Rendez-vous d'affaire [Lothaire; Théodemar]

Le son du luth s’écoulait mélodieusement au sein de la taverne, pendant que les percussions donnaient la cadence. Chaque sifflotement effronté de la flûte empreignait l’ambiance chaude de la grande salle d’un je ne sais quoi d’indescriptible, mais cela semblait parler à parler Lothaire Ferbois. Un petit quelque chose de mélancolie et de nostalgie, qui le captivait, lui et le reste de l’auditoire du modeste orchestre.

Il n’y avait rien à redire, ces musiciens savaient y faire, se dit Lothaire. Enfin, un peu de distraction ne pouvait guère faire que du bien pour le caractère naturellement anxieux du guérisseur grisonnant. Par ailleurs, avec l’attroupement causé autour du spectacle, les éventuels murmures et autres intrigues se retrouvaient à l’abri des oreilles indiscrètes. Pile ce qu’il fallait pour un rendez-vous d’affaire.

Jetant un regard soupçonneux ou deux derrière son épaule, c’était à présent Lothaire le chercheur, Lothaire le spécialiste des Fangeux, celui qui s’adonnait à de peu
recommandables recherches et trafics, qui scrutait l’intérieur du Hérisson Mélomane, en quête de son invité. Ce qui était par ailleurs moins aisé, étant donné qu’il ne l’avait jamais vu directement. Tout juste en as-t-il retenu une description vague, un jeune trentenaire, cheveux noir mi- longs, une moustache et un bouc. Quelque chose comme ça, peu ou prou. Une sommité dans le monde de la criminalité, de la roberie, du vagabondage et autres trafics impies. En sommes l’homme qu’il fallait à Loth.

De malencontreux accidents avaient apparemment touché le bonhomme, du peu de ce qu’il avait compris de ces relations, bien que cela lui semble être des rumeurs assez abstraites au final. Il restait un homme de talent et ce qui importait. Ça et son intérêt pour la Fange, ce qui avait définitivement convaincu le Ferbois de s’intéresser à ce marchand du crime.

Lothaire en était sûr, il tenait là une occasion en or.

Théodemar était revenu depuis peu à Marbrume après son exil au Labret suite à son incarcération pour avoir insulté le Duc et les nobles mais aussi à cause des preuves que les autorités avaient sur ses trafics et son empire de la criminalité. Il avait trouvé refuge avec ses quatre comparses dans une vieille bicoque abandonnée dans le Goulot et Théodemar avait commencé ses plans pour retrouver le contrôle de son empire disparu mais pour l'instant ce n'était que théorie et surtout ... purement impossible, il fallait attendre que la milice ne soit plus aussi chaude à le coincer.

C'est alors à ce moment qu'il reçu une missive qui l'intrigua, un dénommé Ferbois l'invita pour discuter. Il n'en avait jamais entendu parler et ce n'était peut être qu'un vulgaire péon ... mais pourquoi l'inviter lui, la plupart des personnes à Marbrume, si elles avaient connaissance du retour de Théodemar, le lapiderait pour ce qu'il leur avait fait, c'est pour cela que pour un temps il avait changé de nom pour Marcus Adamless ... le temps que cela se calme et que les rumeurs disparaissent comme le soleil dans les marais.

"Gideon... je te charge de cet entretien, je ne peux sortir pour le moment... Ulric tu vas avec lui, on ne sait jamais et attention à vous."

Dit-il sur sa couche toujours en regardant la missive avec intérêt.

Les deux comparses, l'un avec de long cheveux blonds au regard bleu qui semblait commettre un mauvais coup quand on le voyait habillé d'une simple tunique beige avec un poignard à son flanc ... ce dernier était un ancien guérisseur qui s'était également converti à l'assassinat, une compétence qui sera utile au moment opportun s'était dit Théodemar et l'autre, était un bourrin de première. Un barbu aux cheveux longs, un regard de tueur aussi vert que l'herbe, il était vêtu d'une armure de cuir dont il avait détroussé un bandit de grand chemin en revenant à Marbrume et armé d'une hache à double tranchant. Ce mercenaire s'était retrouvé seul et le déchu l'avait convaincu de le suivre en lui promettant monts et merveilles.

