L'art de négocier avec un baron bien particulier [PV Hector]

La route montait en direction de l'esplanade et, si sa chère Idalie était aimable et réconfortante, si quelques passants, d'un petit mot ou d'un signe de tête remerciait l'un des héros de Marbrume, d'autres le regardait du coin de l’œil, méfiants, comme s'ils se demandaient à quel moment le noble se transformerait en monstre et leur sauterait dessus pour les dévorer vifs !

- Les gens sont troublés, vous voyez... A en croire certaines rumeurs, les hommes touchés par les fangeux pourraient devenir fangeux à tout moment ! Il paraîtrait même que certains sont expulsés de Marbrume, bannis comme de vulgaires assassins ! Alors voilà... comme je vous le disais, je ne sais pas si je reverrais les beaux jardins du castel.

Il marchait à côté de la jeune fille aux pas légers. Lui-même se sentait léger... mais d'une légèreté éthérée, de celle d'un spectre... Était-il réellement présent dans ce corps par trop souvent blessé ?

- Et puis... je ne sais pas... je me sens un peu... comment dire... affaibli. J'ai peut-être mené trop de combats. J'ai peut-être subi trop de blessure. C'est comme si j'avais consommé toute mon énergie vitale, voyez-vous ? Je me sens comme... vide.

Ne voyait-il pas là le contre-coup de son amour déçu ? Le coup de foudre qu'il avait eu pour Ambre pouvait-il s'oublier si rapidement ? Son amie lui avait bien fait sortir la tisserande de la tête mais maintenant qu'ils allaient se séparer, son amour déçu ne lui reviendrait-il pas en plein cœur comme une flèche ennemie ?

Il aurait voulu prendre Idalie dans ses bras mais il savait, il sentait bien, que ce n'eut point été raisonnable. Alors il lui sourit simplement, tentant de dissimuler un peu son tourment, tentant de montrer un visage optimiste et conquérant.

- ...mais ce n'est sans doute que cette blessure. Et cette blessure sera bientôt cicatrisée ! A Sombrebois je reprendrai des forces et, avec mes amis, nous reconquerrons le sud du Morguestanc ! Hourra pour Sombrebois !

Ils entrèrent dans le quartier noble sous les regards surpris des gardes, sans voir que dans leurs dos, ils devisaient sur l'autorisation que pouvait avoir le baron de Sombrebois pour pénétrer l'esplanade. Mais dans le doute, ils l'avaient laissé passer. La noble d'Auvray et le baron montèrent encore jusqu'aux jardins du palais. Hector se souvint des délicieux moments qu'il avait vécu ici. Le baiser de Grâce, son ancienne femme, la nuit d'amour passée avec Kira, sa formidable amante...

- Avez-vous quelques souvenirs ici même, Idalie ? Les jardins sont propices au romantisme et... je ne pourrais croire que vous n'y ayez point rencontré quelque âme sœur ou, disons, au moins, que vous n'y ayez point échangé quelques mots - plus ou moins doux - avec quelque mystérieux inconnu ?

Il aurait pu ajouter que si ce n'était pas le cas il pourrait remédier à ce triste état de fait mais non, vraiment, ce n'était pas la personne avec qui jouer ce petit jeu. Pas après ce qu'ils avaient vécu, pas avec le cœur dont elle avait fait preuve à son égard !

Hector disait avoir mené trop de combats, subi trop de blessures. Idalie se dit que les combats les plus rudes n'avaient probablement pas été ceux livrés contre les Fangeux, que les blessures les plus douloureuses n'avaient pas été infligées par des ennemis. Non, les douleurs qui semblaient le plus troubler et atteindre Hector étaient celles du cœur. Le sien était si prompt à aimer qu'il avait été brisé à répétition. Souvent par sa faute, probablement, mais il n'en demeurait pas moins que les morceaux devaient être de plus en plus difficiles à recoller et que la tristesse, à défaut de se loger dans son réceptacle habituel, s'insinuait dans l'esprit.

