éviter d’augmenter la population fangeux, ça m’arrangerait. » Conclut-elle « Vous venez de Marbrume alors ? »
Estelle avait coulé un regard vers Merrick, hochant simplement la tête, si lui pouvait hésiter, pour la rousse, il n’y avait aucune hésitation, il fallait suivre cette jolie blonde.
- « Oui, un voyage de couple » tenta une Estelle qui utilisait volontairement ce mot pour essayer de rassurer Merrick « On veut aller au Labret, mais on a perdu le convoi… » - « Comment vous faites pour perdre un convoi ? » - « C’est une longue histoire… » murmura Estelle
Secouant doucement la tête, la guide n’en était pas moins restée agréable, indiquant d’un geste de la main ce qui semblait être le chemin à suivre. Elle portait un panier contenant des champignons, feuilles et plantes, une petite dague à la ceinture. Rien de particulièrement étrange, n’avait-elle-même pas la moindre trace de sang sur sa tenue. Glissant sa main dans celle de Merrick –s’il acceptait de la prendre-, elle l’entraîna pour suivre cette fameuse habitante de Conques, curieuse, soulagée sans aucun doute d’avoir évoqué ses pensées à Merrick, mais redoutant le contre coup de cette conversation, Estelle préférait se concentrer sur la nouvelle arrivante.
- « Vous ne devez pas voir beaucoup de voyageurs ? » - « Non et puis avec les bannis, on est tous plutôt méfiants, d’ailleurs, vous pouvez me montrer vos avant-bras ? »
Sans aucune hésitation, Estelle dévoila ses deux avant-bras, laissant Merrick faire de même, la dame avait poursuivi la discussion opinant simplement.
- « Alors vous allez au Labret, qu’est-ce que vous allez y faire ? Vous viviez là-bas avant tout ça ? Vous avez dans l’idée de vous y installer ou ce n’est qu’une simple visite de curiosité ? »
Estelle laissa volontairement Merrick répondre, reprendre place dans la conversation. Visiblement, la guide était confiante sur le temps de trajet, elle lui laissa d’ailleurs entièrement la suite pour dialoguer, prise dans ses pensées, regrettant sans aucun doute sa révélation, sa prise de parole aurait-elle dû sans aucun doute conserver l’ensemble pour elle ? Quoi qu’il en soit, la guide avait fini par s’immobiliser, murmurant lentement :
- « Ne faites pas de bruit, il y a un fangeux dans le coin, il est blessé, mais n’en reste pas moins redoutable, on est plus très loin »
Soudainement beaucoup plus inquiète elle retrouve ou serra davantage la main de Merrick, ce fut d’ailleurs au même moment qu’elle fit ce qui lui semblait le plus logique. De son autre main libre, elle avait passé sa main dans ses cheveux avec tendresse, avant de glisser le ruban qui lui était destiné dans une de ses poches. Loin d’elle, au moins cela serait un souci repoussé à plus tard, c’est ce qu’elle voulait croire en tout cas. Lui offrant un large sourire, ce fut finalement la nuit qui vient surprendre l’étrange trio, qui fut rapidement soulagé de découvrir les torches et les feux des chaumières du village.
- « Je vous laisse ici, ma maison est un peu plus loin ! Bonne soirée, n’hésitez pas à venir me voir, j’ai de très bonnes plantes. » - « Bonne soirée » souffla la rouquine
De nouveau seule avec Merrick, ce fut un moment de silence, ne savait-elle pas quoi lui dire exactement, ni comment, quoi formuler après ce temps, après ses déclarations. Devait-il avoir tellement de questions, mais n’avait-elle pour l’heure absolument aucune réponse. Prenant une inspiration, elle évita soigneusement le sujet, dévoilant un peu plus l’auberge. Conservant sa main dans la sienne, elle l’entraîna simplement jusqu’au lieu qui semblait l’intéresser. Poussant la porte, elle avisa l’ensemble du lieu, il y avait du monde, beaucoup trop de monde ce qui ne l’inspirait pas réellement. Relâchant la main de Merrick, le laissant évoluer sagement dans le lieu elle s’approcha du comptoir.
- « Tiens, une nouvelle sorcière dans le coin » ça commençait bien « Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » - « Une chambre, pour deux… » - « Impossible j’ai plus rien » un silence devant la mine déconfite de la tenancière il ajouta « De temps en temps je mets une couchette dans la cave, j’peux vous faire ça si vous voulez, sinon, faudra trouver un autre lieu… »
Pivotant vers Merrick, elle le laissait décider.
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| | | Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Mar 11 Juin 2019 - 5:01 | | | L’apparition aussi inopportune qu’impromptue du petit mammifère avait au moins eu quelque chose de positif; celle d’alléger l’humeur plus que lourde qui liait et liguait Merrick Lorren à Estelle de Chantauvent. Oui, la fuite de la jeune femme face à un simple blaireau avait des conséquences néfastes pour leur cheminement vers Conques. Entre la perte de son paquetage et leur cavalcade effrénée qui venait de les perdre au milieu des bois, la situation n’était pas idéale. Pour autant, le milicien n’aurait changé cela pour rien au monde. Pourquoi ? Car il lui était plus simple de vivre ce défi, de chercher à résoudre cette problématique que de tenter de comprendre et définir pourquoi sa tenancière semblait de plus en plus fuir sa présence et sa proximité. Ainsi donc, incapable de réfréner son hilarité, Lorren fut heureux de voir que la Chantauvent n’était pas trop susceptible devant pareille démonstration d’amusement. “Je...je ne me moquerais jamais de...de...toi !” Dressa-t-il comme plaidoyer, bien que son fou rire démontre plutôt le contraire. “Tu sembles aussi inconsciente que moi, dans ce cas.” Dit-il après avoir repris son souffle, lorsque la jeune femme lui mentionna qu’elle lui avait, en quelque sorte, sauvé la vie face à ce “terrifiant”, et non mignon, adversaire. Merrick Lorren aurait pu se choquer et se fâcher. Après tout, la panique d’Estelle leur coûtait gros et les mettaient potentiellement en danger. Mais à quoi bon ? Qu’est-ce que cela apporterait au jeune homme de dresser les torts de la réaction de la jeune femme, si ce n’est de créer des maux chez celle qu’il aimait ? Préférant voir le positif de la chose, réalisant que ce bref apaisement les avait de nouveau rapprochés quelque peu, l’ivrogne fit contre mauvaise fortune bon coeur. Un sac n’était pas cher payé pour voir sa tenancière sourire… S’approchant d’elle et enlevant une brindille de sa chevelure flamboyante, l’ivrogne n’eut pas conscience de couper une possible et probable élocution de la jeune femme en lui demandant si elle était prête à continuer. Prenant la tête, pensant pouvoir retrouver leur chemin excessivement rapidement et en un instant, Lorren dû se faire à l’évidence, déchantant très rapidement. Ils étaient perdus. Aussi bien à cause de la fuite de la Chantauvent qu’à cause de ses pérégrinations sans réflexion qui les avaient très probablement plus enfoncés dans le boisé qu’extrait. Osant quémander l’apport de la rouquine pour retrouver leur route, surmontant son amour-propre meurtri par sa propre incompétence, l’homme d’armes fut mal à l’aise d’entendre Estelle mentionner qu’elle aussi, elle n’avait aucune idée de la direction à prendre. Un frisson lui parcourut l’échine. C’était mauvais….mais pas encore irrésolvable, non ? Prenant ce qu’il pensait être ses “responsabilités” d’individu ayant déjà vécu à l’extérieur de Marbrume, Merrick se mit à réfléchir quant à la marche à suivre. Il avait toujours eu conscience qu’Estelle n’était jamais réellement sortie de la cité, n’ayant que très peu côtoyé le monde extérieur. Or, l’épisode avec le blaireau lui avait rappelé cet état des faits avec violence. Si une simple rencontre avec ce petit animal trapu périclitait et se finalisait dans ce genre de difficulté, il ne pouvait pas réellement compter sur elle pour les guider au milieu des bois et au travers de la futaie. Ce n’était pas à cause de son manque de volonté, cela était évident. Seulement à cause de certaines lacunes propres à son éducation et son lieu d’existence. Toutefois, est-ce que lui-même pouvait les tirer de ce mauvais pas ? Rien n’était moins sûr… Décidant de prendre de la hauteur pour tenter et essayer de se repérer, Merrick Lorren entraîna sa tenancière à sa suite, lui proposant bien logiquement de porter ses affaires. Lui n’avait plus à se soucier de son sac, après tout. “Nous y sommes presque, Estelle.” Lui mentit-il lorsqu’elle lui demanda une pause. De fait, le milicien ne savait aucunement le chemin qui leur restait à faire. Il avait cru que l'ascension serait beaucoup plus courte et la pente beaucoup moins longue. S’arrêtant à son tour il prit la main de la jeune femme avant de la porter à ses lèvres. “Un dernier effort. Je suis convaincu que la vu en haut en vaut le détour.” Le panorama était mieux d’être splendide, pour relativiser leur égarement en territoire inconnu… reprenant leur chemin, ne lâchant pas ses doigts, Merrick continua à avancer en tête, laissant son bras pendre vers l’arrière pour continuer à tenir la main de celle qui progressait derrière lui. “Inquiet ?...Moi ? Non, pas du tout ! Du tout ! Pourquoi le serais-je, hein ?” Dit-il en ne se retournant pas pour éviter que son visage ne le trahisse. Il avait voulu que ses paroles soient convaincantes. Il doutait que cela soit le cas… Toujours est-il que finalement, le duo émergea de la canopée et put contempler le spectacle qui s’offrait à eux. La voute céleste se parait d’une multitude de couleurs, alors qu’un éclat carmin et mordoré venait transformer l’habituel bleu qui définissait son fond. Les fortes bourrasques glaciales de la journée avaient repoussé au loin le moindre nuage, ne laissant la place qu’à la lente descente du soleil et à l'ascension de la lune. C’était splendide. Terriblement beau, affreusement beau. Or, est-ce que le duo avait véritablement le temps de s’arrêter et de contempler cette vision aussi idyllique que bucolique ? Loin s’en fallait. Car cette décrépitude du jour était synonyme du commencement de la nuit. Et avec l’obscurité grandissante et la noirceur arrivante, il devenait quasiment certain que leur prochaine rencontre inopinée ne serait pas face à un blaireau… Dès lors, qu'allaient-ils faire et surtout, allaient-ils prendre la bonne décision ? Or, avant que la dangereuse réalité ne rattrape le milicien, ce fut tout d’abord ce spectacle qui le frappa avec force. Inopinément, sorti de nulle part, il s’ouvrit sur des chemins tortueux et nébuleux que son esprit avait déjà suivis, lorsqu’il était engoncé dans la nostalgie du passé et dans le dégoût du présent. La réponse de la dame de Chantauvent eut le mérite de le surprendre. Arrêtant de regarder et de sonder le paysage de son regard, Merrick rapporta son attention sur Estelle, incapable de définir exactement la multitude de sous-entendues que sa prise de parole semblait revêtir. Haussant les épaules, l’homme d’armes retourna perdre son regard dans la contemplation des détails les entourant. “ Ce ne pourra plus jamais être pareil aujourd’hui. Trop de choses ont changé, trop de choses ont disparu.” L’apparition de la fange, la mort de sa famille et même l’apparition d’une certaine petite bourgeoise à la crinière rousse… oui, Marbrume ne semblait pas plus mal comme endroit. Il saurait s’y complaire dans la protection de ses murs et s’y plaire en compagnie de la propriétaire de la Chope Sucrée. Du moins, s’ils arrivaient à surmonter ce marasme et cette ambivalence qui impactait lourdement leur relation... Toujours est-il que ce genre de réflexion fut rapidement oblitéré et réduit à néant dans l’esprit de Lorren. De fait, un éclat de soleil était venu égratigner sa rétine, lui rappelant que le temps filait et que la nuit approchait. Interdit et indécis quant à la marche à suivre, Merrick Lorren était en proie au doute. N’arrivant pas à se convaincre, à prendre une décision, le milicien avait rejeté cette interrogation qui le vrillait sur les épaules d’Estelle de Chantauvent, l’incombant de la tâche de choisir. Est-ce que, comme lui, cette nécessité à faire un choix lui pesait lourdement ? Le vivait-elle comme un fardeau ? Désormais, le charme du coucher du soleil lui faisait plus froid dans le dos qu’autre chose. Le rougeoiement du ciel lui rappelait la couleur de l’hémoglobine et le fracas de la violence. Incapable de supputer ce mauvais pressentiment, le milicien tergiversait, jaugeant le pour et le contre entre rester ou se dépêcher, attendant la décision de sa tenancière. Au final, c’est son avis et son état physique qui définirait ce que le duo allait faire. Une rafale plus puissante qu’à l'accoutumée vint les frapper, là, sur la position surélevée qu’ils occupaient. Rentrant sa tête dans ses épaules, Lorren se déplaça pour faire dos à la vision périphérique des lieux. Grognant sous la morsure du froid, transporté par les aléas du vent, le milicien se mit devant Estelle pour la protéger du souffle de la brise. Mouvant d’un pied à l’autre, l’homme d’armes restait en mouvement, comme si ce petit sautillement pouvait réchauffer son corps qui devenait de plus en plus transit par les derniers soubresauts de l’hiver. Mains sous les aisselles, en quête d’une chaleur qui semblait aussi difficile à trouvé que diffuse et bien maigre, lesté de l’impératif de transporter son paquetage et ses sacs, Merrick attendait le verdict, la décision finale qui déciderait de la marche à suivre. Dans l'expectative d’une décision, la suite eut plus que le mérite de le surprendre. Elle l'assomma littéralement. Enfin. Enfin, elle s’ouvrait à lui. Oui, cette récente situation plus houleuse et conflictuelle entre eux était aussi de son fait. Après tout, Merrick avait condamné son frère à cause de l’ignominie de ses actes. Dès lors, le milicien esseulait et isolait, si ce n’était de sa présence, Estelle de Chantauvent. Cela, il l’avait bien compris, pensant que c’était à cause de ses accusations envers le bourgeois qu’un fossé se criait entre eux. Or, il n’avait et n'aurait jamais imaginé la suite. Comment pouvait-elle lui imputer ce genre d’acte, ne serait-ce que par la pensée ? Comment pouvait-elle douter de lui à ce point, comment pouvait-elle le percevoir comme affilié à son monstre de frère ? Découvrant les causes de cette dure et difficile réalité, les raisons de l’ensemble de ces quiproquos, le visage de l’ivrogne s’affaissa avant de se fermer. L’une de ses mains se porta vers sa chevelure avant d’abandonner son ascension à mi-chemin, comme si le milicien n’avait pas la force pour faire le moindre mouvement. Son esprit était oblitéré et fracassé par ce qu’il prenait pour des accusations directes, incapable de supputer cette malveillance qu’elle lui imputait. Oui il était un piètre individu. Un beau salopard qui « soignait » sa couardise par l’ivrognerie. Un fils de paysan, un milicien illettré et un coureur de jupons invétéré. Oui, la dame de Chantauvent pouvait le calomnier et le parjurer pour ce genre de fait. Mais le prendre pour un violeur ? Mais croire qu’il aurait pu lui faire ça...? Serrant des dents, fermant les yeux pour contenir et noyer un vent de colère et d’incompréhension, Merrick Lorren secoua la tête de droite à gauche excessivement lentement. Pouvait-il lui en vouloir, tandis qu’elle s’était -enfin- ouvert à lui ? Non, pensait-il. Or, il était lui-même affreusement déçu et blessé par cette nouvelle réalité. C’était une souffrance supplémentaire qui s’ajoutait à la liste déjà plus que longue. À se rythme, arriveraient-ils à un point de non-retour, une période ou une accalmie ne serait plus possible et où la tempête sonnerait le glas pour leur relation ? Martin l’assassin. Adrien le monstre. Et maintenant, Merrick Lorren l’agresser. Le trio était complet, non ? Soufflant pour réfréner cette envie de crier qui prenait racine dans toutes les fibres de son être, l’ivrogne prit par la suite une profonde respiration. Ce n’était pas le moment de flancher et de se laisser-aller à ses états d’âmes, alors qu’Estelle s’ouvrait sur les siens. Pour autant, il avait aussi besoin de comprendre certaines choses. Pour ça, il devrait l’interroger et il passerait sur tout les éléments avec minutie. Il ne voulait aucunement laisser ce quiproquo survivre à cet instant, lui, le perfide adversaire qui risquait de les détruire tous les deux. “ Si tu dis que tu te souviens, est-ce que cela signifie que tu ne l’avais pas à l’esprit avant cet instant ? Ce...cauchemar ? ” Demanda-t-il en n’hésitant pas à vriller son regard dans celui de sa partenaire. C’était direct et son observation du visage et des yeux de la jeune femme était véritablement un examen en bonne et due forme. Il avait besoin de savoir. Car si c’était cela, cette histoire ne serait pas l’unique cause du mal-être de la jeune femme. Hochant la tête face à ses excuses, il continua un peu plus doucement. “Si tu t’excuses, est-ce parce que tu réalises que je ne peux être coupable de ce genre de chose ?” C’était le plus important. Si la jeune femme le pensait capable de ce genre de malveillance, que leur resterait-il, que pourraient-ils réellement construire à deux ? Peu ou pas grand-chose… “C’est… des moments difficiles, en effet.” Commença-t-il plutôt évasivement, se passant une main sur la nuque. “ Mais au lieu de laisser ces “histoires” nous rendent la vie impossible et les laisser nous distancer, ne devrions-nous pas faire front commun et s’entraider mutuellement ?” Tenta-t-il de lui expliquer, de lui faire réaliser et comprendre que sa mise de côté, à cause d’un cauchemar dont elle n’avait pas voulu lui parler avant, était un silence rempli d’incertitude hautement dangereuse pour la survivance du couple et de leur relation. “Qui est tu pour me décider qui me convient ou non, Estelle de Chantauvent ? C’est à moi de choisir celle que j’aime.” Merrick Lorren ne s’en rendait pas compte, mais il avait énormément évolué. Apte à parler d’amour, prêt à s’engager, l’ivrogne n’était plus le même homme sur certains points. Et ce, notamment grâce à la présence plus que bénéfique de la propriétaire de la Chope Sucrée. S'avançant d’un petit pas, il écouta la suite des dires de la jeune femme, le front barré par un pli soucieux et la mine inquiète. Y avait-il autre chose, des détails et des infamies pires que ce qui venait d’être livré ? L’homme d’armes avait bien conscience que ses mots n’étaient pas réellement en mesure d’écraser et de vaincre les maux qui prenaient racine dans l’esprit de la Chantauvent. Ses paroles sonnaient à la fois creuse et bien bénigne comparativement à ce qu’elle vivait. Or, pouvait-il lui offrir mieux ? Sans l’approcher, doutant encore d’être bien accueilli s’il se lançait dans ce genre de manoeuvre, Lorren restait sur place, effrayé d’être repoussé. La voyant glisser sa main en direction de son décolleté, le jeune homme fronça des sourcils quelque peu méfiant et surpris. La suite s'annonçait-elle pire ? Voulait-elle lui présenter une preuve de sa fausse malveillance et de sa prétendue monstruosité ? Et encore une fois, il fut plus que surpris. Mais cette fois-ci, ce ne fut pas douloureux. Loin de là d’ailleurs. L’écoutant parler, la regardant lui montrer le ruban, Merrick en fut drastiquement attendrit. Oui, ce passage plus doux de la conversation n’effaçait pas les tourments et la truculence des derniers aveux de la Chantauvent. Or, il avait le mérite de les atténuer, de lui faire relativiser les choses. Encore une fois et à nouveau, il s’approcha d’un pas. Dès lors, une infime distance les séparait toujours. Nettement moins grande que le fossé qui les avait distancés lors de ses derniers jours. “ Je ne veux pas que tu l’oubli, tu sais.” Commença-t-il doucement. Après tout, Merrick comprenait que la mort n’était pas synonyme d’oublis de ses proches. Lui se rappelait de sa famille avec une honte avilissante qui le submergeait. “Je suis heureux de l’entendre, Estelle. Vraiment.” Poursuivit-il avec soulagement, ayant enfin la preuve vivace et irréfutable qu’elle ne regrettait pas cet impératif de s’épouser qui les étreignaient. Rien n’était encore joué, mais au moins étaient-ils prêts tous deux à essayer. “ Je ne suis pas le meilleur et je ne suis pas celui que tout le monde peut rêver d’avoir à ses côtés. Mais tu peux croire en moi. Je ne te ferais jamais du mal volontairement. Je sais que c’est difficile à croire pour ton frère…” Puis, partant d’un petit rire empreint et empli de dérision, chassant d’un geste de la main les compliments d’Estelle: “ Je suis aussi sans le sou, un coureur de jupons qui tombe sur des maris cocus inopinément, un ivrogne et un simple troupier dans la milice.” Oui, il se croyait lui-même charmant et drôle. Or, il ne pouvait s’aveugler lui-même sur les autres défauts et carences qui faisaient de Merrick Lorren, Merrick Lorren. Encore plus en compagnie d’Estelle de Chantauvent, de celle qu’il hissait sur un piédestal. “ C’est à moi de choisir avec qui je veux être. Et mon choix est déjà fait.” Termina-t-il en la pointant doucement du menton et croisant ses bras pour démontrer son refus catégorique de changer d’idée et de revenir sur sa décision. Buté ? Complètement ! La voyant ranger les rubans, Lorren hocha lentement la tête. Lui-même ne pensait pas le mériter, ne pas pouvoir supplanter l’ex-époux qui avait rendu heureuse sa tenancière. “ Allons-y dans ce cas.” Dit-il avec modération, hésitant entre laisser la discussion en plan et la nécessité de se mouvoir. Pouvait-il l’enlacer, l’embrasser ? Mais si elle le repoussait encore, comment le prendrait-il ? Réussirait-il à ne pas se renfermer ? Ses mots avaient-ils été suffisants ? Noyé sous une mer d’interrogation, sur le bord de la submersion, Merrick en émergea grâce à une demande de la rouquine. “D’accord.” Répondit-il bien maladroitement. Certaines paroles auraient probablement été plus à même de démontrer le bien-être que ces dires lui apportaient. Il aurait été l’heure de s’épancher dans un discours empreint de tendresse et de l’attachement plus que féroce qui le liait à Estelle. Or, incapable de plus, l’esprit complètement vidé et dénué d’une quelconque parole, l’homme d’armes fit la seule chose qu’il était capable de faire. S’avancer, affirmer qu’il acceptait, et se perdre et s’oublier dans cet échange empreint de tendresse. Il s’était quasiment jeté sur elle. Laissant l’une de ses mains descendre sur sa hanche et l’autre se déposer sur sa nuque, Merrick ferma les yeux. Il avait vu son sourire, l’éclat de tendresse plus ou moins retrouvé dans son regard et l’action en elle-même qui ne souffrait plus du moindre doute. L’échange perdura sans qu’il ne cherche à l’astreindre à une quelconque finalité. Transporté par le baiser, luttant contre des émotions qui vrillaient et partaient en tout sens, le milicien était étreint par une multitude de dualités aucunement conciliable. Comblé de ces retrouvailles, torturées par cette accusation de viol, cette idée, aussi ténue soit-elle, qu’il pouvait être un monstre de la trempe de De Miratour. Heureux d’être là avec Estelle, effrayée d’être encore là, sur ce promontoire, tandis que le soleil se couchait. Ressentant le besoin de faire perdurer le contact de leur lèvre et l’impératif de mettre un terme à l’échange pour se mouvoir de nouveau… Finalement, le duo fut interrompu par l’arrivée inopinée et inattendue d’une autre personne. Se distançant d’Estelle, Lorren grogna pour la forme, dressant un grand sourire et offrant un clin d’oeil à la jeune femme. “Décidément, ça devient une habitude d’être interrompu par autrui au meilleur moment…” De fait, l’ivrogne avait véritablement le sentiment d’être perpétuellement forcé à l’arrêt par l’apparition d’inconnu ou d’une quelconque connaissance. Qu’importe. il ne pouvait pas réellement regretter la venue de cette femme qui semblait savoir où il fallait aller pour atteindre Conques. Devant la boutade de l’herboriste, Lorren pouffa. “ Avouez qu’il y a des meilleures façons que d’autre de se perdre, hein ?” La petite blonde le regarda avec un maigre sourire en haussant les épaules. Le milicien se satisferait de cela. “Nous voudrions nous aussi éviter cela. Nous vous suivons donc, mademoiselle.” Termina-t-il en hochant la tête et touchant d’un doigt sa dague pour s’assurer qu’elle était bien là. Oui, la jeune femme ne semblait pas être un danger. Mais, sa couardise le forçait à se méfier de tout et de tout le monde. Enserrant les doigts de la Chantauvent sans avoir besoin de réfléchir, Lorren suivit le début du mouvement en gardant son regard vrillé sur les omoplates de leur guide. Laissant Estelle mener les prémices d’une conversation, le milicien hocha la tête lorsque l’habitante de Conque leur demanda de montrer leurs avant-bras. Lâchant la main de la femme à la crinière flamboyante durant un court instant, l’ivrogne s’attela à remonter la manche de son bras gauche, avant de s’arrêter à mi-chemin. “Pourrions-nous voir vos avant-bras, nous aussi ?” Demanda-t-il avec méfiance à son tour, plissant les yeux pour tenter de percevoir une lueur suspecte dans le regard de ladite personne. Opiniant de la tête, ne semblant pas s’offusquer de pareille demande, la jeune femme fit de même, découvrant ses bras en même temps que le milicien. Une fois que tout le monde fut rassuré de ne pas se trouver en présence d’un banni, la marche put reprendre. L’herboriste son panier en main et le milicien les doigts de sa tenancière dans sa main. - ”L’un et l’autre, je dirais. Je l’accompagne par pur plaisir, personnellement.” Commença-t-il en parlant d’Estelle. “ Après, c’est aussi un voyage pour but commercial. Connaissez-vous la Chope Sucrée ?” -Aucunement. C’est une auberge, j’imagine ?”Merrick secoua la tête en signe de négation. “Une auberge ? Pas du tout. C’est l’auberge de Marbrume ! Si jamais vous passez dans la cité, n’hésitez pas à y descendre. C’est l’endroit rêvé pour se reposer et profiter d’un succulent repas ! En plus il paraîtrait que sa tenancière est une magnifique jeune femme, alors…” Dit-il en haussant les épaules avec amusement. Un peu plus confiante envers les personnes qu’elle escortait, l’herboriste, se permit de rire. “Je n’y manquerais pas.” Dit-il elle en renvoyant son sourire à l’ivrogne. La suite de leur route et de leur pérégrination se fit en silence. De fait, leur escorte expliqua qu’un fangeux rôdait non loin. À cette simple évocation, le coeur de Merrick s’affola et un frisson lui remonta le long de l’échine. Il se rappelait très bien sa dernière rencontre avec ce genre de créature, alors qu’accompagné de Roland de Rivefière et de Logan, il avait eu à combattre une de ses immondices, elle aussi, nettement ralenti par une vilaine blessure. De ce fait cette révélation l’inquiéta, se sachant probablement perdue si leur groupe devait affronter le monstre. Ici, nul noble au sang chaud et au zèle plus qu’excessif pour jouer les héros et les bourreaux. Simplement un milicien couard, une herboriste avec une dague et une tenancière armée d’une poêle… Sans s’en rendre compte, il se rapprocha physiquement d’Estelle. Pour la protéger ? Plutôt pour se convaincre que tout irait bien et pour vaincre sa frayeur inhérente à ces instants de silence et d’attente. Et sans s’en rendre compte, sa partenaire glissa un ruban de mariage dans sa poche... Au final, rien de fâcheux ne se produisit, tandis que leur destination commençait à se dessiner au loin. Les nerfs à vif par cet interlude de toute parole, par cette écoute de tous les instants, Lorren souffla inconsciemment en voyant les lumières du village se dessiner jusqu’à prendre de l’ampleur. “Merci, infiniment pour nous avoir guidés.” Offrit-il en réponse à la petite blonde qui s’éclipsait sur un dernier au revoir de la main. La regardant s’éloigner, restant silencieuse durant un infime instant, il se passa une main dans sa tignasse avant de sourire. “ Nous ne connaissons même pas son nom…” Qu’importe, pensa-t-il en haussant les épaules. Se laissant entraîner vers l’auberge sans offrir la moindre résistance, le milicien ne put qu’être heureux de franchir le seuil dudit lieu. De fait, le froid de la journée, couplé à la fatigue de cette longue marche, commençait à lui faire subir et ressentir les contrecoups de cette longue pérégrination. Devant la foule de quidam et de badaud qui se massait dans l’endroit, asphyxiant le lieu de vie du débit de boisson de fortes et rances odeurs, la mâchoire de l’ivrogne tomba. À ce stade, l’endroit risquait d’être complet… “Et bien. Ce n’est pas vraiment la Chope Sucrée, hein…?” Dit-il en laissant son regard se perdre sur l’état lamentable des lieux et sur les habitués qui était aussi peu ragoûtant que leur repère. Fronçant du nez, il suivit le mouvement instigué par Estelle qui se rapprochait du propriétaire des lieux. Cela commença assez mal lorsque le gras et gros individu traita la dame de Chantauvent de “sorcière”. Fronçant des sourcils devant pareil accueil, Merrick resta tout de même silencieux. Si la jeune femme ne relevait pas elle-même ce manque de respect, lui ne se liguerait pas non plus contre le lascar. Ce n’était pas son genre de se transformer en justicier. Et puis, une réaction de la sorte ne ferait que compliquer leur situation. Toutefois, il n’accepterait pas que ce genre de commentaire continue. Après tout, bien qu’un couard préférant éviter la rixe et les conflits, il ne pouvait tout accepter. Et le manque de respect à l’égard de celle avec qui il voyageait n’était aucunement un détail impromptu qu’il laisserait passer par deux fois. Réalisant que la rouquine attendait sa décision, le jeune homme regarda l’individu qui ne lui inspirait pas une très grande confiance. “ Le convoi est passé ?” -”Hein ? Quel convoi ?” eut-il droit comme réponse, alors que le regard du propriétaire s’éclairait à l’annonce de nouveaux potentiel et possible clients. Hochant la tête devant l’information qu’il venait de recevoir, Lorren se pencha et s’appuya sur le comptoir. “Un convoi qui est parti ce matin de Marbrume. Guidé par monsieur De Marais.”-”Connais pas un homme de ce nom-là. C’est pas leur nom que j’veux moi.” Dit-il dans un clin d’oeil goguenard. “Alors, vous le prenez ce grenier ou non ?” Merrick hésita durant quelques instants. Le fracas d’une chaise qui se brise derrière lui, puis l’hilarité générale lui fit prendre sa décision. “Nous passerons outre. Merci.” Dit-il en se détournant du comptoir et s’en retournant vers l’extérieur, attrapant la main de la dame de Chantauvent. Claquant la porte derrière eux, Merrick s’arrêta quelques instants sur le seuil, faisant de nouvelles faces à la froideur de la soirée et de la nuit commençante. Derrière eux, le brouhaha de l’auberge était atténué par la porte close qui les séparait des ivrognes et de leur hilarité avinés. “J’ai préféré refuser. Sachant que le convoi n’est pas encore arrivé, mais qu’il ne devrait plus tarder, je me suis dit que ce ne serait guère une bonne idée de partager un grenier avec quelques membres de cette expédition. Après notre départ en plus ou moins bon terme avec eux…” Dressa-t-il comme raison de son refus. “ L’auberge était déjà pleine et le tenancier avait l’air d’être porté sur l'appât du gain. Il aurait partagé l’endroit avec nous et les futurs nouveaux arrivant, c’est une évidence.” Termina-t-il en haussant les épaules. Cette raison était à ses yeux valables et était aussi véridique. Merrick Lorren n’imaginait pas Arti résider dans le même grenier qu’eux, tandis que l’infâme crapule avait subi un coup de Brigitte bien placé. Mieux valait-il dès lors chercher un autre endroit. Cependant, une autre raison existait à ce refus de la proposition du gros individu. De fait, en perdant son sac, Lorren avait perdu ses maigres économies. N’acceptant pas de vivre aux crochets d’Estelle, alors que sa fierté lui refusait de faire l’aumône, le couard avait décidé de trouver une alternative à la situation. Quelque chose qui ne coûtait rien et qui serait plus confortable qu’un endroit miteux. “Et puis, au vu de la salubrité de l’endroit, ce qu’il nous offrait risquait d’être infesté de rats. Ce qui n’est guère bien réconfortant et reposant pour dormir...” Dit-il en sous-entendant malicieusement les frayeurs des bêtes de la rouquine. “ Bien que tu n’as AUCUN problème avec AUCUNE bestiole, évidemment…” Termina-t-il malicieusement, réfrénant difficilement un sourire de poindre sur son visage. Conservant sa main dans la sienne, il continua : “ Nous pourrons tenter de voir si l’herboriste voudrait un peu de compagnies ? J’imagine que nous pourrions monnayer une nuit chez elle contre une aide quelconque, non ?” La jeune femme lui avait semblé honnête. Et puis, c’était elle qui leur avait dit de ne pas hésiter à venir la voir, alors… Lui laissant le choix de surenchérir, le milicien prendrait tout de même la direction de la chaumière de ladite femme, que ce soit pour lui demander une place ou dormir, ou bien pour voir si elle avait une idée quelconque qui pourrait leur fournir un logis. -”Ce doit être là.” Le doute n’était guère permis. De fait, devant le porche de la petite chaumière, qui se trouvait être plus en retrait de la place principale du village et de l’auberge, des herbes étaient mises à sécher sur des crochets. En outre, le petit jardin juxtaposant la demeure ne mentait guère sur le métier de la propriétaire des lieux. Regardant sa partenaire, lui offrant un sourire pour la forme, Merrick Lorren frappa à la porte. Et au bout de quelques instants, leur ex-guide, potentiellement futur-hôte, leur ouvrit la porte. “Bonsoir, c’est encore nous…!”-”L’auberge était bondée, c’est ça ?”Merrick se racla la gorge, désappointé d’être devancé de la sorte. “Heu...Oui.”-”Il vous a proposé son grenier ?”-”Voilà…”-”Et donc vous êtes ici.”Avant qu’il ne puisse offrir une quelconque réponse à cette suite de déduction plus que logique, le trio fut coupé dans toute volonté d’allocution possible. De fait, un brouhaha non négligeable se fit entendre à l’entrée du village. Des ordres impérieux volaient aux quatre coins de la nuit, supplanter seulement et simplement par les cris de douleurs d’hommes souffrants et blessés. Incapable de percevoir la raison de cet émoi de leur position, le groupe resta interdit durant quelques instants. -’’J’ai un mauvais pressentiment…” Laissa planer l'herboriste comme unique parole. Comme pour raffermir la logique de ses mots, un cri de souffrance plus assourdissant que les autres lui donna raison. “Si vous voulez gagner un endroit où dormir, vous pourrez m’aider ! Nous n’avons pas de temps à perdre. Il n’y a pas de soigneur ici. Laissez-moi prendre mes affaires et suivez-moi !” Interdit et indécis, le milicien ouvrit puis referma la bouche laissant Estelle de Chantauvent prendre une décision. Bon sang, que se passait-il ?! ◈ ◈ ◈ Sur la place du village, le convoi de De Marais venait tout juste d’arriver à Conques. De fait, il était déjà étonnant que le groupe ait autant de retard. Oui, il était plus long de faire la route en suivant le lent mouvement des chariots. Pour autant, eux ne s’étaient pas perdus et le duo était tout de même arrivé en premier. Dès lors, la raison de leur arrivée aussi tardive était autre. Et il était facile d’en définir la cause, au vu de l’état déplorable des gens et des chariots; le convoi avait subi la violence d’une attaque et tout pouvait en témoigner. Que ce soit les personnes manquantes, les blessées et le sang qui tapissait les chariots et les gens d’armes… Par la Trinité, qu’avaient-ils affronté ? Mais surtout, combien étaient encore en vie ? Pour l’heure, c’était dur à dire et difficile à savoir… |
| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Mer 12 Juin 2019 - 22:13 | | |
Nous y sommes presque ? La rouquine s’était arrêtée un instant, détaillant celui qui semblait s’auto convaincre de la progression de l’ascension du couple. Les pieds douloureux, les genoux tremblants et les crispations dans les muscles, Estelle de Chantauvent était bien convaincue que non, ils n’étaient pas presque en haut. Son regard gris effleurait le restant de la pente et son arrivée finale qui lui semblait si lointaine, si abstraite que cela ne put que lui tirer une grave grimace. Impossible de poursuivre, elle n’était pas sportive, elle, pas entraîné pour être endurante. Les mains sur les cuisses, la jeune femme ne pouvait que reprendre son souffle, inspirer, expirer sans s’offusquer de la douleur dans sa gorge et dans l’intérieur de ses poumons. Un petit sifflement se faisait entendre à chaque respiration, sans que cela ne semble outre mesure la déranger. Ce fut la main de Merrick venant à la rencontre de la sienne, pour embrasser le dos de sa main avant de la tirer de manière énergique que la tenancière dû se résoudre à poursuivre, ou plutôt fut contrainte de poursuivre. Une véritable séance de torture pour celle qui n’était qu’en mesure de faire un effort sous la peur, ou sous tout autre sentiment généralement négatif. La vue n’avait guère d’importance à ses yeux, loin de là même, n’était-elle que dans ce moment présent, cette douleur s’imprégnant de ses membres se faufilant jusqu’à ses orteils et même ses doigts. S’agrippant à cette aide secourable, comme la dernière corde la reliant à un quelconque espoir de vie, Estelle avait fini par retrouver un rythme convenable –qui devait néanmoins ressembler très fortement au boulet accroché à une cheville pour Merrick-.
