Clervie,"La vengeance est mon guide"
◈ Identité ◈
Nom : de Sombrelune
Prénom : Clervie (parfois surnommée Claire). Elle hérite à son arrivée dans la milice du sobriquet peu flatteur de Dame Corbac à cause de ses cheveux noirs de suie et de son attitude fière.
Age : 18 ans
Sexe : Féminin
Situation : Célibataire
Rang : Noble déchue
Lieu de vie : Quartier de la milice
Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs : Carrière du milicien : ATT+2, HAB+1, PV+5
Compétences et objets choisis :
Compétences
Acuité auditive
Fauconnerie
Alphabétisation
Volonté de fer
Objet : épée de base, gant de fauconnier et une petite dague dissimulée entre les seins. Protection basique (gilet de cuir) ? tunique et chausses.
- Suite à son viol, je n'ai pas employé ce terme dans la narration de la biographie, bien entendu, mais Clervie souffre d'un syndrome d'hyper vigilance, d'où je justifie la compétence "acuité auditive". Cela la rend également prête à vous égorger à la moindre menace émanant de vous, raison pour laquelle ses camarades miliciens ont vite appris à ne plus l'ennuyer. Néanmoins, pour coller à la règle comme quoi, les femmes ne savent pas se battre, même en entrant dans la milice, je ne demande aucune compétence de base en combat. Clervie devrait cependant s'en sortir, elle a une morphologie assez robuste. Pour avoir réussi à survivre un an dans les quartiers populaires, elle a une certaine résillience, d'où la volonté de fer.
- Cependant, Clervie souffre également d'une phobie du feu qui peut se déclencher si elle se trouve face à un incendie. J'avertis les joueurs que je lance un dé dans cette situation. Si je fais plus de quinze, Clervie arrive à se contenir, sinon, elle peut péter un plomb plus ou moins grave.
◈ Apparence ◈
Avec sa haute taille (un mètre soixante-dix) et ses épaules et ses hanches assez larges, Clervie ne correspond pas tellement aux critères de beauté des nobles. Cependant, son visage aux grands yeux sombres et sa longue chevelure noire peuvent lui valoir, à certaines occasions, le regard de la gente masculine. Cela reste de rares occasions, car depuis qu'elle est dans la milice, elle les attache en un chignon sévère. Elle a la peau mate et un profil fier, ses lèvres sont bien dessinées, sa dentition régulière. Sa voix est forte, avec un timbre étonnament grave. Elle portait un jupon noir déchiré et un corsage de lin, vestiges de son ancienne condition, remplacé maintenant par les habits ordinaires de la milicienne. Elle fait plus âgée qu'elle ne l'est, sans doute à cause de l'année qu'elle vient de passer à mendier et à chaparder dans les rues. Malgré les vêtements de milicienne, sa démarche reste fière et altière, son parler souvent soutenu, elle garde une étonnante élégance dans le maintien. Preuve s'il en est que l'on ne peut jamais complètement oublier d'où on vient...
◈ Personnalité ◈
La douce et tendre adolescente est morte en moins d'un an, remplacée par une femme méfiante et avisée. Elle a cependant un bon discernement et sait assez rapidement répérer les gens dignes de confiance. La haine et la soif de vengeance brûlent dans ses veines et elle ne reculera devant rien. Son tempérament fier malgré les quolibets et ses cheveux noirs lui valent d'être surnommée Dame Corbac au sein de la milice. Au premier abord, elle apparaît peu aimable et prompte à la colère. Elle est en effet très impulsive par moment et si vous assistez à une de ses colères... vous risquez de vous en souvenir ! Le traumatisme de son viol la rend en effet très peu patiente vis-à-vis des hommes et elle supporte mal leurs allusions grivoises, craignant toujours qu'ils ne joignent le geste à la parole.
Cependant, Clervie sait se montrer courtoise et bienveillante quand il le faut, les relents de son éducation de noble n'ayant pas encore disparu. D'un tempérament plutôt espiègle, elle peut également faire preuve d'humour et d'une bonne répartie. Au niveau de ses croyances, sa foi envers les Trois est ébranlée depuis ce qui est arrivé à sa famille et elle ne compte que sur elle-même pour se sortir des problèmes. Forte et combative, elle ne courbe pas la tête face aux infects camarades dont la mauvaise étoile l'a dotée à son entrée dans la milice. Ceux-ci, à défaut de la respecter, ont vite appris à la craindre, ne serait-ce qu'à cause de sa capacité à entendre le moindre murmure et à pouvoir réagir très rapidement. Certains prétendent qu'elle ne dort jamais. En vérité, elle est juste capable de s'éveiller au moindre murmure, car elle ne relâche jamais sa garde. Elle ne sait que trop ce qu'il en coûte, que de dormir trop profondément...
Vous l'aurez compris, Clervie de Sombrelune est bien à l'image de l'astre dont elle porte le nom : une face claire et une face sombre. D'un côté douce, bienveillante, courtoise et pleine d'humour, mais de l'autre également vindicative, féroce, froide, calculatrice et d'une détermination qui frise la folie.
Mais malgré ce deuxième aspect ténébreux lié à sa soif de vengeance, Clervie garde également un puissant sens de la justice et en tant que milicienne, essaiera souvent de venir en aide aux gens qui en ont besoin.
◈ Histoire ◈
Clervie naît au printemps 1149 dans la famille des Sombrelune, famille noble ayant réussi à se refaire une situation à peu près convenable à Marbrume, après avoir dû fuir la Fange au début de 1164. Elle a un grand frère de cinq ans son aîné, Alaric, qui lui transmet sa passion pour la fauconnerie. Son père, le baron Renaud de Sombrelune, est alors un marchand d'étoffe respecté qui commence à faire une belle ascension dans la noblesse. Elle grandit sans histoire dans les quartiers nobles, et lorsqu'elle atteint ses seize ans, en 1165, elle est alors loin d'imaginer le drame qui est sur le point de la frapper.
Que s'est-il réellement passé ? Son père aurait-il surpris un dangereux secret politique ? Sa prospérité grandissante aurait-elle fait des envieux à la cour ? Une ancienne maîtresse aurait-elle décidé de se venger ? Ou aurait-il réellement commis le forfait dont on l'accuse ?
Accusés de trahison, le baron de Sombrelune et son fils sont brûlés sur la grande place, leurs richesses confisquées. Aline, la mère de Clervie, devient folle et aliénée devant le spectacle, des archers l'abattent car elle devient violente. Clervie se retrouve donc, à seize ans, complètement livrée à elle-même, dans les bas quartiers.
Sa survie est un miracle. Elle commence sa nouvelle vie avec sa défloraison par deux ivrognes qui la laissent gisant sur le pavé, rouée de coups. Une prostituée, dont elle ne connaîtra que le surnom, la Rosaline, prend pitié d'elle et la soigne. C'est elle qui avisera Clervie de ne jamais se promener dans les bas-fonds sans une lame dans le corsage. Par la suite, Clervie passe presque un an à ne faire que mendier et voler à l'étalage, seule sa bonne étoile lui évitera la corde.
"Putain ou milicienne?"
