L'art de négocier avec un baron bien particulier [PV Hector]

Le soleil était bien haut dans le ciel de Marbrume lorsqu'Idalie entra dans l'auberge où elle avait donné rendez-vous au baron de Sombrebois quatre jours auparavant. Si elle l'avait d'abord invité à dîner, lorsqu'elle lui avait fait parvenir une missive pour lui indiquer l'emplacement de leur lieu de rencontre, elle en avait profité pour lui demander de la rejoindre pour le déjeuner. La raison à cela était bien simple : avec le couvre-feu qui avait été instauré, nul ne pouvait se trouver à l'extérieur une fois le soleil couché, et Idalie ne voulait pas courir le risque de rester coincée dans cette auberge si elle avait le malheur de ne pas voir le temps passer. Cela rendrait son frère fou d'inquiétude et, accessoirement, un tel faux pas lui coûterait probablement – avec raison - une bonne partie de la liberté qui lui était octroyée et à laquelle elle tenait énormément. La prudence était donc de mise.

Après avoir passé le pas de la porte, la jeune femme fit un petit signe à l'aubergiste, qui la mena à une table qu'elle avait fait réserver quelques jours plus tôt. Elle avait choisi un coin tranquille de la salle principale, un endroit où elle pourrait discuter en paix avec Hector sans s'isoler avec lui. Comme il avait fait quelques remarques troublantes lors de leur précédente rencontre, elle souhaitait éviter qu'il se fasse de fausses idées sur le but de ce déjeuner. Et comme elle était une demoiselle avisée maintenant, elle tâchait de ne jamais se retrouver complètement seule avec un homme.

Hector n'étant pas arrivé encore, Idalie prit place seule à la table. Tandis qu'elle patientait, elle observa les alentours. C'était une belle auberge à l'atmosphère plutôt paisible, un lieu où l'on venait davantage pour profiter d'un bon repas et d'une bonne nuit de sommeil que pour picoler avec des inconnus. Elle était principalement fréquentée par des bourgeois ou des gens du peuple ayant un peu plus de moyens, et c'était bien parce que peu de nobles s'y rendaient qu'elle l'avait choisie. Elle n'aimait pas sentir les regards peser sur elle, les oreilles indiscrètes traîner, et elle savait que rien de ce qu'elle aurait dit ou fait ne serait passé inaperçu si elle avait privilégié un lieu de rencontre pour les gens de sa caste. Même si elle n'avait pas l'intention d'étaler quoi que ce soit de très personnel, elle voulait pouvoir parler avec un peu plus de liberté, dans un cadre où une certaine retenue était exigée, mais où chaque syllabe prononcée n'était pas non plus déchiffrée comme on véritable code secret.

Idalie était en train de regarder discrètement un couple qui dégustait son repas ou, plutôt, la femme du couple, qui était enceinte jusqu'aux oreilles, lorsque, du coin de l'œil, elle crut distinguer la silhouette d'Hector. Elle s'arracha à l'observation du ventre arrondi, qui semblait sur le point d'exploser, pour se lever et aller à la rencontre du baron, qu'elle salua à l'aide d'une révérence d'usage, plus par réflexe que par réelle nécessité vu leur passé.

« Bonjour, Hector. Je suis ravie de vous revoir. Venez, venez, nous avons une table juste ici. »

Idalie lui sourit et lui fit signe de la suivre pour prendre place à la table qui leur avait été attribuée.

« Vous avez bonne mine, commenta-t-elle. Avez-vous suivi mes consignes à la lettre? Et êtes-vous resté au temple ou avez-vous trouvé un autre lieu pour vous reposer? »

Hector avait pu trouver, auprès d'un prêtre, de quoi écrire à Sombrebois... Il espérait que sa lettre rassurante serait lue par ses ouailles, mais il n'en aurait la certitude qu'à son retour dans son fief... En attendant, sur les conseils d'Idalie et de Florian, il suivit les recommandations des soignants (dont Idalie elle-même), s'alimentant correctement, se lavant, se reposant... Il avait fait quelques sorties dans les jardins d'abord, puis un peu autour du Temple, même. Il ne se sentait jamais mieux que lorsqu'il était dans "le monde réel", à marcher au milieu des gens, écoutant les rumeurs (même si elles n'étaient pas toutes en sa faveur), saluant ses admirateurs (et admiratrices), appréciant ici la majesté d'un arbre et là, le galbe d'une jambe... Bien sûr il avait encore quelques sursaut de folie - il lui arrivait quelques fois de voir en une blonde inconnue le visage de "son" Ambre - mais, malgré tout, il redevenait peu à peu Hector de Sombrebois, le chasseur, le séducteur, le noceur. Et quand vint le jour du déjeuner (oui, la demoiselle avait transformé le dîner en amoureux et déjeuner d'affaire...) il s'habilla de ses plus beaux vêtements, et rejoignit, pimpant, sa chère Idalie dans l'auberge qu'elle lui avait indiquée.

Approchant de l'adresse indiquée, il sut dès le premier coup d'oeil que cette petite auberge coquette et discrète était celle qu'avait choisi Idalie. D'une certaine manière, elle lui ressemblait. Elle était belle mais sans atour superflu, elle était discrète mais avait le charme du secret. Hector y pénétra avec joie et sourit de plus belle lorsque son amie - n'était-ce pas ce qu'elle était à présent ? - vint l'accueillir.

- Bonjour, Hector. Je suis ravie de vous revoir. Venez, venez, nous avons une table juste ici.
- Bonjour chère Idalie, je suis ravi de vous revoir et encore plus ravi que vous soyez ravie de me revoir. Je vous suis...

