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| Alphonse de Sarosse [Validé] | |
| Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Alphonse de Sarosse [Validé] Jeu 30 Avr 2020 - 19:45 | | | Alphonse, la mort est-elle délivrance ou condamnation ?◈ Identité ◈ Nom : de Sarosse
Prénom : Alphonse
Age : 24 ans
Sexe : Masculin
Situation : Veuf
Rang : Noble fugitif. En quelque sorte, bannis ?
Lieu de vie : Aucun pour le moment.
Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs :
Carrière du vagabond; +2 en intelligence et +2 en charisme.
Compétences et objets choisis :
Compétences :
- Étiquette - Niveau 1 - Sens du détail - Niveau 1 - Chance - Niveau 1 - Empathie - Niveau 1
Objets :
Aucun équipement et aucune arme.
◈ Apparence ◈
Ses yeux aussi bleus qu'un ciel d'été aurait eu la possibilité de le rendre beau. Or, le ton de ses globes oculaires ne fait que ressortir sa pâleur et son teint blême. Sa mine blafarde est aussi accentuée par les cernes violacés situés en dessous de ses iris, souvenir bien trop vivace de ce manque de sommeil pugnace et tenace, maintenant qu'il est un fugitif. Le reste de son visage est élancé. Ses pommettes sont hautes, accentuées par la malnutrition qui a causé des ravages en creusant ses joues. Quasiment imberbe, Alphonse avait l'habitude d'être rasé de près. Aujourd'hui, maintenant que son apparence est bien loin d'être une priorité, quelques repousses de poil éparses peuvent parsemer ici et là ses joues et son menton carré. Toutefois, cette repousse ne sera jamais bien fournie, plus chimère d'une pilosité faciale que barbe. Sa bouche, plus souvent pincée qu'ouverte, ne dévoile que rarement ses dents dans un sourire ou un rire.
Ses cheveux noirs ne le rendent pas plus spécifique qu'un autre. Auparavant bien coiffé et "savamment" disposé, sa crinière est désormais plus tignasse que coiffure. N'étant plus que le pâle reflet d'eux-mêmes, ses cheveux sont sales et emmêlés tandis qu'il n'a pas réellement le temps de les laver ou de s'en soucier. Subséquemment, sa chevelure de jais se tortille en tout sens. De son propre aveu, le jeune de Sarosse a des mains trop graciles, des doigts de noble qui auparavant n'avaient jamais connu le froid de l'hiver ou la rigueur du travail. De fait, par le passé, on avait tendance à lui faire remarquer que sa poigne manquait de fermeté. Aussi littéralement que métaphoriquement parlant, il va s'en dire.
Toujours est-il que les choses sont un peu différentes désormais. Bien que ses mains ne soient pas plus épaisses, ne comportant point encore les callosités rugueuses d'une vie à manier la bêche, la hache ou la lame, ces dernières portent les stigmates de son existence, alors que ses ongles sont cassés de ses errances et rongés à cause de ses souffrances. En outre, plusieurs minces et fines cicatrices parcourent ses dernières. Le jeune homme pense que celles-ci lui permettent de relativiser son ancienne vie de mondain et de réaffirmer sa piètre apparence de fugitif et vagabond. Or, à bien y regarder, ces balafres sont des échecs à manier un couteau pour dépecer, par exemple, ou des brûlures pour démarrer un feu. Preuve irréfutable de son inexpérience et de son manque d'efficacité en la matière.
Grand et élancé, le manque de nourriture et d'entraînement le rend, au mieux, efflanqué pour certains, au pire, rachitique pour d'autres. Cette physionomie pourrait être améliorée, ou sublimer, par une quelconque prestance ou posture. Toutefois, il est loin de maintenir un port altier. De fait, plus souvent penché que droit, les épaules tombantes, Alphonse ne dégage aucunement un calme impérieux ou une froide sérénité. Suivant la même courbe descendante que son buste, son menton tombe généralement vers le sol, permettant à son regard de se faire fuyant.
Que dire de sa tenue ? De préférence sombre et terne, chose qui n'a pas changé qu'il soit nanti ou miséreux, Alphonse ne fait pas le difficile, récupérant ce qui peut l'être pour résister au mauvais temps et au froid de l'automne ou de l'hiver. Au final, bien que loin d'être laid, sa tendance à s'écraser ne lui rend guère justice ou service. Plus souvent effacé et oublié, il n'attire, de prime abord, aucunement l'attention.
◈ Personnalité ◈
Manipulable à souhait, Alphonse a la manie de penser qu'il est le seul fautif de ce qui lui arrive. Ayant tendance à s'effacer au profit des autres et à laisser passer les problèmes, l'ancien nanti est plus faible que fort de caractère. Bien que n'étant pas, à proprement parler, un couard, il ne trouve, de manière générale, pas la force ou les raisons lui dictant de se contrarier et de se révolter. Ayant été constamment utilisé par ses pairs et ses proches à cause de son nom, le jeune homme en est resté fortement influençable par ceux qu'il se représente comme étant une figure d'autorité ou faisant mine d'être amical. Plus suiveur que meneur, plus brebis galeuse que loup vorace, le jeune de Sarosse aurait eu la force de son nom pour mener, mais se retrouve plutôt prisonnier de celui-ci, assujetti aux manipulations d'autrui. Ainsi, que ce soient pour partir en quête de renommé ou de vengeance, Alphonse peut-être l'outil de toute personne malintentionné.
Toutefois, ayant eu droit à une éducation d'exception, le fugitif est loin d'être un idiot. Vif, posé, calme et réfléchi, il demeure en mesure de rivaliser d'esprit avec les cercles mondains de Marbrume. Sans pour autant être un érudit avide de connaissances, il n'en reste pas moins un sang bleu qui aurait été parfaitement à son aise dans le monde noble de l'Esplanade et son rythme de vie aussi effarant que décadent. Bien que pouvant être de plaisante compagnie, il n'est pas réellement un bon vivant, plus habitué à être esseulé, isolé et morose. Subséquemment, le jeune homme est donc mieux armé pour mener une conversation d'individu à individu. Ce faisant, il renvoie une image contrastée en ce qui concerne ses capacités sociales.
De tendance altruiste, l'ancien noble commence peu à peu à déchanter, n'ayant d'autre choix que de côtoyer la triste et terrible réalité de sa condition de paria. Encore insuffisamment malmené par son nouveau train de vie, de Sarosse s'accroche toujours au mince espoir véhiculé par l'entraide et le dévouement. Pour autant, cette vision idyllique disparaîtra sans aucun doute suite à ses pérégrinations s'annonçant mouvementées, alors que son innocence et sa fraîcheur ne s'accordent point à la terreur et la noirceur de son existence.
Croyant sans être un fervent pratiquant, ou un insignifiant déviant d'un culte quelconque, le jeune de Sarosse est hésitant auprès des Trois, ne comprenant guère leur machination vis-à-vis de sa personne. Voguant de récif en récif, n'évitant aucun écueil ni bas-fond, l'ancien nanti baigne dans l'incompréhension sur ses fautes lui méritant pareil tourment. Il commence à penser que la Trinité à un sens de l'humour bien macabre ou que cette dernière tente de faire sombrer l'ensemble de l'humanité.
Amère, fatigué et hargneux envers la vie et le roi, il n'en reste pas moins incapable de prendre une quelconque mesure pour partir en quête de vengeance. Ainsi, Alphonse est le genre d'homme à fixer le large à partir du rivage sans jamais entreprendre le voyage. Se diminuant et se rabaissant constamment, il ne croit pas qu'il est en son pouvoir de partir quémander justice au nom de sa famille. Abandonnant avant d'avoir entrepris la moindre action, ployant sous le poids et le contrecoup d'une existence à n'être rien, le jeune homme ne cherche pour l'instant qu'à survivre, se maudissant au passage d'être aussi inutile et faible.
Toujours est-il qu'Alphonse de Sarosse est à un embranchement. Seul l'avenir sera en mesure de nous dire si le jeune homme s'embrasera sous la colère pour vivre, ou courbera encore l'échine, se cachant pour survivre.
◈ Histoire ◈ Sarosse, avril 1142 Au bout du chemin principal, lorsque l'on vient des fortifications, on trouve le Passage. Bien que simplement nommé il n'en est pas moins fidèle à son appellation, permettant de se déplacer entre la rue des échoppes et celle des forges. À la limite de ce dernier se dresse la herse du domaine, frappé des armoiries de la famille. Au-delà, les jardins bien entretenus, parterres se parant de multiples couleurs au printemps. Puis, la porte d'entrée du manoir s'ouvre sur une volée de marche. C'est en haut de celle-ci que tout commença, plus précisément derrière la quatrième porte close du couloir.
De fait, c'est là que commença mon histoire.
-"Comment l'appellerons-nous ?"