Mais elle réalise au bout d'un moment que cette situation ne peut pas durer. De plus, comment espérer retrouver les coupables de sa déchéance ? Comment atteindre ce maudit duc qui a si sauvagement fait exécuter sa famille ?
Plusieurs maquerelles lui proposent bien de venir travailler, mais Clervie ne se résoud pas à ajouter la prostitution à sa déchéance. Et le traumatisme de son viol est trop présent. Ne lui reste donc que la millice, qui accepte dorénavant des femmes depuis presque deux ans. De plus, nombreux sont les gradés issus de famille noble qui s'y trouvent. Avec patience, peut-être Clervie saura-t-elle la vérité ?
Flash-back 1 : Les Trois ne reconnurent pas les leurs...
22 Septembre 1165.
Clervie leva la tête, ses longues boucles brunes volant derrière elle. Un timide soleil d'automne perçait d'entre les nuages, alors que des petits sifflements se faisaient entendre. Avec ravissement, la jeune femme contempla le ballet exécuté par le faucon pélérin. L'oiseau au somptueux plumage gris argent décrivait de grands cercles, prêt à défier le soleil. Ses grandes ailes se déployèrent, cachèrent un court instant l'astre du jour. Enfin, l'animal exécuta un grâcieux looping, avant de piquer droit vers sa partenaire humaine.
Son regard doré rencontra les yeux obsidienne de la jeune fille, en une communion muette, alors qu'il se posait avec élégance sur le gant de cuir.
Avec un petit sourire, la jeune fille caressa tendrement la tête du jeune rapace. Cela faisait deux ans qu'Alaric et elle s'occupaient d'Onyx. Le petit oisillon fragile était devenu une superbe femelle qui capturait régulièrement des perdrix bien grasses. Une fois, elle avait même tué une oie.
- Il n'y a pas à dire, soeurette. Cette entêtée t'obéit au doigt et à l'oeil, maintenant.
Clervie eut un petit sourire :
- C'est parce que l'on se comprend bien toutes les deux. La complicité entre femmes, tu connais ?
- Forcément, je suis vaincu ! répondit le jeune homme en riant. Mais tu ne perds rien pour attendre, ajouta-t-il en secouant un doigt sévère. Gwendal saura bien te ramener sur le droit chemin là où Père et moi avons échoué !
- N'y compte pas trop, répliqua Clervie d'un ton malicieux. Il est beaucoup trop fou de moi !
Les deux jeunes gens achevèrent la discussion en échangeant de nouvelles plaisanteries et en riant aux larmes. Alaric de Sombrelune était loin d'avoir le caractère austère de son père Renaud. Tout en lui respirait la malice, de ses grands yeux noirs rieurs à la grand bouche moqueuse. Agé de vingt-deux ans, bien bâti, il attirait facilement le regard des dames.
Assez grande également, Clervie partageait avec son frère les grands yeux sombres, encore que son profil fier la faisait davantage ressembler à son père. Une plaisanterie récurrente disait souvent que la fille avait ravi les traits qui eûssent dû revenir au frère. Mais les longs cheveux d'encre et la bouche pulpeuse de la jeune femme étaient loin de laisser les coeurs indifférents...
Les deux enfants Sombrelune étaient heureux. Alaric se distinguait à la chasse et à la défense de la cité, Clervie coulait des jours plutôt paisibles dans la demeure de Sombrelune. Ses fiançailles avec Gwendal de Beaumont avaient été prononcés un mois plus tôt et elle remerciait tous les jours les Trois de lui avoir accordé la chance d'épouser l'homme dont elle était éperdument amoureuse.
Sombrelune me manquera toujours, mais nous pouvons bâtir un foyer ici, n'est-ce pas ? songea-t-elle en regardant Alaric accueillir Onyx sur sa main à son tour. Certes, l'été avait été agité, avec les émeutes de Labret et le couvre-feu qui en avait résulté, la menace des Fangeux se faisait toujours pressante. Les morts durant l'exode, les morts dans la rue, les alertes, on ne vivait jamais dans la quiétude complète. Mais Clervie était persuadée que leur famille s'en sortirait toujours. Ils étaient unis et solidaires. Leur père avait réussi à leur faire retrouver une situation relativement stable en un an. Elle était décidée à voler à la vie encore quelques moments de bonheur avec sa famille. Si jamais un jour, le dernier bastion de l'humanité qu'était Marbrume devait terminer dans la Fange... Au moins auraient-ils connu encore quelques joies.
Leur fuite de leur ancien domaine de Sombrelune, corrompu par la Fange restait bien présent dans ses souvenirs.
Ils étaient arrivés d'un seul coup, en grand nombre. Les monstres. Leurs yeux luisants dans l'obscurité. Massacrant les villageois, les fermiers. Clervie avait vu quatre de ces créatures déchiqueter François, le vieux majordome, alors que que les vaillants soldats de son père cherchaient à couvrir leur fuite. Quand elle était petite, le vieux François la faisait sauter sur ses genoux. Elle avait pleuré toute une semaine durant l'horrible exode vers Marbrume. Et encore aujourd'hui, Clervie savait que même de jour, les fangeux étaient toujours présents. Malgré les attraits de la chasse, ils restaient en l'occurence très prudent.
Mais Onyx répérait immanquablement le moindre danger aux alentours et son instinct de prédateur la poussait à retourner immédiatement vers la demeure. Clervie et Alaric avaient appris à se fier à ce signe. Les faucons voyaient les fangeux comme des créatures menaçantes, bien plus grandes qu'eux et refusaient d'atterrir s'ils en aperçevaient. Pareil s'il y avait d'autres êtres humains. Alaric et Clervie ne cherchaient jamais à identifier ce qui pouvait effrayer Onyx, ils retournaient immédiatement chez eux sans demander leur reste. Depuis la perte de leur domaine, Alaric et Clervie s'étaient jurés de toujours compter l'un sur l'autre à travers tous les dangers. Et ainsi, ils triompheraient toujours.
Le soleil caressa sa joue. Il faisait vraiment beau aujourd'hui, pour une météo d'automne. C'était un temps parfait pour aller chasser. Onyx dénicherait un faisan, peut-être. Ou un canard...
Nous pouvons encore construire un bonheur durable.
Alors que les frère et soeur s'approchaient du portail, ils firent alors face à une vision insolite.
Un cortège d'une vingtaine de soldats de la milice s'avançait avec empressement vers le domaine. Une boule d'appréhension dans le ventre, Clervie embrassa du regard les lances et les épées tirées. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Y'avait-il eu une nouvelle émeute ?
Aussi tomba-t-elle des nues lorsque celui qui paraissait être le capitaine s'approcha du portail et annonça d'une voix forte :
Par ordre express du Duc Sigfroi de Sylvrur, le baron Renaud de Sombrelune ainsi que son fils, Alaric de Sombrelune sont en état d'arrestation pour hérésie, crimes contre le Duché et complicité de meurtre !
Clervie porta sa main à sa bouche pour étouffer un cri. Quant à Alaric, il fit bravement face au capitaine de la Milice :
- Voyons, il doit s'agir d'une erreur. Mon père et moi avons toujours été très pieux...
