Marbrume


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 Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:

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Merrick LorrenCoutilier
Merrick Lorren



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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyMer 3 Juin 2020 - 18:30
Entre Merrick Lorren et Estelle de Chantauvent, le naturel n'avait pas tardé à revenir au galop. De fait, l'échange qui avait suivi leur moment d'égarement dans les bras l'un de l'autre avait de nouveau été teinté par la facétie et l'amusement. La plaisanterie et les taquineries voltigèrent en tout sens, là, au détour de leur conversation. L'une boudait faussement alors que l'autre se présentait comme la seule et unique victime de l'histoire. Jouant comme deux gamins, usant et utilisant les mots pour définir leur attachement respectif et leur fausse mésentente, le duo continuait à lutter âprement pour chaque concession offerte, aussi stupide et puérile qu'elles pouvaient l'être. Pour autant, au travers de cet amusement, l'affection qui les liait l'un à l'autre était hautement perceptible. Loin d'être une relation basée sur la fugacité d'un instant volé, la dame de Chantauvent et l'ivrogne de Lorren avaient construit quelque chose qui semblait à tout le moins solide. Suffisamment fort pour qu'au milieu de cet échange, là, dans le bain privatif, ils s'abandonnent de nouveau dans une promiscuité toute personnelle. De ce geste, il n'était plus question d'ébat charnel. Ce rapprochement n'était qu'une preuve de tendresse apaisante et attendrissante. Suffisamment doucereux, fort et puissant, le milicien pouvait le certifier; cette proximité était aussi plaisante et importante que les derniers instants vécus à deux ne l'avaient été. Pour lui, ancien coureur de jupons, il était toujours étonnant de remarquer à quel point ce simple contact avec Estelle était en mesure de le combler au plus haut point et de le rasséréner.

Ainsi, Estelle fut capturée dans les bras de Merrick. Bien que cela soit "contre son gré" et fut utilisé pour mettre en place un chantage sans équivoque, la jeune femme ne sembla pas le moindrement souffrir de cette emprise qu'il exerçait sur son corps. Rapidement, cette capture devint enlacement, alors que tous deux réalisaient qu'ils pouvaient être gagnants dans cet échange. Toutefois, dans la lutte des mots qu'ils avaient dressée l'un contre l'autre, la propriétaire de la Chope Sucrée sembla tirer son épingle du jeu, alors qu'elle mentionnait qu'elle ne pourrait tenir son rôle conjugal si leur future demeure était remplie de bête et de bestiole en tout genre. Fronçant des sourcils à l'idée, n'appréciant guère cet idéal de chasteté qui se dessinait dans l'imaginaire de sa partenaire, Merrick Lorren secoua énergiquement la tête. "Non, non et non." Répéta-t-il inlassablement tandis qu'elle parlait, s'évertuant à la couper et à monter le ton pour la rendre muette. Sentant les doigts de sa compagne parcourir son poignet, son avant-bras puis son visage, le coutilier frémit avant d'attraper cette main et de venir déposer ses lèvres sur le revers de cette dernière. De ce simple geste empreint de tendresse, Estelle avait réussi à faire taire le milicien. Un haut fait d'armes, s'il en est !

-"Oserais-tu prétendre que la satisfaction serait pour moi uniquement ?" Demanda-t-il en riant. " Précédemment, tu avais l'air d'y trouver ton compte autant que moi, non ?" Proféra-t-il en plongeant ses yeux dans ceux de la dame de Chantauvent. "Et puis, penses-tu être capable de me résister ? Penses-tu aussi être en mesure de partir chasser ces infâmes créatures qui ne t'effraient pas le moins du monde ?" Continua-t-il, plein d'une ironie tout amicale. Allant perdre son visage dans le cou de la tenancière de la Chope Sucrée, Lorren la mordit plus malicieusement que tendrement. C'était une petite vengeance pour cette idée qu'elle dressait comme un idéal, celle de le laisser chasser les insectes qui pourraient peupler leur foyer s'il désirait récidiver ce genre de moment intime qu'il venait de partager. Bien qu'il ne le lui disait pas, pour renouer avec ce moment d'égarement, Merrick Lorren serait parti en guerre contre l'ensemble des bêtes et des bestioles de Marbrume.

Puis, le vent tourna. Le chantage ne prenait plus racine dans le discours de la rouquine, mais plutôt dans les actions de l'ivrogne. De fait, ce dernier trouva en premier la tenue de bain de sa fiancée. Loin de la lui rendre aussi facilement et naturellement qu'un honnête homme l'aurait fait, le beau salopard qu'il était la leva au-dessus de sa tête, faisant chanter Estelle pour espérer récupérer un quelconque gain. En profitant pour l'admirer encore complètement dénudé, laissant ses yeux vagabonder sur son corps et sur ses courbes, Lorren finit par se faire une raison et par lui rendre ladite tenue. Il n'avait pas été complètement perdant, elle qui avait tenté de se coller à lui pour atteindre ce qui était inatteignable par sa petite taille. En outre, le coutilier savait que la vengeance de sa promise pouvait être terrible. Détestant probablement autant perdre que lui-même, Estelle aurait été du genre à revenir à la charge à la moindre occasion pour se venger. Cette rancune était après tout quelque chose de très prononcé dans ce couple qui semblait d'un regard extérieur plus souvent s'affronter que s'associer.

Lorsqu'ils sortirent du bassin, le milicien réalisa que ses cheveux étaient éparpillés sur son crâne d'une manière fort peu distingué. Coulant un regard hésitant, mais accusateur envers la propriétaire de la Chope Sucrée, l'ivrogne eu confirmation de ce qu'il pensait bel et bien; la coupable du méfait n'était autre que la rousse lui faisant face. Grommelant dans sa barbe en secouant la tête, Merrick ne put s'empêcher de relever ce manque de savoir-vivre "inacceptable". "Il ne faut avoir aucune honte pour profiter d'un moment de faiblesse passager, alors que j'étais tout concentré ailleurs, pour venir m'agresser aussi vilement et lâchement !" Tenta-t-il de rétorquer, boudeur à son tour. Probablement que sa répartie aurait été plus définie et poussée s'il avait vu les marques qui avaient rougi dans son cou. Mais ça, tel n'était point le cas. Du moins, pour le moment...

Comme d'habitude, au détour de l'amusement se présenta une discussion un peu plus sérieuse. Tenant généralement moins longtemps que les plaisanteries, ces dernières n'avaient pas moins le mérite de couvrir des sujets importants pour le duo. Ainsi, Estelle mentionna qu'elle ne regrettait aucunement, mais qu'il serait plus sage d'attendre après le mariage pour renouer et récidiver ce genre de pratique. Souriant et hochant très lentement et doucement la tête, Lorren resta silencieux quelques instants, faisant tourner dans son esprit la prise de parole de la rouquine. Tout d'abord, il pouvait le certifier; il était en mesure d'apprécier que sa partenaire n'ait aucun regret quant à la façon dont il venait d'agir. De fait, lui-même se retenait la plupart du temps à cause de cette ferveur pieuse qui animait la dame de Chantauvent. Dès lors, si elle pouvait ne pas souffrir de ce péché, il en était le premier plus qu'heureux.

Toutefois, lorsqu'elle lui mentionna qu'elle voulait attendre jusqu'au mariage, le coutilier ne put cacher un éclair de déconfiture de venir voiler ses iris et ses traits. "Oui, je...d'accord. Je comprends !" Lui dit-il tout de même rapidement, sans une once de déception dans la voix. Oui, il comprenait. Était-il joyeux de la chose ? Aucunement. Cependant, il ne voulait pas la brusquer plus que nécessaire. Il est vrai qu'un mois ça pouvait paraître long. Par contre, cela n'était rien comparativement à l'ensemble de la vie conjointe qui les attendait dans l'avenir. Merrick devrait probablement se faire violence à plusieurs reprises pour ne pas replonger dans le vice, mais il devrait être en mesure de circonvenir à son désir. Et puis, il rattraperait le temps perdu une fois qu'Estelle serait sienne, se fit-il la promesse.

Finalement leur déambulation put commencer. Cheminant sous les regards interloqués jusqu'à la zone définie pour se changer, le duo se sépara pour se retrouver dans le hall du Temple. C'est durant ces instants que Merrick Lorren découvrit et apprit ce qu'Estelle lui avait fait. Sous la surprise, la mâchoire lui tomba et c'est rapidement qu'il avait gagné leur point de rencontre pour l'attendre et lui demander des explications. Non, évidemment, ce genre de marque ne le dérangeait aucunement. Toutefois, il aurait aimé le savoir pour pouvoir tenter de les cacher un moindrement ! Que ferait-il si un prêtre découvrait la chose ? C'est ainsi que somme toute doucement, le coutilier admonesta sa promise. Toutefois, il ne put pousser ses récriminations plus loin et plus longuement alors que le représentant des Trois arrivait justement vers eux. Tentant de faire bonne figure, bien que cette dernière était empourprée par la gêne, l'homme d'armes espéra être tiré de ce mauvais pas par la "coupable" des stigmates qu'il arborait désormais dans son cou. Lui laissant le champ libre pour les sortir de ce vicieux traquenard, convaincu désormais que ces prêtres pouvaient sentir le péché à plein nez, eux qui arrivaient toujours au bon moment pour les tourmenter, Lorren resta muet, écoutant l'échange patiemment et bien docilement. Beaucoup plus qu'à son habitude, il va s'en dire...

-"De fécondité ?" De nouveau intéressé par la conversation, ne sachant guère quel était ce genre de cérémonie, Merrick fronça les sourcils peu convaincus de vouloir participer à ce genre de pratique. Était-ce quelque chose qui prenait place sous le regard du prêtre ? Il ne voulait aucunement partager Estelle ! Même si c'était pour être "observé" durant l'acte, cela n'était pas possible. Non, non et non ! Toutefois, Lorren n'eut pas la "chance" de se couvrir d'idiotie, alors que la rouquine éloignait la conversation de ce sujet. Se faisant, le coutilier ne put affirmer qu'il était impressionné par les mensonges de sa promise. Elle semblait plutôt s'enliser que réellement éloigner le dialogue de leur méfait qu'ils venaient de commettre dans le bain privé. Pinçant des lèvres et la regardant, tentant de l'adjoindre au silence par le regard, l'ivrogne releva les yeux pour sourire innocemment au prêtre. Par la Trinité, pourquoi avait-il laissé à la propriétaire de la Chope Sucrée le devoir de les tirer de ce mauvais pas ?

-"Régulièrement ? Régulièrement comme dans..." qu'est-ce qu'il voulait dire par régulièrement ? Une fois par mois ? C'était plutôt régulier, ça ! Non ?
-"Comme dans régulièrement, oui." Lui dit-il avec un grand sourire et le regard empreint de malice. Décidément, Merrick Lorren l'aimait de moins en moins...

Finalement, la fuite fut commuée par la liberté que leur rendait le représentant du culte. Sans se faire prier, le duo s'échappa à l'extérieur. Dès qu'ils sortirent du temple, Merrick sembla respirer plus calmement. Poussant un soupir pour expirer la pression, le milicien finit par se mettre dans l'escalier pour être à la hauteur d'Estelle de Chantauvent. Réalisant que les traces dans son cou n'étaient pas volontaires, l'ivrogne ouvrit la bouche sous la stupeur avant de la refermer en un sourire. "Je veux bien te croire, Estelle. Mais ne viens pas me dire que tu n'as pas vu par la suite les marques que tu m'avais faites après que ton méfait ait été accompli !" Termina-t-il en ronchonnant à son tour. "Je me vengerais !" Proféra-t-il en levant un faux index accusateur et le sourire en coin. Puis, s'éloignant quelque peu en gambadant tel un enfant, l'homme d'armes avait fini par lui tendre la main pour l'amener en direction de là où elle voudrait se diriger. En l'occurrence, la troupe ambulante qu'ils avaient croisée en rentrant à Marbrume.

Cheminant conjointement et main dans la main, le duo se mit à parler de leur expédition avortée vers le Labret, puis enfin de cette potentielle et possible envie de retenter la chose. Roulant des épaules, Lorren se permit de réfléchir avant de répondre trop rapidement. " Je ne dis pas non à retenter l'expédition, malgré les risques." Il fallait après tout rester réaliste et les mentionner; un voyage hors de la cité fortifiée n'était jamais une partie de plaisir. "Mais oui, en effet, il faudrait mieux se préparer. Enfin, plutôt éviter de faire de fâcheuse surprise !" Corrigea-t-il en se rappelant encore beaucoup trop amèrement de De Marais, cet homme qu'il avait fait cocu et qui avait refusé de les faire voyager avec son convoi. Entre cette histoire et l'ensemble des péripéties de l'expédition, le tout avait viré au désastre. Tous deux avaient failli mourir et se perdre pour de bon... "Dans tous les cas, si nous préparons convenablement le départ, je pense que cela est possible. Après, je pense que nous devrions éviter d'y aller pour simplement faire du tourisme, non ?" Continua-t-il en glissant un regard en coin à Estelle. Précédemment, elle avait voulu rallier le Labret pour aller voir les fournisseurs de la Chope Sucrée. Cela serait-il encore d'actualité, elle qui semblait de moins en moins attaché à l'établissement ? Allez savoir..."Pour la plage, il me faudrait voir si c'est réellement possible..." Encore une fois, cela n'était pas sans danger, mais certainement moins à risque que d'aller se promener en direction du plateau en traversant les marais. Toutefois, une promenade de santé sur la grève, sans raison apparente, était à ses yeux une idiotie. Pourquoi risquer inutilement sa vie pour observer quelque chose de visible du haut des murailles ? Bon, évidemment, si la Chantauvent continuait à lui demander il risquait de fléchir... "Je ne suis que coutilier, Estelle." Murmura-t-il avec amusement. "Je dirige une dizaine de miliciens. Pas plus, pas moins. Ces hommes d'armes sont censés écouter mes consignes et moi je reçois mes ordres de mission de la très peu charmante et encore moins avenante sergente de Rivefière. Tu sais, celle qui vient parfois à la Chope Sucrée ? Bref, je n'ai guère beaucoup de poids ou de pouvoir dans la milice, Princesse." C'était honnête. Ainsi présenté, le coutilier espérait que le tout soit plus clair pour sa promise.

C'est sur ces entrefaites qu'ils arrivèrent au lieu où la fête battait son plein. À leur arriver, le premier spectacle qui s'offrit à eux fut celui des cracheurs de feu. Impressionnant, ces derniers étaient logiquement placés à l'entre du petit groupuscule, histoire d'attirer les badauds en direction des tentes bariolées. Après tout, les flammes qui sortaient de leur bouche avaient de quoi attirer assez facilement le regard de la masse qui se promenait dans les environs. Absorbé par ce spectacle plutôt rare, encore plus depuis le déclin de l'humanité, le coutilier resta muet sous les coups de la stupéfaction. Sentant la rouquine s'agripper à lui et presque se cacher dans son dos, il détourna un instant le regard des flammes pour l'observer elle. Souriant doucement, il tapota sa main avant de grimacer, se rappelant un détail qu'il avait déjà entendu. Se penchant vers l'oreille de la Chantauvent, histoire qu'elle puise l'entendre malgré le brouhaha environnant, il s'épancha d'une voix plaintive. "J'ai entendu dire que pour cracher le feu, ils remplissent leur bouche d'alcool. Je ne sais pas si c'est vrai, mais si oui, tu te rends compte ? Cet odieux gaspillage !" Proféra-t-il à moitié outré, à moitié amusé. Relevant les yeux en direction de ces individus, le spectacle lui sembla tout de suite moins captivant maintenant qu'il pouvait présumer d'un quelconque gaspillage de spiritueux et de tord-boyaux en tout genre. "Je pourrais tenter de faire la même chose pour attirer la foule à la Chope Sucrée, non ?" Continua-t-il finalement en retrouvant son sourire suite à cette idée plus qu'incongrue. Évidemment, il y avait plus de risque que l'établissement passe au feu ou que l'ivrogne lui-même flambe que d'une quelconque réussite...

À moitié traîné et à moitié entraîné plus loin, Merrick se laissa mener, tandis que son regard vagabondait en tout sens. Peut-être était-ce lui qui s'émerveillait pour un rien, cependant, cette fête avait quelque chose d'énergisant et de joyeux. Marbrume n'était guère habitué à ce genre d'événement, alors que l'ensemble de sa populace était écrasé et fourbu par une vie âpre et difficile. Ce moment d'insouciance soufflait un vent de fraîcheur et Lorren était heureux d'y participer avec sa tenancière. En ce jour, les tracas et les soucis semblaient bien loin au milieu des festivités. S'enfonçant dans les méandres de la fête, le couple fut alpagué et en quelques sorte forcé de rentrer sous l'abris d'une diseuse de bonne aventure, après que cette dernière est attrapée le poignet d'Estelle. Tenu et retenu par l'autre main de la rouquine, Merrick n'eut d'autre choix que de suivre le mouvement et de s'engouffrer derrière la tenancière de la Chope Sucrée. Rapidement, l'ivrogne cerna que la tenancière ne tenait guère à vivre cette expérience ésotérique. Par ailleurs, lui-même ne croyait guère à ces simagrées de voyance. À ces yeux, ce qui allait suivre serait plus obscurantisme qu'occultisme. Lorsqu'il vint son tour de se positionner sur la chose, Lorren avait été sur le point de signifier son refus calmement, mais fermement. Toutefois, cette dernière ne lui laissa pas réellement le choix, agrippant son poignet et lui ouvrant la main de ses doigts rachitiques et malingres. Ainsi le milicien fut livré au "troisième œil" et au mysticisme de cette femme qui n'était à ses yeux qu'une voleuse tentant de les escroquer.

-"Un mariage à venir, hein ? Laissez-moi devinez, serait-ce avec... une rousse ?!" Commença-t-il en se moquant de la première révélation, un sourire en coin dressé comme une arme tranchante. Sans se laisser démonter ni le regarder, la voyante continua et le coutilier lui répondit sans attendre de nouveau. Cependant, son sourire avait fané et son ton était plus amer tandis que lui-même était moins amène. "Elle ne viendrait pas ? Pourquoi elle ne viendrait pas, hein ?" Grogna-t-il moins patient et aimant beaucoup moins la tournure que prenait l'échange. Comme si elle était dans une transe, ladite scélérate continua à déblatérer et babiller sans s'arrêter, aucunement dérangée par ses interventions. Faisait-elle exprès de l'ignorer ? Ou... se pouvait-il qu'elle soit réellement ailleurs, ne l'entendant plus ? Cette fois-ci, Lorren la laissa terminer sans la couper ni proférer le moindre son. Une sueur froide coulait dans son dos. Se pouvait-il qu'un fond de vérité existe dans tout cela ? Non. C'était impossible. C'était impensable ! Alors, pourquoi avait-il ce mauvais pressentiment ? Cet oiseau de mauvais augure, pouvait-elle avoir raison dans ses mauvais présages ?

Le lien et la drôle de transe qu'ils avaient vécus, aspirés par les mots de la diseuse de bonne aventure, fut brisé par Estelle de Chantauvent qui semblait en avoir assez entendu. Hésitant entre assentir à ses paroles et le désir d'en connaître plus, le jeune homme resta silencieux pour un temps. Du moins, jusqu'à ce que leur homologue manque de respect à sa future épouse. Cette attaque contre la couleur des boucles d'Estelle le plongea dans une morne colère. Il y avait des choses qu'il ne pouvait pas accepter et ça était l'une d'entre elles. "Taisez-vous, femme ! Je ne vous permets pas de..." Coupé dans sa tirade tirant sur la bravade, tandis qu'il voyait fuir celle qui faisait battre son cœur, Lorren s'apprêtait à la suivre avant d'être retenu par la voyante. Cette dernière y alla d'une dernière mise en garde avant de disparaître. Restant stupéfait sur place durant quelques instants, Merrick l'observa partir derrière la tenture de sa tente. Ce n'était pas réellement sa dernière prise de parole qui le surprenait, mais plutôt la gratuité de son "don". Pourquoi ne demandait-elle rien pour avoir offert cette séance au duo ? Le milicien avait cru qu'elle cherchait désespérément des clients pour se faire un quelconque pécule. Or, si celle-ci ne lui demandait pas la moindre redevance ou contribution, qu'est-ce qui expliquait son désir de lire leur avenir ? Se pouvait-il qu'elle ait réellement un quelconque pouvoir et qu'elle ait vu que le couple baignait dans une mer de tourment continuelle et perpétuelle ? Savait-elle plus qu'elle n'avait dit ? Avait-elle présagé qu'ils auraient besoin de ses paroles pour circonvenir à cet avenir s'inscrivant dans la difficulté et la cruauté de ce monde sur le déclin ? Était-ce un cadeau qu'elle leur faisait, tentant de les épauler et de les aider à sa manière ? Si tel était le cas, cela signifiait-il qu'Estelle et lui courraient un grave danger ? En proie en doute, le stupide et insipide ivrogne secoua la tête pour éviter de trop ressasser cette rencontre. Couard de naissance, Merrick avait conscience qu'il n'aurait jamais réellement une réponse à ses interrogations. Plutôt que de devenir malade à ressasser cette péripétie, jusqu'à s'enfermer dans la terreur, il préférait tenter de l'oublier et de l'oblitérer de son esprit. Ainsi, il se concentra sur le présent et sur Estelle de Chantauvent. Elle qui non loin était esseulé et l'attendait.

-" Oui, tellement de choses étranges, hein...?" Répéta-t-il doucement en tentant de percevoir si Estelle croyait ou non aux simagrées de la voyante. "Ça...ça n'avait pas trop de sens, non. Enfin, je pense...je crois. Tu ne crois en rien de tout ça, non ? " Haussant les épaules il finit par soupirer et regarder de nouveau le spectacle des cracheurs de feu. "C'est beau, en effet. Mais moins que vous, princesse." Dit-il en attrapant sa main et en lui offrant une petite pression réconfortante. Puis, s'approchant de son front, Merrick embrassa ce dernier. " Moi j'adore ta crinière." Continua-t-il plus doucement en replaçant une mèche rebelle des cheveux de la Chantauvent. Lui souriant tendrement, il finit par lui répondre concernant le temps qui lui restait. "Pas forcément beaucoup, mais suffisamment pour continuer à se promener encore un peu. Profitons-en pour tout voir avant de rentrer ! " Le sourire enfantin retrouvé, ce fut au tour du coutilier d'entraîner sa vis-à-vis à sa suite pour aller découvrir les autres joies et mystères qu'il y avait dans cette zone de fête.

Autour d'eux, la musique, les spectacles en tout genre et les couleurs bariolés des tentes appâtaient les regards. Les odeurs de nourriture, d'alcool et de fumée venaient aussi agrémenter ce plongeon dans un univers plus inconnu que connu. Ici, des jongleurs démontraient leur aptitude en jouant avec des balles. D'autres, plus sot ou expérimentés faisait la même chose, mais cette fois-ci, en manipulant des couteaux. Là, des ménestrels accompagnaient des bardes, jouant des airs enfiévrés et endiablés à la cantonade.Quelques-uns, probablement plus ivres, ou tout simplement plus joyeux, avaient même commencé à danser devant ces derniers.. Y allant d'une ronde qui gagnait en ardeur et en vitesse alors que les musiciens accéléraient le rythme de leur instrument, le tout devenait désordonné. Les pieds s'emmêlaient, alors que le sens du cercle changeait rapidement de côté, tournant à droite puis à gauche. Loin de s'en offusquer, les danseurs riaient aux éclats dans une insouciance contagieuse et tentaient de suivre le rythme. Glissant un regard à la Chantauvent, Merrick hésita à l'inviter à se joindre aux festivités sur la piste. Aimait-elle ce genre d'amusement ? Appréciait-elle danser ? Lui-même ne savait aucunement danser et trop narcissique et fier de sa personne, il ne voulait se ridiculiser. Maintenant, si elle le traînait devant tout le monde, il ne pourrait réellement refuser. "Tu aimes danser, Estelle de Chantauvent ? Voudrais-tu..." Il préféra rester silencieux. Lorren voulait lui faire plaisir, mais préférait aussi éviter de se couvrir d'embarras.

◈ ◈ ◈

Un peu plus loin, des contorsionnistes se pliaient en deux, voire en quatre, sous les grimaces et les cris de stupéfaction des badauds ébaubis. À leur côté, des équilibristes démontraient leur agilité en se tenant sur une main, les jambes en l'air. Poussant l'exploit toujours plus loin, ces derniers agrémentaient leurs numéros en ayant pour unique support un bâton de bois ou le dossier d'une chaise. Entre ces deux groupuscules, semblant quasiment à la lutte au travers de leur art, un énergumène portant des habits délavés, mais aux anciennes couleurs vives parlait de "marcheur de fil". Des êtres qui étaient soi-disant en mesure de se déplacer sur un filin aussi mince que de la soie ! Merrick n'y croyait pas et ne demandait qu'à le voir. Malheureusement, le spectacle n'était pas prévu avant quelques heures. Dommage.

Au milieu de cette joyeuse pagaille, des crieurs en tout sens vendaient les mérites de leurs numéros à venir. En outre, quelques enfants courraient entre les jambes des adultes. Certains avaient l'air de follement s'amuser, alors que d'autres semblaient plus... sérieux. Comme s'ils étaient en train de travailler. Haussant les épaules, le coutilier ne poussa pas son investigation plus loin vis-à-vis de ces gamins. Mal lui en prit, alors que ces grouillots chapardaient ici une bourse, là un bijou. Véritable escamoteur, ces enfants se remplissaient les poches des avoirs appartenant aux autres. Profitant de la diversion offerte par la troupe de saltimbanques, ceux-ci menaient leur affaire à l'insu de tous. Peut-être était-il même de mèche avec les artistes et autres amuseurs de foule, qui sait ? Dans tous les cas, il était à espérer que le duo ne soit pas la cible de ces enfants des rues. Au bout d'un moment, il vit un homme lésé par ces enfants juré et pesté en se rendant compte qu'il venait de "perdre" sa bourse. Fronçant les sourcils, Lorren glissa un regard à ses propres affaires et questionna par la suite Estelle; "As-tu encore l'ensemble de tes affaires sur toi ? Je crois qu'il y a des voleurs dans cette foule." Dit-il en soupirant et tentant de repérer un quelconque forban à la mine patibulaire avec lassitude. Toutefois, il ne vit rien, si ce n'est des enfants qui courraient en tout sens...

◈ ◈ ◈

Aux alentours des tentes et des stands, des vendeurs échangeaient et troquaient de la nourriture et des boissons. Tout était bon pour s'accaparer une quelconque denrée. Inévitablement, les yeux du milicien furent attirés par l'alcool. Pour autant, il se garda bien de s'en approcher. À leur côté, des receleurs en tout genre vendaient des breloques et des babioles. Ici, des charmes de fécondité. Là, un collier repoussant les fangeux ou attirant l'être aimé. "V'nez ma p'tite dame ! Laissez votre mari vous gâter ! Vous v'lez pas des boucles d'oreilles ? Non, j'ai mieux ! Une bien belle bague! Ou, merde attendez..." Dit-il en fouillant dans la montagne d'inutilité qu'il avait. Puis, son voisin le coupa; "Ne l'écoutez pas, je sais ce qu'il vous faut ! Venez, approcher ! Une mixture pour guérir de la gueule de bois peut-être ?" Tout de suite Merrick fut intrigué. "Ou cet onguent pour ne plus jamais tomber malade ? J'ai aussi un baume pour éloigner les insectes !" Puis ce penchant et les invitants à ce rapprocher, le vendeur finit par murmurer la fin de sa sentence. "Vu que vous me semblez être des bonnes personnes, je peux vous le dire... j'ai aussi un élixir de vérité ! Il vous suffit de le faire boire à quelqu'un pour qu'il vous révèle l'ensemble de ses secrets !" Se redressant et dressant un sourire tout professionnel, le marchand leur demanda finalement; "Alors, voulez-vous quelque chose ?" Merrick regarda Estelle, doutant de réellement avoir besoin d'un quelconque objets ou mixtures. " Veux-tu un de ces... charmants produits ?"

