[TERMINÉ] L'une chasse, l'autre cueille, jouons aux chasseurs-cueilleurs [Rosen X Flore]

Les coups frappés à ma porte me firent sursauter. Non pas que j’étais en train de faire quelque chose d’important, non, j’étais juste en train d’essayer de recoudre, avec du mauvais fil, un petit trou sur le bas de ma robe. Coudre à la lueur des flammes est un exercice difficile qui demande beaucoup de concentration et je n’y parviens que par un quasi miracle. Un petit miracle perturbé par ces coups bien matinaux. J’arrache le fil restant avec mes dents et range avec délicatesse la petite bobine de fil marron dans une boite avant de me redresser et de draper mes épaules d’un vieux châle. J’entends la personne se présenter. Rosen…Ha oui. La chasseuse qui confond cassis et morelle…C’est vrai, elle devait revenir. Je ne peux m’empêcher de me frotter le menton. Rares sont les personnes qui promettent des choses et qui s’y tiennent. Du pas lent de femme n’ayant rien mangé depuis deux jours, je viens lui ouvrir la porte, avec d’infinies précautions, un tout petit peu. Un rapide coup d’œil. C’est bien elle. J’ouvre un peu plus grand la porte et la salue d’un mouvement de la tête, éblouie par la lumière du jour.

- Bonjour Rosen. Comment vous portez-vous ?

Les bras frileusement rangés sous le châle, je l’observe rapidement, de la tête aux pieds. Sa guérison est rapide, à mon sens elle devrait encore garder le lit par sécurité, mais vu la personnalité de la dame que j’ai soignée, il était évident qu’elle ne s’y tiendrait pas. Quant à moi…Je meurs de faim, j’ai mal au ventre à force de ne rien manger, et l’idée d’aller chasser ne me dit rien sur l’instant, parce que je suis trop faible pour courir. D’autant plus que je ne dispose pas de vêtements adaptés. Mais…Peut-être que si nous attrapons un lapin de garenne, un oiseau, n’importe quoi, Rosen pourrait me céder quelque chose. La décision s’imposa donc d’elle-même.

- Attendez ici. Je vais passer des habits…enfin…des choses que je peux abîmer sans trop de regrets. Faites juste attention à ça, dis-je en lui montrant les grosses pierres servant de point de repère à mes pièges, dont l’une se trouve à quelques pas seulement de la chasseuse. Un pas sur les plantes derrière ces pierres et vous n’aurez plus de jambes. J’arrive.

Je laisse la porte entrouverte et monte à l’étage enfiler une vieille robe par-dessus une vieille chemise d’Henri. L’ensemble n’a rien de cohérent, c’est laid, je ressemble à un épouvantail mais…je ne peux pas me permettre de salir mon autre robe, la seule qui soit un peu présentable. Je noue mes cheveux avec une cordelette et prends la vieille cape de mère, ma petite besace comprenant un ou deux outils de cueillette, mon petit couteau, et la rejoins, avant de fermer la porte dans un geste bizarre qui actionne tout un tas de mécanismes bruyants. Je serre les cordelettes autour de ma gorge afin de maintenir la cape en place et regarde partout, sur le qui vive. J’ai toutes les raisons du monde de craindre mon environnement, ce ne sont pas les ordures, les bandits ou les fangeux qui manquent après tout quoique pour ces derniers on peut raisonnablement se dire qu’ils vont rester à peu près tranquilles, vu le soleil éclatant qui brille en ce moment. Je reporte mon attention sur la chasseuse et murmure :

- Allons-y.

Je me mets en marche, avant de dire :

- Merci d’être revenue. Personne ne revient jamais.

Je regarde la chasseuse avec un léger sourire avant de regarder cet environnement que je connais à la perfection. Il n’y a rien de remarquable dans les environs, si ce n’est ces fleurs blanches à cœur jaune qui plient légèrement sous la brise matinale. J’ignore si elle connait les effets de ces fleurs séchées, en tout cas, je les utilise à profusion.

- Ces fleurs-là, cueillez-les tant qu’elles sont pleines et belles. Faites les sécher au soleil jusqu’à ce qu’elles deviennent marron clair et ensuite rangez les dans une petit sac, au sec. C’est une base pour tout un tas de potions mais, prises simplement dans de l’eau chaude, c’est apaisant, en plus d’être parfumé.