Comme à son habitude, Cyras de Sarosse avait sûrement gardé le silence durant quelques instants après le questionnement de son épouse. Triturant potentiellement sa moustache en quête d'une idée, il devait avoir fini par claquer des doigts alors que mon diminutif lui venait à l'esprit et que ses yeux se paraient d'un vif éclat de sagacité ô combien passager.
-"Nous l'appellerons comme son arrière-grand-père. Alphonse de Sarosse." Il va s'en dire que je déteste mon prénom. Tiré de cet arbre généalogique qui fait la fierté de ma famille, le prénom qui me fut offert devait avoir pour espoir de me rendre aussi fort et grand que mon ancêtre avait pu l'être. Sur le coup, l'idée avait probablement semblé savamment trouvée par mon géniteur, tandis que ma naissance avait été plus que compliquée et que j'avais failli être mort-né. Sans qu'il ne me l'ait jamais avoué, j'ai l'intime conviction qu'il espérait en quelque sorte faire rejaillir sur moi la gloire et la solidité de mon aïeul, lui qui avait été un puissant combattant reconnu dans le Morguestanc. Or, qu'importe ce qu'il avait désiré, rien de tout cela ne m'est arrivé. Je suis resté faible, sujet à des crises qui se déclenchaient au moindre effort trop intense. Lorsqu'elles se produisent, je pars vainement en quête de mon souffle, alors que l'air se raréfie jusqu'à disparaître complètement de mes poumons. Par la suite, je me retrouve vacillant et nauséeux durant plusieurs heures, inapte à réfléchir clairement. Sans l'ombre d'un doute, avec le temps, mon père avait dû regretter sa décision de me nommer ainsi. À ses yeux, je déshonorais probablement mon prédécesseur en le confondant avec ma médiocrité, moi qui étais plus impotent qu'important. ◈◈◈ Sarosse, juin 1153 -"Encore ?! C'est déjà la deuxième fois en une heure." -"Pitoyable."
Recroquevillés dans une position fœtale, des points noirs dansaient devant mes yeux alors que je n'arrivais pas à reprendre mon souffle. Le visage écrasé contre le sable, mes doigts s'étaient pliés pour former des griffes qui creusaient des sillons maladroits dans la poussière et la terre, comme s'ils étaient en mesure de labourer suffisamment profondément pour trouver cet air qui me manquait tant. Pour l'heure, j'étais pris de convulsion qui finirait par se transformer en tremblement. Par la suite viendrait les nausées, les maux de tête, et lorsque je serais seul, les larmes.
-"C'est dommage, il était prometteur." -"Ouais, c'est dommage." -"Je crois qu'il voulait être chevalier." -"Il ne faudra pas trop compter là-dessus, à se tortiller comme ça. On dirait presque une anguille, tu ne trouves pas ?"J'ai toujours été sidéré de voir à quel point mon état pouvait me transformer en moins que rien. Ces hommes d'armes à la solde de la maisonnée me donnaient encore du "jeune maître" quelques instants plutôt, tandis qu'ils tentaient de m'inculquer les bases de l'escrime. Certes, quidams aussi patibulaires que revêches, ils ne me respectaient guère pour celui que j'étais, du haut de mes onze ans, mais plutôt à cause de ma noble naissance. Toujours est-il que le résultat restait sensiblement le même et que leur politesse frisait l'exagération constante. Toutefois, à partir du moment que se déclenchait mon malaise, c'était comme si je devenais absent, comme s'ils se trouvaient en face d'une bête, parlant de moi au passé et me faisant sentir tel un mort ou un être condamné à le devenir. Bien que la plupart se doutaient que je sois en mesure d'entendre, cela n'y changeait rien, eux qui se permettaient toutes sortes de commentaires. Durant un court laps de temps, je m'affaissais et eux me supplantaient. Durant quelques instants, j'étais une aberration qui n'avait plus rien d'un sang bleu, alors que ma faiblesse suppléait ma noblesse. Lorsque enfin je réussissais à reprendre pied, à retrouver une bouffée d'air qui m'avait cruellement manqué, nos regards se croisaient et bien que mes yeux criaient mon ressentiment d'être traité de la sorte, je ne disais jamais rien, m'enfermant dans mon mutisme devenu ma dernière ligne de défense. J'étais honteux et je ne pouvais pas ne pas donner raison à l'ensemble de leurs dires. De rage et de haine, je me mordais la lèvre au sang et me relevais lentement. C'est à cet instant que l'un des guerriers me souriait poliment en récitant à chaque fois la même sentence; "Prêt à reprendre, "jeune maître" ?" Et moi, tel un bon chien revenant auprès de son maître après que celui-ci l'ait rossé, je hochais la tête en silence, la gorge déchirée par l'opprobre. C'est probablement à cause de ces épisodes que depuis je tente toujours de vivre mes malaises isolés. À chaque fois que je les sens poindre à l'horizon, je tente de me cacher et de m'éclipser. Du moins, lorsque j'en ai l'occasion...Plus fréquentes durant ma jeunesse, alors qu'on me forçait à les déclencher en espérant que je puisse en triompher, celles-ci s'espacèrent avec le temps, alors qu'on ne me demanda plus le moindre effort physique. Ainsi, même en approchant de l'âge adulte, je restais tel un nourrisson, n'ayant plus rien à faire. J'étais au pire rejeté, au mieux materné... ◈◈◈ Petit temple de Sarosse, décembre 1957 -"Nous ne savons plus quoi faire pour l'aider."
Le silence s'éternisa quelques instants avant que l'homme de main de mon père reprenne la parole. Plissant les yeux et pinçant les lèvres, l'agent transperça de son regard le prêtre qui lui faisait face. "Comment osez-vous dire cela ? Après tout les dons au temple de la part du comte de Sarosse ?" Évidemment, cela n'était aucunement des menaces, tandis que le clergé restait intouchable. C'était simplement le désespoir de devoir ramener la nouvelle à son maître, mon père.
Tournant la tête à droite et à gauche, satisfait de ne voir aucune âme dans les alentours, et sachant qu'il ne me comptait probablement par pour un individu, le prêtre continua d'un ton plus rapide et plus bas. "Écoutez, son... aide n'y changera rien. Nous avons prié, nous avons tenté toute sorte de traitement à base d'eau chaude, de saignée et d'herbes sans voir la moindre amélioration de son état. Il faut... il faut voir cela comme la volonté des Trois. Nous ne pouvons rien faire pour changer cela. Nous devons nous en remettre à leur volonté. N'est-ce pas ?" Termina-t-il en tournant enfin la tête vers moi et en me souriant avec compassion.
J'eus soudain l'envie de me révolter et de l'attaquer. Mais comme d'habitude, je ne fis pas mine d'esquisser le moindre mouvement. Ainsi, ce n'était point la lame qui avait dicté mon existence. De fait, je n'avais aucunement été destiné à diriger, à ordonner ou à mener des hommes au-devant de la guerre et face à la mort. Bien que j'ai ardemment désiré revêtir le surcot de chevalier et me draper dans les honneurs de cet ordre, cela me fut refusé, aussi bien par ma parenté que par la société, alors que ma santé me l'y empêchait. J'étais simplement trop faible, inapte à devenir cedit modèle de vertus. J'avais pourtant continué à m'entraîner, me poussant jusque dans mes derniers retranchements, m'arrêtant au point de rupture, commençant à reconnaître les signes avant-coureurs des crises. Sans l'ombre d'un doute, j'étais assez habile au combat. Toutefois, cela n'y changeait rien, tandis que le temps était un ennemi trop puissant pour moi, lui qui finissait toujours par saper mes forces durant l'effort et m'amener à rendre, en quelque sorte, mon dernier souffle. Par ailleurs et par chance, mon destin ne m'a pas non plus guidé sur la voie des Trois, là où je n'aurais eu de cesse de me plier pour prier, de ployer l'échine pour prêcher et de me prostrer pour le bon plaisir de la Trinité. Sans être hérétique ou assez fou pour ne pas croire en l'existence des divinités, ni être assez stupide pour devenir un déviant priant l'inexistant Etiol, je n'éprouvais qu'un vague sentiment fluctuant et hésitant en ce qui concernait les déités. Depuis que les ferventes prières, offrandes et autres rituels n'avaient pas amélioré mes problèmes pulmonaires, je continuais de leur tenir rigueur de m'avoir abandonné à mon triste sort. Plus jeune, j'avais rampé bien bas, pleurant toutes les larmes de mon corps pour avoir la chance de réellement devenir quelqu'un, d'avoir l'opportunité de tenir les armes et d'avoir enfin l'honneur de porter mon nom. Finalité que les Trois m'avaient, semblerait-il, refusé, me gardant prisonnier de mon corps malingre et de ma santé vacillante. Quand bien même ma vie ne prit point les chemins généralement suivis par la pléthore de cadets des familles nobles, c'est-à-dire la chevalerie ou le clergé, mon avenir restait tout de même tout tracé, enfermé dans une gangue inexpugnable, guidé par une seule et unique chose; la force de mon nom... ◈◈◈ Manoir de Sarosse, janvier 1960 -"Que penses-tu de Marie ?