- « Merrick Lorren, pour un chevalier séducteur, tu es un très mauvais menteur » souffla la dame dans un demi-sourire « Je crois que je préfère ça » murmura-t-elle plus pour elle-même qu’autre chose.
Cette constatation aussi banale soit-elle la confrontée dans cette idée désagréable que l’ensemble de ses doutes n’étaient que le fruit de son imagination, de son inquiétude, de ses angoisses ou tout simplement de l’ensemble des tempêtes qu’elle était en train de traverser. Son quotidien, son habitude, tout ceux en quoi elle avait voulu croire finissait par s’effriter, s’effondrer, jusqu’à ce dernier lien familial et au combien important dans sa vie. Avait-elle été maudite des trois ? Comment croire en ce nouveau lien, cette nouvelle relation alors que tout son équilibre, toute sa construction de vie semblait soudainement fausse, truffé de mensonge et de manipulation et d’abus particulièrement sombres. Arrivant enfin au sommet, elle ne put qu’écarquiller un instant les yeux, oublié les douleurs, oublié les crampes, ne restait que Merrick Lorren et la vision de l’environnement, cette vue et ce ciel qui se drapait d’un panel de couleurs dont elle en ignorait sans doute l’existence jusque-là. Ses lèvres s’étaient légèrement entrouvertes devant sa contemplation, alors qu’un vent se levait la faisant presque immédiatement frissonner. Néanmoins, la beauté du spectacle naturel ne pouvait que la contenter, ce fut la voix de son milicien qui la sortit de ses pensées, évoquant son plaisir passé –qu’il n’avait pas réalisé- de vivre dans un village isolé. Spontanément, avec un petit pincement au cœur, Estelle avait voulu lui faire comprendre que rien n’était impossible et qu’il pouvait recommencer, reconstruire, seul, ou à deux ? Elle ne l’avait pas dit évidemment, peureuse, angoissée par l’idée de le perdre. N’était-ce pas déjà le cas dans le fond ? Ses deux prunelles effleuraient cette silhouette, alternant tendresse, rancune, amour, culpabilité et reproche, autant d’émotion qui l’épuisait, qui ne parvenait pas à la faire prendre un recul nécessaire à l’ensemble de la situation.
- « L’avenir est le présent, ce n’est que nous les décisionnaires de ce que l’on veut en faire » murmura-t-elle en douceur « Si tu décides que rien n’a changé, alors rien ne changera plus jamais, tu pourrais reconstruire une maison, avoir une ferme, te muscler les bras en travaillant un champ, ça ne tient qu’à no-toi, de décider de ce que tu veux, Merrick »
Ce fut les dernières paroles sincères et pleines de douceur de la rouquine, qui consciente que plus rien ne serait jamais comme avant s’était retrouvé confronté à ses propres tourments. Là, elle revoyait son rêve et chaque fois que ses yeux détaillaient son interlocuteur, le doute venait vriller son cœur, l’amertume de la trahison pincer son esprit, alors que chaque battement, comme une contradiction venait lui susurrer à quel point elle était déjà dépendante de cet homme. Sombrant davantage, dans cette forme de dépression, dans cette diminution morale qui venait petit à petit l’attirer vers l’obscurité de son âme, Estelle avait enfin pris conscience qu’elle devait s’exprimer que cela devenait une nécessité un besoin et ce ne fut que lorsqu’il l’a questionna sur la marche à suivre, qu’elle ouvrit son sac, son cœur, ses pensées de la plus maladroite des manières. La conversation eut néanmoins un moment d’accalmie le temps d’une bourrasque de vent, le temps que la morsure du froid oblige les êtres à se rapprocher, à se protéger, le temps pour la Chantauvent de réaliser que là encore, Merrick Lorren venait la sécuriser. Un monstre lui ? N’était-ce pas elle l’immondice qui venait de lui avouer avoir cru qu’il était capable du pire ? Son regard trahissait sa déception et les sentiments qui l’animaient soudainement, comment celui qui pensait être un couard pouvait-il encore rester, comment pouvait-il ne pas l’abandonner, ne pas hurler, la secouer, comment ?
Prise dans cette vague de culpabilité, se noyant dans les mouvements, dans ce tsunami de répercutions, la dame ne pouvait que l’aviser, qu’être spectatrice de sa tempête silencieuse, qu’être désolé d’être responsable de cet état de fait, qu’avoir pour seule envie celle de disparaître, de s’insérer dans un trou de souris, de le supplier de lui pardonner, de ne pas l’abandonner, de ne pas la laisser, surtout pas, comment pourrait-elle s’en remettre alors qu’il était son unique moyen de sauvetage, sa bûche flottant à la surface et l’empêchant d’y rester, de se noyer, de s’engouffrer dans les tréfonds des abysses des eaux troubles. Puis ses yeux s’étaient écarquillés à sa prise de parole, alors que son regard était venu se plonger dans le sien, alors que les quatre prunelles se scrutaient de cette manière défensives, incertaines.
- « Non… Je le fais depuis… chaque soir depuis tes révélations » ce fut un murmure coupable, un aveu que ce n’était pas ‘si’ récent, qu’elle n’avait rien dit pour ne pas le blesser et que finalement les répercutions étaient bien pires que si elle l’avait évoqué dès le départ « Je vais dans la chambre pour l’affronter, il se relève et me dépasse largement en corpulence, il use de sa force pour m’immobiliser » la suite est difficile, comment était-ce possible « Et il murmure qu’il n’est pas le seul à en avoir profité» sa voix devient fébrile, tremblante, pleine de crispation « que toi aussi…. » ses lèvres se pincèrent, ses yeux s’étaient gorgés de larmes.
Ce fut un silence, un long silence, alors qu’elle était incapable de le regarder, d’assumer ce songe et les révélations, comprenait-il la honte ? L’idée même pour celle qui ne croyait avoir eu que son mari… de réaliser, de réaliser que des hommes qu’elle ne connaissait peut-être pas en avaient profité, que son frère l’avait abusé, mais l’avait aussi offerte, peut-être ? C’était insurmontable, ce n’était même plus un sentiment d’humiliation, s’était tellement plus. Elle était sale, se sentait immonde, pire qu’une fleur de trottoir, pire qu’une femme des bas quartiers offrant son corps pour de l’argent, n’avait elle-même pas été payée… Souillé, dégradé, s’était toute sa représentation qui volait en éclat, sa perception d’elle-même, sa relation avec les Trois, comment pourraient-ils lui pardonner d’avoir été cet impur sans le savoir, comment n’avait-elle pu rien sentir, rien voir, ne rien se souvenir ? Ce fut donc ce silence complexe et difficile, brisé par la voix de Merrick qui lui demandait la raison de son excuse. Venait-elle de réaliser qu’il était incapable de tout ça ? Oui. Pouvait-elle affirmer qu’il n’existait pas un micro soupçon de doute persistant ? Non.
- « Oui » souffla-t-elle dans un premier temps « je l’ai toujours su, mais y avait cette voix persistante, ce peut-être, ce ‘et si’, c’est horrible, Merrick » conclut-elle « C’est comme si je n’étais plus capable de faire la différence entre ce qui est réel et ce qui ne l’ai pas, ce qui est vrai ou pas… Comment pouvais-je croire que des cauchemars étaient vrais ?! Pourquoi… »
Avait-il senti ce besoin de s’approcher, de l’enlacer, ce contact qui se faisait plus que nécessaire sans qu’elle n’ose, sans qu’elle en franchisse cette barrière. Estelle ne parvenait pas, ne parvenait plus, à chaque fois qu’il l’a touchait, elle ne se sentait plus légitime, elle se dégoûtait, elle n’était plus cette femme digne et respectable, celle qui avait été mariée à un homme, celle qui n’avait connu qu’un homme : de tenancière était-elle passé à femme de petite vertu sans même le vouloir, vulgaire catin, vulgaire mouchoir en tissu qu’on balance une fois l’affaire terminée. La Chantauvent avait détaillé le sol, baisant la tête alors qu’il évoquait une nouvelle fois vouloir faire front commun, mettre les histoires de côté, poursuivre ensemble, dans la même direction. L’homme d’armes évoqua son attachement pour la tenancière, qui dû sentir son cœur tambouriner plus fort dans sa poitrine, sans pour autant qu’elle opine, qu’elle admette qu’il avait raison : il devait choisir lui, elle n’avait pas à essayer de le faire fuir, pour autant, était-elle vraiment capable de ne pas tout faire pour le protéger ?
Merrick avait fait un pas en sa direction, sans pour autant anéantir l’ensemble de la distance qui s’était installée entre eux. Glissant une main au niveau de son décolleté la dame, avait fini par extirper un ruban, expliquant, évoquant ses autres pensées, plus douce plus tendre, plus pleine de doute et de peur, mais tellement plus effrayante pour des raisons bien plus positives. Terminant, elle avait apprécié la réduction supplémentaire de la distance, savourant cette proximité –pourtant si lointaine encore-, osant enfin l’aviser, parcourir son visage avec cette envie discrète. Estelle avait opiné une fois lorsqu’il lui disait ne pas vouloir qu’elle oublie son mari, puis une deuxième fois lorsqu’il évoqua Adrien et la dure réalité qui attendait encore le couple. Inutile de revenir là-dessus, pas maintenant, pas tout de suite, Estelle aurait juste voulu oublier, pour de bon, définitivement. N’était-ce peut-être pas si stupide cette maison dans un village… Néanmoins, ses sourcils avaient fini par se froncer si fort, qu’un pli était venu prendre naissance au milieu de son front, se faisant davantage visibles alors qu’elle continuait à froncer dubitative, mécontente de la suite.
- « Merrick Lorren, as-tu une affreuse vision de toi… Je ne vois rien de tout ça quand je te regarde. Je vois un homme responsable, qui est parvenu à faire tomber amoureuse une indomptable tenancière… Je vois un homme courageux, qui ne s’est jamais défilé devant la moindre difficulté, je vois un ancien coureur de jupons, qui a pu bien profiter, mais qui n’a pas fauté lorsqu’il s’est plus ou moins engagé… Je vois un curieux, qui a envie de vivre et de découvrir notre nouveau royaume… Fange ou pas. Mais je ne vois aucunement celui que tu viens de me décrire jusque-là… » elle lui offrit un sourire tendre « C’est notre passé et nos expériences qui font ce que nous sommes aujourd’hui, sans tout ça, tu ne serais pas celui que j’ai choisi moi, peu importe les défauts que je découvrirais par la suite… »
Le milicien évoquait son choix, rappelant qu’elle n’était pas apte à choisir pour lui, une nouvelle fois, la Chantauvent avait opiné, simplement. Ne souhaitant pas rentrer dans cette lutte spécifique, dans ce combat qu’elle avait envie de perdre sans être en mesure d’accepter de le laisser s’embarquer dans cette tempête qui se dessinait si proche et si loin à la fois. Fuyant, évoquant dans cette phrase à double sens, l’obligation davantage, de bouger, elle ne put que lui offrir un sourire, avant de réaliser une demande bien plus particulière, un besoin d’un contact qui l’effrayait autant qu’il lui faisait terrible envie. Le d’accord de son désormais presque officiellement fiancé, lui tira un sourire amusé, alors qu’il venait enfin à sa rencontre, alors que les regards se croisaient, alors qu’une main glissait au niveau de sa hanche et l’autre derrière sa nuque, que les lèvres se retrouvaient, que les langues se remettaient à danser et que les voix se taisaient enfin. Il n’y avait que Merrick Lorren et Estelle de Chantauvent, que deux individus s’abandonnant, alors que la dernière essayait d’accepter de nouveau un contact, de le tolérer, de l’apprécier, un peu, de ne pas se sentir si moindre, si sac à foutre. Après un long d’immobilité, où ses mains étaient restées le long de son corps, la rouquine avait fini par retrouver ce contact, par laisser ses doigts se faufiler sous le tissu, apprivoiser la peau chaude d’un dos, pousser plus loin la rencontre des bouches. Accepter. Accepter une seconde le passé qu’elle ignorait jusque-là, mais surtout ce présent qui était innocent à tout le reste. Finalement, rester là, ainsi, n’aurait peut-être pas été une si mauvaise idée, non ?
L’arrêt fut brusque, provoqué une nouvelle fois par la présence d’intrus, ou plutôt d’une intruse non désirée, retirant ses mains, se reculant d’un pas, alors que ses prunelles venaient appuyer la nouvelle silhouette féminine et blonde. Participant à la conversation, souriant aux interventions de son presque amant retrouvé, la rousse se contenta d’être ‘témoin’ des événements et décision, suivant Merrick sans le moindre doute. Confiance aveugle, méfiance inexistante, ils avaient donc suivi cette sauveuse venue là par un miracle agréable. Poursuivant le sentier désormais retrouvé, Estelle fut surprise par l’interrogation des avant-bras, haussant un sourcil avant de s’exécuter, avisant comme par réflexe le bras de Merrick –on ne sait jamais qu’une marque ait soudainement poussée-, puis celle de la guide.
- « Sont-ils si dangereux que ça, les bannis ? » - « Pas tous, mais si vous ne voulez pas être accusé de trahison, pas d’exception » - « Je vois » souffla une tenancière un peu désabusée par autant de sévérité
Replaçant convenablement ses manches, elle avait finalement laissé l’homme d’armes s’occuper de la conversation, venant retrouver la chaleur de sa main, dans un petit sourire. Comme souvent, lorsqu’elle se sentait un peu gênée, était-elle venue pincer l’intérieur de sa main, soulignant ainsi sa gêne légère à l’évocation de la chope et des compliments dont elle ne doutait aucunement de la sincérité.
- « C’est une simple auberge sur la place des pendus, non loin de la caserne, une grande famille » fit-elle comme pour essayer de réajuster
Avisant les sourires sans s’en offusquer, Estelle dressa ses lèvres dans le même ordre d’idée. La route n’avait pu que se poursuivre dans un silence tout relatif, alors que l’inquiétude était venue vriller les esprits, imaginer un fangeux, blessé ou non, hors de questions. Etait-elle déjà suffisamment fatiguée comme ça, aucun doute que ses pieds avaient dû se doter de quelques ampoules prêtes à éclater et que ses mollets avaient dû enfler devant la non-habitude d’autant d’exercice, l’endurance, oui, mais visiblement pas pour tout. Aucune mauvaise rencontre, juste une séparation de la blonde et du couple dans de légers mouvements de main. Arrivée enfin, une chance d’être encore en vie, encore ensemble. Entraînant son homme d’armes préféré –n’y en avait-il qu’un de toute façon- dans l’auberge qu’elle venait d’apercevoir, Estelle ne put que laisser une moue imprégner son visage, à peine les premiers pas dans l’établissement effectué. Une foule importante, des personnes très peu vêtues, ou tout du moins convenablement, de l’alcool un peu partout, des rires gras et forts la soirée semblait en effet bien entamer. Coulant un regard vers celui qui venait de comparer cette chose à SON établissement, elle ne put que retenir un petit rire amusé, soudainement pleine d’une fausse assurance, elle ajouta :
- « Merrick, aucun établissement ne peut rivaliser devant LA chope sucrée » elle lui offrit un clin d’œil « Allez viens, on va trouver une chambre royale » ajouta-t-elle avec cet espoir naïf au fond des yeux.
Droite, de l’autre comptoir de celui qui devait être le gérant de l’ensemble, ce fut une tenancière plein d’espoir naïf qui quémanda une chambre. La comparaison de sorcière ne sembla pas l’emballer sans qu’elle ne s’en offusque –se retenant de justesse de ne pas le menacer d’un mauvais sort en cas de refus de chambre-. Sa mine avait fini par sombrer, se décomposer alors que l’homme proposait le grenier au couple. LE GRENIER. Elle-même n’avait jamais fait ce type de proposition à ses clients. Déconfite, elle avait lancé un regard plein de désespoir à son milicien, conservant sa main dans la sienne, entrelaçant davantage ses doigts dans les siens. Après l’évocation du convoi, qui était pourtant très loin dans l’esprit de la dame, celle-ci finit par comprendre ou voulait en venir Merrick, comprenant son refus –non pas pour ne pas partager son grenier, mais pour ne pas finir embroché par le coutilier-. Se faisant entraîner jusqu’à l’extérieur par l’homme d’armes, elle ne put que lui offrir un doux sourire, opinant plusieurs fois pour montrer qu’elle comprenait et qu’elle entendait, levant néanmoins un doigt pour se faire entendre :
- « Tu avais peur de retrouver sur ton ami avec votre connaissance intime commune » fit-elle malicieusement « ou tu craignais que je ne dévoile Brigitte à trop de personnes ? » conclut-elle en tapotant son sac contenant la fameuse Brigitte « Je sais me tenir, tu sais… » peut-être pas avec sa précieuse alliée, mais bon, le tout n’était-ce pas d’y croire ?
La suite de la conversation eut le donc de faire écarquiller de dégoût la dame… DES RATS n’étaient-ce pas encore plus monstrueux que l’énorme et gigantesque bête de la forêt ?! Si, très certainement, frissonnant à cette idée de rencontre horriblement mauvaise. Néanmoins, elle n’était pas dupe, loin de là, plissant les yeux, le scrutant comme pour essayer de passer au travers de son corps physique.
- « Merrick Lorren, ne serais-tu as en train d’essayer de m’embobiner ?! Parce que tu sais très bien que je n’ai aucun problème avec les bêtes à poil ou sans poils même, je n’ai absolument pas peur de ce type de créature monstrueuse aux dents tranchantes et prêtes à te sauter à la gorge pour un oui ou non. » Lâchant la main de Merrick pour croiser les bras sous sa poitrine –pour se réchauffer un peu sans aucun doute aussi- « Moi je pense que tu avais peur de monsieur le Marais » -ne se souvenait-elle plus du nom exact- « Le gentilhomme qui aime sa femme, n’aurait-il pas été encore plus dangereux que nos amis les rats ? » -pour Estelle certainement pas « Bouuuuuuuuuuh, tu aurais eu l’occasion de lui montrer quel homme responsable tu étais devenue et puis le grenier c’était toujours mieux que dehors ! Il fait froid, j’ai mal aux pieds… Si j’ai des cicatrices, tu seras de corvée de massage, je te préviens ! » tenta-t-elle de menacer.
Un vent avait fini par se lever, obligeant la tenancière à se serrer, se masser les avant-bras, pour rentrer légèrement la tête dans ses épaules avec l’espoir de se protéger. L’évocation de l’herboriste lui tira cependant un sourire, plutôt doux, qu’elle paye la charmante sauveuse, ou l’aubergiste cela n’avait pas d’importance, s’offusqua-t-elle néanmoins de ce besoin de troque ? Lorsqu’il y avait de quoi payer, inutile de jouer les négociations, gonflant un peu les joues, détaillant l’homme qui se trouvait non loin, d’elle, glissant une main sur ses hanches elle ajouta :
- « J’ai de quoi payer, pas besoin de jouer de tes talents en négociation, garde-toi ça pour plus tard… Et puis, on lui doit au moins des services gratuits, sans elle, nous serions sans aucun doute encore dans les marais »
Opinant simplement, suivant celui qui venait de reprendre la marche, qui une fois les jambes froides devenaient encore plus douloureuses, ce fut une Estelle marchant quelque peu en ‘crabe’ qui suivait son milicien en retenant des petits couinements –était-elle douillette, rappelons-le-. Couinant régulièrement par des ‘attends-moi’ ; ‘c’est encore loin’ ; ‘ Merrrrrrrriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiick’, comme une enfant mi boudeuse, mi complètement épuisée. Les yeux de la jeune femme avaient dû d’ailleurs se tirer, se teinter de cet épuisement non surjoué. S’éloignant de la place principale pour regagner un petit sentier, petit sentier qui donnait enfin sur une demeure fort agréable, où reposaient déjà des plantes afin de faire sécher l’ensemble. Rendant son sourire au milicien elle le laissa frapper à la porte, restant relativement en retrait –n’oubliait-elle pas que la dernière fois qu’ils avaient été chez l’habitant, la situation avait été un véritable cauchemar-, penchant légèrement la tête pour observer la blonde qui venait d’ouvrir, écoutant l’échange qui ne pouvait que la laisser dubitative, la dame chercha le regard de Merrick, finalement, n’avait-elle pas forcément envie de rester ici.
La conversation fut stoppée par un raffut important en direction du village, des gémissements, des hurlements, des ordres en toute direction, l’herboriste resta un instant inerte, avant de prendre la directive, avouant avoir un très mauvais pressentiment. Estelle aurait plutôt évoqué une très bonne ouïe, puisqu’il était évident que quelque chose clochait et si la possible maîtresse de maison avait dans l’idée d’aller voir, ce n’était ABSOLUMENT pas le cas de la rouquine, qui déglutissait déjà.
- « Mais on a de quoi payer… » tenta une Estelle presque à bout - « Ici on fonctionne en échange ma bonne dame, c’est de l’aide ou rien »
Avait-elle manqué de dire ‘bah rien alors’, mais fut-elle obligée de se retenir en se pinçant les lèvres, avisant le regard suppliant Merrick. Non, Estelle ne voulait pas voir, pas découvrir, elle n’était pas prête pour ça, pas en plus de tout le reste. Ce voyage cela devait être reposant, pas de perdition dans les marais, pas de fangeux, pas d’attaque et pas de sang… Pas de sang… Immobile elle avisait Merrick, l’observait de ce regard implorant, il ne pouvait pas lui demander ça, pas après tout ça, ce n’était pas possible… Non ? La blonde avait fini par ressortir, les bras chargés de plante à l’odeur très forte, de bandage, de petite fiole, une fine pluie commençait à tomber du ciel et là, elle ne put qu’insister :
- « Dépêchez-vous ! Venez vite ! »
Elle n’attendit pas les réponses du couple, qui s’était retrouvé avec les bras tout aussi chargé d’affaire en soin et pouf, elle avait disparu à grande course, évitant les gouttelettes, traversant habilement l’ensemble pour rejoindre la source des hurlements. Immobile, silencieuse, la tenancière n’avait pas bougé, l’observant sans cligner des cils, sans gestes, elle s’éloignait jusqu’à devenir une ombre floue au loin.
- « Je ne peux pas… » souffla une rouquine comme dans un état second « Je ne peux pas Merrick… » le sang, les gémissements, c’était trop tôt pour celle qui c’était comme lui retrouvé enfermé… Martin… « Mais ils ont besoin d’aides… Ils ont besoin…. »
Sa respiration s’accélérait drastiquement, les mouvements de sa poitrine se faisaient irréguliers, alors qu’elle semblait luter avec elle-même, lutter contre sa peur, lutter contre ses angoisses, contre la réalité de l’extérieur… Pouvait-il y avoir pire que les rates et la monstrueuse bête de la forêt ? Les fangeux… Avisant l’ensemble des éléments qu’elle avait entre les mains, Estelle sembla regagner un peu en vigueur et en couleur, secouant la tête, laissant ses mèches flamboyantes et désormais humides se répartir autour de son visage.
- « O.K. Merrick Lorren, cap ou pas cap d’être courageux avec moi ? » elle lui offrit un sourire, son visage trahissant, puant, sa crainte et sa peur « Promet moi juste de pas achever des Marais, maintenant tu as une plus belle femme que la sienne à combler….chevalier »
Une note d’humour, elle essayait de détendre l’ensemble, lui offrir une raison, quoi de mieux que le jeu pour s’encourager, pour appuyer sur ce qui semblait réellement unir ce couple un peu particulier. Un sourire atrocement faux mais encourageant, un hochement de tête et la dame avait fini par s’élancer, sans pouvoir prendre la main de Merrick à cause de ses bras chargés. Le bruit des pas dans le début de flaques, la fine pluie qui n’atténue en rien les gémissements plaintifs, les formes audibles de douleurs et la vision qui s’intensifie, qui se définit au loin, jusqu’à être parfaitement perceptible. Le convoi déchiqueté par endroit, ensanglanté, des personnes à l’intérieur à la place des chargements, dont les boyaux sortaient largement et dont les derniers souffles de vie venaient d’être expirés. Immobile à quelques mètres de l’ensemble, Estelle avait fini par s’immobiliser, observant la blondinette hurler ses ordres, faire signe au couple d’approcher, pour l’aider avec l’ami de Merrick qu’Estelle avait lâchement frappé plus tôt dans la journée. Un nouveau blocage. Pas cap se répétait-elle presque de manière régulière, vraiment pas cap. C’était bien la première fois qu’Estelle était aussi proche des conséquences de la fange. Bien à l’abri derrière les murs de la ville, n’avait-elle qu’assisté à l’ensemble de loin, essuyant quelques catastrophes fangeuses, mais sans être directement touché personnellement –hormis la perte de son mari, mais n’avait-elle jamais vu le corps-. Déglutissant, prenant une légère inspiration, elle avait fini par reprendre sa marche après un coup d’œil à Merrick.
- « Ok, toi » fit-elle en montrant Merrick « Occupe-toi du coutilier, tu prends ça, tu remplies la plaie de la substance, tu ne cherches pas, balance de l’eau salée dessus avant, après tu prends le fils et tu complètes. Il faut empêcher les saignements, ça attire la fange et il pleut, tu as compris ? Quand vous avez fini les deux soins là, vous courrez chez moi, vous fermez la porte et vous ne m’ouvrez cas moi, entendu ? » elle l’avisa un moment « Allez, dépêche-toi ! Toi, viens là, appuis là, aussi fort que tu peux… Tu entends ? Tu fais la même chose et tu refermes, si il meurt, tu ne restes pas près de lui »
La bouche d’Estelle s’entrouvrit presque inévitablement, comprenant que Merrick allait s’éloigner d’elle, pas de beaucoup, non vraiment pas de beaucoup, à quelques pas à peine, mais c’était déjà trop. Pour autant il fallait agir, abandonnant l’ensemble des affaires sur le sol, elle avait déjà ses mains faisant pression sur le ventre du fameux pervers. Celui-ci n’était plus en état de sous-entendre grand-chose, respirant difficilement s’étouffant dans son propre liquide pourpre, Estelle ne savait pas vraiment quoi faire, l’herboriste s’était éloignée pour diriger le convoi, une femme forte, organisée, habituée.
- « Les non-blessés dans l’auberge, dépêchez-vous, le convoi on le laisse là, ceux qui n’ont pas peur, qui sont en état de réfléchir reste pour m’aider pour les soins, les autres à l’abri et surtout pas un bruit »
Ce fut impressionnant de réaliser à quel point comme toute l’ambiance du village avait changé brusquement, les habitations s’étaient fermées, les volets, les portes, le silence n’était coupé que par les gémissements plaintifs, la mort, les conséquences de la fange. Appuyant de toutes ses forces sur la plaie, avait-elle retenu une grimace alors que la main ensanglantée venait de se déposer sur son avant-bras, les doigts s’enroulant remontant jusqu’au visage pour laisser une trace rougeâtre sur sa joue. L’homme lui murmurait de rester là, de rester avec lui, de ne pas partir, sentant certainement sa dernière heure arrivée, mais Estelle en était incapable, de bouger, de continuer à faire pression, c’était comme fou, dérangeant, atroce, incompréhensible. Autour d’eux c’était une vision d’horreur, peut-être même plus que ça, alors que des hurlements lointains étaient encore bien trop là. Se crispant, lorsque son regard se porta une nouvelle fois sur le désormais cadavre, Estelle ne put que comprendre qu’il était mort en avisant ce bras tomber les doigts écartés. Se relevant brusquement, le haut de sa tenue ensanglantée, les mains rouges, la trace encore sur son visage, elle était là sans trop savoir comment réagir, quoi dire, que faire ? Avisant Merrick au loin pour le retrouver avec le coutilier encore en vie lui, la dame ne put que faire cet état de fait, grognonnant derrière lui, enfin s’exprimant alors qu’il apportait des soins à l’homme qui devenait son meilleur ennemi.
- « Il est mort » murmura-t-elle « Je suis désolée pour ton ami… » avait-elle mal compris « Et pour votre homme » enchaîna-t-elle en direction du coutilier « Il faut partir » ajouta-t-elle « Je vais t’aider à le déplacer et le ramener à l’auberge » - « ME TOUCHEZ PAS ! » beugla l’homme « Sauver par celui qui saute ma femme, vous plaisantez ?! » enchaîna-t-il en se débattant - « Vous préférez mourir ?! » fit une Estelle en implorant Merrick du regard
Il devait trouver les mots, un moyen de le convaincre, autour d’eux il n’y avait presque plus personne et les grognements se rapprochaient, la pluie s’intensifiait… Non, il ne pouvait pas l’abandonner lui, juste parce que Merrick s’était glissé dans l’entrecuisse de madame Marais, c’était stupide.
- « JAMAIS » enchaîna l’homme blessé qu’Estelle tentait de relever avant de tomber en arrière devant un geste brusque.
Les fesses dans la boue, le regard perdu effleurant le sol avant de remonter jusqu’à Merrick, puis vers cet homme trop blessé dans son orgueil pour comprendre qu’il y avait d’autres priorités que penser à une quelconque vengeance. Alors que l’homme continuait à se débattre, ce fut une gifle qui s’abattit sur son visage.
- « On arrête de faire l’idiot, votre femme c'est fait sauter par Merrick ?! Moi j’me suis faite sauter par mon frère, j’en fais tout un drame hein ?! BON MERDE. Vous voulez crever là, comme ça, comme une pauvre crevure faible ?! ON BOUGE ! »
Première fois que la voix d’Estelle montait autant dans les aigus, que son visage exprimait cette colère débordante, incapable de tolérer qu’on l’abandonne, incapable d’être responsable de la mort de quelqu’un, de se mettre à l’abri en ayant sur la conscience celui qui reste vivant et qui va se faire dévorer.
- « Aide-le ! Et vous, si vous bougez… »
Les yeux révulsés par la colère, par la hargne, la peur, la déstabilisation, Estelle semblait avoir de nouveau franchi une étape de non-contrôle. Se précipitant vers l’auberge, l’étrange trio n’avait guère de temps de se complaindre, de se battre, la fange arrivait, tout l’indiquait, ce fut d’ailleurs à peine passée la porte de l’établissement que les hurlements horriblement dérangeants ce furent entendre et que les griffes s’abattirent sur le bois de l’ensemble. Tout le village entier était devenu mort, mort de calme, sans bruit, sans vie… Et maintenant ?
- « On ne va pas mourir… hein » souffla une rouquine en avisant son milicien
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| | | Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Ven 14 Juin 2019 - 3:56 | | | Est-ce que tout était réglé ? Loin s’en fallait. Pour autant, mieux valait repousser les maux et les aléas empreints de tourment des révélations d’Estelle de Chantauvent. Pourquoi ? Simplement, car ses dires étaient certes douloureux, mais nettement moins que l’idée de la perdre. Par ailleurs, Merrick Lorren pouvait comprendre les tenants et aboutissants de cette distance qui s'était créée entre eux. Il était normal que la jeune femme doute et se sente déchiré par ce qu’il lui avait révélé sur son frère. L’homme d’armes avait conscience de s’attaquer au dernier membre de sa famille, à l’élément et l’individu qui l’avait longtemps maintenu à flot. Et ce, bien que ce soit pour son propre plaisir et désir, évidemment. Pour autant, pouvait-il accepter qu’elle le pense capable de mettre en branle ce genre d'ignominie et d’actes insidieux ?