L'homme paraissait presque gêné. Il répondit :
- Dans ce cas, laissez-nous fouiller la demeure. Si nous ne trouvons nulle preuve de ces allégations, le procès vous innocentera.
- Soyez assuré de notre coopération.
Clervie sentait son coeur cogner si fort dans sa poitrine qu'elle en eut mal. Elle savait déjà que l'histoire ne se réglerait pas aussi facilement. Preuve ou pas, si quelqu'un les avait faits accuser auprès du Duc et que celui-ci avait pris les faits au sérieux, c'était que quelque personne avait réussi à fabriquer des preuves fallacieuses. Mais pourquoi...?
La suite fut un véritable cauchemar. La milice entra de force dans la maison, devant un Renaud complètement désemparé, pénétra dans les appartements du seigneur. L'instant d'après, le capitaine en ressortait avec une enveloppe décachetée.
- Une correspondance avec la secte des purgateurs ! Monsieur le Baron, je vous mets en état d'arrestation !
- NOOOOOOON ! hurla Clervie. C'est de la calomnie !!! Cela ne se peut !
- Cette lettre confirme les crimes de votre père et de votre frère, Mademoiselle. N'aggravez pas leur cas.
- NON !
Alaric eut le temps de faire deux pas vers sa soeur et de la saisir aux épaules :
- Clervie ! Calme-toi, d'accord ? Il va y avoir un procès. Nous nous défendrons. Toi, tu dois prendre soin de Maman ! J'ai besoin que tu sois forte. Fais-le pour moi, Clervie.
- N... non...
Les yeux de Clervie se brouillèrent de larmes, tandis que dans son esprit retentissaient ces terribles mots, messagers de mort: "Hérésie... Hérésie..."
"Par ordre de Son Excellence le Duc Sigfroi de Sylvrur, Seigneur béni de Morgestanc, Renaud de Sombrelune, ex-baron de Sombrelune, est reconnu hérétique, et condamné à être brûlé sur le bûcher jusqu'à ce que mort s'ensuive, ainsi que son fils Alaric de Sombrelune."
Des murmures consternés se répandirent parmi la foule. Mais cela ne dura pas. Une voix d'homme entonna en effet :
- A mort les hérétiques !
- A mort les hérétiques ! reprirent d'autres voix.
- Sales vomitifs à fangeux !
- On devrait bannir la mère et la fille, elles vont porter malheur !
- Brûlez-les !
L'humiliation. La haine. Le dégoût. Clervie n'en revenait pas que les gens de la ville, autrefois si chaleureux avec eux pour certains, puissent ainsi les détester à présent. Etait-ce donc si facile ? Marbrume, qui les avait recueillis une année plutôt, pouvait vraiment commettre telle injustice ?
- Que la sentence soit appliquée !
- NON !!! Alaric ! Renaud ! Mon enfant ! Mon mari ! Je vous en supplie !!!!
Clervie n'aurait pu dire ce qui était pire. Voir le bourreau jeté les torches dans le bûcher, voir Alaric serrer les lèvres pour ne pas hurler alors que les flammes atteignaient ses pieds ? Les cris déchirants de terreur de son père qui criait merci, jurait être innocent ? Ou les sanglots de sa mère, qui se débattait pour échapper à ses bras ?
Milles lames de souffrance la transperçèrent, alors qu'Alaric hurlait à son tour et que son beau visage se couvrait de cloques avant d'être voilé par le feu, de plus en plus haut. Elle joignit ses cris à ceux de son frère, agonisant littéralement avec lui. Elle ne pouvait détourner les yeux de l'horreur perpétrée devant elle. L'odeur de chair brûlée atteignit ses narines et elle fut pris de spasmes, lâchant sa mère, qui se jeta en avant. Sous le choc, elle vomit le peu que contenait son estomac révulsé.
Son père et son frère avaient enfin cessé de hurler. Les larmes roulèrent sur ses joues. Ils n'étaient plus. Cette pensée lui tordait le ventre, et en même temps, il y avait l'horrible soulagement de savoir que toute douleur était terminée pour eux. Elle était presque tentée de se jeter sur le bois incandescent pour obtenir la même délivrance.
- NOOON !!! VOUS AVEZ TUE MON MARI !!! VOUS AVEZ TUE MON ENFANT !!! MONSTRES !!! TUEZ-MOI AUSSI ! TUEZ... MOI !
Sa mère avait visiblement eu la même pensée. Elle se débattait comme une diablesse, essayant d'avancer vers le bûcher, occultant totalement sa fille encore vivante. Les gardes durent s'y mettre à trois pour la retenir, tant elle était déchaînée. Enfin, alors qu'on l'emmenait, elle partit d'un grand rire, un rire insensé, les cheveux noirs défaits, les yeux roulant dans les orbites. Pour finir, elle frappa l'un des soldats au visage.
- ASSASSIN ! ASSA...
Une flèche dans la gorge la fit taire à jamais et Clervie poussa un cri.
- Maman !
Malgré son visage brouillé de larmes, Clervie regardait la foule. Elle vit sa mère être entraînée, puis disparaître sous les piétinements. Tous ces visages haineux. Les paysans aux sourires grimâçants, emplis de chicots. Les autres nobles dans leurs soieries, avec leurs belles coiffures, certains manifestant une certaine pitié, d'autres un air méprisant. Elle les aurait giflé. Et enfin, au milieu de cette foule, elle aperçut les yeux bleus horrifiés et emplis de tristesse de Gwendal.
Elle n'avait peut-être pas tout perdu.
Tu es venu me soutenir, mon amour...
Une douleur fulgurante la frappa à la tempe et la panique s'empara d'elle. Une pierre ! Hommage des gens haineux. Cette fois, elle ne ressentit même pas de honte.[/i] Ils ne savent rien. Mon père était innocent. A peine eut-elle cette pensée que de nouveau, la douleur du deuil lui frappa l'estomac. Cette souffrance irradia sa poitrine, ses poignets. Alaric... Tu vas tant me manquer...
- Sale chienne d'hérétique !
- Ils auraient dû te faire brûler aussi !
Nouvelle vague de cailloux. Elle prit brutalement conscience du danger et l'effondrement de la tristesse laissa place à l'instinct de survie. Elle se mit à courir, désireuse de s'éloigner le plus possible.
- C'est ça, quitte notre ville, petite salope !
- Va donc te faire bouffer par un fangeux !
Nouvelle grêle de pierres. Deux cailloux la frappèrent dans le dos, elle aurait sûrement un bleu à cete endroit. Elle accéléra encore, son jupon noir se déchira. Elle sentit également le cordon qui retenait ses cheveux se défaire et l'attrapa vivement, dans l'espoir de se recoiffer un peu plus loin.
Puis enfin, petit à petit, il y eut moins de voix, moins de foule. Elle était devant les bas-quartiers, bannie des beaux endroits de la ville. Elle chancela, tomba à genoux.
Elle était seule.