Assis face à ma mère, Euphémia de Sarosse, je ne fis que hocher la tête en souriant doucement. Sa question n'en était pas véritablement une. Elle agissait plus par politesse qu'autre chose, me parlant d'une femme à la beauté plus que quelconque, fille d'un baron tout aussi quelconque.
-"Son père semble prospérer en affaire. En outre, il a directement accès aux cargaisons en provenance du..."Et voilà où elle voulait en venir. Je ne l'écoutais plus, elle qui déclamait son monologue, égrenant les mots un a un pour m'arrimer à un mariage que je le veuille ou non. Mon avis n'était pas nécessaire et ma nouvelle utilité était toute trouvée; consolider une quelconque alliance par mes fiançailles. En ces années, il avait été attendu de moi que je baigne dans la vie mondaine du duché, voguant de bal en cérémonie, rencontrant bourgeois et nantis jour après jour. J'étais un noble de robe et de cours. Cette vite était bien loin de celle que j'avais voulue. Durant ce temps, ma mère partait en quête d'une moitié pour fomenter un mariage à même de consolider la puissance de la famille. De prime abord, l'ensemble des propositions semblait indigne d'un de Sarosse. Pourtant, je ne pouvais malheureusement pas être de ceux faisant la fine bouche, représentant véritablement un mauvais parti pour autrui à cause de ma santé et de mon avenir qui s'inscrivait en pointillé. Après tout, tous ne me donnaient que peu de temps à vivre, prêchant l'imminence de ma mort ou a tout le moins, le risque exacerbé que celle-ci se produise tandis que j'étais souffrant. Par chance, bien que probablement loin d'être tendre à mon égard, ma future femme serait à tout le moins attendrie par le prestige de la lignée, réussissant potentiellement à faire fit du mauvais parti que je représentais au profit de la reconnaissance qu'épouser un fils de "grande famille" lui apporterait. C'était aussi lamentable que pitoyable. Toutefois, que pouvais-je espérer d'autre, moi qui ne pouvais me battre plus que quelques instants avant de devoir rendre les armes, sur le bord de la rupture et en quête d'un souffle inexistant ? Cette destinée, fortement axée sur mon futur mariage, faisait de moi le sujet de moquerie dans les hautes sphères de la société et de ma fratrie. En effet, cet effort très poussé de marier sa progéniture pour assurer une pérennité et des alliances à la famille était généralement concentré et consenti pour les femmes de noble lignée et non pour leur fils. Non pas que le mariage n'était point important pour eux, loin de là. Simplement, l'ensemble de leur existence ne tournait pas autour de cette question de fiançailles. Ainsi donc, j'étais la risée de mon entourage. Pour autant, je restais de marbre face aux calomnies qui se chuchotaient dans mon dos. Non pas à cause d'une quelconque grandeur d'âme ou d'esprit à même de me permettre de passer outre ces diffamations à mon égard, mais simplement parce qu'ils avaient raison. Que pouvais-je donc dire ou faire pour les contrarier ou contrecarrer leurs vérités ? Il m'était impossible de restaurer mon honneur en faisant appel au combat, en fomentant une rixe, et personne ne viendrait me prêter un quelconque support. Dès lors, je n'avais rien de mieux à faire que de me taire et de tenter d'avancer sans être submergé par la honte ou les remords. Bien évidemment, je savais que ma vie ne se résumerait pas simplement à cela. En temps et en heure, une tâche bien quelconque m'aurait été dévolue. Probablement qu'il aurait été question de la gestion d'une petite affaire familiale bien triviale, vaine et ô combien futile. Ils m'auraient installé derrière un bureau, là où je ne pourrais plus perdre mon souffle ni ma contenance devant les railleries, là où je n'aurais point à prendre les armes ou la parole pour défendre une quelconque cause embrasée par ma maison. Tassé, caché et mis de côté, je serais oublié de cette grande histoire, de cette splendide fresque que désirait ardemment créer mon père. Ainsi, on attendait de moi que je me marie et que je meure sans déshonneur. Tel le fils de bonne famille que j'étais, je l'acceptais sans rechigner et sans broncher, faisant des volontés de mes parents mes priorités, oblitérant ma propre existence pour un nom plus important que mon prénom, pour un nom plus important que ma propre vie... De Sarosse. ◈◈◈ Sarosse, novembre 1163.
-"Mes félicitations pour votre mariage." -"Merci, nous en sommes...fort heureux, à tout le moins."Avec du recul, il est difficile à dire qui de moi ou de Marie avait le sourire le plus pincé. Il était tout aussi ardu de savoir qui était le plus heureux de cette union. L'un comme l'autre, ces fiançailles avaient été vécues sans la moindre passion ni la moindre envie. Bien que pour moi cela ne symbolisait qu'une autre étape dans mon existence dictée par mes parents, je pense que ce fut plus difficile pour ma femme qui était éprise d'un autre homme. Évidemment, celle-ci se fit forcer la main par son propre géniteur, sachant que je représentais une meilleure option que ce que pouvait généralement espérer une fille d'un si petit baron. Ainsi, notre mariage ne fut point commué dans le bonheur et notre courte vie à deux ne fut aucunement douce et heureuse. Loin d'être une mauvaise épouse, respectant fidèlement son devoir conjugal, il n'en restait pas moins que ses yeux me survolaient, lorsqu'elle pensait que je ne le voyais pas, avec déception et dédain. Pour autant, je ne disais rien, m'enfermant dans un silence complice. Si mon avenir avait suivi le même morne chemin jusqu'à son dénouement, ma vie se serait résumée à cela. Or, c'était sans compter sur l'événement qui chamboula l'ensemble de mon existence et celle de la population du royaume de Langre au grand complet... l'apparition de la fange et le déclin de l'humanité. ◈◈◈ Sarosse, Juin 1164 -"Ces monstres impies s'extirpent de l'eau stagnante des marais tels des spectres aquatiques, arborant les cicatrices de leur précédent meurtre et de leur périple de non-morts. Incapables de proférer le moindre murmure, condamné au silence par leur langue devenue aussi flétrie que leur chaire, ils s'avancent sans peur, chassant l'homme tel des prédateurs. Recouverts du limon des tourbières, ils ne font pas qu'attraper les imprudents se risquant dans les marais, mais vont jusqu'à attaquer..."
-"C'est assez." Argua Cyras de Sarosse en coupant le prêcheur de mauvaise nouvelle. Se levant de sa chaise, et déposant les mains sur la grande table, il fronça des sourcils devant l'homme venu mettre des mots sur les rumeurs des monstres qui parcouraient le royaume. Il était évident que mon père croyait que cela n'était que des sornettes et des racontars, des rumeurs portées par les petites gens pour attirer l'attention des puissants. "Vous avez fait un long voyage et semblez avoir besoin de repos." Le congédia-t-il l'homme qui avait été retrouvé errant sur ses terres et en proie à une crise de panique. "Vous pouvez l'escorter."
Me relevant dans un bond, regardant cette âme en peine de ne pas être cru et balafrée par une terreur digne d'un conte pour enfants je pris la parole, coupant le congédiement ordonner par mon père, me dressant quasiment pour la première fois contre sa volonté. "Attendez !" Dans les yeux de cet éploré, je me revoyais moi, incompris et meurtri par les pensées d'autrui.
-"Gamin...!" me menaça mon géniteur. -"Comment ? Comment les appelle-t-on ?"
Le regard éteint du conteur se posa sur moi. Il garda le silence, laissant le temps s'égrener. "Fangeux".Aujourd'hui encore je me demande si cela aurait fait une différence si nous avions cru à son histoire, si nous avions pris au sérieux la menace de ces bêtes qui allaient déferler sur l'ensemble du royaume et plonger le duché dans la calamité, et sa quasi-finalité. Je ne suis pas stupide. Je ne crois pas que nous aurions eu la chance de résister vaillamment à leur apparition sur nos terres. Toutefois, si nous avions perçu la vérité dans les mots de cet homme, peut-être que mon père aurait abandonné sa rivalité avec le Duc, se concentrant sur la survie plutôt que sur son envie de pouvoir. Mais il est trop tard pour ce genre de question, maintenant que le diminutif de la maisonnée est plus connu par les événements que je vais conter, l'affaire de Sarosse, que par le prestige de sa lignée... ◈◈◈ Porte du Crépuscule, Marbrume, Septembre 1164. Nous étions amassés, là, en contrebas de celui que mon père avait calomnié et juré de destituer. Agglutinés au plus près de ces remparts qui ne nous protégeaient pas, mais nous coupaient plutôt de toute chance de sécurité, nous étions pris au piège. Ce qui restait de la famille de Sarosse et de ses plus fidèles alliés après la traversée du Morguestanc jusqu'à Marbrume faisait pâle figure à voir. L'ancienne splendeur et vigueur de ces nobles familles n'étaient plus que mirage, alors que ces gens autrefois présomptueux et prétentieux n'en menaient plus large. Tous étaient prêts à se couvrir d'opprobre pour survivre et se réfugier derrière les murs du dernier bastion de l'humanité.