Et il la suivit, gai d'entendre le froufrou de ses jupons et de voir sa fine silhouette danser devant ses yeux... Puis elle s'assit, et il s'assit face à elle, le lèvres jointes, les yeux brillants, appréciant silencieusement le bonheur de se retrouver libre, à table, et en bonne compagnie. Evidemment ce fut elle qui lança la conversation :
- Vous avez bonne mine. Avez-vous suivi mes consignes à la lettre? Et êtes-vous resté au temple ou avez-vous trouvé un autre lieu pour vous reposer ?
- Merci, vous aussi ! Je les ai suivi à la lettre et je suis resté au temple. Enfin, je suis retourné dans ses jardins... et - il se pencha au dessus de la table pour, à mi-voix, ajouter - je suis allé un peu autour, dans son quartier - il revint à son dossier - mais sans prendre de risque, voyez-vous, sans prendre le moindre risque : je n'ai pas couru, je ne me suis point battu, j'ai à peine levé le coude pour boire un peu de vin... D'ailleurs... S'il vous plait, messire aubergiste ?! Une bouteille de Castelbourg, je vous prie !

Les habitudes revenaient au galop.

- Et vous-même, chère Idalie, qu'avez-vous fait de ces quelques jours loin de votre baron préféré ?

Il allait continuer son discours par quelques idées folles... mais se retint. La sobriété n'était pas sa première qualité mais la voix d'Idalie était jolie. Il avait envie de l'entendre.

Il ouvrit le premier bouton de sa chemise bleu roi. Ce n'était pas qu'elle lui serrait le cou tant que ça... mais il avait chaud. Et, le vin arrivant, il risquait une terrible fièvre s'il ne prenait pas quelques précautions, n'est-ce pas ? Elle et lui servis, il leva son verre et trinqua "A la renaissance !". Il avait l'impression de renaître. La ville de Marbrume également. Et, par rapport à leur première rencontre dans les travées du Temple, Idalie aussi semblait être re-née. Il but une gorgée de vin rouge. La première depuis une éternité ! Il ferma les yeux et en inspira profondément les effluves ensoleillées et soupira :
- Mmmmmmh, ça fait du bien...

Le baron parlait avec enthousiasme et semblait en pleine forme. Il était loin de celui qu'Idalie avait retrouvé quatre jours auparavant, loin de cet homme blessé et éploré à l'odeur douteuse et à l'esprit embrouillé. Non, Hector de Sombrebois, le vrai, paraissait être bel et bien de retour. La noble en fut soulagée, car elle avait craint de le voir replonger dans les méandres de la tristesse et de la folie en son absence, et elle n'avait malheureusement pas eu l'occasion de le visiter – elle ne l'avait pas revu lors de ses visites au temple et elle avait été plutôt occupée à l'extérieur. Bon, Hector était encore fou... Enfin, pas fou – foufou, plutôt. Mais c'était lui, et l'entendre décrire avec force de détails la manière dont il avait passé son temps au cours des derniers jours tout juste avant de demander avec énergie du vin à l'aubergiste avait quelque chose de rassurant. Il allait mieux.

« Je suis revenue au temple pour aider, mais je ne vous ai pas vu, répondit doucement Idalie à la question du baron. J'imagine que vous deviez être en train de vous reposer ou de parcourir sagement le quartier – sans courir, sans vous battre, sans trop lever le coude pour boire un bon cru. Et sinon, j'ai rattrapé le retard que j'avais pris vis-à-vis de mes tâches habituelles. Les journées sont trop courtes! Encore plus maintenant que ce couvre-feu nous empêche de circuler une fois la noirceur tombée. »

Le baron détacha un bouton de sa chemise et, par réflexe, Idalie regarda brièvement ailleurs. Il n'était pas indécent avec ce bouton en moins, mais le fixer en train de le détacher était juste... étrange. Elle préféra donc poser son attention sur l'aubergiste, qui revenait avec le vin demandé par Hector. Le noble trinqua alors à la renaissance et Idalie l'imita en souriant.

« Bien dit. À la renaissance, cher baron. »

Elle porta la coupe à ses lèvres et prit une petite gorgée. L'aubergiste leur proposa le menu du jour et Idalie accepta sans même savoir de quoi il s'agissait. Lorsque le tenancier lui demanda si elle voulait connaître les détails, elle refusa poliment.

« Ce sera délicieux, je n'en ai aucun doute, et je préfère nous garder la surprise – c'est plus intéressant! »

L'homme acquiesça et laissa les deux nobles à leur discussion. Le regard d'Idalie revint vers Hector, qui savourait le vin avec un visible bonheur.

« Le repas sera tout aussi satisfaisant, je vous l'assure. Ils savent réellement y faire. »

Idalie prit une nouvelle gorgée de vin en replaçant une mèche folle, une dissidente qui tentait de se rebeller contre la perfection de son chignon. La jeune femme était apprêtée avec la même simplicité et le même bon goût que le baron lui connaissaient déjà : elle était coiffée d'un joli chignon parcouru de tresses et vêtue d'une belle robe vert tendre qui soulignait la douceur de ses traits comme de son caractère.

« Puisque vous vous sentez mieux, comptez-vous rentrer bientôt à Sombrebois? demanda-t-elle, désirant attendre un peu avant d'exposer à son interlocuteur la principale raison pour laquelle elle avait voulu le rencontrer pour le déjeuner. J'imagine que votre absence doit se faire sentir là-bas... Qui s'occupe de la bonne marche du bourg en votre absence? »

Hector s’amusa du fait qu’Idalie ait préféré garder secrète la composition du plat du jour.
- Allons-y pour le repas secret ! S’exclama-t-il gaiement.

Elle était jolie, recoiffant discrètement une petite mèche rebelle. Elle avait se charme doux et printanier qui avait tant plus au baron lors de leur première rencontre. Et ce midi, avec cette belle lumière qui traversait la fenêtre adjacente pour éclairer son regard doré, elle semblait avoir perdu toute trace de la fatigue de ces derniers jours. Mais ce qui plaisait le plus à Hector le joli-cœur était cette coiffure, ce chignon tressé, cet entrelacs de mèches, ces cheveux d’un bronze souple et brillant qui formaient une si délicieuse sculpture autour du visage doucereux d’Idalie.