Elle marchait, les larmes roulant sur ses joues, tête basse, à travers l'obscurité des ruelles. Ses pieds dérapaient sur les pavés inégaux, il régnait une odeur d'alcool, d'urine et de défécation qui lui donna la nausée. Dans le ciel, la lune, ce symbole de sa famille, s'était voilée de brume. Marbrume, la cité portait vraiment bien son nom ce soir-là.
Jamais Clervie n'avait pu jusqu'ici imaginer la misère qui pouvait régner dans ces bas-quartiers. Elle vit une femme mendier timidement quelques pièces, un nouveau-né gémissant dans ses bras. Plus loin, trois gamins des rues, visiblement orphelins, se mirent à courir à son approche. Une angoisse sourde commença à courir dans son dos comme une colonne d'eau froide. Elle voyait des miséreux et des ivrognes l'observer d'un oeil torve, des quolibets tendancieux commencaient à retentir.
Jusqu'au moment où quelqu'un l'attrapa au bras :
- Hey, où vas-tu donc comme ça, la petite ?
Son haleine empestait l'alcool rance.
- Lâche-moi, s'écria-t-elle en lui donnant un coup de poing qui alla s'écraser sur un torse velu. Lâche-moi tout de suite.
- Hey, hey, pas si vite, hein ! Pour qui tu te prends, hein ? Pour une de ces saintes nitouches de nobliaudes ? Remarque, t'en as presque la jolie petite gueule... Hein, Bernie, viens voir un peu la mignonnette !
Dans la pénombre, Clervie ne pouvait distinguer le visage de son agresseur, mais sa poigne et son ton concupiscent suffisaient à la faire mourir d'angoisse. Ses jambes mollirent sous l'effet de l'adrénaline. La nausée la prit. Elle savait que lui et son comparse ne la laisseraient pas partir si facilement. Elle savait même exactement ce qui allait lui arriver.
- Whouha, Pierrot, où est-ce que tu nous l'as dénichée, celle-là ? ricana le second arrivant, un barbu costaud. L'est plutôt mignonne, c'est sûr. P'têt même pucelle ! ajouta-t-il avec un ricanement.
- Tu veux parier ? Y'a qu'un moyen d'le savoir de toute façon !
- Tu ne sauras pas, s'écria Clervie en donnant un violent coup de pied dans le tibia de l'homme.
Ce fut une grave erreur.
[Pour protéger la sensibilité des lecteurs la scène est mise sous hide]
La chaleur d'un lit moelleux. La lumière douce d'une bougie. J'ai rêvé ! Tout cela n'est qu'un cauchemar...
Puis une violente brûlure dans son bas-ventre la rappela à la réalité.
Non, ce n'était pas un rêve. Son père et son frère étaient morts, sa mère probablement à l'asile, et elle venait de se faire violer par deux crapules ! La dernière chose qu'elle possédait, ce trésor si précieux qu'elle gardait pour Gwendal, deux sales brutes des bas-quartiers venaient de lui voler. De la détruire à tout jamais...
Je ne suis désormais plus qu'une ribaude... Oh Gwendal, mon amour... Pardonne-moi...
Des larmes obstruèrent sa vue et elle gémit doucement. Sa vie entière était détruite. Elle était désormais seule, personne n'était venue à son aide. Elle regretta que les crapules ne l'aient pas tuée. Pourquoi Anür ? Pourquoi ?
- Tu es réveillée, lança une voix douce de femme. Je sais, c'est dur. Tiens, bois ça.
Elle crut entendre des rires venant d'un étage inférieur et se demanda qui l'avait recueillie, alors qu'on lui fourrait un gobelet empli d'un liquide brûlant entre les mains. Elle cligna des yeux et distingua le visage rond d'une femme blonde qui devait avoir un peu plus de la trentaine. Ses boucles pendaient autour de son visage. Elle était vêtue d'un corset et d'un chemisier blanc qui découvrait ses épaules de façon un rien vulgaire, par-dessus un jupon noir usé.
- Qui... Qui êtes-vous ?
- On m'appelle La Rosaline, déclara-t-elle. J'ai cru que ces brutes t'avaient tuée. Tu faisais peur quand je t'ai amenée ici, mais faut croire que t'as la tête plus solide qu'elle n'est pleine. Il t'a quand même mis deux ou trois pains de suite, vu l'état d'ta figure.
- A vrai dire, ils étaient deux, avoua Clervie.
- Deux... et ils te sont tous les deux passés dessus ? Pas terrible comme première fois, hein ?
A ces mots, la jeune femme éclata à nouveau en sanglots. La femme s'assit à côté d'elle.
- C'est souvent comme ça qu'ça se passe, tu sais. Qu'est-ce que t'avais à te balader toute seule dans un coin pareil aussi ?
- Je... me suis... perdue... Plus rien... Ma famille morte...
Rosaline la regarda d'un air compatissant. Elle dit enfin :
- J'vais te filer un bon conseil, ma petite. Si tu dois te balader dans ces quartiers, ne sors jamais sans ça dans ton corsage.
Elle tira de son sein une petite lame fine. Clervie comprit alors.
- Vous... vous êtes une catin, réalisa-t-elle.
- Catin, ribaude, salope et autres termes encore pires, approuva la Rosaline. Catin p'têt, mais toujours un être humain et la seule à m'être un peu souciée d'ton sort, ma belle.
- Pour quelle raison m'as-tu secourue ? demanda Clervie avec méfiance.
- J'avais une petite soeur. J'aurais bien aimé que quelqu'un le fasse pour elle. Elle, le temps qu'on la trouve, elle était morte.
La gorge de la jeune noble déchue se serra et elle s'en voulut de sa brutalité. Rosaline avait raison. Elle était peut-être une ribaude venant de l'accueillir dans sa chambre dans une maison de passe, mais elle lui avait montré compassion et attention. Les Trois qui prônaient la chasteté, la vertu, n'avaient pas daigné faire tomber la foudre sur les deux brutes qui avaient osé la souiller.
- Tu peux rester ici la journée histoire de récupérer un peu. Mais ce soir, va-t-en. Je vais avoir des clients.
- Je n'ai nulle part où aller.
- Si ton visage était pas si abîmé, tu aurais pu nous rejoindre. Mais à mon avis, ma patronne voudra pas de toi dans cet état.
- Je préfèrerais ne pas en arriver là, de toute façon, avoua Clervie en grimâçant.
- Si tu te sens d'le faire, y'a la milice aussi, dit Rosaline. Mais à mon avis, t'es trop douillette pour. Les gars de là-bas, ça les dérange bien qu'on leur impose des femmes dans la troupe. En plus, tu risques pas d'y faire d'vieux os. Les fangeux te boufferont en moins de deux mois, si t'as déjà pas été fichue de te protéger contre deux foutus ivrognes.
Clervie comprit que sa décision était déjà prise.
- Je préfère les fangeux à laisser encore un seul de ces "foutus ivrognes" comme tu les appelles, me toucher.
Rosaline la regarda, mi-choquée, mi-compréhensive.
- Ouais. Ca s'défend. Je crois qu'une de mes copines a un frère là-bas. Je lui demanderai. Mais tu sais, là-bas aussi ils pourraient essayer de te faire ce que t'ont fait les deux salopards dans la ruelle.