Gideon suivit alors les instructions de la missive qui était adressée à Théodemar, le Hérisson Mélomane. Un lieu public, d'accord. Au moins, le Lothaire n'était pas idiot.

"On entre chacun de notre tour. Tu vas t'asseoir à une table près de la porte et moi je vais le voir."

"Ouais."

Il ouvrit alors la porte de la taverne et le son des musiciens emplit une bonne trentaine de secondes la rue qui était silencieuse. L'établissement était bondé, apparemment on trouvait de l'argent même en ces temps de misères pour se saouler la tronche. L'acolyte de Théodemar remarqua alors un homme qui semblait chercher quelqu'un, hm... c'était peut être le contact de ce dernier. Apparemment, il 'navait pas l'air si méchant. Il s'approcha silencieusement pendant que Ulrik s'assied à une table et commanda une bière.

Gideon quant à lui, profita que le péon se retourna une fois de plus pour s'asseoir en face de lui avec un immense sourire tout en le regardant de son regard de vicieux.

"La place est prise ? Non ? Merci."

‘’Je vous en prie’’ accompagnât-il d’un geste de main.

Lothaire lorgnait le tout nouvel individu. Cheveux longs, blond aux yeux bleu, une tunique beige assez sobre, rien qui ne correspondait vraiment à la description qu’on lui avait donné du sieur Ecuviel. Sans doute un intermédiaire…Evidemment, il prenait ces gardes, ça c’était plutôt passé pour lui ces derniers temps à ce qu’on racontait.

Loth jeta un bref coup d’œil à la salle, il aurait juré avoir vu du coin de l’œil son nouvel invité entrer avec quelqu’un d’autre au sein de la taverne, un complice peut-être ? Sans doute même. Il n’était probablement pas seul et pouvait compter sur du renfort en cas de grabuge. Le Ferbois devait la jouer fine, s’il était tombé sur des fous furieux, tout ceci pourrait très mal tourner pour lui et adieu sa quête. D’un autre côté, tenter de former un réseau incorporant autant des miliciens que des brigands de cet acabit ne pouvaient qu’être une opération risquée pour son cas.

Le lorgnant d’un regard puis deux, il finit par se lancer :

‘’Vous êtes son intermédiaire, je suppose ? ’’

Lothaire préférait rester dans le flou, évitant de prononcer des noms. Il leva le bras, brandissant deux doigts à la serveuse la plus proche qui approchait, lui commandant deux pintes. Il reprit :

‘’Je suppose que votre employeur se demande ce qui lui vaut cette mystérieuse entrevue et c’est tout à fait légitime qu’il dépêche quelqu’un à sa place, en particulier en ces temps troublés.

Commençons par les présentations, je me prénomme Lothaire Ferbois, médecin de profession. Je possède également quelques modestes contacts dans notre milieu commun et il se trouve que les rumeurs circulent vite…j’ai entendu dire que votre employeur avait effectué quelques…recherches particulières. Sur des sujets tout aussi…particuliers, si vous voyez ce dont je veux parler.’’

Lothaire évoquait à demi-mots ces maudites goules. De son œil vif, il scrutait les réactions de son invité. La serveuse, une jeune femme aux cheveux attachés et portant une coiffe blanche, interrompit leur conversation pour déposer les deux pintes.

‘’J’aurais voulu savoir si ce projet de recherche était toujours d’actualité pour votre employeur’’.

"Je préfère ''associé"..." Dit-il avec un petit petit sourire narquois.

Il écouta alors le guérisseur avec une certaine attention mais aussi en guettant le moindre mouvement suspect de la salle, certes Ulric était là mais il ne pouvait pas avoir des yeux partout ... il y avait peut être des organisations qui avait eu vent de la présence d'un rendez vous en ces lieux concernant des affaires secrètes et ils avaient peut être dépêché un assassin ou deux.

"Milieu commun", le médecin se croyait-il être un brigand de première classe ? Mais Gidéon en avait cure, Théodemar lui avait parlé des fameuses recherches dont Ferbois lui parlait et apparemment le laboratoire avait était abandonné sans pour autant être trouvé par les autorités ducales ... peut être que le Déchu aurait pour projet de réhabiliter le laboratoire mais il n'en savait rien.