Tandis qu'elle écoutait Hector, Idalie ne put s'empêcher de craindre pour lui. Il paraissait mieux que lors de leur première rencontre, beaucoup mieux, mais cela durerait-il? Lorsqu'il serait de nouveau seul avec lui-même, se laisserait-il de nouveau aller à la folie? Elle ne voulait pas y croire... Non. Tout irait mieux lorsqu'il serait a Sombrebois, sur sa terre, parmi les siens. Marbrume ne serait plus là pour lui rappeler les horreurs vécues une quinzaine de jours plus tôt et le rejet de cette jeune femme qu'il avait aimée. Tout irait mieux pour lui quand il aurait quitté la cité. Elle le sentait. Aussi offrit-elle un sourire optimiste à Hector lorsqu'il déclara qu'il reconquerrait le sud du Morguestanc avec ses amis de Sombrebois

« Bien sûr, et les bardes chanteront vos exploits, qui seront alors connus dans toutes les chaumières! répondit-elle dans un rire plein d'entrain. J'ai foi que votre énergie vitale vous reviendra vite une fois de retour chez vous, Hector. »

La jeune femme sourit à Hector tandis qu'il pénétraient dans les quartiers nobles afin de cheminer jusqu'aux jardins royaux. Lorsqu'ils furent arrivés à destination, le baron s'osa à une question un brin étrange. Ah, Hector... Que s'imaginait-il? Que les galants se précipitaient à ses pieds?

« Nulle rencontre romantique en ces jardins pour moi, je le crains, mon cher Hector, dit-elle, quitte à le décevoir. Ils sont splendides, mais je m'y suis peu aventurée. Qui plus est, je crois que vous vous méprenez grandement vis-à-vis de ma popularité auprès des gentilshommes. »

Idalie rit, secouant un peu la tête. Certains hommes lui montraient parfois de l'intérêt, mais elle était loin de celles qui les avait tous à ses pieds. Comparée à d'autres nobles, elle était bien quelconque – selon elle, à tout le moins.

La noble aurait pu retourner la question à Hector, mais elle ne le fit pas. Il devait avoir eu des escapades romantiques dans ces jardins et, même s'ils passaient à autre chose tous les deux, elle ne voulait pas risquer de raviver le froid et le malaise qui s'étaient installés entre eux après la malheureuse décision d'Hector de lui préférer une autre.

« Est-ce votre endroit préféré à Marbrume? lui demanda-t-elle plutôt. Et sinon, quel est-il et pour quelles raisons? »

Hector écouta avec joie les mots rassérénant de son amie. Elle savait comment lui mettre du baume cœur et ne s'en privait pas. Et lorsqu'elle lui avoua n'avoir guère vécu d'épisodes romantiques en ces jardins, n'être guère populaire auprès des gentilshommes, le baron ne put s'empêcher de faire une mou désapprobatrice :

- Alors cela viendra j'en suis sûr. Vous le méritez... et je ne puis croire être le seul à... voir votre beauté !

Il sourit largement et tapota l'épaule d'Idalie pour éviter toute ambiguïté. Elle lui demanda ensuite quel était son lieu de prédilection si ce n'était ces jardins.

- Vous avez bien deviné que ces jardins ont été, pour moi, le théâtre de quelques belles histoires... Mais un autre lieu a mes faveurs : il s'agit du port. J'aime la vie que l'on y trouve, ce monde, cette activité incessante. J'aime ses odeurs : les algues, les embruns, la sueur des ouvriers, les parfums affriolants des prostituées. Bien sûr c'est un endroit trop dangereux pour une jeune femme de bonne famille... mais pour un vieux briscard comme moi, qui ne craint pas de ferrailler lorsque c'est nécessaire, c'est un endroit aux charmes aussi multiples qu'exotiques ! S'il nous est un jour donné de nous promener ensemble à Marbrume, rappelez-moi de vous y mener. Nous mangerons des fruits de mers et nous promènerons sur les quais... c'est à faire !

Mais pour l'heure c'était de fleurs et d'arbustes que le baron et la chevalière étaient entourés. Ils profitèrent de la quiétude et de la douceur de l'endroit en admirant les différentes espèces qui défilaient autour d'eux... jusqu'à tomber sur un beau saule pleureur. Là, le baron sourit et regarda Idalie.

- Vous pensez à c'que j'pense ?

Une seconde il se dit qu'il aurait aimé danser avec elle... mais, après une petite réflexion il se dit que tout cela était bel et bien fini. Le temps de l'insouciance était terminé ; pour elle comme pour lui. Au fond, il n'aspirait qu'à revenir sur ses terres, mener une vie de seigneur, être un baron de Sombrebois comme son père et son grand-père... et ses ancêtres avant eux. Il avait besoin de se sentir utile ; utile à son peuple et pas seulement utile à ses envies et celles des femmes qu'il aimait - aussi noble que puisse être son attachement.