Quand bien même, les portes restaient résolument close pour nous tous, nantis qui avaient fomenté une cabale, ourdissant un complot pour renverser Sigfroi de Silvur, ou a tout le moins pour saper son autorité. Nous étions à sa merci, à le supplier lamentablement d'ouvrir la porte alors que les prédateurs de l'humanité étaient sur nos talons, commençant à déchirer et déchiqueter nos rangs de leurs griffes. Bien que Sigfroi était un dirigeant intransigeant, il était peut-être venu l'heure du jugement pour nos crimes ou notre complicité dans l'affaire, sachant que personne n'agissait par bonté ou grandeur d'âme. En effet, ce parjure que ma famille voulait commettre n'était point articulé autour de l'idée de libérer les masses de l'omnipotence harassante du despote, mais plutôt de gagner en pouvoir et puissance en fomentant la révolte. Rien ne méritait donc une once de compassion dans cette mer de tension dans laquelle nous nous noyions.
Au plus près des murs, et donc au plus loin des prémices du massacre de la fange, j'entendais les cris de terreur et les tourments qu'infligeaient les monstres à nos gens. Plus blême qu'à l'accoutumée, trempé d'une sueur froide et habité par la frayeur de ne pouvoir en réchapper, j'observais mon père et son opposant se regarder en chien de faïence, campé sur leur position intransigeante. Ô oui, nous savions tous qui tenait la dragée haute à l'instant même, alors que le duc ordonnait à Cyras de présenter des excuses publiques pour ses discours calomnieux, satirique, ainsi que pour ses velléités de félonie. Au milieu des cris de combat et de mort, au centre de la peur et des pleurs, les partisans de Silvur et de Sarosse tentaient vainement de faire entendre raison à leurs deux représentants. Toutefois, constitué de la même trempe, aucun des deux ne voulait flancher devant son ennemi de toujours.
Au milieu de tout cela, je revois encore ma mère essayer de supplier mon père, elle qui n'osait pourtant jamais se dresser contre ses décisions. Sa coiffure sophistiquée n'était plus que chimère, emmêlée par notre fuite de nos terres et notre quête de sécurité. Les larmes avaient rougis ses yeux et creusé des sillons dans la crasse accumulée sur son visage. Sa mine était défaite, tandis qu'elle commençait à percevoir la finalité macabre qui s'annonçait.
La cité qui avait toujours symbolisé notre mère patrie devenait notre damnation.
Le cercle de brave et de courageux nous défendant s'amenuisait, s'amoindrissant de seconde en seconde. Mes trois frères aînés étaient partis mener la dernière défense, alors que moi je restais là, sagement immobile et largement inutile, à regarder deux vieillards se défier du regard. C'était stupide. Infiniment stupide. Mon géniteur devait simplement et seulement, pour une fois dans sa vie, plier et ployer l'échine. Était-ce trop compliqué à comprendre ou trop difficile à faire ? Pour moi qui avais vécu ma vie prostrée, je ne voyais pas pourquoi Cyras se montrait aussi ferme. Pour autant, je gardais le silence. Encore et toujours cet horrible silence me condamnant à ne point être acteur de ma vie, mais plutôt spectateur de sa déchéance et de son déclin.
Je fus tiré de ma rêverie toute morbide par les doigts de Marie venant se glisser dans ma main. Derrière nous, les créatures étaient désormais visibles, abattant leur sombre besogne à une vitesse quasi surnaturelle. Là où un monstre se dressait, dix hommes et femmes tombaient. Recouverts de sang, les fangeux qui avaient généralement une couleur verdâtre ou grisâtre affichaient désormais une couleur rouge. Les flammes de nos torches et des feux sur les remparts se réverbéraient sur l'acier des lames et des casques, sur l'émail de leurs crocs acérés et de leurs griffes affûtées. "J'ai peur, Al'." Les yeux pleins de larmes, celle qui ne me regardait que pour me dénigrer silencieusement me suppliait désormais de lui apporter réconfort et support. Que pouvais-je faire ? J'étais aussi perdu qu'elle, complètement effacé de la trame des événements symbolisant fatalement le dénouement des de Sarosse. Je ne lui offris aucun mot apaisant ni aucune pression encourageante. Je n'avais même pas le moindre bout de ferraille à dresser entre nous et la mort, moi qui ne serais considéré que comme un poids si jamais je devais me battre.
-"C'est insensé..." fut tout ce que je réussis à dire. Nous qui étions armés jusqu'aux dents pour faire face aux crocs, nous qui étions harnachés de l'acier le plus épais du Morguestanc, nous qui étions entourés de la fine fleur des combattants de notre comté et de nos plus fidèles alliés, nous ne pouvions même pas nous mesurer à ces bêtes sorties tout droit des marais et des limbes du trépas. Ils ne reculeraient pas, continuant à nous acculer, alors que mort ils ne se méfiaient pas de notre fer, ne craignaient plus le tombeau.
Finalement, au bout d'un temps bien trop long, mon père brisa, demandant la pitié et le pardon, alors qu'il venait de voir son neveu qu'il chérissait tant périr sous les coups des monstres. En larme, il bégaya son discours. J'étais étonné de le voir aussi misérable et miséreux, lui qui était généralement si fier. Aurait-il pleuré autant si c'était moi qui serait mort directement sous ses yeux ? J'avais de gros doutes. Toujours est-il que son affaissement et son abaissement devant le duc n'y changèrent rien; les portes restaient closes et je le sus à l'instant même;
Aussi longtemps que de Silvur serait duc du Morguestanc, les portes resteraient à tout jamais close pour notre famille, vouée à disparaître dans l'ignominie de l'oubli.
Je n'ai survécu que grâce à un concours de circonstances. Peut-être qu'à l'instant fatidique, la Trinité décida de se montrer miséricordieuse et compatissante à mon égard, elle qui m'avait déjà bien fait souffrir, et qui continuerait à le faire, de par mon inaptitude physique. Ou alors, peut-être qu'elles me réservaient de bien pires maux en un avenir plus terrible encore. Que ce soit par bonté ou malveillance que les Trois me préservèrent du trépas, qu'importe. Le fait est que je survécus à cette nuit pour succomber lorsqu'ils en jugeraient bon.
Ceux qui avaient tenté de fuir et s'enfuir furent tués, complètement encerclés et déchiquetés par la masse sans cesse plus importante de monstres. Ceux ayant continué à combattre avaient aussi fini par périr, n'étant pas suffisamment nombreux ou puissants pour gagner cette âpre lutte. Pour ma part, je fus caché par le corps de Marie, morte sous mes yeux tandis que les doigts osseux d'un fangeux transperçaient sa gorge, m'aspergeant d'un flot de sang. Rapidement suivit par les cadavres des individus m'entourant, je fus préservé et protégé, écrasé sous l'entassement des macchabées. Criant à m'en déchirer la gorge, pleurant et gémissant en croyant mon heure arriver, alors que je sentais les corps bouger au-dessus de moi, probablement à cause du morbide festin auxquels les fangeux s'adonnaient, je fus forcé au silence tandis que je m'étouffais dans le sang des victimes qui s'écoulant dans mon gosier. Le goût du fer s'empara de ma bouche alors qu'ironiquement je n'avais pu user de l'acier pour nous préserver. Le visage inexpressif de mon épouse me regardait encore, semblant me juger pour ma médiocrité. Puis, je fus obligé de fermer les yeux, tandis que les flots d'hémoglobine s'écoulaient sur ceux-ci. Finalement, je fus sauvé par les hommes nous ayant condamnés à mort, la milice du duc qui se mit à tirer des flèches enflammées depuis les fortifications de la cité.
Cette attaque n'était aucunement une tentative d'aide. De fait, ce qui se trouvait en contrebas de leur position n'était déjà plus un champ de bataille, mais bien un charnier sans la moindre âme vivante. Du moins, de prime abord. Ainsi, leur agression contre la fange avait pour seul et unique but de défendre les murs de Marbrume en empêchant que les créatures restent dans la zone trop longtemps. Sentant les traits transpercer l'entassement me recouvrant, leurs chaleurs irradier, alors que l'odeur de chair brûlée me montait au nez, pleurant désormais en silence, j'attendais que les griffes des monstres ou que les flèches de mes bourreaux me transpercent une fois pour toutes.
J'attendis en vain jusqu'au matin, m'extirpant finalement de cet amas de mort et de monstre pour découvrir une vision d'horreur à jamais gravée dans mon esprit. ◈◈◈ Les Faubourgs, fin d'année 1164. "-C'est là. On rentre rapidement, on fait preuve de force si nécessaire et tout devrait bien aller. N'oubliez pas qui nous sommes."