"Le Déchu à pour le moment d'autres catins à besogner, Messire Ferbois mais ... qu'avez vous à proposer et si vos propositions sont intéressantes je ferais en sorte qu'Il soit au courant de votre projet."

Mince, pensais Lothaire. Ecuviel était donc à ce point dans une telle position de fragilité ? Cela rendait tout de suite cette opportunité moins…intéressante à court terme. Mais à long terme en revanche, il y avait là peut-être moyen d’établir un contact suffisant important dans le milieu de la grande roberie et de la bagaude. Il supposait qu’en disposant ainsi d’un intermédiaire, ou associé peu importe, Théodemar Ecuviel disposait encore de quelques ressources et contacts.

A présent, il fallait trouver une proposition qui valait le coup.

Le blondinet le reluquait salement. Il y avait quelque chose dans sa voix qui ne lui plaisait guère, ce petit air inutilement prétentieux et condescendant qu’on ceux s’étant habitué à la violence et en être devenu fier. Assurément, ce type n’était clairement pas un novice dans l’art de la maraude…

Mais Lothaire n’était plus un jouvenceau stupide, il avait de la ressource. Suffisamment même. Repassant en revue ce qui pouvait intéresser un chef de bande comme Ecuviel, deux propositions ressortaient. Son expertise dans la Fange, mais ce n’était clairement pas sa priorité… Et la seconde proposition potentielle concernait ces capacités médicales. Le Docteur avait assurément grande foi en son talent de guérisseur, il ne craignait pas l’épreuve du stress. De même, qu’il s’agisse de simples consultations préventives, du traitement des blessures, plaies ouvertes ou fermées, du traitement des infections, des bouleversements des quatre humeurs, bile jaune, sang, phlegme et atrabile, de purge et de saignées, Loth se révélait incollable. Il avait poussé le vice jusqu’à l’étude des accouchements et de la chirurgie, pourtant réprouvé par le reste de la profession. Dire qu’on laissait le soin de procéder à une extraction de pointe de flèche au même individu qui vous rase les joues.

Soit ! Le médecin s’était décidé : « Je dispose d’une expertise et d’une grande polyvalence dans la médecine. Qu’importe s’il s’agisse d’affaires publiques ou de question délicate à ne point exposer, je peux donner les meilleurs résultats possibles en cette cité.»

C’était dit sur un ton bref et assuré, mâtiné d’une certaine suffisance et même d’une pointe d’orgueil. Lothaire Ferbois pouvait se révéler soucieux pour bien des domaines, mais jamais plus il ne se montrerait faible dans son domaine de compétence.
« Ecuviel aura besoin d’un médecin, tôt ou tard. Sans doute en voit-il déjà un, pour lui et ces associés. Et je ne doute point de ces capacités, loin de là. Mais un jour viendra où vous tomberez sur une situation inédite, sur un cas critique, sur un imprévu et ce jour, vous serez désemparé. Ce jour-là, n’oubliez pas mon existence. La porte de mon cabinet vous sera ouvert.»

Gidéon se demandait si il n'avait pas un fou devant lui ... s'amuser à étudier des créatures qui pouvaient exterminer des villages entier en étant seul mais il avait promit à Théodemar de ne pas juger cela comme si c'était contre-nature, lui même avait tenté de faire des choses d'où le rendez vous aujourd'hui dans cette taverne mais il trouvait également quelque chose qui n'allait pas chez le médecin ... en fait, il jouait un peu trop au bandit de grand chemin et il eut un regard vers le comptoir où Ulric buvait sa bière. Bon, il s'était finalement décidé.

"Très bien."

Il se leva alors de la table et fit un rapide signe de la tête au mercenaire qui s'approcha en laissant sa pinte sur le comptoir.

"Etes vous prêt à rencontrer le Déchu ? Néanmoins, nous vous demanderons une certaine condition ..." Dit-il alors que le mastodonte d'un mètre quatre-vingt quinze s'approchait derrière le médecin, Gidéon eut un sourire et attendit que Lothaire dise quelque chose.