Impossible. Il était incapable de lui pardonner cela, de relativiser et de supplanter cette parjuration. Ainsi, bien qu’il comprenait, il ne pouvait cautionner ce doute qui avait étreint sa tenancière. Merrick se sentait littéralement trahi et comme un monstre pour que la jeune femme doute de lui de la sorte. Souffrant de ce manque de confiance, abattu par cette immonde perception qu’elle avait de lui, par la perfidie de son cauchemar qui le hissait comme un être plus que bestial, Merrick renfermait et noyait ses émotions, ne les laissant pas apparaître ni le submerger. Pourquoi ? Car le milicien ne pouvait et voulait empirer les choses. Car il était déjà assez douloureux d’être pris pour un monstre. Dès lors, nul besoin de le devenir, en explosant et en enrageant, en lui faisant croire qu’il pouvait être l’énergumène violent et violeur de son cauchemar…
Pour autant, tout n’était pas négatif. De fait, pouvoir mettre des causes sur les maux était réparateur. De fait, Lorren ne doutait plus de l’attachement de la jeune femme. Ainsi, l’ivrogne pouvait se permettre de se rapprocher d’Estelle, goûtant avec concupiscence au retour d’une certaine harmonie et osmose entre eux. Leur relation semblait de nouveau s’arrimer et se diriger vers quelque chose de naturel plutôt que de forcé. L’abcès du silence et du non-dit avait été crevé, oblitérant les derniers stigmates d’une distance incomprise. C’est donc toujours engoncé dans un sentiment doux-amer, dans un bonheur de la retrouver, mais dans le malheur de se sentir trahi par ce manque de confiance, que Merrick Lorren fit contre mauvaise fortune bon coeur. Du moins, pour le moment…
En outre, il lui était simple de repousser ces révélations pour l’heure. Le temps ne s’y prêtait pas, tandis que l’impératif d’arriver à Conques puis de trouver un logement se faisait ressentir et plus qu’important. Suivant l'herboriste jusqu’au village, puis entrant dans l’auberge en suivant la dame de Chantauvent, Merrick avait rapidement guidé le couple retrouvé et anciennement perdu -aussi littéralement que métaphoriquement parlant- à l’extérieur. L’idée de dormir dans la cave ne l’enchantait guère. De plus, il doutait très peu que ce soit identique pour sa partenaire. Répondant tout d’abord au doux sourire de sa tenancière de la même manière, le visage de Lorren se plissa jusqu’à devenir une petite grimace sous les contrecoups de la facétie d’Estelle. “ Je dois avouer que je préférerais ne plus le revoir, en effet. Mais moi, avoir peur ? Impossible. Jamais !” Mentit-il en se passant une main dans les cheveux, ayant lui-même conscience de sa couardise qui l’étreignait à tout va. “Je ne doute pas que tu es capable d’être civilisé, mais je préfère éviter une mauvaise surprise, si je suis dans l’erreur… ne sait-on jamais après tout.” C’était affreusement honnête, Merrick en avait peur. La rouquine était une personne aussi généreuse que gentille. Or, celle-ci avait aussi la Brigitte facile. Vous en doutez ? Il suffit de demander à la pléthore d’ivrogne sur la place des pendus. Bon nombre eurent la chance de rencontrer la plus fidèle alliée de la propriétaire de la Chope Sucrée…
Littéralement épuisé par la déliquescence des découvertes de la journée, par la marche forcenée et par la frayeur d’une possible présence fangeuse, Merrick Lorren n’en perdait tout de même pas le nord. Estelle de Chantauvent avait voulu se moquer de lui, le taquiner avec sa hantise de retrouver et retomber sur De Marais ? Soit. Mais cette petite attaque amicale sonnait comme une déclaration de guerre, comme un défi. Et le milicien n’était pas homme à se défiler pour ce genre de rixe. Là où les mots prenaient racine et s’arrimaient pour former une arme, l’ivrogne combattait avec autant de zèle et de férocité qu’un chevalier défendant la veuve et protégeant l’orphelin. Répondant rapidement à cette première offensive, le jeune homme attaqua un point faible de la défense de sa rivale; les bêtes et bestioles peuplant le grenier qui leur avait été offert et presque dévolu.
Or, l’opposante n’était pas faible ni susceptible de se retrouver en fâcheuse posture pour si peu. Après tout, si tel avait été le cas, jamais Merrick n’aurait fini par tomber amoureux de la rouquine. Le défi et le jeu du charme avaient besoin d’être difficiles pour que le coureur de jupons se complaise dans l’attrait de la séduction. Cette longue lutte qui perdurait encore aujourd’hui était la preuve de la vivacité d’esprit d’Estelle. Promptitude qui prenait tout son sens à cet instant, alors que la rousse se dédouanait d’une quelconque peur des bêtes et retournait à l’attaque, se fendant d’une nouvelle botte en usant à nouveau de l’existence de De Marais pour mettre au plus mal le belligérant qui lui faisait face. “Pour te prouver que je n’ai pas peur de retomber sur ledit homme, je suis prêt à prendre le grenier. Toi, moi, nos “amis” les rats et De Marais. Bonne idée, non ?” Dit-il avec un sourire énigmatique sur les lèvres, faisant mine d’y réfléchir en se passant une main dans la barbe.
C’était une égalité pure et simple. Tous deux ne voulaient pas le grenier et les deux avaient deviné pourquoi leur opposant ne voulait résider en pareil lieu. Or, aussi bien Merrick qu’Estelle ne voulaient avouer que l’autre avait vu juste et avait eu raison… dès lors, oui, c’était un échec et mat conjoint, un équilibre des forces dans une défaite respective. “ J’aimerais simplement ajouter que je ne suis pas du genre à embobiner qui que ce soit !” Mensonge évident qui n’en était que plus plaisant à proférer. “ Et aussi que j’ai toujours été un homme responsable !” Ça aussi c’était faux. D’ailleurs, difficile de dire si aujourd’hui, ce genre de qualificatif pouvait s’accorder avec lui. Arthur dirait que non, mais peut-être que… non. Ne soyons pas ridicules.
Laissant la lutte, le jeu de côté, Merrick y mit un terme et un frein en poussant un petit rire. Incapable de continuer, de déblatérer et discourir en feignant le sérieux et cachant son amusement, le milicien détourna la conversation vers la suite. “ Je ne crois pas que ce soit possible d’avoir des cicatrices à cause d’une petite promenade de santé…” Elle voulait exagérer ? Lui pouvait facilement amoindrir et minimiser leur longue journée de pérégrination. “ Et puis de toute façon, je commence à te connaître, Estelle de Chantauvent. Cicatrice ou non, tu vas quand même réussir à quémander et commander un massage. Chose que je ne suis pas contre de t’offrir, mais…” S’approchant d’un pas, le regard pétillant de malice et se penchant vers l’avant en appuyant une main sur la devanture du débit de boisson qu’il venait de quitter : “ Qu’est-ce que j’y gagne, moi…?” dressa-t-il comme réponse en lui offrant un sourire taquin et se passant une main dans la chevelure. Elle était impossible. Et c’est probablement pour ça qu’il se complaisait et plaisait en sa présence.
Cette fois-ci, ce fut la morsure du froid porté par le vent qui mit un terme à l’interlude de leur recherche d’un endroit où résider pour la nuit. La bise se faufilant avec fourberie entre les pans de leurs vêtements leur rappelait que la nuit était déjà tombée depuis quelque temps et qu’elle s'annonçait glaciale. Grognant pour la forme sous la caresse du mistral, l’homme d’armes fit comme la tenancière, rentrant la tête dans les épaules et glissante ses mains sous ses aisselles. Devant le gonflement des joues d’Estelle lorsqu’il amena l’idée de troquer auprès de leur ex-guide, il ne put qu’en rire. “ Laisse-moi me montrer utile.” Dit-il tout simplement en pinçant doucement cette joue qui avait pris de l’ampleur sous la “contrariété” de la rousse. C’était bien simple comme prise de parole, mais c’était sa façon de lui présenter que c’était tout ce qu’il pouvait faire, offrir comme dédommagement à la jeune blonde.
C’est sur ces mots qu’ils se mirent -enfin- en route. Ou plutôt de nouveau en route. Le chemin vers ladite demeure ne pouvait et ne devait être bien long. Pour autant, Estelle réussit à se faire entendre à mainte reprise, y allant d’un babillage empli et empreint d’autant de fatigue que d’impatience. Pour toute réponse à ces mots voltigeant en sa direction comme des couinements, Merrick usa de son arme la plus aiguisée; le mensonge. “C’est juste là !” “Non, je voulais dire juste après. Voilà !” “Ah, je crois que…”. Mais même cela n’avait pas suffi, et le milicien devait se faire à l’évidence; sa partenaire était plus que véritablement fatiguée. Quoi de plus normal avec la journée qu’ils avaient eue ? Même lui en souffrait. Dès lors, il avait ralenti, prit la main de sa tenancière et usante plutôt d’encouragement. C’était nouveau d’agir de la sorte pour lui. Mais ce n’était pas plus mal d’offrir un support plutôt que moquerie et jeu...enfin, trouvait-il sur le moment.
Enfin arrivée sur les lieux, la propriétaire de l’endroit le surprit au moment de l’échange. Elle se doutait de leur venue, mais aussi de la cause. Se faisant à chaque fois devancer dans son allocution, Lorren en perdit un peu de sa superbe. Croisant le regard d’Estelle, il crut y voir une lueur d’incertitude quant à l’idée de rester ici. Avait-il rêvé ? Probablement, non ? Car sinon, pourquoi serait-elle dubitative ? Or, rien ne put aller plus loin. Aussi bien la discussion que la réflexion sur le possible doute de la Chantauvent. Pourquoi ? Car les blessées et les blessures venaient d’arriver dans le décor. Et les suivants non loin; la mort elle-même… Il ne fallait pas être bien intelligent pour comprendre ce qui se tramait non loin, les causes de ces borborygmes de souffrance. Dès lors, il était facile de comprendre et de réaliser que l’affaire devait être affreuse, que le sang devait couler à flots et que les cadavres étaient pléthore. La fange avait frappé, remportant un nouveau combat contre l’humanité. Triomphant encore contre les humains qui ne pouvaient que se terrer et prier pour ne pas être les suivants sur leur tableau de chasse.
L’herboriste voulait aller voir et aide, alors qu’Estelle semblait plutôt osciller vers l’idée inverse. Peu courageux, et en proie à une terreur qui prenait racine dans son passé, Lorren était lui aussi d’avis de ne pas y aller. Or, cela ne lui servait à rien de proférer le moindre son. Il comprenait rapidement comment marchait “l'économie” par ici, ce qu’attendait réellement la blonde pour offrir un logis. Après tout, ne venait-il pas lui-même d’un endroit semblable ? Ainsi, cette dernière cherchait une aide et non pas de l'argent qui perdait quelque peu de sa valeur sur les routes et loin de la cité de Marbrume. ''...Je pense que…” Que pensait-il ? Le milicien savait la marche à suivre, ce qu’ils devraient faire pour être en accord avec son rôle de milicien et pour être des individus intègres. Mais n’avait-il pas déjà flanché devant l’apparition de la fange ? Pourquoi aujourd’hui ce serait différent ? S’il fuyait de nouveau mettrait-il Estelle en danger ? Est-ce que sa frayeur de la peur lui imputerait un nouveau tourment qui le vrillerait jusqu’à l’ivrognerie et la mort ?
Comme pour ajouter à la lourdeur de la situation, à l'âpreté de ce qui allait arriver, une pluie se mit à tambouriner sur les acteurs en présence. Faisant rapidement fi de cette nouvelle variable, Merrick et Estelle se retrouvèrent les mains chargés de bandage et de produit de soin. Ils n’avaient pas encore donné leur réponse, leur volonté de participer à cette aide qu’ils se devaient pourtant d’apporter. L’herboriste avait choisi pour eux. Comme pour ne pas leur laisser le temps d’arrimer et d’affirmer une quelconque prise de décision, la jeune femme leur quémanda de se dépêcher, ouvrant la marche vers la cause de l'émoi. ''...Pourtant il va falloir, Estelle.” Ses paroles n’étaient pas convaincues ni convaincantes. Le couard cherchait lui-même à se décider à se jeter vers l’avant et pour une fois, prendre la bonne décision. Or, c’était difficile et ardu. Si la rousse hésitait et reculait, comment lui pourrait-il être capable d’agir ?
Aussi étrangement que ça puisse paraître, c’est la nervosité et la peur de sa tenancière qui lui permit de ne pas sombrer et chavirer à l’intérieur de la sienne. Abruti par un élan d’inquiétude pour les aléas des sens de la Chantauvent, Merrick put mettre un peu de côté sa propre frayeur pour tenter de rassénérer une jeune femme qui n’en menait aussi peu large que lui. Pour sa part, son teint était pâle et ses yeux hagards, alors qu’il était déchiré entre les instants présents qui risquait d’être horrible et le passé qui semblait se répéter en ce jour. “Il faut y aller… je crois. Hein ?” Voulait-il entendre un non ou un oui ? Dur à dire, difficile à savoir. Un cri plus fort que les autres lui fit grimacer et rentrer la tête dans les épaules. Le non commençait à avoir la prééminence et dominer son antonyme. Encore une fois, c’est la propriétaire de la Chope Sucrée qui le sortit de son marasme et de son ambivalence empreinte de faiblesse en faisant la seule et unique chose qui pourrait marcher avec lui; lui lançant un défi lui proposant un jeu au travers d’une dose d’humour.
La regardant durant quelques instants, Merrick soupira. Avant de hocher la tête avec un manque de conviction flagrant. “Je prends le risque de dire cap…” Oui, c’était le mieux qu’il pouvait affirmer et dire. Et puis, il fallait aussi être réaliste. Sans demeure pour la nuit, c’est eux qui risquaient d’être les prochaines victimes de la fange. Et avec leur proximité plus qu’apeurante, le duo n’avait guère le temps de chercher un nouvel endroit. Dès lors, autant contenter l’herboriste et se retrouver en relative sécurité dans sa chaumière ! “Ce n’est pas moi qui cherche à le tuer ! Nous pourrons mettre cela sur le compte de la légitime défense s’il trépasse par ma faute…” Puis, tentant a son tour d’offrir un sourire à Estelle; “ En effet, nettement plus belle. Mais aussi nettement plus dur à contenter, princesse.”
C’est ainsi que l’ivrogne suivit le mouvement, emboîtant le pas à celle qui avait réussi à se faire une raison et trouver assez de courage pour braver le macabre et la mort. Sur le sentier qui les amènerait tout droit au plus profond de l’ignominie et de la boucherie, le regard de l’homme d’armes tentait de percer la noirceur environnante et avoisinante pour découvrir et trouver la présence d’un prédateur de l’humanité. Mais n’y voyant rien, il ne perçut pas la présence de ces êtres infâmes. Ce qui était pour le mieux, car en pareille circonstance, il serait parti dans une cavalcade aussi effrénée que solitaire. Toujours est-il qu’à partir d’un certain temps, le duo déboucha sur ce qui semblait être un véritable champ de bataille, bien qu’aucun cadavre d’opposant ne traîne dans les alentours. Le sang avait la tête d’affiche, maculant aussi bien les hommes que les chariots. En seconde position venaient les cadavres estropiés, déchirés et déchiquetés qui ne proféraient plus le moindre son. Et en troisième place se positionnaient les blessés. Bien que moindre en nombre comparativement à leurs deux comparses susmentionnés, ceux-ci étaient les plus bruyants et ajoutait, de par leur râle d’agonie ou d’affliction, une dimension encore plus macabre à la scène qui se jouait devant leurs yeux. Scène qu’ils devraient bientôt et bien vite rejoindre pour agir…
Comme un commandant ou un général, l’herboriste au nom toujours inconnue l’envoya s’occuper de nul autre que de son meilleur ennemi à l’extérieur de Marbrume… De Marais. Hésitant, sur le point de lui dire que ce n’était peut-être pas la meilleure des idées, qu’il ne devrait pas s’occuper de lui, mais d’un autre, le jeune homme se ravisa. Allons ! Il était plus que blessé, la plaie était profonde et sans aide il allait trépasser. L’homme ne pouvait être aussi difficile au point de refuser son aide, non ? Oui, impossible ! Coulant un dernier regard à la Chantauvent, dressant un petit sourire qui sonnait aussi creux que faux, Lorren hocha la tête pour lui affirmer que tout irait bien. Le croyait-il seulement lui-même ? Toujours est-il que le duo n’était qu’à peine séparé. Car si cela avait été le contraire, le milicien aurait refusé de s’éloigner outre mesure. Glissant un regard à Arti, à l’individu qui était à la fois un ami et un énergumène qu’il détestait, Lorren sut que la mission de la Chantauvent risquait d’être impossible. Sans s’en émouvoir plus longtemps, il se dirigea vers celui qu’il devait sauver.
De Marais avait une très vilaine déchirure au niveau de la cuisse. L’hémoglobine s’écoulait rapidement, et à gros bouillon, de cette longue balafre. Ailleurs, des multitudes de griffures marbraient son tronc et ses bras, sans pour autant être dangereuses ou importantes pour l’heure. Ledit homme ne semblait plus être en mesure de mouvoir sa jambe. Si rien n’était fait, c’était la mort qui risquait de le prendre et de devenir sa maitresse. Or, le regard fiévreux, mais encore clair, dudit lascar vit arriver Merrick. “Messire...aidez-moi !” Éructa-t-il tout d’abord d’une voix débordante de douleur et voulant plus que tout d’être aidé. L’obscurité masquait encore les traits du milicien, et il ne fit rien pour ouvrir la bouche et lui faire réaliser qui il était. “Foutue fange…” Continua-t-il d’un ton plaintif. “Mon convoi, ma jambe…” termina-t-il en reniflant et retenant un déversement de sanglot. Le sang coulait suffisamment pour que les larmes ne soient pas nécessaires, il semblerait. Merrick soupira devant pareil spectacle, mais garda le silence. S’il était aussi plaintif et seulement porter sur ses possessions et bien au lieu de se tourner vers la perte de ses hommes, l’ivrogne concevait assez facilement pourquoi sa femme avait accepté de se perdre dans ses bras… “On...on se connait ?”
Cette fois-ci ce fut un soupir à s’en fendre l’âme. Rien ne servait de cacher son identité plus longtemps. Autant qu’il l'apprenne tout de suite plutôt qu’il le découvre au moment où Merrick serait en train de le recoudre. C’est donc en se penchant au-dessus de la blessure que le milicien prit la parole. “C’est moi. Merr…”
-”QUOI ?! Je vais vous tuer, je… Aaargh ! Salopard !” Lorren venait de jeter sur la blessure de l’eau salée. C’était pour le sauver, se convainquait-il. Alors, pourquoi prenait-il un maigre et vicieux plaisir à le faire taire en le blessant quelque peu ? Allez savoir… “Je refuse de, Aie !” Cette fois-ci, ce fut au commencement de l’étalement de la drôle de mixture dans la blessure que la souffrance du coutilier le coupa dans ses beuglements. Évidemment, le jeune homme avait “probablement” appuyé un peu trop fort pour rien. “Par la Trinité, cessez ! Je vais vous saigner, je vais vous…”
-”Si vous n’arrêtez pas de bouger et que vous n’arrêtez pas de vous plaindre, c’est vous qui allez saigner jusqu’à la mort ! “ -”Rien à foutre !” -”Vous êtes un crétin. Je comprends pourquoi votre femme…” Murmura-t-il.
-”Hein ?! QUOI ?! Lâchez-moi !” Termina-t-il en repoussant Merrick de sa jambe valide. Tombant sur ses fesses et vers l’arrière, Lorren grogna et jura. Par chance, avant qu’il ne se jette au cou du blessé et non sur la blessure qu’il était supposé refermer, Estelle de Chantauvent arriva. Porteuse de mauvaise nouvelle, cerne, mais sa présence lui fit tout de même le plus grand bien, calmant ses velléités toutes “meurtrières”. “Ce...ce n’est pas grave.” Répondit-il à la jeune femme, incapable de réellement dire s’il regrettait ou non la disparition d’Arti. Hochant la tête lorsqu’elle annonça avec logique qu’il était l’heure de s’éclipser, Merrick se pencha de nouveau pour tenter d’offrir son support au coutilier d’un côté, tandis qu’Estelle faisait la même chose de l’autre.
-”ME TOUCHEZ PAS! Sauvé par celui qui saute ma femme, vous plaisantez ?!” -”Qui sautait !” Corrigea un Lorren qui voulait sous-entendre que cela était bien derrière lui et qu’il n’avait pas revu ladite épouse.
-”Qui sautait…? Vous l’avez fait plus d’une fois ?!”
-”Non ! enfin, je crois…” Répondit l’ivrogne guère convaincu du nombre de fois. Ne se rappelait-il même plus vraiment de l’épouse en elle-même, alors…” De toute façon, là n’est pas important. Ne faites pas l’idiot, De Marais. Allez !” Tenta-t-il de le convaincre de se laisser aider, d’accepter de vivre grâce au support de l’ennemi qu’il pouvait représenter pour l’époux cocufié. Ce fut au tour de la propriétaire de la Chope Sucrée de tenter de faire changer d’idée l’homme qui préférait mourir qu’être redevable à l’ivrogne.
-”JAMAIS!” En plus de sa vocifération, il repoussa la rouquine qui tomba à son tour au sol. Entre la peur de l’instant, alors que les grognements gutturaux se rapprochaient et la colère de le voir malmener celle qu’il aimait, Merrick se mit en colère, se faisant violence pour ne pas frapper au visage celui qui risquait de les condamner tous les trois.
-”Pouvez-vous cesser d’agir comme un gamin et penser comme un homme, par la Trinité ?! On va tous mourir ici si vous ne vous décidez pas à accepter notre aide, foutu crétin !”
-”Autant mourir et vous entraîner avec moi !”
Avant d’avoir eu la chance d’en rajouter, et potentiellement d’aggraver la situation au lieu de l’améliorer, ce fut Estelle de Chantauvent qui souffla un vent plus que froid sur la haine qui liguait les deux individus. Comment ? En explosant à son tour, en relativisant la relation charnelle qu’il y avait eu entre madame De Marais et le milicien en faisant comprendre que son frère avait abusé d’elle. Même la colère plus que viscérale et farouche du coutilier ne put rester dressé face à pareils aveux. Défait, désabusé par cette prise de parole, le blessé ouvrit la bouche avant de la refermer, glissant un regard vers Merrick et fronçant des sourcils. C’était une victoire en soi. Il n’avait pas dit de vive voix qu’il acceptait, mais son silence pouvait être pris comme un accord. Enfin ! Il était plus que temps alors que la mort les attendait au tournant, et ce, aussi littéralement que métaphoriquement parlant…
Ce courroux et cet emportement qui déborda de la Chantauvent déchirèrent un peu plus l’homme d’armes. Oui, cette situation permettait au stupide et insipide gradé de ne pas finir dévoré. Pour autant, ce n’était qu’un maigre réconfort pour Merrick qui aurait préféré qu’Estelle n’ait jamais à proférer ce genre d’allocution tempétueuse et tourmentée. Serrant des dents pour ravaler une pléthore d’ignominie qui pourrait rapidement voltiger et frapper De Marais pour son obstination qui avait forcé la rousse à s’ouvrir sur les aléas douloureux de son existence, Lorren se pencha pour offrir son aide à l’individu qui l’abhorrait autant que lui le haïssait. “Accrochez-vous ! Estelle, ouvre la marche.” Pour les guider, pour sonder le terrain qui n’était pas éclairé ? Aucunement. Pour la préserver des griffes de la fange qui risquait d’apparaître sur leurs talons. Était-ce parce qu’il était preux et courageux qu’il acceptait de se placer en retrait avec De Marais pour secourir sa tenancière ? Aucunement. De fait, le milicien ne prendrait aucun risque. Positionnant la dame de Chantauvent en avant, il avait la chance d’abandonner le coutilier si les bêtes aussi bestiales que voraces se rapprochaient trop rapidement. Ainsi, lui et la jeune femme pourraient survivre alors que le blessé servirait de diversion.
-”Aller, allez, aller…” Répétait-il en courant, autant pour se motiver qu’encourager le trio a continué leur avancée. N’écoutant pas les grognements de douleur de De Marais, n’écoutant pas leurs corps qui leur criait d’arrêter et de se stopper, ils continuaient, tous, encore et encore. C’était ça ou la mort, c’était cet effort ou le trépas. Tous les bruits autour d’eux s'intensifiaient sans qu’ils ne voient la présence physique de la fange qui était néanmoins hautement perceptible bien qu’invisibles. “Ça sent pas bon, Lorren.”
-”C’est probablement vous, De Marais. Avancez !”
L’auberge était visible. Autant l’entrée que ses les lumières intérieures. Si près du refuge, du repaire qui leur assurerait la survie, mais à la fois si loin. Avaient-ils le temps de s’y rendre ? Merrick hésita un instant, desserrant sa prise un court moment. Peut-être que… oui, peut-être qu’il fallait lâcher le gradé, non ? Croisant le regard dudit homme, celui-ci vit une lueur de compréhension dans ses prunelles. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le blessé lui sourit énigmatiquement. “Alors, Lorren. On fatigue ?” Serrant des dents et détournant la tête, Merrick se détesta pour ce qu’il comptait et escomptait faire. Mais pouvait-il prendre le risque de continuer et de jouer au héros ? Le jeune homme était effrayé. Il n’était pas un preux parmi les preux. Il allait être un monstre. Estelle avait probablement eu raison d’avoir douté de lui...Celle-ci était devant eux, en avance sur leur course. “ Est-ce vrai, son frère ?” Merrick hocha la tête. “Un salopard. Un peu comme vous, finalement.” L’ivrogne ne répondit rien. “Vous direz à ma femme que… non. Ne lui dites rien et n’allez pas la voir. Compris ?” Un nouveau hochement de tête. “J’espère qu’il n’y a pas trop d’hommes comme vous à Marbrume, Lorren. Vous êtes une honte pour vos semblables. Vous devriez vous éloigner de la rousse avant de la faire souffrir et de l’abandonner. ”
C’est sur ces dernières paroles que le couard, qui se haïssait déjà, lâcha le coutilier. Celui-ci chuta au sol, gueulant en direction de l’obscurité de la nuit. “APPROCHEZ-VOUS, FOUTU MONSTRE ! APPRO…” Les cris de souffrance oblitérèrent la finalité de sa prise de parole. C’est ainsi que De Marais rendit l’âme pour de bon, bien aidé par la couardise et l’abandon de nul autre que Merrick Lorren, de l’homme qui récidivait sa fuite au détriment d’un être qui aurait potentiellement pu survivre avec son apport. Les larmes se mirent à dévaler le visage de l’homme d’armes. Il ne pleurait pas la perte de l’individu qu’il n’avait jamais apprécié. Il pleurait la bestialité de son acte. N’avoir aucune compassion directe pour le gradé lui fit encore plus se détester. Par ailleurs, il ne pouvait que se questionner, se demander ce qu’il aurait fait si c’était Estelle qui était blessée au lieu de De Marais. L’aurait-il abandonné elle aussi ? Il voulait croire et il espérait que non. Mais ne venait-il pas de récidiver l’acte plus que lâche de son passé ?
C’est in extremis qu’il se faufila en second, alors que le battant se refermait sur eux et qu’un silence de mort s'abattait sur les lieux. Laissant des larmes silencieuses glisser le long de son visage, Merrick haletait de fatigue et avait du mal à retrouver son souffle. Ce dernier était haché et coupé par sa propre ignominie. Regardant sa tenancière sans véritablement voir, il se mit à se questionner. Allaient-ils réellement survivre ? Le méritait-il après ce qu’il venait de commettre ? Les lumières s'éteignaient autour d’eux, alors que les rescapés tentaient de se faire le plus silencieux et inexistant possible. Dirigée par un milicien qui avait survécu à l’attaque du convoi, l’auberge commençait à se faire “fortifier” sans que Merrick ou Estelle n’y participe. Le monde se reculait des fenêtres et portes, plaçant les meubles contre ces ouvertures. Au milieu de cette mouvance la plus silencieuse possible, Lorren ne détachait pas le regard de sa tenancière, alors que la panique le submergeait et que son souffle ne revenait toujours pas. Il fallait respirer, passer à autre chose. Oui, c’était cela. Alors pourquoi n’y arrivait-il pas, pourquoi manquait-il d’air ? Était-ce le fantôme de De Marais qui revenait pour l’étrangler ? “Il..il...est...je...je l’ai…” La crise ne diminuait point, elle enflait. Qu’avait-il fait ? Pourquoi avait-il commis ce geste ? Avait-il bien fait, avait-il réellement eu le choix ? C’est sur ces entrefaites que les griffes s’abattirent sur le bois de la porte qui venait de se fermer. Personne ne faisait le moindre bruit, sauf un Merrick Lorren qui était perdu et la proie des contrecoups de ses agissements. “C’est De Marais. Il est là, c’est certain.” Enserrant sa tête entre les mains, le milicien avait le regard fou. “Il veut...il… j’ai…” Ce baragouinage intempestif, mais guère compréhensible fut rapidement à même d’affoler une pléthore de personne dans la salle principale.
-”Faite le taire !” -”Chut !” -”Silence, ils vont nous entendre !”
Le milicien n’arrivait pas à retrouver le contrôle de lui-même. Déjà, des regards noirs se levaient et venaient se poser sur le duo qui était immanquable entre la panique de l’un et la crinière rousse de l’autre. Sans l’aide-salvatrice d’Estelle, l’ivrogne risquait probablement de finir assommé. Au final, peut-être que ce n’était pas plus mal si tout se terminait ainsi. Il n’aurait plus à cogiter son infamie, à penser et ressasser la déliquescence de son acte. “On ne va pas mourir, non. Mais...je...je le mérite.” Cette prise d'élocution était si féroce, si violente envers lui-même. Or, ne méritait-il pas pareille calomnie pour ce qu’il avait fait ?
L’aubergiste commença à en avoir assez. Se relevant de sa position accroupie non loin de son comptoir il se remonta la manche du bras gauche. “Je vais le faire taire, moi...” Dit-il dans un murmure parfaitement audible, s'avançant d’un pas. Toutefois, il suspendit sa marche. Était-ce grâce ou à cause d’une répartie vilipendant de sa tenancière ? Lorren ne savait pas, alors que son esprit était encore ailleurs, en l'occurrence aux prises avec ses agissements récents. Toujours est-il qu’il entendit la suite. Comme tout le monde.
-''À L’AIDE ! AIDEZ-MOI ! ” C’était une évidence même, une voix reconnaissable entre tous. C’était l’herboriste qui criait à l’extérieur, celle qui n’avait pas hésité un instant à voler au secours du convoi et des rescapés de l’attaque. “AU SECOURS !” Le malaise à l’intérieur était perceptible, tandis que personne ne bougeait véritablement. Les hurlements étaient entrecoupés de sanglot, mais pas encore de râle de douleur. La blonde se mit à frapper sur un mur extérieur du débit de boisson. “Pitié, je vous en prie. Laissez-moi entrer !” Les sanglots augmentaient, tandis que le bruit des griffes sur la porte d’entrée diminuait. Leur propriétaire devait probablement se diriger inexorablement vers l’herboriste qui constituait une cible beaucoup plus facile à obtenir que les réfugiés à l’intérieur. ''...Pitié…” Personne ne semblait vouloir se risquer à l’aider alors qu’elle, elle avait foncé sans réfléchir pour les secourir. Or, ici et en cette heure, aucun ne voulait lui rendre l’appareil. Merrick Lorren était aux prises avec son propre mal-être pour être apte à réfléchir et relativiser.
-”Une sorcière de moins ce sera toujours ça…” cracha le tenancier en croisant ses bras sur son torse et offrant un regard noir au paniqué et à Estelle de Chantauvent. L’ambiance était plus que délétère. Toutefois, bien que quelques hochements de tête vinrent ponctuer la bravade du gros et gras homme, la majorité des réfugiés ne firent que baisser la tête, écoutant probablement les dernières paroles de cette femme courageuse qui risquait de mourir de la pire des manières. Bien qu’il soit toujours en proie à une certaine crise -si il n’avait pas été aidé ou assommé-, Merrick Lorren ne put s’empêcher de penser à une chose;
Le Labret était encore bien loin… |
| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Ven 21 Juin 2019 - 17:04 | | |
- « Très bonne idée » rétorqua la rousse, les bras croisés sous sa poitrine dans un petit ‘mh’ vexé et enfantin.
Pivotant légèrement sur le côté, de manière à ne pas complétement lui faire face, Estelle détaillait le milicien d’un petit air mi- boudeur, mi- amusée. Un sourire en coin, des yeux un peu plus pétillants, l’état de fatigue semblaient soudainement un peu plus lointains. Suffisait-il d’un peu de distraction pour faire oublier à la Chantauvent l’ensemble des difficultés rencontrées ? Peut-être pas. Si la rouquine tâchait de conserver un sérieux incontestable, son esprit c’était mi à redouté les possibles agissements de son complice. Merrick Lorren irait-il jusqu’à accepter le grenier, juste pour se donner raison ? Se pinçant les lèvres, attendant sagement la suite, ne put-elle que ressentir une légère vague de soulagement lorsque la conversation dériva plus sagement vis-à-vis de sa réclamation. Un massage donc. Décroisant les bras, affichant un sourire victorieux sur les lèvres, la tenancière eut cette expression surprise, osait-il réellement appeler ce ‘début de voyage’ une promenade de santé ? Un sourcil appartenant à la gérante dut se relever quelque peu, alors qu’elle le dévisageait la bouche semi-ouverte, un filet d’air léger s’y échappant.