◈ ◈ ◈

Au final, l'endroit n'était pas réellement grand. Les "farfelus" étaient après tout un groupe réduit et réformés depuis peu. Toutefois, la quantité d'information à traiter et d'éléments à voir, tandis que tout attirait le regard, semblait rendre l'endroit gigantesque. Montées intelligemment, les quelques tentes formaient une allée centrale où la petite foule pouvait déambuler. "Crois-tu qu'ils se déplacent jusqu'au Labret ? Imagine faire la route avec eux ! Ça doit être une incroyable aventure, non ?" Les yeux agrandis, l'ivrogne regardait autour de lui comme un enfant qui ne veut rien manquer. Dressant un grand sourire sur ses lèvres, il serra un peu plus fortement la main de la dame de Chantauvent. Finalement, il vint le temps ou le duo n'eut plus réellement le choix de s'en retourner vers la Chope Sucrée. Grimaçant, Lorren offrit un sourire contrit à sa tenancière. "Je vais devoir y aller..." Par ailleurs, Merrick devait passer chez eux pour récupérer son équipement et pour mettre une chemise avec un col un peu plus haut que ce qu'il portait présentement. Histoire de cacher les marques qu'Estelle lui avait faites pour éviter que l'ensemble de la caserne ne se mette à parler de cela. "On y va ?"

Le chemin inverse et la route vers la Chope furent nettement plus lents, alors que le jeune homme traînait des pieds. Boudeur et ne désirant aucunement reprendre son service, il aurait préféré passer la journée complète avec sa tenancière. "Penses-tu ouvrir la Chope ce soir ou préfères-tu prendre cela tranquille ?" Lui demanda-t-il réellement curieux, se demandant ce qu'elle préférerait faire. Se passant une main dans la chevelure, il soupira et poursuivit. Le sujet duquel il s'apprêtait à parler ne l'intéressait aucunement, tandis qu'il aurait préféré ne plus proférer le moindre son ou mot par rapport à Eude de Chantauvent et leur macabre découverte. Toutefois, Merrick se faisait un devoir de revenir à la charge concernant le papier qu'ils avaient trouvé. Après tout, plus vite il s'en débarrasserait à la sergente, plus vite leur quotidien retrouverait sa normalité, non ? "Je vais récupérer l'indice que tu as trouvé avant de partir. Le papier qui montre un chemin pour rentrer à Marbrume. Je vais le donner à la sergente et on s'assurera que plus aucun criminel ne rentre par là. Nous attraperons ces coupables s'il y en a !" Évidemment, Merrick ne savait aucunement que le signe distinctif des de Miratour était sur le papier...

Trop occupé à regarder sa partenaire, à tenter d'y déchiffrer les aléas de son esprit, le coutilier ne regardait pas où il mettait les pieds, avançant à l'aveuglette et laissant le devoir aux gens marchant en sens inverse de l'éviter lui. Malheureusement, ce qui devait arriver arriva. Merrick percuta un individu. "Par les Trois, faites attention ! Regardez où vous marcher, sombre imbécile !"

Rapidement, contrit, l'homme d'armes avait commencé à s'excuser. "Désolé, je..." Or, la surprise de la découvert le força au silence. "...et merde." Devant lui ne se dressait nul autre qu'Adrien de Miratour et sa propre famille. En l'occurrence, sa femme et son très jeune enfant qu'elle tenait dans ses bras.

Merrick Lorren avait déjà rencontré la femme d'Adrien après les événements du couronnement du roi. Rendu fou par le sang qui avait coulé, il avait estimé que c'était le meilleur moment pour assassiner le frère de la jeune femme sans que personne ne le sache. Cependant, ce dernier était lui-même parti en direction de la Chope Sucrée pour s'assurer que sa sœur était en un seul morceau. Ainsi, le coutilier était tombé sur sa femme et son enfant plutôt que sur le scélérat. "Estelle..."

Un petit silence s'éternisa quelques instants. Attrapant la main de la propriétaire de la Chope Sucrée, Merrick fit un pas en avant sans proférer le moindre son bien que ses yeux criaient ses envies de meurtre. Finalement, ce fût les pleure de l'enfant qui coupa le silence qui devenait plus que pesant. "Bonjour, Estelle. J'imagine que c'est votre milicien, mmh ?" Semblant avenante et douce, la femme d'Adrien leur offrit un petit sourire. Lui glissant un regard, Merrick Lorren plissa des yeux, incertains de sa véritable gentillesse et candeur. De fait, le jeune homme se rappelait avoir vu une lueur de haine dans les yeux de la femme de Miratour lorsqu'il l'avait rencontré et qu'il lui avait mentionné que son époux était probablement parti voir sa cadette. Avait-il rêvé, ou avait-elle des doutes sur ce lien fraternel qui était beaucoup trop fort ? Qu'importe ce qu'elle savait ou sa position sur le sujet, pour le moment, celle-ci maîtrisait parfaitement son jeu...
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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyJeu 4 Juin 2020 - 15:21


À l’intérieur du temple, les regards s’étaient échangés longuement, alternant comme bien souvent entre paroles sincères, propos légers et conversation sérieuse. Le duo avait toujours eu cette tendance à se chercher, se trouver, se détester pour mieux s’apprécier, se piquant, se taquinant, s’outrageant mutuellement avant de revenir à la tendresse de l’instant. Estelle avait toujours été, du moins, le pensait-elle une très mauvaise menteuse, bien qu’elle admettait volontiers avec une once de remord avoir déjà usé de supercherie pour tromper Merrick afin de le protéger. Cela n’avait jamais été un franc succès, pire, cela avait souvent entraîné le couple dans des situations complexes. Face au prêtre, elle n’échappait pas à la règle de sa maladresse et cherchant à se dédouaner manquait-elle presque de trahir le duo sur le petit secret consommé dans les chaleurs vaporeuses des thermes. À l’extérieur ce fut un soulagement, là où elle sentait un poids s’échapper de sa poitrine, ses yeux pouvaient aviser un milicien amusé par la situation. Amusement qu’elle ne partageait pas très franchement… Quoique. Retrouvant une proximité, retrouvant une conversation beaucoup plus sérieuse… en apparence, le sujet du Labret fut traité de manière brève, juste après que Merrick Lorren l’accuse d’avoir volontairement fermé les yeux sur la marque qui se trouvait désormais dans son cou. Jamais Estelle ne l’avait vu, le regard bien occupé ailleurs durant l’échange et toujours… occupé ailleurs lors des déplacements du milicien. Aussi tout en s’empourprant avait-elle tenté d’expliquer que non, elle n’avait pas vu parce qu’elle regardait son fessier, comprenant bien évidemment la maladresse de ses propos avait-elle immédiatement contre argumenté en parlant de ses doigts, puis de sa tignasse brune pour terminer dans un soupir ronchon à prétexter n’avoir d’attention que pour le fond de ses yeux.

Difficile de ne pas voir la gêne qui s’affichait sur des joues virant naturellement au rose, puis au rouge pivoine, difficile non plus de ne pas voir l’étincelle et le trouble au fond de ses prunelles. Merrick Lorren semblait la rendre accro à bien des choses et son corps en faisait partie, de très loin, devant bien des éléments importants. Heureusement pour la rouquine, la conversation du Labret prenant place, elle put sentir rapidement la chaleur de son visage disparaître pour laisser place à de léger froncement de sourcils. La Chantauvent se souvenait parfaitement de leur petite expédition, de son état suite à une attaque de fangeux –mais dont les pires prédateurs s’étaient révélés être les Hommes-. Ses lèvres se pincèrent, ni d’envie, ni d’hésitation, mais bien de douleur alors qu’elle tentait de faire disparaître de ses pensées certains de ses souvenirs. Si les questions ou les idées concernant le Labret n’eurent aucune réponse, quelque chose d’autre sembla davantage contrarier la jeune femme, l’hésitation de Merrick pour se rendre à la plage. Sa bouche s’était ouverte, puis refermée, puis de nouveau ouverte, ses lèvres encore pincées alors qu’elle semblait ralentir le pas et piétiner sur place. Visiblement, cela lui tenait à cœur, sans qu’il ne s’agisse véritablement d’un caprice, néanmoins était-il difficile pour elle d’exprimer la raison. L’hésitation teintant à la fois son regard, son visage et l’extrémité de ses doigts qui s’étaient mis à pianoter sur la main de Merrick qu’elle tenait ne sembla pas trouver de fin, du moins, jusqu’à ce qu’un soupir bruyant ne soit perceptible.


- « J’aimerais vraiment y aller » insista-t-elle sans réellement argumenter, offrant sans doute l’illusion d’un caprice, alors que le besoin semblait être plus profond que ça « Vraiment Merrick… » appuya-t-elle davantage en teintant d’afficher cette mine de chat battue et implorante.

Il aurait sans doute été plus simple d’en expliquer la raison, mais sans trop savoir pourquoi, elle qui pourtant ne lui cachait ni sa foi ni ses pensées ou doute –du moins tentait de plus en plus à lui exprimer- avait peur qu’il se moque, ou trouve ce besoin ridicule. Après tout Merrick n’était pas un fervent croyant, bien que la rousse soit convaincue que ce n’était qu’une question de doute. Difficile d’accepter que les dieux ne tendent pas une main secourable alors que l’humanité sombre et s’enfonce. La tenancière n’eut de toute façon pas vraiment l’opportunité d’argumenter, alors que Merrick ouvrait la porte à un terrain glissant en parlant de son travail. Cette fois-ci, les yeux de la rousse s’écarquillèrent, comme si elle réalisait seulement ce que le rôle de Merrick impliquait. Aussi ridicule que cela puisse paraître, n’avait-elle pas envisagé un seul instant que Merrick dirigeait qui que ce soit. Pas qu’elle ne le pensait pas capable, bien au contraire, simplement qu’elle ne voyait pas son cher et tendre faire preuve d’une autorité ferme et définitive. Pour Estelle, Coutilier était le nom de celui qui venait aiguiller le chef d’équipe, celui qui préparait les affaires du groupe pour une mission, qui allait chercher tout le monde en cas de besoin, un genre d’organisateur… Ce n’est que sans doute durant cette conversation qu’elle réalisa que Merrick n’était pas un organisateur de mission, mais bien un chef de groupe… Avec donc des responsabilités et ça… Aussi maladroit que cela puisse paraître, cela lui tira un sourire.

Détaillant l’homme d’armes à de nombreuses reprises, cherchant sans doute à percevoir le responsable de groupe comme elle l’imaginait, elle ne trouva aucune similitude entre le fruit de son imagination et les traits de caractère de l’homme qu’elle aimait.


- « Oh. » finit-elle pas faire toujours pleine d’interrogation « Ça veut dire que tu as dix personnes sous ta responsabilité ? » tenta-t-elle comme pour s’assurer d’avoir parfaitement bien compris « Donc…. C’est toi qui va définir l’organisation et les tâches que chacun doit réaliser afin de ramener tout le monde vivant ? »

Ça… Ça l’inquiétait beaucoup plus que ça ne l’amusait. Parce que si Merrick devait protéger son groupe, qui allait le protéger lui ? Son visage avait dû pâlir un instant. Celle qui avait le don de toujours positiver imaginait déjà le pire, aurait-elle été presque prête à le supplier de renoncer à ce grade bien trop complexe à ses yeux. Après tout il pouvait bien faire ça non ? Lui qui refusait déjà de quitter cette dévoreuse de mari. Se rongeant l’intérieur de la joue avec anxiété, elle avait fini par fixer le lointain, se fermant petit à petit comme à son habitude lorsque quelque chose était un peu trop douloureux, trop complexe, trop touchant pour être géré sur l’instant. Cette discussion avait déjà eu lieu plusieurs fois et chaque fois n’avait-elle débouché que sur une nouvelle petite cicatrice.

- « Elle vient régulièrement » réajusta Estelle « Bien que…Je ne l’ai pas vue depuis quelques jours, elle n’avait pas l’air très en forme… Cela doit être terrible de perdre son mari dans ce type de circonstance » il fallait bien admettre le suicide de Roland de Rivefière avait fait grand bruit et beaucoup parler dans les tavernes « Attention… Je ne dis pas que je tolère ce qu’elle te fait endurer, et cela à l’air d’être compliqué, mais…. Ne crois-tu pas que… Enfin, si elle est aussi… » Estelle savait bien qu’elle allait à son tour sur un terrain glissant, l’entente entre la Sergente et le Coutilier semblant particulièrement fragile « Du moment qu’elle ne t’envoie pas à l’extérieur, moi je l’apprécie. Et puis, tu sais, les miliciens, ils sont tous en accord pour dire qu’elle donnerait sa vie pour la citée et ses hommes. » elle s’était mise à rire à sa formulation « Ses hommes, dit comme ça… On dirait qu’elle passe sous Marbrume entier…. » semblant la chambouler elle le questionna « Elle ne fait pas ça, dit ?! »

En réalité, c’était la première fois que le couple échangeait un peu plus sérieusement sur l’ensemble et la rouquine devait dévoiler sans même s’en apercevoir qu’elle s’était un peu renseignée sur la fameuse Sergente qui avait le don d’agacer son mari. Elle avait entendu de tout à son sujet, du plus beau des compliments au plus atroce des reproches. Femme facile, alcoolique, catin, suceuse de gradé, dévouée à la milice, protectrice et exigence, autant d’information parfois contradictoire. La rousse avait bien dans l’idée que tout n’était pas vrai ni faux, ainsi avait-elle tenté de faire un juste milieu vis-à-vis de ce qui ressortait le plus. Après tout fallait-il bien connaître un peu celle qu’elle irait assassiner à coup de Brigitte si il devait arriver quoique ce soit à son coutilier.


- « Merrick… » murmura-t-elle un instant en tirant sur sa main pour le ralentir, avec douceur et lenteur, prête à lui avoue à quel point elle avait peur de le perdre, elle se ravisa, comme pour éviter toute forme de conflit « Je suis contente de notre soirée, merci… »

Le couple avait fini par arriver au lieu de la fête, là où déjà les cracheurs de feu usaient de leur talent pour attirer les petits gens. Estelle était à la fois éblouie et terrifiée par la flamme, sans doute était-ce qui l’inquiétait le plus juste après les animaux. Un peu froussarde malgré son apparence téméraire, la rouquine avait tendance à redouter tout ce qu’elle ne pouvait pas contrôler : les animaux, le feu, l’eau… Merrick Lorren quand il ne l’écoutait pas –et les dieux savent qu’il ne l’écoute pas souvent-. À la fois pétrifiée et subjuguée par l’ensemble, la tenancière avait resserré son emprise sur la main de l’homme d’armes, comme par crainte de le voir disparaître, ou de le perdre dans la foule. Un pas en arrière lui permettant de le laisser à la confrontation, alors que sa petite tête impressionnée s’autorisait quelque bref regard sur le côté de la silhouette masculine. Merrick avait fini par se pencher à son oreille, lui murmurant que l’utilisation d’alcool était réalisée pour offrir ce fameux spectacle, si lui s’outrageait du gâchis, la commerçante qu’elle était s’outrageait également de ce fait.

- « Mais c’est horrible » fit-elle le plus sérieusement du monde les yeux ronds « Tu imagines le coût de l’alcool de nos jours ?! » protesta-t-elle en glissant une main sur une hanche « Je dois négocier ardument pour remplir ne serait qu’une infime partie de ma cave et eux ils crachent tout dans la rue ?! C’est une honte ! » grogna-t-elle en tapant du pied, les joues déjà gonflées d’air de sa contrariété.

Ça aussi, ce n’était pas un sujet qu’elle abordait souvent, la gestion de la chope devenait de plus en plus compliquée. Les livraisons se faisaient parfois incertaines et Estelle devait souvent négocier avec les autres tavernes, commerces, ou autres petits trafics pour avoir de la marchandise. L’argent ne lui brûlait pas les doigts, elle qui comptait tout, qui faisait très attention à ses biens… Pour autant, dernièrement, malgré l’arrêt du couvre-feu et le retour des clients, sentait-elle bien que son équilibre était fragile. Merrick se lança donc dans une phrase pleine d’humour qui n’amusa malheureusement pas sa tenancière qui faisant des yeux ronds comme des billes, gonflait davantage les joues avant de le bousculer, prête à lui tirer les oreilles.

- « Jamais de la vie ! Non, non, non, non ET non » ronchonna-t-elle « Moi je ne gâche pas l’alcool et je ne te vois pas gaspiller l’amour de ta vie et puis c’est dangereux ! » conclut-elle parfaitement sérieuse « Imagine un peu ce que tu ferais sans ta jolie bouille, comment compterais-tu séduire ta femme ? Et juste ta femme, hein. »

Comprenant sans doute trop tard que Merrick faisait de l’humour, Estelle avait tenté de se rattraper à une branche tout aussi fragile que l’état de son établissement. En la connaissant, fallait-il bien admettre qu’Estelle était loin de se soucier des apparences et même brûlé, aucun doute que Merrick resterait l’homme de sa vie. Cette réalité provoqua une légère rougeur sur ses joues, elle qui trouvait de plus en plus effrayant son addiction à l’homme d’armes, ce besoin devenu bien plus que quotidien d’avoir sa dose de Merrick Lorren. Préférant fuir le gâchis des flammes, qui continuait bien évidemment à l’impressionner et à l’émerveiller, Estelle entraîna son coutilier dans la visite des différentes tentes, la rousse ne savait pas véritablement à quoi s’attendre, l’ensemble était plutôt flou dans son esprit, n’avait-elle jamais véritablement pris la peine de profiter de l’instant ou de participer à ce genre d’événement. La tenancière ne pouvait être qu’intriguée par ce qu’elle voyait, passant de nouveauté en nouveauté, d’expérience en expérience, jusqu’à tomber nez à nez et entraîner de force par une véritablement sorcière. Par la force des choses, elle avait obligé Merrick à la suivre, sa main ne lâchant aucunement la sienne. À l’intérieur de l’espace de la créature malveillante, Estelle s’était montrée pour la première fois hostile. N’ayant nullement envie de participer à ce genre de choses, elle avait froncé les sourcils à de nombreuses reprises.

Merrick c’était retrouvé victime de l’indigne des Trois, débutant ses prédictions avec faut-il bien l’avouer, une véritable force de la manipulation. Sans doute plus crédule que son milicien et bien que révolté et refusant de croire aux moindres mots prononcés, Estelle n’en restait pas moins chamboulé, ne voyant aucunement la facilité de certaines révélations. Un mariage, une crainte laissant entendre qu’elle ne se présenterait pas à la cérémonie, l’annonciation de la mort et puis d’enfants. Ce mot semblait devenir définitivement un interdit dans l’esprit de la rousse, qui convaincue d’être incapable d’enfanter se voyait agressée à chaque fois que la formation d’une famille était évoquée, trop en était trop et la responsable de la chope sucrée s’était offusquée abandonnant le milicien avec sa sorcière.

S’enfuyant véritablement, la gorge nouée, le ventre se tortillant de colères et d’angoisse, les mots semblaient trouver écho dans l’esprit de celle qui se refusait à croire à ce genre de bêtises. Pour autant, celle qui était pourtant habituée à ce qu’on l’accuse régulièrement de lancer des mots esprits sur la ville, était blessée. Avait-elle bien sûr était touché par les interventions de Merrick, trouvant toujours cet homme héroïque et protecteur, aveuglée par l’amour ou bien trop observatrice, Estelle n’avait de cesse de constater ou penser constater des changements dans le comportement de son coutilier. Lui qui se prétendait couard n’avait de cesse de la secourir, lui qui se pensait égoïste n’avait de cesse de la prioriser face à ses envies. Avisant une nouvelle fois les danses des flammes dans l’air, frissonnant légèrement en prenant soudainement conscience que le froid allait finir par s’installer peu à peu. Cette foutue sorcière pouvait-elle avoir raison ? Mais si Merrick allait avoir des enfants, cela ne pouvait pas être avec elle, non ? Cela voudrait-il dire… Ses pensées furent interrompues par la présence de son futur époux, présence qui apportait avec elle toujours le don de l’apaiser, de lui faire du bien.


- « Évidemment que non, les Trois ne toléreraient jamais ce genre de fausse prédiction. » affirma-t-elle avec pourtant le doute au fond des yeux « Et puis de toute façon, ce ne sont que des généralités » tenta-t-elle de se convaincre, persuadée pour autant du contraire « Un mariage, pour un couple, c’est logique, non ? Les enfants aussi c’est une finalité normale. Et puis le danger avec la fange omniprésente, vraiment trop facile » sa voix pourtant c’était légèrement cassée comme si elle s’était brisée à certaine évocation, comme si le doute semblait réel « Tu y crois toi ?! » relança-t-elle à sa destination, fermant les yeux au contact de ses lèvres sur son front « Elle n’a pas tort tu sais… Petite je me suis déjà vu envoyer des pierres à cause de sa couleur, j’en ai même gardé une cicatrice juste là » fit-elle en pointant une minuscule trace en dessous de son menton, à peine visible « … Une fois même, j’ai tout coupé… Je n’ai jamais vu ma mère aussi folle de rage que ce jour-là… J’avais des trous partout sur le crâne ! »

Levant légèrement la tête pour l’aviser, Estelle eut cette petite mine gênée, elle qui avait dû toujours donner l’impression de s’apprécier, dévoilait qu’elle n’était pas forcement aussi pleine d’assurance que ce qu’elle pouvait laisser entendre. Sa chevelue de feu était parfois une véritable fierté, d’autre fois un complexe presque insurmontable. Avait-elle était maudite des dieux, était-ce pour cela qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant ? Allait-elle un jour, elle aussi se transformer en sorcière et devenir une reniée des tout puissants ? Estelle allait interroger Merrick, savoir si cela ne le dérangeait pas, s’il continuerait à l’apprécier même si elle devait indigne des Trois, elle fut stoppée dans son élan par sa main glissant dans la sienne et par le sourire enfantin qu’il affichait qui avait le don de la faire succombe avec une force non feinte. Disparaissant sous les papillons se formant dans son ventre et sur ce visage soudainement plus tendre qu’elle lui offrait, Estelle se laissa très volontiers embarquer dans la visite des lieux.

Slalomant entre les groupes, elle avisait les jongleurs, plus doués qu’elle avec un plateau entre les mains, s’interrogeant sur l’agilité qu’il fallait avoir pour réaliser pareil exercice, imaginant volontiers un ou deux spectacles de ce type dans l’établissement… Ses oreilles furent captivées par les murmures des bardes, les racontars, les histoires loufoques teintées de réalismes, alors qu’à certains moments elle tirait sur la main pour ralentir Merrick, regarder, écouter. Au milieu de cette étrange insouciance remontait les rires des gens, alors qu’une danse provoquait par une musique entraînante se mettait lentement en place. Envieuse sans doute, ses doigts avaient dû se faire plus pressants sur la main de Merrick, alors qu’elle s’était mise à rire à sa demande, aucunement moqueuse, plus même honteuse, Estelle avoua volontiers :


- « Mon pauvre Merrick, je suis une piètre danseuse, mon… » elle allait dire frère, puis se ravisa « Ma famille me nommait l’écraseuse d’orteil professionnelle. Je m’en voudrais de te priver de ton travail ce soir, je doute que ta sergente tolère l’excuse de l’épouse qui a réduit en bouillie les pieds de son presque mari »

Le sourire qu’elle lui offrit fut teinté d’une délicieuse tendresse, alors qu’attirée à lui de cette manière inexplicable, elle était venue se blottir dans ses bras. Déposant sa tête sur le haut de son torse, avant de pivoter pour se retrouver dos à son torse, se dandinant lentement au rythme de la musique et hochant la tête dans un rythme régulier. Les étoiles plein les yeux, Estelle rayonnait sur l’instant, heureuse, laissant de côté l’ensemble de ses problématiques, ses doutes, ses angoisses et ses craintes qui commençaient à se faire bien nombreuses. Obligeant Merrick à enlacer ses bras autour de sa silhouette, elle ne put que soupirer de plaisir, alors que ce sentiment d’emprise protecteur avait le don de la rassurer drastiquement, de l’envoûter. Se trémoussant toujours un brin maladroite, bougeant la tête à droite, le corps à gauche, la rouquine ne pouvait que fredonner en même temps l’air de la musique qu’elle commençait à retenir.

- « J’espère que tu es meilleur danseur que moi, sinon, je n’aurais d’autre choix que de proposer qu’on s’entraîne dans le plus grand des secrets à la chope » fit-elle finalement en relevant légèrement le nez vers lui, penchant la tête en arrière « Je t’…. »

Alors qu’elle allait sans doute lui roucouler des mots d’amour, pour la première fois de sa propre initiative et non en réponse aux propos de l’homme qu’elle aimait, une main vint l’agripper pour l’entraîner dans l’étrange ronde. Aucun doute que le rire de l’homme responsable de tout ceci eut raison de son agacement de l’instant, surtout quand son regard croisa sans mal la silhouette de son milicien se faisant lui aussi entraîner par une charmante bonne femme. Difficile de dire non, de se dérober alors que le duo opposé l’un à l’autre se retrouvait entre différents danseurs qui semblaient bien avoir en tête de les aiguiller et de les faire profiter de l’instant.

- « Je.. Je ne sais pas… » tenta-t-elle alors qu’une main glissait à sa taille pour l’entraîner dans la ronde.
- « Ce n’est pas bien difficile ! » affirma la voix masculine, encouragé par d’autres individus féminins et masculins « Comme ça, comme ça, hop on tourne Eeeeeeett on change »

Tâchant de se concentrer comme elle le pouvait, la jeune femme semblait néanmoins déboussolé et comme elle avait pu l’expliquer à Merrick, son don inné dans l’écrassage de pied fut son petit effet. En effet les nombreuses maladresses d’Estelle provoquèrent bien malgré elle, l’hilarité du petit groupe de danseur l’entourant, n’ayant bien évidemment épargnée personne et ayant manqué de chuter à de nombreuses reprises, l’ensemble toujours bienveillant l’avait toujours aiguillée, rattrapée, entraînée. Son regard tentait toujours d’attraper celui de Merrick, alors que son sourire à chaque fois qu’elle parvenait à le voir se faisait grandissant. Etait-il dans la même difficulté, avait-il réussi à se défaire du traquenard de la communauté ? Difficile à dire, toujours était-il que c’est plutôt naturellement qu’à la fin de la danse, la rousse essoufflée avait fini par le rejoindre. Le visage rouge de l’effort, les yeux brillants et son expression trahissant à la fois son plaisir et la gêne de l’instant. Une tape sur l’épaule du coutilier l’homme qui avait kidnappé sa promise sans lui laisser aucune échappatoire ne put que le remercier.

- « J’vous rends votre femme » affirma-t-il dans un rire joyeux « Faut bien l’admettre elle est charmante, vous avez bon goût, mais la prochaine fois mon gars, la laissez pas se dandiner comme ça, faut l’entraîner sur la piste de danse, la faire voltiger de droite à gauche ! Au plaisir, madame, merci pour les quelques pas, mes pieds s’en souviendront ! M’sieur. »

Silencieuse, Estelle s’était inévitablement empourprée alors que sa respiration commençait à retrouver un rythme plus régulier. Son cœur tambourinait encore intensément dans sa poitrine alors qu’elle tâchait de faire son regard le plus sévère pour éviter tout commentaire de Merrick. Puis cherchant sans aucun doute à le doubler, elle tenta de prendre les devants.

- « Tu n’étais pas mieux je te signale ! Merrick, attention à ce que tu vas dire » menaça-t-elle le regard hurlant sa taquinerie et son amour pour lui, avant qu’elle ne confesse simplement « J’aime te voir sourire… si ça pouvait tout le temps être aussi simple »

Bien évidemment, il était difficile par la suite de ne pas se noyer dans la foule, un nouveau groupe de danseur prenait place, une nouvelle musique tout aussi entraînante se faisait entendre, alors que le couple curieux se perdait dans la contemplation d’une nouvelle animation, d’un nouvel événement. Bousculée à de nombreuses reprises par les mouvements fréquentant l’endroit, Estelle s’était bien naturellement rapprochée de Merrick, cherchant ce sentiment de sécurité, mais aussi parfois de réconfort. Elle, elle ne voyait rien, ni les visages des enfants, ni les jeux, fallait-il bien avouer que moins elle en voyait, mieux elle se portait elle qui avait l’impression qu’à chaque fois elle en voyait un, on lui renvoyait à la tête son incapacité supposée à procréer. Etait-ce un élément important dans le couple, l’objectif d’un mariage, bien plus prédominant que les sentiments, du moins était-ce l’éducation qu’elle avait eue. Jusqu’à présent, jamais elle ne s’en était souciée en fréquentant Merrick, puisqu’elle avait toujours cru que l’homme n’en voulait absolument pas, pire que c’était une idée qui l’aurait fait fuir. Cependant, depuis sa réaction qu’elle n’arrivait pas à se sortir de la tête, Estelle semblait avoir réalité que Merrick pourrait apprécier ça, pire, pourrait le vouloir et cette réalité la dévastait.