Hector se perdit un instant dans la contemplation de la jeune femme à robe verte.

- Vous êtes en beauté, aujourd’hui, Idalie ! Fit-il avec moins de séduction que d’amitié.

Il était assez « bien » pour ne pas retomber dans ses travers romantiques… vous ne trouvez pas ?

- Je rentrerais bientôt pour Sombrebois. Vous m’avez dit de suivre les consignes des miresses, alors j’attendrais le 21 mai, comme il m’a été conseillé ! Plus qu’une semaine, après tout… cela arrivera vite… ne soyez pas triste !

Son large sourire ponctua l’ordre qu’il eut pu se donner lui-même. Ses mains tenaient les deux coins de la table de son côté. Il le leva vers le ciel – « Toutes les bonnes choses ont une fin… » - puis les joignit sur le rebord de la table en entrelaçant ses doigts.

- Qui s'occupe de la bonne marche du bourg en votre absence ?
- A vrai dire, je n’en sais rien. Normalement c’est Hilde, ma bûcheronne. Mais… comme ça fait longtemps que je suis parti, je suppose qu’une guerre de pouvoir doit avoir lieu. Je vous écrirai pour vous dire combien de victimes auront péries !

Il but une autre gorgée de vin et regarda avec gourmandise le patron qui revenait avec deux belles assiettes bien remplies.

- Ca m’a l’air succulent ! Merci ! fit le baron à l’adresse de l’homme du sémillant restaurateur.

Il plongea son regard dans celui d’Idalie.

- Merci Serus, Anür et Rikni pour ce bon repas. Merci Idalie pour la proposition et bon appétit !

Puis il mangea avant que l’eau qu’il avait à la bouche ne le noie. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas mangé un « vrai » repas. Alors il était impatient… mais s’en rendit compte ! Aussi prit-il la petite serviette posée à sa droite, la déplia, et s’en nettoya la bouche. Il pouvait prendre tout son temps. Il pouvait passer sept jours à table s’il le voulait. Ce serait toujours mieux que sa couche au Temple de Marbrume.

- Allez, ne me faîtes pas mariner plus longtemps… De quelle somme avez-vous besoin pour lancer votre projet ? J’ai encore un peu d’or au château et je pense que je pourrais sûr…

Il s’interrompit en voyant le visage d’Idalie… elle semblait vouloir parler… il semblait faire fausse route.

Vous êtes en beauté, aujourd’hui, Idalie! Idalie accueillit ce compliment soudain avec beaucoup d'humilité et un brin de timidité, avec un sourire et un merci sincères. Hector avait le don d'étonner avec des déclarations spontanées qui pouvaient désarçonner lorsqu'on n'y était pas habitué. Et Idalie, si elle connaissait le caractère fantasque de son interlocuteur, se laissait encore surprendre.

La jeune femme acquiesça doucement à la réponse qu'offrit Hector à sa question. Il repartirait dans environ une semaine, soit le 21 mai. Cela lui paraissait raisonnable, d'autant plus que l'état du baron s'était grandement amélioré au cours des derniers jours. Un peu de repos supplémentaire et il pourrait assurément s'assurer de voyager sans inquiétude. Enfin, sans inquiétude... Façon de parler avec la Fange qui rôde.

Idalie fut surprise de constater qu'Hector ignorait qui s'occupait de son bourg en son absence. Il mentionna une bûcheronne, ce qui ne manqua pas de contribuer à son étonnement. Il parla d'une guerre de pouvoirs. Une blague... Enfin, elle l'espérait. Le tout ne semblait pas très sérieux. Mais bon, Hector devait savoir ce qu'il faisait et elle n'allait certainement pas questionner son sens de l'organisation. Ce n'était pas sa place.

« Je vous souhaite alors un retour en douceur et... sans cadavres », fit-elle en fronçant légèrement le nez.

Sur cette charmante note, les plats furent servis. Idalie remercia également le tenancier et se joignit à Hector pour faire part aux Trois de sa reconnaissance face au repas qui se trouvait devant elle. Après avoir souhaité bon appétit au baron, elle entama le déjeuner avec toute la délicatesse et le raffinement que l'on pouvait s'attendre d'une demoiselle de la bonne société.

Probablement curieux de la raison de cette rencontre, Hector plongea dans le cœur du sujet. Il devait être certain qu'elle allait lui demander une contribution financière, car il commença directement en lui proposant de l'or pour le projet. Idalie cligna des paupières avec un certain étonnement et secoua la tête en riant un peu.

« Non, non, ce n'est pas ce que je souhaitais vous demander, Hector, intervint-elle sans attendre pour dissiper le malentendu. Votre générosité et votre bienveillance me touchent, mais l'or n'est pas ce qui me manque pour poursuivre le projet. »

Elle sourit à Hector gentiment, cessant un instant de manger pour expliquer sa demande.

« Je suis en charge de la décoration de l'auberge et du dispensaire, et comme il nous tient à cœur, à ma partenaire ainsi qu'à moi-même, de faire oublier le passé trouble du bâtiment à rénover, nous souhaitons tout remettre à neuf. Comme vous vous en doutez, nous avons ainsi divers besoins, dont du bois pour la fabrication des meubles, notamment. Je souhaitais donc discuter avec vous afin de savoir si vous étiez ouvert à me faire un bon prix et à contribuer à ce projet auquel je tiens et qui fera, je l'espère, beaucoup de bien à la communauté. »

Elle lui offrit un sourire aussi enthousiaste qu'adorable et ajouta :

« Et puis, une décoration et des meubles conçus avec du bois de Sombrebois... Quand je repense à tout ce que vous m'avez dit de vos forêts, le résultat ne peut qu'être magnifique, non? »

La jeune femme pencha légèrement la tête et fixa Hector dans les yeux.