"Nous". Six hommes dans la fleur de l'âge, regroupés devant une cabane en bois qui trônait à la limite des Faubourgs. De ce que nous savions, nous étions les seuls survivants de ce qui s'était déroulé au pied de la porte du Crépuscule. Compagnon d'infortune plus qu'amis, nous n'étions que des connaissances pour les uns et pour les autres. Toutefois, dans la misère, nous faisions contre mauvaise fortune bon cœur, s'alliant pour tenter de subvenir à nos besoins. Ainsi, la première étape était de prendre le contrôle d'une bâtisse pour survivre à l'hiver qui allait arriver. Oui, nous aurions pu prendre une bicoque abandonnée. Toutefois, celle-ci avait déjà été un peu rénovée par ses nouveaux propriétaires. Pour nous, fils de noble, mondain et nantis, il était plus simple de spolier le bien d'autrui, que de ne serait-ce que penser travailler de nos mains pour reconstruire une demeure d'aussi piètre envergure.
-"...Je, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée." Dis-je, tentant de faire entendre raison à mon entourage. -"Ne t'en fais pas, Al'. Reste derrière si tu veux. Tu es après tout plus...enfin, le combat ce n'est pas ton truc."
Peut-être que ses propos partaient d'une bonne intention, mais encore une fois, j'étais restreint à n'être qu'un fardeau à cause de ma condition. J'avais vu comment il m'avait regardé lorsque je les avais rejoints. J'avais perçu qu'ils n'étaient pas heureux de ma présence, mais encore trop habitué à être docile et servile devant les membres de ma fratrie pour m'expulser de ce groupe se formant.
-"Je vais le faire." Ai-je fini par conclure, ne pouvant accepter d'être encore relégué à l'arrière et oublié.
Lorsque-nous sommes rentrés, deux vagabonds aussi pitoyables que nous se levèrent. Ils furent rapidement renvoyés au sol. Ils furent martyrisés par six hommes ne souffrant pas encore de la malnutrition, alors que les poings volaient et partaient à la rencontre de toutes les parcelles de leur corps. Ils demandaient pitié, mais mon entourage n'entendait rien, expulsant la hargne et la colère de l'affaire de Sarosse sur ces innocents. Je participais à ce lynchage indigne de notre rang, membre infâme de cette meute de chiens que nous devenions.
Finalement, le calme revint, alors que nous les laissions fuir pour ne plus jamais revenir et que mes "compagnons" levaient leurs poings ensanglantés au ciel, se congratulant pour cette "victoire". J'avais participé à cette immondice, mais je ne me réjouissais pas de l'avoir commise. Pour autant, je fis comme eux, suivant le mouvement pour ne pas être abandonné, préférant me détester qu'être qu'oublié ou ignoré...À cause des événements qui allaient être connus plus tard comme l'affaire de Sarosse, j'aurais dû éprouver de la tristesse ou du chagrin. J'aurais dû être en colère et hargneux. Pourtant je n'éprouvais rien, morne comme l'endroit dans lequel nous résidions, mort comme mes parents qui avaient toujours dicté ma conduite, ma façon de penser et d'agir. Sans eux, j'étais perdu, incapable de penser ou réfléchir par et pour moi. Les regrettais-je pour autant ? Pas vraiment. Je ne les détestais pas au point de désirer leur mort. Toutefois, je n'éprouvais pas la tristesse que je savais devoir afficher, alors que le deuil ne m'abrutissait aucunement sous les contrecoups du chagrin. J'étais enfermé dans le marasme de l'ambivalence, sachant comment j'aurais dû me sentir et le fais de ne rien ressentir. En voulais-je à Sigfroi de Silvur ? Je crois que oui. Mais voulais-je mener la rébellion contre cette crapule en l'honneur d'un nom qui avait toujours été trop lourd pour moi, plus prison et carcan que salvation et liberté ? Je savais que non. Puis, ces réflexions disparurent lorsque l'hiver est venu. La saison s'ouvrit sur le frimas d'argent qui remontait le long des ruisseaux et des marais. La lumière des jours devint grise, alors que les paysages se fermaient, se parant de tons ternes et se préparant au morne temps. Habitués à vivre dans l'opulence, nous n'étions aucunement prêts à devoir lutter pour notre survie, incapable de concevoir ce que la faim et le froid nous feraient subir. Or, nous l'avons appris rapidement et à nos dépends, souffrant de ces manques que nous n'avions jamais connus abaissés aux mêmes niveaux que les gueux qui peuplaient auparavant les caniveaux de nos bourgs. Désormais, c'était nous les miséreux qui vivaient dans un fossé d'immondice que tous appelaient les Faubourgs. Qui plus est, comme pour nous narguer, nous étions continuellement dans l'ombre des murailles, nous rappelant cruellement que nous nous trouvions aux pieds des possessions de l'homme qui nous avait tout enlevé. Au crépuscule, la voûte céleste se parait peu à peu d'étoiles aussi froides que claires. Pourtant, nous restions tous de marbre devant pareil spectacle de ces soirs devenus bien trop hâtif. La faim et le froid nous rongeaient bien plus sûrement et rapidement que cette vision ne pouvait nous charmer. Transit, les doigts gourds, nous nous réfugions dans notre bicoque plus ruine que demeure pour tenter de nous protéger en vain du vent du nord, qui tombeur de feuille était désormais assiéger de repère, s'immisçant entre le bois pourri et vétuste, faisant craquer notre tanière de ses assauts inlassable et répétées. Finalement, sous les coups de l'épuisement, nous finissions par trouver le sommeil au moment ou la nuit s'achevait. Maigre sursis, le froid revenait rapidement nous enlacer et nous ronger, minant de sa présence notre existence. Au travers de cette existence faite d'attente et de douleur, il vint un temps où mes compagnons d'infortune arrêtèrent de parler de vengeance et d'ourdir de sombres cabales qui n'avaient aucune véritable chance de réussir. Eux qui avaient pourtant juré sur leur honneur d'acter leurs représailles contre le Duc n'en parlèrent plus, devenus muets sous les contrecoups cruels de la saison. Leur espoir de revanche devint aussi mort et décrépi que la nature de ce mois de décembre. L'ensemble de leurs longs discours enflammés se réduisirent tout simplement à ne plus être que quelques mots pour se plaindre de leur condition ou pour rêver à des temps jadis plus cléments. Ainsi, les dernières forces des de Sarosse et des familles alliées moururent à petit feu au milieu des Faubourgs et des indigents, et non pas aux pieds de la porte du Crépuscule avec le reste de leur maisonnée comme cela aurait dû être le cas. Enfin, un jour, la lente et amère agonie de l'hiver commença à se péricliter jusqu'à se pérenniser. Plus que l'ombre de moi-même, j'étais heureux de voir revenir le beau temps, ne sachant point que cette accalmie digne d'une hibernation sonnerait la reprise de mes malheureuses pérégrinations. ◈◈◈ Plateau du Labret, février 1165 -"Au nom du duc, vous êtes désormais mobilisé pour participer à la valeureuse reconquête du Labret !"Ainsi donc, j'avais été mis en marche en direction de la région rurale pour aider Marbrume à sortir de sa crise alimentaire, portant du même coup secours à l'ennemi de ma famille, Sigfroi de Silvur lui-même ! Évidemment, je n'avais pas eu mon mot à dire, raflé comme une grande partie des gens marchant à mes côtés dans les quartiers pauvres de la cité. Le Labourg, la Hanse, le Goulot et les Faubourgs avaient été vidés de l'engeance les constituant, cette masse de crève-faim qui était une piétaille plus facile à sacrifier que toute autre et plus encline à accepter de marcher au-devant de la mort pour un quignon de pains rassis. Toujours est-il que certains s'étaient rebellés contre cette conscription, refusant de risquer leur vie au-devant de la fange. Qu'importe leur récrimination, ils avaient été embarqués de grés ou de force, châtiés avec violence jusqu'à ce qu'ils obtempèrent. Devant pareille ignominie, sachant ce qui arrivait à ceux se révoltant et se révulsant du triste sort nous incombant, j'avais gardé le silence, blêmissant et hochant la tête lorsque l'homme d'armes avait décidé de m'embarquer dans cette folle aventure qui risquait de signifier ma mort. Affecté aux chariots, positionnés au milieu du convoi, ou plutôt de la procession mortuaire, je devais m'assurer avec le reste de la brigade d'infortuné que ces derniers avancent sans prendre trop de retard. De fait, bien que le temps était au beau fixe, les routes et chemins n'étant plus qu'empruntés par la mort, ou ceux voués à mourir, tels que nous, étaient dans un bien triste