Vous le méritez... et je ne puis croire être le seul à... voir votre beauté! Hector tapota l'épaule d'Idalie, gentiment. Le geste la fit sourire. Il semblait chercher à éviter toute ambiguïté à présent et faire preuve d'une certaine bienveillance à son égard. Elle ne pouvait que l'en remercier – les quelques allusions qu'il avait faites depuis qu'ils s'étaient retrouvés l'avaient troublée et mise plutôt mal à l'aise. Elle préférait les choses telles qu'elles étaient en cet instant précis, c'est-à-dire dépourvues de sous-entendus et, somme toute, innocentes.

Hector mentionna aimer le port. Idalie sourit légèrement. Ce pouvait être un endroit agréable, mais tout dépendant du coin. Le baron semblait apprécier la portion la moins fréquentable du port, mais cela ne l'étonnait guère. Le lieu devait être plein de vie et offrir un spectacle unique. Idalie ne s'était jamais réellement hasardée là-bas. Peut-être irait-elle un jour, et peut-être irait-elle même en compagnie d'Hector, comme il le souhaitait.

« Ce serait assurément une véritable aventure et je ne saurais évidemment refuser de savoureux fruits de mer », répondit-elle en souriant.

Leur promenade dans les jardins se poursuivit et Idalie profita de cet instant de tranquillité en compagnie du baron. Leurs pas les menèrent étrangement jusqu'à un splendide saule pleureur. Tous deux s'arrêtèrent d'un même geste pour le regarder. C'était sous cet arbre – enfin, pas celui-là, mais sous un saule – que tout avait commencé. Un moment hors du temps qu'Idalie avait chéri avant de le détester. Qu'en pensait-elle maintenant? Elle n'en savait trop rien. La sensation était en réalité douce-amère. Peut-être plus douce qu'amère en cette journée.

« Bien sûr, dit-elle. Comment ne pas y penser? »

Idalie fixa un instant Hector. Son regard et son sourire étaient bienveillants. En silence, devant ce saule, elle lui dit des yeux ce qu'elle ne lui avait pas encore dit. Je vous pardonne du mal que vous m'avez fait, Hector. Je vous pardonne d'avoir pris mon cœur sous ce saule et de l'avoir brisé. Je ne veux plus songer à la tristesse. Je veux garder le beau, le doux. Je veux l'espoir et le renouveau.

Un dernier sourire, un dernier silence.

« Rentrons... Si les jardins n'ont pour moi pas été le théâtre d'aventures romantiques, ils m'ont offert tout ce que j'aurais pu espérer d'eux aujourd'hui. »

Et d'un geste, Idalie invita Hector à prendre le chemin du retour.

Ainsi se fermait une page de l'histoire d'Idalie et Hector... et s'en ouvrait un nouveau chapitre. Les choses s'étaient clarifiées, éclairées. En même temps qu'Hector avait été "soigné" de ses maux, il avait su trouver le ton adéquat dans sa relation avec la petite noble délurée. Ils quittèrent les jardins puis l'Esplanade et prirent la direction du Temple, Hector savait qu'ils allaient bientôt se séparer mais n'en ressentait aucune peine démesurée. Il était reconnaissant envers Idalie et conscient qu'il ne devait (et devrait) pas abuser de sa gentillesse.

- Merci encore pour votre aide ces derniers jours... Je ne sais ce que je serais devenu sans vous ! Mes prières iront vers vous ces prochains jours, soyez-en sûre !

Et malgré le fait qu'il ait à fournir du bois à la demoiselle d'Auvray, il ne pouvait se départir de ce sentiment d'adieu qui semblait devoir régir cette séparation. Sa voix et ses mots prirent donc un ton grandiloquent :
- Je ne vous oublierai pas Idalie, et j'honorerai chaque jour votre bonté et votre abnégation. Ad... Au revoir ma demoiselle, je vous amènerais le plus rapidement possible le bois dont nous avons parlé !