Les larmes avaient séché sur le visage de Clervie. Ses prunelles noires flambèrent brutalement d'une telle lueur que la prostituée en fut effrayée.
- Je le répète, articula-t-elle d'une voix froide et mortelle. Plus un seul homme ne me touchera. Jamais. Parce que le prochain qui essaiera, je ferai comme tu as dit. Je le tuerai.
Et je tuerai chacun des chiens qui a trempé dans le complot pour faire accuser mon père et mon frère.
Flash-back 2 : Dame Corbac
13 avril 1166
- Signe en bas à droite. Si tu sais pas écrire, trempe ton doigt dans l'encre et pose-le, ça suffira.
Clervie avait failli par réflexe attraper la plume pour écrire son nom. Mais cela aurait été une grave erreur. Personne ne devait savoir qui elle était. Clervie de Sombrelune était morte dans les bas-fonds. Elle était Claire, une pauvre femme au passé douteux, ayant sûrement travaillé dans une maison de passe.
Rosaline et Clervie s'étaient liées d'amitié et s'étaient rendues mutuellement de petits services. La prostituée lui avait appris comment survivre dans les bas-quartiers et lui avait notamment offert une petite dague semblable à la sienne. Elle avait aussi de temps en temps partagé ses repas avec elle. De longs mois s'étaient écoulés ainsi.
De longs mois à survivre dans les pires endroits de Marbrume, à voler et à mendier. De longs mois à trembler de peur et à ne jamais faire une complète nuit de sommeil. De longs mois à penser, à ruminer...
Le traumatisme de son viol la faisait hurler lors de ses rares heures de repos. La colère et le chagrin en repensant au sort de sa famille emplissait son ventre d'un fluide venimeux, chargeait ses veines d'un acide corrosif. Une rage croissante, bouillonnante, contre les nobles qui avaient laissé faire s'emparait d'elle jour après jour. Et avait renforcé sa détermination.
Elle entrerait dans la milice coûte que coûte. Elle en gravirait les échelons. Elle se rapprocherait petit à petit du monde qui l'avait chassée et en extirperait les vilains secrets.
Et les responsables de sa déchéance paieraient tous. Un à un...
A l'heure actuelle, la jeune femme venait enfin d'accéder au bureau de recrutement de la caserne. A peine arriva-t-elle dans la cour d'entraînement que les quolibets commencèrent.
- C'est qui, celle-là ?
- Voyez-moi un peu cette tignasse ! Plus noire que ça, tu meurs !
- Hey, Dame Corbac, ça te dirait, une belle saucisse ? lança un autre en exhibant ses beaux atouts, tunique retroussée.
Clervie ne se démonta pas pour autant :
- Franchement, tu appelles ça une saucisse ? Tu as menti : ce n'est qu'un flageolet.
Des rires retentirent à cette répartie. Elle poursuivit son chemin vers le quartier où l'on l'avait affectée, quand soudain quelqu'un la bouscula.
- Ne fais surtout pas trop la maligne, lança un homme barbu en se postant devant elle pour lui bloquer le passage.
Clervie garda la tête haute, bien qu'un noeud commençât à se former dans son estomac sous l'appréhension.
- Laisse-moi passer, toi.
- Oh, sois plus gentille ! Tu ne veux pas me donner un petit baiser ?
En parlant, il avait attrapé son épaule. L'instant d'après, le bras droit de Clervie jaillissait pour se poser sur sa gorge, le petit stylet entaillant très légèrement la peau.
- NE ME TOUCHE PAS ! Tu as compris ?
Tremblant à la fois de peur et de fureur, la respiration courte et sifflante, ses jambes molissant, Clervie ressemblait à présent à une panthère prête à bondir. Ses prunelles noires flambaient d'une telle hargne que le soldat réalisa qu'il était allé trop loin. Il aurait sans doute pu aisément lui tordre le poignet, lui faire lâcher son arme. Mais contrairement aux brutes du bas quartier, il avait un certain semblant d'honneur. La jeune femme en face de lui faisait montre d'un courage qu'il se sentit enclin à respecter. Au moins, elle ne détalerait sûrement pas face aux fangeux.
- Ca va, ca va, rengaine, ma douce. Je plaisantais, tu sais. On fait que plaisanter.
- Et bien, je ne partage pas votre sens de l'humour, répondit Clervie en faisant disparaître son arme dans sa main.
- Et bé, t'as du caractère, Dame Corbac. C'est bien. Il t'en faudra pour survivre quand on nous enverra sécuriser les routes et qu'on verra un ou deux de ces sal'pries d'fangeux.
L'homme auquel Clervie avait insinué qu'il avait une petite bite eut tout loisir de se venger lors de la séance d'entraînement du soir.
- Allez, plus fléchis sur vos jambes, bande de fillettes ! cria l'entraîneur. Vous allez vous pisser d'ssus quand faudra épingler du fangeux ? Non, parce que j'vous préviens, l'fangeux, ça court vite ! L'fangeux, ça sait s'battre aussi bien que les preux chevaliers de Messire notre Duc. Si vous v'lez pas finir dans son bide, faut bouger et bouger plus vite que ça. Dame Corbac, écarte-moi plus les jambettes ! Quoi, tu sais pas faire ? Comment tu baises, alors ?
Des rires retentirent lorsque l'apprenti soldat envoya Clervie rouler dans la boue d'un coup de bâton. Humiliée, salie, la jeune femme se redressa cependant, furieuse. Un deuxième coup de bâton la projeta de nouveau à l'arrière et elle ressentit une violente douleur au sein gauche. Le goujat ! Oser frapper à cet endroit...
Elle rassembla toutes ses forces, se releva. La douleur l'élançait encore dans la poitrine, mais elle ne faiblit pas. L'instant d'après, elle fonçait sur son adversaire.
Vingt fois, il la fit tomber au sol, vingt fois elle se releva, malgré les moqueries, les sifflements. La tête haute, malgré la boue qui maculait son visage.
Dame Corbac avait de la fierté.
1er mai 1166 :
Clervie ceinta rapidement sa rapière et se dépêcha de rejoindre ses camarades.
- Hey, ça va, Dame Corbac ? demanda quelqu'un. T'as encore pire sale gueule que d'habitude.
- Ne t'en fais pas, Pietro, tu es toujours le plus laid de nous deux, répliqua Clervie en fronçant les sourcils.
- Tu devrais te laisser baiser quelques fois, Dame Corbac. Tu serais d'meilleur poil.
- Et toi, tu devrais me laisser t'enfoncer ma rapière dans le cul. Ca te rendrait moins insupportable.
Pietro émit un ricanement et lui balança un coup de poing sur l'épaule.
- T'es vraiment, mais vraiment aigre, Dame Corbac. Fais gaffe, un jour, quelqu'un t'en foutra une pour n'avoir pas su fermer ta grande gueule.
Elle lui lança un regard noir pour toute réponse. La jeune noble déchue savait très bien quand arrêter la joute oratoire pour éviter que ses camarades ne se sentent trop atteints dans leur virilité. Mais ce matin, elle était à court de patience.