état. Des trous, des affaissements et la boue nous empêchaient de tenir le rythme, nous forçant à pousser derrière les chariots tandis que les attelages s'évertuaient à tracter le tout. Usant de morceau de bois glisser sous les essieux pour tenter d'éviter que le convoi s'enlise dans la tourbe, nous étions recouverts de la tête au pied de ce limon des marais. Pendant ce temps, remontant à toute allure et à dos de cheval la colonne, les nobles rejetons des familles nobles, que j'avais moi-même côtoyés, nous balançaient des ordres et des exhortations à accélérer le rythme. Le possible dernier représentant de la famille de Sarosse pataugeait dans la fange, tandis que les autres sangs bleus le forçaient à trimer comme une bête. Décidément, la Trinité avait le sens de l'humour...Au bout d'un moment, ni tenant plus, sur le bord de faire une crise, je du m'arrêter, chutant sur le sol, là, au milieu des salmigondis nous ralentissant. J'étais né dans la richesse et la soie. Maintenant, je baignais dans la boue et le sang... Alors qu'un milicien s'approchait pour me rosser et me redonner un peu de cœur au ventre, ne sachant point que mon problème n'était aucunement mon cœur, mais bien mes poumons, un long hurlement l'immobilisa comme le restant de la procession. La mort arrivait, descendant de la lande, fondant et se rependant dans nos rangs excessivement rapidement. Toujours au sol, entre les fracas des armes et les cris des morts, je fus renvoyé dans le passé, à cette nuit fatidique où mon déclin et celui de ma famille avaient commencé. Rampant comme une larve, glissant entre les corps, dans la boue et les fluides de la mort et de la peur, j'allais me cacher dans le chariot que nous avions tenté de tirer, priant une Trinité qui n'avait de cesse de me jeter au-devant du trépas. Mon cœur qui avait voulu battre pour la guerre haïssait désormais le combat et la bataille, honnissant le sang et la mort. Lui qui ne l'avait que par trop côtoyé, sans pourtant ne jamais tirer l'épée, n'en pouvait plus d'être livré encore et toujours à ces rencontres avec les prédateurs de l'humanité. Le sang et les viscères se rependaient allègrement, et bien que nous soyons forts de 2000 hommes, nous ne l'étions pas assez pour lutter contre ces créatures qui continuaient à nous faucher comme le blé que nous espérions trouver et semer au Labret. Les miliciens tombaient aussi facilement que les gueux, qui étaient rejoints tout aussi rapidement par les chevaliers et la noblesse, ne pouvaient mieux faire que d'ériger une défense désespérée. Puis soudain, là où notre force et nos efforts n'avaient pas suffi pour l'extraire de la gangue du cloaque dans lequel nous étions pris, la terreur suffit, donnant un élan aux chevaux pour extraire les essieux de la fange et nous éloigner des bêtes portant le même nom. Je venais d'avoir la preuve que la peur donnait des ailes... Sous le coup de la panique et sans mes problèmes pulmonaires, j'aurais probablement entrepris de fuir moi aussi, comme bon nombre des pauvres ères désarmées qui s'était trouvé abandonné devant les crocs et les griffes de nos opposants. Ainsi, ma mauvaise santé me sauva, tandis que la débâcle signifia la mort pour l'ensemble des déserteurs. Le trépas était l'unique finalité possible pour ceux finissant seuls ou isolés dans les marais. Caché dans le chariot tiré par un attelage sans cocher, j'atteignis le plateau du Labret et plus précisément les ruines du village de Usson. -"Alphonse !"◈◈◈
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| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Jeu 30 Avr 2020 - 21:55 | | | ◈ Suite ◈ Usson, juillet 1165De prime abord, je n'avais même pas su que mes compagnons d'infortune avaient eux aussi été attrapés contre leurs grés pour mener à bien la reconquête. C'est en déboulant et débouchant sur Usson que ma route avait recroisé la leur. De notre groupe de six survivants du massacre de l'affaire de Sarosse, puis de notre exode forcé jusqu'au Labret, nous n'étions plus que trois. Nellian de Serre, Quentin de Marais et moi-même. Nous ne savions pas ce qui était arrivé à Charles, resté aux alentours de Marbrume, unique chanceux -ou malheureux ?- ayant évité la rafle de la milice. Toutefois, il avait la chance d'avoir un avenir, au détriment de Lucien, mort durant notre cheminement jusqu'aux ruines du village d'Usson. Ainsi, nous nous retrouvions à nouveau à vivre ensemble dans une demeure un peu moins médiocre que notre précédent repère, travaillant et usant nos mains peu habituées à trimer dans les champs sous les ordres et la tutelle d'un grand gaillard qui avait l'expérience du métier de fermier pour nous diriger. Notre vie en ces lieux n'était pas réellement plus facile qu'elle ne l'avait précédemment été. Les problèmes et difficultés étaient simplement différents, mais tout aussi mortels. Ainsi, bien que nous ne pouvions aucunement faire bombance ou ripaille, notre nourriture était plus présente qu'inexistante et le froid de l'hiver n'était plus qu'un fugace souvenir dans notre mémoire, nous qui étions écrasés par la chaleur suffocante du soleil de plomb de ce mois de juillet 1165. Toutefois, ces maigres gains étaient bien vite oubliés à cause de la fange. De fait, ils n'étaient jamais bien loin, alors que nous trouvions souvent en nous réveillant les habitants, d'une chaumière mal protégés ou insuffisamment barricadés, déchiquetés par la bestialité de ces infâmes prédateurs de l'humanité. De fait, peut-être que les gens de Marbrume parlaient de "reconquête du Labret". Tel n'était pas notre cas. Certes, le futur leur donnerait raison, alors que l'événement de notre marche forcé prendrait ce nom dans les mois à venir, lorsqu'il serait question de parler des prémices de notre arrivée sur le plateau. Toutefois, pour nous qui étions sur place dès le départ, il était impossible de parler d'une quelconque conquête. Nous le savions bien, nous qui avions perdu la moitié des gens cheminant à nos côtés, nous qui regardions constamment au-dessus de nos épaules, craignait de voir apparaître les cadavres. Rien n'y faisait pour oblitérer ce malaise ambiant et ce climat délétère. Même le soleil trônant à son firmament ne nous réconfortait guère. Il en allait de même pour les miliciens, ces combattants aigris et usés qui enserraient plus fermement leurs armes et qui priaient avec ferveur les Trois. Ces hommes et femmes devaient regretter les hautes murailles du dernier bastion de l'humanité, eux qui étaient maintenant juchés sur de piètres palissades de bois en première ligne... Pour ne rien arranger, de puissants orages estivaux finirent par éclipser le soleil, détruisant les récoltes et nous coupant de la lumière pour nous plonger dans la noirceur, décuplant les risques d'une rixe avec les macchabées des marais. Ainsi, si vous me croisez, ne me parler pas de conquête du Labret ou je ne sais quelle autre fadaise puérile et héroïque. Au maximum, il est possible de parler d'une bien maigre victoire, ou bien d'un faible gain qui sera assuré par l'arrivée des renforts quelques mois plus tard. Nous, nous avons simplement ouvert la voie, pavant de nos cadavres et de notre sang le chemin pour les véritables conquérants, pour ces hommes moins miséreux que nous l'étions, nous, engeance sortie tout droit des pires ruelles et venelles de Marbrume. Toujours est-il que quelque chose que je n'avais pas le moins du monde attendu revint nous hanter. De fait, avec l'estomac rempli, les discours de vengeance contre le duc, que je croyais abandonnée et dernière nous à jamais, comme les Faubourgs froids du dernier bastion de l'humanité, se remirent en marche à la nuit tombée. La peur de la mort n'y changeait rien. Mes compagnons reprenaient du poil de la bête et avec cela, leur esprit devenait un terreau fertile pour mettre sur pieds et fomenter un assassinat ou une révolte. Participant avec eux pour ne pas être rejetés, m'écrasant pour faire partie du groupe, nous dressions des plans alambiqués et saugrenus qui n'avaient aucune chance de réussir. Pourtant, ces nuits à ressasser notre aigreur nous permettaient en quelque sorte de croire que nous n'avions point abandonné notre honneur, que notre misère n'était que passagère. Quentin n'arrêtait pas de répéter prétentieusement qu'il se faisait violence et acceptait de trimer la terre sous le hurlement des soldats, car cela était un sacrifice nécessaire pour notre cause. Stupidement j'hochais la tête, n'arrivant à m'enlever de l'esprit ses manières servile et docile devant la milice, mais n'osant point le souligner. Nellian finissait par lui emboîter le pas dans ses délires, arguant que le peuple de Marbrume n'attendait que notre venue et que nous serions les libérateurs de ce peuple opprimé par le tyran et despote qui avait massacré notre parenté. Dans leur mensonge candide et irraisonné, mais ô combien hardi et héroïque -selon eux-, je revoyais mes frères aînés, probablement mort, qui avaient vécu toute leur vie durant de cette façon, jusqu'à mourir misérablement. Mais je me gardais bien du moindre commentaire, écoutant leur parole poliment et usant de mon apprentissage de l'étiquette et de la courtoisie pour paraître intéressé sans l'être le moindrement. Je n'avais jamais été un rêveur et encore moins un conspirateur. Le Duc était bien loin de notre position et je ne pourrais jamais me rendre jusqu'à lui pour acter la vengeance. Quand bien même, l'aurais-je acté ? Je ne sais pas. Or, un jour, à mon grand désarroi, une nouvelle causa l'émoi dans notre cabane; -"Sigfroi de Silvur est en route. Il arrive !"