Il aurait voulu ajouter qu'il le lui promettait mais ses pressentiments lui interdisaient toute promesse en ce sens. Peut-être remarquerait-elle cette hésitation ? Peut-être en serait-elle affectée ? Toujours est-il qu'il ne pouvait faire autrement que de suivre son instinct. Il était comme ça le baron... et ne changerait pas. Il suivrait son instinct jusque dans sa tombe !

Il profita des derniers pas jusqu'au Temple pour se réchauffer encore un peu sous les beaux rayons de soleil qui lui avaient tant manqué durant sa convalescence, se promettant de les retrouver chaque jour jusqu'à son départ.

- Le temps va me sembler de plus en plus long, je crois, avant mon départ. Plus il passe, mieux je me sens, et moins le repos au Temple me convient ! Il me tarde de retrouver mes terres... il me tarde même de reprendre la route des marais, voyez-vous ! Tout plutôt que la noirceur et l'enfermement ! Ah ah ! Je vais quémander à Florian de préparer notre charrette. Il va me falloir de l'espace ; de la route ; et quelques aventures !

Il rit un peu à l'évocation de ce qui faisait le sel de sa vie.

- Qu'avez-vous prévu de beau, pour les jours à venir, Idalie ? J'imagine que l'aide aux victimes va occuper une place centrale dans vos occupations... Et... votre projet occupera sans doute une autre bonne part de votre temps également... alors ? Que restera-t-il pour... Zut, vous n'aurez pas le temps de prendre les armes pour sécuriser les abords de Marbrume ! Quel malheur ! Vous allez vous ramollir, guerrière ! Et le Roi va se sentir en danger ! Ça ne va pas, ça ne va pas !

Il sourit en imaginant Idalie en armure de plate et épée lourde. Elle n'eut pas tenue bien longtemps sur un champ de bataille... à moins qu'elle n'usa de sa roublardise pour éviter les lames et tuer sans être vue... Mais tout cela n'était que le fantasme d'un noble et fiévreux batailleur. Il y avait fort à parier que ses images n'évoquent pour la demoiselle d'Auvray que terreur et malheur !

- Je vais devoir me remettre rapidement en selle pour protéger le royaume en votre absence !

Il fit une révérence à Idalie et pénétra dans l'obscurité du Temple.

« Et soyez certain que vous serez également dans mes prières, Hector. »

Idalie sourit au baron. Ils avaient quitté les jardins pour retourner au temple et le temps était maintenant venu de se séparer. Hector fit ses au revoir avec la grandiloquence que la jeune femme lui connaissait et lui assura qu'il lui apporterait le bois qu'elle avait demandé le plus rapidement possible. Idalie le remercia d'un léger hochement de tête et d'un regard reconnaissant. Hector ne promettait rien, mais elle savait qu'il mettrait tout en œuvre pour lui acheminer ce dont elle avait besoin et l'aider à concrétiser ce projet qui lui tenait tant à cœur.

Idalie écouta Hector lui parler de sa hâte de rentrer chez lui, à Sombrebois. Elle secoua la tête en souriant quand il mentionna sa soif d'aventure... Elle ne doutait aucunement que le baron allait vivre une panoplie d'événements qu'il se ferait fort probablement un grand plaisir de lui relater la prochaine fois que leurs chemins se croiseraient.

La noble pouffa quand Hector se mit à raconter qu'elle serait trop occupée pour protéger le royaume et qu'il devrait rapidement se remettre sur pied pour le faire à sa place. Elle s'imagina un instant en guerrière et cette image, par son ridicule, l'amusa. Elle, avec une armure? C'était une idée saugrenue. Elle savait se servir d'une dague – c'était son secret! – et avait déjà essayé de manier un peu l'épée – sans grand succès! -, mais c'était là l'étendue de ses capacités de combattante...

« Eh oui, je crois que vous devrez prendre ma place pour le bien commun, Hector », dit-elle en riant.

Le baron fit alors une révérence, un geste qu'elle s'empressa d'imiter. Une fois redressée, elle regarda Hector avec bienveillance.

« Prenez soin de vous, Hector. Soyez prudent en retournant à Sombrebois. Puissent les Trois veiller sur vous. »

Elle salua une dernière fois le baron, puis le suivit des yeux tandis qu'il disparaissait dans l'enceinte du temple. Elle s'accorda un instant de prière sous les rayons du soleil, puis s'éloigna d'un pas calme, se demandant si elle allait un jour revoir Hector. Les Trois décideraient bien pour eux...