- « Hein ? » fit-elle en sa direction alors qu’il l’avait questionné sur ses affaires « Pourquoi ? DES VOLEURS ?! » s’offusqua-t-elle avec sa voix montante alors qu’elle se tâtait pour vérifier qu’elle avait tout, bien évidemment sa réaction à peine discrète provoqua le même mouvement chez leur voisin proche « Non..Non, je crois que j’ai tout…» souffla-t-elle rassurée « Quoique, je crois que j’ai perdu quelque chose… » elle riait déjà de sa phrase ridicule qu’elle venait d’avoir en tête, aussi mielleuse qu’à vomir, mais si drôle qu’elle ne put s’empêcher de le prononcer avec tout le sérieux du monde « je crois qu’on m’a volé mon cœur » fit-elle d’un air dramatique « Penses-tu pouvoir y faire quelque chose ? C’est horrible, non ? »

Un sourire ravageur sur les lèvres, un rire s’exfiltrant de sa bouche, elle ne put que davantage nouer ses mains aux siennes. Ne pouvant résister à venir capturer ses lèvres d’un baiser tendre, coupé par un petit rire. Estelle avait oublié l’image, les rumeurs, le fait qu’il n’était pas encore marié, à ses yeux sur l’instant, n’existait que lui… Lui et seulement lui. Après ce bref moment de tendresse, elle se fit une nouvelle entraînée dans la découverte. Des vendeurs étaient présents, tentant d’attirer son attention ici et là, la curiosité de la tenancière n’avait guère résisté bien longtemps avant de succomber pleinement à la découverte de l’ensemble. Ses yeux dévorèrent bien évidemment les bijoux, la bague particulièrement alors que pourtant elle secouait la tête négativement.

- « Non je.. » tenta-t-elle de répondre au premier avant d’aviser le second « Non si je… » reprit-elle sans avoir le temps de terminer, une nouvelle interrompue par une nouvelle proposition « C’est gentil, mais… » encore coupé, elle avait fini par faire des yeux ronds, croisant les bras sous sa poitrine.

Ce fut Merrick qui prit la parole avant celle qui était certaine que dès qu’elle ouvrirait les lèvres, on viendrait encore l’interrompre. De sa bougonnerie enfantine, elle secoua la tête de droite à gauche, les joues légèrement gonflées de sa contrariété passagère. Surpris, le vendeur fort charmant avait bien teinté de la convaincre en se laissant dans le détail de son inventaire, mais la jeune femme avait déjà une idée bien arrêté de sa décision.

- « Je ne veux pas de potion de vérité, cette dernière n’est pas toujours bonne à dire et à attendre, je ne veux pas de quoi ne plus jamais être malade, si je ne le suis plus, mon mari ne pourra plus venir prendre soin de moi pour me prouver son attention. » elle avisa d’un coup d’œil Merrick « J’avoue que votre chose contre les insectes et tentante, mais l’homme à mes côtés m’a fait la promesse d’éliminer toute immondice contre tout mon amour… Alors, que peut donc bien une potion contre la volonté d’un homme… »
- « Et un beau bijou, une bague ? Un homme aussi amoureux devrait gâter sa femme chaque jour d’un nouveau présent »
- « Oui, mais si je suis présente pour choisir le cadeau, cela perd tout son charme, forcément. »

Chacun des vendeurs avaient dû s’aviser, s’observer avant d’éclater de rire. C’était plutôt rare de tomber nez à nez avec une femme dont le regard désirait absolument l’ensemble des propositions, mais qui avait une réponse à tout.

- « Vous n’êtes pas commerçante vous par hasard ?! » plaisanta le premier
- « Tenancière » rétorqua-t-elle
- « C’presque pareil ! Dis donc, elle doit vous retourner l’esprit là-haut plus d’une fois votre b’ne femme » éclata-t-il dans un rire prononcé, avant de se faire rejoindre par l’ensemble des autres vendeurs « Vous avez plus qu’à revenir seul pour lui choisir son cadeau… Eh, j’compte sur vous hein ?! »
- « En fait… Vous n’auriez une potion qui ferait oublier la milice ? » demanda-t-elle plein de malice.
- « Ah non… Ca ma bonne dame on a pas, mais on a. »
- « Non tant pis du coup. »

Estelle détaillait simplement Merrick du coin de l’œil, lui offrant un sourire sincère. C’est donc sans achat, qu’une nouvelle fois le couple avait fini par repartir dans sa découverte. Cependant, cette fois-ci, l’un et l’autre avait conscience que le temps était désormais compté et qu’il allait bientôt falloir rentrer. Comme un enfant cherchant à repousser l’instant, la tenancière était devenue peu à peu aussi lente qu’un escargot faisant une course avec d’autres escargots, tirant en arrière la main de Merrick pour le ralentir dans sa course et donnant de l’extérieur, sans doute l’impression que l’homme d’armes traînait un véritable boulet. Lorsque son coutilier proposa, ou imagina simplement faire la route avec l’ensemble de ses gens jusqu’au Labret, la rouquine dû donner la sensation d’y réfléchir, avant de secouer vivement la tête, ce n’était pas une bonne idée.

- « Sans doute, je ne sais pas c’est la première fois depuis longtemps que je vois ce type de troupe… M’enfin, si la sorcière est là, il est hors de question que je fasse le chemin avec elle ! » rancunière ? Un tout petit peu, Estelle ne semblait pas avoir oublié le désagréablement passé peu de temps auparavant « Oooh… » fit-elle ensuite en s’immobilisant avec de grands yeux.

C’est bien évidemment à contrecœur qu’elle avait opiné, une fois, puis une autre. C’était difficile d’accepter, même si elle faisait autant d’effort que possible pour ne pas le contrarier ou souligner véritablement sa déception. Celle-ci devait pourtant être parfaitement visible sur les traits de son visage, elle qui opinait encore en grimaçant et en prenant la direction de la chope sucrée. Le duo devait être drôle à voir, traînant les pieds, boudant mutuellement pour la même raison, mais pour une source différente. Roulant des épaules à sa question, Estelle ne semblait pas véritablement décidée vis-à-vis de la marche à suivre.

- « Je ne sais pas trop, je vais ouvrir, je pense » fit-elle simplement « Il faut bien travailler un peu et puis la chope n’a jamais autant été fermé que ses derniers jours » souffla-t-elle dans un soupir bruyant « Par contre… » elle se pinça les lèvres, gênée de sa demande « Est-ce que tu penses que tu pourrais récupérer un peu de bois ? On va finir par vraiment en manquer… Et comme je suppose que tu ne m’autorises pas à sortir dans les faubourgs ? »

Elle espérait profondément que Merrick ne reviendrait pas sur le sujet du plan, ni même des événements avec Eude, était-ce sans doute mal le connaître, lui qui en s’approchant de plus en plus de l’établissement évoqué sa volonté de le récupérer afin de le remettre à sa sergente. Le tirant légèrement, hésitant, Estelle avait fini par dévoiler un visage plus soucieux, plus inquiet. Elle aurait voulu repousser cette conversation encore, surtout ne pas l’aborder, d’autant plus après une aussi bonne soirée…. Prenant du courage, alors qu’il avançait à reculons pour la détailler elle débuta.

- « Merrick ce n’est pas possible parce que…. » ce fut un choc alors qu’il venait de rentrer dans une personne.

La voix provenant de derrière le milicien glaça immédiatement le sang de la rouquine, qui s’immobilisa et eut ce léger mouvement de recul. L’expression de ses traits s’étaient fait tout de suite plus neutre, alors que son regard brillait de cette légère inquiétude. Son prénom prononcé par son frère la fit frissonner, alors qu’elle détournait les yeux pour aviser un coin imaginaire où il ne se trouverait pas. Estelle n’était pas très à l’aise, ses doigts se faisaient plus moite, sa main légèrement tremblante, alors que pourtant, elle ne pouvait pas s’empêcher par aviser le couple à de discrètes reprises pour s’assurer qu’il allait bien. Se détestait-elle pour ça, pour son inquiétude à leur égard, pour lui, malgré tout ce qui lui avait fait subir. Elle le détestait profondément, mais conservait cette étrange affection qui unissait un frère et une sœur.

Laissant s’échapper un sourire, alors que la voix féminine de l’épouse de son frère se faisait entendre, Estelle cherchait du soutien sur la silhouette de Merrick. L’ambiance lui semblait étouffante, alors qu’elle tirait légèrement sur la main de Merrick qui était encore dans la sienne où qu’elle avait récupéré pour qu’il recule jusqu’à elle. Dans un signe de tête maladroit, Estelle avait opiné en guise de réponse, alors que ses yeux vagabondaient sur le minuscule petit être qu’elle tenait dans les bras. Trouvant un courage qu’elle ne pensait plus avoir, tant elle avait la sensation de se décomposer sur place, Estelle avait fini par prendre la parole.


- « Merrick Lorren, c’est lui, en effet »

Eliana avait étiré ses lèvres dans un sourire, ne s’attendant sans aucun doute à aucune réponse de la part de la sœur de son époux. Celui-ci l’avisait, silencieux, dévisageant plus que de raison celui qui était à ses côtés. La haine et l’envie de voir l’autre disparaître semblaient être réciproques. Glissant une main à la taille de son épouse, Adrien émit cette légère pression qui n’avait rien de protection, un geste d’appartenance, de pouvoir sans aucun doute, alors qu’il avisait l’enfant qu’elle tenait entre les bras.

- « Nous allons » débuta Estelle coupé rapidement par la mère de famille
- « Estelle, il serait bon qu’on discute un jour, tu ne crois pas ? Peut-être pourrions-nous ?»
- « Tu sais que je suis contre ce mariage » coupa rapidement Adrien un peu plus virulent
- « Je ne crois pas t’avoir demandé ton accord » rétorqua presque immédiatement Estelle « Je suis navrée Eliana, il faut vraiment… »
- « Allons, peut-être pourrions-nous trouver un arrangement ? Un verre pas plus.»

Adrien détaillait celui qui lui semblait être de plus en plus un insecte à écraser, laissant son épouse discuter, il ne semblait pas approuver ses dires au vu des regards noirs qui lui lançaient. Pour malgré tout les signaux, les pincements discrets et les grognements de son époux, la jeune mère continuait à insister. Estelle aurait tout donné pour fuir, disparaître, rentrer à la chope s’enfermer et sans doute pleurer toutes les larmes disponibles sur l’instant. Son cœur se faisait malmener dans sa poitrine, sa gorge semblait se nouer alors que cette confrontation silencieuse n’avait de cesse de la traumatiser toujours davantage.


- « Laisse là donc partir et agir comme la catin qu’elle semble vouloir devenir. Elle viendra geindre quand elle sera cocu en tout sens et que des batard qu'elle n'aura pas su offrir à son mari viendra frapper à sa porte » fit Adrien en poussant sa femme afin de continuer son chemin, bousculant bien évidemment le couple au passage avant de disparaître.

Dans un réflexe, Estelle avait retenu la main de Merrick, pressant fortement celle-ci pour l’inciter au silence, à la retenue. Avisant le duo s’éloigner, non sans voir les multiples coups d’œil que sa belle-sœur lui offrait avant de se faire une nouvelle fois bousculer et disparaître de la vue du couple de futurs mariés. La rouquine avait murmuré un « laisse » à peine audible, d’une voix brisée, douloureuse. Elle qui ne parvenait pas à ne pas croire les paroles de son frère. Étrangement, ce fut cette confrontation, des paroles douloureuses, ce pique qui lui poignardait la poitrine qui l’a convaincu de donner le document à Merrick, elle qui encore peu de temps avant avait pris la décision de ne rien dire à Merrick. Immobile, sans être en capacité de bouger sur l’instant, percevant sans doute la colère de son coutilier.

- « Merrick… » murmura-t-elle dans cette tristesse important, sa gorge se serrant davantage « Tu me ramènes chez nous ? »

Elle aurait pu le supplier de rester avec elle, d’ailleurs s’était-elle agrippée à son bras, cherchant une nouvelle fois à se faire capturer par sa carrure. Elle ne sanglotait pas, mais semblait soudainement éteinte, comme si elle réalisait que jamais Adrien ne pourrait vraiment disparaître de sa vie, comme si elle réalisait qu’elle avait beau tout faire pour l’oublier, pour l’éloigner, elle ne cessait pas de l’aimer, comme cette sœur qui n’avait plus que lui, puis se détestant de le penser encore alors que tout avait changé, que Merrick était là. Se blottissant là, tout en avançant, elle ne put que lâcher ce soupir en détaillant une silhouette visiblement en colère qui faisait les 100 pas devant la chope sucrée. Une chevelure corbeau remontée, une carrure plus masculine qui féminine un regard d’un bleuté éclatant. Sydonnie de Rivefière semblait fortement fâchée, pire, son regard se teintant dans ce voile d’autorité fit frissonner la Chantauvent.

- « Bonsoir Estelle » fit une voix douce et courtoise avant de se reporter sur Merrick « La ponctualité ne semble pas non plus faire partie de vos qualités. En avez vous seulement, Lorren ?!»
- « Bonsoir Sydonnie… Ce n’est pas… »
- « Tu nous laisses s’il te plaît ? »

Opinant simplement et mollement, non sans chercher un signe de Merrick lui permettant de le faire, la Chantauvent avait fini par botter en touche, s’engouffrant rapidement, très rapidement dans l’établissement, elle ne put que se forcer à s’éloigner pour récupérer le papier contenant le plan et la représentation de sa famille, à l’extérieur Sydonnie avait fini par croiser les bras et sa voix se faisait beaucoup plus autoritaire que jamais Estelle n’avait eu la malchance d’entendre.

- « Lorren, je peux concevoir que votre futur mariage occupe votre esprit, je peux concevoir que la merde dans laquelle vous semblez tellement aimer vous engouffrer malmène votre esprit déjà fort peu habille, mais par pitié, si vous ne voulez pas être défiguré pour votre grand jour, bougez-vous le cul. » elle le dévisagea avec lourdeur « Vous allez me chercher votre arme, votre tenue et par pitié cachez-moi votre cou… Vous êtes une honte Lorren, une honte d’ainsi bafouer la dignité d’une femme, mais si vous l’aimez, changez… Changez. » elle levant une main «Allez, vous attendez quoi ? Que le soleil se lève. Un coutilier en retard, on aura tout vu, niveau exemple on aura vu mieux, vous concernant je ne sais pourtant pas pourquoi ça me surprend encore. »

Avait-il répondu ou non, il était difficile pour Estelle de le percevoir à cette distance, elle n’avait d’ailleurs même pas pu tout entendre. Toujours immobile, derrière son comptoir, le document entre les doigts, elle l’attendait. Lui offrant un sourire rassurant, désolé, se sentant coupable du petit vent qui venait l’animer.

- « Ta tenue est en haut, j’en avais lavé une… Sur la chaise pliée… » murmura-t-elle « Désolée Merrick… Ne t’inquiète pas, je vais ouvrir ce soir, ça va m’occuper ! » ajouta-t-elle lentement.

Elle se détourna pour faire mine de tout préparer, alors que sa gorge est particulièrement nouée, particulièrement douloureuse et étouffante. Elle avait décidé de s’occuper, d’ouvrir. C’était important à ses yeux. Sans doute que Merrick était descendu, elle lui avait tendu le plan, hésitante, et lorsque ses doigts s’étaient refermés sur l’ensemble elle eut du mal à lâcher, ne le fit qu’après plusieurs minutes.

- « Merrick… Il y a… le blason de ma famille en bas de ce document. » fit-elle en le détaillant, consciente qu’ils n’avaient pas le temps d’en discuter « Ça signifie que je serais suspectée autant que mon frère, je suppose… Mais donne-le, s’il te plaît… Je veux que tout s’arrête….»

Son regard fut tendre, doux, affectueux, mais tellement plein de culpabilité, elle était tellement désolée de creuser, tellement désolée d’être ce poids si lourd, ce boulet qu’il traînait, cette femme incapable d’enfanter, que pouvait-il bien lui trouver, que pouvait-il. Elle allait reprendre la parole, sans aucun doute hurler tout ce qu’elle avait sur le cœur alors que ses yeux s’étaient mis à briller de cette tristesse importante, l’ensemble fut rapidement ravalé par l’entrée fracassante de la sergente qui commençait à s’impatienter.

- « Navrée Merrick, Estelle, il faut vraiment y aller maintenant, il est coutilier, il doit montrer l’exemple »
- « Au…Aucun problème, j’ai du travail… A tout à l’heure Merrick » souffla-t-elle simplement, en refermant ses doigts sur le plan.

À l’extérieur la sergente entama le pas, avant de s’adresser devant à Lorren qui venait de faire surface.

- « Je vais devoir m’absenter durant quelques jours pour une mission à l’extérieur. Cachez-moi ce sourire, je compte sur vous pour avoir une conduite irréprochable ou à mon retour je vous transfère, suis-je suffisamment clair ? Ce soir, j’ai besoin que vous vous occupiez de l’événement sur la grande place, on nous a notifié de nombreux vol, vous organisez votre troupe et vous me ramenez les voleurs, c’pas trop compliqué pour vous, je suppose ? »


Elle le détailla, curieusement. Offrant un premier sourire alors qu’elle finissait par rouler des yeux légèrement amusés.


- « Remontez un peu votre col, je veux bien consentir que vous devez être fière d’avoir une tenancière dans votre couche, mais tout de même, vous serez beaucoup moins fier si avant vos vœux son ventre s’arrondit. »


Devant la caserne, une trompe s’agglutinait, les voix semblaient se lever encore et encore, alors que la population s’offusquait de s’être fait volé de multiples éléments. L’ensemble semblait être géré difficilement par les différents hommes et femmes d’armes sur place. La sergente avait abandonné Merrick ayant estimé lui avoir donné ses recommandations, lui proposant d’échanger plus tard dans la nuit, notifiant qu’elle se tenait disponible au besoin. Évidemment, ce qui attendait Merrick était le témoignage, l’écoute de la totalité des personnes prétendant avoir été volé. Pour autant après quelque temps une voix vint le chambouler, l’interpeller.

- « Lorren ?! Une bonne femme t’attend à l’entrée de la caserne, elle a demandé le milicien Merrick Lorren. »

Eliana tenait encore son nourrisson dans les bras, avec une certaine tendresse, elle attendait là, sans trop savoir ce qu’elle-même faisait ici. Hésitante, elle offrit un drôle de sourire à celui qui était devenu un ennemi de son mari. Elle n’est pas certaine qu’il viendra jusqu’à elle en la découvrant, à peine sa silhouette c’est elle fait entrevoir qu’elle s’était précipitée à sa rencontre.

- « Attendez, Merrick ! Attendez, il faut que je vous parle… » elle prend une respiration « Je ne vais pas vous mentir, je déteste votre future femme. » admit-elle volontiers visiblement sincère « Si je pouvais la faire disparaître de mes mains je le ferais, au moins aurais-je enfin peut-être l’attention de mon époux… Alors, peut-être pourrions-nous, nous entendre ? S’il vous plaît, je ne vous demande pas grand-chose… Un temps, pour discuter, quand vous voulez… » elle s’avance d’un pas vers lui « Adrien, il ne vous laissera pas l’épouser, vous en avez conscience n’est-ce pas ? Et si vous l’agressez c’est votre tête qui tombera, vous devez vous en douter, non ? » elle tente d’attirer son attention « Je dois y aller, je ne peux pas rester, mais réfléchissez-y… On peut s’entendre… »

- « Eh Lorren, y a eu une bagarre à la chope sucrée, ta femme elle a assommé un homme…Il veut déposer plainte contre elle, j’veux bien fermer les yeux, mais tâche de le convaincre de renoncer »

Profitant de la distraction, Eliana avait disparu, sans laisser de trace, sans rien dire de plus. Celui qui avait alpagué le coutilier attendait, alors qu’il faisait signe à l’individu de corpulence importante de s’approcher, lui expliquant que c’était lui, le responsable coutilier qui allait prendre son témoignage. L’homme très en colère, l’œil particulièrement noir et une bosse émergeant en plein milieu de son front semblait vouloir le pire, pour celle qu’il estimait être entièrement coupable.

- « Putain de bonnes femmes, pour une main aux fesses. Elle m’a défiguré, non, mais r’gardez ma tête » fit-il en grognant « Ça sert à ça, non ? Une putain, y a un gars qui a dit qu’elle était sacrément bonne contre un peu d’piecette et vla pas qu’elle fait la prude devant moi. Salope ! » beugla-t-il « Agression sur un bon membre du peuple, ça vaut bien quelques jours de cachots non ? En plus ‘vla pas qu’elle a personne, pas d’homme, d’puis quand les bonnes femmes peuvent faire leur vie comme ça hein ? Non, mais une salope putain que j’vous l’dis ! J’exige réparation »

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Merrick Lorren



Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyVen 5 Juin 2020 - 8:57
Rapidement, le temple et ses péripéties furent oubliés par Estelle de Chantauvent et Merrick Lorren. De fait, le couple semblait respirer plus facilement et librement une fois qu'ils eurent quitté l'enceinte du lieu bâti en l'honneur des déités siégeant et régnant au-dessus de Marbrume. Pour l'un, cette fuite était vécue comme un véritable soulagement, alors qu'il était brouillé avec la Trinité, doutant de leur implication dans la destinée de l'humanité. Destinée qui, à ses yeux, ressemblait fortement plus à un déclin qu'à un avenir radieux. Pour l'autre, cette échappée était synonyme d'apaisement, tandis que leur méfait avait été accompli sans que le prêtre, ce vil chasseur de péchés aussi perspicace et décidé qu'un limier, ne découvre l'hérésie de leur acte dans le bassin privatif. Ainsi, sauvés du courroux du représentant du culte, mais peut-être pas forcément des Trois eux-mêmes, la tenancière et son milicien s'étaient déplacés en direction de la foire et de sa fête, prêts à passer encore quelques heures d'insouciance à deux.

En faisant le chemin, leur discussion et dialogue avait tourné autour de l'idéal de sortir à l'extérieur du dernier bastion de l'humanité, que ce soit pour gagner le Labret ou pour vagabonder sur la grève aux abords de la mer. Moins chaud à l'idée de retourner se risquer dans une pérégrination en dehors des formications de la cité, Merrick n'avait pas réellement refusé aucune d'entre elles. Encore moins volontaire pour une simple promenade sur la plage, le jeune homme dut changer son opinion face à l'empressement et l'envie de la Chantauvent concernant ce sujet. De fait, Estelle fit à la fois l'usage des mots, pour signifier son désir de s'y rendre, et de son vil regard éploré qui quémandait la pitié et l'acceptation de la chose auprès de sa victime. Victime qui était, en cette heure et cet instant, nul autre que Merrick Lorren. Devant pareille mine, la conscience du coutilier chancela. Sur le point de fléchir et de réellement réfléchir à sa demande, le coutilier fronça les sourcils en grognant. Malgré sa mine contrariée, il n'arrivait à retenir un sourire de venir prendre le contrôle de ses lèvres.

-C'est de la triche ça !" Argua-t-il tout d'abord, autant boudeur que joueur. "Comment oses-tu me regarder ainsi ?" À ses yeux, si consommer avant le mariage était interdit, ce genre d'air battu et abattu devrait l'être aussi ! Décidément, le culte et la volonté des Trois ne se concentraient guère sur les bonnes choses... "Stop ! Ar...mais arrête de me regarder comme ça !" Rien à faire. Faisait-elle cet air volontairement encore ? Potentiellement et probablement. Toutefois, au fond de ses prunelles, dans lesquelles il adorait se plonger, l'homme d'armes semblait être en mesure d'y déchiffrer une véritable envie derrière cette mine de chat battu et implorant. Cela semblait tenir à coeur à sa tenancière. En un tel cas, cette idée devenait en quelque sorte un idéal pour sa propre personne désormais. Soupirant et roulant des épaules, il hocha lentement la tête. "D'accord, d'accord." Commença-t-il doucement en se passant une main sur la nuque. "Nous allons y aller." Il ne savait pas trop quand ni comment, mais il venait de faire plusieurs pas dans la mauvaise direction en offrant son assentiment à cette volonté de la dame de Chantauvent. Lui glissant un regard en coin, sa mine possiblement satisfaite suffit à oblitérer ce sentiment d'erreur qu'il ressentait d'avoir pris et commis cette décision. Aussi stupide qu'insipide, l'ivrogne était en mesure d'oublier le moindre tracas à partir du moment que la propriétaire de la Chope Sucrée semblait heureuse. Regretterait-il cette promesse qu'il venait de lui faire ? Ça, c'était une autre histoire...

Par la suite, la conversation traversa une zone un peu plus houleuse. En effet, la milice et les fonctions de Lorren à l'intérieur de celle-ci revinrent s'immiscer entre eux, alors qu'Estelle le questionnait. Hésitant, se rongeant la lèvre inférieure avec la peur de la voir se fermer ou l'admonester pour ne pas vouloir abandonner la livrée de sa fonction, Merrick tenta de lui expliquer ses tâches et son devoir, sans pour autant parler de nouveau de l'abandon de sa profession. Il en profita aussi pour démontrer l'immensité de son antipathie pour sa sergente. Cela n'était guère nécessaire à la rouquine pour l'aider à comprendre les tenants et aboutissants de l'affaire, mais cela lui fit le plus grand bien. Tout d'abord, sa fiancée réagit avec une certaine forme de surprise lorsqu'il lui apprit qu'il dirigeait un groupe d'homme. Était-ce si étrange et étonnant ? Avec du recul, lui-même pouvait avouer que c'était plutôt incongru pour le piètre milicien et le grand ivrogne qu'il était. " C'est ça, je suis le responsable du groupe." Le dire de vive voix rendait cela étonnant même pour lui-même. La voyant se refermer, potentiellement à cause de cette peur de le voir endosser de trop grande responsabilité, Lorren lui offrit une pression un peu plus réconfortante. "Hey..." l'interpella-t-il pour qu'elle le regarde. "Mon poste veut aussi dire que je peux déléguer sans être le premier à me risquer au-devant du danger..." C'était horrible, dit ainsi. Or, c'était la réalité. "Il ne faut pas oublier que je suis de l'interne. Je fais principalement face à des ivrognes ou des fauteurs de trouble lorsque je ne fais pas la surveillance d'une quelconque porte..." Le danger n'était jamais complètement absent, mais pouvait être guère présent.

"Roland était un homme bon, et en quelque sorte, un bon ami aussi." Le jeune homme n'oublierait jamais que le comte s'était lancé à sa rescousse alors qu'un fangeux cherchait à l'éventrer de ses griffes lors du couronnement du roi. En outre, l'ébauche de leur débauche conjointe à la Chope Sucrée avait tissé un drôle de lien entre eux, alors qu'ils semblaient avoir certaines affinités même si leur rang et leur situation sociale avaient tout pour les séparer. Sa disparition avait été vécue tristement par Merrick, lui qui avait perdu un compagnon qui commençait à prendre positivement de l'importance dans sa vie. Soupirant, il finit par tenter de parler de Sydonnie sans proférer la moindre récrimination négative à son égard. "Je sais que ça doit être terrible. Je ne souhaiterais ça à personne. Même elle ne mérite pas ça." Il n'appréciait pas de la savoir sur son dos, mais la détestait-il ? Pas réellement. En un sens, si lui-même n'aurait pas été milicien, ou si celle-ci aurait été moins à cheval sur les règles, probablement qu'ils auraient même put devenir amis. Puis, le sérieux de la chose tourna à la dérision avec les questions et les formulations d'Estelle de Chantauvent. Partant dans un grand éclat de rire qui se transforma en fou rire, Lorren eu du mal à retrouver son sérieux, essuyant une larme à la fin de son hilarité. "Par la Trinité, Estelle. Tu as le don pour dire ce que tu penses..." Il aimait cette facette d'elle, cette régularité à dire tout ce qu'elle pensait sans rien retenir, sans rien cacher. Certes, cela était moins présent quand quelque chose la tourmentait. La jeune femme avait plus tendance à se fermer si tel était le cas. Or, quand la discussion était anodine, la propriétaire de la Chope Sucrée n'hésitait pas à dire ce qui traversait ses pensées, sans filtre ni tabou.