- « Un parcours de santé ?! Avec l’horrible bestiole, prête à sucer notre sang jusqu’à nous en vider entièrement ?! Tu plaisantes, Merrick, c’était horrible !!! Pour un homme responsable qui n’embobine pas…. Certaines définitions sont à revoir » termina-t-elle sur une voix pleine de malice
Si son sourire avait fini par se transformer vers une forme plus amusée, plus détendue, elle n’en restait pas moins visiblement fatiguée. La totalité de ses membres jusqu’à l’extrémité de ses orteils lui semblait douloureuse. Néanmoins joueuse, la dame semblait réfléchir à cette forme de donnant donnant, base de réflexion, mais aussi lien solide qui unissait encore le couple. Suivant la nouvelle position de l’homme d’armes, cette proximité partiellement retrouvée, elle ne put que naturellement gonfler les joues. Aurait-elle presque pu céder à un besoin de davantage, un effleurement des lèvres, néanmoins le froid avait fini par entraîner la fin de cet agréable échange. Rentrant la tête, frottant ses avant-bras pour conserver un minimum de chaleur. Merrick semblait souffrir du même mal, le froid n’épargnait donc définitivement personne. Ne pouvant s’empêcher d’expliquer, qu’elle avait les moyens de rémunérer l’ensemble. Le pincement de ses joues provoqua un gonflement plus prononcé alors que la Chantauvent finissait par rendre les armes, offrant un plus large sourire à son milicien.
- « D’accord, d’accord, chevalier… Votre première mission si vous l’acceptez sera de nous éloigner de ce froid bien trop mordant pour nous » murmura-t-elle en lui volant un baiser juste avant qu’il ne s’éloigne. « Pour la récompense, on en reparlera une fois la mission pleinement remplie »
Le duo avait fini par reprendre la route, pour le plus grand déplaisir d’Estelle qui sentait une nouvelle fois ses pieds souffrir du trajet de la journée. Ronchonnant, tout du long, elle avait usé de soupir, de grognement et d’une multitude de questions qui ne venaient que souligner son état de fatigue et ce besoin presque omniprésent de repos. Ce ne fut qu’une main rassurante se logeant dans la sienne qui la poussa au silence, alors que son pouce venait caresser le dos de la main de son presque amant, signe de reconnaissance, mais aussi de cette affection qui persistait, malgré les difficultés que le couple rencontrait. Désormais silencieuse, néanmoins un peu traîneuse la dame de Chantauvent poursuivait sa progression au rythme plus lent que le milicien avait imposé –pour son plus grand soulagement- Le duo avait fini par arriver jusqu’à la fameuse demeure de l’herboriste qui semblait déjà très au courant de la situation. Discrète dans un premier temps, la rouquine semblait laisser le milicien gérer les éléments et la situation. Plus d’une fois, la dame s’était mise à grimacer, davantage lorsque la situation dégénéra et qu’elle fut dans l’obligation de prendre en considération l’ensemble des éléments.
Le convoi avait été attaqué, sans qu’elle ne puisse définir sur l’instant par quoi, ou par qui, ses bras s’étaient retrouvés chargés d’éléments de soin et pire… Pire…. L’herboriste annonçait, sous-entendait qu’elle accepterait de loger les deux amoureux à la condition d’une aide plus que nécessaire. NON. Ce fut la première pensée de la Chantauvent, qui sur l’instant, semblait encore préférer dormir sur une branche en haut d’un arbre que porter assistance à ceux qui en avait pourtant plus que besoin. Partant la première, l’herboriste du rapidement s’apercevoir qu’elle était seule. Le duo étant resté sur ses pas, la gérante évoquant cette incapacité, ce refus, d’aller vers le lieu du drame. Immobile, suppliant du regard celui qui pourtant essayait de l’amener dans la direction opposée de sa volonté, Estelle ne semblait pas être en mesure de réfléchir dans le bon sens, de prendre les bonnes décisions. Regrettait-elle presque sur l’instant ce voyage, ce départ, cette absence de protection des remparts de la ville. Ce ne fut que finalement les encouragements de Merrick qui semblèrent porter leurs fruits, provoquant chez elle un sursaut de conscience. S’appuyant sur une forme d’humour rassurant, la gérante de la chope sucrée avait fini par se convaincre et convaincre son partenaire d’aller porter assistance à l’ensemble des acteurs du convoi. Juste avant le départ du couple pour l’assistance, Merrick évoqua bien maladroitement qu’Estelle était plus difficile à combler que l’ancienne maîtresse du milicien. Ce qui devait être un compliment dans la bouche de l’homme d’armes sonnait comme quelque chose de désagréable dans l’esprit de la Chantauvent.
- « Je croyais que tu avais mauvaise mémoire à ce sujet, tombeur. » souffla-t-elle lentement « Bon, allons-y, mais je te surveille ! »
C’était sans aucun doute la première fois qu’Estelle dévoilait un soupçon de jalousie, d’inquiétude même. Sans le dévoiler, sans clairement l’aborder ou l’exprimer, la dame avait pleinement ressenti cette angoisse de la comparaison, cette inquiétude de n’être pas suffisamment bien, performante, d’autant plus avec les derniers événements et cet éloignement que le duo avait pu ressentir entre eux. Prenant une légère inspiration, secouant doucement la tête pour évacuer ses mauvaises pensées, son stress et cette crainte qui commençait à la dévorer vis-à-vis de la fange, de la mort, du voyage, de leur couple et de tout le reste. Le duo avait fini par rejoindre l’herboriste les bras chargés, se précipitant, s’activant pour réaliser les recommandations de la guérisseuse improvisée.
Seule face à la victime, Estelle n’avait pu que ressentir ce pincement, cette déstabilisation, ce besoin d’être ailleurs, alors que le mourant réclamait toute son attention. Attentive, elle va essayer de réduire la plaie, de faire pression avec ses deux mains, mais le blessé avait fini par tirer son dernier souffle en la suppliant de le rester, de l’accompagner. Cruelle réalité que d’être ainsi confrontée à la mort, à un soldat, l’instant lui rappela le décès de son mari et ce fut presque douloureux de l’imaginer mourir ainsi dans les bras d’une autre femme qu’elle. Déglutissant, la rousse avait dû rester un long moment en compagnie du désormais cadavre, n’osant pas partir, avec pourtant ce besoin de fuir, de hurler, de pleurer de se révolter contre les pertes beaucoup trop nombreuses. Ce fut finalement dans cet état second, dans cette incertitude et cette forme de choc psychologique que la gérante avait fini par rejoindre Merrick, en soin avec le fameux coutilier qui semblait bien loin, très loin d’accepter la présence de celui qui s’était glissé dans la couche de sa femme.
Ce fut qu’à cet instant qu’Estelle réalisa à quel point l’incident était stupide, inutile, si peu important vis-à-vis de cette odeur de mort omniprésente. Même son propre abus lui sembla insignifiant face à ce risque, cette forme de fin qui recouvrait le lieu, prête à emporter avec elle tous ceux qui hésiteraient, tous ceux dont le doute et l’envie de vivre ne seraient pas particulièrement prononcés. La dame sembla cependant arriver dans une ambiance plus que délicate. Son milicien était au sol, accusant sans trop de révolte les multitudes d’insultes et de reproche du blessé, celui-ci n’avait de cesse de gesticuler, de se rebeller, refusant dans une idiote certaine d’être secourue par celui qui avait chevauché son épouse dans des nuits sans aucun doute particulièrement torrides. Incrédule devant la stupidité des propos, la dame avait fini par essayer de se faire rassurante, par essayer de le convaincre de se laisser emporter. S’il tenait tant que ça à sa femme, autant tout faire pour la retrouver, non ? À moins que dès le départ Merrick avait raison et que les deux époux et femme ne faisaient plus que cohabiter en s’appliquant à ne pas s’entretuer. Ce fut dans cette étrange manœuvre que la dame avait fini par elle aussi se retrouver sur le sol, repoussé un peu trop vivement par celui qui déployait une sacré énergie dans le refus.
Grimaçant, Estelle avait dû sembler un instant se perdre dans ses pensées, alors qu’elle écoutait la dernière tentative de Merrick, visiblement sous le coup de l’émotion, essayer de convaincre le coutilier. Rien à faire, ce fut à son tour de se révolter, alors que le blessé évoquait sa volonté d’emporter son milicien avec lui dans le trépas. Elle vivante, cela n’arriverait jamais. JAMAIS. Ce fut dans un naturel déconcertant et dans une colère certainement jamais atteinte jusqu’alors pour la tenancière qu’elle exprima que rien n’avait plus d’importance que la vie, allant jusqu’à imager la relation extra-conjugale qu’avait connue sa femme, et les propos abus de son frère sur sa personne. Aussi violent soit l’ensemble, cela avait fini par sembler atteindre l’idiot, qui s’enfermant dans un silence, ne sachant pas quoi répondre avait fini par accepter, tolérer au moins de se faire transporter. Se relevant, frottant ses mains, Estelle avait opiné en direction de Merrick lorsqu’il lui avait demandé de passer devant. Son regard appuyé dans ceux de son milicien avait dû trahir son inquiétude, former une demande non formulée de lui promettre que tout allait bien se passer.
Pour Estelle, il était inimaginable de laisser l’un ou l’autre derrière, d’ailleurs ne pu-t-elle s’empêcher de vérifier que plus personne n’était présent, hormis l’herboriste qui terminait un soin, visiblement consciente qu’il fallait accélérer.
- « Allons y oui, dépêchons-nous ! » tenta-t-elle d’encourager le blessé et Merrick pour aller plus vite.
Sur le chemin, Estelle n’avait guère souvent un regard en arrière, se concentrant sur son objectif et préférant analyser les risques qui se trouvaient devant elle. Avait-elle ponctué l’ensemble pas des encouragements, des conseils pour éviter les trous, pour tourner, ou simplement pour signifier à quel point il était enfin proche de l’arrivée. Elle fut la première à l’intérieur, suppliant aux autres d’attendre un peu avant de fermer la porte, d’attendre que les deux survivants justes derrière ses talons arrivent, à force de supplication elle avait fini par obtenir gain de cause, soulagée de voir passer Merrick…Seul. Le silence qui avait pris possession des lieux n’avait pu que souligner la constatation de la tenancière, qui dévisageait Merrick. Avait-il réellement abandonné le coutilier alors que celui-ci avait une chance de survivre ? Ce fut comme un coup de poignard, comme une douleur si intense devant cette évidence, Merrick n’avait même pas essayé, non, il avait choisi la facilité… Déglutissant, elle ne put que murmurer son questionnement, cette incertitude, cette angoisse, avant de réaliser que celui qu’elle aimait, ne se trouvait pas au mieux de sa forme.
Les yeux dans les yeux, Estelle ne parvenait pas à se défaire de la nouvelle image de celui qu’elle avait jusque-là hissé sur une marche beaucoup plus haute, trop haute. Respirait-elle lentement pour l’inciter à faire de même, caressait-elle l’idée que cela serait largement suffisant. Inspiration, expiration, ce ne fut que dans ses premiers murmures que la gérante prit conscience de la gravité de la situation et que cela ne suffirait pas.
- « Ce n’est pas grave Merrick, tu es vivant, tu es vivant » souffla-t-elle doucement… N’était-ce pas le plus important après tout ? « Regarde-moi, regarde-moi, ça va aller »
Estelle murmurait aussi doucement qu’elle en était capable, s’appliquant à se canaliser pour mieux canaliser un Merrick Lorren qui attirait de plus en plus l’attention, autant que la crinière flamboyante de la gérante. La rousse avait beau s’appliquer encore et encore et encore, aucune de ses phrases ne semblait avoir l’effet souhaité, ou tout du moins, quand enfin il sembla y avoir une évolution positive, ce fut les griffes de la créature sur la porte en bois qui relança la crise de panique du milicien. Après quelques promesses, quelques murmures, Estelle avait fini par faire taire Merrick en l’embrassant, ce qui ne semblait pas suffire à l’ensemble du groupe, dont le gérant de l’établissement avait fini par se rapprocher pour faire taire définitivement pour la soirée l’homme d’armes. Ce fut dans un réflexe sauvage, presque animale qu’Estelle avait fini par se redresser, comme une mère protégeant sa progéniture, elle aurait montré griffe et dent tranchante si elle avait eu en sa possession, dégainant Brigitte. C’était bien finalement, beaucoup plus Estelle qui avait l’air hostile, que le gérant qui avait semblé surpris et se faire soudainement plus petit.
- « Le premier qui approche je le frappe jusqu’à ce que sa tête se décroche de son corps, suis-je bien clair ?! » grogna-t-elle avec cette lueur nouvelle au fond des yeux.
Un léger pas de recul avait pu être observé de ceux qui avaient été réalisés, alors que Merrick semblait lui aussi un brin plus silencieux. Difficile de savoir si Estelle aurait elle-même pu réaliser sa menace, certainement pas à ce point, mais personne ne pouvait le savoir et ne semblait avoir en tête de prendre le moindre risque. Ce fut donc cet étrange silence, cet étrange besoin de relativiser qui avait pris possession du lieu, alors que la rouquine avait retrouvé Merrick pour l’enlacer, pour le supplier de se calmer, pour lui promettre que tout allait bien, qu’il était vivant, qu’elle aussi et que personne d’autre ce soit ne perdrait la vie. Ce fut comme une réponse à cette affirmation que les premiers hurlements avaient fini par se faire entendre, d’abord immobile, incapable de faire la part des choses, Estelle avait pensé naïvement que les personnes présentes allaient finir par réagir, oui. N’était-ce pas obligatoire après tout ce que cette femme avait fait pour eux ?! Ce fut la remarque de l’autre idiot qui provoqua sa colère. D’un bon, la dame avait fini par se relever pour assommer dans une violence impressionnante l’homme qui s’était immédiatement écroulé sur le sol.
- « ORDURE » souffla-t-elle difficilement, le regard haineux « Vous attendez quoi ?! » grogna-t-elle « Il y a une autre porte ?! Il y a bien une autre sortie, non ?! »
Une petite main se leva, dans la direction opposée à la position d’Estelle, qui suivit le mouvement des yeux, avant de réaliser petit à petit à quel point elle n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire, hormis aller vite, très vite, trop vite.
- « Toi, si tu ne veux pas suivre ton copain tu vas faire diversion là bas ! » beugla-t-elle « Fais du bruit, plein de bruit, dès que les créatures arrivent referme bien, tu entends ?! Toi tu vas l’aider ! » Un hochement de tête, pas d’hésitation, il fallait dire qu’avec son dernier agissement et le doute qui avait pris en place dans l’esprit des survivants, personne n’était en état d’aller à son encontre, du moins sur l’instant.
- « Porte principale » hurla-t-elle en direction de l’herboriste qui se faisait toujours suppliante dehors, gémissante
Ce ne fut qu’à ce moment précis qu’un homme se leva pour s’opposer à Estelle et son idée d’ouvrir la porte, alors que les petites mains de l’herboriste de l’autre côté se faisaient entendre et alors là… Ce fut comme un état de rage alors que l’individu avait fini par la porte sur son épaule pour la déplacer et l’empêcher de réaliser l’ensemble, la dame dût se prendre elle-même pour une fangeuse puisqu’elle laissa sa dentition s’imprégner dans le coup de son opposant, provoquant un hurlement et une remise sur pied de la tenancière, qui loin de s’arrêter là, offrit un coup de Brigitte dans l’entrejambe du bougre avec une force non retenue. Plié en deux, l’homme s’écroula sur le sol, une main sur son asticot, l’autre au niveau de son cou, alors qu’Estelle se précipitait sur la porte pour la déverrouiller, avant de forcer pour la refermer, aider par une ensemble de personnes qui trop peureux de voir entrer une créature dans l’établissement avait semble-t-il fini par se réveiller. En larme, dans un état de panique impressionnant, la petite femme n’avait de cesse de remercier le groupe, encore et encore et encore et encore et encore, jusqu’à dévoiler une blessure au niveau du ventre importante provoqué par son passage par la porte alors qu’elle était maintenue par une créature dehors.
À l’intérieur, le silence avait de nouveau pris place, même si des murmures de plus en plus présents et hostiles vis-à-vis de l’inconscience de ce couple d’étrangers ne passaient évidemment pas inaperçus. D’un geste de la tête, Estelle avait demandé à Merrick de l’aide, avant d’ajouter la parole aux gestes :
- « Aide-moi, il faut la déplacer, on va monter au grenier » murmura-t-elle sans jamais lâcher Brigitte. « Accrochez-vous à lui… » souffla Estelle à la jeune femme « Par-là »
Dans l’obscurité, l’ensemble complètement silencieux, le trio avait fini par se faire une petite place, traversant la pièce pour finalement emprunter l’escalier, récupérant une bouteille au passage derrière le comptoir. À l’étage, elle avait ouvert une première chambre pour s’y engouffrer avant de bloquer l’accès avec le bureau et la chaise, tout en indiquant la marche à suivre à Merrick :
- « Dépose là sur la couche, doucement » souffla-t-elle « Je ne serais pas surprise de voir une foule essayer d’entrer dès que le tenancier aura repris connaissance » ajouta-t-elle parfaitement consciente de la situation « Il va falloir nous expliquer, nous n’avons pas grand-chose hormis un reste de votre mixture, une bouteille d’alcool et des morceaux de tissus… » - « Ça sera suffisant » gémit l’herboriste « Merci, merci à vous deux, je serais morte si… » - « Inutile. »
Ce fut un silence, un nouveau silence, le temps pour l’ensemble du groupe d’apprivoiser la noirceur du lieu, malmené uniquement par les rayons de lune. Contrairement à Merrick, Estelle n’avait pu se résigner à abandonner cette femme dont la chemise s’imbibait de rouge et dont la blessure ouverte et large indiquait que sa survie allait principalement reposer sur un possible miracle. Pour autant, la dame ne renonçait pas, ne regrettait pas les risques pris, jamais. Une vie était une vie, c’était aussi simple que ça et si elle laissait de côté l’idée fixe que Merrick avait choisi la mort du coutilier, elle n’en restait pas moins inquiète. Si cela avait été elle, l’aurait-il abandonné, elle aussi ?
- « Relevez votre chemise, on va regarder » souffla-t-elle en terminant le déplacement des meubles « On partira au petit matin par la fenêtre, descendre par la toiture ça nous connaît » tenta-t-elle de plaisanter « On repassera chez vous pour récupérer nos affaires…. Est-ce que ça va ? »
Allongée sur le dos, la femme ne bougeait pas, opinant simplement une première fois. Tout sur son visage indiquait qu’elle n’allait pas bien, sa pâleur, ses yeux rouges, les perles de sueurs dégringolant de son front signe de température. Tout absolument tout démontrait sa souffrance et pourtant elle conservait un sourire, elle conservait une joie dans le fond de ses yeux et ne pouvait que remercier encore et encore le couple. Une main ensanglantée avait fini par se déposer sur les doigts de Merrick, serrant légèrement, la blonde lui avait offert un plus large sourire :
- « Merci… Ça va aller, il faut juste faire pression, mettre la mixture…. D’accord ? Tu peux faire ça ? »
Estelle avait observé un long moment Merrick et l’inconnue toujours sans identité, affichant un sourire forcé à l’ensemble. Plus le tissu dévoilait la blessure, plus la rousse prenait conscience de l’importance de celle-ci. Comment pouvait-elle être encore souriante alors que le bas de son ventre était ouvert et dégoulinait d’une substance rougeâtre importante.
- « La mixture est là » souffla en tendant le récipient à Merrick
Si la tenancière ne l’évoquait pas clairement, elle laissait bien l’ensemble du soin à son milicien. Estelle prenait de plein fouet le contre coup de ses actes, ses mains s’étaient mises à trembler, son cœur ne semblait pas vouloir s’arrêter de battre si fort, si difficilement dans sa poitrine. Se déplaçant lentement, s’appuyant contre la fenêtre, Estelle sembla enfin accepter de relâcher Brigitte, la déposant sur le sol avec une certaine délicatesse. Avait-elle tenu l’objet si fort que le manche semblait imprégné sur la peau de l’intérieur de sa main. Lâchant un soupir et laissant l’homme d’armes s’occuper de la jeune femme, Estelle préféra jouer la carte du dialogue pour l’occuper et souffrir un peu moins.
- « On ne sait toujours pas votre nom… » souffla-t-elle en la direction de celle qui retenait une grimace « Moi c’est Estelle… Je crois que je l’ai déjà dis, je ne sais plus trop… Chantauvent, je dirige la chope sucrée… Merrick m’a emmené ici pour me faire découvrir l’extérieur… » - « Alors…. Qu’est-ce que ça donne dans cette découverte ? »
Estelle eut un moment d’hésitation, elle aurait pu rester centrer sur les difficultés, la fange, la mort et l’odeur du sang qui imprégnait ses vêtements, mais elle fit le choix de se concentrer sur autre chose, sur l’aventure, l’humour, la base du couple finalement.
- « Mhhhh, si je fais abstraction du fait qu’un monstre abominable plein de poil avec des dents horribles et une queue gigantesque qui a failli nous manger vivant, que Merrick à rencontrer un mari d’une de ses ex-compagnes qui a fait qu’on a pas pu avoir le convoi… Ce qui dans le fond au vu de la situation est arrangeant… Qu’on s’est perdu dans les bois presque Marais… Le trajet était agréable, la nature magnifique et le paysage sur les hauteurs à couper le souffle »
L’herboriste s’était mise à rire, provoquant une nouvelle grimace importante sur son visage, la douleur avait dû être plus vive à cause de ses mouvements abdominaux, pour autant elle conservait un sourire encore.
- « Vous êtes vraiment un drôle de couple tous les deux ! Vous êtes ensemble depuis combien de temps ? » son regard avait dû se déposer sur le milicien, délaissant la rouquine qui observait la fenêtre, puis détaillant son interlocuteur, elle replaça d’une main en élément qui glissait de la poche du milicien, murmurant, comme si il s’agissait là d’un secret « oooh c’est pour votre demande, félicitations ! Il est très beau, je le replace, ni vu, ni connu » puis plus fort « Harmonie, Harmonie Dupraie, mais je n’utilise jamais mon nom, c’est celui de mon père, je ne le connais pas. Alors juste Harmonie si vous le voulez bien »
Estelle s’était presque immédiatement retournée vers celle qui ne semblait certes pas bien âgée, mais tout de même.
- « Dupraie, comme… Dupraie ?! » répéta-t-elle « Quel âge avez-vous ? » fit brusquement une rouquine qui appuyait son regard sur Merrick comme pour s’assurer qu’il visualisait comme elle. - « Dupraie oui… J’ai 17 ans… » - « Et vous ne connaissez pas votre père ? » - « Non, ma mère était une aventure, je crois, ils étaient jeunes 16 ans, il me semble… Elle est tombée enceinte très vite, il m’a reconnu au temple puis il a disparu… Pourquoi autant de questions, vous connaissez un Dupraie ? »
Une nouvelle fois silencieuse, Estelle se contenta de secouer la tête, avisant la blessure, après tout peut-être qu’elle avait mal comprit. Dupraie, elle ne devrait même pas savoir son prénom, mais elle avait appris davantage d’information sur Marius lorsqu’elle pensait que Merrick la fuyait et refusait de la voir, les deux avaient fini par sympathiser un peu, c’est à ce moment-là qu’elle avait découvert son nom.
- « J’entends tellement de noms régulièrement, que cela me dit vaguement quelque chose… » murmura une Estelle qui n’était pas certaine de la conduite à tenir « Un milicien peut-être… »
Ce fut un nouveau silence alors que la petite Harmonie, qui faisait physiquement définitivement plus âgée que son âge réel dévisageait Merrick Lorren, certaine qu’il devait avoir davantage d’information. Comme pour fuir cette conversation qui semblait la mettre mal à l’aise, Estelle observait une nouvelle fois l’extérieur, avant d’écarquiller légèrement les yeux, là, juste en bas De Marais semblait trouver une nouvelle vie, errant en cherchant à pénétrer dans l’établissement, il lui sembla même que son regard croisa le sien, si bien qu’elle recula de plusieurs pas, avant de trébucher et de tomber sur le fesse au milieu de la pièce.
- « Comme une transformation peut aller aussi vite » murmura-t-elle pour elle-même, combien de temps s’était écoulé, une trentaine de minutes, un peu plus ? - « C’est le milicien que vous avez soigné ? » - « En quelque sorte… » murmura Estelle en détaillant Merrick « Je vais me reposer un peu, tu veux bien prendre le premier tour de surveillance ? » Parce que là, c’était un peu trop, un peu beaucoup trop pour elle et lorsque ses deux prunelles grises effleurèrent celle qui ne se plaignait pas jusque-là, Estelle ne put que comprendre que même ce petit rayon de positivité n’était pas non plus en très grande forme.
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| | | Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Dim 23 Juin 2019 - 16:56 | | | La porte s’était refermée derrière eux, les séparant du trépas et de la mort apportée par la fange. Toutefois, cette survivance fut loin d’être vécue comme une véritable victoire, comme un triomphe qui pourrait oblitérer la truculence et la déliquescence de ces instants macabre. De fait, alors que le battant retrouvait son socle pour confiner les survivants à l’intérieur et les monstres, ainsi que les abandonnés, au dehors, l’esprit du milicien flancha et chavira. Qu’avait-il fait ? Aurait-il pu sauver le coutilier ? Le jeune homme avait craqué en laissant choir De Marais, en offrant son corps aux griffes et aux dents des bêtes. Il était déchiré par ses actes, subissant avec fracas les contrecoups de ses agissements. Est-ce qu’il avait fait cela parce qu’il n’avait pas le choix pour se protéger et protéger Estelle de Chantauvent, ou l’avait-il délaissé simplement parce que la peur était trop grande, trop forte à cet instant charnière ? Peut-être que l’homme d’armes pourrait se pardonner le sacrifice si ce dernier avait été un impératif. Mais comment en être convaincu sans en avoir fait la tentative ? Est-ce que De Marais avait été un fardeau trop lourd à porter, ou était-ce Merrick Lorren qui avait été trop faible pour le supporter ?
Les griffes et les corps qui vinrent s'abattre sur la porte furent un bruit qui glaça d’effroi l’ensemble des personnes dans la pièce. Notamment pour Lorren qui au travers des râles et grognements bestiaux pensait percevoir le timbre et le ton de voix de celui qu’il avait abandonné. Pourquoi le chef du convoi ne l’avait-il pas calomnié et parjuré sur l’instant ? Pourquoi avait-il accepté sa mort avec des mots aussi doux-amers, tandis qu’il avait perçu dans le regard du couard que celui-ci allait le donner en pâture aux monstres ? Comment avait-il pu l’accepter ? Savait-il que cette façon d’agir vrillerait Merrick d’une douleur bien plus vivace et excessive que s’il avait proféré une pléthore d’insulte et d’injure ? L’esprit du jeune homme périclitait et souffrait d’une attrition abrasive. À ce rythme, plongerait-il dans la folie sans être capable d’en sortir ?
-”Il est là, il est là, il est là….” Oui, De Marais devait être dans la masse de fangeux qui voulait tuer. C’était probablement un sentiment de vengeance qui l’avait fait rejoindre les monstres. Oui, voilà. Il voulait tuer celui qui l’avait abandonné, celui qui avait couché avec sa femme. “Il va me tuer. Il va nous tuer.” La panique supplantait toute réflexion. L’effroi et l’épouvante déchiraient et supputaient la possibilité d’un retour au calme. Couplé aux bruits portés par les prédateurs de l’humanité à l’extérieur, impossibles que Merrick peut se rassurer et retrouver une clarté d’esprit de par sa personne.
Par chance, il ne fut pas laissé à lui-même, bien que les actions avilissantes qu’il avait commises auraient dû lui faire vivre le macabre de ses actes en solitaire. Estelle de Chantauvent était tout simplement trop bonne envers lui pour le laisser sombrer et se déchirer à petit feu. D’ailleurs, il l’avait toujours su et toujours dit; la rousse était trop charitable envers son prochain, toujours prête à aider et pardonner. En cette heure, ce fut cette bonté qui le sauva, qui l’empêcha de chavirer pour de bon dans une folie, qui cette passagère, auraient pu laisser des stigmates plus que tendance. Comment ? Notamment par la violence des gens en présence à son encontre. Pour autant, cette bienveillance était tout de même à double tranchant. De la voir et de la savoir aussi magnanime et portée vers l’altruisme, tandis que lui n’était bon qu’à être une crapule et un scélérat abandonnant autrui, lui pesait aussi lourd qu’une condamnation à perpétuité. Mais lâche comme Merrick l’était, le milicien n’était pas en mesure de repousser cette aide-salvatrice qu’il ne méritait pas. Triste et difficile dualité, s’il en est…
-”Si c’est grave. Trop grave. Je...j’ai…” tenta-t-il de s’expliquer le regard paniqué et les mains prises de tremblement. Oh certes, la tenancière de la Chope Sucrée pouvait bien essayer de prime abord de le calmer, mais de là à réussir il y avait un monde de différence. Oui, son aide était plus que la bienvenue et salvatrice. Toutefois, les contrecoups et le ressac de son abandon étaient bien trop vivaces et pugnaces pour disparaître et péricliter en l’espace d’un instant. Sous ses ordres, il la regarda droit dans les yeux. Que voyait-elle, que pensait-elle de lui maintenant et dorénavant ? Comment pouvait-elle encore vouloir son bien, pourquoi arrivait-elle à lui pardonner l’ignominie de son fait ? Rien à faire. Le calme et le doux murmure des paroles de la rousse ne l'atteignaient pas. Sa respiration calme ne prenait pas chez celui qui ne trouvait plus son souffle et dont les yeux laissaient perler des larmes aussi amères que silencieuses. “Je...je suis un…” Il fut coupé dans ses élucubrations par les lèvres d’Estelle. Or, encore là, le contact ne fut aucunement vécu avec délice. Le baiser avec le goût des cendres et de la mort.
Au final, aussi étonnant que cela puisse paraître, ce fut en quelque sorte grâce au propriétaire de leur refuge que le calme souffla avec plus de force sur les sens et l’esprit de l’homme d’armes. Non pas à cause des menaces qu’il proféra à l’encontre de celui qui n’avait plus aucun contrôle sur sa perdition, mais plutôt à cause de la réaction de la dame de Chantauvent, qui prenant sur elle-même, se liguait contre l’attroupement de la pièce pour le protéger. Encore une fois, cette aide fut vécue avec une douce amertume teintée de honte. Estelle arrivait à supplanter la frayeur de la rixe et du risque pour le protéger. Pourquoi ne pouvait-il pas faire de même avec autrui, lui, le beau salopard ? “Tu es trop bonne pour moi.” C’était la première phrase qui était énoncée sans une voix hachée, sans un ton hésitant et déchiré.
Toutefois, la suite eut aussi raison d’une partie de son marasme et de son ambivalence. Le patron de l’établissement chercherait-il vraiment la rixe à la guerrière à la chevelure flamboyante ? Si tel était le cas, Lorren ne l'accepterait pas, se révoltant contre cet état des faits qui prenait racine à cause de ses allocutions de doute et de honte. Pour protéger sa tenancière, sans risquer la lutte, Merrick se mordit la lèvre inférieur jusqu’au sang, puis son poing. Désormais, pour protéger la jeune femme, tout valait mieux que de se faire entendre. Pour autant, la crise n’était pas vaincue et le tremblement de ses membres était toujours autant important. Sa partenaire eut gain de cause à l’aide de son arme, assommant son opposant et pouvant par la suite se permettre d’enlacer celui qui ne le méritait aucunement. Trop lâche pour la repousser, il réfugia plutôt son visage dans sa crinière, se coupant du monde pour tenter de ne plus ressasser et de tout simplement oublier. Mais toute la bonne volonté du monde ne pouvait l’empêcher de rester arrimé dans le présent. La fange et la mort étaient trop bruyantes, trop proches et terribles pour oblitérer de sa conscience. Puis, ce fut le cri de l’herboriste et ses appels à l’aide qui lui fit relever la tête. Était-ce une chance de se reprendre, de se pardonner lui-même, de faire preuve de son courage et d’effacer son manque d’aide apporté à De Marais ? Pouvait-il sauver la jeune femme à titre de repentir ? Pour vaincre son état de contrition déplorable ?
Non, lui n’en avait pas la force. Mais Estelle de Chantauvent, oui.
L’herboriste. Criant son effroi et appelant à l’aide, la jeune blonde implorait un secours qui ne viendrait probablement jamais. Après tout, qui se risquerait à cet instant à l’extérieur pour sauver cette femme ? Elle, elle n’avait pas hésité un instant pour voler au secours du convoi meurtri par l’attaque. Pour autant, cet agissement empreint de bonté ne serait pas renouvelé pour elle. C’était généralement les meilleures personnes qui trépassaient, en cette époque de fin du monde. Celles prêtes à prendre des risques monstres pour aider leur prochain. Merrick pouvait en témoigner, lui qui était toujours vivant tandis qu’il sacrifiait autrui à répétition face à la fange pour assurer sa survie. C’était la preuve que les salopards qui se souciaient de leur être avaient moins de chance de finir moribonds… Bien qu’ils méritent probablement la mort tous et chacun.
Celle-ci prit en charge l’ensemble pour pouvoir offrir une chance de survie à la malheureuse laissée à elle-même. La force de ses paroles, son ton autoritaire et son regard brûlant furent suffisants pour convaincre la pléthore de couard, de faible et d’ivrogne de l’aider. Telle une véritable gradée de la milice, Estelle géra sa “coutelerie” pour mettre en branle sa mission de rescousse. Tous obtempérèrent, si ce n’est d’un homme qui comprit bien rapidement que la jeune femme n’était pas à prendre à la légère. Entre le tenancier et ce dernier, la dame de Chantauvent avait déjà vaincu deux belligérants à sa cause. Son autorité n’était dès lors plus contestée. Or, voyant cet infâme être tenter de soulever Estelle, l’esprit de l’homme d’armes explosa. À fleur de peau, une vague de haine plus grande que nécessaire vint le supplanter et lui faire voir rouge. Oui, il était un couard, un monstre et un ivrogne. Mais personne ne toucherait la propriétaire de la Chope Sucrée. Personne.