À dire vrai, je ne sais que peu de choses de la suite des événements. Peu à peu, alors que les ébauches de meurtre contre l'autorité suprême du Morguestanc devenaient plus tangibles avec son arrivée imminente, là, au milieu de la situation précaire du Labret, Quentin et Nellian commencèrent peu à peu à se méfier de moi. Il était une chose de participer à des cabales imaginaires, sourire à parler de mort et hocher vivement la tête lorsqu'il était question de vengeance. Or, il était tout autre de voir ces simulacres et simagrées d'hier, perçus précédemment comme des rêveries et des pitreries, devenir réalité. Probablement qu'inconsciemment ils perçurent mon doute et mon hésitation sans que moi-même ne l'écoute jamais. Par ailleurs, mon nom n'avait plus guère d'importance ou de puissance à leurs yeux. Pour la première fois j'étais vu seulement comme Alphonse, et bien que j'en sois heureux, c'était tout de même douloureux de voir à quel point j'étais effacé et superflus sans le patronyme de ma maisonnée qui m'était pourtant précédemment prison et chaîne. Ainsi donc, je fus peu à peu évincé du stratagème de meurtre que je le veuille ou non. Mon unique tâche serait d'alerter mes camarades lorsque je verrais la délégation escortant le bailli et le duc arriver. Eux s'occuperaient de se..."salir les mains" comme ils le disaient si bien, alors que je resterais en retrait pour éviter d'être la proie d'une crise. Qu'importe ce que je pus dire ou faire pour ne pas être rejeté, rien n'y fit. Piteusement, je ne pus que faire ce qui était attendu de moi, retournant seul dans notre demeure, les bras enroulés autour des jambes et attendant le dénouement de ce pourquoi j'aurais dû être en première ligne. Je détestais Sigfroi de Silvur. J'avais l'impression qu'il me suivait, me courrait après, comme s'il voulait me tuer de ses propres mains. Je le honnissais en le revoyant nous regarder de haut depuis ses murailles, observant mon entourage mourir à ses pieds face à des ennemis qui nous étaient pourtant communs. Je l'abhorrais en ressentant encore l'ombre de sa muraille sur mon visage lorsque je croupissais dans les Faubourgs, comme si sa ville me rappelait qui était le duc, le despote au pouvoir omnipotent. Je l'exécrais, fermant les yeux et sentant les doigts du coutilier qui m'avait agrippé pour me mener au Labret, au nom et sous ordre de ce Duc qui avait détruit ma vie et régissait ce qui en restait. Maintenant, il me répugnait d'apparaître, ici, au Labret, là où je pensais trouvé non pas la paix dans ce monde tourmenté, mais au moins l'oubli dans cette existence troublée. Comme je l'ai mentionné, je ne connaissais aucunement leur stratégie pour en finir. Avait-il rallié des alliés à leur cause, leur faisant miroiter un quelconque gain ? Avait-il agi seul ou œuvré sous la tutelle d'une autre entité ? Encore aujourd'hui je ne le sais point. Toutefois, au bout de longues heures interminables, j'entendis des bruits de cavalcade aux alentours des maisons des travailleurs. Au travers d'un interstice entre deux planches de bois, je vis le feu de plusieurs torches et la livrée verte de la milice, disséminé aux alentours et faisant sortir les résidants ensommeillés de leur cabane. Blême, figé à regarder la scène en ne pouvant croire que cela avait un quelconque lien avec les actions de Quentin ou Nellian, je déchantai lorsque j'entendis un homme d'armes questionner un homme d'à peu de choses près mon âge; -"Êtes-vous de Sarosse, chien ?! "Sortant par la porte arrière, je disparus dans la nuit. ◈◈◈ Abord d'Usson, août 1665.
Cette nuit-là, je fus plus que chanceux. Fuyant dans le noir, ne croisant tout d'abord pas la route de la fange ni celle de la milice me cherchant, j'ai réussi à m'en sortir et continuer à vivre. Je ne sais aucunement comment les hommes d'armes eurent vent de mon existence. Mes compagnons avaient-ils parlé avant de trépassés, espérant que le duc soit magnanime et les gracie ? Peut-être... toujours est-il qu'à cause de cela, le nom de Sarosse revint au-devant de la scène, tandis que ce dernier était dorénavant lié à la tentative d'assassinat récente sur Sigfroi de Silvur. Décidément, les vieilles habitudes avaient la vie dure entre nos deux maisonnées, à vouloir se tuer de génération en génération. En quelque sorte, je m'inscrivais involontairement dans la poursuite de ce règne de mort entre nos lignées. Toujours est-il que cette fois-ci, je me savais en très fâcheuse et mauvaise posture. De fait, suite au trépas des familles rivales du duc devant les murs de Marbrume, celui-ci avait assis sa domination avec suffisamment de force pour ne pas craindre de mouvements contestataires trop importants. Cette hégémonie assurée ne lui faisait plus craindre la présence d'un possible rejeton tel que moi. En outre, mon anonymat, alors que l'on me pensait décédé, était la meilleure sécurité que je n'aurais pu espérer. Pour finir, quand bien même mon existence serait venue aux oreilles du despote, celui-ci n'aurait peut-être rien fait contre ma personne. Après tout, je ne représentais plus rien, sans allié et en quelque sorte exilé au Labret. Toutefois, maintenant que mon nom était associé à sa tentative d'assassinat, tout était différent. Je savais que je serais désormais chassé pour être châtié. Même sans la marque de bannis sur mon bras, je serais considéré aussi infâme que ces crapules et vauriens, qui eux avait mérité leur sort comparativement à moi. Dès lors, il ne me restait plus qu'à fuir ou qu'à pendre au bout d'une corde. Mais pour aller où ? Qui voudrait d'Alphonse de Sarosse, le noble devenu miséreux, le miséreux devenu fugitif et le fugitif en passe d'être macchabée ? Je finis par déboucher du village, et de sa sécurité devenue toute relative avec les hommes d'armes à ma recherche. M'arrêtant, respirant bruyamment alors que je sentais que je partais en quête de mon souffle, dans les prémices d'une crise, je fus forcé à m'appuyer à un arbre et suspendre tout mouvement pour ne pas choir au sol. Ce répit forcé me permit de réfléchir un moindrement. La première étape serait de survivre à la nuit. Je ne pouvais simplement errer à la noirceur, attendant que la fange ou les miliciens me rattrapent et m'attrapent. La nouvelle de la tentative d'assassinat ne devait pas encore avoir rejoint les maisons plus éloignées. Je pourrais demander l'asile et m'enfuir le matin venu, pensais-je. C'est ainsi que je me dirigeai vers une demeure un peu plus grande que les autres, non loin de la route qui menait du plateau au restant du duché. Cognant à la porte en implorant la pitié, sans avoir à me forcer pour paraître lamentable, cette dernière finit par s'ouvrir après quelques instants d'observation et d'hésitation. Ma piètre allure me fut utile, elle qui faisait de moi un individu guère dangereux, permettant probablement à ce battant de s'ouvrir. ◈◈◈ Maison du bourgeois Thomas, Usson, août 1165.-"Nous recherchons un fugitif qui a tenté d'assassiner le duc." -"Ah, je n'ai rien vu...comment s'appelle-t-il, déjà ?" -"Je ne l'ai pas dit." -Ah, bon..."
S'approchant, j'entendis son murmure, moi qui étais caché derrière le battant ouvert, à quelques pas à peine du milicien. "Il serait un rejeton de Sarosse. Vous savez, la famille morte devant Marbrume ?"