« Qu'en dites-vous? »

Idalie afficha un air surpris qui ne surprit pas le baron. Lui avait-il dit que ses terres n'étaient peuplées que par une dizaine de personnes ? qu'il ne s'agissait pour l'instant presque que d'un gros manoir fortifié ? Il est vrai que si elle s'imaginait le bourg comme il l'était avant la fange, le savoir aux mains d'une bûcheronne pouvait sembler... bizarre ! Peu importait, le baron et la "chère bannerette, bon appétit !" se mirent à manger, se délectant de la délicieuse poule au pot qui leur avait été servie.

Et quand Hector eut soulagé ses papilles, qu'il eut demandé si c'était d'argent qu'elle avait besoin, elle lui répondit que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait.

- Comme vous vous en doutez, nous avons ainsi divers besoins, dont du bois pour la fabrication des meubles, notamment. Je souhaitais donc discuter avec vous afin de savoir si vous étiez ouvert à me faire un bon prix et à contribuer à ce projet auquel je tiens et qui fera, je l'espère, beaucoup de bien à la communauté. Et puis, une décoration et des meubles conçus avec du bois de Sombrebois... Quand je repense à tout ce que vous m'avez dit de vos forêts, le résultat ne peut qu'être magnifique, non ?

Hector offrit un sourire tout aussi charmant - enfin, j'ose le croire - à son amie que celui qu'elle lui avait offert. Ce faisant, il réfléchissait.

- Qu'en dites-vous ?ajouta-t-elle.
- Et bien... malheureusement, il faut penser à nos pauvres forêts... si nous continuons de les surexploiter, nous allons non seulement tuer notre poule aux œufs d'or... mais également notre monde. Pensez-vous qu'il soit très raisonnable de tomber autant d'arbres ? Ces forêts sont les maisons de milliers de petits animaux tous plus importants les uns que les autres... et elle sont aussi nos poumons n'est-ce pas ? Nous respirons tellement mieux à Sombrebois qu'ici...

Le baron toussa puis but un verre de vin pour se remettre.

- Malheureusement, compte tenu de notre problématique environnementale actuelle, je ne peux que refuser votre demande.

Il toussa une seconde fois... avant d'éclater de rire !

- Sacrée Idalie ! Je vous ai bien eu n'est-ce pas ?!

Il rit encore un peu avant d'ajouter :
- Bien sûr que je vous fournirai du bois ! Ha ha ha, non mais sans blague ! L'environnement ! Ha ha ha ! Quelle question ! Il vous faut le plus beau bois pour votre projet ! Et les plus beaux bois se trouvent toujours à Sombrebois ! Ah ah ah !

Hilare, le baron tourna ses yeux vers ses mains. Il ferma ses poings avant de lever le pouce, puis l'index, puis le majeur, puis l'annulaire, puis l'auriculaire de sa main droite, puis il referma ses doigts et répéta l'opération encore deux autres fois avant de faire une moue sceptique.

Pour sûr qu'elle ne saura pas me dire la quantité de bois qu'il lui faut !

- Alors ma p'tite dame, dites-moi un peu, qu'est-ce que vous voulez faire comme meuble ? Des lits ? combien ? des tables ? combien ? pour combien de personnes ? des chaises ? attention, c'pas pareil que des tabouret... ça use plus de bois ! Et pis des commodes, des buffets ? des armoires ? Attention, c'est qu'c'est gourmand tout ça... Alors dites-moi tout ! Racontez ! Ah j'aime bien entendre ces histoires de meubles ! Moi même j'ai refait un peu la chambre des enfants l'autre jour et bien, ça fait du bien de bricoler. On pense plus à rien. On fait !

Il but une autre gorgée de vin, finissant ainsi son verre. Il regarda la bouteille et le verre d'Idalie qu'elle avait à peine entamé. Il fit une moue contrariée.

- N'avez-vous pas soif ?

Il remplit alors son verre, en but une gorgée et sourit à son interlocutrice.

Idalia écoutait Hector, la mine perplexe. Elle s'était attendue à tout sauf à ce discours sur l'importance des arbres et des animaux et ne savait, à vrai dire, pas trop comment réagir. Elle ne lui demandait pas de raser ses forêts ou de priver la faune de son habitat... Elle n'avait pas besoin de tant de bois... Certes, l'auberge était plutôt grande, mais elle ne souhaitait pas le nécessaire pour confectionner le mobilier d'un château... Le baron voyait vraiment le tout comme une menace à leur environnement. Il ne voulait donc pas l'aider. C'était inattendu. Peut-être pouvait-elle encore le convaincre? Elle se voyait mal revenir vers Apolline et déclarer que ses négociations avec Hector s'étaient soldées par un échec cuisant. Peut-être y avait-il sinon quelqu'un d'autre pour...

Évidemment, il blaguait. Un instant bouche bée, Idalie finit par rire aussi. Il lui avait semblé si sérieux avec toute cette étrange histoire de massacre de forêts qu'elle l'avait cru!

« Vous m'avez eue! confirma-t-elle avec un petit air faussement outré. Vil personnage! »

La jeune femme rit après avoir lancé cette insulte gentillette au baron. Elle secoua la tête pour elle-même, croyant à peine avoir été dupée par un tel récit, surtout venant de la part d'Hector. Le noble s'empressa d'accepter de lui fournir du bois et, dans l'un de ses habituels élans fantaisistes, la questionna de long en large sur ce dont elle avait besoin.

« J'ai besoin d'un peu de tout cela, mon cher baron, répondit-elle d'abord en riant. Et oui, j'ai soif, mais je bois tranquillement. Le vin est délicieux. »

Pour joindre le geste à la parole, elle prit une gorgée du doux nectar alcoolisé.