Avançant d’un pas vers le malheureux déjà à genoux et malmené par Estelle, Merrick lui allongea un coup de poing en pleine mâchoire. Tombant sur le dos, le milicien l’enjamba. “Salopard ! ” Relevant l’agresseur en tirant sur le devant de sa tunique, Lorren renoua avec un excès de violence en y retournant d’une rencontre de ses phalanges avec le visage de celui dont les yeux tournaient déjà. “Ivrogne !” Le sang gicla venant maculer son visage. “Monstre !” Relâchant sa prise et son emprise, le milicien y alla d’un coup de pied dans les cotes de celui qui était inconscient. Sous son pied, il sentit quelque chose craquer. “Foutu couard ! Sale lâche et faible ! Monstre...monstre…” Cherchant son souffle qui lui manquait, Merrick Lorren arrêta son excès de colère. De qui avait-il voulu parler ? S’attaquait-il réellement à l’homme qui avait tenté d’arrêter de Chantauvent, ou avait-il voulu vaincre celui qu’il était, l’être infâme qu’il se savait -ou pensait- représenter ? La victime de sa malveillance n’avait-elle été qu’un exutoire ?
Essuyant du revers de la main la marque carmine que l'hémoglobine du quidam avait laissé sur son faciès, l’homme d’armes ne fit qu’étendre cette trace de lutte sur sa joue. Promenant un regard à moitié dément sur le reste des individus qui le regardait, le milicien remarqua enfin que l’herboriste avait trouvé refuge à l’intérieur grâce à Estelle. Encore une fois et à nouveau, il n’avait rien fait. Elle ne devait sa survie qu’à la dame de Chantauvent et nulle autre personne. Leurs actions à l’un et l’autre ne passaient pas inaperçues au milieu de l’endroit. Leur violence et les risques qu’ils faisaient encourir à la globalité des lascars et badaud en présence étaient plus que mal perçus. Les regards étaient chargés de haine et bien qu’aucun ne tente quoi que ce soit, tout pouvait dégénérer contre eux excessivement rapidement. Prenant conscience de cette réalité, Merrick se mouva en direction de la jeune blonde et de sa tenancière. Le fait d’avoir à agir le sortait modérément de son apitoiement.
Fendant la masse avec une main sur sa dague, Lorren aida Estelle à supporter la blessée. “Ce n’est pas très joli…” Il n’y connaissait pas grand-chose en soin et en blessure. Toutefois, il fallait être aveugle pour caractériser cette balafre de simple estafilade. Repartant en sens inverse, le trio monta les escaliers en direction des chambres et du grenier. La frayeur des rats et de partager l’endroit avec De Marais était bien loin. D’une part, la fange et la menace des humains en bas étaient bien plus lourdes dans la balance que celle des rongeurs. De l’autre, la mort du coutilier frappait avec nettement plus de force et de vélocité que sa potentielle présence… Rentrant dans la chambre indiquée par Estelle, Lorren déposa l’herboriste sur la couchette. La laissant parler et obstruer l’ouverture, il dégaina son épée la regardant pendant un infime instant, avec un regard sombre, avant de l’appuyer au sommier. Aurait-il pu l’utiliser pour se sauver et sauver par la même occasion De Marais ? Pour sa couardise qui revenait toujours et qui lui faisait sacrifier autrui, devait-il se passer le fil aiguisé et affûté de sa propre arme le long de la gorge ? Peut-être…
-”Je n’ai rien fait. Encore.” C’était vrai. Affreusement véridique, terriblement réelle. Secouant la tête de droite à gauche, Merrick était dès lors et dorénavant dégoûté de lui-même. Sans Estelle, elle serait morte. Lui, n’aurait probablement rien fait, même avec l’ensemble de sa conscience arrimé et n’étant pas en proie à une crise de panique.
Elle n’allait pas bien. La mort l’attendait au tournant, guettant son souffle qui s’amenuisait et son corps qui la trahissait. Pour autant, elle, elle restait digne et fière, continuant à remercier le duo. Lorsqu’elle attrapa de sa main sanglante les doigts de Lorren, l’homme d’armes alla perdre ses yeux sur cette marque de reconnaissance et d’affection. Le contraste était saisissant, presque hypnotisant, entre la paume rougeâtre de la moribonde et la pâleur du teint de l’ivrogne. Pour autant, au travers et en dessous de cette couleur vive qui ne rappelait que maux et violence, c’était bel et bien un signe, une démonstration muette de gratitude et de bienveillance, qui venait en quelque sorte oblitérer le négatif de la chose. Lorsque la jeune femme lui demanda son aide, il hésita. Pouvait-il vraiment aider son prochain ? “Je...je ne sais pas.” En l’espace de quelques minutes pouvait-il réellement se transformer en bourreau d’un être et en sauveur d’un autre ? C’était tellement étrange et contradictoire qu’il en doutait. Mais… est-ce que c’était sa chance de rédemption ? Une vie sacrifiée pour une vie sauvée ? Cela serait si simple. Trop simple. Or, le milicien voulait y croire. Cela serait au moins un pas dans la bonne direction, non ? Sauver la vie d’une innocente et d’une bonne personne pour se purger de ses actes teintés de macabre. Oui, l’idée avait de quoi lui plaire.
-”D’a...d’accord.” Tombant à genoux sur le sol, examina la plaie avec concentration. Il pouvait le faire. Il devait le faire. “Merci”. Dit-il en direction de la rousse, sans pour autant la regarder, incapable de voir ne serait-ce que l’ombre d’un jugement dans ses iris. Récupérant la mixture il se mit à la tâche. Tentant d’être le plus efficace et le plus doux possible. Allant jusqu’à déchirer l’une de ses manches de tuniques, il en fit des compresses sur lesquels il escomptait mettre la pression nécessaire pour éviter le sang de s’écouler de la déchirure béante. Laissant tout d’abord Estelle mener l’échange, l’ivrogne avait tout de même conscience des mots qui s’échangeaient, écoutant d’une oreille attentive les dires d’Estelle. Tout d’abord en proie à l’incertitude et au doute lorsque la blessé demanda si le voyage était plaisant, chose qui était impossible à croire au vu de la précarité de leur situation et des embûches vécues depuis le début de l’expédition, il fut à la fois surpris et heureux d’entre que sa partenaire avait réussi à trouver aussi des moments de contentement au milieu du capharnaüm et de la truculence de leur péripétie. Toutefois, Merrick Lorren relativisa bien vite. Estelle voyait toujours le meilleur. Aussi bien chez les gens que dans les situations. La preuve ? Elle s’attachait à lui, bien qu’il soit le poids qui risquait de la faire se noyer…
Restant muet pour le coup, subissant l’amertume de son esprit de plein fouet, l’homme d’armes se refocalisa sur sa tâche jusqu’à ce qu’il soit à son tour de participer au dialogue. Avait-elle perçu que l’ivrogne tentait de s’isoler de la conversation, de ne pas s’épancher dans la discussion ? Est-ce que la jeune herboriste tentait à nouveau d’aider et de sauver son prochain, bien que ce soit elle qui fut à l’article de la mort ? “ Depuis quelque temps, je dirais…” Comment qualifier cette drôle de relation ? Devait-il prendre en compte ses tentatives de charme toujours plus poussives ? “Ce fut rapide. Pour le meilleur et pour le pire.” Lui ne regrettait rien, mais elle, désormais et aujourd’hui ? “Je...je suis chanceux.” Et elle était malchanceuse de le côtoyer, de prendre le risque de rester. Il n’était plus question de sa possible disparition à l’heure du mariage. Il était désormais et dorénavant question de sa possible fuite devant une situation mortelle.
Est-ce que Merrick Lorren lui apporterait la mort comme à De Marais ?
Cette interrogation lui fit serrer la mâchoire avec force et crisper les doigts. Devant pareil mouvement, la blessée grimaça avec force. “ Dé...désolé !” Il devait se resaisir. Merrick Lorren pouvait encore sauver quelqu’un. Il devait agir. Il devait rester concentré ! Lorsque la jeune fille replaça “son” ruban dans sa poche, l’homme d’armes en fut plus qu’interdit. Refusant de se retourner, alors que sa tenancière était toujours dans son angle mort, le milicien comprit ce qui s’était probablement tramé lorsqu’ils s’embrassaient sur le piton rocheux. Elle devait probablement avoir glissé ledit tissu dans sa poche à ce moment. Était-ce une sorte de message, une acceptation de leur future union qui avait semblé quasiment actée ? Le regrettait-elle désormais et dorénavant ? Oui, sûrement. La propriétaire de la Chope Sucrée avait vu sa lâcheté, sa couardise qui avait fait mourir quelqu’un. Comment vouloir rester ? Il le lui rendrait, oui. Avec cet objet appartenant à son défunt époux, il lui rendrait aussi sa liberté. Merrick Lorren n’était pas fait pour être avec quelqu’un qu’il aimait…
Il fallait pour autant tout d’abord se concentrer sur la blessure de celle qui risquait encore de perdre la vie. Pourtant, le sang diminuait. L’état semblait se stabiliser. Était-ce un miracle ? L’ivrogne fut plus long à la détente qu’Estelle. De fait, croulant sous la noirceur de ses états d’âme, il avait du mal à se concentrer sur la discussion, sur la balafre et sur son ressenti de ses actions. Toujours est-il qu’au bout d’un certain moment et des mots de la jeune Dupraie, il comprit le doute qui naissait dans son esprit. “Êtes-vous originaire de Marbrume…?” Harmonie hocha la tête, alors que Merrick soupira et dressa -enfin- un bien, bien maigre sourire. “Je pense peut-être connaître votre père. Un milicien, un collègue et un ami… en quelque sorte.”
-”En quelque sorte ?”
-”C’est une longue histoire qui peut attendre, je crois.”
-”Comment se nomme-t-il ? Où puis-je le trouver ?!”
-”Marius. À notre retour, lorsque vous serez rétablis, nous vous conduirons à lui sans problème. C’est...un honnête homme. Un homme bon.” Merrick retint le “parfois” de franchir ses lèvres.
Comment le monde pouvait être aussi petit ? Comment pouvait-il tomber sur la fille de son ami avec qui il était toujours en froid ? Définitivement, elle ne pouvait pas mourir. Encore moins maintenant qu’il savait cela. Les yeux de celle qui semblait plus vieille que le véritable âge qu’elle avait s’illuminait sous les descriptions de son père. “Promis ?”
-”Oui, c’est promis.” Un énième sourire teinta sa face marquée par ses agissements. Même dans les pires moments, un éclat de réjouissance pouvait percer les lourds nuages du malheur, il semblerait.
Toutefois il ne fallait pas sous-estimer la perfidie du malheur et sa capacité à perdurer contre toute mesure. Entendant Estelle chuter, Lorren se retourna vivement avant d’entendre ses mots et de voir la source de son émoi. De Marais. Cette vision le vrilla autant d’effroi que de honte. Par ailleurs, les mots d’Estelle en réponse à Harmonie, le “en quelque sorte” le blessa amèrement. Se réfugiant sous des mèches rebelles de sa chevelure qu’il n’avait pas replacée, il perdit son regard dans la contemplation du sol et hocha tout simplement de la tête en direction de la jeune femme qui soulignait qu’elle allait se reposer un peu. “Vous devriez en faire de même, Harmonie.” Après avoir perdu autant de sang, mieux valait essayer de recouvrer ses forces, non ?
-”Je vais essayer.”
Hochant la tête, Merrick se releva, avant d’aller s’appuyer non loin de la porte d’entrée encore obstruée. Genoux relevés, bras déposé sur ceux-ci et son épée trônant appuyé à ses côtés. Tête calée contre le mur derrière lui, le regard du jeune homme fuyait tout contact humain pour se perdre sur le plafond et dans les méandres de son esprit torturé. De Marais était là, en bas, en quête de vengeance. Ne devrait-il pas la lui offrir ? Ne devrait-il pas aller à son encontre et sa rencontre ? Engoncé dans ce genre de questionnement affreusement négatif, sombre et douloureux, le temps passa sans que le moindre bruit ne vienne tout d’abord crever le silence qui s'abattait sur le groupe. Les deux jeunes femmes dormaient-elles réellement ? Dur à dire. Pouvait-elle vraiment trouver le sommeil après l’ensemble des événements de la soirée ? Lui le savait, il ne le pourrait aucunement. Les cauchemars l'attendaient au tournant…
-''...Merrick ?” souffla la blessée tout doucement. le couard avait sa réponse; l’un des deux ne dormait pas. ''...Eh,oh. Merrick !” Soupirant et décidant enfin de répondre, du moins en quelque sorte, le milicien poussa un petit “hm ?” interrogatif. “Pourriez-vous encore me parler de mon père ? Juste un peu, s’il vous plaît.”
Soupirant, Lorren se souleva et alla plutôt s’appuyer au lit. Assis au sol, dos à Harmonie, Merrick laissa son regard se perdre sur le dos d’Estelle. “Marius est un très bon milicien. Non pas parce qu’il est le meilleur, le plus fort ou le plus courageux, mais parce qu’il croit plus que tout les autres à l’importance de notre tâche, dans l’idéal de protéger les faibles. C’est… un bon vivant, souriant et qui voit toujours le positif. Un peu comme toi je dirais, jeune fille.” Souriant devant pareille similitude, Lorren hocha la tête pour compléter sa prise de parole. “Ta mère est-elle…” Morte ? Disparue ? ne put-il proféré, mais réellement intrigué par cette femme qui avait accaparé les faveurs du jeune Marius.
-''...Harmonie ?” Se retournant en fronçant les sourcils devant son silence, Merrick sourit devant la mine apaisée de la jeune herboriste. Le sommeil l’avait rattrapé, pensa-t-il au premier coup d’oeil. Oh, il n’avait pas tort. Or, ce n’était pas le repos, mais plutôt la mort qui l’avait capturé dans ses filets. Et de cette torpeur, elle ne se réveillerait jamais. “Non...non...non.” Tombant sur les genoux, attrapant les épaules de la défunte, il la secoua doucement. “Réveil-toi ! Debout ! Ton père tu voulais le rencontrer, non ? Allez !” Il devenait fou. Comment pouvait-il avoir échoué à la sauver elle aussi ? Pour une fois qu’il avait cru et voulu bien faire pour autrui, Merrick Lorren apportait et offrait encore la mort. Était-il damné et condamné à récidiver ce genre d’acte ? Les larmes dévalaient son visage. C’était de véritable sanglot de rage, de tristesse et de désarroi. Si Estelle de Chantauvent dormait, nul doute que ce n’était plus le cas. “ Je t’en prie. S’il te plait…” Toutes les supplications du monde n’y feraient aucune différence.
Lâchant la morte, Merrick tira sa dague. Il devait… oui, il devait lui couper la tête, l’empêcher de se relever comme le coutilier. Merrick ne comprenait pas comment ils se relevaient en monstre, mais si De Marais avait été affligé de pareil sort, pourquoi ne serait-ce pas le cas pour Harmonie ? Dès lors, il devait le faire. Mais comment décapiter un visage qui semblait aussi serein et en paix avec soi même ? Comment pouvait-il démembrer celle qui était la fille de son ami, celle qui les avaient sauvées et qui avait toujours était bonne pour tous ? C’était ignoble comme acte à commettre et poser. Mais c’était à faire. La lame tremblait au-dessus de sa future victime. Elle ne ressentirait rien, tentait Lorren de se convaincre. Or, il ne fallait pas oublier une chose. Il était un couard, un être aussi méprisable que faible -à ses yeux-. Ainsi, il ne put commettre son action.
Laissant la lame tomber au sol, il se recula rapidement en s’aidant de ses mains pour aller buter contre la seconde couchette. “Elle est morte...je l’ai abandonné elle aussi. Je…” Tenta-t-il de dire à sa tenancière qui devait parfaitement avoir conscience de ce qui était arrivé. Relevant ses mains vers son visage pour se préserver de cette nouvelle vision d’horreur, Lorren remarqua que ses doigts étaient encore tachés de sa tentative pour obstruer le saignement d’Harmonie. Les mains tremblantes, ne sachant plus que faire, il tenta de les essuyer sur le devant de sa tunique avec frénésie. Or, le sang était séché. “Il ne veut pas partir ! Il ne veut pas !” Dans un mouvement plus brusque et paniqué, son coude rencontra la bouteille d’alcool qu’Estelle avait amené avec elle au grenier. La regardant durant quelques secondes, il s’en empara avidement, tel l’ivrogne qu’il était, tel le monstre cherchant un remède à sa couardise incurable. Débouchant rapidement le contenant, il suspendit la course du goulot vers ses lèvres lorsqu’il entendit des pas l’autre côté de leur pièce.
-”J’crois qu’elle est morte.”
-”Plus qu’deux ça veut dire.”
-”Faut p’t’être en profiter ?”
Serrant la bouteille dans sa main, Merrick se releva et l’envoya de toutes ses forces contre la porte close. Cette dernière explosa en mille morceaux et répandit son contenu dans une gerbe d’éclaboussures. “Bande de salopards ! Dégagez ou je vous tue moi-même !” Gueula-t-il du plus fort qu’il pouvait. Dès lors, le courage sembla manquer à leur “opposant”, tandis que le propriétaire devait encore côtoyer le coma en contrebas. Respirant fortement sous le contrepoids de sa rage, le milicien sera les poings pour contenir les dernières traces de l’ensemble des maux qui le vrillait. Se retournant vers Estelle de Chantauvent, il la regarda enfin et finalement droit dans les yeux. Pour le meilleur et pour le pire.
-”Je suis désolé d’être si faible. Estelle, je t’en prie, je t’en supplie même. Fuis-moi avant que je te fasse mourir toi aussi. Je… je ne veux pas te coûter la vie. Ne m’approche pas !” Déglutit-il dans un sanglot. “Je suis un monstre.” Se détournant, il alla vers la dépouille de la peut-être fille de Marius. Aucun d’entre eux ne le saurait jamais si c’était exact. Elle était morte et avec elle, la possible chance de le découvrir. Récupérant sa dague au sol, Lorren fit face à la morte. Il devait agir. Sa blessure était occasionnée par l’un des prédateurs de l’humanité, non ? N’était-ce pas de ce genre de plaies que le gradé à l’extérieur était revenu des morts ? Oui, ça devait être ça. Il fallait empêcher la jeune fille de se relever d’entre les morts. Ne prendre aucun risque. “Je dois le faire. C’est ma faute.” Merrick commençait de plus en plus à s’en convaincre. Tirant sur le drap, il recouvrit son visage avant de déposer sa lame le long de sa gorge. “Pardonne-moi.” proféra-t-il dans un murmure difficile, se mordant la lèvre inférieure. Faisant glisser la lame par-dessus le tissu et le long de la carotide, la nouvelle plaie dessina un mince sourire rouge sur le linceul fait d’un drap blanc nacré.
-”Je ne serais jamais capable de faire pareil pour toi. Je ne veux pas avoir à le faire, Estelle.” Pour éviter ça, pour éviter pareille finalité morbide, Merrick Lorren était convaincu qu’elle devait s’éloigner. Son esprit n’était plus clair et bien que ce ne soit pas une prise de panique aussi puissante que précédemment, cette fois-ci, l’homme d’armes croyait véritablement et réellement être damné et condamné à perdre tous ceux qui lui était chers, et d’être un meurtrier par sa couardise. “Je ne te mérite même pas.” Qu’une autre vérité, qu’un autre fait qu’il savait aussi vraie qu’irréfutable. Du moins, à son sens.
Oui, il avait envie et le désir plus qu'urgent de se réfugier dans les bras de sa tenancière. Son regard devait le crier aussi fort et puissamment que son corps. Sa bouche s’ouvrit pour proférer un “je t’aime” qui ne franchit pour autant jamais la barrière du silence. Il ne voulait ni flancher ni chavirer. La suite des choses avait toute été trouvée pour son esprit déchiré par tant d’échec et d’erreur qui avait coûté la mort. “Je vais aller apporter la mort une bonne fois pour toutes à De Marais.” Idée aussi dangereuse qu’idiote. Mais Merrick Lorren avait besoin de cela. “Je l’ai abandonné aux dents et aux griffes de la fange. C’est à cause de moi qu’il est devenu ce qu’il est. Je dois désormais l’en arracher.” Hochant la tête, le regard partiellement fou, il se passa la langue sur les lèvres. “ Oui, c’est le mieux à faire. Le mieux que je peux faire.” Puis plus doucement. “Si je rate, il aura sa vengeance et j’aurais ce que je mérite.”
C’était de pire en pire. À ce rythme, Merrick Lorren foncerait tout droit vers sa mort. Étonnant pour un couard, non ? Pas tout à fait… l’homme d’armes n’avait pas trouvé une quelconque once de courage, il cherchait tout simplement son trépas, bien qu’il ne se l'avouent aucunement. Trop effrayé pour affronter ses actes, trop faible pour réussir à s’éloigner d’Estelle pour la protéger, la mort devenait la fuite idéale, le moyen le plus efficace d’arrêter de souffrir et de faire souffrir. C’était peut-être stupide, mais Merrick Lorren n’était plus en état de réfléchir.
Littéralement, son avenir et son destin ne reposaient entre les mains de nul autre que d’Estelle de Chantauvent. Advienne que pourra.
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| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Ven 28 Juin 2019 - 17:49 | | |
- « Me-Me-Merrick… »
Ce ne fut qu’un prénom, un prénom prononcé pour la première fois avec cette crainte, cette fuite en avant, cette inquiétude d’être face à un parfait inconnu et non à celui qui avait chamboulé sa vie de la plus belle des manières. Ses deux prunelles grises effleuraient la silhouette masculine qui se redressait de sa victime. Ne pouvait-elle que constater les dégâts, les blessures et ce liquide carmin ne lui appartenant pas qui le recouvraient pourtant. Ce fut donc cette lueur de crainte, de peur, cette incertitude qui vrilla le plus la tenancière de la chope sucrée. Rabattant davantage contre elle, celle qui venait de vivre le pire, mais qui pour l’instant était toujours en vie, Estelle hésitait. Merrick n’était-il pas dangereux lui aussi ? L’incertitude rongeait son esprit, alors qu’elle ne pouvait que constater ce besoin urgent de s’isoler, de se déplacer, de ne pas rester au milieu d’autant potentiel agresseur. Déglutissant, la Chantauvent avait fini par secouer la tête, de droite à gauche, puis de gauche à droite, par inspirer pour retrouver une faculté de réflexion plus convenable. Pour combien de temps ?
Pour l’heure, Estelle avait besoin d’aide, pour de multiples événements. Merrick l’inquiétait profondément, tout autant que la blessure de la petite blonde qui conservait malgré tout un calme à toute épreuve et une fluidité d’esprit qui impressionnait très fortement la rousse. Cette fois-ci, ce fut bien Lorren qui vint porter secours aux deux demoiselles, permettant ainsi une fuite des regards, une fuite de la tension s’accumulant dans un si petit espace. Regrettait-elle son geste ? Aucunement. Avait-elle conscience qu’en extérieur la survie du plus grand nombre devait passer en priorité ? Aucunement. Estelle était bien loin de la réalité de l’extérieur, des difficultés, de la crainte, de la peur de se faire dévorer en permanence et de l’adaptation que l’ensemble des survivants des villages encore debout avait dû faire. Dans l’esprit de la jeune femme, il était improbable de sacrifier une vie pour en sauver dix autres. Chaque vie se devait d’avoir la même valeur, le même droit de poursuivre ici avant de rejoindre le royaume des trois.
Traversant la pièce, montant les marches petit à petit ce fut un premier silence, celui d’une conversation qui se consume, d’une relation qui s’éloigne pour mieux revenir certainement. Chacun semblait rester sur ses propres problématiques, sans penser, ou en pensant beaucoup trop à celle des deux autres. La seule qui semblait conserver un espoir fut cette tête blonde, grièvement blessée, mais encore vivante. L’arrivée fut salvatrice pour la tenancière, qui s’engouffre avec les deux autres dans une chambre, avant de laisser son arme d’armes s’occuper de la suite. Consciente des risques, la gérante d’une auberge avait fini par bloquer l’accès avec les meubles environnants, verrouillant la porte autant qu’il était possible de le faire. Sa respiration était irrégulière, incertaine, comme dans un état second, non naturel. À l’intérieur de sa poitrine pouvait-elle sentir les douloureux et irréguliers battements de son cœur, tambourinant avec une force encore nouvelle, comme une mélodie triste, une fin proche, une renonciation à l’espoir qui s’envole, qui s’éloigne.
S’appuyant finalement contre le rebord de la fenêtre, détaillant l’extérieur, la dame de Chantauvent laissait pleinement la main à Merrick pour les soins. Ne parvenait-elle pas à oublier cette scène, cette violence qu’elle avait perçue, cet abandon d’un homme pour une survie, ou une possible survie, alors que l’espoir d’arriver tous ensemble était encore possible. L’aurait-il abandonné, elle ? Le doute était permis, avant d’être balayé par cette idée que lors de l’événement Martin, jamais Merrick ne l’avait laissé, jamais. Était-ce différent contre la fange ? Estelle ne pouvait pas y croire et ce ne fut que lorsque son regard se dépose sur l’homme en train de soigner la blessée, que cette certitude resta ancrée dans ses pensées. Avisant le duo, le soin, la rousse ne semblait pas réellement avoir dans l’idée d’intervenir. Sa propre tenue était couverte de sang, ses doigts tremblaient encore du contre coup de l’événement. Ce ne fut que presque naturellement qu’elle s’impliqua en confiant la mixture à celui qui lui semblait fuir son regard, la fuir et ce fut encore une fois, cette sensation de tristesse qui l’avait envahi. Merrick lui en voulait-il d’avoir sauvé l’herboriste ? Avait-elle mal agi ? Allait-il l’abandonner, comme il abandonnait les autres ? Son cœur se crispa si fortement qui lui sembla soudainement manquer d’air. Fort heureusement pour la rouquine, la conversation lui permettait de relativiser, d’espérer, de ne pas trop y songer. Le murmure restait néanmoins présent, bien trop présent pour rester sans complication, sans répercussion. Estelle évoluait désormais avec cette crainte nouvelle, ou plus proche : Merrick ne voulait plus d’elle, il allait l’abandonner. Elle était trop faible, trop insécuritaire, trop simple d’esprit pour ne pas voir le danger. Pire, avait elle-même peur du plus petit insecte existant dans le royaume. Déglutissant, il lui semblait toujours étouffer, prise dans cette angoisse qu’elle ne formulait pas, qu’elle n’évoquait même pas.
Ce fut au tour de la rouquine de s’éclipser de la conversation, d’aviser l’extérieur et cette fange qu’elle n’avait jamais pourtant clairement pu aviser. Les monstres ressemblant à des Hommes, se déplaçant comme des Hommes, mais n’étant plus des êtres comme eux. Comment était-ce possible, comment pouvait-on oublier en se relevant notre fondement, notre construction, nos relations ? Malgré tous les ont dits, Estelle ne parvenait pas à y croire, devait-il forcément y avoir un moyen de faire revenir à la raison ceux qui avait trépassé pour revenir, non ? Malgré elle, son oreille intercepta la bribe de conversation, l’évocation de la relation, de la durée, le meilleure et pour le pire et l’aspect chanceux que Merrick prétendait avoir. La dame ne put retenir un léger mouvement d’épaule, un pincement de lèvre, alors que ses yeux avaient fini par devenir humides, avant d’être ravalés par la flopée de sentiments et contre sentiments. La conversation avait finalement repris, allant de découverte en découverte, de participation, en participation sans qu’Estelle ne cherche à la fuir, comprenant visiblement plus vite que Merrick que celle qui se trouvait là avait un lien possible de parenté direct avec un de ses amis. Ce ne fut que lorsque Lorren s’impliqua dans la conversation, avant de plus ou moins la fuir qu’Estelle étira un nouveau sourire, détaillant avec plus d’affection qu’elle était capable de ressentir, celui qui était bien trop présent dans son cœur et dans son esprit. Adrien, les abus, même Martin était bien loin, beaucoup trop loin pour venir parasiter ses pensées et ses doutes. Laissant son milicien reprendre et se concentrer sur la révélation, la dame de Chantauvent ne put qu’afficher un maigre sourire. Merrick restait un humain, attachant et sensible malgré tout. N’avait-on pas tous nos qualités et nos défauts après tout ?
Ce fut sur cette conclusion qu’Estelle sentit ce besoin de se reposer, de prendre un peu de temps pour reposer ses yeux, au minimum. Sans quoi, jamais ne pourrait-elle tenir le reste des épreuves à venir. Néanmoins, la vision d’horreur qui se glissa dans son champ de vision provoqua une chute légère. Apeurée, sans le formuler, elle avait finalement notifié oralement sa fatigue. Par la suite, Estelle avait fini par s’installer dans un petit coin, offrant un sourire à celle –dont elle n’avait pas mesuré l’état- et celui qui venaient de la rassurer sans même s’en apercevoir. Fermant doucement les yeux, sans pour autant parvenir à s’endormir, ou presque. Ce fut une vague de fatigue non prévue, qui la plongea dans un demi-sommeil, mais sommeil quand même. Fermant son esprit à l’ensemble des événements se jouant autour d’elle durant ce laps de temps. Après un moment, long, peut-être Estelle avait fini par rouvrir les yeux, contemplant une panique perceptible de Merrick autour d’Harmonie. La rouquine ne comprit pas tout de suite le drame qui venait de se produire, le murmure qui se jouait pourtant en écho, ni changeait rien. Ce ne fut que lorsque ses yeux furent pleinement ouverts, que ses deux grisailles détaillaient là encore cette silhouette masculine qui secouait la jeune fille, sans jamais que celle-ci n’émettre le moindre son que la rousse compris. Se relevant difficilement, ce fut un grognement soudain qui s’échappa de ses lèvres, alors qu’il lui semblait que son milicien avait dans l’idée de la décapiter.
- « MERRICK ARRÊTE » souffla-t-elle en se précipitant « Qu’est-ce que…qu’est-ce que tu fais ?! »
Estelle ne savait pas, ne connaissait pas les actes obligatoires. À l’abri derrière les murs de la cité, la rouquine n’en restait pas moins une ignorante qui supposait naturellement que les corps étaient brûlés, simplement. N’avait-elle jamais dû affronter le choix, l’obligation de la décapitation, la fange, la fuite, la prise de conscience. La compréhension fut brutale, alors qu’elle déposait des mains tremblantes sur la main retenant la lame, alors que son regard submergé par l’incompréhension effleurait le visage de Merrick Lorren. Qu’est-ce que la fange avait-elle fait à l’humanité ? La lame avait fini par tomber au sol, alors que son milicien se reculait, comme dans un état de choc.
Il fallait toujours un fort dans un duo, une personne qui reste calme, réfléchie. Tous deux avaient démontré être en mesure d’être le fort, mais cette fois-ci, Estelle ne semblait pas en mesure de combler la défaillance de son fiancé. L’avisant, silencieuse dans un premier temps la rousse le regardait essayer de retirer le sang de ses mains, alternant vision de Merrick et cadavre, la tenancière semblait pâlir à vue d’œil.
- « Arrête » souffla-t-elle « Arrête » tenta-t-elle de le retenir en récupérant ses mains, en enlaçant ses doigts autour de ses poignets « Ca va partir, ça va partir d’accord ? »
Mais cela n’avait pas suffi, non, Merrick avait réussi à se dégager, à récupérer la bouteille dans un moment de brusquerie qui tira un mouvement de recul à celle qui ne le reconnaissait pas, plus. Incertaine des événements, incertaine des actes qu’il fallait réaliser, ignorante de l’extérieur, la rouquine ne trouvait pas sur qui, sur quoi s’appuyer pour sortir la tête de l’eau et ce fut comme un dernier supplice, comme une dernière imploration qu’elle répéta une énième fois ce simple mot :
- « Arrête, Merrick…. S’il te plaît, s’il te plaît, arrête… »
Mais ce ne fut pas sa voix qui porta le plus, loin de là, ce fut les imbéciles, les véritables traîtres à l’humanité, ceux qui n’auraient jamais ouvert la porte pour essayer de sauver une vie. Ce fut eux qui semblèrent attirer dans un premier temps l’attention du milicien et le fracas de la bouteille explosant contre l’accumulation derrière la porte fut si grand, qu’elle provoqua un nouveau mouvement de recul chez la tenancière. Son regard devait être apeuré, perdu, suppliant alors qu’elle ne comprenait pas comment, comment tout avait pu amener à cette situation critique. L’homme avait hurlé, menacé, et la rousse craignait un nouvel excès de fureur, pouvait-il s’emporter contre elle ? Non… Non, non n’est-ce pas ?
Puis les regards se croisèrent enfin, l’incertitude, l’angoisse, contre la panique et la démesure. Immobile, Estelle n’avait pas cherché à fuir ce premier contact visuel, au contraire, était-ce un moyen de comprendre, d’essayer. Pensait-elle naïvement que le pire était derrière elle, derrière eux, que la situation allait s’arranger, s’apaiser un instant, qu’ils pourraient trouver ensemble des solutions… mais ce fut un léger écarquillement qui anima en premier son visage, une première vague de déception, de colère presque. Avait-elle voulu s’approcher, essayer, mais il l’avait repoussé, lui ordonnant de ne pas s’approcher, s’accablant d’être un monstre et Estelle s’était immobilisée. Merrick Lorren était-il en train de la quitter ? À côté d’un cadavre, après avoir survie au premier voyage, à la fange, l’homme était-il véritablement en train de la quitter.
Cette fois-ci Estelle eut la sensation de perdre pied, de sentir le plancher s’étirer sous ses pieds, d’être étouffée par l’air qu’elle était en train de respirer. Avait-elle envie de hurler, de hurler si fort, mais aucun son ne s’échappait de ses lèvres qui venaient de s’ouvrir. Le détaillait-elle avec cette colère mélangée à cette supplication, oui, aurait-elle été en mesure de le supplier, de ne pas partir, de ne pas la laisser, de ne pas fuir. Non, pas maintenant, pas comme ça, pas pour ça. Pourquoi d’ailleurs ? Qu’avait-elle fait de mal ?
Et puis tout se dégrada encore, Estelle n’était déjà plus, plus réellement, incapable d’être actrice, se retrouvant simplement spectatrice de la défaillance de Merrick, de la fin de ce couple et du meurtre qu’il avait décidé de finalement commettre…. Le drap s’était retrouvé sur le visage, et le sang avait coulé, encore, encore, sans que la main tendue machinalement par Estelle ne puisse y faire quoi que ce soit.