-" Non, elle ne fait pas ça... enfin, je pense." Se corrigea-t-il. Pour éviter toute incompréhension, il poussa sa prise de parole un peu plus loin. " Je ne connais pas trop sa vie privée. Après tout, quand cela est possible, j'évite la plupart du temps de la croiser. Elle me semble une personne intègre et honnête, bien qu'elle peut être aussi lourde qu'énervante. Et puis, elle a cette manie de toujours vouloir trop en faire, de se comporter comme si tout le poids de la cité reposait sur ses épaules, et donc, conjointement, sur celle de ses "hommes" comme tu dis." Termina-t-il en se pointant lui-même, abruti par les tâches et le travail aussi bien à cause de cette manie qu'avait Sydonnie d'être un bourreau de travail, encore plus maintenant, qu'à cause de sa surveillance sans relâche de sa coutelerie. Rejouant les paroles d'Estelle dans sa tête, Merrick suspendit sa démarche la forçant ainsi à fomenter pareil arrêt, alors qu'il tenait encore sa main. Rivant son regard dans ses yeux, lui faisant face alors que son sourire s'agrandissait, le coutilier y alla de sa question qui venait de germer dans sa conscience. "Estelle de Chantauvent, auriez-vous fait des recherches sur Sydonnie de Rivefière ?" Il n'en doutait guère, maintenant qu'il repensait à sa connaissance de la noiraude. " Pourquoi méritait-elle l'intérêt de l'éminente tenancière de la plus prestigieuse auberge de Marbrume ?" Conclut-il en penchant la tête sur le côté, le regard malicieux et véritablement intéressé par la réponse ou la répartie de cettedite tenancière.

Juste avant d'arriver sur la place des festivités, Estelle le força à son tour à ralentir pour lui parler. "Je suis aussi plus qu'heureux de notre soirée. N'attendons plus aussi longtemps pour refaire quelque chose comme ça, d'accord ?" Le début de journée et la nuit d'hier n'avaient été aucunement faciles. Loin d'oublier l'ensemble des événements qui avaient pris racine dans les dernières 48 heures, le couple avait tout de même réussi à se retrouver et vivre leur idylle loin des tourments de leur existence. Si tel était le cas, s'ils étaient en mesure de faire cela dans les pires moments, qu'est-ce qui les empêcherait de récidiver plusieurs fois et plus souvent à l'avenir ? Lorren se fit la promesse que leur couple ne s'inscrirait pas seulement et uniquement dans un lien difficile et distordu à cause de ce passé encore trop présent. Il était de leur devoir de panser leur passé et de passer à l'avenir. De vivre et non plus de seulement survivre au milieu de cet océan d'ignominie que semblait parfois être leur vie.

Sur ces entrefaites empreintes de douceur et d'une pléthore de questionnement, le duo arriva là où la fête battait son plein. Accueillis par des cracheurs de feu qui attiraient les masses, ils s'arrêtèrent pour contempler cet étrange spectacle plutôt rare depuis que la fange contrôlait le royaume et en grande partie le duché. Grimaçant et grognant en réalisant, et en mentionnant, que leur art était possible grâce à un gaspillage d'alcool, Merrick se retourna et offrit un regard tout étonné à Estelle. " Je t'aime entre autres pour ça, Estelle de Chantauvent." Dit-il rapidement et abruptement, comme sorti de nulle part, avec un sourire taquin dressé. De fait, elle aussi vivait cela comme une dilapidation d'une denrée qui ne méritait pas de subir pareil traitement. Certes, pour elle, c'était le côté "affaire" et "économique" qui la dérangeait vis-à-vis de ce gâchis, alors que lui c'était simplement la perte de l'alcool en elle-même qui le torturait. Quand bien même, qu'ils soient sur la même longueur d'onde sur le sujet, pour deux raisons différentes, n'en restait pas moins un doux bonheur. Un doux bonheur qui méritait qu'il mentionne son attachement. "Tant de clairvoyance et de logique dans ton esprit envers l'ivresse et la dépravation, ça ne peut que m'attendrir !" Continua-t-il, joueur et sachant pertinemment que ce n'était pas ces raisons qui définissait sa prise de parole. Mais beau salopard dans l'âme, l'ivrogne se permettait de se complaire dans ses fausses perceptions et de prêter des intentions à la rouquine qui l'accompagnait. "Mais je dois t'avouer une chose. Je ne sais pas ce qui est le plus grand gaspillage pour une tenancière. Marier Merrick Lorren ou permettre de donner une petite quantité de spiritueux à des cracheurs de feu..." Se passant une main dans la barbe, il fit mine de réfléchir. "À dire vrai, je pense savoir laquelle des deux engeances dilapide la plus grande quantité d'alcool." Termina-t-il en lui offrant un clin d'oeil, se positionnant lui-même comme le gagnant de cette rixe plus qu'inutile. Était-ce normal d'être fier de cet état de fait ? Probablement pas pour une personne normale. Mais, l'homme d'armes n'était pas quelqu'un de banal, non ?

-" Ainsi, j'ai une jolie bouille, hein ?" La questionna-t-il heureux d'entendre des compliments au détour du refus de la Chantauvent. Sa moue empreinte de fierté s'agrandit. Décidément, mieux valait arrêter de le complimenter de la sorte, lui qui avait fait de sa puérilité et de son narcissisme une pierre angulaire de sa personne. " Te rappelles-tu le tord-boyaux que tu m'avais servi à notre rencontre ?" Lorsqu'il avait cherché à oublier et s'assommer dans le venin perfide du spiritueux, en quête d'ivresse pour ne plus ressasser le passé, Estelle lui avait offert un des plus immondes et infects breuvages de sa collection. "Lui il pourrait être utile pour ce genre de spectacle ! Ce ne serait pas vraiment un gaspillage de l'utiliser pour cracher du feu, mais plutôt un service rendu pour l'ensemble des ivrognes de Marbrume !" Il n'exagérait presque pas. "Juste me présenter quelque part suffit pour charmer tout le monde. La preuve, la tenancière de la Chope Sucrée est tombée dans mon piège !" Enchaîna-t-il malicieusement. "Mais je suis aussi tombé dans ses filets, et c'est bien la seule et unique qui compte."
Finalement, le milicien revint un peu en arrière pour se concentrer et concerter Estelle vis-à-vis de certains de ses mots qui l'avaient un peu inquiété. Préférant tout d'abord pousser le vice et l'audace en direction de la plaisanterie et de l'amusement, il n'en manquait pas moins d'en revenir à des choses un peu plus importante et sérieuse par la suite. "As-tu à ce point beaucoup de mal à remplir la cave ?" Lui demanda-t-il doucement, le regard soucieux et toute trace de facétie disparue de son faciès. Attrapant ses deux mains et lui faisant face, tournant le dos à ceux qui crachaient du feu et, d'un commun accord du brun et de la rousse, gaspillait de l'alcool, il poursuivit. " Tu sais, on n'en a jamais vraiment parlé, mais ça me semble une évidence. Je veux dire, on va se marier quand même ! Et...et la Chope Sucrée est aussi à moi maintenant. Non pas qu'elle n'est plus à toi, mais j'ai aussi un petit mot à dire dessus vu que j'en suis en quelque sorte l'un des propriétaires...enfin, je pense." Continua-t-il en se mélangeant et en se perdant au détour de son discours. "Bref. Ce que je tente de te dire, c'est que mon salaire, mon argent et ce que je peux rapporter de mon "prestigieux" grade de coutilier sont aussi à toi." Se passant la langue sur les lèvres, il poursuivit. "Je n'ai presque plus aucune raison de dépenser. J'ai un toit et une charmante épouse, alors que voudrais-je de plus ? Alors j'aimerais que tu utilises ce que je peux rapporter pour garder l'établissement à son meilleur." Restant silencieux quelque temps, il finit par lui offrir un petit sourire. "Je désire ça tout autant sérieusement que tu veux aller à la plage ! Et puis, si j’étais de faire le même regard implorant que toi, je le ferais là, maintenant !" Termina-t-il en tentant de reproduire cette piété qui prenait habituellement racine dans les iris de la Chantauvent. Ce fut malheureusement futile et ô combien vain alors qu'il échoua sans passer proche de reproduire à l'identique cette mine de chat battue. Il semblerait que cela soit un pouvoir réservé strictement à la gent féminine...

Suite à cette longue conversation, le couple avait fini par rentrer pour de bon sur le site de la foire. Rapidement alpagué par la diseuse de bonne aventure, le duo s'était retrouvé bien malgré lui obligé d'écouter les fantaisies et les simagrées de la voyante. Prenant tout d'abord cela sur le ton de la farce et de la plaisanterie, Merrick avait déchanté plutôt rapidement. Encore plus suite aux attaques de cette vieille femme contre la rousse crinière fauve de son amante. Lorsqu'elle prit la fuite pour retrouver l'air libre, l'homme d'armes ne se fit pas prier pour la rejoindre, retenu quelques instants par la membre de la foire qui lui offrit une énième prophétie arrimée à un mauvais présage et étant de mauvais augure. " J'y crois tout autant que toi, Estelle !" Lui dit-il lorsqu'elle lui retourna sa question. À dire vrai, Lorren ne savait pas à quel point sa tirade était véridicité, alors que tous deux avaient une part de leur âme et conscience qui doutait de la potentielle et possible véracité des dires de la voyante. " C'est que des banalités, c'est vrai ! Au moins, c'est positif de savoir qu'on nous perçoit comme un couple plutôt que comme un fr..." Il avait été sur le point de dire un frère et une soeur. Or, avec le passé et l'histoire d'Estelle, l'ivrogne avait préféré arrêté et trouvé une nouvelle formulation pour ne pas la heurter ou la faire cogiter en direction d'Adrien, ce salopard et scélérat qu'il espérait ne plus jamais croiser. "...Comme de simples amis !" Se corrigea-t-il. Puis, ce fut au tour de la chevelure de la jeune femme d'être sujet de conversation. Fermant un œil, tirant la langue sous le coup d'une fausse intense réflexion, le milicien secoua la tête. "Je tente de t'imaginer chauve, mais je ne peux pas dire que l'exercice soit une réussite ou que soitsoit bien plaisant. Garde ta crinière, Estelle. Il n'y a pas de honte à être sublime après tout, non ?" Lui dit-il en souriant doucement, préférant la voir s'apprécier et s'aimer que de s'amoindrir et de s'exécrer. Puis en ouvrant les bras en grand; "Regarde-moi, je le vis très bien personnellement !" Il était aussi incorrigible qu'incoercible, il va s'en dire...

La suite de leurs pérégrinations les amena auprès d'une frange de la population qui dansait sous les airs effrénés et endiablés des bardes et des troubadours. S'arrêtant pour les regarder, ayant peur d'être invité -ou forcé- à rejoindre la ronde, Merrick ne put que pousser un profond soupir de soulagement de se savoir à l'abri de cette pratique. La dame de Chantauvent semblait laisser présager qu'elle était aussi mauvaise danseuse que lui. " En effet, ça serait une mauvaise raison pour ne pas pouvoir travailler. Et puis, elle serait plus du genre à n'accepter aucune excuse, alors..." Lui dit-il lorsqu'elle parla de son titre d'écraseurs de pieds. Le coutilier termina sa tirade en faisant preuve de mauvaise foi, lui qui avait rapidement oblitéré de son esprit que la de Rivefière lui avait offert une journée de repos pour pouvoir s'occuper d'Estelle. Refermant ses bras sur sa tenancière, elle qui se pivota pour faire face au spectacle, l'homme d'armes alla déposer sa tête sur le haut de son crâne, le sourire aux lèvres et appréciant ce simple contact. Son sourire s'agrandit alors qu'il sentit Estelle commencer à se trémousser et qu'il l'entendit fredonner. "Comment pouvais-tu dire que tu ne savais pas danser ? Tu me sembles une véritable virtuose du déhanchement en ce moment !" Mentit-il sans tenter de le cacher le moins du monde. " Je suis un excellent danseur !" Proféra-t-il de nouveau, s'enfonçant dans son mensonge et ne cherchant toujours pas à le cacher qu'il ne lui disait pas la vérité. Puis, se penchant pour venir lui murmurer dans le creux de son oreille; "Si c'est pour être aussi collé et rapproché alors qu'on est seul à la Chope Sucrée, je suis prêt à suivre des cours privés et m'entraîner avec toi tous les soirs, Estelle de Chantauvent..." Oui, elle lui avait demandé d'attendre après le mariage avant de vouloir récidiver un moment d'égarement charnel. Or, il n'y avait rien de mal à s'imaginer la vouer à la tentation, non...?

La suite s'annonçait on ne peut plus doucereuse pour Merrick Lorren. De fait, bien qu'il connaissait les sentiments d'Estelle, il était rare de l'entendre proférer verbalement son attachement à son égard. Généralement plus portée vers la démonstration ou la réponse à ses propres propos amoureux, la rouquine n'y allait que rarement de l'épanchement de son affection verbalement. Certes, il n'en souffrait aucunement, sachant qu'il ne doutait aucunement de ses sentiments. Pour autant, alors qu'il l'entendait proférer les prémices d'un "je t'aime", il hocha la tête rapidement et à plusieurs reprises pour l'encourager. Certes, il ne doutait aucunement de son amour, mais il n'y avait aucun mal à l'entendre dire pour la première fois, non ? Or, il n'eut jamais la chance d'entendre ces douces paroles, tandis que la dame de Chantauvent lui était vilement kidnappée, entraînée dans la danse par un fourbe mécréant qui lui offrit un grand sourire empreint de bonhomie et un clin d'œil guilleret. Sur sa liste de personne à honnir, Merrick plaça cet inconnu en bonne position. Certes, bien loin d'Adrien et en dessous d'Eude, ce fourbe qui venait de s'accaparer sa promise se hissait à la hauteur de Lissandre, l'habitué éperdument amoureux de la tenancière. De cette longue liste muet des gens qu'il n'appréciait guère, la sergente Sydonnie de Rivefière occupait une position fluctuante, montant et descendant selon les missions qu'elle lui donnait. Mais là n'est guère l'objet ni le sujet de l'instant, non ? Son regard s'assombrit, alors qu'il se mit à ronger sa lèvre. Y aurait-il pu avoir pire moment pour perdre Estelle ? Il en doutait. Grommelant dans sa barbe son aigreur et son amertume, il fut tiré, aussi littéralement que métaphoriquement parlant, de sa maussaderie par une femme qui lui fit subir le même traitement que le "brigand" qui lui avait soustrait la Chantauvent. Le rire de cet infâme quidam le fit rentrer la tête dans les épaules. Il s'amusait, lui, avec SA tenancière ? Monstre ! Il n'avait pas le droit !...non ?

-"Concentrez-vous un peu sur moi !" Lui dit sa "charmante" compagne qu'il ne voyait pas, trop occupé à ne pas lâcher du regard celui qui dansait avec Estelle. "Suivez mes pas." Déjà qu'il était un très mauvais danseur, tenter d'observer par-dessus son épaule et se concentrer sur la rouquine et son partenaire plutôt que sur ses propres mouvements ne l'aidaient guère. "All.."

-"Je suis occupé !" La coupa Merrick sans la regarder. Par le passé, il aurait probablement profité de cette compagnie pour soutirer un sourire ou un nom à cette femme qui évoluait à ses côtés. Aujourd'hui, il ne la voyait pas. Ou du moins, la percevait-il plutôt comme un poids mort alors que son attention était toute tournée vers celle qui allait devenir sa femme. Lorsqu'il vit la main de l'inconnu descendre sur la taille de la propriétaire de la Chope Sucrée, il claqua de la langue et grommela dans sa barbe. Pour qui se prenait-il, cet ignoble malotru ?! La danse fut une catastrophe pour le coutilier. À contretemps continuellement, et en retard perpétuellement, il rentrait dans tout ce qui bougeait et virevoltait autour de lui. Réussissant la plupart du temps à ne pas écraser les pieds, comme pouvait le faire la jeune femme à l'opposé de sa position, sa section de la ronde souffrait tout de même tout autant de sa présence. Les danseurs regrettaient-ils finalement d'avoir invité le duo à s'amuser ? Probablement pas, alors que l'instant n'était pas très sérieux et que l'important était plutôt de s'amuser que d'offrir une performance sans erreur. C'était une chance aussi bien pour Merrick Lorren qu'Estelle de Chantauvent, eu qui venait rendre le tout plus que désordonné et brouillon. Enfin, il retrouva une tenancière essoufflée, mais le regard pétillant à la fin de la danse.

La mine contrariée de l'idiot coutilier fondit finalement comme neige au soleil. C'était l'un de ses pires défauts. Il pouvait être rapidement jaloux pour un rien. Cela n'était pas à cause qu'il n'avait pas confiance en Estelle. De fait, c'était plutôt parce qu'il doutait de lui-même, même s'il ne l'avouait jamais. La nature bourgeoise de la famille de la rouquine l'intimidait toujours autant, aussi bien que l'idée qu'elle était un fabuleux parti pour tout homme plus ou moins entreprenant. Lui, même s'il n'était plus qu'un simple milicien, restait un piètre coutilier et un ivrogne. Dès lors, à ses yeux et à son sens, difficile de rivaliser avec un honnête homme provenant de la bourgeoise et voyant en la dame de Chantauvent comme une épouse idéale. Après tout, un mariage avec elle amènerait la Chope Sucrée dans le girond de son époux, non ? En outre, aussi incongru que cela puisse paraître, Merrick n'avait aucune confiance en l'homme en général. Sachant jusqu'où il avait été prêt à aller pour un simple moment d'égarement, jusqu'à rendre certains époux cocu, Lorren n'appréciait aucunement de voir un homme tourner autour de la rousse. Jusqu'au point de lui brimer sa liberté ? Peut-être... Toutefois, cela ne serait jamais fait volontairement. Par contre, son regard sombre et meurtrier qu'il pouvait offrir à des hypothétiques prétendants ou soupirants pouvait être un frein à une quelconque amitié masculine.

-"Je sais bien qu'elle est charmante, c'est la mienne." Grogna-t-il plus boudeur qu'en colère et plus possessif qu'agressif. "Je n'y manquerais pas à l'avenir." Continua-t-il en hochant la tête, se faisant la promesse de ne plus se faire ravir la rouquine pour une danse. "Citadin." Le salua-t-il plutôt froidement, heureux de voir disparaître cet individu plus qu'inopportun. Rivant finalement son attention sur Estelle alors qu'ils étaient de nouveau seul, sa mine austère et acariâtre disparue, soufflée et remplacée par un simple sourire. Se passant une main dans la chevelure pour replacer ce qui n'avait pas bougé le moins du monde, l'homme d'armes l'écouta se débattre en excuse pour expliquer son manque d'expérience et les pieds meurtris de son cavalier. "Je n'étais pas mieux ?!" Répéta-t-il faussement outré. "Tu n'as pas vu quand j'ai fais une.... une pirouette ! Un peu comme ça !" Mima-t-il en tournant sur lui-même et sur place. "C'était excellent. Ma cavalière n'en revenait pas." Elle m'en revenait surtout pas à quel point c'était fait avec du retard, mais ça, il n'avait pas besoin de le dire. Lorsqu'elle lui dit qu'elle aimait le voir sourire, il s'efforça d'afficher une mine sérieuse, rapidement oblitérée par une nouvelle marque d'amusement prenant racine sur ses lèvres. La suite eut le mérite de diminuer cet état de fait, sans pour autant l'amoindrir complètement. "En effet, si seulement tout pouvait être toujours aussi simple." Répéta-t-il, se faisant l'écho des paroles d'Estelle. Leur existence tourmentée n'était pas sa faute ni celle de la jeune femme. Personne n'était coupable ou bourreau. Cependant, ils voguaient ensemble au milieu des affres de la pléthore de maux se dressant sur leur passage. Et ça, c'était le plus important dans ce marasme d'ambivalence et de machiavélisme. Ils feraient front commun en tout temps.

Ils reprirent leur route, traversant la foule et la masse en parlant cette fois-ci des hypothétiques voleurs que Lorren croyait -avec raison- être à pieds d'œuvre. Bien qu'il est raison avec la présence des voleurs, il n’était point suffisamment concentré ou intelligent pour réaliser que c'était les enfants qui fomentaient ces larcins. Secouant la tête quand la Chantauvent y alla quasiment d'un cri pour répéter ses mots, Merrick lui fit signe de parler un peu moins fort en déposant un doigt sur ses lèvres. En un sens, il ne voulait pas attirer les réflexions sur ce sujet, ayant peur de voir les badauds remonter jusqu'à la milice pour retrouver leurs biens spoliés. Il n'était pas idiot, après tout. Il avait conscience qu'il se coltinerait potentiellement le travail, tandis qu'il serait en fonction avec son groupuscule de milicien. "Ne cris pas ça sur tous les toits tu vas..." comment lui dire qu'elle risquait de le faire travailler et qu'il préférait attendre le matin sur une affectation inutile ? Il fronça les sourcils, avant de les hausser ayant trouvé la parade parfaite: " Si tu parles trop fort, tu risques de créer un vent de panique ! On ne veut pas ça, non ?"

Puis, l'écoutant attentivement lorsqu'elle mentionna avoir subi un larcin, il se pencha vers l'avant et se concentra, prêt à définir si l'objet volé méritait d'être cherché ou non. Se redressant rapidement en secouant la tête, ayant conscience d'être tombé dans le piège, Merrick regarda droit devant lui et prit une mine sérieuse. "Mmmh, c'est une sale affaire ce dont tu me parles... C'est après tout un vol plutôt horrible, non ?" Gardant le silence un peu plus longtemps, son regard fut attiré par le sourire ravageur d'Estelle. La commissure de ses lèvres suivit la même courbe ascendante. Bien qu'il tentait de réfréner et de garder son air on ne peut plus sérieux, ce dernier vola en éclat après le rire de la jeune femme. Y avait-il un son plus doux à ses oreilles que son rire ? L'ivrogne avait tendance à penser que non. Or, se souvenant de leur dernier moment dans le bassin privé au temple, il réussit finalement à définir un autre son, une autre tonalité qui l'impactait tout autant. Mais bon, les deux étaient quasiment identiques, tandis qu'ils s'arrimaient autour de l'idéal du plaisir. " Malheureusement, je ne pense pas être en mesure de te le redonner." De le lui redonner et non pas de le retrouver, alors qu'il savait pertinemment qui était l'escroc ayant dépossédé la Chantauvent de son cœur. "Par contre, tu en as déjà un autre. Le mien en l'occurrence. Penses-tu être en mesure de se satisfaire de ce dernier ? Que c'est un échange équitable ?"

Se laissant embrasser avec plaisir, offrant une petite pression sur les doigts de la Chantauvent, Merrick laissa sa seconde main venir se perdre sur la joue de sa partenaire. Suite à l'échange, le coutilier ne brisa pas tout de suite cette promiscuité qu'il partageait. Là, au milieu d'une foule en liesse, mais se sentant aussi seul et esseulé que sur une île déserte, Lorren appuya son front sur celui de la rouquine et perdit son regard dans les pupilles de sa tenancière. En cet instant, il ne pensait plus à rien si ce n'est à son bonheur. Au milieu de ce brouillard félicité et de béatitude, une question se mit à germer dans son esprit et tourner en boucle dans sa conscience. Comment avait-il réussi à conquérir cette femme aussi belle que bonne envers son prochain ? Dur à dire et difficile à savoir. Sans l'ombre d'un doute, cela avait été le combat le plus important de sa vie. À choisir, s'il ne devait gagner qu'une chose de toute sa piètre existence, ça serait et resterait le cœur d'Estelle de Chantauvent. Jamais il ne le rendrait et jamais il ne l'abandonnerait. "Jusqu'à ce que la mort nous sépare..." murmura-t-il sans réfléchir.

Ils n'eurent pas vraiment à attendre leur trépas pour se décoller quelque peu et se séparer pour l'instant. De fait, leur attention fut attirée par le babillage intempestif de deux vendeurs, ou charlatan, tentant de leur vendre des babioles et leur camelote. Se penchant auprès d'Estelle, il se mit à lui murmurer à l'oreille alors que celui qui vendait des mixtures en tout genre définissant l'ensemble des produits qu'il avait avec lui. "Ils me font un peu penser à une certaine tenancière qui cherche à faire consommer ses clients..." Tels de fins limiers, les mécréants en question semblaient savoir d'avance le refus de la jeune femme, déjouant sa négation en ne lui laissa pas en placer une. Souriant en secouant la tête, le milicien remarqua l'attention que portait la rousse pour la bague. Il n'arrivait pas à définir si c'était un intérêt envers cette dernière précisément ou si c'était l'idée d'en recevoir une lors du mariage qui l'appâtait de la sorte. D'ailleurs, cette réflexion en souleva une nouvelle dans son esprit. Le duo avait déjà des rubans, ceux du dernier mariage de la Chantauvent. Or, Estelle désirait-elle réellement user de ces derniers pour leurs propres fiançailles ? Elle semblait un peu moins attachée à ce passé, préférant plutôt se tourner vers l'avenir...dès lors, est-ce que Merrick devait lui proposer de changer ? C'était une question aussi difficile que le sujet l'était. Pour le moment, le couard préféra éloigner cela de son esprit et se focalisa sur l'échange qui se jouait entre les trois commerçants et vendeurs qui se faisaient face.

Écoutant les paroles d'Estelle, voyant son sourire s'agrandir à mesure qu'elle définissait qu'elle n'avait besoin de rien, tandis que ses yeux criaient l'envie de vouloir tout essayer, il haussa les épaules et soupira à quelques reprises lorsqu'il fut question de ce qu'il aurait à faire. "Je sais de quoi je parle, j'ai été le premier à goûter à son sens du troc." Avoua-t-il en hochant la tête, se rappelant trop bien tout ce qu'il avait eu besoin de déployer pour dégotter un premier rendez-vous. De fait, leur première sortie à deux pour aider les miséreux avait été faite en échange d'une chambre pour la nuit. Leur seconde escapade sur les murailles avait été gagnée à la sueur de son front alors qu'il avait aidé avec le service de la Chope Sucrée. "Elle peut m'en faire voir de toute les couleurs lorsqu'elle le veut, en effet." Proféra-t-il en direction du premier commerçant. " Toutefois, j'ai appris à résister !" Puis se souvenant de sa défaite concernant la sortie vers la plage; "Enfin... presque !" Lorsqu'Estelle mentionna rechercher un élixir pour faire oublier la milice il secoua la tête, affichant un sourire crispé sachant pertinemment que la pitrerie de la rouquine était à moitié sérieuse.

-"Sinon, auriez-vous une mixture quelconque pour ne plus flancher devant un regard suppliant à tout hasard ?"
-"...On n’a pas ça non plus. Mais on a."
-"Non tant pis du coup." Répéta-t-il comme Estelle, crâneur et le regard fier. Tout d'abord, un peu contrarié, le vendeur finit par secouer la tête, rire et leur souhaiter bonne continuation en rappelant vouloir voir revenir Merrick tout seul pour lui acheter un quelconque objet pour sa belle.