Car ce vomitif à fangeux de Sigfroi de Sylvur allait se faire couronner roi, et qu'il serait encore plus difficile de lui mettre une dague dans le coeur, en admettant qu'une telle occasion lui fûsse donnée un jour.
Ce bâtard va pouvoir se prélasser tranquillement dans son palais pendant qu'à cause de lui, je couche dans une caserne miteuse en ayant toujours peur d'exaspérer un poil trop les gredins qui me servent de camarades. Il a foutu au feu mon père et mon frère, qui le servaient avec reconnaissance pour nous avoir accueillis dans la cité, et je devrais aujourd'hui dire une prière aux Trois pour lui souhaiter un long règne pendant que je patrouillerais pour assurer la sécurité de la grande place ??? Je vais plutôt lui souhaiter mille morts, à cet enfant de putain et aux lèches-chausses qui l'entourent, puisse-t-il finir en pâté pour fangeux, sale crapule cousue d'or, tyran de mes deux...
Les camarades miliciens avaient enrichi le répertoire de Clervie d'insultes et de noms d'oiseaux qui l'auraient encore faite rougir tout juste un an auparavant. Elle était surprise par la faculté d'adaptation dont elle avait fait preuve pour les inclure dorénavant tout naturellement dans son vocabulaire, tout en n'oubliant pourtant pas d'où elle venait. Parfait pour son camouflage.
Crève "Majesté". Crève.
La hargne et la frustration bouillonnaient comme un poison dans ses veines. Heureusement que parmi les relents de son éducation de dame, subsistait l'art de ne rien laisser paraître. Ses camarades l'avaient trouvée plus aigre que d'habitude, mais rien de plus. Alors qu'ils arrivaient à la place des pendus, elle se dit avec cynisme qu'elle commençait vraiment à comprendre ce qui pouvait pousser certains à braver la potence. Elle avait planifié le meurtre de la charogne ducale au moins un millier de fois au cours de l'année et seule la difficulté de sa position et aussi le désir d'épingler TOUS les responsables du massacre de sa famille la retenait de passer à l'acte.
- Gloire au Roi ! Gloire au Roi ! entendait-on dans la foule impatiente.
Et en plus, il va falloir entendre cette populace merdeuse hurler ça et "Longue vie au Roi" toute la journée. Vous, je n'oublie pas vos "A mort les hérétiques !". Sales hypocrites ! Mon père a donné des pièces et du pain à certains d'entre vous, et vous avez laissé votre Roi bien-aimé le griller comme un cochon à la broche !
Oh, par les Trois, jamais elle n'aurait pensé que l'on pouvait autant brûler de fureur. Elle espéra que personne n'allait s'aviser de commettre un délit sous ses yeux. Elle risquait d'être trop ravie de pouvoir passer un de ces imbéciles de coupes-jarrets au fil de sa rapière, même si elle était encore très loin de savoir s'en servir convenablement.
Et je ne dois pas laisser mes émotions prendre le dessus. Si je veux venger ma famille, je dois absolument survivre.
Elle et deux camarades se postèrent près de la Place des Pendus. Pour l'occasion des estrades avaient été aménagées de façon à accueillir des musiciens, des jongleurs et des danseurs. On jeta en l'air des confettis colorés, on chanta des chansons, on continua de chanter les louanges du nouveau Roi.
Des gamins jouant avec un cerceau de bois firent sourire Clervie. Les enfants étaient des sources d'innocence et d'insouciance qui parvenaient encore à l'émouvoir. Eux, cela valait la peine de les protéger. Ce n'était pas de leur faute s'ils étaient nés au sein d'une ville à la mentalité aussi pourrie que Marbrume. Des habitants capables de vous porter aux sommets un jour, et de vous précipiter sans état d'âme dans la fange le lendemain.
Elle se demanda si Onyx était retournée à l'état sauvage, ou si un quelconque fauconnier l'avait recueillie. Mine de rien, son rapace lui manquait. Les animaux étaient, sous bien des aspects, bien plus fidèles que les êtres humains.
Lors d'une patrouille, une brève placardée dans le quartier marchand lui avait en effet appris les fiançailles de Gwendal de Beaumont avec une noble de l'extérieur, une certaine Alyse Duchemin. Certes, elle ne doutait pas qu'il n'aurait pas pu faire autrement, de part sa famille. De plus, il devait sûrement la croire morte. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'être folle de rage en imaginant une autre femme recevoir les baisers et les caresses d'un homme qu'elle avait aimé de tout son être. Cela n'avait guère arrangé son humeur générale, même si elle savait que sa relation avec Gwendal était morte lors de sa déchéance. Tout le monde le savait, un noble n'épousait pas une non-noble. Et encore moins lorsque celle-ci s'était faite déflorer dans une ruelle sombre.
Les réjouissances se poursuivaient, la tirant de ses sombres pensées. Des baladins faisaient à présent des pitreries et des cabrioles devant la foule ravie. Ils étaient tellement bons que Clervie se surprit à rire. Finalement, aujourd'hui allait peut-être être une bonne journée, après tout. Dire que ce soir, il faudrait rentrer dans les quartiers militaires et à nouveau ne dormir que d'un oeil pour repousser quiconque voulant absolument partager sa couche...
- LA FANGE EST DANS LES MURS ! LA FANGE EST DANS LES MURS !
Ce cri brutal retentit, et toute l'allégresse de la foule se dissipa en un éclair.
- QU... Par les Trois ! s'écria l'un des camarades de Clervie. Vite, Claire, Pietro ! Faut prévenir le capitaine, regardez là-bas, y a une émeute !
- Vas-y Claire, s'écria Pietro. Nous, on va aller voir c'qui se passe, vite !
Rien que l'absence de "Dame Corbac" quand ils s'étaient adressés à elle traduisait toute l'urgence de la situation. Plus personne n'était d'humeur à plaisanter ou à chercher querelle. Les fangeux étaient dans la cité, et tout le monde devait absolument se serrer les coudes avant qu'arrive une horrible catastrophe.
Une fois l'instant de stupeur passée, Clervie ne put éviter d'avoir une pensée malsaine.
Peut-être que les Trois vont exaucer mon souhait concernant notre bienveillante Majesté, après tout...
Clervie eut tout juste le temps de se plaquer contre un mur pour éviter ce qui s'apparentait à un horrible raz-de-marée humain. Partout, des gens couraient, criaient, se bousculaient. Les femmes déchiraient leurs jupes sous l'effet de la cavalcade, tombaient, se relevaient en hurlant, ou terminaient piétinées. En un instant, la place avait sombré dans le chaos et elle ne savait ou trouver le capitaine. Comment faire son rapport ? Comment être utile dans cette foire ?
La lance de l'épouvante lui frappa l'estomac lorsqu'elle vit au loin les sombres créatures. Elles arrivaient de partout. Malgré les cheveux qui restaient sur la tête de la plupart, les mains à cinq doigts bien reconnaissables, Clervie peinait à croire que ces engeances avaient été autrefois des êtres humains. L'une d'entre elles s'accrochait de toute la force de ses membres pourtant si maigres à la porte que le tenant d'une échoppe tentait de barricader, affolé. Elle avait beau être tout à fait quadrupède, la longueur de ses bras et de ses jambes la faisait ressembler à une horrible araignée. Une sueur froide coula dans le dos de Clervie, et sans réfléchir, elle se mit à courir également.