Le silence s'égrena avant que mon hôte ne réponde; "Je n'ai rien vu."Je ne sais aujourd'hui encore pourquoi j'ai été protégé. Peut-être parce que Thomas et sa famille étaient affreusement pieux et qu'il me croyait innocent ? Qu'importe. Ils mirent leur vie en danger pour moi, un an durant, me préservant et me permettant de vivre caché. C'est plus que je n'aurais pu espérer. Thomas était un petit bourgeois qui gérait l'envoi et la sécurité de certains convois qui quittait le Labret, ainsi que l'acheminement de fournitures pour la région. Aidant à une faible échelle, que ce soit grâce à ses contacts ou à ses attelages, le petit bourgeois n'était pas en mesure de faire son œuvre sans le support et la présence de la milice. Quoi de plus normal, tandis que ceux-ci étaient les réels protecteurs de la plupart des caravanes, si ce n'est des mercenaires ? Je vivais donc au nez et à la barbe de ces hommes d'armes qui sans plus réellement me chercher, me croyant possiblement mort dans ma fuite, gardaient tout de même l'œil ouvert. ◈◈◈ Octobre 1165
-"Tiens, tiens ! Vous n'êtes pas si horrible avec la barbe rasée." -"Merci du compliment." -"Ce n'en est pas un, c'est de l'honnêteté, voilà tout !"Ophélie, la fille unique de Thomas était d'une bonté que je n'avais que rarement croisée. Douce et généreuse, c'est grâce à elle que mon année enfermée dans la maison passa aussi rapidement. Avec du recul, je pense pouvoir dire que je lui plaisais. Était-ce réciproque ? Je crois que oui. Cependant, j'avais surtout besoin d'affection et de tendresse, ce que je n'avais jamais connu avec une mère et un père obnubilé par les jeux de pouvoir et une femme aimant un autre homme. Aurais-je pu finir mes jours avec elle ? Peut-être. Toujours est-il que je n'osai jamais essayer de la courtiser plus que ce que la bienséance ne le permettait, sachant pertinemment que je ne pouvais rêver d'un avenir radieux, heureux ou à deux, moi qui restais un être recherché. ◈◈◈ février 1166 -"Vous allez bien, Thomas ?" -"Ah, Alphonse...! Je ne t'avais pas entendu approcher. Pas vraiment. Nos derniers convois n'ont jamais atteint le Labret. Que les trois accordent le repos à leur défunte escorte..." -"Puis-je faire quelque chose ?" -"Prier mon jeune ami. Prier..."
Les affaires de mon protecteur commencèrent peu à peu à sombrer, rendues difficiles par des déboires sanglants, alors que bandits et forbans étaient devenus aussi pullulants que leur compère bestial et vorace. Je me sentais inutile et impuissant, ne pouvant aider et n'étant que nuisance. ◈◈◈ Mai 1166 -"Avez-vous entendu la nouvelle ?"
-"Oui, le duc est roi. Grand bien lui fasse." Répondis-je un peu trop rapidement, soufflant et soupirant devant mon manque de courtoisie que je n'avais pas réussi à cacher derrière un masque de sérénité. Décidément, je perdais de plus en plus l'habitude de fausser mon discours en mimant la bienséance derrière les règles alambiquées de l'étiquette...
-"Ce n'est pas de ça que je voulais parler ! Durant son couronnement, il y aurait eu une attaque de la fange. Le Goulot serait tombé sous les coups des monstres. Croyez-vous que nous soyons en sécurité, ici dans cette petite maison, si même la cité n'est plus en mesure de se protéger elle-même ?"
Je restai muet durant quelques instants, n'arrivant pas à en croire mes oreilles. Que me serait-il arrivé si j'étais resté dans les Faubourgs ? Serais-je mort durant les festivités et la liesse qui avait été annoncée en son honneur ? " Je...je crois que oui. Pensez-y ! Notre plus petit nombre n'intéresse pas ces monstres à l'appétit vorace. Marbrume est un meilleur terrain de chasse, là où il y a plus de chair fraîche pour se repaître."
-"Allons, ce n'est pas un discours digne de vous, Alphonse !
Un brin de hargne bien passager m'agressa. "Digne de moi ? Vous voulez dire de l'ancien fils de comte, c'est ça ? Moi je ne suis plus rien..."
Après quelques instants, Ophélie s'approcha. Hésitante, elle finit par s'asseoir à côté de moi, déposant sa tête sur mon épaule. "J'ai peur, Al'..."
-"Tout va bien aller". Mentis-je sans savoir où tout cela nous mènerait. Le couronnement de mon "ennemi" me révulsa, alors que l'offensive des monstres sur le Goulot devenu Chaudron ne me fit guère ressentir de vives émotions. Je ne savais pas trop quoi en penser. D'une certaine façon j'étais désolé pour les habitants morts face à ces engeances. Pour autant, ne connaissant personne et ne sachant point si le peu de connaissances que j'avais encore était décédé, je ne pouvais mettre de nom ou de visage sur cette masse anonyme déchiqueté par les prédateurs de l'humanité. En outre, bien que je ne voulais pas me l'avouer, une partie de moi se réjouissait de voir le malheur s'éloigner de ma position pour aller frapper là où je n'étais pas... ◈◈◈ 1er septembre 1166 -"Al', ils arrivent !" -"...Que ?" -"Vite, sors par-derrière. Vite !" Je ne comprenais que trop bien de quoi elle voulait parler, sans arriver à le concevoir. La milice débarquait à mes trousses, un an après avoir perdu ma trace ? Comment était-ce possible ? Poussé sans que je n'aie eu la chance de dire plus qu'un simple mot, la porte se referma derrière moi, seul et esseulé en ce milieu de journée, sans le moindre objet pour entreprendre ma fuite, si ce n'est cette cape que j'avais attrapée avant de passer le battant. Sans plus attendre, les larmes aux yeux, je partis sans me retourner, ne sachant point ce qu'il valait mieux fuir mon passé ou mon futur. La traque recommençait et la fuite perdurait... ◈◈◈ ◈ Information complémentaire : ◈
J'ai arrêté mon histoire au premier jour jouable, ne parlant pas de l'arrivée des réfugiés d'Hendoire à Marbrume. Toutefois, je me permets une digression pour définir son avis sur le sujet, bien qu'il ne l'apprendrait probablement pas de sitôt tout occupé qu'il est à "courir" sur la lande ou le plateau...
Je suis content de savoir que Sigfroi de Silvur peut être plus magnanime avec ces réfugiés qu'il ne le fut avec nous, qui étions pourtant à ses pieds en quête du même genre de protection. Se serait-il assagi avec le temps ? Je ne crois pas. Je pense plutôt qu'aux yeux de ce tyran, des déviants sont moins dangereux que des ennemis politiques.
Par ailleurs, qu'il est bon, même pour moi perdu au milieu des bois et des tourments, de savoir que nous pouvons encore croire en un miracle en ces temps troublés. Après tout, qui aurait cru que des personnes ressortiraient vivantes ailleurs que dans le duché du Morguestanc ? Pouvons-nous, peut-être, espérer pour l'avenir ? Je veux y croire.
Toujours est-il qu'importe leur culte ou leur croyance, l'humanité se doit de faire front commun pour lutter contre le véritable ennemi plutôt que s'entre-déchirer. Mais ça, je vous laisse le rapporter à Sigfroi de Silvur vous-même...
◈ Derrière l'écran ◈ Certifiez-vous avoir au moins 18 ans ? Affirmatif ! Comment avez-vous trouvé le forum ? Dans ma barre de favoris ! Vos premières impressions ? Toujours aussi cool ! Des questions ou des suggestions ? / / / Souhaitez-vous avoir accès à la zone 18+ ? Affirmatif ! ◈◈◈
Dernière édition par Alphonse de Sarosse le Jeu 30 Avr 2020 - 23:34, édité 5 fois |
| | | Sydonnie de RivefièreSergente
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Jeu 30 Avr 2020 - 22:09 | | | Rebienvenue parmi nous Tu connais la maison, tu hésites pas si tu as besoin o/ |
| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Jeu 30 Avr 2020 - 22:33 | | | Merci ! \o/ |
| | | Henry Duchemin2
| | | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Jeu 30 Avr 2020 - 23:39 | | | Merci beaucoup ! |
| | | Séraphin ChantebrumeAdministrateur
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Ven 1 Mai 2020 - 16:54 | | | Bon bon bon! Bah c'est pas compliqué, et je m'en doutais venant de toi, c'est un perfect! J'ai rien à dire, tant que le fond que sur la forme, j'aime beaucoup l'idée et je te remercie pour la lecture! Je te valide donc! Ta couleur arrive, ta carrière est ici. Et pour le reste je pense que tu connais déjà bien la maison Amuse toi bien avec ce nouveau rouge, et bon jeu! Ps: Ton personnage étant d'origine noble plus que vagabond de longue date, j'ai préféré t'offrir la compétence de classe noble Alphabétisation plus que Survie en milieu hostile, ça me paraissait plus logique! |
| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Ven 1 Mai 2020 - 17:05 | | | Merci pour la modération de la fiche ! |
| | | Ansgarde CorvinMilicienne
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Sam 2 Mai 2020 - 20:26 | | | J'ai fait une entorse à ma réticence à lire les "longs" écrits sur un écran et ça en valait tellement la peine ! Cette histoire est fabuleuse ! En plus ça m'éclaire un peu sur cet événement, merci ! Bien qu'ayant mon perso milicien j'espère tellement qu'Alphonse s'en sortira, ahah |
| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] Sam 2 Mai 2020 - 22:22 | | | Content de savoir que ça n'a pas trop été un fardeau à traverser. Merci pour le retour positif ! |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Alphonse de Sarosse [Validé] | | | |
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