Finalement, toute bonne chose avait une fin. Pour le couple, il fut l'heure de rentrer. L'un avait besoin d'aller travailler tandis que l'autre désirait ouvrir la Chope Sucrée dans la soirée. De son propre aveu, la propriétaire de l'établissement expliquait que l'auberge n'était jamais restée aussi longtemps fermée. Il était donc logique d'imaginer que cela puisse d'être très mauvais pour les affaires si cela continuait ainsi. "Je ne serais pas étonné que le bois soit déjà arrivé à la Chope Sucrée. J'avais demandé aux deux miliciens à l'entrée de la cité de faire un voyage pour nous en échange d'une consommation après leur affectation." Lui avoua-t-il ou lui rappela-t-il en lâchant sa main, mais en passant un bras dans son dos. "Tu n'as donc pas besoin de sortir en direction des Faubourgs, non." Hésitant à en dire plus, il finit par soupirer. "Je te fais confiance pour ne plus tenter la même folie d'aller au-devant de la fange sans m'en parler. Mais... en effet, je ne pense pas que cela soit une bonne idée pour toi de sortir de Marbrume. Encore moins alors que le soir arrive comme présentement."

Toujours est-il que leur sortie n'allait pas être complète sans la rencontre d'un écueil à même de souffler un vent froid sur leur soirée qui avait été trop bonne et trop belle. Merrick Lorren était rentré en contact avec un ignoble personnage, un être aussi abominable que la fange. Adrien de Miratour. Tout d'abord interdits, poussés au mutisme par la surprise puis par la colère qui le vrillait, les regards silencieux, et meurtriers pour certains volèrent en tout sens, définissant plus que clairement l'ensemble de l'antipathie et de l'intimité qui voltigeaient et voguaient entre les différentes personnes en présence. Faisant un pas vers l'avant pour dresser son corps en rempart entre Estelle et son frère, Lorren regarda fixement ce salopard, sans prêter attention à rien d'autre. Ramenant sa main au niveau de celle d'Estelle, il la serra plus fortement, lui laissant peut-être ressentir tout sa haine et à quel point il était tendu. Dans ce geste, il avait voulu se montrer protecteur et encourageant. Toutefois, il lui était difficile de cacher à quel point il exécrait et désirait voir disparaître à tout jamais ce fieffé monstre qui avait abusé de sa sœur."Coutilier et non-milicien." S'empressa-t-il de corriger. Certes, ce n'était qu'un grand haut dessus de la piétaille formé par la majorité des hommes d'armes. Or, tout était bon à prendre pour ne pas être minimisé et diminué face à Adrien. En outre, ce poste lui permettait d'être un peu plus à l'abri des manigances de cet homme qui avait des contacts dans la milice et qui avait usé de ses liens pour faire de la vie de l'ivrogne une misère.

Peut-être pourrions-nous quoi ? De quoi voulait parler cette prénommée Eliana ? "Pas s’il est présent." S'exclama Merrick, laissant transparaître toute sa haine et le fiel qui l'habitaient à l'encontre de l'époux de cette femme qui semblait vouloir tenter de converser et dialoguer pacifiquement. "Je me passerais de ta bénédiction sans le moindre problème. Ça ne m'empêchera pas de dormir, moi." Répondit-il en offrant un sourire narquois et moqueur à Adrien. De fait, l'homme d'armes se savait vainqueur à ne rien faire. Estelle l'aimait et serait sienne. Son frère n'aurait plus d'emprise sur elle et rongerait sa haine sans pouvoir agir. Du moins, c'est ce qu'il pensait, sous-estimant probablement la fourberie et la volonté machiavélique de celui qui voudrait garder son emprise sur la tenancière de la Chope Sucrée. Lorren ne fut pas en mesure de garder son calme à la suite des paroles d'Adrien. Si sa jalousie était l'un de ses principaux défauts, Estelle symbolisait quant à elle à la fois sa plus grande force et sa plus forte faiblesse. Lui-même pouvait encaisser gros par rapport à ce que les gens pouvaient penser ou dire de lui. Plus couard que courageux et plus faible que fort, Merrick savait rentrer la tête dans les épaules pour éviter de s'emporter. Rongeant son frein, teigneux et hargneux, il complotait et attendait le bon moment pour assouvir sa vengeance. Ainsi, bien que n'aimant aucunement perdre, il n'était pas impulsif. Pas pondéré pour autant, il était rancunier, mais savait attendre son heure. Or, lorsqu'il était question de sa tenancière, tout était différent. Trop différent.

Avançant encore d'un pas, déposant par réflexe sa main sur sa ceinture en quête de sa lame, qu'il ne trouva pas, elle qui était resté à la Chope Sucrée, Lorren suspendit tout mouvement, retenu par Estelle qui lui intimait de ne rien commettre ou de ne rien dire. Se retournant pour l'aviser, hésitant entre s'écouter et l'écouter elle, mais se refusant à lâcher cette main à laquelle elle s'accrochait, il finit par abandonner. Bousculé sur le passage d'Adrien, il ne lui offrit aucune répartie, aussi physique que verbale. Rongeant sa lèvre inférieure jusqu'au sang, lui qui avait envie de combattre, de lutter et de crier il resta statique à fixer la dame de Chantauvent et nulle autre personne. De nouveau seule, l'ambiance avait plus que changé. Le plaisir de leurs pérégrinations entre la foire et le temple venait d'être oblitéré par cette rencontre qui pouvait être qualifiée de réunion familiale. Par la Trinité, il fallait réellement qu'il aille travailler, là, maintenant ? Après ça ? Lorsqu'elle lui demanda de la ramener chez eux, Merrick s'avança et l'enferma dans une douce étreinte. Refermant ses bras autour d'elle, préférant démontrer qu'il était là plutôt que de lui offrir des mots qui sonneraient creux, il resterait ainsi durant un certain moment si elle ne le repoussait pas. La milice pouvait bien attendre.

◈ ◈ ◈
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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyVen 5 Juin 2020 - 9:16
Dans les faits, Merrick Lorren réalisa que non, la milice ne pouvait pas attendre lorsqu'ils reprirent leur route en silence jusqu'à la Chope Sucrée. De fait, nul autre que Sydonnie de Rivefière était venue le chercher. Elle n'était probablement aucunement présente pour le saluer poliment ou pour s'enquérir de son état de santé. Cette dernière risquait plutôt de lui tomber dessus. Soupirant, le jeune homme aurait presque préféré retomber sur Adrien que de voir la gradée faire les cent pas devant l'établissement d'Estelle. "Bonsoir, sergente. Moi aussi je suis heureux de vous voir." Pas le moins du monde. Toutefois, cela lui permettait d'épancher sa propre colère de lui signifier son manque de cordialité dont elle avait fait preuve à son égard. Évidemment, il se doutait bien qu'elle s'en fichait. Lui offrant un regard morne, il se mordit l'intérieur de la joue, sachant qu'il risquait de dire des choses qu'il regretterait à la de Rivefière. Encore impacté par sa rencontre avec de Miratour, le coutilier semblait vouloir défier tout le monde, prêt à accepter les risques de toute les rixes. C'était clairement hors du commun, il va sans dire...

-" J'arrive bientôt pour me changer." Promit il a Estelle en lui offrant un dernier petit sourire. Puis sachant pertinemment ce qui arriverait pas la suite, il écarta les jambes, se mit droit et positionna ses mains dans le dos. Toute trace d'amusement avait disparu de son visage. Sa mine était grave et austère. S'il devait affronter la déferlante qu'allait être les critiques de la zélée sergente, il le ferait sans broncher, lui offrant, non pas un sourire courtois, mais une facétie juste assez narquoise pour se moquer silencieusement sans risquer d'être fouetté pour insubordination. Certes, cela restait dangereux. Après tout, le dernier mot sur la question appartenait à sa vis-à-vis et à nulle autre personne. Si cette dernière voulait le punir, elle pouvait le faire librement. Toutefois, il n'acceptait pas d'être simple victime de l'échange. Sans pouvoir être bourreau, il ne serait pas pour autant un supplicié silencieux. Qu'elle vienne, la de Rivefière. Qu'elle l'écrase de ses mots, lui il la supplanterait dans un civisme empreint de politesse qui couvrirait l'ensemble du fiel qui lui brûlait les lèvres et la gorge. "Vos mots me vont droit au cœur, sergente. Je ferais attention à l'avenir." Dit-il en se tapotant le cou sans chercher à le cacher. " Je ne voudrais pas être une honte. Sachant que vous devez bien savoir de quoi vous parlez, je ne peux que vous remercier pour vos conseils avisés." Puis haussant les épaules, il continua sur un ton égal et atone. " Merci de vous inquiéter pour mon mental et ce que j'en fais. Mais sachez cependant que je ne cherche pas à baigner dans une quelconque merde comme vous le dites. Enfin, je ne fais que travailler sous vos ordres, il va sans dire." Ce qui revenait du pareil au même à ses yeux. " J'attendais que vous finissiez de me dire mes quatre vérités, j'imagine." Ou plutôt qu'elle termine de se défouler sur lui, mais ça, c'était une autre histoire. "Je ne voulais pas me montrer discourtois à partir sans vous écouter. Ce n'est guère mon genre de me montrer irrespectueux, envers vous, sergente. Sur ce, je me dépêche."

D'un bref salut de la tête il entra dans la Chope Sucrée, calmement en refermant la porte derrière lui sur un dernier regard et petit sourire à Sydonnie. Une fois que le battant le sépara de la sergente, il s'appuya sur ce dernier et poussa un hurlement silencieux, fendant l'air en face de lui de ses poings, pour se défouler. Finissant par se mordre les jointures, puis par soupirer pour retrouver son calme il se passa une main dans la chevelure et avisa Estelle. Secouant la tête, lui souriant doucement et haussant les épaules il s'avança vers elle. "Merci. Désolé de devoir y aller..." Dit-il en grimaçant. Sans plus attendre ni pouvoir en dire plus, il monta quatre à quatre l'escalier pour se changer et récupérer son équipement. Redescendant avant même d'avoir fini d'enfiler sa tunique, les bottes dans les mains, il prit le temps de s'asseoir pour les enfiler. C'est sur ces entrefaites que sa promise vint le trouver avec le plan. QUOI ?" La mâchoire lui tomba. "Que... comment ? Tu... ?" Il avait tellement de questions, mais aucunement le temps de les poser. "Par la Trinité..." Dit-il en attrapant sa tête de ses deux mains. "Donne-le-moi." Finit-il par lui dire en cachant sa bouche et son nez de ses mains. Récupérant le document, il déchira la partie inférieure où se trouvait le symbole de la famille de Miratour. Le secouant devant Estelle il lui redonna. "Pour le moment, cache-le et conserve-le. Je refuse que tu sois victime des manigances de ton frère." Pour lui, c'était Adrien le coupable. Était-il aveuglé par son ressenti envers le frère ? Potentiellement. " Je vais donner cette partie à la sergente." Poursuivit-il en montrant le morceau qui restait. Le plan était un peu moins clair et lisible avec la partie manquante, mais cela devrait suffire pour trouver l'entrée dans les égouts. Ce serait plus fastidieux pour la coutelerie qui s'y risquerait, mais qu'importer. Jamais il n'accepterait de mettre en danger Estelle de Chantauvent par ses actions.

-"Approche..." Se relevant il l'amena rapidement à lui. L'enserrant dans ses bras il déposa sa tête sur le haut de sa chevelure. "Je t'aime, Estelle." C'est sur cette image que Sydonnie débarqua, les forçant à se séparer, et lui à la quitter. "C'est rare que vous soyez navré à mon égard, sergente ! N'en prenez pas l'habitude, je risque de commencer à v..." il allait dire à vous apprécier, mais mieux valait éviter de dire tout haut qu'il l'exécrait. "à apprécier l'idée !" Sortant en récupérant sa lame à la sortie de la Chope, il regarda une dernière fois Estelle avant de disparaître en compagnie de l'ineffable Sydonnie de Rivefière. "Laissez-moi au moins sourire avant de me dire de ne pas le faire, sergente. Ça sera plus plaisant pour vous comme pour moi ! Par contre, j'aimerais simplement ajouter que jamais je n'aurais osé sourire à l'idée de vous voir partir. Votre départ m'attriste, sans l'ombre d'un doute." Répondit-il lorsqu'elle lui mentionna qu'elle devait s'absenter pour une mission. Il se garda bien de lui demander quel en était l'objectif. Il trouvait pourtant cela très curieux qu'elle s'y risque elle-même avec son titre. Se rappelant sa conversation avec Estelle avant d'arriver à la foire vis-à-vis de la peine et de la douleur que devait potentiellement vivre la noiraude, il se mordit la lèvre et s'en voulut de ne pas être un boulet à ses yeux. Leur vision de l'effort et du travail était malheureusement complètement contradictoire. Il n'y pouvait rien. " Si vous m'offrez cette mission, c'est que vous m'imaginez en mesure de la remplir. Dès lors, nul besoin pour moi de vous répondre. À moins que vous n'ayez que moi sous la main ?" Continua-t-il en haussant les épaules lorsqu'elle lui demanda s’il était en mesure de la mener à bien.

Bien que Sydonnie se fit souriante, la suite eut le mérite de l'énerver. Mettre une tenancière dans sa couche, rien que ça ? " Il n'y a aucune fierté à aimer quelqu'un." Ici, nulle trace de contrôle dans sa voix ou son regard. La colère qu'avaient fait naître les mots de la gradée à son égard était plus que perceptible. S'en rendant compte, fermant les yeux un instant et soufflant, il reprit le contrôle. "...Sergente." Ajouta-t-il pour faire bonne mesure. Décidément, ils ne se comprenaient pas... Elle qui venait de tenter de laisser voir son amusement venait plutôt de brusquer l'ivrogne. "Avant que vous partiez, j'ai quelque chose à vous donner." Poursuivit-il en lui offrant le document tronqué du signe familial des de Miratour. "Vous rappelez vous de ce que je vous ai parlé vis-à-vis du défunt époux d'Estelle de retour en fangeux ? J'ai... trouvé ça sur les lieux où il a attaqué la victime que je vous ai mentionnée. C'était dans les affaires du macchabée. C'était un banni." Termina-t-il en se tapotant le bras pour mentionner muettement la marque. "Si je découvre autre chose, je vous le ferais évidemment savoir. Mais j'en doute."

-Me permettez-vous de vous poser une question, sergente ?" demanda-t-il, attendant son autorisation pour poursuivre; "Vous êtes dans la milice depuis un bon moment déjà et vous êtes partie du plus petit échelon..." C'était un constat et un simple fait mentionné sur le ton de la conversation. Lorren pouvait avoir beaucoup de défauts et n'apprécier que très modérément Sydonnie, mais il ne lui enlevait aucunement le mérite de son rang et de son grade. Si elle était là, ce n'était pas à cause qu'elle était passée sous de nombreux bureaux, mais bien parce qu'elle avait pris de nombreux risques. Évidemment, il ne lui avouerait jamais directement, mais n'irait pas non plus jusqu'à calomnier ce qu'elle avait gagné à la sueur de son front. " Connaissiez-vous Eude de Chantauvent ? Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur lui ?" Peut-être ne lui apprendrait-elle rien de nouveau envers ce dit scélérat. Or, il ne perdait rien à essayer, non ?

Lorsqu'elle lui répondit, si elle avait décidé de lui laisser poser sa question, Merrick la salua sur le point de s'éclipser en direction de son affectation. Or, au dernier moment, il se retourna et la retint verbalement. "Une dernière chose ! Je voulais le faire proprement, alors voilà; je suis désolé pour la perte de Roland, Syd...sergente. Je ne peux m'imaginer votre douleur." C'était peut-être un peu faible, il est vrai. Toutefois, il ne voulait guère s'appesantir sur la bonté ou la bienveillance de son époux qui avait disparu de son plein gré... "N'allez pas vous tuer à l'extérieur, d'accord ? Enfin, je ne voudrais pas vous donner des ordres, après tout c'est votre rôle et non l'inverse..." termina-t-il en lui offrant un petit sourire pincé. Puis, sans demander son reste, il se dirigea vers ses hommes pour leur annoncer leur affectation.

◈ ◈ ◈

-"Du calme, du calme !" Répéta un Merrick qui croulait sous les témoignages concernant les vols à la foire. Décidément, cette nuit en était véritablement une à oublier ! "Chacun votre tour, sans pousser, vous irez raconter vos histoires et ce que vous avez perdu à ces gars-là !" Dit-il en pointant trois hommes d'armes. "Par contre, si vous mentez en espérant gagner quelque chose et qu'on le découvre, vous allez le regretter !" Poursuivit-il en laissant son regard planer. Soupirant, voyant que personne ne se défilait il secoua la tête. Dans la troupe amassée, il y avait certainement des menteurs qui tentaient de gagner un quelconque bénéfice du malheur des autres. "Quoi, encore ?!" Un milicien venait l'interpeller, là, maintenant, oblitérant le peu de patience qu'il avait encore. "Une femme me demande ? Moi, personnellement ?" Soupirant encore plus fortement, prêt à l'envoyer paître, Lorren regarda la masse devant lui s'agiter et s'écrier encore plus vertement son choc d'avoir été volé. Qu'importe qui était cettedite personne, finalement. Cela lui permettrait de prendre une pause imméritée. "Eugène, tu es en charge. Quelqu'un veut me voir !" Délégua-t-il sans attendre de réponse.

Arrivé à l'entrée de la caserne, il ralentit en reconnaissant la femme d'Adrien. Toutefois, ayant été aperçu, il ne put rebrousser chemin et dut se faire une raison et continuer à avancer. De toute façon, mais s'il avait voulu battre en retraite, il n'aurait eu cette chance, abordée par celle qui se jetait littéralement ou presque sur lui. L'ivrogne se morigéna d'avoir fuit l'écoute pas le moins du monde attentive qu'il offrait aux membres du peuple lésé. Il aurait dû rester face à la populace qui s'écriait et incriminait à tort tout ce qui bougeait plutôt que d'avoir à parler à celle qui passait sa vie avec son pire ennemi. "Quelle heureuse surprise." Dit-il sans cacher qu'il pensait plutôt tout le contraire. "Et moi je déteste votre époux, nous voilà avec un point commun. Comme c'est charmant, hein ?" Ses yeux écrivaient l'ensemble de son antipathie. " Vous désirez l'attention d'un homme complètement obnubilé par sa sœur ?" Il ne comprenait pas comment elle pouvait désirer cela. "Il peut être contre et me détester, mais il ne pourra pas l'empêcher." Dit-il obstinément en parlant du mariage.

Or la suite le força au silence et le poussa à la réflexion alors qu'il plissait les yeux. "il ne vous laissera pas l’épouser, vous en avez conscience n’est-ce pas ?"

Que désira-t-elle réellement ? Couard de nature, Merrick avait l'habitude d'imaginer le pire. Pourquoi venait-elle le trouver, là, maintenant ? Que cherchait-elle et que gagnerait-elle ? Aucune chance qu'elle agisse par compassion. Si réellement Adrien était assez fou et forcené pour empêcher le mariage, il n'avait pas une pléthore de solution. Pourquoi avait-il accepté celui d'Eude et d'Estelle ? Dans les faits, l'avait-il réellement accepté ? Qu'était-il réellement arrivé ? Pourquoi le signe distinctif de la famille de Miratour se trouvait sur le document permettant à un banni de rentrer dans le dernier bastion de l'humanité ? Se pouvait-il que... qu'Adrien soit assez féroce pour fomenter un meurtre ? Devant ce questionnement intérieur, Merrick Lorren pâlit. Adrien avait recruté un cannibale pour les effrayer et tenter de les séparer. Qu'elle serait la différence entre recruter un banni pour l'user comme un assassin et lui offrir à titre de gain pour ce meurtre une entrée à Marbrume ? S'imaginait-il des choses ou commençait-il à discerner la réalité du mensonge ?

S'avançant d'un pas, attrapant le bras d'Eliana, blême il parla rapidement. "Je suis prêt à discuter, mais je refuse de faire ça ailleurs qu'à la Chope Sucrée et je ne le cacherais pas à Estelle, sachez-le !" Poursuivit-il rapidement, la relâchant et la laissant fuir à sa demande. La regardant disparaître avec l'envie de vomir, il se passa les deux mains sur le visage en grognant. Est-ce que sa vie était réellement en danger ? Est-ce que le couard devrait faire preuve de courage pour réussir à survivre jusqu'à son mariage ? Allait-il fuir par peur de mourir ? Relevant les yeux vers les cieux, il ne put se retenir de proférer quelques mots pour calomnier les déités qui se moquaient de lui. "Je ne pensais pas que vous seriez si critique et si prompt à punir l'épisode du bain privé..." Il ne put proférer le moindre son supplémentaire, alors que le même milicien qui lui avait mentionné la venue d'une femme qui voulait lui parler revenait.

-"Par la Trintié, Joseph. Si c'est encore pour me dire que quelqu'un veut me voir ou pour une connerie, je te jure que je te fais fouetter..." Dit-il en se pinçant l'arête du nez et en fermant les yeux. Le milicien resta silencieux quelque temps, ne reconnaissant aucunement le coutilier lui faisant face. Où étaient le laxiste et le paresseux Merrick Lorren ? Sachant qu'il n'était guère inquiété pour la suite, tandis que l'ivrogne y trouverait son compte dans ses propos, il lui expliqua l'histoire. La mâchoire du coutilier lui tomba en entendant l'affaire qui avait eu lieu à la Chope Sucrée. Relevant les yeux de nouveau vers les cieux, il secoua la tête en injuriant la Trinité de nouveau sans oser le dire de vive voix. "Amène-moi ce connard...".

Merrick Lorren n'était pas courageux ni du genre à chercher la confrontation. Or, aujourd'hui était un jour à ne pas le chercher. De fait, même le plus doux des hommes pouvait se transformer en bête. Pour lui, cela était ce genre de jour. Entre le retour d'Eude en fangeux, la fuite d'Estelle pour le retrouver, la tentative de viol sur cette dernière, sa "défaite" face à un habitant des Faubourgs, la rencontre avec Adrien, l'admonestation de Sydonnie, l'abandon de la tenancière au pire moment pour aller travailler, le travail plus que compliqué avec les plaintes de vol, la venue d'Eliana pour le mettre en garde et maintenant ce salopard qui voulait porter plainte, il ne se maîtrisait plus le moins du monde. La frayeur qui l'habitait généralement était désormais supplantée par la colère, la haine et l'envie de mort.

L'écoutant parler, le regard de plus en plus sombre, ayant le goût de sang dans la bouche, Merrick se mit à rouler ses manches en hochant la tête à plusieurs reprises. Ici, il n'était plus le simple ivrogne qu'il pensait être. Ici, il n'était plus le coutilier, ni le jeune homme. Il n'était pas plus l'homme d'armes ou le milicien. Maintenant, il n'était même pas simplement et stupidement Merrick Lorren. Il n'était que le fiancé de celle qui souffrait à cause de l'ensemble des gens peuplant son univers. Au final, il n'était qu'une entité constituée d'une haine viscérale. Cet idiot qui avait osé déposer ses pattes sur elle n'aidait aucunement la vie d'Estelle de s'inscrire dans la paix et la sérénité. Dès lors, il était un ennemi. Ainsi, il devait expier ses péchés et non l'inverse. Jamais Merrick Lorren n'avait pensé ainsi. Potentiellement, cela ne se reproduirait plus jamais. Or, l'enchaînement des malheurs était simplement trop fort pour le voir courber l'échine. Comme il avait été dit, Estelle de Chantauvent pouvait être sa plus grande force comme sa plus grande faiblesse. En cet instant, qu'était-elle ? Était-elle synonyme de puissance ou de défaillance ? Dur à dire... toujours est-il que cet idiot lui faisant face aurait rapidement un avis sur le sujet.

-"Vous avez consommé combien de chopes ce soir ?"
-"...Hein ?"
-"Je vous ai demandé combien de consommation vous avez ingurgitée."
-"C'est quoi le rapport, j'viens déposer plainte, moi !"
-"répondez."
-"...Trois, p't’être quatre. Pourquoi ?"
-"Avez-vous payé ?"
-"R'gardez mon front ! Vous croyez qu'j'ai payé ?"
-"Très bien, très bien. Maintenant, vous allez payer."
-"...Hein ?"

-"Estelle de Chantauvent, la tenancière que vous présentez comme une putain, est ma fiancée. La femme, que vous dites de petite vertu, est ma fiancée. Quand vous l'insultez de salope, vous insultez ma fiancée. La femme sur laquelle vous avez déposé vos sales pattes est ma fiancée. La salope de putain de laquelle vous exiger réparation est aussi ma fiancée. Alors, moi, son futur époux et le coutilier que je suis, je veux que vous payiez. Est-ce suffisamment compréhensible pour votre esprit de moins que rien, d'idiot, de connard, de salopard et de sous merde que vous êtes, ou avez-vous besoin d'un dessin, sale crétin ? " dés.

La mâchoire de son vis-à-vis tomba sous la stupeur et à mesure que Merrick Lorren lui livrait ses quatre vérités. Livide, l'intimidation porta ses fruits. Glissant ses mains dans les poches en quête d'un pécule qu'il n'avait probablement pas il se mit à parler en cherchant fébrilement "J'savais pas, moi ! J'pensais qu'elle prenait tout c'qui passait ! Faut m'comprendre, m'sieur ! quelqu'un dit qu'elle était sacrément bonne. J'pensais qu'elle pas qu'elle réagirait comme ça ! Ni qu'elle était fi'ancé, quoi !"

Durant quelques instants, le regard meurtrier, Merrick resta silencieux, regardant le quidam se démener entre ses poches et ses paroles "Je peux savoir ce que vous faites ?"

-" J'cherche l'argent pour vous rembourser ?
-"Je ne veux pas de votre argent..."
Soulagé, le quidam en question offrit un sourire à l'ivrogne. "J'porterais pas plainte contre elle, c'promis !"
Hochant la tête rapidement et à plusieurs reprises, Lorren déposa sa main sur son épaule. "Je ne veux pas de votre argent, mais je ne dis pas que vous n'allez pas payer. Et puis, je sais bien que vous ne déposerez pas plainte contre elle, voyons." Dit-il d'une voix très basse. "Dans les faits, peut-être aurez-vous le courage de le faire contre moi, qui sait ?"

-"...Hein ?"

Il n'était plus le temps de déblatérer ou de parler. La colère et la haine avaient supplanté ces simagrées. Tout ce qui restait à Merrick, c'était la violence. Pour que ce couard devienne non pas courageux, mais assez fou pour se transformer en forcené, c'est qu'il avait atteint son point de rupture. À la fois puni pour ses actes, qu'exutoire pour l'ensemble de l'ignominie de la vie d'Estelle de Chantauvent, l'homme qui avait touché à son corps sans sa permission et attenté à sa réputation en la traitant de tous les noms fut attaqué. Le poing gauche de l'homme d'armes alla rencontrer son nez, rapidement suivi de son poing droit qui le frappa dans le ventre. S'en suivit une rotation d'attaque qui fit tomber son adversaire au sol, recroquevillé sur lui-même. Ne poussant pas l'agression plus loin, bien que ses pieds le démangeaient d'aller rencontrer les côtes de ce salopard, Merrick lui cracha dessus avant de retourner vers l'intérieur de la caserne, les jointures en sang.

-"EUGÈNE ! Viens ici ! Tu vas à la Chope Sucrée, maintenant, et c'est un ordre. Tu surveilles et protèges Estelle, d'accord ?"

Fronçant les sourcils, celui qui aurait été un bien meilleur coutilier que Merrick, mais qui n'avait les hauts faits d'armes de l'ivrogne, se montra hésitant. "Il se passe quoi, Lorren ?"

-"Je t'en prie. Je veux juste éviter qu'elle ne commette une autre erreur ou qu'elle ne se mette en danger."

-"Est-ce à cause d'elle si notre affectation est tombée de nuit ? Aurait-elle des problèmes ?" Eugène n'était aucunement critique envers la dame de Chantauvent. Il ne cherchait qu'à comprendre.

-"Si on veut. Bon, écoute..." Répondit-il en le prenant par l'épaule.

"Pour faire cour, je viens de battre un membre du peuple. Attends avant de parler !" Dis le coutilier, agacé de voir les yeux ronds de son vis-à-vis. "Il voulait porter plainte contre elle après qu'elle se soit défendue de ses attouchements. Bref, là n'est pas l'important. Je vais aller voir la sergente pour lui raconter ce que j'ai fait."

-Tu es dans la merde, Merrick..."