Arrivée à l’orée des bois, je me rappelle avec un peu d’angoisse l’incident qui m’a amenée à rencontrer un certain baron juché sur sa Moto. Ce jour-là, il faisait beau, un peu comme aujourd’hui, et cela n’avait pas empêché les Fangeux de sortir du bois. Si le baron n’avait pas été là pour me sauver la vie, je ne serais pas là, à me promener en compagnie de Rosen. Il cherchait de…je ne me rappelle plus du nom qu’il a prononcé, mais je me rappelle avoir coupé des tiges d’herbes saigne nez, afin qu’il puisse faire préparer des potions par son herboriste personnelle. Les plantes ne sont pas très loin, je le sais. Quoiqu’il en soit, je réponds volontiers à sa question qui a au moins le mérite de me rappeler un souvenir agréable, celui de mon père adoré.

- C’était la maison de mes parents, c’est mon père qui a construit ce système. Quant à la maison en elle-même…C’est mon seul refuge, je m’y sens en sûreté. Les défenses tout autour de la maison, c’est moi qui les ai aménagées. Elles ont déjà eu leur utilité. Il n’y a rien de pire que d’entendre un fangeux tomber dans un ces trous remplis de pieux…Ils hurlent jusqu’à ce qu’on les achève, c’est atroce. Mais au moins…ça fonctionne.

Ce qui me ramène à songer au baron, je lui explique d’ailleurs les faits, arrêtant sa progression d’un geste de la main posé sur son bras.

- Êtes-vous certaine de vouloir continuer dans cette direction ? La dernière fois que je m’y suis rendue…deux fangeux sont sortis des buissons, si le baron de Sombrebois n’avait pas été là, je serais morte. Il vaut mieux que nous prenions un chemin moins…dangereux.

D’autant que je fais vite le tour de nos moyens de défense. Les miens relèvent de la rigolade, car ce n’est pas avec un tout petit couteau et deux serpes qu’on se défend. Je regarde les armes de Rosen et en arrive aux mêmes conclusions. Les Bêtes sont rapides, fourbes et vicieuses. Si elles attaquent, nous ne ferons pas le poids, pas le moins du monde. Je lève un visage très inquiet vers elle, attendant son avis. Après tout, c’est elle la chasseuse, moi je ne fais part que d’une probabilité et d’un incident que je ne préfère pas revivre de suite. La chance n’est pas une chose sur laquelle on peut compter, dans les environs. Malheureusement.

Je sais que la chasse n’est pas du tout mon domaine mais je sais ce que j’affirme. Les Fangeux nous ont attaqués alors qu’il faisait jour et pas très loin d’ici. Je ne me sens pas très à l’aise et j’ai du mal à le lui cacher. Emmitouflée dans des vêtements bien trop larges pour moi car destinés à un homme, je me contente d’opiner de la tête, tout en observant les alentours. Il n’y a pas que les fangeux que je redoute, il y a aussi ces deux porchers, les Gorlois, ces affreux crétins dont le loisir principal est de me tourmenter de toutes les manières possibles. Depuis que Jehan leur a donné une sévère correction, il est vrai que je ne les vois plus du tout, mais…je préfère rester sur mes gardes. On ne sait jamais à quoi s’attendre avec ces hommes là.

Je me retourne à l’évocation du baron et esquisse enfin un sourire, avant de lui répondre :

- Le connaître est un bien grand mot. Nous nous sommes rencontrés non loin d’ici, il cherchait des herbes particulières et nous avons été attaqués par des Fangeux.

Je frémis en songeant à ce souvenir particulièrement déplaisant. L’odeur, le sang de ce Fangeux répandu sur mes vêtements, les ignobles gargouillis crevant la surface de sa bouche ouverte alors que je ne pouvais plus bouger, absolument terrifiée. La hache du baron avait mis un terme à son existence.

- Il les a abattus, je lui ai offert l’hospitalité pour la nuit dans ma maison. Un homme charmant, d’une rare prévenance et surtout très délicat. Je ne l’ai jamais revu dans les parages. Il m’a invitée à me rendre sur ses terres mais…C’est trop loin. Et…enfin…J’attends le retour de quelqu’un qui m’est cher.