Par Rikni, quelle horreur ! C'est encore un coup des purificateurs, je gage ! Le Roi va jeter encore plus d'innocents au feu si on ne meurt pas aujourd'hui ! Où est ce maudit capitaine, non de non ?
Son coeur plongea dans son bas-ventre quand elle vit Pietro, malheureusement en prise avec l'une des créatures. La griffe de la bête déchiqueta la peau du malheureux comme du vieux parchemin, ses dents infectes saisirent avec délices les boyaux rosâtres. Le sang ruissela sur les pavés, les hurlements de l'homme se stoppèrent et c'en fut fini de lui. Une vague de nausée saisit Clervie. Certes, elle n'aimait pas beaucoup ce crétin fini, mais même s'il était incapable de traiter une femme avec respect, c'était un brave milicien qui tentait de faire son devoir. Puissent les Trois t'accueillir, même si je n'ai plus aucun respect pour eux...
Elle poursuivit sa course, et enfin, dans une rue adjacente, vit ses autres coéquipiers ainsi que son capitaine de division, l'air décontenancé.
- Les fangeux arrivent droit sur nous ! s'écria-t-elle en les rejoignant.
Son supérieur avait hôché la tête.
- Aux barricades, vite ! Essayez de mettre à l'abri le plus de civils possibles !
Encore aujourd'hui, Clervie ignorait complètement comment elle avait pu survivre à cette horrible journée. Elle se rappelait juste les palissades de fortune, érigées avec de vieilles planches, des barres de fer, des sacs de pierres. Elle se rappelait une famille de six personnes qu'elle était parvenue à guider jusque derrière les fondations sécuritaires. Elle se rappelait un gamin des rues, qui avait couru bravement vers l'une de ces dites barricades dans l'espoir d'y trouver refuge, mais si les créatures pouvaient aisément rattraper un homme adulte, elles étaient encore plus aptes à rattraper un enfant... Clervie se souvenait lui avoir tendu les bras pour l'attraper et le hisser derrière la muraille de fortune, mais deux des créatures avaient jailli et l'avait emporté, non sans l'avoir sauvagement égorgé sous ses yeux, teintant d'écarlate le sol. Les hurlements désespérés de la mère avaient retenti dans la barricade pendant toute la demie-heure suivante.
Le lendemain, quand enfin les équipes parvinrent à repousser les fangeux, les isolant dans une partie du goulot, on ne comptait plus le nombre de victimes. Des entrailles tapissaient les rues, des têtes et des membres arrachées étaient visibles à chaque coin de ruelle. Les fangeux n'avaient épargné personne. Clervie avait vomi à l'aube, sangloté dans un coin et avait été persuadée qu'on la traiterait encore de bonne femme qui n'avait pas sa place chez les miliciens, mais son propre capitaine avait fait de même devant elle, pleurant ses hommes. Elle avait compris que pour une fois, personne ne la jugerait, ce qui avait mis un peu de baume en son coeur. Elle avait entendu dire que des nobles avaient péri et s'était enquise très discrètement du sort de Gwendal, mais il en avait apparement réchappé. Des bûchers avaient été dressés à de multiples endroits de la ville, et le soleil fut voilé pendant les deux prochains jours par la fumée.
Quinze mille âmes au total. Quinze milles personnes décimées. Une épouvante indescriptible. Elle en tremblait encore, elle n'avait jamais pensé que ses jambes pouvaient autant trembler.
Et cet infâme Sigfroi de Sylvur, qui s'en était allé participer au combat se dressait fièrement devant elle, triomphant, héros du peuple. La bile lui monta de nouveau à la gorge.
A mon avis, si tu as survécu "Majesté", c'est parce que tu es un tel tas d'ordures que même les fangeux ne veulent pas dîner de toi. Les purificateurs se sont trompés. Les fangeux aiment la viande d'innocents comme ce pauvre gosse. Quelle honte de te voir te pavaner ainsi...
Clervie ravala la bile qui lui montait dans la gorge, tandis que le souverain entamait son joli discours, exhibant notamment une magnifique statue de marbre blanc à l'effigie de deux malheureux chevaliers ayant perdu la vie dans le massacre. C'est avec l'argent de mon père que tu as payé les artisans ? Tu aurais mieux fait de le laisser à leurs veuves et à leurs enfants, si leur sacrifice t'importait, vil cuistre. Que feront leurs pauvres âmes de ta statue ?
Politique que tout cela, manipulation du peuple, n'est-ce pas ? La ville avait besoin de héros pour retrouver un semblant d'espoir, alors que quinze mille malheureux s'étaient vus faucher cette nuit-là. Alors qu'elle allait aider à la mise en place des mesures de sécurité, elle aperçut des prêtres prêcher un peu partout dans la ville en distribuant des vivres et des soins. C'est ça, c'est ça, s'en remettre aux Trois... Les quinze milles morts vous en diront tant...
Les Trois n'ont jamais reconnu les leurs.
- Grâce ! Pitié, je vous en prie ! Elle n'a que dix ans ! S'il vous plaît...
- Elle a été mordue, coupa le capitaine d'une voix dure. Elle doit partir avec les bannis !
- Non, je vous en supplie, gémit la mère, son fichu sur la tête. Je vous en supplie, ne me l'enlevez pas ! Ou alors, laissez-moi aller avec elle ! Je vous en supplie !
Dans un sursaut d'humanité, Clervie vit son capitaine accéder à cette piètre requête, autorisant la mère à rejoindre le convoi des nouveaux bannies. La gamine avait de la chance d'être encore en vie, malgré une épaule complètement massacrée. Des miliciens avaient pu intervenir à temps pour jeter du sel sur la bête, l'obligeant à lâcher prise, mais la sentence de bannissement était désormais irrévocable. Partout, les gens suppliaient, imploraient, et à chaque fois, il fallait se montrer ferme. La plupart du temps, Clervie se contentait de garder le silence. Elle savait très bien ce que l'on ressentait, lorsqu'on suppliait et que personne n'accédait à vos suppliques. Aussi s'était-elle jurée de ne plus jamais se donner cette peine, quoi qu'il pût lui arriver. Et de ne pas se laisser émouvoir par celles des autres, si de toute façon, elle ne pouvait rien faire pour les aider.
La vérité est là. Nous sommes tous impuissants devant cette menace. La seule chose à espérer est que nous trouvions des mesures assez efficaces à prendre contre ces créatures. Mais tant que cela ne sera pas le cas...
En tous les cas, bien des choses venaient de changer. Clervie avait appris au cours de cette nuit que les nobles n'étaient pas tous innatteignables. Et que tôt ou tard, eux aussi paieraient le prix de leur lâcheté.
18 juillet 1166:
Première mission. Une contrebande d'alcool. La division de Clervie avait réussi à capturer l'une des petites frappes qui pouvaient leur donner des informations.