« Alors... »

Idalie sortit un petit morceau de parchemin et qu'elle avait savamment plié et dissimulé dans la manche de sa robe. Elle le déplia avec délicatesse et, comme une bonne élève, commença à énumérer à Hector les meubles dont elle avait besoin : des lits, de petites commodes, des tables, de quoi faire un comptoir, etc. Elle avait demandé conseil avait de dresser sa liste et avait établi, en s'accordant certaine marge d'erreur, qu'elle en avait pour une vingtaine d'écus si on comptait le tout en argent sonnant et trébuchant. Elle était curieuse de voir ce qu'Hector allait lui proposer.

« Ce devrait être tout! termina-t-elle. Je suis prête à écouter vos propositions, Hector. J'imagine que vous avez déjà un prix en tête, peut-être uniquement en agent, mais je crois qu'il serait avantageux de songer à des contreparties de différentes natures. Vous avez sans doute des besoins lorsque vous venez ici ou que vous envoyez quelqu'un à Marbrume, notamment en hébergement... C'est évidemment une chose avec laquelle je pourrai vous aider à l'avenir. »

L'ambiance était gaie et agréable autour de la table. La farce d'Hector avait bien fonctionné et Idalie ne lui en avait pas voulu de s'être gentiment moqué d'elle. Elle-même avait gentiment "insulté" le baron ! Bref, on riait, on mangeait et on buvait (plus ou moins vite).

Lorsque le moment de la négociation arriva, donc, les deux partis semblaient d'humeur amicale, prêt à s'arranger l'un l'autre pour ne pas se mettre mutuellement en difficulté. Idalie détailla les meubles dont elle avait besoin et Hector, mentalement, faisait le calcul du nombre de tronc qu'il allait devoir découper. Il y avait à Sombrebois une petite réserve de bois et Hilde s'occupait parfaitement d'alimenter l'entrepôt de nouveaux tronc à faire sécher. Et une chose était certaine : les besoins en bois d'Idalie ne mettraient pas à mal les stocks du baron.

Après avoir fini ses calculs, il déclara :
- Tout ça va demander deux à trois tonnes de bois... ça dépend de pas mal de facteurs : la robustesse souhaitée pour vos meubles, la qualité du menuisier, etc. Mais si on part sur trois tonnes (pour éviter de refaire un transport en cas de manque - parce que ça aussi ça coûte cher !) je pense qu'il vous en coûterait une bonne trentaine d'écus...

Il but deux gorgées de vin.

- Et comme vous êtes mon amie, je vous le ferais à vingt... mais avec le transport je suis obligé d'établir le prix à vingt-cinq écus... sinon je ne pourrais payer mes hommes. Sur cette base, effectivement, l'hébergement à Marbrume peut-être déduit mais, honnêtement, mes hommes ne restent jamais longtemps dans la capitale. Un jour ou deux... mettons deux nuit d'auberge pour deux personnes... vous voyez bien qu'on est loin de pouvoir descendre en deçà de vingt-trois ou vingt-quatre écus (et encore je suis large !). Et votre dispensaire... ma foi... j'espère qu'il sera occupé... mais même, vous savez, nous faisons en moyenne deux aller-retours par mois alors... ce n'est pas avec cet hébergement que vous pourrez payer le bois... Enfin bon, puisque vous être mon amie, je peux vous proposer vingt écus avec l'hébergement de mes hommes. Je vous dois bien ça après tout... après tout ce que vous avez fait pour moi !

Il mangea un peu, pour remédier à l'ivresse qu'il sentait monter un peu en lui.

- Cela vous siérait-il ?

Il sembla à Hector qu'Idalie était pensive... Avait-elle des soucis d'argents ? Il avait entendu des rumeurs comme quoi la monnaie manquait à Marbrume mais il ne pouvait y croire. Vivant en vase-clos - ou presque (il n'y avait bien que Sombrebois et le Labret qui survivaient au delà de Marbrume) - il se demandait où aurait bien pu passer l'argent ! Les riches auraient pu le garder... mais eux aussi devaient manger alors ils devaient enrichir les agriculteurs du Labret, les éleveurs des faubourgs et les pêcheurs... Alors était-ce eux qui gardaient l'argent ? Nul doute qu'ils avaient également besoin d'autres choses que des denrées qu'ils produisaient et qu'ils n'avaient pas d'intérêt à garder trop d'argent dans leurs bas de laine...

Enfin, elle lui expliquerait peut-être, sinon cela, au moins ce qui occupait présentement ses pensées.

Tout en continuant de manger et de boire tranquillement, Idalie écouta le baron réfléchir à voix haute. Trente écus... Non, c'était trop cher. Ah, il proposait vingt écus, maintenant, ce qui était beaucoup mieux. Avec le transport et, donc, la main-d'œuvre. Vingt écus et l'hébergement de ses hommes. C'était pas mal, surtout considérant que le trajet jusqu'à Marbrume pouvait s'avérer dangereux. Elle resta malgré tout pensive un instant.

« Oui, enfin... Je comprends votre raisonnement, mais je crois que vous n'avez pas tout à fait raison vis-à-vis de l'hébergement. Je crois que vous en diminuez un brin la valeur, d'une part parce qu'il s'agit d'un établissement luxueux et que toutes les commodités seront fournies – repas, bain, prise en charge des chevaux si nécessaire, etc. -, d'autre part parce que c'est un investissement à considérer sur la durée. L'hébergement ne vous est pas offert que pour deux ou trois mois, il vous est offert pour une période prolongée. Il n'est pas destiné à tout payer maintenant, mais à rembourser au fil du temps, car vous aurez assurément un peu toujours des affaires à mener à Marbrume. »

Idalie sourit, ayant exprimé son point de vous calmement, en regardant Hector dans les yeux.