L’évocation de Jehan provoque un petit pincement en mon cœur. Je n’ai plus aucune nouvelle de lui ni d’Irène. C’est comme s’ils avaient littéralement disparu. Je tenterai de me rendre sur l’Esplanade, un jour prochain, afin de me rendre au manoir. Cela étant, je doute que la milice me laisse entrer. Ils sont d’une extrême méfiance et vu mon apparence, je n’ai finalement que peu de chances d’y parvenir. Ils connaissent Jehan. Je ne passerai jamais seule. Renfrognée par cette perspective, je reporte mon attention sur les fleurs en murmurant :

- Tout le monde appelle les plantes d’une façon différente. Moi j’appelle ça « les fleurs blanches qui poussent au printemps et qu’on trouve partout dans les champs »…Je sais, ça ne vous aide pas.

J’esquisse un sourire en ajoutant :

- Quand les fleurs sont sèches, si vous en avez trop, vous pouvez en disposer au sol, parmi d’autres herbes. Cela parfume agréablement les pièces quand on marche dessus.

Je la regarde se pencher soudain sur une trace qui pourrait potentiellement être une marque laissée par un animal. Un sanglier ? Cela fait longtemps que je n’en ai plus vu dans les environs. Quoiqu’il en soit j’observe à mon tour et hoche la tête, intriguée :

- Comment parvenez-vous à distinguer les animaux à leurs poils ? Puis un sanglier, c’est énorme, si je me souviens bien. Et c’est plutôt agressif comme animal, je crois. Ça ne vous fait pas peur ? Vous ne craignez jamais de tomber un jour sur un animal plus fort que vous ? Qui pourrait vous faire du mal ? On dit qu’il n’y a rien de plus agressif qu’un animal blessé…

J’ignore comme elle y arrive. Personnellement, si je mets un pied en forêt, les animaux m’entendent et ne se montrent pas. D’aussi loin que je me souvienne, je ne me rappelle pas avoir vu un renard de près, pas plus qu’une biche. Et encore moins un sanglier. Je les vois de loin, ou à tout le moins je les devine, tapis derrière les fourrés, s’enfuyant à mon approche dans un grand bruit de branches cassées qui me terrifie à chaque fois. Comment parvenir à pister, à chasser et à abattre une proie sans se faire remarquer et surtout sans attirer l’attention des Fangeux ? Ces monstres sont partout et je ne me fie absolument pas aux rayons du soleil ni à la chance.

Je la laisse toutefois expliquer les différentes couleurs de fourrure, la façon qu’ont certains animaux de laisser des traces et note tout cela précieusement dans un coin de ma tête, pas très à l’aise.

- Personnellement, entre le sanglier et le Fangeux, je choisis le sanglier. Au moins on a une chance de s’en sortir si on court vite. En tout cas, j’ignorais que ces bêtes-là pouvaient mordre. Après, je n’en ai jamais mangé. C’est bon, la viande de sanglier ?

Je ne pus m’empêcher de lui sourire, vaguement amusée à l’idée d’imaginer un lapin sauvage blessé et défendant sa peau par des morsures redoutables. Je pouffe un peu, en regardant ailleurs, un instant distraite dans ma vigilance.

- Excusez-moi, j’ai pensé à un truc drôle, ce n’est pas contre vous.

Reprenant tout mon sérieux, j’observe la forêt tout en me serrant machinalement dans ma cape. Est-ce que j’ai peur ? Oui, évidemment ! Ne pas avoir peur n’est pas du courage, en ces contrées, c’est démontrer de fortes tendances suicidaires. Tout le monde sait à quel point les Fangeux sont fourbes, rapides et violents, sans pitié. Ce serait tout à fait leur genre de se tapir dans un coin à l’ombre et d’attaquer au moment où on s’y attend le moins. Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de le signifier à Rosen, en secouant un peu la tête :

- Je n’ai pas peur de la forêt, c’est elle qui me fournit l’essentiel de mes potions. Non. J’ai peur de ce qui s’y cache. Et vous devriez avoir peur vous aussi. Il faisait beau comme aujourd’hui quand ces…

Un bruit là-bas ! Je ne dis plus un mot, je regarde Rosen et reporte ensuite mon attention sur l’origine du dit bruit, en pâlissant si c’est possible. Je ne bouge plus, je suis en panique, avec l’envie de m’enfuir en courant. Ma maison n’est pas loin, je le sais. Et si je fais demi tour, je pourrais être à l’abri en à peine deux minutes, je le sais aussi. Pour moi il ne s’agit que d’un bruit inquiétant, peut-être que Rosen pourra mieux distinguer ce souffle rauque, ce pas lourd et ces bruits étranges de grondements sourds.