-"Peut-être ! Mais si jamais ça tourne mal et que la sergente décide de sortir le fouet où je ne sais pas, je ne veux pas voir débouler une certaine rousse qui m'est fiancée, est-ce compris ? Profites-en pour lui donner un coup de main et la faire sourire un peu, tu veux bien ? Elle n'est pas dans son assiette et elle m'a toujours dit qu'elle te trouvait très gentil." Ça, ce n'était pas le moins du monde réel. Or, si cela permettait qu'il se montre avenant à l'égard de la rouquine...

-"D'accord, d'accord. Je vais y aller. Mais que comptes-tu faire d'eux ?" Répondit Eugène en pointant la masse des gens qui voulait porter plainte pour vol.

-"Je m'en occupe, tu peux y aller. Merci." Dit-il en tapotant l'épaule de son camarade. Sans plus le regarder, Merrick se dirigea vers les devants de la foule. Les hommes d'armes ainsi que les miliciennes peinaient à contenir cette aigreur et ces gens qui quémandait justice contre des voleurs inconnus. Prenant le temps de regarder l'ensemble de cette engeance silencieusement, l'ivrogne secoua la tête. Il n'avait pas le temps de tergiverser avec cela. Il devait ramener le calme ici et maintenant, tandis qu'il avait plus gros à faire et potentiellement une rencontre avec une quelconque punition à vivre. Se juchant sur une caisse de bois, il s'évertua à attirer l'attention de tout le monde. "Écoutez-moi ! Nous avons trouvé les coupables ! Pour le moment, je vous demanderais de quitter les lieux pour que la milice puisse intervenir. Lorsque ce sera fait, nous pourrons enfin agir et tenter de récupérer ce qui a été spolié. Veuillez partir maintenant." Personne n'avait réagi lorsqu'il avait tenté de faire partir certaines personnes, tandis qu'il savait pertinemment qu'une frange de cette masse tentait de gagner quelque chose qu'il n'avait jamais perdu et qui n'avait jamais été dérobé. Or, cette fois-ci, la masse écouta, ronchonnant très certainement, mais se dispersant en tout sens. Était-ce à cause de l'éclat de folie qui pointait encore au travers de ses iris ? Peut-être... ou alors, ils avaient cru ses paroles, mettant leur confiance dans un insipide et bien stupide ivrogne, allez savoir... [url=https://marbrume.forumactif.com/t4463p690-l-antre-du-lancer-de-des#98691]dés.[/url]

◈ ◈ ◈

Arrivé au bureau de sa sergente, Merrick frappa avant de rentrer. "Bon matin, sergente." Dehors, il faisait encore noir alors que l'un et l'autre étaient encore au travail. Lui, parce qu'il avait demandé à changer l'heure de l'affectation de son groupe. Elle ? Peut-être parce qu'elle s'abrutissait dans le travail ? S'approchant du bureau, vidé de toute énergie, il ne prit même pas la peine de passer une main dans sa chevelure dépeignée. Les jointures toujours en sang, ses mains restaient fermés pour former des poings. "Je pense avoir une piste pour les voleurs." De fait, Merrick avait fait fonctionner son esprit alangui par la haine en cheminant vers la gradée. Ayant décidé de lui offrir une piste qui pouvait être prise comme une bonne nouvelle avant de lui parler de son..."erreur", l'homme d'armes avait fait fonctionner son esprit comme jamais. "Un peu plus tôt dans la soirée, j'ai traversé la foire avec Estelle. J'ai été plus que surpris à plusieurs moments de la gratuité de la festivité. Des cracheurs de feu qui se présentent en spectacle sans demander un quelconque bénéfice, une voyante qui ne demandent pas d'argent pour lire les lignes de votre main et que sais-je encore... bref. Je pense définir que le coupable est la troupe elle-même. Elle attire la masse et s'assure qu'elle soit occupée à regarder les spectacles pour leur faire les poches. La troupe se fait appeler les incongrus". Termina-t-il. À dire vrai, sa réflexion était plus que sensée et plausible. Certes, il n'avait pas compris que les voleurs étaient les enfants qu'il avait vus en nombre. Cependant, les deux étaient peut-être et probablement liés, non ?

-"Vous faites des heures supplémentaires ?" N'attendant pas réellement une réponse, il secoua la tête et préféra en venir au plus important. " Avant que vous receviez une plainte sur votre bureau, je tiens à vous annoncer que je viens de battre un membre du peuple. Il venait déposer une plainte contre Estelle de Chantauvent alors qu'il a tenté de profiter d'elle et qu'il l'insultait. Si vous voulez me punir, je comprendrais. Par contre, si nous pouvions éviter le visage et le fait que je sois défiguré comme vous en avez parlé précédemment, ça serait apprécié." Merrick aurait voulu être droit et fier dans sa tirade. Or, le courage qu'il avait eu, qui avait pris racine dans sa haine, avait complètement disparu. Pâle et blême, l'ivrogne était de nouveau lui-même. Ne s'emportant plus, il semblait plutôt empoté. "Si jamais nous en arrivons au fouet, auriez-vous une goutte d'alcool dans ce bureau, avant, sergente ?" Jamais il n'aurait osé faire pareil demande précédemment. Or, jamais il n'aurait cru pousser le forfait jusqu'à une quelconque punition ultérieurement...

◈ ◈ ◈

Eugène était apparu à la Chope Sucrée suite à la "mission" que lui avait donnée Merrick Lorren. Fouillant la salle du regard en quête de la crinière rousse qui se déplaçait habituellement dans la salle, il finit par la trouver et se diriger vers elle. Se faisant, il ne put s'empêcher de la trouver peut-être un peu plus lente et éteinte qu'habituellement. Se fourvoyait-il ou y avait-il une pointe de véracité dans sa perception ? "Bonsoir, Estelle ! Comment vas-tu ?" Lui demanda-t-il dans un sourire. "Puis-je t'aider, peut-être ? Je devrais être en mesure de faire le service, non ?"

Ledit milicien était un homme intègre, sensé et honnête. Toutefois, ce dernier avait un défaut qui transparaissait en l'instant. Incapable de mentir ou de cacher la moindre information, il tentait de faire bonne figure auprès de la dame de Chantauvent, sans être en mesure de cacher son air soucieux. En outre, comment expliquer sa présence, alors que la jeune femme devait trouver étrange de le voir apparaître, là, maintenant, alors qu'il aurait dû être en fonction avec son futur époux. Réalisant ce "petit problème" il tenta de s'expliquer. "Merrick à décidé de faire le travail pour deux ! Il m'a donc donné la fin de ma nuit et je me suis dit que je pourrais passer ici pour peut-être t'aider." Se rendait-il compte que son mensonge était difficile à croire ? Après tout, dans quel monde l'ineffable ivrogne irait travailler pour deux personnes, alors qu'il n'effectuait presque pas la tâche pour un ? En outre, depuis quand lui-même viendrait dans une auberge plutôt que de rejoindre sa femme ? "J'espère que tu n'as pas trop mal vécu, l'épisode avec le mécréant qui a osé te toucher... sache que c'est réglé !" Énième erreur de ce pauvre et bon Eugène... comment pouvait-il déjà être au courant ? "Bon, je peux t'aider ?"

Si jamais Estelle de Chantauvent le questionnait un peu plus férocement, le milicien finirait par lui livrer l'ensemble de l'histoire et les agissements du coutilier. Après tout, il ne cautionnait aucunement les mensonges et Eugène pensait qu'un couple devait tout se dire. Son regard fuyant et son sourire forcé semblaient démontrer son mal-être vis-à-vis de ce qu'il proférait. Comment le percevrait Estelle ? Allez savoir...

◈ ◈ ◈

Au bout de la nuit et au lever du jour, Punition ou non, arrivée d'Estelle de Chantauvent à la caserne ou non, Merrick Lorren finirait par rentrer à la Chope Sucrée. Sans chercher à savoir si la jeune femme dormait ou n'était qu'étendue , il se coucherait à ses côtés et l'enserrerait dans son étreinte. Silencieux et muet pour ne pas la déranger, il s'endormirait. Que se soit assoupis par la fatigue de son devoir ou part la douleur de ses fautes, il se laisserait vaincre par Morphée, voulant oublier cette nuit qui l'avait bercé d'ignominie en ignominie. Que leur offrirait le lendemain ?

Pour l'heure et en l'instant, nul ne le sait...


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Sydonnie de RivefièreSergente
Sydonnie de Rivefière



Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyDim 7 Juin 2020 - 0:59


- « Je n’en doute pas une seconde, Lorren » souffla la noiraude en glissant un bras sous sa poitrine, un sourire en coin.

La patience n’était clairement pas une qualité de la sergente, bien au contraire, elle n’aimait pas attendre ni faire attendre, bien qu’elle est déjà montrée à de nombreuses reprises un véritable problème avec la ponctualité. Avisant Estelle de Chantauvent, n sourire doux vis-à-vis de la tenancière, un regard compréhensif qui avait rapidement finit par transformer en avisant son coutilier. Froideur, sévérité, la gradée ne savait plus réellement quoi faire pour faire devenir cette chose incompétente en un homme digne et redoutable. Laissant un soupir fuir ses lèvres, elle avait néanmoins eut la politesse d’attendre qu’Estelle s’échappe pour tenter de le recadrer, ou tout du moins, essayer. Son regard c’était fait plus neutre, alors qu’elle argumentait pour le faire réagir, sans succès, la noiraude était bien moins redoutable que son coutilier dans l’utilisation des mots. Aucun grognement, aucune démonstration de sa colère, Sydonnie restait égale à elle-même, inexpressif, exigeante et le regard teinté de cette froideur perpétuelle.


- « Ce n’est guère votre genre, en effet » reprit-elle « Dépêchez-vous, je vous attends et évitez de vous perdre dans vos déclarations d’amour, si je pouvais éviter de vomir dès le début de soirée, cela m’arrangerait. »

Comme une mère attendant son petit, comme une mère reprenant l’éducation, Sydonnie attendait, sagement, ou plutôt activement. Ses pensées étaient préoccupées, par une multitude d’éléments qui ne concernait pas nécessairement Merrick Lorren, bien que fallait-il bien admettre que cet homme avait le don pour lui donner davantage de travail. Les hommes sous ses ordres, elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux, sans doute même plus. Se voyait-elle responsable de leur vie ou de leur mort, c’est elle qui devrait annoncer la perte d’un membre de son équipe à sa famille, si perte il devait bien entendu à voir. De ce fait, bien qu’elle ne montrait que très rarement son attachement, la jeune femme s’appliquait à connaître chacun d’entre eux, de près ou de loin, dans l’ombre ou de manière parfaitement officielle. Merrick Lorren était un peu le mouton noir de la bande… Celui qui nageait toujours à contre sens volontairement ou non, celui qui ne se précipitait pas pour réaliser les missions les plus honorables au contraire. Lui, il choisissait en permanence la mission la plus ennuyante possible, celle dont personne ne veut, celle qui n’amène aucune reconnaissance, mais surtout qui ne met aucunement en danger son petit cul de nouvellement coutilier. Il était celui astiquant les boxes, celui qui traînait dans les cantines un verre à la main en faisant mine d’être parfaitement occupé, celui qui proposait un entraînement à sa coutillerie sans véritablement y participer. Oui, ne fallait-il bien évidemment pas risquer de voir son minois de séducteur abîmer par une quelconque maladresse de ses collègues.

Pourtant, il y avait chez lui un fait particulier qui justifiait toute l’attention qu’elle lui portait. Merrick Lorren n’était pas un ripou et n’avait jamais succombé à cette facilité qui aurait pu le faire grimper rapidement les échelons, contrairement à d’autres qu’elle ferait tomber sous peu. C’est cet élément, seul atout en sa faveur qui contrebalançait avec sa liste de défaut bien plus longue que la rue des hydres elle-même. Impatiente, elle n’en restait pas moins préoccupée par sa propre mission qui l’attendait, une coutilerie entière avait disparu, mission particulièrement dangereuse… Bien évidemment, unique sergente femme et blessée par la fange, elle avait été toute désignée pour être volontaire à la tâche. Voyait-elle ça comme un signe d’enfin espérer que tout s’arrête… Raison pour laquelle ce soir encore plus que les autres soirs elle devait faire comprendre à Lorren que milicien n’était pas une planque, mais une véritable preuve de mérite, de courage et d’utilité publique. Sentant sa gorge se nouer à l’idée peut-être de mourir, ou simplement vis-à-vis de cet objectif presque impossible, elle s’impatienta définitivement afin d’entrer, découvrant les deux futurs époux dans une proximité qu’elle aurait pu presque jalouser sur l’instant.

Laissant néanmoins le couple s’éloigner puis se séparer, elle avait repris sa marche avec le coutilier, non sans se mettre à rire alors qu’il évoquait le fait d’être triste de son départ. Secouant doucement la tête de droite à gauche, réprimant une grimace que les mouvements provoquaient le long de son dos, elle ne put que clôturer son geste dans un roulement des yeux bien loin d’être discrète.


- « Allons, Lorren, ne me faites pas rire, vous savez tout aussi bien que je le sais que ma mort vous réjouirait. Je crois que c’est presque naturel de détester ses supérieurs, vos hommes doivent autant envier votre place que vous la mienne. Faites attention, qui sait ce que certains sont capables de faire pour progresser…» une mise en garde sans sous-entendu, mais sincère, elle-même en tant que femme coutilière avait vécu des étapes bien particulières « Deviendrez-vous devin Coutilier ? » poursuivit-elle en rentrant dans son jeu « Évidemment, pour quelle autre raison vous confierais-je une mission intéressante ? Vos compétences ne me semblent pas avoir progressé… C’est que je n’ai personne d’autre sur la main, bravo pour votre sens de la déduction, je pourrais presque applaudir.»

La vérité ? C’est qu’elle avait bien évidemment choisi de lui confier cette tâche particulière, la mission dont personne ne voulait fut imposée à un autre groupe qui ne s’était pas gêné pour notifier leur désaccord. L’ensemble fut rapidement repris en main par la sergente qui n’avait pas hésité à sanctionner ceux qui osaient encore de temps à autre se rebeller contre sa fonction et ses décisions. La suite, bien que très maladroite n’était pas nécessaire aussi violent que ce qu’elle perçut en le formulant, jetant un bref regard du coin de l’œil à son coutilier, elle ne put que visualiser sa colère. Merrick Lorren était-il véritablement amoureux de cette rouquine ? C’était presque insensé pour la sergente qui n’avait de cesse d’entendre des rumeurs le concernant : un véritable petit lapin. Mh, allait-elle devoir faire plus attention à ses paroles. Lorsqu’il évoqua qu’il n’y avait aucune fierté à aimer quelqu’un, elle se pinça les lèvres.

- « Au contraire Lorren… Aimer, c’est la seule chose que les Trois nous laissent encore de joyeux en ce royaume. Bien que je vous l’accorde volontiers, l’alcool aussi. » elle étira ses lèvres un infime moment « Il faut être sacrément courageux pour s’engager encore de nos jours, dans une relation j’attends… Je ne pensais pas que vous étiez sincèrement attaché à votre rouquine. Navrée pour ma maladresse. »

Sydonnie pouvait être vicieuse, elle pouvait piquer, secouer, mais il restait néanmoins des limites qu’elle se refusait de franchir. Si l’homme qui se trouvait à côté d’elle avait réellement l’intention de s’engager vis-à-vis de la tenancière, alors, elle n’avait aucune raison de continuer à le malmener au sujet de ses nombreuses ‘écartades’ de cuisses dont il avait pu être le commanditaire. Quand il la nomma par son grade, elle s’immobilisa un instant, le détaillant de haut en bas, tendant la main pour récupérer l’ensemble, elle fronça les sourcils en remarquant un morceau manquant. Opinant simplement, son regard sembla se teindre dans une étrange étincelle alors qu’il évoquait que l’homme était un banni… Son cœur comme à chaque fois qu’on évoquait la mort d’un marqué semblait manquer un battement, craignant toujours de découvrir Chris, un jour, quelque part. Sans corps, pas de mort, donc encore un peu d’espoir.

- « Il manquait aussi ce morceau-là ? » fit-elle en montrant l’emplacement « Pourriez-vous me le décrire votre banni ? Physiquement j’entends… » questionna-t-elle le plus naturellement du monde « Après ce soir, vous profiterez de quelques jours de repos, puis, avec votre coutillerie, durant mon absence vous irez dans les égouts voir ce que vous trouvez à ce sujet Lorren. N’en parlez pas cependant avec les autres coutillerie, il y a deux trois choses que je devrais régler en rentrant de ma mission. »

Elle l’avait dit dans sa tonalité habituelle, bien que durant un bref instant, ses pensées semblèrent devenir plus brouillonnes. L’inquiétude pour Chris étant resurgie du tréfonds de ses souvenirs. N’aurait-elle pas cru que ce fut une nouvelle fois, Merrick Lorren qui vint à sa noyade intérieure, alors qu’il osait la questionner sur un sujet qui semblait plus profond que ce qu’il laissait entendre.

- « Allez y Lorren. » fit-elle avant de secouer la tête « Je ne suis pas certaine que vous vouliez réellement entendre la réponse. Je ne l’ai pas vraiment côtoyé, pour être honnête, je le fuyais même… Chaque femme dans la milice le connaissait.» elle avait insisté sur le mot femme « Et pas pour être un homme doux ou protecteur si vous voyez ce que je veux dire » admit-elle en glissant une main derrière sa nuque « Je ne sais pas grand-chose de lui, mais je peux me renseigner si c’est important ? » elle lui tendait une perche véritablement « Dans mes souvenirs il a disparu du jour au lendemain et personne n’a véritablement cherché la raison, pourtant il allait devenir sergent sous peu, c’est ce que les murmures racontaient. Il était un peu comme vous, sans offense » poursuivit-elle « Un véritable coureur de jupons, c’était un fait reconnu, sauf de sa femme, je crois… Elles sont souvent les dernières au courant de toute façon, je crois, était-ce sans doute mieux pour elle aussi. » elle se pince les lèvres « Quoi qu’il en soit, je n’en sais pas plus, si vous voulez mon point de vue personnel, je vous dirais que c’était une ordure, si vous interrogez un autre sergent, masculin de préférence, il vous dirait que c’était un homme exceptionnel. Je suis certaine qu’il trempait dans des affaires louches et je ne parle pas que du cul de certaines catins. »

Elle s’immobilise simplement, clôturant sans doute un peu de cette manière la conversation, il était plus que temps qu’il attaque son travail et la foule qui se dessinait au loin n’attendait que lui pour être interrogé et pour que les informations soient traitées, elle s’attendait à le voir disparaître, mais non, avait-il fallu qu’il se retourne pour évoquer Roland. Comme à chaque fois, elle restait droite, neutre, insensible alors qu’en son for intérieur elle s’écroulait avec l’impression que quelqu’un venait la poignarder à de nombreuses reprises. Il ne faisait pas à mal, évidemment, mais c’était trop tôt, trop dur, trop…. Tout pour qu’elle l’accepte. Bien évidemment, elle s’était complètement refermée, pour ne pas prendre en considération les premières paroles de Merrick, préférant s’attarder sur la fin.

- « Allons, Lorren, je vais finir par croire que vous m’appréciez à force de le dire. Je vous promets de revenir pour vous botter les fesses rapidement, je ne vais tout de même pas vous laisser prendre ma place aussi vite et simplement. Il va falloir batailler plus durement Lorren. Dépêchez-vous, vous avez du travail. »

Ils s’étaient séparés ici, lui pour faire sa mission, elle pour retrouver le confort de son bureau, où elle ravagerait sans doute tout de rage en pensant à celui qui l’avait lâchement abandonnée, qui s’était donné la mort pour quoi ? Pour qui ?


De sa fenêtre, la sergente avisait la gestion de l’ensemble, ne fut-elle aucunement Merrick voir fuir ses responsabilités pour s’entretenir avec une femme. Elle qui avait cru l’espace d’un instant qu’il s’était rangé, révisa presque immédiatement son jugement. Quittant le l’inconfort de la pièce sens dessus dessous, elle descendit avec lenteur les marches pour rejoindre le camp d’entraînement, là où s’agglutinait bien évidemment l’ensemble des victimes, charlatans et témoin. Faisant signe au milicien qu’elle avait vu prévenir Lorren, elle n’avait pu s’empêcher de l’interroger sur l’identité de la très charmante créature avec laquelle il conversait, en l’absence de réponse ou d’information, elle se promit de faire elle-même les recherches. Prêtant renfort à l’ensemble débordé, elle n’eut que la désagréable surprise de voir qu’encore une fois, une problématique s’installait.

Prenant le temps de s’entretenir avec celui dont la bosse était imposante sur son crâne et dont l’œil noircissait déjà, elle ne put que davantage froncer les sourcils. Comprenant sans doute la problématique, elle fit signe au fameux milicien de faire prévenir Lorren.


- « Une fois que je serais remontée, faites signe à Lorren de venir prendre la déposition de ce charmant monsieur » souffla-t-elle dans un sourire « Une plainte contre Estelle de Chantauvent, évitez de lui dire que j’ai déjà pris les devants. »

L’homme opina à plusieurs reprises avant d’entraîner bien évidemment l’individu jusqu’au coutilier. Sydonnie de son côté était remonté afin de traiter les différents documents administratifs qu’engendrait sa mission à venir. Des grimaces s’affichaient régulièrement sur les traits de son visage, la situation était bien pire que ce qu’elle avait imaginé.



Sydonnie était installée derrière son bureau se massant doucement du bout de doigt chaque côté de sa tête, son visage était particulièrement fermé, alors que face à elle se retrouvait l’homme qui peut de temps auparavant souhaité porter plainte contre nulle autre qu’Estelle de Chantauvent. Écoutant le récit, opinant à de nombreuses reprises, la sergente ne laissait aucune transparaître le fond de sa pensée, pire, prenait-elle à de nombreuses reprises des inspirations, alors que les douleurs de son dos se faisaient de plus en plus présentes. L’homme crachait un filet de sang, sa voix montait dans les graves alors qu’il exigeait réparation sur le seul nom qu’il avait entendu jusque-là : Merrick Lorren, coutilier. S’enfonçant dans sa chaise, les mains jointes devant elle, la sergente afficha finalement un sourire particulier mauvais sur les lèvres.

- « Réparation sera faite bien évidemment » début-elle devant la satisfaction du mécréant complètement défiguré « Agression sur un membre de la milice en fonction, je ne peux bien évidemment pas laisser passer, vous me comprendrez aisément ? »
- « Que..quoi ?! » fit-il en bondissant de sa chaise alors que deux miliciens derrière lui venait de lui bloquer le chemin « J’ai deux témoins, monsieur. Qui attestent vous avoir vu agresser mademoiselle de Chantauvent, puis ensuite son futur époux, le coutilier Lorren. Visiblement trop contrarié d’avoir vu vos avances repoussées vous avez décidé de vous venger sur le bientôt mari. »
- « Mais… Mais… Des témoins ? Chienne! » s’offusqua-t-il en levant le poing « Agression sur une gradée de la milice, maintenant ? Mais c’est vous qu’avez décidé de vous enfoncer. Emmenez-moi cet homme dans les geôles pour cinq nuits et n’hésitez pas à lui faire comprendre que la chienne que je suis ne lui sucera jamais la queue. »

Bien évidemment il c’était débattu, mais que pouvait-il bien faire dans son état face à deux miliciens qui le traînèrent non sans attendre directement dans les cachots, le rouant de coup jusqu’à le faire perdre connaissance. Ce n’était aucunement une faveur qu’elle faisait à Merrick Lorren, s’assurait-elle que la Loi était respectée, pour une fois, elle n’avait rien à lui reproché et avait presque trouvé sa réputation légitime, il n’était pas obligé de connaître son intervention de toute façon.


Le matin n’avait pas encore commencé à se lever, mais les traits tirés de la noiraude laissaient parfaitement voir que c’était bien plus qu’une nuit de sommeil qui lui manquait. À force de retourner son bureau, avait-elle dû consentir a le ranger et ce qu’elle était en train de faire lorsque le coutilier fit son apparition. Lâchant un soupir, elle l’invita d’un signe de la main à s’installer, alors qu’elle contournait le bois de son lieu de travail pour retrouver l’inconfort de sa chaise. L’ensemble était encore un peu désordonné quoique au moins ne voyait-on plus que c’était parce qu’elle avait tout jeté à droite à gauche, sous une trop forte colère qu’elle n’avait aucunement su maîtriser.

- « Merrick Lorren, qu’elle drôle de surprise, je vais finir par croire que vous ne pouvez plus vous passer de moi… » souffla-t-elle visiblement fatiguée « Je vous écoute. »

Ne s’était-elle aucunement attendue à le voir faire son travail… Pire, avoir une piste sérieuse, elle avait volontiers imaginé qu’il prendrait l’ensemble des plaintes, mais de là à ce qu’il traite l’ensemble, pas vraiment. Merrick n’allait que rarement au bout des choses, mieux, si il pouvait transférer la charge de travail a d’autre, il le faisait.

- « Vous devriez travailler plus souvent de nuit Lorren… » fit-elle en attrapant un parchemin pour noter les éléments « La troupe devrait repartir dans les jours prochains, ma demande va vous surprendre, j’en ai bien conscience, mais… Avez-vous notifié des vols importants ? Réellement j’entends ? » elle se pinça les lèvres avant de se redresser « Parfois quelques sacrifices sont nécessaire pour le plus grand nombre… Vous qui avez été là-bas, y avait-il du monde, la population avait-elle l’air de s’amuser ? Si nous malmenons cette troupe ne reviendra-t-elle jamais, je suppose. »

Dos à lui, avisant la fenêtre, elle fut une nouvelle surprise. Son aveu venait une nouvelle fois prouver qu’elle ne s’était pas trompée à son sujet, Merrick Lorren était un homme bien, avec sa quantité de défauts, mais il était loyal et plutôt honnête. Fronçant les sourcils, la sergente resta néanmoins dans ce qui lui semblait important, ne pas montrer qu’elle l’avait protégé.


- « Je ne vois pas de quoi vous parlez Lorren, vous avez dû forcer sur la bouteille encore une fois… Boire en service, c’est grave coutilier » fit-elle en pivotant vers lui « Vos collègues m’ont en effet informés de votre altercation, l’homme vous aurez agressé violemment vous et votre compagne. J’ai pris la déposition des témoins tout à l’heure… Cependant, vous en vous doutez, je ne peux pas laisser votre manquement passer. »

Sortant une bouteille de son tiroir ainsi que deux verres, remplissant les deux récipients, elle en poussa un vers Merrick Lorren.

- « Pourriez-vous me répondre honnêtement, coutilier ? » demanda-t-elle « Estelle, c’est du sérieux où simplement un de vos nombreux passe-temps ? N’allez pas croire que cela vous évitera la sanction. »

Elle se redressa, ouvrit un autre placard pour en ressortir son fouet, un sourire sur les lèvres. Non, elle ne serait pas la sergente agréable, non elle ne serait pas celle qui dévoile qu’elle aide, non… À lui de jouer dans la cour des grands désormais et d’assumer ses actes.

- « Retirez votre chemise Merrick, cela évitera de la tacher et suivez-moi. »

Son verre elle l’avait avalé rapidement en se relevant alors qu’elle avançait dans les couleurs, descendant les marches pour se diriger vers les geôles, finalement, elle bifurqua au dernier moment pour atterrir dans la cour, au niveau du coin des sanctions. Laissant couler son regard vers le coutilier elle fit un signe de tête vers lui et attendit le dernier moment pour le retenir et glisser le fouet dans sa main.