« Disons 18 écus, Hector. Je doute avoir besoin d'autant de bois, mais je ne peux pas vous en vouloir de calculer aussi haut, car vous n'avez pas les dimensions des meubles – je vous ferai parvenir le tout avant que vous repartiez pour Sombrebois, j'ai le détail. Vous verrez. »

Elle avait, cette fois, un petit air sûr d'elle qui laissait croire qu'elle avait tout de même fait ses devoirs avant de venir à cette rencontre. Elle gardait toutefois un sourire amical. Elle ne tentait pas de rouler Hector, mais elle essayait de trouver un terrain d'entente qui conviendrait également à Apolline. Elle lui avait fait confiance et elle voulait se montrer digne des responsabilités qu'elle avait mises entre ses mains.

« Et puis... »

Idalie laissa sa phrase en suspens. Son regard était maintenant un brin espiègle et joueur. Il avait quelque chose de l'Idalie avec laquelle Hector avait tournoyé sous le saule danseur, de cette Idalie qui avait en elle un peu de folie.

« ... à 18 écus, puisque nous sommes amis, je vous vais parvenir un cadeau mystère à Sombrebois pour vous remercier. Je ne vous dis pas quoi, je ne vous dis pas quand, je ne vous dis rien d'autre. Rien d'autre sauf ceci : je l'aurai fait de ma main, j'y aurai mis du temps, et il vaudra tous les écus du monde! »

Elle ajouta dans un petit murmure amusé :

« Enfin, j'espère. »

Idalie questionna Hector du regard. Accepterait-il?

Si Hector, au vu de l'amitié qui le liait à Idalie, avait déjà fait un effort pour lui offrir le meilleur prix, la jeune femme prit la parole pour négocier encore cet avantageux tarif ! Le baron fit une moue de déception que l'évocation du "cadeau mystère" parvint difficilement à estomper.

- Et bien ! Vous êtes une sacrée négociatrice Idalie... on ne m'avait encore jamais fait le coup du cadeau mystère ! Malgré cela... 18 écus, c'est...- Il se gratta la barbe - compliqué !

N'étant guère pressé, il reprit silencieusement son repas. La poule au pot était un met relativement simple mais goûtu... et, ici, la façon dont elle avait été préparée - et agrémentée de différents légumes, aux textures et goûts variés - le rendait bien plus original, intéressant gustativement et véritablement délicieux ! Sa dégustation rendait Hector joyeux, le mettait de bon humeur... presque prêt à accepter ce prix ridicule. Pour deux écus... certes il n'était pas à deux écus près... L'était-elle, elle ? Cela lui semblait difficilement concevable tant la famille d'Auvray était - dans son esprit - une famille aisée... et elle-même, cette chère Idalie, ne devait pas être du genre panier percé... Alors peut-être était-ce son frère, le fameux Zéphyr, qui dépensait plus que de raison ? Hector sourit à cette idée. Il acheva son deuxième verre de vin et leva les yeux vers le joli minois d'Idalie.

- Vous me faîtes craquer Idalie ! Un cadeau surprise... Je ne peux résister à un cadeau surprise... fait de vos belles mains qui plus est ! Et je suis en effet certain qu'il aura à mes yeux bien plus de valeur que quelques malheureuses pièces d'or !

Il s'essuya la bouche avec la serviette prévue à cet effet, remit le verre d'Idalie à niveau puis re-remplit le sien avant de le lever.

- Dix-huit écus ! Marché conclu !

Evidemment il ne dirait pas à Hilde le montant auquel il avait vendu le fruit de son dur labeur ! Il se contenterait de lui payer son salaire habituel en piochant dans le trésor de ses ancêtres. Mais pour un cadeau surprise d'Idalie, Hector aurait pu faire bien pire !

Il se demandait bien ce que ce cadeau pourrait-être... un petit effet personnel de la demoiselle agrémenté d'un mot doux ? quelque chose en rapport avec la fameuse épopée de leur première soirée ? quelque chose qu'elle imaginerait très utile pour lui, en rapport avec l'un de ses centres d'intérêts (matériel de chasse, de combat, vêtements de séducteur ! ah ah... hum !). Il était sûr qu'elle saurait, en tout cas, lui faire plaisir !

- Je pourrais vous faire livrer le bois fin juin... mmmh... disons autour du 20. Cela vous irait-il ?

Il finit son assiette, attendit qu'Idalie en ait fait autant et finit par interpeller l'aubergiste afin qu'il lui nomme les pâtisseries et autres dessert qu'il proposait ce jour. En entendant les mots suivants : "un Kougelhopf de crème de fleurs aux lianes rosées", le baron s'extasia :

- Mais qu'est-ce donc que cela cher monsieur ?!
- Mmmh et bien il s'agit d'une crème aux jaunes d’œufs, miel de fleurs, dans laquelle nous incorporons de petits cubes d'un gâteau traditionnel d'une contrée nordique lointaine - dont un de mes commis est originaire - et à laquelle j'ai pris soin d'ajouter une petite compotée de rhubarbe.

La bouche du baron était emplie de salive et son sourire était aussi large que son nez était grand !

- Qu'en dîtes-vous Idalie ? Me suivez-vous à la découverte de cet exotique dessert ?

Lorsqu'Hector déclara que dix-huit écus, c'était compliqué, Idalie secoua doucement la tête et lança, la voix pleine de bonne humeur :

« Mais c'est aussi optimiste, mon cher Hector! »

Elle aurait pu compléter en disant que l'optimiste, c'était beau, mais elle n'ajouta rien, bien certaine que le baron comprendrait de lui-même. Elle laissa Hector réfléchir et continua simplement son repas. Elle ne comptait pas le presser pour obtenir sa réponse, même si elle l'attendait tout de même avec une certaine impatience. Elle ne pensait pas exagérer en lui demandant de lui faire le tout à dix-huit écus... Il n'allait pas se retrouver à la rue à ce prix et elle considérait tout de même lui offrir une compensation satisfaisante. Peut-être pensait-il autrement pour sa part, par contre.