- Les Fangeux, quand ils vous coursent, ils ne font pas dans la dentelle. S’ils vous attrapent, vous n’en réchappez pas.

Je regarde un instant son bras, essayant de m’imaginer un sanglier énorme accroché à elle. Je m’imaginai l’animal s’attaquant à moi et eus un frisson que je ne pus totalement réprimer. Il est évident que je n’aurais aucune chance. Aucune. J’ai tout le temps faim et je ne suis donc pas bien épaisse. Nul doute qu’un tel animal me briserait les os en deux, sans la moindre difficulté. Cela étant, la prise d’un tel animal semble bien rare, comme le confirme la chasseuse. Impossible pour elle de me dire si c’est bon. A dire vrai je m’en doutais un peu. La viande est un met rare, un met destiné aux riches de la cité ou à des clients de taverne fortunés. Cela doit être terriblement frustrant de travailler dans un tel endroit et de ne pouvoir gouter ce qu’on a chassé, parfois au péril de sa vie ou de son intégrité physique.

- Ils pourraient au moins vous laisser un petit morceau tous les jours. C’est vous qui les chassez, ces proies, après tout.

Au bruit de branches cassées, je vois Rosen se raidir pratiquement au même moment que moi avant de m’entraîner par le bras derrière un arbre afin de nous dissimuler. Inutile de préciser que je n’en mène pas large, toute pâle, cachée derrière l’arbre et la chasseuse. Je la regarde, elle déclare ensuite qu’il ne s’agit que d’une branche. Une branche qui a du tomber. Je hausse un sourcil, puis l’autre. Cela devait être une sacrée branche pour faire un bruit pareil. Cela étant, la chasseuse estime qu’il n’y aucun danger, je sors donc de ma cachette, sans la suivre. Je m’estime plutôt bien là, à la regarder prendre les risques tandis que je reste là à attendre. De toute façon, je n’ai même pas une vraie arme donc il vaut mieux qu’elle passe devant.

Elle s’exclame alors, elle voit un petit marcassin ce qui m’apaise immédiatement mais pour une courte durée. En effet…un petit ne reste jamais bien loin de sa mère. Là est le vrai danger par contre. Rosen en arrive aux mêmes conclusions que moi. A un bruit de grognement, je l’entends perdre sa discrétion et crier de courir.

- Hein ? Quoi ?

Elle n’a pas à me le répéter deux fois. Je cours dans la direction opposée, de là où nous venons, sans regarder en arrière, sans m’arrêter non plus, de manière à me mettre à l’abri le plus rapidement possible. J’ignore si Rosen m’a suivie. J’ignore de quoi il s’agit mais je ne préfère pas rester là pour le savoir. Derrière un buisson épais, j’attends là, afin de savoir de quoi il s’agit en me maudissant d’avoir suivi la chasseuse. Je ne suis pas faite pour les courses ni pour ce genre d’expéditions en forêt sans la moindre garantie. Je ne suis pas courageuse, j’ai peur de tout et de tout le monde, je devrais rentrer chez moi, retrouver mes Ténèbres réconfortantes. Cela étant, je ne peux laisser la chasseuse seule. Je me redresse, hissant la tête par-dessus les fourrés pour chuchoter un tout petit :

- Rosen ? Rosen ??? Où êtes-vous ?

Quelle malédiction d’être aussi craintive de tout et de tout le monde, par les Trois. Après…Comment pourrais-je en être blâmée ? Je ne sais pas me battre, je sais juste courir vite. Je ne sais pas me défendre, je n’ai pas d’arme pour le faire et même si j’en avais une, ce qui relève de l’impossible tellement les armes coûtent cher, je ne saurais même pas m’en servir sans me blesser moi-même. Je me rappelai, un peu dépitée, cette matinée où un cavalier au regard ardent m’a tendu un pantalon à enfiler avant de monter à cheval. Je n’en avais jamais porté et j’ai encore trouvé le moyen de me fracasser au sol en sautillant à cloche pied. J’ai du enfiler ce maudit pantalon en étant couchée au sol, en transpirant à grosses gouttes. Imaginez-moi maintenant avec un arc et des flèches, ou même une dague. Autant me jeter toute nue dans un repère de fangeux, le résultat sera le même et au moins je ne paraîtrais pas ridicule.