- « ARRÊTE » hurla-t-elle finalement en se précipitant sur lui, le poussant de toutes ses forces « ARRÊTE » poursuivit-elle en venant abattre ses poings sur son torse, avec cette rage au fond de la gorge, au fond de la tête « Pourquoi tu fais ça ?! Pourquoi tu dis ça ?! Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?! Elle était morte, morte, pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi ça serait toi le responsable hein ?! ARRÊTE »
Ce ne fut pas des sanglots, ce fut cette rougeur des yeux, cette voix brisée comme éteinte, comme sans le moindre souffle de vie et cette pression perpétuelle, ses coups forts qu’elle abattait contre lui en cherchant toujours à la repousser, quitte à le faire tomber, quitte à s’emporter. Elle ne comprenait pas, non, terriblement pas, ni pourquoi Merrick avait décapité la femme, ni pourquoi il l’avait quitté –parce qu’elle restait convaincue qu’il venait de la quitter-. Le bruit du verre craquant sous ses pas ni changeait rien, l’écho de ses cris, de cette panique et cette violence dont elle faisait preuve non plus et ce fut finalement lassé, fatigué, nageant dans cette mer d’incompréhension qu’elle c’était reculé, se laissant tomber assise sur le bord du lit. Juste à côté de ce corps sans vie, dont le nectar pourpre continuait d’imbibait la blancheur des draps. Passant une main sur son visage, tirant sur cette chevelure qui venait protéger son intimité, un semblant de cette déception, de cette peur, de cette crainte, de cette angoisse et de ce sentiment de solitude qui venait lui aussi l’étouffer.
- « De quoi tu parles… Qu’est-ce que tu fais… Merrick qu’est-ce que tu fais » un supplice encore, une incompréhension encore, il ne la méritait pas, pourquoi ?! Rajoutait-il encore une couche à cette fin non digérée, non acceptée et ce fut cette colère, cette déception, cette peine, cette plaie béante qui l’obligea à hurler des mots qu’elle allait très rapidement regretter « CASSE-TOI ! VA-T’EN ! BARRE-TOI »
Estelle était immobile, juste là, le cœur autant en miette que les débris de verres du restant de la bouteille, les larmes avaient fini par dévaler le long de ses joues, ses doigts s’enfoncer dans son avant-bras, alors que les premiers sanglots trahissaient son désespoir. Elle ne voulait plus le voir, elle ne pouvait pas le voir, ni s’apercevoir à quel point son regard aurait pu lui faire comprendre qu’il ne pensait pas ses mots. Estelle était de nouveau seule, seule avec elle-même, abandonnée. Menteur… Ne devait-il pas ne plus lui faire de mal, n’avait-elle pas accepté de le suivre jusqu’à l’extérieur ? Et finalement ? Finalement il l’a quitté là, dans un village pommé, survivant, avec la fange à dehors et des Hommes qui n’auraient aucun mal à lui faire comprendre à quel point elle aurait dû rester à sa place. Puis ce fut de nouvelle parole, une nouvelle incompréhension, de la folie, relevant doucement la tête vers lui, Merrick venait sans même s’en apercevoir de poignarder une nouvelle fois et en plein cœur Estelle.
Son regard rouge s’était assombri soudainement, une main était venue replacer les mèches de sa chevelure mouillée par les larmes. Alors qu’elle se relevait, comme dans un état second, sa colère n’avait plus de mots, ni même d’explication. Merrick voulait mourir, tué par la fange et il osait dire ça devant celle qui avait perdu son mari de cette manière, qui ne s’en était sans aucun doute jamais remis, jusqu’à ce qu’elle lui offre leur ruban. Ce fut une noyade, une noyade de tristesse, de révolte, de blessures qui ne cicatriseraient sans aucun doute jamais et ce fut cette insulte, ce hurlement venant des tripes et cette soudaine violence qu’elle ne se connaissait pas :
- « ORDUUUUUUUUURE »
Estelle n’avait pas réfléchi, ce n’était plus elle, ce n’était plus elle non. La colère dictait ses actes, la blessure, la plaie ouverte qu’il venait de rouvrir, elle était mortellement touchée et seul celui qui avait provoqué cet état de fait étant en mesure de la sauver. La rouquine s’était transformée en tornade de violence, debout elle avait foncé sur Merrick, dans l’unique but de le faire chuter, de lui offrir de véritable coup cette fois, de l’attraper par le col et de le secouer aussi fortement que possible en répétant inlassablement ces mots : « ordure » « menteur » « ordure » « menteur » « menteur » « ordure ». Sans aucun doute qu’Estelle aurait été capable de le tuer à ce moment précis, capable de le frapper avec Brigitte jusqu’à ce qu’il n’émette plus la moindre réaction, capable de le poignarder en hurlant jusqu’à ce que la douleur dans sa poitrine s’estompe. Frappait-elle sans viser –et étant largement contrable évidemment, n’était-ce qu’une tenancière, tout comme ‘la violence des coups restaient plus que discutables-, torse, visage, bras, bas ventre, chaque parcelle y passait, chaque moment d’hésitation. Elle pleurait, elle hurlait, elle gémissait, alors que même cet acte ne semblait pas la soulager.
- « Tu me quittes ! Tu me quittes là et tu vas te tuer comme lui, COMME lui » c’était décousu, saccadé, maladroit, tremblant « Tu m’abandonnes, tu viens, tu viens et tu m’abandonnes ! » hurla-t-elle « ICI avec un mort, un putain de mort sans tête» c’était de l’hystérie à ce stade-là « TU vas te suicider comme lui ?! Qu’est-ce que tu veux, qu’est-ce que tu veux ?! » hurla-t-elle « Me tuer ?! c’est ça ! Mais vas-y Merrick, vas y prend tes couilles et tue-moi directement, ça fera moins mal, t’entends ?! Ça fera moins mal. Tu n’as cas me tuer maintenant ! »
Estelle était devenue comme folle, proie à cette douleur insurmontable, ce cumule de ressentiments, d’ignorance, de souffrance parfaitement conservée dans son for intérieur venait d’exploser. Cherchait-elle une lame, sa lame, son épée, prête à le lui mettre en main pour aller jusqu’au bout de la démarche. Préférait-elle mourir ainsi, ici, que de le voir mort, fangeux, suicidé. Et puis, c’était là, juste là sous ses yeux depuis le début, tout ce qu’elle avait fait pour lui, tout ce qu’elle lui avait offert, comment pouvait-il piétiner tout ça, comme ça, comme ça oui. Peu à peu ses membres lui semblèrent lourds, à moins que ce ne soit Merrick qui l’immobilisait et elle s’étaient dégagées, reculant, lui tournant le dos pour détailler l’ensemble. Grimaçant légèrement, les larmes silencieuses continuaient de couler, les tremblements à s’intensifier. Il la quittait et il voulait mourir, vraiment ?
- « Tu m’avais promis… » souffla-t-elle « Pourquoi tu fais ça Merrick… Qu’est-ce que j’ai fait de mal… Qu’est-ce que j’ai fait ? » parce qu’elle ne pouvait être que responsable, comment pouvait-elle comprendre si il ne lui expliquait pas « Tu m’as dit que je devais te parler, mais tu ne me parles pas, tu ne me dis pas… Et tu me quittes pour aller te suicider, contre un fangeux… Je ne connais rien de tout ça, ça me dépasse, mais il est mort comme ça, tu n’as aucune chance contre ça…. Pourquoi tu m’infliges ça ? Qu’est-ce que j’ai fait… »
Ce n’était que des murmures, des murmures sans vie, épuisés, fatigués, lassés. Que restait-il dans cette âme meurtrie ? Dans ses éclats de cœur impossible à récoler ? Que restait-il de ses espoirs ? N’avait-elle finalement pas tout perdu, définitivement ? Son frère, sa vision d’elle-même, son mari et maintenant Merrick Lorren ? En territoire inconnu, hostile, son regard ne trouvait aucun réconfort, aucun souvenir auquel s’accrocher et celle qui positivait en permanence ne semblait pas y parvenir cette fois. Il voulait partir, ne pouvait-elle pas le retenir ? Il ne lui restait qu’une phrase à prononcer pour que le couple soit définitivement séparé, était-ce ce dernier coup de poignard qu’elle attendait. Ses doigts avaient fini par ouvrir la fenêtre, laissant l’air frais de la nuit qui s’en va rentrer dans la pièce, caresser les visages et faire frissonner les corps encore en vie.
- « Si c’est ce que tu veux vraiment, alors dis-le clairement… Dis-moi que tu t’en vas, que tu ne m’aimes pas, que tu ne veux pas m’épouser et que tu me quittes. » elle avait roulé une épaule « Je rentrerai toute seule, j’en suis capable, je crois… » terriblement pas « Mais laisse-moi juste te dire Merrick » après tout ça aurait-elle pu l’insulter encore « J’ai cru que tu étais un monstre, c’est vrai, je me suis demandé si tu aurais pu m’abandonner comme De Marais, si tu aurais pu me frapper comme tu as frappé celui d’en bas… Si tu aurais pu me décapiter moi aussi… » elle fit une pause « Je ne crois pas. Je suis certaine que non, parce que chaque fois, tu ne l’as pas fait pour fuir, tu l’as fait pour me protéger, ou te protéger… Même si pour Harmonie, je ne comprends pas encore pourquoi… Alors, si tu t’en vas Merrick, n’oublie jamais que tu n’es pas ce que tu prétends être…. Tu n’es ni un monstre, ni un peureux, tu es juste humain…» et accessoirement celui qui avait le don de lui briser le cœur.
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| | | Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Dim 30 Juin 2019 - 16:50 | | | Comment était ce possible, alors que ce n’était qu’une simple pièce, qu’une petite chambre d’un établissement miteux ? Comment pouvait-il y avoir autant de douleur et de drame dans cet endroit, tandis que seulement trois personnes étaient présentes ? Comment tout pouvait-il aller aussi mal, alors qu’ils n’étaient à l’extérieur des murs fortifiés de Marbrume qu'à peine depuis une journée ? L’ensemble des raisons et des causes étaient difficiles à saisir et définir. Et de toute façon, là n’était pas l’important. Tous étaient trop occupés à lutter contre l’âpreté et l'ignominie des conséquences et de leurs agissements respectifs pour se soucier du chemin emprunté pour se rendre à ce point de rupture, dans cette zone de non-retour. Après tout, le plus important pour la tenancière, le milicien et l’herboriste était que la mort les attendaient au tournant. Le véritable trépas pour la petite blonde, la décrépitude de leur relation pour le brun et la rousse. Noyé sous cette mer tourmentée, inapte à crever de nouveau la surface des flots houleux, Merrick Lorren ne pouvait qu’attendre la fin, le moment où tout péricliterait. Après tout, comment Estelle de Chantauvent pouvait-elle encore l’aimer ou ne serait-ce que le regarder ? Il avait sacrifié un homme. Il en avait battu un autre à mort pour expier ses états d’âme et péchés. Il avait détruit et ruiné son dernier lien familial. Il ne le savait pas encore, mais il allait aussi laisser mourir la fille de l’un de ses plus proches et fidèles amis. Dès lors, que pouvait-elle voir en lui qui mérite de lutter et de s’accrocher ? Comment la dame de Chantauvent pourrait accepter de le laisser être à ses côtés ? Lui-même ne se faisait plus d’idées. Et puis, au final, Merrick Lorren n’acceptait même plus d’être celui qui permettait à la rousse de sourire. Il était un monstre, un faible, un couard et un lâche. De là, tout ce qu’il méritait, c’était de finir seul. Ou la mort… Le repos des deux femmes en présence venait d’acter un interlude, un bref répit entre mots blessants et découvertes macabres. Laissés seuls et à lui-même, ses agissements lui pesaient lourdement sur la conscience. Installé à proximité de la porte, n’arrivant pas à faire la part des choses, Lorren s’invectivait mentalement des pires maux et des plus graves fautes. Continuant dès lors à s’enfoncer de plus en plus profondément dans un marasme fait de dégoût et teinté d’ambivalence, le milicien ne savait plus trop quoi faire pour remonter la pente et sortir de ce sinistre ressentiment à son égard. Ou plutôt, il ne connaissait qu’une méthode, qu’une façon de procéder et de faire. Une vie pour une vie. De Marais était mort par sa faute ? Il devrait donc sauver Harmonie pour égaliser la perte qu’il avait fait subir. Oui, aux yeux de Lorren, cela avait du sens. Du moins, en cette heure. Laissant son regard vagabonder sur les silhouettes endormies des deux jeunes femmes, l’homme d’armes les couvait d’un regard à la fois identique, complémentaire, mais aussi drastiquement différent. Pour l’une, c’était une véritable inquiétude, une vrai frayeur de la voir trépasser. Pour l’autre, c’était un amalgame houleux d’un trop plein d’émotions contradictoires. Amour, déception, inquiétude, peur… Le mélange était incompatible et bien difficile à vivre, déchirant à la fois son coeur et son esprit de part en part, écartelé entre sa volonté et ce qu’il pensait devoir faire. Tiré de sa rêvasserie par la prise de parole de la fille de Marius, Merrick décida au final de lui répondre. Peut-être qu’elle aurait dû se reposer, mais il n’avait pas la force, ni la désobligeance, de lui refuser la découverte de son père par les mots. Commençant à déblatérer sur son frère d’armes, l’ivrogne ne se rendit pas compte qu’Harmonie poussa son dernier souffle, trouvant la mort en silence et sans autre support que ses paroles crasses et stupides qu’il proférait. S’il l’avait su d’avance, n’aurait-il pas tenté de dresser un portrait plus charmant et héroïque du père qu’elle souhaite plus qu’ardemment retrouver ? Sans l’ombre d’un doute. Au bout d’un certain temps à déblatérer et palabrer, Merrick découvrit ce qu’il n’aurait jamais voulu voir; le trépas de la pauvre herboriste, la finalité morbide de sa dernière planche de salut. Vrillé et torturé par ce nouveau et énième échec, le milicien tenta vainement de ramener d’entre les morts la petite blonde. Or, rien à faire. Elle était décédée et condamnée pour de bon. L’unique moyen de la voir se relever et errer, était qu’elle se transforme en fangeux comme De Marais. Était-ce possible ? Après tout, est-ce que sa blessure venait de la fange ? Si le coutilier était désormais et dorénavant l’un des monstres qui représentaient le prédateur de l’humanité, qu’est-ce qui empêcherait Harmonie de le devenir ? Rien. Il fallait donc la décapiter ou la brûler pour empêcher pareil scénario catastrophique. Qui devait s’en charger ? Lui seul. Il l’avait abandonné comme le gradé en charge du convoi, il devait la libérer coûte que coûte de l’étreinte de la fange. Il le fallait pour protéger sa rouquine et se protéger lui-même, il le fallait pour assurer un repos décent à Harmonie auprès des Trois. -”Il faut le faire, Estelle. IL LE FAUT !” En proie à une panique monstre et un écoeurement évident, l’homme d’armes ne réalisait pas que la rousse ne comprenait pas ses futurs agissements. Après tout, pour lui, cela tombait sous les coups de l’évidence qu’il devait s’assurer que l’herboriste ne se relève pas. Croisant le regard de sa tenancière, le peu de courage qu’il avait emmagasiné vacilla. “Il…”. L’arme tomba, alors qu’une autre inquiétude plus pressante venait s’arrimer et contrôler ses sens. L’hémoglobine qui maculait ses mains. C’était le signe évident, la preuve irréfutable qu’il était un meurtrier. D’abord avec le coutilier, et maintenant avec l’herboriste. Merrick les avait abandonnés tous les deux. Et tous deux étaient maintenant des macchabées. Restreint dans ses mouvements, tandis qu’Estelle lui attrapa les poignets, le regard de l’homme d’armes se perdit dans les iris de sa fiancée. “Comment ? Comment ça pourrait partir ? Je les ai tués… c’est ma faute.” Il était convaincu que tout était à cause de lui et seulement de lui. Pour racheter son abandon de De Marais, il avait cru que l’échange équivalent était le meilleur moyen de s’absoudre de ses péchés. Sauver l’herboriste contre le soldat. Une vie pour une vie. Or, sa “monnaie” d’échange venait de trépasser elle aussi. Le pardon par les actes était donc impossible, le marché pour se racheter auprès de sa conscience s’en trouvait caduc. Que faire ? Était-il impossible de se pardonner grâce à un autre acte bienveillant ? L’unique solution qu’il lui restait c’était de parier sa vie, de mettre en danger son existence. Oui.. Cela pourrait marcher. En tentant d’apporter le repos à celui qu’il avait abandonné, Merrick Lorren offrait la chance de vengeance à l’homme devenu monstre qui avait été lésé, et se risquait à périr pour s’absoudre de l’acte immonde commis. C’était la dernière idée, la dernière solution qui lui restait pour ne pas virer fou et sombrer dans la déliquescence de son acte. La Trinité ne pourrait qu’approuver pareil sacrifice, pareil risque, non ? -’’Ça ne partira pas si je ne fais pas quelque chose…” Dit-il d’une voix encore plaintive et torturée. La décision quant à la suite des choses n’était pas encore prise, bien que son esprit commençait à se convaincre que c’était l’unique option et solution. Faible et couard, Merrick Lorren fuit la présence de sa tenancière. Elle était trop bonne pour lui. Sa bonté et sa bienveillance le renvoyaient à sa propre noirceur d’âme. Se reculant en chancelant, l’homme d’armes se saisit de l’unique planche de salut qu’il connaissait; l’alcool. Le perfide baiser de l’ivresse, l’attrait des boissons houblonnées et des spiritueux quelconques étaient l’outil idéal pour l’omission, pour sombrer dans un coma éthylique qui lui permettrait de s’émanciper de ses agissements. Oui, cela ne pourrait que l’aider, lui, le lâche immonde qu’il était. Or, même ce refuge lui fut arraché par l’arrivée inopinée de trois salopards en provenance du premier plancher. Que voulaient-ils ? Comment pouvaient-ils se réjouir de la mort de celle qui les avaient tous sauvés ? L’être humain était réellement la pire des créatures. Lui, venait d’abandonner deux êtres à la mort. Quant à elle, Harmonie s'était évertué à sauver le plus grand nombre de gens possible, que ce soit par sa profession ou par ses actes. Que gagnait-elle en retour ? Des insultes et quolibets de la part des gens qu’elle avait épaulés contre vents et marées. Lui, il respirait encore, alors que l’ivrogne savait qu’il aurait dû occuper la place de la morte. En proie à une colère noire, redirigé contre lui-même et contre les nouveaux arrivants, l’homme d’armes fit voltiger sa bouteille vers la porte pour les faire taire. Désarmé de son moyen d’oublier et de s’assommer, il n’avait plus le choix; il devait faire face. Pour se faire, pour être prêt à s’abandonner à la possible mort qu’il percevait mérité, Merrick Lorren devant tout d’abord être apte à s’éloigner d’Estelle de Chantauvent. Pour se faire, il suffisait de la faire l’abandonner, de la faire renoncer. Cela risquait de ne pas être trop compliqué, pensait-il à tort. Après tout, il était un monstre, un être bestial dont la cruauté n’avait de limite que l’hérésie et l’ignominie de ses actes. La dame de Chantauvent devait le quitter. Pour sa survie à elle, pour qu’il ne l’entraîne pas dans la mort avec lui. “C’est la fin.” De quoi parlait-il ? De leur relation ? De sa vie ? De son hésitation à décapiter la jeune fille ? Toujours est-il qu’il se mit à l’oeuvre, ne pliant et ne ployant pas sous les supplications de celle qu’il aimait. Triste et bien maigre preuve de courage qu'il eut, là, à un moment où il aurait préféré ne pas en avoir besoin. Inarrêtable dans la profanation du corps, Merrick subit métaphoriquement et littéralement les contrecoups de son acte macabre. Tout d’abord, son âme périclita un peu plus dans le vice, sur le bord du précipice et de l’abyme de noirceur qui le vrillait, puis se fut Estelle de Chantauvent qui lui sauta dessus et s’évertua à l’admonester et le frapper dans une tempête de cheveux roux. -’’C’était ça où la voir rejoindre De Marais et la fange ! Je l’ai abandonnée Estelle, ABANDONNÉE ! Elle ne méritait pas de devenir un monstre, elle aussi, à cause de moi !’’ S’était à la fois des paroles pleines de détresse et d’une conviction profonde. Il avait agi pour le mieux. La pire action, la pire finalité qu’il pouvait offrir à la dépouille d’Harmonie était l’objet de sa délivrance, l’assurance qu’elle rejoindrait la Trinité plutôt que les prédateurs de l’humanité. Mais, était-ce bien expliqué à sa tenancière ? Probablement pas. Son esprit n’était de toute façon pas assez clair pour définir un argumentaire adéquat. D’ailleurs, la conscience d’Estelle ne devait guère être elle aussi bien arrimée aux mots de son homme d’armes. La déliquescence de la décapitation devait potentiellement, possiblement et probablement oblitérer l’explication qu’il tentait de dresser… Attaqué de toute part par les poings rageurs et vengeurs de la rouquine, Merrick ne fit rien pour échapper à cette pluie de coups. Ils les méritaient. Ils méritaient cent fois plus, cent fois pires. Qu’elle passe ses nerfs et sa haine sur lui, c’était la bonne chose à faire. S’il pouvait offrir une échappatoire à ses émotions, il s’y pliait de bonne grâce. Dès lors, ne reculant pas d’un pas, il se laissa attaqué, bravant la tempête le visage droit et le regard ferme. Il ne pliera pas devant l’acte de violence qui lui était adressé. Les coups ne furent pas aptes à le faire chavirer, à le faire changer d’idée. Voir Estelle dans cet état le minait, mais pas au point d’en devenir réfractaire à l’idéal que son esprit prônait désormais; sa mort en bonne et due forme. Pliant à quelques reprises sous un coup mieux placé qu’un autre, notamment un dans l’estomac et l’autre à une épaule, Merrick grogna, mais retrouva bien vite sa position initiale. Lassé et fatigué, Estelle finit par retrouver assise sur le lit. “Voilà comment on traite un monstre.” Ce n’était pas dit avec rancoeur ou malveillance. Ce n’était qu’un simple constat, tandis que Merrick pensait avoir eu gain de cause. Estelle devait l’avoir abandonné pour de bon pour l’attaquer de la sorte, non ? Se passant une langue sur sa lèvre qu’il avait mordue jusqu’au sang par mégarde sous l’assaut vilipendant de la Chantauvent, Lorren eu le goût du fer dans la bouche. L’hémoglobine maculait sa chemise, son visage, ses mains et désormais sa bouche. Désormais, ses prises de paroles avaient le goût du sang, comme ses actions… Lorsqu’il lui avoua ne pas la mériter, la suite fut aussi douloureuse que les poings de la tenancière. Elle s’évertua à le faire déguerpir par les mots après l’avoir admonesté par les maux physique. Tout était joué, c’était une évidence. Merrick Lorren, le beau salopard, l’ivrogne, le couard et le monstre étaient échec et mat. L’heure de la finalité et du glas de son existence venait de retentir. -’’C’est ce que je vais faire, Estelle. Je m'en vais pour de bon.” Elle n’avait pas encore compris ce qu’il voulait faire, ce qu’il voulait dire ? Après tout, Merrick Lorren était inapte à abandonner Estelle de Chantauvent dans cette vie. Son amour et son désir pour la rousse étaient trop forts pour être oblitérés par quoi que ce soit. Or, bien qu’il l’aime trop pour l’abandonner, il avait conscience d’une chose; il n’était pas l’homme dont elle avait besoin. Les récents événements en étaient la preuve. Martin, Adrien, puis De Marais et Harmonie. Incapable de la laisser à elle seule pour la préserver, il ne lui restait qu’une solution. Mourir pour de bon. Oui, fuir la réalité et le dramatisme de son existence pour protéger la jeune femme. C’était la solution qu’il venait d’embrasser, la plus simple et facile des finalités pour le peureux et l’effrayé qu’il était et resterait. Il ne fallait que peu de courage pour accepter le trépas. Il en fallait nettement plus pour vivre avec ses péchés. C’est arrimé à cette décision et conviction qu’il lui dressa ce qu’il s’apprêtait à faire. La réaction ne fut pas longue à apercevoir et entendre. Ni à être subi avec violence et force. Si la dernière attaque d’Estelle avait été une tempête, cette fois-ci, il était question d’ouragan. Les coups pleuvaient et voltigeaient avec vitesse et force pour faire souffrir et blesser, pour affliger de maux le bourreau des états d’âme de la dame de Chantauvent. Incapable de ne pas se défendre devant pareille agression, Lorren du faire tout ce qui était en son pouvoir et son talent pour éviter les coups les plus féroces de le meurtrir. Bloquant des avants-bras les attaques de l’inexpérimentée, mais fougueuse tenancière de la Chope Sucrée, Merrick esquiva les coups qui venaient trop rapidement pour qu’il puisse dresser sa défense. À quelques reprises et occasions, les mains d’Estelle rencontrèrent son corps pour le faire souffrir. Sa mâchoire fut percutée, son bras ainsi que son ventre. À chaque fois, il poussa un grognement, sans qu’un seul mot ne vienne franchir la barrière de ses lèvres. Après tout, ne méritait-il pas pareil tourment ? Lui, le monstre, et désormais l’ordure, qu’il était ? Chutant sur le sol et Estelle sur lui, l’assaut perdura encore pour un temps, alors que l’énergie de la tenancière était suppléée et remplacée par sa rage et sa haine à l’encontre de son milicien. La suite fut aussi âpre que l’attaque physique. Ce fut une attaque émotionnelle. Et entre les deux, il souffrirait nettement plus de la dernière susmentionnée. Pourquoi ? Parce que son esprit n’était pas aussi solide que son corps, car ses sens étaient déjà tourmentés par ses propres agissements. Grognant sourdement et colériquement, Lorren finit par attraper les deux poignets d’Estelle. ‘’Assez ! Je ne t’abandonne pas, je te sauve de moi-même !” Il était prêt à se sacrifier, mais pas à être perçu comme le gagnant de cette fuite et future potentielle mort. “Te tuer, tu plaisantes ?!” La colère devenait aussi lourde et grande que celle de la propriétaire de la Chope Sucrée. Il accepterait tous les vices, toutes les calomnies, mais pas cette hérésie qui s'articulaient autour de la pire immondice et ignominie imaginable. “Je viens d’abandonner un homme à sa mort et de laisser mourir la fille de l’un de mes amis. Es-tu aveugle ? Comment peux-tu encore me regarder ou devenir colérique si je cherche à ne pas te faire souffrir de ma présence ?! COMMENT ?!” Lui aussi pouvait devenir hystérique devant pareil aveuglement. “Moins mal ? Je suis celui qui abandonne son prochain, sa famille et ses proches à une morte inopiné et inopportun. C’est moi la source de douleur autour de moi, je ...” Que dire de plus ? Il avait pris sa décision, sans pour autant avoir mis un frein à son amour pour Estelle de Chantauvent. L’empêchant de tout mouvement ou manoeuvre violente ou en direction d’une quelconque arme à même de le meurtrir ou de la meurtrir elle, Lorren gémit de souffrance psychologique. Pourquoi tout était-il si compliqué lorsqu’il était l’heure fatidique de l ‘abandon ? Les larmes commencèrent à dévaler le long de son visage. Silencieuses, elles ne venaient pas altérer sa voix monotone et monocorde. “Tu n’as rien fait de mal, Estelle.” Stricte vérité immuable. Elle n’était coupable de rien. Lui, l’était de tout. “Je ne mérite pas mieux.” Dit-il lorsqu’elle définit qu’il n’avait aucune chance face au monstre qu’était devenu De Marais. Si tel était le cas, et bien c’était à la fois tant mieux et tant pis. La regardant s’éloigner de lui, potentiellement et probablement pour de bon, Merrick serra des poings pour ne pas se ruer vers elle. Se relevant, il fit face au dos de la jeune femme qui venait d’ouvrir la fenêtre. Sentait-elle le courant d’air froid qui venait de l’extérieur ? Lui, oui. S’était comme la caresse de la mort, l’étreinte de la faucheuse qui planait au-dessus de son corps et de ses sens qui tomberait bientôt dans la finalité de son existence...ou bien, dans l’interlude de son retour en monstre. -’’Je t’aime. Je t’aime assez pour t’épouser pour de bon, pour vouloir te protéger contre Martin, contre ton frère, mais aussi contre moi.” Ses paroles étaient impactées par les soubresauts de ses sens, transportés par le trémolo de sa voix et de son ton. “Je ne te protège pas, Estelle. Je suis la source de tes nuisances. À cause de moi tu es encore et toujours en danger.” Approchant d’un pas vers Estelle il recula de deux. “ J’ai abandonné ma famille au grand complet. Je pensais que c’était derrière moi, mais je viens de laisser mourir un homme que j’aurais pu sauver, et une femme qui méritait plus que tout de vivre...comment savoir que je ne pourrais pas faire de même avec toi ? Je ne peux accepter de te mettre en danger.” Mordant son poing, il finit par le retirer de sa bouche pour continuer à parler. Le flot des mots ne se tarissait plus. N’était pas ce que l’on appelait les derniers mots d’un mourant ? “ Harmonie pouvait se relever en fangeux. Il fallait la brûler ou… ou la déca...décapit…’’ Il avait posé l’acte, mais il était incapable de le dire. Un haut de coeur le prit, le forçant à trouver assise sur le bord du lit et réfugiés sa tête entre ses mains et doigts. Sa tête tournait. La suite des mots d’Estelle ne fut que douce-amère. Oui, Merrick lui-même était convaincu il y avait peu qu’il ne pourrait jamais abandonner la rousse. Or, face à la peur et la frayeur qui lui faisait perdre tout contrôle, pouvait-il être réellement certain qu’il ne laisserait jamais Estelle face à un danger mortel pour se sauver ? ‘’ Je ne te ferais jamais du mal sciemment, Estelle. Mais comment savoir comment j’agirais devant la peur de la mort ? Après tout, j’ai abandonné mon père, ma mère, mes soeurs, mes frères…’’ Il se répétait, mais c’était l’exemple le plus féroce et vrai de tous. S’il pouvait abandonner sa parenté, comme ne pas croire qu’il pourrait la laisser elle fasse à un danger mortel celle qu’il aimait ? ‘’J’ai peur de cela.” Pour autant était-ce suffisant pour mourir ? ‘’Si je ne suis qu’humain, je dois être le pire d’entre tous.’’
Finalement, il prit son courage à deux mains et s’évertua à franchir les derniers mètres qui le séparaient d’Estelle. Lentement, mais sûrement. À se mouvoir trop vite, il avait peur qu’elle parte d’une nouvelle crise de rage et de colère, qu’elle l’admoneste encore plus fort, avec encore plus de violence et de virulence. En arrivant trop rapidement au terme de sa courte marche, il craignait que le moment des adieux soit arrivé pour de bon. S'appuyant au rebord de la fenêtre, il laissa son regard vagabonder sur le décor extérieur, sur la pluie qui se fracassait contre le sol, le débit de boisson et les corps qui se mouvaient à l’extérieur en quête de chair fraîche. Dans l’amoncellement de fangeux, se trouvait probablement sa cible. Pâlissant devant pareil spectacle, Merrick secoua la tête et détourna le regard pour se focaliser sur Estelle. “Je t’aime.” Sortant le ruban de ses poches, il attrapa le poignet de la rousse -si elle ne se dérobait pas- pour le lui attacher, tel qu’elle aurait dû se retrouver si leur union aurait eu lieu. Si elle refusait la gestuelle, il le déposerait sur le rebord de la fenêtre. Attrapant sa tête entre ses doigts, il embrassa son front, tandis que les larmes dévalaient encore de ses yeux et le long de son visage. Se détournant avant de perdre courage, Merrick partit en direction de la porte, se frayant rapidement un chemin entre les maigres défenses qui bloquait l’ouverture pour sortir. Ouvrant la porte, il ne put résister à l’envie et au besoin de jeter un dernier regard en arrière...mal lui en prit. -’’On les tient !’’ Frappé à la tempe par une attaque éclair, Lorren chuta au sol. L’aubergiste semblait avoir retrouvé ses esprits et être décidé à se venger de la tenancière qui l’avait attaqué. Avec lui, deux hommes à l’allure vénaux venaient aussi participer à la fête. Difficile à dire si c’était par attrait pour la rixe et la violence, ou plutôt pour venger leur camarade battu par le milicien. Toujours est-il qu’ils se jetèrent sur l’ivrogne au sol pour le rouer de coup de pied, alors que le stupide et insipide propriétaire des lieux mettait un pied dans leur dernier bastion, sur le lieu de leur refuge. ‘’À nous deux, sorcière…’’ Brigitte, l’arme qui l’avait assommé était au sol, son regard porcin n’avait pas manqué de le remarquer, brillant d’une lueur de satisfaction. Son coutelas en main, il approchait de la rousse aussi lentement que Merrick l’avait fait précédemment. Mais aucunement pour les mêmes raisons. Lui, il prenait du plaisir à pareille manoeuvre… -’’Non !’’ Sonné, incapable de bouger, protégeant sa tête de la pluie de coups, Merrick Lorren pouvait entrapercevoir le lent mouvement instigué par celui qui réclamait sa vengeance. Le sang qui découlait de son visage, suite à un coup au niveau de sa bouche et de sa tempe, venait rejoindre en un unique écoulement les perles salées qui inondaient encore ses yeux. Il devait agir, ou sinon, Estelle de Chantauvent mourrait ou subirait les pires vices inimaginables. Tirant sa dague de son fourreau, Merrick réussit à égratigner le mollet de l’un de ses agresseurs, le faisant reculer inopinément sous le coup de la douleur et de la surprise. Profitant de cette fenêtre et de cette opportunité le milicien roula sur lui-même pour se relever sur des jambes plus que vacillantes. Lâchant sa dague dans la manoeuvre, il se précipita vers l’aubergiste qui lui faisait toujours dos, le percutant de plein fouet dans son angle mort. Ce dernier, qui n’était plus qu’à quelques pas de la rousse et donc de la fenêtre ouverte, perdit l’équilibre et passa au travers de l’ouverture béante. Roulant sur l’auvent en bois qui protégeait la porte d’entrée à l’étage inférieur des intempéries, le gros et gras homme termina sa course et ses cris dans une lourde chute en plein milieu de la boue. Tombant à son tour, Merrick Lorren finit sa course quant à lui au sol, le dos appuyé au mur d’où le tenancier venait de disparaître. ‘’’Est…’’ L’esprit embrumé par la pluie de coups qui l’avait meurtri, le milicien perdit conscience, le visage maculé de sang. ◈ ◈ ◈ -’’Aidez-moi !’’ Les rôles étaient désormais inversés. Est-ce que le propriétaire pouvait être sauvé ? L’herboriste en était la preuve, non…? Mais le risque était grand. Que faire ? Ses sous-fifres hésitaient. Il était face à face à une jeune femme qu’il savait fougueuse et capable de violence. Pour autant le milicien était hors d’état de nuire. N’était-ce pas leur chance de tenter quelque chose ? Or, leurs amis semblaient avoir besoin d’aide. Que faire ? Cruel dilemme pour les deux êtres en question. Aucun d’eux n’était armé et le plus gringalet était même blessé. Excessivement modérément, mais le sort réservé au détenteur du coutelas et la vision de son propre sang ne lui inspirait aucune confiance quant à leur possible chance de victoire. Et puis, il suffisait de rappeler à sa mémoire la victoire de la jeune femme à l’étage inférieur pour le faire tergiverser plus que de coutume… Qu'allaient-ils faire ? Le vent froid était omniprésent dans la pièce. La pluie qui coulait en angle sous les assauts des bourrasques se frayait même un chemin à l’intérieur de la chambre, alors que les cris et les supplications d’appels à l’aide se faisaient entendre. Le ruban de tissu noué autour du poignet ou déposé proche de la fenêtre - sous un contre poids quelconque- battait au vent, au même titre que la crinière rousse et humide de celle qui se tenait non loin de la fenêtre. Qu’elles seraient les agissements d’Estelle de Chantauvent ? |
| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Sam 3 Aoû 2019 - 23:30 | | |
C’est la fin. C’est ce qu’il avait dit, Estelle s’était immédiatement immobilisée, le souffle soudainement court, irrégulier, le cœur stoppant net le moindre mouvement, du moins en apparence. Celle à la chevelure de feu avait dû avoir soudainement le regard vide, puis fiévreux de cette rancœur inépuisable, inoubliable, incontrôlable. Le coup de trop, la mort dans l’âme, Merrick Lorren venait de lui retirer le peu de l’humanité qu’il lui restait, brisant son dernier espoir, enfermant l’ensemble des sentiments, la condamnant au pire des tourments. C’est la fin. Les trois mots n’avaient de cesse de se répéter et si les lèvres tremblantes avaient bien évidemment tenté de les répéter, ce ne fut rien de plus qu’un souffle fébrile qui était parvenu à s’y échapper. C’est la fin. Là, au milieu de ce débris, de cette incertitude, de cette pièce vide ou pleine d’une multitude de débris de verre, de la mort et cette flopée de sentiments étouffants, Estelle ne savait plus, ou ne voulait plus savoir ni comprendre. C’est la fin, il l’a dit, trois mots, trois petits mots qu’elle ne pourrait plus jamais oublier. Incapable d’entendre, de comprendre, celle qui était jusque-là actrice des événements ce retrouvé spectatrice fantomatique, le visage pâle, les doigts tremblants, la sensation de sombrer toujours plus profondément alors qu’un corps perdait sa tête que le milicien qui était encore le sien peu de temps avant ne l’était plus. Comment pourrait-elle comprendre ce qu’il ne disait pas, comment pourrait-elle imaginer que c’était bien plus une problématique passée que de fait actuel, comment ?