- « Je vous présente Julien Fumé, monsieur Lorren, d’après nos enquêtes il s’agirait d’un trafiquant d’herbe reconnu, il fournirait même certains membres de la noblesse, petite noblesse et bourgeoisie… Plante pour empêcher les femmes de tomber enceintes ou pour perdre volontairement l’enfant, drogue en tout genre, il est aussi connu de nos amis les catins qui abusent de certaines odeurs pour oublier la nuit de travail qu’elles viennent de passer et… Si vous confirmez, il s’agit de l’homme vous ayant agressé et ayant agressé votre compagne. La sanction vous appartient donc, monsieur Lorren. »

Il n’était jamais simple de devenir le bourreau, jamais simple de trouver le courage de sanctionner, de regarder un homme hurler, supplier pour que cela s’arrête tout en étant la source du mal le rongeant. C’était un fait que la noiraude avait fini par approuver, appréciant comme une drogue cette sensation de pouvoir que l’acte en lui-même lui procurait, elle n’était cependant pas certaine qu’il en soit de même pour le brave Lorren. Déposant une main sur son épaule, elle était venue simplement murmurer à son oreille :

- « Toute action à des conséquences Merrick, toute prise de fonction implique des responsabilités. Bonne première fois et si vous ne prenez pas les devants, si vous ne prenez pas avant qu’on vous prenne, c’est votre tête qui roulera de l’autre côté des remparts, pas celle de vos ennemis. »

Elle c’était éloignée, le laissant maître de l’instant, de ce moment, celui qui avait fait son apparition, le dos dénudé, à genou face au mur, les poignets liés ne pouvaient que subir avant de retrouver les geôles. Les premières fois qu’elle avait dû sanctionner, il avait s’agit d’une femme, elle était innocente, elle avait parfaitement conscience, mais pour monter, fallait-il parfois accepter l’inacceptable et ce qui ne tuait pas, ne pouvait que rendre plus fort. C’était cependant le combat de Merrick Lorren, était-elle convaincu que pour faire de lui un bon milicien, devait-il accepter le fait que les choix les plus justes n’étaient pas nécessairement les bons pour le plus grand nombre. Ainsi, c’était désormais à lui de sanctionner, de réajuster. Elle ? Elle avait déjà fait son rapport, il n’écoperait d’aucune sanction.



Dernière édition par Sydonnie de Rivefière le Dim 7 Juin 2020 - 11:38, édité 1 fois
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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyDim 7 Juin 2020 - 1:11


La chope était particulièrement agitée ce soir-là, malgré la fatigue d’Estelle et son besoin de repos qu’elle tentait de mettre inévitablement de côté sans jamais y parvenir. Les clients avaient répondu présents, bien trop heureux de voir l’établissement de la place des chevaliers de nouveau ouvert, chacun y allait de son avis concernant la fermeture de temps à autre, qu’Estelle évitait soigneusement en prétendant avoir été bien malade. Courant un peu partout pour ne pas faire attendre trop longtemps les clients, avait-elle depuis bien longtemps faire preuve de violence pour se défendre d’un homme un peu trop entreprenant. S’était-elle retrouvée bloqué contre la porte menant à sa cuisine, une main montant le long de ses cuisses, parvenant à se dégager grâce à l’aide d’habitué, elle avait bien évidemment réagi au quart de tour, le cœur tambourinant à l’intérieur de sa poitrine avec Brigitte. L’individu avait fini par fuir, ou plutôt par être mis dehors par les habitués, jurant à qui voulait bien l’entendre que cela ne se passerait pas comme ça et que la milice entendrait parler de cette affaire. Sans réellement s’en soucier, la tenancière avait offert à chaque personne présente un verre pour s’excuser afin de relancer l’ambiance qui ne s’était pas fait prier pour revenir.

Appuyer contre son comptoir, le cœur encore tambourinant, elle culpabilisait déjà, de cette manière presque naturelle, presque honteuse. Était-ce sans doute de sa faute si le client avait vu une ouverture, avait-elle trop souri ? À moins que ce ne soit sa jupe qui dévoilait trop ses chevilles ? Sa chevelure mal peigné qui lui avait laissé penser que contre quelques pièces elle pourrait offrir plus ? Les yeux dans le vague, détaillant l’ensemble de ses clients pour s’assurer que tout allait bien, elle ne put que soupirer. Merrick allait lui en vouloir, c’était obligatoire à ses yeux, elle qui avait une nouvelle malgré elle laisser un homme l’a touché. La gorge désormais nouée et le sourire moins omniprésent, la tenancière n’eut néanmoins pas le temps d’y réfléchir, s’activant à la fois en cuisine, au service et pour ses aller/retour entre la cave et la pièce principale pour remonter les bouteilles qui se faisaient de plus en plus rares. C’est durant cet aller-retour qu’elle fut surprise de voir Eugène arriver… Bien évidemment dans toute sa naïveté s’attendait elle à voir Merrick, imaginant déjà que la mission était terminée et que de ce fait son coutilier aller rentrer. Sans prendre le temps de répondre au milicien qui se trouvait devant elle, la Chantauvent ne put que balayer la salle des yeux avec cette envie parfaitement visible.


- « Merrick n’est pas là ? » l’interrogea-t-elle avant de percevoir sa maladresse « Excuse-moi Eugène, je suis contente de te voir… Mais...Oui, oui bien sûr si tu as du temps avec la foule, j’admets qu’un petit coup de… »

Quelque chose clochait, au moment où elle formulait sa phrase Estelle le perçut immédiatement. Bien évidemment marqué à vie par les événements de son passé, imaginait-elle déjà le pire tout en dévisageant le milicien qui aurait dû se trouver avec Merrick. Une multitude de questions à l’esprit, tâchant de faire le tri pour ne pas paraître trop oppressante, elle n’eut pas le temps de formuler quoi que ce soit que déjà l’homme d’armes tentait d’argumenter, de justifier sa présence. Merrick, travaillé pour deux… Glissant une main dans sa chevelure, se massant l’arrière du crâne, la Chantauvent ne semblait pas très franchement convaincu. Puis l’affaire se corsa drastiquement, alors qu’Eugène semblait avoir dans l’idée de creuser sa tombe pendant que la rouquine n’entendait déjà plus qu’un mot sur deux tant et si fortement que son esprit s’embrumait de supposition toutes plus dramatiques les unes que les autres.

- « Comment es-tu ?... » souffla du bout des lèvres « Non tu ne peux… » puis avisant sa salle et les mains qui se levaient encore et encore pour passer commande, la rousse du bien se résoudre « Eugène, promets-moi que Merrick va bien ? Il est vivant n'est-ce pas ?! »

Évidemment l’homme ne pouvait pas lui promette que Merrick allait bien, même il s’était rattaché au fait que le coutilier était bien vivant. La noiraude n’allait tout de même pas le faire tuer pour si peu, si ? Roulant des épaules, il avait fini par se mettre au travail, fuyant bien évidemment la Chantauvent le plus possible qui essayait lors de bref échange d’en savoir davantage. La foule était bien trop présente pour permettre un véritable échange et ce ne fut qu’une fois les pieds terriblement douloureux et le dernier client parti, que la tenancière attrapa le bras de Eugène pour le retenir.

- « Attends, laisse-moi au moins te remercier tu veux ? Tu prends un verre avec moi et en même temps tu vas m’expliquer pourquoi Merrick t’a envoyé ici, c’est lui n’est-ce pas ? J’ai retourné ça dans ma tête toute la soirée, même si tu es très agréable Eugène, je doute que tu viennes m’aider gratuitement comme ça… »

Servant un verre qu’il ne s’était pas senti de refuser, Eugène lui avait bien évidemment tout raconté, visiblement touchée de constater la détresse dans le regard de la Chantauvent. L’ensemble ne put que conforter ce doute, cette inquiétude et cette culpabilité déjà bien trop présente dans son esprit… Si bien qu’elle en arrivait à penser qu’elle n’était pas une si bonne chose que ça pour l’homme d’armes qu’elle aimait pourtant éperdument. Cela suffisait-il seulement ? Après plusieurs verres, Eugène avait fini par disparaître. Désormais seule dans sa chope sucrée, Estelle fondit en larme, se laissant glisser derrière son comptoir. C’était sans doute trop, beaucoup trop pour ses petites épaules. La bouteille s’acheva sans même qu’elle s’en aperçoive, ivre elle avait fini par l’être en voulant attendre Merrick Lorren, lui qui n’arrivait pas. Rentrerait-il seulement ?

Abandonnant le cadavre sur le comptoir, avançant difficilement entre les tables qu’elle commençait enfin à nettoyer, Estelle tentait de gagner du temps pour reculer l’heure où elle irait se coucher, finalement, elle avait fini par rejoindre sa couche, vide de lui. L’ensemble des bougies éteintes, la porte non fermée, elle s’était endormie là, complètement ivre craignant le pire, craignant qu’il ne rentre pas, qu’on frappe à sa porte pour lui annoncer sa mort.

Ce fut après un long moment qu’elle sentit quelqu’un rejoindre son lit, si bien qu’en l’avisant, désormais rassurée, elle ne put que rapidement se blottir contre lui. En principe, elle aurait dû se lever, le soleil était déjà levé, mais elle n’y parvint pas. Déjà avait-elle l’atroce sensation que sa tête allait exploser, mais surtout avait-elle envie de profiter de lui. Ainsi, Estelle resta un long moment allongée contre lui, sans parvenir à replonger dans le sommeil, l’avisant dormir, une main caressant son visage ou ses cheveux. Tout en douceur, elle avait vérifié qu’il n’était pas blessé, qu’il ne tentait pas de lui cacher quoique ce soit, ce ne fut qu’après ça, qu’elle se releva le plus lentement possible, remontant les draps sur la silhouette masculine, lui murmurant un je t’aime avant de prendre de quoi se préparer.

Dans la salle d’eau, elle ne put que se brosser les cheveux, enfiler une jupe, sa chemise, son corset, laçant l’ensemble avec difficulté. Un bref passage d’eau sur son corps avant tout ça et elle était descendu. Il ne faisait pas suffisamment froid pour faire, un feu, alors elle n’en fit pas afin d’économiser le bois, elle repensait bien évidemment à la conversation qu’elle avait eu avec Merrick au sujet de son besoin de participer, sans être prête à réellement l’accepter. Un petit feu fut finalement fait, de quoi cuisiner, lui préparer un repas à base de poisson, tout en préparant un potage pour les clients. Elle avait eu le temps d’aller le long du port, d’acheter de quoi réaliser l’ensemble et de se mettre au travail.

La clochette de l’établissement avait fini par se faire entendre, l’obligeant à sortir pour voir de quoi il s’agissait, son cœur manqua un battement en détaillant la silhouette de son frère, qui se trouvait là à quelque pas devant elle.


- « Bonjour Estelle » fit-il avec lenteur en faisant un pas, alors qu’elle reculait déjà
- « Adrien, tu n’es plus le bienvenu ici » pesta-t-elle en glissant une main sous son comptoir pour récupérer Brigitte
- « Ton milicien n’est pas là ? » confirma-t-il plus qu’il ne questionnait en le cherchant du regard « Bien, cela tombe bien, je voulais te parler seul à seul, en tant que client du coup, tu me sers un verre. »
- « Dehors » grogna-t-elle en empoignant sa poêle sans pour autant la sortir
- « Allons Estelle… Je suis ton frère quand même. Bien, j’ai fait des recherches, je voulais t’épargner la honte de ta petite cérémonie de mariage. Tu ne veux vraiment pas savoir ce que j’ai trouvé ? Si ton coutilier avait des enfants, cela ne changerait absolument rien à tes yeux ?»

Ce fut un silence, lourd et pesant alors que tout semblait s’entrechoquer dans l’esprit de la Chantauvent, Adrien ne pouvait être qu’un menteur, Merrick l’aurait bien évidemment informé si telle chose existait. Il n’en voulait pas, enfin si, mais non et… Fronçant les sourcils alors qu’elle allait reprendre la parole, elle fut coupée presque immédiatement :

- « Voyons Estelle, ne me dit pas que tu es si naïve à ce point ? Un homme qui court la gueuse, qui glisse son précieux trophée entre toutes les cuisses et qui n’a jamais le moindre petit lui qui pointe le bout de son nez ? Qui penses-tu qu’il choisira, la maîtresse avec son enfant, la chair de sa chair… où toi ? Je te laisse y réfléchir, Estelle, mais compte sur moi pour le mettre au courant de cet état de fait, si ce n’est pas sa conquête d’un soir qui vient à lui. »

Une nouvelle fois, Estelle sentit ses jambes défaillir, alors qu’elle regardait la porte se refermer derrière un rire qui était tout sauf agréable. La rousse déglutit à plusieurs reprises, tâchant de se convaincre que tout ceci n’était qu’un tissu de mensonges, une invention pour la faire douter. Jamais elle ne rentrerait dans son jeu, jamais elle ne le laisserait gagner cette bataille. Non, elle ne le croyait pas. Vraiment ? Rien n’était moins sûr. La gorge une nouvelle nouée, un verre d’alcool de nouveau avalé afin de se soulager, Estelle avait poursuivit ses occupations.

Attentive elle avait déposé une tasse d’infusion, un morceau de pain et des fruits écrasés dessus sur une planche, pour remonter lentement le tout dans la chambre. Les premiers clients étaient déjà installés au comptoir où aux tables, riant de bon cœur, buvant et s’amusant, frappant sur le bois de la porte de sa propre chambre, elle avait fini par entrer délicatement. Déposant la planche sur le bureau pour allumer une bougie, afin de ne pas rendre le réveil trop brutal, elle vint ensuite la récupérer pour s’asseoir au bord du lit.

La planche sur ses cuisses, une main passant sur la joue de Merrick à de nombreuses reprises, afin de venir déposer ses lèvres sur sa joue, Estelle était venue lui murmurer des mots d’amour, cherchant à se faire particulièrement douce. Là, elle attendit un peu, le laissant émerger avant de le saluer plus officiellement :


- « Bonjour toi » souffla-t-elle avec lenteur « Je ne sais pas quand tu devais reprendre, l’après-midi à débuter… Je t’ai préparé de quoi manger, j’ai été au port ce matin. Tu as bien dormi ? » elle poussa ou posa non loin de lui l’ensemble « Eugène m’a… Excuse-moi, Merrick, je ne pensais pas que ça te retomberait dessus… J’irais à la milice pour donner ma version, je te le promets… Mais il a… Je ne suis pas coupable ! » avait-elle réellement besoin de le convaincre ? Elle qui cherchait plus à se persuader elle-même ? «Tu m’as manqué hier soir… » souffla-t-elle avant de se redresser «J’ai des clients, je ne peux pas trop rester… J’ai eu du monde toute la nuit et de nouveau ce matin… Et… J’ai réfléchi… » se mordillant avec force la lèvre elle ajouta « Je suis d’accord pour que tu participes à la chope Merrick, tu as raison, elle est autant à toi qu’à moi désormais… J’avais un peu honte de te demander… Mais ce n’est pas catastrophique, tu sais ? C’est juste que les convois ne sont pas réguliers… Alors j’échange beaucoup avec les autres établissements de façon à ce qu’on puisse tous avoir de quoi servir ! Je te montrerais si tu veux ? Je te laisse te réveiller, je redescends. » juste avant de refermer la porte, elle ne put s’empêcher de se montrer honnête « Adrien est venu tout à l’heure… Ça va, ne t’inquiète pas… Je ne voulais juste pas te le cacher… On en parlera quand tu auras émergé. »

La porte s’était refermée, simplement. Estelle aurait voulu avoir le temps de lui dire, mais elle était convaincue que si elle disait que Adrien lui avait dit que… Merrick allait se fermer. Dans le fond, à force de retourner l’ensemble dans son esprit, elle avait imaginé bien des possibilités et celle que Merrick est engendré un peu malgré lui un enfant n’était pas une possibilité si improbable. Après tout, elle ignorait le nombre de conquêtes ni sa… manière de faire. Devait-elle lui en vouloir d’avoir eu une vie avant elle ? Certainement pas. Aussi douloureux soit-il, si Merrick avait un enfant, il méritait de le savoir et de le découvrir s’il le souhaitait, ce n’était pas à elle de lui cacher ou de lui dicter sa conduite.

À l’étage inférieur, Estelle se surprise à discuter de nouveau avec les clients, comme si le fait d’avoir parlé à Merrick l’avait soulagé d’un poids, elle s’était mise à rire aux plaisanteries, tout en continuant son service. La chantauvent aurait très fortement apprécié que son coutilier reste avec elle pour le restant de la journée, mais commençait-elle à tenter d’accepter qu’il ne se déroberait jamais de son travail.


- « Il paraît Estelle que tu as sacrément joué de Brigitte hier, le bougre était défiguré. »
- « Quoi, vous êtes déjà au courant ?! »
- « La ville entière Estelle, les rumeurs vont vites… M’enfin il mérite, les règles sont claires ici, c’pas comme si en plus t’étais une femme facile, j’sais pas où il a entendu ça… Et Merrick ça va ? »
- « Me… » elle sembla un peu prise de court, comme si elle était surprise de constater que les habitués associés désormais naturellement le coutilier à la chope et elle « Oui, ça va, il se repose il a eu une nuit chargée » fit-elle doucement, se gorgeant de cette satisfaction étrange de voir que la relation devenait officielle
- « Une belle femme à la belle âme, avec un homme responsable protégeant la ville, c’propre ! Dis donc d’ailleurs, vous allez bientôt vous marier ? »
- « En octobre » s’empressa-t-elle de répondre les yeux brillants avant de se ravise, douteuse « Enfin… Si… Si les préparatifs sont terminés. » En réalité la justification était tout autre dans ses pensées alors qu'elle gardait les paroles d'Adrien en tête. Estelle de Chantauvent serait-elle toujours le Merrick si il apprenait avoir une famille ailleurs ?

S’éloignant légèrement pour servir un autre client, avant de saluer le dernier repartant, d’un bref signe de la main.

- « Vous allez faire une fête au moins j’espère ?! Et plus jamais tu ne fermes la chope, hein !
- « Navrée de te décevoir, mais j’ai pris la décision de fermer un soir par semaine ! je veux profiter de Merrick, avec son travail et le mien… Enfin, je veux prendre soin de mon mari ! »
- « Le chanceux… »

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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyMer 10 Juin 2020 - 19:57
Merrick Lorren venait de quitter la Chope Sucrée pour de bon. Rattrapé par son métier, par la milice et plus précisément par la sergente Sydonnie de Rivefière, le coutilier avait dû abandonner Estelle de Chatanvauent, tandis que l’un et l’autre devaient renouer avec leur profession en cette fin de soirée. La tenancière devait ouvrir l’établissement qui avait été fermé depuis trop longtemps et l’homme d’armes devait effectuer son devoir. Cette réalité était immuable. Ils étaient obligés de le faire qu'ils le veuillent ou non. Ainsi, c’est plutôt à reculons que l’un et l’autre commencèrent leurs préparatifs pour la nuit qui s'annonçait longue. L’une allait probablement préparer la salle principale de l’établissement, tandis que l’autre irait mobiliser ses troupes et leur présenter l’objectif de la soirée. Pensant à ce qu'il aurait à accomplir, alors qu’il cheminait conjointement avec sa supérieure hiérarchique qui était venue le chercher expressément, le jeune homme avançait avec la mort dans l’âme. Certes, Merrick savait qu’il ne pouvait rien y faire; sa fonction passait avant sa vie privée. Cependant, comment ne pas s’insurger en cet instant, tandis qu’il savait parfaitement qu’il laissait sa tenancière esseulée et isolée avec les démons et les maux de son passé ?

De fait, leur fin de journée commune avait été plus qu’agréable. Entre leur moment d’égarement au temple, puis la déambulation au milieu des tentes et des spectacles que constituaient la foire, mer de festivité et épicentre de plaisir dans la cité, le début de soirée avait été on ne peut plus idéal. Avec du recul, il était désormais facile de dire que cela avait été trop beau. Pour eux, plus habituée aux malheurs et à la souffrance des macabres découvertes, cette accalmie au milieu des tourments de leurs existences n’était pas normale. Généralement, leur couple voguait d’écueil en récif, sinuant tant bien que mal entre les bas-fonds de la malveillance d’autrui. Cheminant de peine et de misère au milieu de cette mer d'ignominie tumultueuse, ils tentaient de guérir les avaries subies grâce à la présence de l'un pour l'autre. Bien que cela amenait un vent de douceur sur leurs blessures, les balafres de leur âme restaient à vif et rien ne semblait y faire pour les guérir complètement. Encore et toujours, le malheur revenait au détriment du bonheur. Cette journée n'en était-elle pas la preuve, alors que l'exécrable Adrien de Miratour était réapparu dans le décor idyllique d'une soirée d'insouciance passée et partagée à deux ? Dès lors, le naufrage semblait assuré tandis que la houle et le ressac du ressentiment semblaient vouloir les saborder et les faire sombrer. Plus habitué à lutter contre ce déchaînement et plus accoutumé à être naufragés de leur malheur, ce moment doucereux à deux était tout le contraire de la macabre routine dans laquelle ils étaient perpétuellement engoncés. Il suffisait de se remémorer de l'ensemble de leur péripétie pour concevoir que le mal avait une emprise nettement plus forte sur leur vie que le bien.

Devant pareil constat, en cet instant, Merrick était écartelé par la haine et la hargne. Il avait envie de hurler. Il aurait dû le prévoir. Cela avait été trop beau, trop parfait comparativement à ce qu'ils avaient l'horrible habitude de vivre. Il aurait dû ressentir cette anormalité et se préparer en conséquence pour faire face à ce scélérat et mécréant de frère. Cet homme, cette ordure, ce monstre qui la torturait de sa présence... Or, il n'avait rien vu, s'aveuglant dans l'insouciance du moment. À cause de ça, Estelle souffrait et lui n'était pas là. À cause de cela, il devrait vaquer à des occupations qui lui semblaient bien secondaires, celles de son devoir d'homme d'armes, tandis que son esprit et sa conscience étaient déchirés par l'inquiétude pour la tenancière de la Chope Sucrée.

Par chance, Sydonnie de Rivefière était présente pour lui éviter de trop ressasser les déboires des péripéties de sa vie et de celle de sa promise. Parler et échanger avec la sergente était un véritable effort de concentration et de réflexion qui oblitérait son ressentiment. De fait, quelque peu restreint dans la liberté et son choix de mots, tandis que la gradée le supplantait hiérarchiquement parlant, Lorren devait respirer calmement avant de pousser et proférer une quelconque répartie. Il ne pouvait lui dire ses quatre vérités ou ce qu'il pensait d'elle. Du moins, il ne pouvait prononcer ce genre de palabre -ou de bravade?- de but en blanc. L'homme d'armes se devait de jouer plus finement -ou perfidement?-. Ainsi, il se risquait à la rixe verbale sous le couvert de propos non pas acrimonieux, mais plutôt mielleux à outrance. Toujours est-il que s'il avait été un peu plus brillant, le jeune homme se serait cloîtré dans le silence et ne serait sorti de son mutisme que pour de brèves prises de parole lorsqu'il n'aurait d'autres choix que d'alentir. Or, idiot, fier et narcissique comme il était, l'ivrogne dressait les mots pour se défendre des maux que lui incombait la noiraude. Pour un être habitué à tout prendre comme un jeu ou un concours, appâté par la victoire et le triomphe, il ne pouvait abandonner là, maintenant. C'était aussi dangereux que grisant. C'était la victoire ou le fouet qui l'attendait. "Je ne souhaite aucunement votre mort, Sergente." C'était honnête et vrai. Sa disparition ou sa retraite, oui. Mais son esprit généralement alangui par l'ivresse n'était pas encore rendu à espérer le trépas de sa supérieure. Peut-être à l'avenir, dépendamment de comment elle le traitait, qui sait ? Haussant les épaules vis-à-vis de sa mise en garde, il conserva son mutisme. Elle avait sans l'ombre d'un doute raison. Or, sa mort ne signifierait pas forcément la monté en grade de cette engeance rêvant de le voir décéder.

La suite eut le mérite de lui faire perdre le contrôle de son discours qu'il pensait empreint de sagacité. Lorsqu'elle parla de son attachement pour la dame de Chantauvent, il ne put maintenir la sérénité de façade dans laquelle il se drapait. Sydonnie s'en rendit bien évidemment compte, réagissant sans trop s'offusquer de sa malencontreuse prise de parole. "Il n'y a pas mort d'homme, sergente." Dit-il lorsqu'elle s'excusa, quelque peu surpris de la voir afficher verbalement son repentir. " Mais je suis en désaccord avec vous. Enfin, si vous me le permettez, évidemment." Dit-il avec ironie. "Même l'amour n'est pas joyeux de nos jours." Qui de mieux que d'Algrange pour comprendre cela, elle qui avait perdu son époux ? Non, l'amour pouvait être aussi douloureux, horrible et difficile que la fange. Il n'alla pas présenter sa vision sur la Trinité, mais à ses yeux, ces derniers n'avaient plus rien de très permissif et conciliant envers l'humanité. "Même pour l'alcool, les représentants du culte ne sont pas très friand de la perdition dans l'ivresse, alors...". Alors les Trois n'avaient plus rien de bon à offrir dans ce monde sur le déclin. Mais ça, il ne le dirait pas de vive voix. " Il faut être sacrément courageux ou stupidement fou, sergente. Je vous laisse donc juger de ce que je suis. Nul besoin de m'offrir une réponse, je me doute déjà de celle-ci." Jamais la jeune femme ne l'arrimerait à l'idéal de courage. Dès lors, il serait perçu comme un stupide et un fou. Ça lui allait. Lorren lui-même était d'accord avec cela. Il était follement amoureux d'Estelle et stupidement épris de la tenancière.

Poussant un bâillement bien sonore, alors que sa bouche s'ouvrait en grand, il étira ses bras vers la voûte céleste alors qu'il continuait à avancer. Merrick était fatigué et ressentait son manque de sommeil. Entre la précédente nuit et la journée, il n'avait eu aucun repos et il n'en aurait pas plus ce soir. Bien que lorsqu'il était avec Estelle il n'avait pas ressenti cette torpeur, celle-ci le rattrapait rapidement maintenant qu'il devait aller travailler c'est sur ces entrefaites, qu'il lui remit le parchemin tronqué qui décrivait le chemin du banni pour rentrer dans Marbrume. Plissant les yeux et soupirants lorsque Sydonnie le questionna, Merrick haussa les épaules. À quoi s'était-il attendu, après tout ? Jamais elle ne lui offrirait un "bon travail", lui qui venait pourtant de lui apporter une preuve irréfutable d'une faille dans les défenses du dernier bastion de l'humanité. " Oui, il manquait ce morceau." Dit-il en proférant un mensonge éhonté sans siller un moindrement. "Chauve, mi-trentaine et horrible à en mourir. Un regard lubrique et fuyant. Une posture servile et stupide. Une allure d'indigent, une voix nasillarde et faiblarde." Puis, avec un sourire fier; "Tout le contraire de mon charme, non ?" Se passant une main dans la chevelure, il redressa le menton et plongea ses yeux dans ceux de la Rivefière, retenant au dernier instant un petit clin d'œil.

Écoutant la suite de ses dires, le sourire de Merrick s'agrandit lorsqu'il apprit les jours de repos qui lui était promis. Or, ce dernier s'amoindrit, alors qu'il entendait la suite des propos de la noiraude. Aller se promener dans les égouts pour enquêter. Hochant lentement la tête, il soupira. Il gagnait du repos, mais perdait en sécurité par la suite, tandis qu'il devrait mener ses hommes dans les tunnels étroits et risqués qui serpentaient en dessous de Marbrume. " Pourquoi voulez-vous que je garde le silence sur cela ?" Demanda-t-il rapidement, réellement intrigué. Toujours est-il que la conversation bifurqua et dévia vers ses propres questionnements vis-à-vis d'Eude de Chantauvent. Peut-être que la veuve pourrait lui en apprendre plus sur ce scélérat et les causes de sa mort, qui sait ?

Ce fut le cas. Le tableau qu'elle lui présenta n'était aucunement reluisant. Même plutôt dégradant et acrimonieux. Arrêtant sa marche, il se passa les deux mains sur le visage en soupirant. " Merci de la proposition. Si possible, oui, pourriez-vous vous renseigner sur sa mort ? Je ne comprends pas comment il a pu être retrouvé en fangeux aux pieds des fortifications de Marbrume." Puis au bout d'un moment de silence, il se permit de proférer ce qu'il pensait tout bas. " Je...je crois en un meurtre." Commença-t-il sans en dire plus. " À quoi pensez-vous lorsque vous parlez d'affaires louches ? Quelque chose en particulier ?" L'ivrogne était véritablement en quête de réponse plus précise. Certes, ce n'était qu'un ressenti que lui présentait la gradée. Toutefois, si cela lui permettait de mieux comprendre l'individu et de concevoir sa fin, peut-être réussirait-il à remonter et retracer l'ensemble de l'histoire de sa mort ? Finalement, il y a alla d'une brève prise de parole; "Je peux concevoir que nous ayons quelques similitudes, mais je pense que je n'ai jamais été une ordure. Enfin, rarement..." Et puis, lui aimait véritablement Estelle.