Quoiqu’il en soit, la tête dépassant à peine de buisson, je vois Rosen s’approcher, ce qui me rassure. Par contre elle ne semble pas m’avoir vue. Elle avance d’un pas plutôt calme, ce qui m’incite à croire que le danger, si tant est qu’il y en ait jamais eu un, est passé. Me redressant soudainement de derrière les buissons, les cheveux hirsutes remplis de feuilles, le front ceint d’un peu de terre, je lui fais signe de la main, avant de tendre la tête, afin de vérifier que rien n’approche en tapinois.

- Pardon, j’ai eu peur.

Regardant ma tenue, ma robe, cette chemise toute pleine de choses qui n’ont rien à y faire, je passe une main un peu gênée sur mes habits et ajoute, embarrassée :

- Qu’est-ce que c’était ? J’ai pas eu le temps de voir…

Pas eu le temps, oui bien sûr. J’avais filé, détalé comme un lapin, sans demander mon reste, en la laissant se débrouiller toute seule. Mais bon. Elle a ses armes, elle, et toute une habitude du danger que je ne possède pas, moi.

- La chasse, ce n’est décidément pas mon fort. On a bien essayé de m’apprendre à poser des pièges, je n’ai réussi qu’à capturer du vent et des fourmis. C’est une vraie calamité d’être aussi peu douée, je vous assure…

Je sors de mon buisson et approche, timide :

- Excusez-moi d’avoir fui, quand il y a du danger je réagis bizarrement…Je ne suis pas très courageuse.

- Ha on se tutoie ?

J’avoue que je préfère. Le vouvoiement intempestif me met un peu mal à l’aise, mais il est parfois nécessaire pour garder une certaine distance avec mes clients. Ici, nous avons dépassé ce stade un peu pompeux de la relation médicale. On apprend des choses l’une de l’autre, on peut donc se permettre cette liberté. Sortant de mon buisson en ôtant les quelques feuilles et branches qui s’accrochent encore à moi, je dis, un peu gênée encore :

- C’est pas drôle…Et grimper aux arbres…ça dépend lesquels. Si t’es perdue dans une futaie de bouleaux, t’es mal. Très mal. Donc le mieux c’est encore de courir. Ou de se planquer.

Je toussote un peu en remettant de l’ordre dans mes vêtements en écoutant son explication. Oui. Evidemment. La laie. Cela ne pouvait être que cela. Les petits ne restent jamais loin de leur mère et l’inverse est tout aussi vrai. Quoiqu’il en soit, je prends sur moi et redresse le menton, avant de regarder ailleurs, un peu vexée, dans le fond. Oui, j’ai creusé des trous, ce n’est pas ce qui demande le plus d’aptitudes en fait. Une bêche, voire une pioche, un peu d’huile de coude et on arrive à un résultat satisfaisant, même quand on est épais comme un moineau. Garnir ces trous de pieux taillés consciencieusement, de manière à tuer ou à très sérieusement blesser quiconque tombe dans ce trou, ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué non plus. Par contre…Placer des pièges pleins d’astuces, avec des mécanismes particuliers à des endroits stratégiques, là, c’est une autre histoire, d’autant que si le fangeux affamé ne fera pas forcément la distinction entre une grosse pierre et un piège potentiel, les animaux, eux, s’éloignent rarement de ce qui les protègent, les bois, les buissons, la forêt. Donc ça ne sert à rien d’en placer autour de ma maison, comme je l’ai fait. Il faut les déposer là où le gibier passe et moi…bah, je ne sais pas voir cela. Distinguer un champignon de l’autre, oui, sans soucis, mais pour ce qui est de suivre une proie…Non.

- On ne peut pas être doué en tout. Moi je sauve des vies. Je trouve que c’est déjà pas mal, en fait, dis-je en croisant les bras. Mais tu as raison, allons-y. On verra bien. Il y a un joli coin à aspérules, là bas.

Je la laisse jouer au petit chef, cela lui va bien. Moi je me contente de suivre et de rester en vie, ce qui relève déjà du miracle. Les bras dissimulés sous ma cape, je demande alors :

- Tu as toujours vécu à Marbrume ? ça ne te dérange pas de vivre dans cette ville toujours puante ? A chaque fois que je m’y rends, j’en suis malade…