La tenancière fut finalement silence, sentant grandir en son ventre cette colère, cette rage, cette incompréhension, cette violence presque inhumaine qu’il venait de provoquer, lui, celui qu’elle avait toujours perçu comme un sauveur, comme une raison de vivre, comment un nouveau départ. Sans trop savoir comment ni pourquoi, il y avait eu cet acte physique, cette lutte, cet appel à l’aide qu’il n’avait pas su saisir. Lui le couard s’était laissé frapper, lui le lâche, le faible, avait subi de plein fouet les conséquences de l’ensemble des événements sans jamais fuir. Quand la fatigue des actes avait fini par se faire sentir, quand l’ensemble des coups ne semblèrent plus lui apporter la moindre satisfaction, quand ses yeux gorgés d’eau refusèrent à nouveau de s’épancher, de se soulager et que sa vision fut si floue qu’Estelle comprit n’être plus en mesure de rien… Elle avait fini par rejoindre ce lit dont les draps étaient rouges, dont l’odeur de l’hémoglobine lui donnait la nausée, elle voulait fuir, qui, quoi ? Certainement tout et c’est finalement résigné que son dernier excès de colère éclatât, éclatât si fort que la totalité de son âme s’en retrouva abîmé, piqué à vif, alors que ce qui devait être un dernier appel au secours se transforma en coup final, point final. C’est la fin oui, depuis le début ne l’avait-il pas dit ?
Pour de bon. Encore trois mots, trois horribles mots à bannir de son vocabulaire, une hérésie, une immondice pour les oreilles, pour l’esprit. Un nouveau déchirement, une nouvelle chute pour celle qui agonisait déjà. Le pire était pourtant à venir, parce que pire il pouvait toujours y avoir et le brave milicien venait de le lui prouver, comme si la condamner n’était pas suffisamment, fallait-il tournoyer encore un peu dans la plaie, l’agrandir, la faire à son image. Il n’y a rien de plus douloureux qu’un cœur qui se brise, qu’une âme qui chavire, il n’y a pas pire sensation pour l’espèce humaine. Pour la seconde fois, Estelle connut cette peine, à la différence qu’elle pouvait encore s’en sortir, naïvement eut-elle envie de le croire. Avoir le choix, n’était-ce pas une belle corde, un bel espoir ? Estelle avait hurlé, avait frappé, avait pleuré, mais rien n’y avait fait, absolument rien, jusqu’à ce que les deux corps s’écroulent sur les morceaux de verres, jusqu’à qu’elle sente certain tranchant s’insérer dans sa chair. La liste fut pourtant longue, les explications formulées, mais rien ne semblait pouvoir apaiser ni le milicien convaincu d’être une plaie amenant à la mort ni la tenancière trahie et malmenée. Cela n’avait aucun sens, augmentait-il la taille de sa blessure en annonçant ne pas l’abandonner, vouloir la sauvé de lui-même. Estelle était définitivement mise en échec et mat. Son cœur lui-même la suppliait de cesser, sa respiration n’était plus, la douleur non plus ne restait que ce vide, ce vide béant et imposant : celui de la déception, de la perte et de l’incompréhension.
Coupable. Coupable d’aimer, coupable de faire confiance, coupable d’avoir voulu y croire. La liste pouvait être encore longue, la Chantauvent s’infligeant tous les maux de ce lamentable échec. De sa vie il ne lui restait plus rien : ni frère ni amant… Juste la chope sucrée, juste cet établissement gorgé de souvenir désormais ancien et trop récemment douloureux. Les voix étaient montées dans les aigus, les larmes avaient coulés d’un côté comme de l’autre et puis la distance s’était instaurée par elle-même. Un pas en avant, deux en arrière. Un je t’aime pour mieux briser par la suite. Estelle était là, encore là, ou peut-être plus vraiment. Pouvait-elle l’aider, le soulager pouvait-elle trouver encore une solution ? La force venait de la quitter, la force, l’amour et tout le reste. La dame avait juste l’impression de ne plus être grand-chose et ce regard fixe sur Merrick devait la trahir, ou le supplier, oui, le supplier ne pas faire ça, de ne pas partir, de pas la laisser, pas encore, pas comme ça. Pas comme ça non. Comment pardonner ? Comme désirer encore ? Comment s’accrocher ?
- « Tu n’es pas un dieu » fut cette première phrase étrange, d’une voix sans vie, sans chant, sans sonorité.
Le regard perdu dans l’obscurité, l’air frais venant lui caresser le visage, Estelle démontrait encore qu’elle entendait, qu’elle échangeait. Dos à lui, elle était incapable de le regarder, incapable de lui dévoiler à quel point il venait de la briser. La Chantauvant s’en voulait, terriblement, mais n’était-il pas possible de choisir pour qui notre cœur allait battre ?
- « Tu t’incombes des fautes… Mais tu n’es pas un dieu, ce n’est pas toi qui décides qui va rejoindre ou non le royaume des trois, ce n’est pas trop qui nous a amené la fange… Ce n’est pas toi… »
Sauver pour être sauvé, un choix égoïste, un choix inconscient, peut-être même pas un choix finalement, juste un élan, un élan d’humanité, un besoin de l’aider, de l’empêcher de s’effondrer alors qu’elle-même s’émiette à chaque mouvement, à chaque pensée. De l’espoir, Estelle n’en a plus, il lui semble avoir tout essayé pour le secourir, pour le supplier, le convaincre de rester. Merrick a dit six mots de trop, sans même le savoir, quoique, peut-être que finalement, il en avait parfaitement conscience. Ce fut ce silence, celui d’une fin douloureuse, puis le bruit du plancher qui grince sous le poids d’un homme qui s’approche. Estelle ne fuit pas, elle n’espère même pas un revirement, non, elle sait très bien de quoi il s’agit. Adieu, c’est ce qu’elle aurait voulu lui dire. Adieu, mais quand il est juste là, c’est un non-son qui s’échappe de sa bouche. Comme si la fin n’était pas suffisamment invivable, il sembla avoir ce besoin de s’acharner un peu plus, s’assurait-il sans aucun doute qu’elle ne reviendrait pas ? Un je t’aime fut formulée, un baiser sur le front et un ruban fut nouée autour de son poignet sans qu’aucun mot ne fût prononcé ni qu’aucune résistance ne fut nouée. Ordure, oui, ce mot lui allait mieux que n’importe quel mot à ce moment précis. Les larmes ne coulaient plus, n’avait-elle épuisé la totalité de sa source aqueuse. Il était parti, comme ça, sans un regard, sans une hésitation, juste en pleurant, à quoi bon pleurer quand on poignarde, on assassine celle qu’on est censé aimer ?
Naïvement, Estelle avait cru percevoir un tambourinement avant de réaliser que cela provenait de son propre corps, que sa lèvre était en sang et que ses ongles s’étaient plissés, puis brisés tant elles enfonçaient le tout dans le rebord de la fenêtre. Prise dans ses pensées, dans ses tourments, dans ce cercle de déception avec l’envie soulignable de sauter pour oublier. Même le vide n’était plus suffisamment effrayant, non, même ça. Ce ne fut que lorsqu’une voix inconnue vint se faire percevoir, qu’Estelle pivota, le regard pâle, les yeux rouges et la lèvre saignant autant qu’une morsure pouvait infliger pareille blessure. Ses yeux s’écarquillèrent presque aussitôt, alors que la situation venait brusquement de changer, elle n’était plus celle abandonnée, mais celle qui devait sauver. Merrick était immobile, rué de coup, son instinct la poussa à faire ce pas en avant, ce fameux pas vers lui, comme si tout le reste n’avait plus d’importance, avant que sa deuxième forme de petite voix de survie ne la mette en garde. L’homme, armé, représentait le danger immédiat et malgré cette inquiétude grandissante pour celui qui ne devait plus rien représenter pour elle, Estelle fut contrainte de reculer, un pas, deux pas, trois pas et son fessier fut rapidement en contact avec l’ouverture de la fenêtre. Prise au piège le mot était faible, incapable de trouver une solution, incapable de faire le poids face à celui qu’elle avait pourtant réussi à battre une première fois, elle ne put que se décaler légèrement. Une multitude de frissons avaient fini par animer son corps, alors que son regard se portait sur cette lame, cette fameuse lame et les promesses écœurantes que l’homme formulait en s’approchant.
Ce fût contre toute attente, Merrick qui lui permit de se tirer de cette mauvaise étape, sans qu’elle ne puisse comprendre ni comment ni pourquoi. L’agresseur se retrouva par la fenêtre chutant de la hauteur de la bâtisse, alors que Merrick était désormais au sol, visiblement en mauvais état. Ce fut étrange comme sensation, comme dans un état second, la première réaction de la rousse fut de hurler son prénom, de se précipiter vers lui, d’essayer, avant de s’immobiliser en chemin, prenant de plein fouet consciente de tout ce qui venait de se passer. Incapable de passer l’éponge, incapable de pardonner, incapable de comprendre ce qui n’était à ses yeux pas compréhensibles. Immobile, toujours une main tendue vers lui, comme en suspens, le regard vibrant, atrocement et ce hurlement qui l’a sorti de ses songes alors qu’on la suppliait de l’aider, de venir en aide à celui qui n’était visiblement pas encore mort. Pivotant légèrement, se penchant vers la fenêtre, son premier réflexe fut de tendre cette main, d’essayer d’attraper, de hisser celui qui aurait du pouvoir l’atteindre sans jamais avoir de succès. Le raclement de gorge, le petit ricanement étrange, la nouvelle vague de frisson la fut renoncé sous les hurlements de celui qui suppliait pour sa vie.
Estelle était désormais dos à la fenêtre, non loin de celui qu’elle protégeait malgré tout, face à deux hommes non armés, qui ne semblaient plus réellement hésiter vis-à-vis de la marche à suivre. L’un d’eux avait son visage déformé par un sourire qu’elle jugeait effrayant, alors que le second s’approchait de quelques pas, comme un fauve traquant sa proie, ou plutôt allant terminer son festin. Malgré la blessure, celui en retrait ne semblait pas moins, aux yeux de la tenancière redoutable et c’est dans un semblant de désespoir qu’elle tentait de convaincre que la priorité n’était pas centrée sur sa personne, mais bien sûr l’homme se trouvant à l’extérieur.
- « Arrêtez, je vous en prie, arrêtez » supplia-t-elle de cette voix éteinte « il faut l’aider, il va mourir, vous devez l’aider, vous devez… »
Le bruit d’une main s’abattant sur sa joue la réduit au silence un temps, alors que l’éclat de rire de celui se trouvant derrière lui donna la nausée, ce ne fut que dans une réaction vive qu’elle parvint à s’extirper et bousculer son agresseur pour se précipiter et s’écrouler à quelques pas de la lame de Merrick. Le blessé avait fini par la faire tomber, tirant sur sa cheville pour la ramener jusqu’à eux alors que la rouquine tentait autant que possible de récupérer l’épée, bras tendus, doigt écartés, elle finit par effleurer l’arme jusqu’à l’avoir bien en main et alors que des doigts se glisser sous le tissu de sa tenue, l’épée se planta et traversa l’épaule de l’individu, qui hurla, hurla si fort que l’esprit de la jeune femme sembla se déconnecter.
Tout était soudainement critique, l’un agonissait et se vidait de son sang, arrachant l’épée qu’il jeta non loin de son compère. Merrick était toujours inconscient sur le sol, et le dernier homme hurlait davantage qu’on lui vienne en aide avant de s’étouffer dans ce qui ressemblait à un râle d’agonie. Le dernier agresseur conservait son épée, tout du moins, celle qui ne lui appartenait, mais qui permettrait d’obtenir la vengeance qui lui dévorait l’esprit. Reculant, reculant autant que possible en rampant à reculons, Estelle ne pouvait s’empêcher de s’imaginer le pire, sans percevoir un seul instant que le pire pourrait être infligé à Merrick. Reculant à son tour, ce fut d’un bon que la dame se releva alors que l’homme menaçait le milicien, justifiant l’ensemble par sa volonté de la voir supplier.
- « Chante demoiselle, chante pour que je l’épargne, peut-être même que rien de ce que tu pourras dire ne lui offrira la vie sauve, la seule coupable c’est toi, c’est de ta faute tout ça… À moins que tu ne sois conciliante, une gentille petite dame ? » - « Laissez-le, c’est moi que vous voulez non ? Vous avez laissé mourir votre ami et le second… » - « Ferme là »
En effet, un bref coup d’œil sur le côté lui permit de comprendre que la cohésion n’était pas un sentiment dominant dans l’esprit de ce groupe. L’homme gisait désormais au sol, dans cette inconscience qui ne tarderait pas à se transformer en une fin définitive. Meurtrière solitaire, n’était-ce pas tout ce que ce voyage avait réussi à lui procurer ? Néanmoins, Estelle était dans l’incapacité d’abandonner celui qui lui avait sans aucun doute procuré le plus de peine. Son regard de nouveau embrumé par les larmes alternait entre cette vision de corps malmené, mais vivant et cet agresseur menaçant. Que pouvait-elle faire, elle, femme. Incapable de se battre, incapable de faire quoi que ce soit de plus. Ce ne fut qu’un bref geste de la tête qui lui fit comprendre ce qu’on attendait d’elle, un bref mouvement qui indique la porte et l’obscurité, qui sous-entend ce besoin obscur, du réconfort non désiré, du moins pas pour elle.
- « Tu n’auras cas t’imaginer ailleurs, ce n’est pas cher payé pour une vie, non ?Tu aimeras peut-être ça. »
Non, certainement pas, non, c’est ce qu’elle aurait pu répondre oui, mais sa voix sembla s’éteindre au moment où sa bouche s’ouvrait pour proliférer les insultes et la lame s’approchant de cette gorge si familière la fit faire un pas en arrière. Avait-elle le choix ? Son visage opina de lui-même, comme une condamnation, une acceptation à la sentence. Après tout, que lui restait-il à perdre ? Merrick vivrait, il ne la reverrait plus exactement comme il l’avait souhaité. Comment accepter véritablement, comment accepter en passant la porte suivie de cet inconnu de ce qui allait finir par se jouer, comment tolérer les doigts parcourant son corps, défaisant le semblant de vêtement qu’elle possédait encore… Comment oui, alors que son esprit lui murmurait, lui évoquait par période des souvenirs du passé, les paroles de son ancien milicien qui ne l’était plus et ce ne fut que lorsque la main inconnue s’aventura dans une zone interdite, définitivement, que les larmes s’écoulèrent sans ne plus jamais vouloir s’arrêter. Ses doigts s’enroulèrent sur cette lame si proche et si loin à la fois et qu’une nouvelle lutte se joua. Une lutte perdue d’avance, une lutte à laquelle Estelle elle-même ne croyait plus. Et ce fut le bruit de la chair qui déchire, l’odeur du sang qui s’écoule, puis celle de la mort qui vint s’enrouler autour de son esprit.
Le silence d’abord, imposant, lourd, puis peu à peu les membres qui semblent ne plus obéir, puis ce froid, ce froid qui s’introduit dans la moindre parcelle de peau. Lui ? Il ne réagit plus, il ne réagit plus depuis plusieurs minutes. Pour autant, Estelle n’est pas victorieuse, le combat se rejoue dans son esprit, la lame, la lutte, les coups, puis cette douleur. Instinctivement, ses doigts viennent effleurer la douleur, s’insérer dans cette plaie ouverte qui n’a de cesse de saigner. Instinctivement, elle pense à son frère, celui qui l’aurait trahi, celui qui lui reste, l’unique chose qui lui reste et les larmes s’écoulent, encore et encore et encore et encore, alors qu’elle est convaincue qu’elle va mourir ici, dans cette chambre obscure, avec un cadavre qui convulse de ses derniers soubresauts sans qu’elle ne sache comment tout ceci était possible.
- « Ça va aller… » encore une voix, une voix qu’elle ne connaît pas « ça va aller… »
La tenancière n’en est pas sur elle, non, loin, très loin de là. Allongée sur le dos, elle a le goût du sang en bouche, elle a froid, terriblement froid et aucun son ne semble vouloir s’échapper de sa bouche. La douleur se réveille, toujours plus intense alors que les multiples coups qu’elle a reçu durant la dernière lutte, parfaitement visible sur son visage et son corps semble être le cadet de ses soucis.
- « Ça va aller… » qu’elle répète cette voix, alors que sa main se fait soulever et que le bruit d’une grimace se fait parfaitement entendre « Je vais chercher de quoi fermer, je vais… »
C’est la main d’Estelle qui vient attraper celle de sa sauveuse, alors que son regard plein de supplices tente de lui faire comprendre, pas elle, lui, lui d’abord. Sa vision se floute pourtant, elle sent sa respiration se faire difficile. Elle comprend l’inconnue, du moins lui donne l’impression.
- « Ne dormez pas d’accord, surtout ne dors pas… Je vais voir, je vais voir, mais ne dors pas, promet le moi » - « Je promets.. »
Un souffle, c’est tout ce dont elle était capable, un simple souffle. Pour autant, elle se retrouve seule, encore une fois, définitivement peut-être, sans doute ? Elle à froid Estelle, elle est fatiguée Estelle. Une promesse ne peut pas faire de miracle, une promesse ne peut pas remettre l’impossible et c’est avec toute cette envie de lutte que ses yeux finissent par se fermer, alors que sa main gauche appuie toujours sur cette plaie bien trop importante.
◈ ◈ ◈
Le réveil est presque aussi douloureux que l’endormissement, depuis combien de temps ? Personne ne doit le savoir vraiment. Cette voix est là, elle lui murmure que tout va bien aller, qu’il va bien et lorsque ses yeux s’ouvrent enfin, que son visage se tourne, Estelle ne peut que constater qu’il est là, endormi, lui aussi. Ses doigts viennent effleurer les siens, alors que la mystérieuse jeune femme quitte la pièce afin de rapporter une boisson chaude. La Chantauvent aurait voulu murmurer, aurait voulu qu’il se réveil, oui, plus que tout au monde Estelle aurait apprécié que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve, mais lorsque ses doigts remontent jusqu’à son visage, dessinent les contours des marques et que ses yeux se déposent sur ce ruban… Elle abandonne. Le tissu quitte son poignet pour se retrouver dans cette main fermée qui ne lui appartient plus. Difficilement, elle quitte ce lit, manque de chuter tant la douleur au niveau de ses côtes est foudroyante. C’est le moment ou choisit de revenir cette brune, de petite taille, aux grands et magnifiques yeux bleus.
- « Vous devez vous reposer… L’attaque est terminée, nous allons pleurer nos morts… Je suis désolée, cette nuit-là tout le monde est devenu… » - « Je dois rentrer » - « Pas dans votre état… » - « Je rentre»
Les yeux qui s’écarquillèrent étaient sans appel, l’idée était mauvaise, mais comment pourrait-elle expliquer que sa peine de cœur était trop lourde, trop grande, trop forte pour lui permettre de rester ? Son visage pâle, sa blessure, les marques de coups n’y changeraient rien. Merrick Lorren était en vie, mais Merrick Lorren ne lui appartenait désormais plus, c’était la fin. Six mots, six mots de trop, oui, beaucoup trop.
- « Est-ce qu’il va bien ? » - « Les blessures sont légères… Je l’ai soigné rapidement, il n’a pas perdu beaucoup de sang, mais vous… » - « Je rentre… Ne lui dites pas…. Ne… Je rentre »
C’était ce qu’il avait voulu, ce qu’il souhaité et les arguments d’Aude, cette épouse d’un homme mort ce soir-là ne purent guère la retenir, ou la faire changer d’avis. Épouse du tenancier, cette femme avait perdu son mari oui, devenue fou à cause de la fange et de la peur. Elle avait sauvé la tenancière, mais aussi le milicien, soigné en priorité. Trois jours s’étaient écoulés, trois jours et celle qui aurait dû se réveiller en seconde avait émergé la première. Sans un adieu, sans un regard, Estelle était finalement partie, avait disparu dans ce couloir, avant de s’arrêter devant la pièce où l’ensemble de la soirée c’était déroulé, ou les paroles destructrices avaient été formulées, ou trop de sang s’était écoulé. Partie, envolée, Estelle de Chantauvent avait quitté l’établissement dans une lenteur déconcertante, prête à emprunter un chemin qu’elle avait précédemment emprunté, non plus à deux, mais seule, dans un état déplorable. Peu importe, elle partait, elle rentrait, elle en avait besoin, oui, juste marche, respirer l’air de l’extérieur, essayer.
◈ ◈ ◈ - « Ne bougez pas trop » murmura cette voix féminine « Vous avez été agressé, vous allez bien, vos blessures sont en train de guérir… » comment annoncer à un homme que sa femme était partie ? « Je suis désolée pour le comportement de mon mari, la fange lui a fait perdre la tête »
Un murmure simplement, alors que la silhouette féminine se relève, alors qu’elle tente, qu’elle essaie d’éviter le pire, mais qu’elle sait parfaitement que la question ne tardera pas. Comment annoncer à un homme que la femme qui l’accompagne est repartie, qu’elle n’a pas réussi à la retenir, comment lui dire, comment lui dire, oui…
- « Vous devriez boire un peu… Vos blessures sont superficielles, l’attaque est terminée, il est temps pour nous de pleurer nos morts et d’avancer après cette nouvelle attaque… Vous devriez rester là, reposez-vous un peu… »
Elle laisse l’ensemble sur le petit meuble à côté du lit, prend une inspiration et se relève, parce qu’il faut bien lui dire, parce qu’il faut bien parler, expliquer, parce que tout homme mérite des explications.
- « Le tenancier est mort » murmura-t-elle la gorgé nouée, le sanglot si proche de faire son apparition « Les deux hommes l’accompagnant aussi, elle… votre compagne…. Mais…. » était-ce mieux de lui faire croire qu’elle était morte héroïquement pour le sauver, ou lui dire qu’elle avait fini par renoncer « Elle était dans une mauvaise posture, je suis intervenue, elle voulait que je vous soigne en premier mais… » difficile de trouver les mots, difficile oui « Elle est partie»
Ce fut un silence, un silence étrange, alors que la phrase à double sens pouvait indiquer l’improbable, le pire. S’en rendit-elle compte, rajoutant immédiatement, se rattrapant :
- « Ce matin, il y a peu de temps… Elle va… enfin… elle est vivante, j’ai refermé la blessure. Elle a dit qu’elle rentrait, je n’ai pas réussi à la retenir… Mais vous devez vous reposer ! Je suis certaine qu’elle va bien ! Elle va revenir, personne n’est suffisamment fou pour faire de la marche dans son état… Elle va revenir. Faites-moi plaisir, reposez-vous. »
◈ ◈ ◈ Il y a des sensations qui nous rappellent que nous sommes en vie et d’autres qui provoquent cette multitude de questions, cette multitude de pourquoi. Estelle avance, de cette démarche si lente, si douloureuse et pourtant elle avance, une main appuyant sur cette blessure, sans trop savoir ou aller, ni pourquoi. La certitude qu’elle doit partir et si forte, tellement forte que la raison ne suffit plus pour la convaincre de faire marche arrière. Un vase brisé, un mouchoir usagé, chaque battement de cœur ne cesse de lui remémorer à quel point elle n’a plus rien. Son esprit est hanté par les souvenirs, par les viols, ce presque viol et la répétition des paroles de Merrick. Perturbée, elle n’a rien pris, ni affaire, ni Brigitte, non, même pas elle. Elle ère, elle avance, comme un fantôme, comme une âme condamné à ne pas savoir où aller, mais elle a besoin, oui, besoin de marcher d’avancer, de le fuir, de le fuir lui, ses paroles, sa blessure.
Il n’y a plus grand-chose à faire quand on a tout perdu, ou du moins la sensation d’avoir tout perdu, alors la Chantauvent finit par faire une pause, par être contrainte de faire une pause. Pas de convoi pour l’accompagner, pas d’herboriste pour la guider, elle s’arrête sur l’entrée du chemin, s’appuyant contre un arbre pour respirer, pour essayer d’oublier, sans véritable succès.