Le truand en face de lui acquiesçait face à sa tirade, bien que l’émotion sur son visage lui semblait difficilement déchiffrable. Un ‘’je ne sais quoi’’ empêchait Lothaire d’apprécier pleinement la situation. Peut-être n’avait-il pas conscience que ses propos irritaient ou amusaient le fripon. Une question d’orgueil sans doute.

"Etes vous prêt à rencontrer le Déchu ? Néanmoins, nous vous demanderons une certaine condition ..."

L’instinct de Lothaire le pressait d’un danger imminent, et il eut tout juste le temps de tourner sa tête pour sentir une présence menaçante derrière lui. Un rustre, à en croire sa physionomie. Imposant mais loin d’être balourd, son regard couleur émeraude aux relents meurtriers incitait le médecin à la plus grande prudence.

''Je vois que vous n’êtes pas venu seul finalement…''

Il prit le temps d’avaler une lampée ou deux de sa bière, observant le sourire amusé de son interlocuteur. Cet homme ne lui plaisait vraiment pas.

''Je suis prêt à le rencontrer. ''

Avait-il seulement le choix de refuser à présent ? Il n’était guère question de rebrousser chemin à cause d’une tête qui ne lui revenait pas. Des hommes au regard habité par le vice, ça grouillait à présent au sein de la cité, tant de gens ont du se salir les mains pour survivre, pour tenir bon. Le Docteur lui-même ne s’estimait guère être quelqu’un de bon, malgré ces inclinaisons à vouloir le bien commun, la culpabilité, le doute et l’arrogance le tourmentant sans cesse.

''Concernant votre condition, je vous écoute.''

Citation :

Vraiment vraiment désolé pour le retard ^^'

Gideon eut un grand sourire, l'effet du géant derrière ce soit-disant médecin avait eu justement l'effet escompté. Il se disait qu'il avait du cran mais trop pour être honnête et puis … Théodemar n'avait pas dit qu'il n'avait pas le droit de s'amuser un peu.


 « Le Déchu préfère être prudent, il n'aime pas les mauvaises surprises et moi non plus ... »


Il but alors la dernière gorgée de sa bière et se leva, l'aura de l'ancien assassin semblait faire tourner quelque tête par-ci par-là comme si on ressentait la mort autour de lui … oh oui, il en avait tué des personnes le Gideon mais uniquement ceux qui avaient une prime sur la tête et peut être aussi quelques victimes collatérales … roh quoi ? Un gamin qui n'aurait pas dû être là et qui réveillé toute la famille, c'est la zigouille assurée, qu'est ce que ça peut faire ? Toute façon, les familles des victimes devaient le remercier intérieurement pour cette bénédiction, c'est dur de nourrir une famille nombreuse.


Il s'approcha alors de l'homme poivre et sel puis se pencha sur la tête vers son oreille, il avait une haleine de Fangeux, un mélange d'oignon et de bière qui pouvait faire fuir même le plus hargneux des mordeurs.


 « Nous ne demandons qu'une chose... »


Il se remit droit tout en regardant la clientèle occupée à picoler et jouer puis il fit un signe à Ulric qui eut un petit ricanement avant de foutre sa main de forgeron sur la tempe du vieil homme … aucun bruit, tout cela passait inaperçu dans la taverne … la tête retombait mollement sur l'épaule du mercenaire et Lothaire avait tout bonnement l'air de s'être trop enivré. Ils quittèrent donc la taverne sans vraiment éveiller les soupçons.


Au réveil du médecin, il pouvait remarquer qu'il se trouvait dans une pièce … assez délabrée, en effet, cela pouvait être une maison au vu des trois minuscules pièces que l'on pouvait voir d'un seul coup d'oeil … le plancher était pourri, l'odeur était immonde, il y avait pas de doute… il avait franchi un cap dans les quartiers de Marbrume.




Quelqu'un se raclait la gorge devant lui et enfin, il pouvait apercevoir un homme à la barbe drue et aux cheveux longs … Théodemar ? Impossible, il était un jeune homme beau et soignée à l'ordinaire mais on dirait qu'il s'était laissé aller, aux alentours, on pouvait voir quatre hommes dont les deux complices du Déchu qui l'avait amené ici.


 « Alors … il paraît que vous vouliez me voir ? » Dit-il sur un ton étrangement calme alors qu'il jouait avec son poignard entre ses doigts.