Seul problème, l'homme ne se laissait pas impressionner. L'un des miliciens venait de le passer à tabac, lui cassant le nez, sans résultat. Et le bourreau avait bien assez à faire avec les cas plus sérieux comme les hérétiques et les meurtriers, pour ne pas pouvoir lui griller la plante des pieds au tison. D'ailleurs, cela fonctionnerait-il vraiment sur un tel dur à cuir ? Même Clervie en doutait.
- On fait quoi ? demanda l'un des quatre hommes qui accompagnaient Clervie. Ce bâtard ne veut rien dire.
- Et si on le menaçait de le filer à bouffer aux fangeux ?
- Je l'ai fait, il m'a répondu qu'il s'en foutait.
- Faut absolument qu'il parle, ce petit fils de pute. Sinon, on va avoir le capitaine sur le dos pendant les deux prochaines semaines.
Clervie restait en retrait, contemplant les murs salis de la minuscule habitation, quand quelque chose attira son attention.
Près de la cheminée rudimentaire, il y avait un cadavre de serpent. Une petite vipère, un animal commun à l'extérieur des murailles.
Les miséreux mangeaient à peu près n'importe quoi. De plus, la peau de serpent pouvait être travaillée pour fabriquer des ceintures. Les apothicaires l'utilisaient en décoction. En somme, cela n'avait rien d'extraordinaire. Néanmoins, on pouvait faire penser tout le contraire aisément...
Elle ramassa la bête morte avec une certaine répulsion et se dirigea à son tour vers l'homme attaché sur la chaise :
- Hé, hé, hé, dis-moi un peu... C'est quoi, ça, mon gars ? Qu'est-ce que tu fous avec du venin de serpent ? Tu fréquentes des apothicaires ?
- Ca m'arrive ouais, pourquoi ? C'est un crime, maintenant ? répliqua le type en crachant par terre.
- Tu sais qui utilise beaucoup le venin de serpent, à Marbrume ? Les purificateurs. T'aurais pas quelques petits liens avec eux, en plus de tes autres activités inavouables...?
Le bandit blêmit. Avant de s'écrier :
- Qu... Quoi M'dame ??? Alors là, sûrement pas ! Ok, ok, j'avoue, je vole des trucs, j'ai trafiqué un p'tit peu d'alcool, les Trois savent que j'vis un peu dans l'péché, mais JAMAIS, JAMAIS je m'aviserais de Leur manquer de respect à c'point !!! J'ai rien à faire avec ces putain d'hérétiques, j'vous promets, M'dame !
- Ah oui ? Tu en es bien sûr ? Et si on te croyait pas ? Hein ?
- Qu... quoi ?
- Et si on allait dire au capitaine qu'on te soupçonne de ne pas être très pieux envers les Trois ? ajouta Clervie avec un drôle de sourire.
Les autres hommes demeuraient silencieux, regardant Clervie d'un air stupéfait. La jeune femme restait plutôt discrète dans la plupart des opérations, ayant bien compris qu'il lui faudrait gagner peu à peu ses galons. Mais quelque chose dans son ton, à cet instant, les effrayait. Et ils espèraient que c'était également le cas de ce crasseux.
- Z'allez pas faire ça ! s'écria le repris de justice.
- Et comment qu'on va se gêner, mon petit père, vu que tu ne veux rien nous dire... Et tu sais, vu la tendance... On prendra pas le temps de vérifier si l'accusation est fausse ou pas. Tu n'es qu'un petit trafiquant dont la parole ne vaut pas cher, hein ? Tu sais que notre bon Roi que les Trois bénissent adore les bûchers ? Tu as déjà vu brûler un hérétique ? D'abord, il y a la douleur, parce que le feu, ça fait mal, tout le monde le sait. Mais en plus, dans ton cas, vu ton lard, ça peut durer. D'abord, tu suffoqueras, puis tu sentiras les flammes te mordre les pieds puis le corps. Tes cheveux vont tomber, ta peau va se couvrir d'énormes cloques qui vont faire encore plus mal en éclatant, puis elle va se détacher, découvrant toute ta chair, sur ton visage, on pourra voir les os de ta mâchoire. Ta graisse va fondre et suer tandis que tu te tordras en criant merci. Et oui, mon vieux, tu ne tomberas même pas instantanément en cendres. Tu te transformeras tout lentement en un immonde tas de chair brûlée qui sentira pire que le sanglier trop cuit et ta pauvre mère elle-même ne saura pas te reconnaître !!!
Elle avait prononcé cette phrase avec un rire presque hystérique, ses yeux noirs flambant de cette fameuse lueur de folie que les autres miliciens avaient entrevu parfois. Son visage affichait un rictus froid et malfaisant, qui acheva de faire pâlir le bandit, en plus de la délectation avec laquelle elle lui avait décrit le supplice. Comme du vécu. Il hurla.
- Non, non, non, non, non !!! Faîtes pas ça, M'dame !!!! Faîtes pas ça !!! J'vais parler !!! J'vais parler !!!! J'vais tout vous dire sur la tombe d'ma mère mais s'il vous plaît, nan pas l'bûcher, pas l'bûcher !!!!
Clervie eut un petit air satisfait :
- Je crois que le problème est réglé, les gars.
Pour la première fois, elle distingua dans le regard de ses coéquipiers quelque chose qui ressemblait vaguement... à de l'admiration.
? Résumé de la progression du personnage : ?
Clervie a participé à un bon nombre de missions à l'intérieur et à l'extérieur de Marbrume, mais son indiscipline lui a valu des ennuis. De plus, son enquête pour trouver les responsables de la mort de sa famille lui a également attiré de nombreux problèmes. Fort heureusement, elle a quelques amis sur qui compter. Mais son entêtement pourrait bien finir par la perdre.
En effet, entretemps, un dramatique événement a bouleversé sa vie. Elle a en effet retrouvé la trace d'un prêtre qui avait validé l'exécution de son père et de son frère, ce qui l'a fait replonger de plus belle dans la dépression et la haine, alors qu'elle paraissait prête à ouvrir un nouveau chapitre de sa vie avec le forgeron au grand coeur Erwan Dacier. Elle a alors finalement choisi la rupture.
Clervie semble maintenant destinée à une route bien solitaire. Sa personnalité a toutefois bien évolué. Elle n'oublie pas que des gens bien existent à Marbrume et est plus que jamais décidée à se battre pour eux, par tous les moyens. Du coup, il semble qu'elle commence à être appréciée par les petites gens, qui savent que lorsque la plupart des miliciens se détournent, la Corbac, parfois, volera à leur aide.
? Derrière l'écran ?
Certifiez-vous avoir au moins 18 ans ? Irl, j'en ai 29, ça vous va ?
Bon, ok, je l'admets, juste sur ma carte d'identité, dans la tête, je suis à peine majeure ! XD
Comment avez-vous trouvé le forum ? J'ai tapé "Forum RPG Dark Fantasy" sur google. :)
Vos premières impressions ? Il est vraiment sublime et au moins, vous ne faîtes pas trop de chichis concernant les avatars.
Des questions ou des suggestions ? Non, aucune.
Souhaitez-vous avoir accès à la zone 18+ ? Oui, s'il vous plaît.