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| | | Merrick LorrenCoutilier
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Lun 19 Aoû 2019 - 21:55 | | | Suite aux risques de la rixe, Merrick Lorren était tombé dans le coma, à deux doigts du trépas final et fatal que leur apporteraient, à lui et Estelle de Chantauvent, les deux derniers mécréants encore debout et prêt à la lutte. Écoutant leurs compatriotes hurler et quémander une aide qui ne lui serait aucunement fournie, les individus en question continuaient à avancer en direction de celle qui était esseulée et isolée pour se défendre. Lui, l’incapable, l’ivrogne et le faible homme d’armes étaient ailleurs, inconscients devant les méfaits et les vices que son inaptitude allait faire vivre à la femme qu’il aimait. Si Lorren aurait été un autre homme, possiblement et potentiellement qu’il aurait réussi à se liguer et affronter ces trois hommes aucunement armés et entraînés pour mener jusqu’à sa finalité une lutte violente et la mort. Car après tout, lui, n’était-il pas entraîné pour ce genre de situation ? Alors, que faisait-il là avachi et vaincu sur le sol ? En un mot; pitoyable. Oh oui, le couard s’en voudrait de n’avoir pas réellement été là lors de ce moment critique. Cette inaptitude ne serait qu’un ajout à la pléthore d’échecs et d’erreurs qui caractérisait la lente et longue pérégrination de son existence qui périclitait encore et toujours plus. Toujours est-il que le milicien n’eut conscience de rien. Il n’entendit ni ne vit la lutte victorieuse, mais macabre de la Chantauvent face à son premier belligérant. Il n’eut aucunement conscience du sacrifice accepté par la rousse, puis de sa défaite face au dernier forban encore en présence. Il ne vit pas le sang tacher les vêtements de sa tenancière, ni le fer s’extirper de son corps après l’avoir malmené d’une meurtrissure. Pour finir, il ne fut pas celui qui lui apportera l’aide-salvatrice, le support qui les tira tous deux de leur mauvais pas. Encore; Merrick Lorren fut faible et inutile. Mais fallait-il s’attendre à mieux de sa part ? Si quelqu’un était à la recherche d’un héros, d’un homme teinté d’une dose de courage suffisante, et non de suffisance, pour s’extirper des mauvais pas, mieux valait ne pas faire confiance à l’ivrogne inconscient. Et de fait, c’est en étant conscient de ses propres carences et faiblesses qu’il désirait laisser Estelle loin de lui. Il voulait lui permettre de connaître une relative sécurité si elle ne le côtoyait plus. Après tout, quelle relation pouvait se targuer d’avoir connu autant de problèmes dangereux et potentiellement mortel en si peu de temps ? Martin, Adrien, et dorénavant… Couplé à ces situations de presque-mort, il y avait aussi tous les autres problèmes. Leurs disputes, leurs désaccords, les larmes. Le désaccord et quiproquo fait à Lissandre. Le mensonge de Miratour qui avait failli les séparer. Le départ en voyage qui s’était articulé autour de la perception qu’il puisse être un possible violeur. Là, maintenant, alors que Merrick n’avait rien fait pour aider son prochain. Devant l’ensemble de ces monts et de ces maux, comment espérer meilleure finalité, comment développer l’intime, ou bien l’infime conviction qu’un jour les choses s'arrangeraient ? Dur à dire, difficile à savoir, possiblement inatteignable... Par chance, pour Merrick Lorren, il n’était plus l’heure de se positionner sur sa mort ou bien son abandon de la relation. Car encore là où il aurait dû être en mesure de s’exprimer et de livrer le fond de sa pensée, il était inconscient. Inconscient alors qu’Estelle de Chantauvent était au bord de la mort, au supplice et à quelques doigts du trépas… Il était pitoyable… pitoyable et inconscient. ◈ ◈ ◈ -”Est…!” Le réveil fut violent. Autant pour son corps meurtri de toute part, suite à la rosse et la pluie de coup qu’il avait subi. Grognant en se relevant, fronçant du faciès alors que son inquiétude pour la jeune femme s’évaporait durant un infime instant devant ses maux physiques, le milicien réussit à s'asseoir dans la couche dans laquelle il se trouvait être seul. Tournant rapidement la tête à droite et à gauche en quête de la propriétaire de la Chope Sucrée, le jeune homme paniqua de ne pas la voir. ''...Estelle !” Puis, frappé et submergé par un moment de faiblesse, alors que son esprit le tiraillait et que sa tête l’élançait, l’ivrogne n’eut d’autre choix que de se laisser tomber sur le dos, vaincu. Que lui était elle arrivé ? Était-elle morte ? Disparue ? Pire, avait-elle retrouvé De Marais, devenant à son tour une créature immonde et mortelle par sa faute ? Grognant et tentant de se relever à nouveau, Merrick eu l’impression que le monde tournait, tanguait et vacillait autour de lui. Était-ce simplement un moment de faiblesse suite à une longue période de coma, ou une blessure plus grave au niveau de la tête ? Il n’avait pas le temps de s’y appesantir. Présentement, l’ensemble de ses sens malmené étaient focalisés sur une seule et unique chose; trouver, ou découvrir, ce qui était arrivé à la femme qu’il aimait. “Et merde…”. C’est sur ces paroles pleines d’éloquences, alors que ses mains venaient enserrer son crâne meurtri, que le milicien se rendit compte de l’objet qui fut abandonné sciemment dans sa paume. Le ruban qui n’avait eu de cesse de changer de propriétaire depuis leur départ de Marbrume. Le regardant hagard, perdu et éperdu dans sa contemplation, Merrick Lorren ne sait plus quoi penser, ni à quoi se retenir. Naufragés en quête d’une planche de salut, le jeune homme se noyait dans une mer tourmentée, où le ressentiment contre sa personne n’avait de cesse qu’au moment ou la honte viscérale d’avoir encore abandonné la Chantauvent l’étreignait avec plus d’ardeur. Encore la conscience embrumée, un semblant de réflexion finit par prendre l’ascendant sur la nappe de plomb qui l’enserrait dans un étau de marasme et d’ambivalence. Si le ruban se trouvait entre ses doigts, il était fort probable que sa véritable propriétaire soit encore vivante. Ou alors, serait-ce un lègue mortuaire ? Non ! Impossible. l’ivrogne ne voulait et ne pouvait y croire. Grognant de nouveau, réussissant -enfin- à balancer ses jambes par-dessus le rebord du lit qu’il n’avait pas quitté depuis trois jours, Lorren serra des dents et contracta l’ensemble de ses muscles pour réussir ladite manoeuvre. Son corps semblait être en mesure de l’écouter, bien que l’élancement général démontrait la grogne que véhiculait sa condition physique de devoir bouger après avoir été malmené et alanguit durant une aussi longue période. L’étape une venait d’être accomplie. Il faudrait dès lors et désormais être en mesure de se soulever pour ne partir en quête de nul autre qu’Estelle de Chantauvent. - « Ne bougez pas trop. Vous avez été agressé, vous allez bien, vos blessures sont en train de guérir… » comment annoncer à un homme que sa femme était partie ? « Je suis désolée pour le comportement de mon mari, la fange lui a fait perdre la tête ».Sursautant devant l’apparition et la prise de parole d’une inconnue, Merrick écouta les dires de la tenancière qui n’était pas sienne, la bouche entrouverte et une expression béate sur le visage. Ayant du mal à se focaliser sur les mots de la principale concernée, l’homme d’armes fit un effort pour tenter d’élucider l’ensemble des paroles de sa vis-à-vis. Incapable de tout comprendre, il fut à tout le moins certain qu’aucune phrase ne fit mention de la rousse. “Où…” Se raclant la gorge, tentant de retrouver un filet de voix tarit par le dessèchement de son gosier, Lorren reprit. “Où est-elle ?” Aussi monstrueux que cela puisse être, il n’avait que faire du deuil de la veuve, devenue une âme solitaire, certes par la folie de son mari, mais aussi par la lutte contre celui qu’elle venait pourtant de sauver. « Vous devriez boire un peu… Vos blessures sont superficielles, l’attaque est terminée, il est temps pour nous de pleurer nos morts et d’avancer après cette nouvelle attaque… Vous devriez rester là, reposez-vous un peu… » La mise en avant de son besoin de s’hydrater, et le dépôt du contenant à même de le lui permettre lui fit tourner de l’oeil. Oui, l’attrait était plus qu’impérieux. Alors que son regard vacillait et était attiré comme si l’eau était une flamme dans la nuit, la focalisation de Merrick changea de nouveau pour revenir se perdre sur le visage de son interlocutrice. Non. Elle n’avait pas répondu à sa question, à sa véritable interrogation. Et ça, ça avait le mérite de l’inquiéter. Qui tournerait autant autour du pot, si ce n’était pour évoquer un décès de l’être aimé ? Blêmissant devant pareille réflexion, se passant la langue sur ses lèvres aussi aride qu’un désert et craquelée en de multiples endroits, le milicien fit fit des dernières paroles de la tenancière, se concentrant sur l’unique chose qui avait véritablement de l’importance en cette heure. “Estelle de Chantauvent. Une jeune femme rousse qui m’accompagnait. Est-elle…” Il ne pouvait lui demander si la propriétaire de la Chope Sucrée avait trépassé. Poser la question était trop douloureux. "...Où est-elle ?” Se borna-t-il donc à répéter. L’ivrogne était, certe, ignare de bien des choses, mais pas dupe pour autant. Il avait aussi nettement conscience que les mots de sa sauveuse semblaient laisser percevoir une finalité guère positive pour Estelle, alors qu’elle présentait la nécessité d’avancer et de pleurer les morts. Or, tant et aussi longtemps qu’elle ne lui livrerait pas la vérité noir sur blanc, il n’y croirait pas. Oui, sa confiance en la survivance de la jeune femme à la chevelure flamboyante s’amenuisait. Mais, il n’était pas question de s’abandonner au chagrin avant l’annonce officielle de ce trépas. « Le tenancier est mort ». Il n’en avait rien à faire. Ce salopard pouvait bien avoir subi les pires atrocités avant son trépas s’il était coupable du décès de la Chantauvent. « Les deux hommes l’accompagnant aussi, elle… votre compagne…. Mais…. » Au même titre que l’individu ayant passé au travers de la fenêtre, le sort de ses hommes de main l’indifférait. Or, quoi ? Que lui était elle arrivé à elle ? Merrick fut tenté de la presser, de la pousser et de la noyer sous une mer de question. Mais en cette heure, il pressentait que la finalité était toute proche, qu’il n’allait pas tarder à apprendre comment c’était terminé l’ensemble de l’histoire. Dès lors, resta-t-il silencieux pour le savoir. En outre, l’ivrogne aurait probablement été incapable de parler, la gorge sèche et nouée par un pressentiment de très mauvais augure. « Elle était dans une mauvaise posture, je suis intervenue, elle voulait que je vous soigne en premier, mais… ». Ses doigts se mirent à serrer le ruban d’une part et le sommier qui le supportaient toujours d’une autre. Elle avait été blessée, c’était désormais une évidence. Était-elle morte parce que la priorité des soins était venue pour sa personne et non pour elle ? Était-il encore coupable et bourreau…? « Elle est partie».Et c’est ainsi que Merrick Lorren crut découvrir la mort d’Estelle de Chantauvent. Sur le bord de chavirer, aussi littéralement que métaphoriquement parlant, alors que son corps partait vers l’arrière, l’homme d’armes eut la chance d’être sauvé in extremis par la reprise de parole de la tenancière qui avait eu conscience que ses mots pouvaient plus que prêter à confusion. « Ce matin, il y a peu de temps… Elle va… enfin… elle est vivante, j’ai refermé la blessure. Elle a dit qu’elle rentrait, je n’ai pas réussi à la retenir… Mais vous devez vous reposer ! Je suis certaine qu’elle va bien ! Elle va revenir, personne n’est suffisamment fou pour faire de la marche dans son état… Elle va revenir. Faites-moi plaisir, reposez-vous. » La suite aurait été difficile à prévoir pour tous. Ce fut comme une implosion à l’intérieur de lui, tandis qu’il avait été déchiré par la frayeur d’une hypothèse qui s’éloignait face à la réalité. Se mettant à rire, avait hystérie plutôt qu’avec amusement, une larme, unique et silencieuse, vint compléter le tableau, l’image de folie qui le dépeignait alors qu’il traversait les monts et vaux que son esprit et âme traversaient en apprenant la survivance d’Estelle alors qu’il avait prévu sa mort à cause des sous-entendus. Attrapant enfin le verre d’eau, il se permit de s’hydrater et de le vider d’un seul trait. “Impossible.” Offrit-il comme réponse lorsqu’il lui fut demandé de se reposer, secouant la tête négativement pour supporter ses mots. Se relevant debout, difficilement certes, mais aussi lentement pour tester son équilibre, Merrick fut satisfait de se voir apte à rester droit et de ne pas retomber. “Je vais y aller.” -”Vous devriez rester ici. Votre femme…”-”Je vais y aller.” Cette fois-ci, le ton était nettement plus convaincu. Ce n’était pas une simple prise de position, c’était une décision inéluctable. Rien ne pourrait le faire changer d’idée. En outre, connaissant la dame de Chantauvent, il était fort possible qu’elle fasse tout son possible pour continuer et persévérer en direction de Marbrume, bien que son état soit très faible et que sa pérégrination détériore l’ensemble. Ouvrant la bouche, sa sauveuse voulut le faire à nouveau changer d’idée. Le regard sombre du milicien la laissa muette et interdite. “Merci…” Souffla Lorren, autant pour l’aide plus que salvatrice apportée par la veuve, mais aussi pour son silence qui venait de prendre le pas et le dessus sur sa possible allocution. Récupérant son ceinturon et se harnachant du tout, le milicien n’attendit pas plus longtemps pour quitter les lieux en apportant avec lui les affaires de la Chantauvent. Marchant lentement, mais avec conviction vers la porte, Merrick reprit contenance, au fur et à mesure qu’il avançait, tandis que son corps et ses jambes se réhabituaient à être mobile. Sa tête l'élançait, son crâne lui lançait des éclairs de douleurs. Pour autant, cela ne l’arrêtait et ne l’arrêterait pas. S’arrêtant sur le pas de la porte, s’appuyant au cadre de cette dernière de sa main libre, alors que l’autre tenait toujours le ruban de mariage, Merrick Lorren prit pour la dernière fois la parole, sans se retourner. “Elle n’est pas encore ma femme.” ◈ ◈ ◈
L’ivrogne n’était pas au meilleur de sa forme, mais toujours plus que la jeune femme. Le milicien n’avait pas forcément un très bon sens de l’orientation, mais nettement plus habitué aux milieux extérieurs que la tenancière. Dès lors, la retrouvée ne fut guère ardue. Estelle connaissait un chemin pour partir, celui par lequel ils étaient tout deux arrivés, guidé par l’herboriste, Harmonie, la fille de son ami. Secouant la tête quant à la remémoration de celle qu’il avait abandonnée à sa mort, Lorren avança en direction de la rousse qui lui tournait présentement le dos, appuyé à un arbre. De fait, il avait eu l’intime conviction que l’unique chose qui comptait était de la retrouver. Or, maintenant que cela était désormais fait, que devait-il dire ou faire ? Les événements étaient encore vivaces et puissants dans son esprit tourmenté. L’abandon restait à ses yeux encore le meilleur moyen de la préserver. Devait-il la laisser partir ? Si elle aurait été en état, probablement que Merrick s’en serait retourné sans être vu. Mais la position prostrée et ployée de la rousse, plus avachie que de coutume, l’inquiéta. Lui qui n’avait rien vu, qui était tombé dans l’inconscience, n’avait aucun moyen de définir la gravité des blessures d’Estelle. Toutefois, le ton quelque peu alarmiste de la veuve du tenancier lui avait mis la puce à l’oreille; les maux physiques de la dame de Chantauvent étaient grands. Dès lors, impossible pour lui de reculer et de la laisser seule. En faisant ça, il risquait probablement de signer son arrêt de mort. Ainsi, la décision prise, il avança au plus près de la principale concernée, s’arrêtant à un pas de son dos. L’avait-elle entendue s'approcher ? Avait-elle perçu sa présence ? Difficile à dire. Toutefois, Merrick n’eut pas le courage de franchir le dernier mètre les séparant. Cet espace semblait être un gouffre sans fond. "...Estelle ?” Sa voix était faible, enrouée et déchirée. Non pas par un mal physique, mais bien par une faiblesse émotionnelle. Lorren n’avait pas encore statué sur ce qu’il devait faire, dire, demander ou bien même quémander. Levant la main pour la toucher, comme pour s’assurer qu’elle était encore réelle, il laissa retomber mollement son bras. En avait-il encore le droit, après tout ? “Désolé.”Pourquoi s’excusait-il ? Pour tout était la réponse exacte, ce qu’il lui dirait si elle le lui demandait. Pour autant, ce “tout” n’était pas clair. Surement autant pour sa tenancière que pour lui. S’en voulait-il de ses volontés suicidaires ? Difficile à dire. Sur le coup, cela avait semblé être la solution. Aujourd’hui, l’idée était nettement moins vivace et tenace que par le passé. La peur de la perdre, de la savoir morte lui avait fait relativiser les choses. Si son amour était réel, aussi puissant que le sien, Merrick l’aurait encore fait souffrir par sa disparition. Dans un tel cas, l’homme d’armes se savait à l’embranchement d’un chemin, interdit et indécis quant à la voie à suivre. S’il disparaissait pour de bon, elle souffrirait à cause de lui. S’il restait, elle souffrait aussi à cause de sa personne, de sa présence. Une fatalité qui entraînerait probablement la finalité de l’un, de l’autre ou bien du couple. -"...Désolé.” Un mot répété si insuffisant, alors qu’il aurait fallu une élocution longue, profonde et intense. Où était la verve du milicien ? Disparue devant les méfaits encourus. Sombré face à l’adversité encore vécue. Noyé suite à la peur viscérale de la perdre. Apercevant la blessure et percevant sa gravité, Merrick serra des poings juste’à s’en faire blanchir les phalanges. “On...enfin, tu ne peux pas rentrer dans cet état.” Cette réalité, immuable était sa nouvelle obsession. Il ne la laisserait jamais s’en aller avec une faiblesse aussi apparente, avec une blessure aussi grave. La dépassant et se plaçant devant elle, il se servit de son corps pour faire barrière. Loin de se faire imposant, Lorren ne fit que se mettre sur le passage et le chemin de celle qui semblait plutôt prendre le chemin de la tombe si elle s’évertuait à continuer ses pérégrinations et non pas de la capitale du duché. -”S’il le faut, je t'attacherais et te trainerais derrière moi pour te conserver ici et te laisser te reposer.” C’était drôlement dit. Mais réel. Dansant d’un pied sur l’autre, ne sachant pas trop quoi faire ou que dire de plus, Merrick se passa une main dans sa chevelure. Depuis combien de temps n’avait-il pas fait cela ? Trop longtemps. “J’ai eu peur de te perdre. Je...j’ai compris que ce n’était pas la solution.” Comprendrait-elle qu’il voulait parler de son envie de mort ? Difficile à dire. D’ailleurs, Estelle ne devait pas avoir l’esprit très clair, avec tout ce sang perdu, avec les maux qui oblitèrent potentiellement et possiblement les mots du plus stupide des miliciens de Marbrume. Le ton était doux, hésitant, bas, torturé et triste. À la fois condamnation et remède, l’élocution soufflait à la fois un vent de renouveau qu’une brise de tourment quant à la remémoration des événements passés, révolus, mais encore déchirants et douloureux. ”Je refuse de te perdre.”Comblant enfin l’écart, mettant directement les deux pieds dans ce gouffre qui les distançait, le milicien ne laissa que quelques centimètres le tenir loin de la promiscuité physique qui les liait habituellement. La surplombant grâce à sa taille, il baissa ses yeux vers elle. Ne forçant aucunement un contact visuel, il le chercha tout de même. “Il...il s’en est passé des choses.” C’était stupide de le dire ainsi. “Et...et je crois que le Labret est plus loin qu’il l’était à notre départ.” En un sens, cela semblait évident que leur visite de ladite région était un échec. Leur état était trop médiocre pour espérer continuer. “ Pourtant, tout n’est pas un échec pour moi...je crois.” De fait, sans le savoir, Merrick Lorren venait réellement de prendre une décision. Attrapant la main d’Estelle, qu’elle le veuille ou non, il tira le ruban de l’autre et se mit à attacher leurs mains l’une à l’autre. Concentré à la tâche, essayant de faire comme un prêtre ferait, sans en avoir l’expérience ni ne l’avoir tenté une seule fois, le tout fut finalisé après quelques instants. Le résultat final était chambranlant et vacillant. Il suffirait de tirer d’un côté ou de l’autre pour que l'entrelacement du ruban autour des mains ne se défasse. Lui restait immobile, ne bougeant pas le moins du monde la main de celle à laquelle il venait de s’attacher. Elle, tirerait-elle pour défaire ce qu’il venait de faire ? “Ce fut tout d’abord une obligation. Puis une acceptation. Aujourd’hui, c’est une volonté.” Prenant sa respiration, il continuait et corrigea quelque chose qui à ses sens et à ses yeux devait l’être. “Estelle de Chantauvent, voudrais-tu m’épouser ?” Restant silencieux quelque temps il continua. “Je suis échec et mat depuis bien longtemps.” Enfin il se l’avouait, l’amour l’avait guetté au tournant, l’arrachant à sa vie de coureur de jupons alors que la présence de la Chantauvent l’avait fait triompher. “Je ne le fais pour personne ou à cause de quiconque. Je le veux un point c’est tout. Je...j’avais déjà dit “oui”... en quelque sorte. Mais je...je ne te l’avais jamais officiellement demandé, compris et sus comme ça. Voilà.” Venait-il réellement finir cela sur un aussi insipide et stupide voilà ?! Ouvrant la bouche pour essayer de corriger le tout, Merrick Lorren finit par rester silencieux. Oui, c’était probablement mieux. Enfin, il restait finalement à répéter ce qui avait été demandé, y ajoutant une certaine variante nécessaire après les récents événements. “Alors, Estelle de Chantauvent, veux-tu encore m’épouser ?” Si la réponse était oui, il la porterait et l’amènerait avec lui dans la demeure d’Harmonie, la fille de Marius. L’auberge qu’ils avaient quittée, qui avait vu leur lutte, leur dissension et leur convalescence n’était pas le lieu idéal pour repartir sur de nouvelles bases et pour souffler un vent de renouveau. La demeure abandonnée de la jeune fille morte risquait potentiellement de rappeler par vague cet échec, la mort de celle qui avait été leur bienfaitrice, un rayon de soleil dans cette noirceur qui semblait avoir duré une éternité. Pour autant, mieux valait aller là que le lieu qu’il ne voulait revoir. Le milicien avait décidé de ne jamais révéler à son camarade qu’il avait eu une fille. Ce serait mieux ainsi. Le père ne s’aurait pas qu’il avait eu un enfant désormais mort, la fille s’aurait qu’elle avait eu un père à sa mort. Si elle refusait, il ne la laisserait pas fuir, la séquestrant et l’amenant jusqu’à l’auberge. Lui, se réfugierait dans la masure de l’herboriste, guettant le rétablissement, prompt ou non, de sa tenancière. Puis, une fois que cela serait fait, il la suivrait jusqu’à Marbrume pour assurer une toute relative sécurité. Dans tous les cas une chose était certaine; le voyage vers le Labret avait été un échec. Or, était-ce un interlude, un simple chapitre à leur histoire, ou bien une finalité immuable ? C’était à Estelle de Chantauvent de décider. Pour le meilleur ou pour le pire, ad vitam aeternam. |
| | | Estelle LorrenAubergiste
| Sujet: Re: [Terminé] Fuite ou voyage vers le Labret ? [Estelle de Chantauvent] Dim 25 Aoû 2019 - 20:42 | | |
Avancer était semble-t-il l’unique chose qui comptait encore pour celle qui ne savait plus réellement ni où elle se trouvait ni ce qui avait de l’importance. La douleur physique n’était définitivement pas celle principale, la sensation d’avoir tout perdu restait gravée dans son esprit, comme une cicatrice qui ne disparaissait désormais jamais. Estelle était immobile, appuyée contre un arbre, les yeux semi-fermés. Son cœur tambourinait avec une force nouvelle dans sa poitrine, lui donnant la désagréable sensation de chercher à s’y extraire, elle était seule, elle avait froid, horriblement, et était convaincu que la solitude ne la quitterait plus. Plus de Merrick Lorren, plus de frère, comment pourrait-elle retourner le voir en ayant conscience de la vérité, du passé ? Impossible. Ses lèvres se crispèrent sous l’émotion, laissant voir un léger tremblement que la rousse ne semblait pas en mesure de contrôler. Pour la première fois, la tenancière de la chope sucrée ne s’autorisa aucune larme, aucun sanglot visible, était-elle coupable de sa situation, aussi horrible soit-elle. Merrick ne lui avait jamais menti, l’avait-il averti plus d’une fois. Même, rentrer ne semblait désormais plus une idée si réconfortante. La gorge nouée de cette étrange sensation, les ongles s’enfonçant dans l’écorce, la responsable de l’établissement avait fini par relever le menton, laissant s’écouler deux larmes qui s’étaient pourtant échappées.
La chute des deux perles fut rude et le tout fut oublié d’un revers de main, ses deux prunelles vagabondèrent sur le chemin se dressant devant elle. La raison aurait voulu qu’elle renonce, qu’elle rebrousse chemin, mais Estelle venait de voir émerger en son esprit la fierté d’une femme blessée. Ce dernier sentiment avait fini par avoir raison de sa raison et oubliant toute forme d’intelligence et de danger, celle qui manœuvrait Brigitte à la perfection avait fini par faire un pas en avant, puis un deuxième. L’ensemble de sa peau s’était mise à tirer au niveau de la plaie encore trop récente pour être indolore. Les paroles de Merrick n’avaient de cesse de se répercuter dans son esprit, comme une mélodie mortuaire, un adieu définitif qu’elle était incapable d’éviter. Merrick était encore derrière elle, dans le bâtiment, il était vivant, était-ce sans aucun doute le plus important.
Il y avait pourtant ce doute persistance, ce ravalement de tout son être qui lui ordonnait de ne plus avancer, alors que ce pincement au cœur la poussait au contraire à s’éloigner, de lui, d’ici, surtout de lui. Merrick Lorren avait quitté Estelle de Chantauvent, peu importe les raisons, il avait fait un choix, souhaitant au plus profond de lui-même disparaître, pour devenir fangeux. Il n’avait pensé qu’à lui, sans même imaginer les souvenirs douloureux, le passé dans lequel il allait la replonger. Égoïste, oui, il n’avait pas arrêté de le lui dire, pour autant jamais, non jamais elle n’aurait envisagé qu’il puisse le faire en pleine conscience des choses. Ce fut un premier gémissement plaintif qui s’échappa, un mélange de souffrance et de douleur, accompagné par cette rage nouvelle, ce besoin de hurler, de laisser échapper cette étrange bouillasse qui évoluait en son for intérieur. Pourquoi ? Ses poings avaient fini par se serrer, alors que ses jambes l’avaient lâché pour la laisser s’effondrer sur le sol. Frapper la terre, encore et encore et encore et encore. Trait de colère, incertitude, tristesse, doute, peur et rancune. Ce ne fut que là, au pied de cet arbre, les larmes refusant de couler, les dents rognant sa lèvre pour s’empêcher de hurler que Estelle perçut les premiers signes d’une présence. Si tout son être espérait que le milicien soit là, tout son cœur lui réfutait lourdement cette possibilité. Il fallait cesser, cesser de jouer, avait-elle définitivement perdu contre celui qui aimait par-dessus tout charmer.
Celle à la chevelure de feu était restée immobile, complètement, comme une bête sauvage guettant le meilleur moment pour fuir, sur la défensive, sur le qui-vive. Cette voix qui vint formuler son prénom la fit frissonner, accentuant cette rancœur malvenue, omniprésente. Non, il n’avait plus le droit, de la nommer ainsi, de dire son prénom… Non. La dame de Chantauvent n’avait aucunement jeté un œil dans sa direction, incapable de bouger, refusant tout bonnement de succomber une nouvelle fois, elle aurait pu lui hurler de partir, de faire ce qu’il voulait oui, ça ne la regardait plus. C’était terminé, définitivement. Estelle n’en fit cependant rien, laissant l’homme formuler encore une excuse qui ne provoqua qu’une nouvelle blessure chez celle qui aurait tout donné pour avoir la force s’en aller, de le fuir, de le repousser.
Désolé. Aurait-il pu la poigner que cela aurait été sans aucun doute moins difficile à vivre, à entendre. Désolé. Estelle ne lui fit pas l’affront de l’aviser, de la détailler, de lui demander pourquoi, tout deux avait parfaitement conscience du pourquoi, du comment et du fossé qui infranchissable qui avait fini par s’immiscer entre eux. Désolé. C’est ce qu’il avait répété encore et cette fois-ci, la mâchoire entière de la rouquine avait fini par se crisper, jusqu’à offrir un grincement de ses dents, signe d’un acharnement prononcé sur sa dentition. Tais-toi. C’est bien l’unique réponse qu’elle avait envie de lui offrir, accompagner de menteur, égoïste, traite, lâcheur, abandonneur. Oui, une multitude de mots offrant quasiment tous la même définition, le même fondement. Était-elle trop faible pour le dire, trop faible pour le formuler, encore plus pour lui offrir le moindre regard, le moindre signe d’intérêt. Il s’était approché, oui, avisant la blessure qu’instinctivement elle tenta de dissimuler, fuyant son regard, sa silhouette, son visage et sa chevelure indomptable qu’il avait pour habitude de malmener. Il était là, debout, devant elle, essayant de faire barrage entre le chemin et la rouquine.
Estelle avait fini par se redresser comme pour répondre à cette provocation, elle était chancelante, faible, pâle, horriblement pâle. Elle ne pouvait cependant pas le laisser gagner, non, pas cette fois, il n’aurait pas le dernier mot, pas la fin de l’histoire. Il avait choisi lui de partir, il n’avait pas le droit de revenir et de lui imposer une décision. Droite à un pas de lui, le regard flanchant pour la première fois dans le sien, elle ne le perçut même pas dandiné d’un pied à l’autre, seule sa voix égale et sans vibration particulière se fit entendre pour la première fois.
- « Je rentre chez moi. » c’était sans appel, ce n’était plus chez eux, c’était chez elle et même ça ce fut comme prendre un nouveau coup, elle avait donné, il avait tout repris « Laisse-moi rentrer, je veux rentrer »
C’était bien plus que ça, bien plus que vouloir ou pouvoir, c’était un devoir une obligation, son seul moyen de respirer, d’avoir la sensation d’exister encore. La tempête Merrick avait tout emporté avec elle, son frère, ses sentiments, ses souvenirs dans sa propre maison… Elle n’avait plus grand-chose à quoi se raccrocher, se rattacher, espérer et même le souvenir de son défunt mari fut souillé par ce partage de ruban, par cette envie de poursuivre cette aventure avec le milicien. Oui, Estelle n’avait définitivement plus rien et ne voulait plus rien. Les paroles de l’homme d’armes la firent relever les yeux, alors qu’une main avait fini par se déposer sur son épaule pour faire pression, essayer de le décaler, de l’éloigner, de libérer le passage. L’ensemble de ses gestes se suspendirent néanmoins, alors qu’elle percevait une menace dans cette phrase si bancale et banale.
Je refuse de te perdre. Une véritable tempête venait de se déclarer une nouvelle fois, émotionnelle, physique. Le regard froid de la rousse s’était intensifié de cette colère, de cette presque haine. Non, il n’avait pas le droit, il n’avait pas le droit de dire ça, de le formuler, même de le penser, c’était lui le coupable, lui et uniquement lui.
- « Tu n’as pas le droit » souffla-t-elle alors que la proximité était de nouveau présente contre sa volonté « tu n’as pas le droit » répéta-t-elle la gorge nouée « s’il te plaît Merrick… »
Elle était suppliante, comme agonisante, elle ne voulait plus entendre, elle ne voulait plus pardonner, plus espérer. Estelle avait compris que l’espoir auquel elle se raccrochait n’était qu’une illusion, un mensonge inventé pour survivre, pour se raccrocher, mais pour la première fois, la tenancière ne souhaitait plus se raccrocher. Estelle avait décidé de se laisser sombrer, de chuter jusqu’à ce que mort s’ensuive, de se noyer dans un gouffre sans fin, de tomber jusqu’à trouver une fin pour pouvoir peut-être, oui peut-être escalader les difficultés. Merrick Lorren ne devait plus faire partie de son histoire, l’évidence était là. Estelle fuyait son contact visuel, sans pour autant se déplacer, sans pour autant le repousser physique. La dame était terrifiée à l’idée de lui pardonner, terrifiée à l’idée d’avoir mal, terrifier à l’idée de le regarder partir encore. Encore. Lui s’était remis à parler, le Labret était plus loin, oui, ce n’était pas faux, était-ce l’unique chose qui lui semblait soudainement inatteignable ? Non… Malheureusement. Ses lèvres s’étaient mises à grelotter, à trembler, même sa volonté de retenir ce mouvement devenait un échec, pour autant, laissait-elle ses doigts s’enrouler sur le tissu qui couvrait encore son corps. Tout n’était pas un échec pour lui ?
- « Qu’est-ce qui n’est pas un échec, Merrick ? »
Son regard s’était relevé vers lui, le tout accompagné par un léger mouvement du menton pour qu’elle puisse le détailler. Il suffisait de la regarder pour comprendre qu’à ses yeux, tout n’était plus qu’échec. Estelle avait manqué de perdre la vie, pour autant avait-elle cherché à le protéger lui. Elle avait manqué par de se faire abuser, encore. N’était-ce peut-être finalement que bonne à ça, être utilisé puis jeté, n’était-ce pas ce qu’il avait fait lui aussi ? Cette constatation avait un goût amer, un goût de larmes tranchantes, cisaillante, étouffantes. Ses mains s’étaient mises à trembler dans des soubresauts ressemblant à un état de choc, cette réalité aussi frappante soit elle commençait à avoir raison de la tenancière. Il avait pris sa main et le contact de sa peau contre la sienne lui offrit cette vague de frisson, avait-elle cherché à l’éviter, un instant, un instant seulement avant d’observer, lui, son geste, ce ruban, son ruban. Sa main libre était venue se déposer sur la main nouant l’ensemble, l’immobilisant un instant, serrant du bout des doigts avec cette force à peine perceptible. Non. Il n’avait pas le droit de faire ça, pas maintenant, pas comme ça ? Cruelle, elle crut même qu’il faisait ça par acquit de conscience, pourrait-il être libéré rapidement de cet engagement au vu de son état actuel, non ? L’avait-elle laissé continuer, oui. Pourquoi ? Seul Anür devait réellement le réaliser. Elle ne se sentait que stupide d’afficher ce semblant de sourire craintif, comme apeuré par la réalité, convaincue que tout ceci n’était que des mots, avait-il su prouver être doué à ce sujet.
- « Voilà » répétât-elle simplement alors que ses tremblements défaisaient petit à petit les liens « Je veux juste rentrer » souffla-t-elle « S’il te plaît » répéta-t-elle en le regardant.
Estelle était comme un verre venant de rencontrer le sol, brisé en de multitudes de morceaux qu’elle refusait de coller. Merrick avait été la main qui l’avait lâché et ça, jamais elle ne pourrait l’oublier. Le pourrait-il seulement, lui ? Pour autant, ce n’était ni un oui, ni un non, ni une acceptation, ni un refus. La rouquine était épuisée et le lien noué avec application par le milicien fut définitivement défait lorsque la tenancière se laissa tomber dans ses bras pour l’enlacer. Immobile, elle ne put murmurer que la douloureuse réalité :
- « Tu m’as abandonné » premier point « tu allais partir » deuxième point « tu voulais mourir » troisième point « tu m’as quitté » conclusion.
Il était inutile d’argumenter, d’expliquer, de faire plus, cela n’avait aucun sens, non, absolument aucun. Cependant, comme une conclusion n’était jamais faite sans expertise, elle vint placer ses doigts sur la plaie, la blessure dont la chaleur s’en dégageant ne pouvait que laisser percevoir le saignement qui s’était écoulé. Sa propre main se retira de l’ensemble, le laissant découvrir à sa guise la nouvelle marque qui orner désormais le corps de celle qu’il avait encore visiblement envie d’épouser et ce fut à son tour de lui offrir la plus cruelle et douloureuse des paroles, dévoilant cette vulnérabilité, cette fragilité et cet état de cassure, de verre éclaté.
- « J’aurais dû mourir… » souffla-t-elle « Même les Trois ne me veulent pas dans leur royaume, eux non plus, ils ne me veulent pas… Eux non plus » elle répéta encore trois fois cette phrase, comme un écho, comme une amertume, une réalité désagréable. « Toi non plus tu ne veux pas, tu as juste pitié » elle était dur Estelle, terriblement, pour autant ce regard vrillant dans le sien n’était que réalité « Je suis juste bonne à être payé, utilisé aux besoins… On prend et on jette c'est ça ? » sa voix c’était enrouée sous une émotion qu’elle tentait d’avaler « Il a… Ca a… Et toi…. » tu as fais la même chose, d’une manière différente, mais la même chose c’est ce qu’elle voulait lui dire, mais cela ne sortait pas « Je veux juste rentrer, s’il te plaît… J’ai froid…. »
Il avait dû sentir ce changement de température, cet extrême brûlant et ce froid soudain qui semblait animer son corps. Elle était fiévreuse oui, divagante sans aucun doute aussi, elle parvenait même à visualiser ce qu’elle n’aurait jamais dû voir, percevoir. S’en rendrait-il compte lorsqu’elle s’adressa au vide alors qu’elle était persuadée qu’on venait de lui remettre son ruban –qu’elle avait ramassé elle-même, ou que Merrick avait ramassé-
- « Merci » souffla-t-elle « Moi aussi, je vais errer hors du royaume des Trois » fit-elle à ce néant invisible, irréel avant de se reconcentrer vers Merrick « Moi j’ai été là, toujours » sous-entendait-elle que ce n’avait pas été le cas de son côté, difficile à dire « si je meurs, promet moi de t’occuper de la chope sucrée… C’est important. »
Estelle alternait entre réalité et irréalité et ses yeux de plus en plus brillants ne pouvaient qu’évoquer l’ensemble des indices déjà présents. Il n’avait pas été raisonnable de sortir, de quitter le lieu de repos et ce ne fut qu’à cet étrange instant, qu’elle était venue déposer ses lèvres contre les siennes. Était-ce une réponse, un moyen de vérifier qu’il était réel, ou simple un acte de désespoir difficile à dire. L’échange si prononcé fut néanmoins sincère, tendre et baigné de cette étrange impression douce amère. Lorsqu’il fut terminé, elle ne put que s’affaiblir un instant et le suivre à l’intérieur de la bâtisse qu’il avait décidé d’occuper. Estelle ne lui avait plus lâché la main, non, plus jamais, même lorsque le sommeil avait fini par venir la bercer. Ses songes étaient agités, murmurait-elle régulièrement son nom, à lui, était-il coupable oui, mais pas condamnable. Les jours avaient fini par défiler, sans que l’état de la tenancière ne s’améliore réellement, elle était faible, n’acceptait pas de réellement s’alimenter. Pour autant acceptait-elle de dialoguer, de réparer, avait-elle eu besoin de comprendre, de l’entendre mettre des mots sur les actes, lui en voulait-elle encore, sans aucun doute.
Ce ne fut qu’une fois cette discussion établie, que l’état de la jeune femme s’améliora, qu’une fois que son esprit avait accepté, pour mieux pardonner, essayer. Une nuit, alors que Merrick avait fini par s’assoupir sur une chaise non loin du feu de la cheminée, la dame avait fini par se relever, attrapant délicatement sa main pour nouer le ruban, elle s’était penchée à son oreille :
- « Je veux toujours t’épouser Merrick Lorren » ce n’était pas une évidence était-ce même surprenant pour celle qui avait instauré une distance « Mais, je veux reculer la date… Je veux du temps… Pour toi, pour moi, pour nous…. Je veux que tu me pardonnes, qu’on se pardonne. »
Estelle était convaincue, réellement convaincue que Merrick gardait une part de rancœur à son égard, sans identifier quoi, ni pourquoi et ce ne fut qu’après avoir accepté tout en reculant la fameuse date butoir –dont elle n’était dans le fond pas réellement décisionnaire-, qu’elle vint déposer une nouvelle fois ses lèvres sur les siennes. Le baiser fut beaucoup plus tendre, plus doux et il invitait à des promesses bien moins évocables ici, Merrick était cependant en mesure de refuser ou d’accepter, ne fallait-il pas oublier que la Chantauvent restait faiblarde et pas très expérimentée.
Ce fut encore une poignée de jour qui avait fini par s’écouler, peut-être quelques semaines avant que le duo ne rentre enfin à Marbrume pour faire une macabre découverte. Si le couple avait finalement recollé un morceau, la réalité venait démontrer que plus que jamais allait-il devoir être solide à deux, ensemble sans quoi, la survit serait définitivement atteignable, pour l’un, comme pour l’autre. L’espoir était cependant de mise, puisqu’un véritable oui fut formulé ce soir-là, une nouvelle fois, sans condition cette fois. Il n’y avait que la mort qui permettait réellement de prendre conscience de l’important.
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