Un sourire éclaira le visage d'Idalie lorsque, après mûre réflexion, Hector déclara qu'il craquait et acceptait de conclure une entente à dix-huit écus. Savait-elle ce qu'elle allait lui offrir comme cadeau? Aucunement! Elle avait toutefois plus d'un tour dans son sac et trouverait bien de quoi faire plaisir à Hector. Elle prendrait le temps d'y penser, car, maintenant qu'elle s'était engagée à concevoir ce présent, elle comptait bien faire les choses proprement. Jamais elle n'oserait offrir un cadeau impersonnel et conçu à la va-vite. Lorsque sa promesse parviendrait à Hector, elle serait parfaite. Rien de moins!

« Merveilleux! », fit-elle, un sourire ravi sur les lèvres.

Hector proposa ensuite de faire livrer le bois pour le 20 juin. Idalie eut une petite moue pensive.

« Si vous n'êtes pas en mesure de livrer la commande avant le 20 juin, le 20 juin ce sera, Hector... Néanmoins, le plus tôt sera vraiment le mieux et, si vous êtes capable de me faire parvenir le bois avant cette date, vous aurez, en plus d'un cadeau, toute ma gratitude! Il y a tant à faire... »

Idalie se perdit brièvement dans ses pensées, comme si elle revoyait mentalement sa liste de choses à faire. Elle revint rapidement à elle et sourit de nouveau à Hector. Elle n'insista pas, car elle se doutait qu'il avait à faire de son côté et que le transport serait potentiellement difficile. Demander ne coûtait rien, alors elle se l'était permis. Advienne que pourra!

Hector rappela l'aubergiste alors qu'Idalie sirotait son vin. L'homme leur nomma les spécialités offertes pour le dessert et le baron sembla s'extasier devant une pâtisserie portant un nom des plus étranges et intrigants. L'aubergiste s'expliqua, Hector saliva, Idalie rit.

« Tout à fait, me voilà officiellement curieuse », répondit-elle avec enthousiasme.

L'aubergiste les quitta un instant pour mieux revenir avec le dessert au nom un brin saugrenu. Idalie le remercia et se perdit un instant dans la contemplation de la pâtisserie qui se trouvait devant elle. Si elle ne saliva pas, c'était bien uniquement parce qu'elle était une dame de la haute société et qu'elle ne pouvait pas se le permettre!

« Je vais me sacrifier et goûter la première », dit-elle d'un ton presque chevaleresque.

Sur ces bonnes paroles, elle prit une bouchée avec délicatesse. Savoura. En prit une deuxième.

« Que les Trois me gardent, cette pâtisserie est un véritable péché! Allez-y, goûtez, Hector. Je ne crois pas avoir déjà testé pareil mélange de saveurs. »

Elle le regarda, attendant sa réaction.

« Vous avez un dessert préféré? », demanda-t-elle avec curiosité.

- Je le note... mais, vous savez, nous livrons déjà pas mal de monde... et nos capacités de livraison ne sont pas extensibles à l'infini... remarquez... ça me donne une idée. Peut-être pourrions-nous embaucher quelques conducteurs livreurs... cela nous permettrait d'accélérer les cadences des allers-retours. Avec la population qui revient à Sombrebois... mmmh... pas mal du tout comme idée.

Il sourit à la noble. Ils commencèrent à déguster le formidable dessert du chef (enfin d'abord Idalie et ensuite Hector) "Je verrais, du coup, si je puis vous livrer avant le 20... Mais... je suis de votre avis ; elle est... délicieuse ! Très bon choix de restaurant mademoiselle, très bon choix !"

Elle lui posa ensuite la question de son dessert préféré... Hector réfléchit un instant. C'était une question qu'il s'était souvent posé sans avoir pu trouver de réponse. Pour son amie, il pourrait bien en citer une...
- Je dirais qu'avant de goûter celle-ci, j'avais un faible pour les flans au miel. Un délice ! Et vous-même, une préférence ?

Après la réponse d'Idalie, un éclair (de génie ?) lui traversa l'esprit. Il finit son dessert pour ne pas parler la bouche pleine - noblesse oblige - et posa sa question :
- Au fait, avant que j'oublie... A quelle adresse se situe votre local ? J'imagine que les ébénistes travailleront sur place ? Ou bien faut-il les amener à un atelier particulier ?

Hector avait-il mis le doigt sur un malentendu ? Il n'en avait évidemment pas conscience. Il était détendu, calme et repu. La "thérapie" offerte par Idalie lui avait vraiment fait du bien : revivre, sortir, marcher, manger... et, surtout, accaparer son esprit par sa présence lui avait fait un bien fou. Qu'en serait-il quand il se retrouverait seul avec lui-même ? Son esprit garderait-il sa sérénité ou bien vrillerait-il de nouveau dans la folie douce comme il l'avait déjà fait quelques fois ?

Si Hector n'était pas certain de pouvoir faire la livraison avant le 20 juin, Idalie lui offrit tout de même un sourire optimiste. Il avait une idée, celle d'engager davantage de personnes pour effectuer les livraisons, et elle avait bon espoir que cela signifiait pour elle que son bois arriverait à Marbrume plus tôt que prévu. Dans tous les cas, elle savait bien que le baron ne la ferait pas attendre inutilement. Après tout, il savait bien à quel point ce projet lui tenait à cœur.

Les deux nobles laissèrent un instant le sujet de côté pour déguster le savoureux dessert que l'aubergiste venait de déposer devant eux. Un délice! Idalie réfléchit quand Hector lui retourna la question et voulut savoir quel dessert la faisait saliver à tous les coups.

« Mmhhh... Je dirais... »

Elle hésita. Elle avait la dent sucrée, lui demander quel dessert elle préférait était comme demander à une mère lequel de ses enfants elle aimait le plus! Ou presque...

« La cuisinière du domaine d'Auvray faisait une sorte de beignet fourré aux petits fruits absolument divin... À moins que... Son gâteau au caramel... Non, non, je crois que ce serait mon préféré. Le beignet. »

Idalie rit, puis continua de manger avec des manières dignes de son rang – l'envie d'engloutir avec gourmandise l'exquise pâtisserie ne manquait pourtant pas! Lorsque les assiettes furent vides, Hector posa une question qui étonna Idalie. Légèrement confuse, la jeune femme pencha doucement la tête. Un air interrogateur se peignit sur son visage.

« Des ébénistes? répéta-t-elle. Oh, n'y pensez guère, Hector : nous aurons les nôtres. Je n'ai réellement besoin que du bois et, oui, je crois qu'il vaut mieux le faire livrer directement à l'auberge. Je vous indiquerai l'adresse dans les documents détaillés que je vous ferai parvenir avant que vous quittiez pour Sombrebois. Si jamais, après consultation avec la comtesse de Pessan, le local pour la livraison devait changer, je l'écrirai également dans ces papiers. »

La jeune femme regarda un instant Hector et lui sourit.

« C'était délicieux, dit-elle en constatant qu'il ne restait plus la moindre trace de nourriture sur la table. Aimeriez-vous autre chose? Sinon, je me disais que je pourrais vous accompagner jusqu'au temple... J'aimerais aller prier avant de vaquer au reste de mes occupations. À moins que vous planifiiez aller autre part? »

Ainsi tout était clair pour la transaction de bois entre les deux nobles. Avec le repas terminé, l'heure de la séparation n'allait pas tarder à arriver. Hector partagea le restant de la bouteille entre les deux verres qui brillaient joliment sur la table à la belle nappe blanche. Il s'adossa à sa chaise et prit son verre entre ses doigts, jouant à envoyer les rayons du soleil en toutes directions grâce à ses multiples surfaces sculptées. Il se perdit un peu dans ses pensées, fatigué qu'il était par le contrecoup de ses jours de soins et d'attente...

- Aimeriez-vous autre chose? Sinon, je me disais que je pourrais vous accompagner jusqu'au temple... J'aimerais aller prier avant de vaquer au reste de mes occupations. À moins que vous planifiiez aller autre part ?

Il sourit légèrement à Idalie et ses yeux mi-clos se plongèrent dans ceux de la jeune femme. Il ne répondit pas tout de suite. Son cerveau fonctionnait lentement.
- Je n'ai rien planifié... mais je n'ai guère envie de retourner dans l'obscurité. Que diriez-vous de faire quelque détour par les jardins ducaux ? euh... royaux... Si bien c'est la dernière que je pourrais les voir...

Un drôle de pré-sentiment venait de le l'étreindre. Au delà même de son éventuel bannissement - et comme rarement auparavant - il craignait pour sa vie. Il se sentait fatigué... diminué même. Son épaule blessée, il se sentait moins fort qu'il ne l'avait jamais été. Il se leva, alla payer l'aubergiste et sur le pas de la porte, prit la main d'Idalie.

- Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi, chère Idalie... Je m'en souviendrais toujours.

Il porta la main à sa bouche pour la baiser délicatement avant de lui rendre sa liberté. Il tint la porte à la demoiselle et passa derrière elle. Il fit basculer son visage vers le ciel, ferma les yeux et inspira longuement l'air chaud de ce bel après-midi. Il resta une seconde dans cette position avant de rouvrir ses rondes mirettes.

- Attendez-moi, jeune fille ! Attendez-moi !

Il accourut à ses côtés.

- Non mais quoi ?! Vous croyiez vous débarrasser de moi si facilement ?!

Il lui fit un petit clin d’œil et un sourire filou.

Pendant quelques secondes, la question d'Idalie resta sans réponse. La jeune femme observa son interlocuteur, qui paraissait tout d'un coup bien pensif. À quoi songeait-il ainsi? Elle scruta son visage et chercha son regard sans parvenir à saisir l'objet de ses pensées.

Finalement, Hector suggéra un passage dans les jardins royaux, expliquant que ce serait probablement la dernière fois qu'il pourrait les voir. Idalie pencha la tête, un brin interloquée. D'où lui venaient ces soudaines pensées sombres? Elle n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit – il se leva pour payer, chose un peu inutile parce qu'elle avait réglé la note d'avance. Hector état, après tout, son invité. L'aubergiste dit au noble que tout était déjà en ordre. S'il insistait pour lui donner quelque chose, il accepterait bien un pourboire, mais sans plus. C'était un homme honnête qui ne cherchait pas à profiter de la fortune des plus nantis.

Idalie se leva à son tour. Hector prit sa main pour y déposer un baiser courtois et la remercier encore de ce qu'elle avait fait pour lui. Pleine de bienveillance, la noble sourit doucement. Elle était contente d'être venue en aide au baron. Elle avait fait une bonne action qui lui avait, au passage, permis de réellement mettre un point final à l'histoire qui avait pu la lier a Hector.

« Ce n'est rien du tout, Hector... Je suis reconnaissante envers les Trois de m'avoir permis d'être là au bon moment pour vous. »

Ils sortirent. Idalie fit quelques pas, puis, n'entendant plus Hector près d'elle, elle se tourna. Elle le vit accourir en lui criant de l'attendre. Elle secoua la tête en souriant.

« Vous me prêtez là de bien viles intentions, Baron! », répliqua-t-elle à son accusation.

Elle se remit en route en sa compagnie.

« Nous pouvons faire un léger détour aux jardins royaux si vous le souhaitez, mais je ne peux malheureusement guère m'attarder trop longtemps en raison de ce couvre-feu qui rend les journées beaucoup trop courtes. »

Idalie sourit, puis pencha doucement la tête, l'air interrogateur.

«Vous m'avez brièvement semblé d'humeur sombre tout à l'heure, avant que nous quittions l'auberge... Votre esprit est-il troublé, Hector? Vous savez que vous pouvez tout me dire – je n'en répéterai évidemment nul mot à personne. »