Ce fut le temps de travailler et de se séparer maintenant qu'ils arrivaient à destination. "Je ne souhaite aucunement votre disparition, sergente. " Répondit-il dans un sourire énigmatique et joueur. "Mais... prenez votre temps pour revenir. Ne vous pressez pas simplement pour moi, sinon, je vais aussi commencer à croire que vous m'appréciez !" Réagit-il lorsqu'elle lui mentionna que son départ serait court et bref pour lui botter les fesses. Puis, ses yeux s'illuminèrent et son sourire s'agrandit. "Prendre votre place si facilement, hein ?" Se passant une main dans la chevelure, il croisa les bras et pencha la tête sur le côté en regardant Sydonnie. " Dois-je comprendre que cela est donc possible si vous me mentionnez que je devrais batailler ? Intéressant..." Laissant ses doigts se perdre dans sa barbe, faisant mine de réfléchir, il sourit une dernière fois avant de disparaître. "Je déteste perdre alors je m'assurerais de gagner." De gagner quoi ? Les faveurs de la jeune femme ou son titre ? Allez savoir...

◈ ◈ ◈

Circonspect et pondéré, il tentait de faire face à des gens avides et avares. Ce regroupement n'était aucunement constitué d'indigents. Les miséreux n'avaient pas de quoi se promener dans la foire, comparativement à cette masse braillarde et criarde qui réclamait réparation. Les pauvres n'avaient rien à se faire voler, eux. Le bonheur lui-même semblait trop dispendieux pour leur escarcelle vide de tout pécule. Dès lors, ceux lui faisant face n'étaient aucunement dans le besoin et n'étaient aucunement membres de cette engeance appauvris. C'était une frange de la population moins populeuse. C'était la petite bourgeoisie et les commerçants avec une certaine somme d'avoir, ains que d'argent, qui se pressaient devait la caserne en quémandant justice. Avaient-ils seulement déjà connu la faim ou le froid ? Demandaient-ils réellement une main ou la vie des voleurs pour que justice soit faite ? Eux qui avait tout et qui ne manquait quasiment de rien, criaient à l'injustice ? Cela était incroyable et ils étaient exécrables. Aucun n'était bienfaisant ou bienveillant. Ceux-là étaient restés chez eux, laissant le champ libre au tumulte de leur vil congénère.

Merrick Lorren le savait parfaitement. Ce n'est pas la justice qu'ils désiraient, mais bien la vengeance.

Indolent et laxiste, faible et empreinte de flegme, Merrick ne partagea aucunement son ressenti, se contentant d'effectuer sa mission en récoltant les plaintes qui arrivaient sans cesse et continuellement à ses oreilles. Bien vite, l'ivrogne réalisait que c'étaient des broutilles qu'ils avaient tous perdues. Toutefois, leur honneur et leur fierté avaient été bafoués avec suffisamment de force pour qu'ils désirent réparation, condamnant les vols et damnant les voleurs. La vision du supplice était différente pour l'ensemble. Là, cette engeance méritait le fouet. Tantôt, ces mécréants devaient croupir en cachot. Ici, c'est la mort qui leur était réservée. Aucun n'était magnanime ou empathique. Aucun n'avait jamais levé le petit doigt pour aider les malheureux et pour améliorer leur sort. À cause d'eux, les pauvres ères voyaient en Marbrume non pas une mère patrie, mais plutôt le lieu de leur damnation.

Prenant ses jambes à son cou lorsque l'occasion se présenta, sous l'apparition d'une femme venue le voir, le jeune homme s'enfuit, laissant la gestion à un Eugène débordé. Se faisant, il ne put voir le manège de Sydonnie. Si tel avait été le cas, le peu de reconnaissance qu'elle avait gagné dans son cœur suite à leur dernier échange aurait fondu comme neige au soleil. Décidément, étaient-ils faits pour se détester ou s'éprouver l'un et l'autre continuellement ? Toujours est-il que Lorren eut la fâcheuse surprise de reconnaître la femme d'Adrien. S'en suivit un bref et concis échange, où il n'eut la chance d'en placer une, alors qu'un nouveau problème se présentait à lui. Plus important que cette dernière rencontre inopinée, l'homme d'armes oblitéra de sa conscience le passage d'Éliana, trop déchiré et écartelé par le méfait qu'il découvrait que cet homme avait fait. Ce salopard avait posé ses pattes sur Estelle de Chantauvent. Ce scélérat venait quémander une justice qu'il ne méritait aucunement, lui qui devrait plutôt être supplicié pour ses actes. Pourquoi la rouquine attirait-elle ces êtres infâmes de la sorte ? En deux nuits, deux individus avaient tenté d'attenter à son honneur. Il se sentait fautif de ne jamais être là au bon moment pour la protéger. Ayant toujours un coup de retard, Merrick Lorren se sentait perpétuellement échec et mat, simplement apte à venger celle qui devait pourtant être protégée...

S'en suivirent son déchaînement et le déferlement de sa hargne ainsi que de sa haine. Frappant avec fracas de ses points, exécrant l'homme en face de lui et laissant parler les tourments de son âme qui se transformait en tempête, le pondéré et couard Merrick Lorren laissa place à l'antipathique et le forcené milicien qu'il n'avait jamais cru pouvoir être un jour. Était-ce un fait d'une vie ou une réalité qui deviendraient routine ? À y penser sur l'instant, cela risquait de ne plus se reproduire. Or, quand il était question de la charmante rouquine, tout était possible pour celui qui avait fait d'elle le centre de son univers.C'est après s'être épanché dans la violence qu'il envoya Eugène vers la Chope et renvoya les idiots qui quémandait réparation chez eux. Il n'était plus d'humeur. Peut-être le ressentirent-ils ? Toujours est-il que l'ivrogne eut gain de cause et qu'il put aller voir Sydonnie de Rivefière, pour lui définir le méfait qu'il venait d'accomplir. Regrettait-il son action ? Aucunement. Avait-il peur de la punition ? Complètement...

◈ ◈ ◈

-"Évidemment que je ne peux me passer de vous, sergente. Vous voir aussi souvent que possible est un bonheur auquel je ne peux et ne veux me soustraire." Merrick Lorren avait répondu avec automatisme, d'une voix moins sereine qu'à son habitude. Son esprit était en proie au doute, se contestant sur les conséquences de son violent agissement. Cette réflexion qui le plongeait dans l'ambivalence était facilement perceptible. Plus blême qu'à l'accoutumée, le regard plus fébrile et fuyant, le couard était revenu prendre le contre de sa gestuelle. Sa main allait régulièrement se perdre dans sa chevelure et son sourire ne quittait plus son visage, dresser comme un bouclier devant la potentielle observation de Sydonnie de Rivefière. Le coutilier n'en menait donc pas large.

S'avançant tranquillement et lentement dans le bureau, il commença peu à peu à la questionner et lui parler. Logiquement, il préféra lui définir ce qu'il avait découvert plutôt que lui livrer sa violente perte de contrôle. Il fallait au moins dire qu'il y avait quelque chose de positif dans l'attaque qu'il avait offerte à ce mécréant qui avait touché Estelle de Chantauvent. De fait, en chemin, l'homme d'armes avait réfléchi excessivement rapidement pour tenter de trouver une explication plausible au problème de vol à la foire. Après tout, l'ivrogne ne désirait aucunement se présenter devant la gradée sans pouvoir lui offrir une bonne nouvelle avant de lui dire ce qu'il avait fait. Avec cela, Merrick espérait donc éviter le plus gros de la conséquence qu'il voyait venir.

-" Je ne peux aller jusqu'à dire qu'ils méritent de se faire voler, mais les gens d'une s'amusaient follement. C'était quelque chose que je n'avais presque jamais vu à Marbrume depuis l'apparition de la fange." Se grattant le fond de la tête, il chercha un comparatif pour lui définir la chose. "C'était un peu comme lors du couronnement du roi. Enfin, avant sa macabre finalité, il va s'en dire." Merrick parlait rapidement, regardant sa sergente se mouvoir, puis l'observant à la dérobée tandis qu'elle regardait à l'extérieur et qu'elle lui tournait le dos. Parler de ce sujet ne le dérangeait aucunement, éloignant pour un temps les révélations qu'il devrait faire sur son implication dans l'application de la justice expéditive qu'il avait fait pleuvoir, à l'aide de ses poings, sur le visage de l'inconnu. " Je pense que l'affaire ne mérite pas de suite, sergente. Les victimes qui se massaient à votre fenêtre en contrebas sont en fond et cherchent plutôt à sauver leur honneur que récupérer le contenu de leur bourse. Aucun vol ne fut d'une ampleur extravagante." Le choix appartenait évidemment à la noiraude. Si cette dernière lui ordonnait de partir faire une descente dans la foire avec ses hommes, il le ferait. Toutefois, Lorren pensait savoir que cela ne serait pas le cas. Il attendit tout de même son assentiment sur le sujet avant de poursuivre.

Finalement, il fut le temps de parler de ce pour quoi il était réellement venu dans ce bureau en cette heure avancée de la nuit. Commençant à babiller rapidement et à livrer l'ensemble de son histoire, le milicien termina sa prise de parole en mentionnant qu'il accepterait les conséquences de ses actes. Or, la répartie de la de Rivefière eut le mérite de le surprendre. "...Hein ? Je n'ai pas bu en service, enfin !" Commença-t-il tout d'abord par dire en fronçant les sourcils. Où le menait-elle ? Sydonnie le dédouanait d'une faute qu'il avait commise pour lui en incomber une autre qu'il n'avait aucunement fait ? Par la Trinité, où voulait-elle en venir ? Merrick Lorren ne proféra plus le moindre son, hochant simplement la tête en se pinçant les lèvres lorsqu'il l'entendit lui dire qu'elle ne pouvait laisser passer cette incartade. En cette occasion, même aux yeux de l'ivrogne, le silence valait mieux qu'une quelconque bravade. De toute façon, le jeune homme ne pouvait dire s'il aurait été en mesure de garder une voix neutre et non point paniqué en s'adressant à celle qu'il pensait voir devenir sa tortionnaire.

La regardant sortir une bouteille, le coutilier soupira et se passa une main tremblant dans sa chevelure. Le pire allait survenir. Au moins aurait-il la chance de goûter un spiritueux avant de voir son dos malmener par le fouet de sa supérieure. On disait d'ailleurs qu'elle aimait particulièrement effectuer cette pratique. Cela ne l'aidait aucunement à le rasséréner et l'inquiétait plutôt énormément. "Cherchez-vous à savoir si je suis libre, sergente ?" Répondit-il en dressant un petit sourire bien faible sur son visage qui était tout sauf de marbre. Finissant par secouer la tête, abandonnant toute trace d'amusement ou de facétie alors que le sujet était sérieux et que sa punition survenait, Lorren la regardant droit dans les yeux. " C'est du sérieux, sergente. Peut-être la seule chose qui a un peu de sens dans mon existence." Puis réalisant peut-être sa bévue il tenta de se corriger. "Enfin, ça et ma fonction de coutilier, évidemment !"

Ingurgitant son verre aussi rapidement que Sydonnie, c'est-à-dire en l'espace d'une rasade, son esprit d'ignare ivrogne ne put que saluer silencieusement la descente de la sergente. Toutefois, lorsqu'il la vit sortir son fouet, son esprit se vida de toute réflexion, obnubilé par cet objet de torture. Se passant sa langue sur les lèvres, les mots de la gradée eurent besoin d'être analysés plus longuement par sa conscience pour être compris. Enlever sa chemise. "Est-ce une stratégie pour...pour voir si je...je suis en bonne forme physique ?" Tenta-t-il de dire avec amusement pour éloigner la peur viscérale et lancinante qui s'accaparait de ses sens. Commençant à délacer le haut de sa tunique, de ses doigts fébriles, Merrick batailla longuement avec avant de réussir à la passer au-dessus de sa tête. Déposant le tissu sur son épaule, il regarda celle qu'il pensait qui allait le fouetter en attendant la suite. Ferait-elle ça là, à l'abri du regard de tous ?

Non, aucunement alors qu'elle lui demanda de le suivre. Soupirant et secouant la tête, pensant qu'elle voulait le faire devant tout le monde, Lorren réussit à ressentir un peu de haine envers cette dernière qui voulait le donner en spectacle. Cette hargne lui permit d'éloigner pour un temps la terreur qui le vrillait. "Il aurait été trop facile de ne pas ajouter le ridicule à la situation, j'imagine." Plus aigre qu'à l'accoutumée, pensant déjà avoir droit au pire et donc n'ayant plus réellement peur de faire preuve de condescendance, Merrick finit par la suivre en restant muet, la fusillant du regard silencieusement. Il ne pouvait se promettre d'avoir sa vengeance, mais il espérait un jour avoir la chance de lui rendre l'appareil.

Finalement, Merrick Lorren vola de surprise en surprise, alors qu'il réalisa qu'elle s'était jouée de lui et qu'il ne risquait pour ainsi dire rien. Soupirant et fermant les yeux, ses jambes voulurent l'abandonner, mais il réussit à rester droit. Remettant sa chemise et finissant par écouter les dires de Sydonnie, il regarda celui qui allait être supplicié avant de rapporter son attention sur celle qui voulait le voir devenir bourreau. Se mordant la lèvre inférieure, Lorren finit par hocher la tête avant de récupérer ce qui deviendrait l'arme du crime; le fouet. L'écoutant jusqu'à la toute fin, sa mâchoire lui tomba. Était-elle sérieuse dans ce qu'elle disait ? Était-elle toujours aussi extrême ? Qu'est-ce qui pouvait bien avoir forgé cette carapace et cette féroce violence chez Sydonnie de Rivefière ? La milice, la perte de Roland ou un amalgame encore plus tortueux et sombre encore ? Devait-il en passer par là pour occuper le poste de sergent ? Aurait-il besoin de s'abaisser dans les profondeurs abyssales et ténébreuses de la violence pour espérer un jour s'élever vers la lumière d'une montées en grade ? Laissant partir la sergente sans dire un mot, Merrick regarda le condamné qui lui tournait le dos.

Serrant le fouet à deux mains, regardant le dos de ce trafiquant puis l'arme, il hésita. Certes, le couard était heureux de ne pas être la victime de ce genre de pratique. Toutefois, il ne l'était aucunement de devoir s'occuper de la sentence. Marchant lentement, il passa devant ce Julien Fumé pour regarder ses yeux. L'un tuméfié semblait ne plus pouvoir s'ouvrir et sa narine droite laissait encore couler du sang. N'était-ce pas suffisant comme punition ? Avait-il réellement besoin d'en faire plus ? "...pi...pitié...". Restant silencieux, Merrick Lorren plongea ses iris dans ceux du condamné. L'homme d'armes pouvait voir que ses yeux criaient sa terreur. Il connaissait ce regard. Parfois, il le croisait encore lorsqu'il contemplait son reflet. Secouant la tête, il se plia pour se retrouver à la hauteur du visage de ce salopard. C'était au tour du milicien de se questionner et de chercher réponse dans ce regard empreint de peur. Ce qu'il allait faire, serait-ce justice ou vengeance ? Où se situait-il entre ces deux extrêmes, dans cette morbide dichotomie ? Était-il justicier ou bourreau ? Est-ce que cela avait réellement une quelconque importance ?

Finalement, Merrick Lorren se repositionna et se commença à effectuer sa macabre tâche.

Le fouet se mit à mordre la chair encore et encore. Le supplicié hurlait, alors que le tortionnaire criait. Qui des deux faisaient le plus de bruit ? L'un éructait sa douleur, alors que l'autre hurlait sa hargne et sa peur. Qui était-il pour agir ainsi, pour torturer cet homme dont la culpabilité ne faisait aucun doute ? Était-il lui-même blâmable ou condamnable pour attenter et attaquer ce salopard de la sorte ? serait-il jugé indignement par les Trois pour avoir attenté physiquement à autrui ? Qu'importe. La Trinité l'avait déjà montré à de nombreuses reprises. Son écoute et son secours n'étaient plus réservés à l'humanité. Encore aujourd'hui, ces impies et infâmes déités avaient abandonné une pieuse et fervente croyante. La dame de Chantauvent. Dès lors, leur jugement ne s'abattrait pas sur le pécheur qu'il était. Par ailleurs, c'était sa propre hiérarchie qui lui avait mis le fouet dans les mains. Ainsi, personne ne le jugerait. Les uns étaient absents des tracas et tourment de ce monde, les autres étaient victime, ou aussi coupable que lui, tandis que Sydonnie lui avait remis l'arme du châtiment. Personne ne lui en tiendrait rigueur, non ? Personne sauf lui.

Combien de fois le cuir de l'arme devrait-il mordre la peau pour qu'il soit satisfait ? Dix ? Vingt ? Aucun chiffre exact et probant n'était donné aux exécuteurs du châtiment. Les plus vils et les plus agressifs devaient se repaître de cette violence, appréciant voir le sang couler et les gémissements du condamné. Or, pouvait-il en dire autant ?Appréciait-il cela ou se détestait-il pour agir de la sorte ? Probablement un peu des deux. Exutoire à ses peines, à sa rage et aussi à ses peurs, celui qui subissait le fouet était criminel par ses crimes, mais victime des peines, de la rage et aussi des peurs de Merrick Lorren. Son cœur qui haïssait la violence, voilà qu'il battait pour la brutalité et la fureur. Le tambourinement était conjoint et en rythme avec le claquement du cuir. Punir lui donnait le sentiment d'être puissant, de contrôler un pouvoir qui n'était pas à la portée de tous. Lorsque le fouet mordait la chair, les tourments de ce bâtard le poussaient à crier, lui qui était tourmenté par la douleur. Tandis qu'il suspendait ses attaques, les pleures et les halètements prenaient le dessus, apportant un bref intermède et interlude au châtiment. En parfait contrôle, Merrick pouvait faire comme il lui plaisait le calme et la tempête. C'était grisant. Était-ce pour autant jouissif ? Pas forcément.

Couard avant tout, le coutilier ne prit pas plaisir à punir l'insipide et perfide individu. Cette violence n'était que justice, pour autant, ce n'était pas une raison pour s'extasier de la douleur d'autrui. Il ne regrettait pas d'avoir châtié ce scélérat. Mais non, il ne prendrait aucunement plaisir dans ce genre de pratique. Serait-il prêt à fomenter pareil récidive ? À redevenir le tourmenteur d'un criminel ? Si son le devoir le dictait, oui. Face à un coupable, Merrick pouvait s'aveugler et se dire qu'il faisait la bonne chose. Or, devant un ou une innocente, son esprit risquerait de chavirer et vaciller, écartelé entre devoir et conscience. Toutefois, pour l'heure, là n'était pas la question. L'être qui pleurait devant lui était coupable. Lui, il guidait l'arme de la justice.

Alors, pourquoi avait-il ce goût de sang dans la bouche et pourquoi sentait-il sa gorge se serrer ?

◈ ◈ ◈

Lendemain, début d'après-midi.


Merrick Lorren était rentré au début du jour, directement après la punition octroyée au dénommé Julien. Marchant l'esprit vide, il avait rapidement rejoint la Chope Sucrée et le lit qu'il partageait avec Estelle de Chantauvent. Le sommeil n'avait pas été long à l'étreindre. Or, il ne pouvait dire qu'il avait dormi du sommeil du juste. Son repos avait été agité, et plusieurs cauchemars s'étaient alterné dans sa conscience. La plupart d'entre eux mettaient de l'avant le fouet ou les douleurs de la Chantauvent. Dans le pire de ces derniers, Merrick se voyait battre Estelle et sourire de plaisir à chaque fois que le cuir mordait la peau d'albâtre de la rouquine. C'était horrible et dérangeant, mais acteur impuissant dans sa torpeur, il ne pouvait qu'observer ce songe machiavélique. Le coutilier n'eut pas conscience que la jeune femme resta avec lui, blottie contre son corps, complètement assommé par son affectation de nuit.

Ce fut Estelle qui le tira de ses cauchemars, venant le réveiller doucement et amoureusement. Ouvrant les yeux affolés, avant de reconnaître sa partenaire et l'endroit où il était, Merrick lui offrit un doux sourire encore ensommeillé. Fermant les yeux sur le passage de sa main sur son visage, il finit par lui attraper les doigts pour ne plus les lâcher, tout en continuant à la regarder. Puis, Lorren remarqua l'état de ses jointures et phalanges. Ces dernières étaient encore couvertes de sang et quelques-unes étaient même marquées de petite coupure suite aux coups qu'il avait donnés au mécréant qui avait agressé Estelle. Lâchant la main de sa promise, il tenta de cacher les marques de sa violence sous les draps. Cela était probablement trop tard alors qu'Estelle avait probablement vu les stigmates de sa brutalité...

-"Bonjour, princesse." Répondit-il doucement à son tour. Se redressant dans leur lit en grommelant, il finit par s'asseoir au côté de la dame de Chantauvent en se frotta les yeux, les cheveux complètement emmêlés de son sommeil plus que mouvementé. Bâillant, il l'écouta en récupérant l'infusion qu'elle lui avait apportée. Regardant tout ce qu'elle avait préparé pour lui, le jeune homme ne put s'empêcher de lui offrir une moue enfantine et un clin d'œil. "Sans l'ombre d'un doute, tu es une femme à marier, Estelle de Chantauvent !" Même s'il amenait cela sur le ton de la plaisanterie, l'attention le touchait et il croyait dur comme fer à ses propres mots. Lorsqu'elle mentionna Eugène, son regard s'assombrit. Ce dernier n'avait pas été en mesure de mentir un tant soit peu ? Par la Trinité, Merrick l'appréciait, mais cet énergumène était un incapable lorsqu'il était question de défier les lois ou la convenance. Toujours est-il que Lorren n'eut la chance de répondre tout dessus, alors que sa tenancière partait dans une longue prise de parole, discourant de tout ce qui l'avait touché, de ce qu'elle avait fait ou qu'elle avait à faire. Forcer au mutisme par cet épanchement qui déferlait comme un ouragan, l'homme d'armes l'écouta en hochant la tête et en l'observant patiemment. Il y avait bien pire comme occupation pour une écoute attentive, tandis que son regard pouvait définir les courbes de son visage et se perdre dans les profondeurs de ses pupilles.

La finalité fut comme le commencement. Merrick n'eut pas la chance d'en placer une avant que la rouquine ne prenne la fuite pour s'occuper des clients. Cette évasion était-elle volontaire ? Dur à dire. Toutefois, Lorren avait perdu la chance d'intervenir ou de la retenir lorsqu'elle avait mentionné Adrien de Miratour. Ce monstre était revenu ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Ses yeux avaient probablement dévoilé ses envies de meurtre. Or, il ne put dire le moindre mot, alors qu'elle s'échappait et le laissait seul avec la nourriture qu'elle lui avait apportée. Rivant ses yeux sur les plats, il avait perdu tout appétit tandis que dans sa bouche il avait le goût de la cendre. Décidément, rien n'allait et tout était de pire en pire alors que les monstres se pressaient autour d'Estelle non pas par intermittence, mais bien continuellement. Se laissant retomber sur le dos, les bras ouverts en croix, Merrick se tourna sur le ventre et enfouit sa tête dans l'oreiller. Restant ainsi durant quelques instants, il finit par se lever et attraper son infusion avant de se diriger vers la salle d'eau, des vêtements dans son autre main. Plongeant sans autre forme de procès son visage dans la bassine, ressortant complètement mouillé du procédé, il s'habilla et descendit au premier étage de la Chope Sucrée sans prendre le temps de sécher sa chevelure. Évidemment, il passa au moins sa main à l'intérieur de celle-ci pour la replacer convenablement. Nu-pieds et la chemise déjà détrempé, il rejoignit l'endroit où Estelle officiait à titre de tenancière auprès des habitués.

S'appuyant à un pilier, croisant les bras et la regardant vaquer à ses occupations et discourir avec les clients, il attendit sans rien dire profitant simplement du calme et écoutant ce qu'il se disait. Il intervint en apparaissant dans le dos d'Estelle lorsque l'habitué le présenta comme "chanceux". "L'homme le plus chanceux de Marbrume, en effet !" Dit-il en déposant sa main libre dans le dos de la dame de Chantauvent. Puis, déposant un baiser dans sa chevelure il passa devant elle pour la regarder. "Alors comme ça, je vais avoir l'immense honneur de t'avoir pour moi un soir par semaine ?" Dit-il en souriant à l'idée. Puis, en fronçant les sourcils dans une mine faussement sérieuse et dans un murmure."Il faudra faire attention pour ne pas commettre un autre impair avant le mariage." Ses yeux pétillaient de malice alors qu'il affichait une moue qui se voulait grave. Laissant son regard vagabonder sur les gens encore en présence, voyant que tout le monde était occupé à se sustenter ou à parler et qu'ils n'auraient pas besoin de la tenancière avant quelques minutes, Merrick pencha sa tête sur le côté et lui demanda une faveur; "Je peux te parler une minute ?" N'attendant pas réellement son accord, la "kidnappant" au besoin, il l'entraîna vers la cuisine de l'établissement pour retrouver un peu d'intimité et pour éviter les regards des gens en présence. Déjà, certains les observaient du coin de l'œil et n'en manquaient pas une miette.

Une fois sur place, il relâcha la main de la rouquine et vint l'embrasser. Loin d'être fougueux, le contact entre leurs lèvres était plutôt doucereux et une façon de la saluer convenablement en cette nouvelle journée. "J'ai des choses à te dire moi aussi et je n'ai pas eu la chance de le faire, alors que tu t'enfuyais lâchement de ma présence, Estelle de Chantauvent !" Commença-t-il en jouant l'outrage et en secouant la tête de gauche à droite. Réalisant que ce mouvement laissait l'eau encore présente dans sa chevelure éclabousser autour de lui, dont Estelle, il accéléra le mouvement plutôt que de l'arrêter. "Premièrement, je suis en congé pour quelques jours, alors j'ai plein de temps à t'offrir." Son sourire vacilla un peu pour la suite. "Par contre, je vais avoir à aller me promener dans les égouts pour voir si la carte qu'on a trouvée était réellement un chemin d'entrée dans la cité." Finissant par hausser les épaules, il se concentra sur le présente au lieu de s'inquiéter du futur. Ainsi, il continua. "Bref, j'ai plein de temps libre, princesse ! Je peux t'aider ici si tu veux aujourd'hui ?" Lui proposa-t-il, prêt à mettre la main à la patte. "À moins que tu ais d'autres plans pour nous ? C'est peut-être la bonne période pour se rendre à la plage ?" Lui dit-il sans avoir oublié sa promesse de le faire.

Puis, Lorren se fit un peu plus sérieux pour la suite des choses. "Tu n'as pas à t'inquiéter pour ce qu'Eugène t'a dit ou ce qui t’est arrivé hier. Je me suis assuré qu'il ait été puni. Présentement, il croupit dans les cachots après..." que lui dire ? Qu'il l'avait battu et fouetté ? Comment le percevrait-elle ? Merrick pâlit en se remémorant ce qu'il avait fait. Coupablement, il cacha ses mains dans son dos pour soustraire les meurtrissures de ses coups aux yeux de la Chantauvent. "Il a été rossé et fouetté." "Il" a lieu de "je". L'ivrogne ne voulait pas être vu comme un monstre ou un être constitué de violence par la jeune femme. Il était lâche et couard de lui cacher, mais verrait-elle qu'il présentait un mensonge par omission ? Allez savoir... " Il ne reviendra plus. Plus jamais. Désolé de ne pas avoir été présent. Encore..." Puis après quelques secondes de silence coupable, il dévia sur un autre sujet comme pour se préserver; " Je suis content de savoir que tu acceptes mon aide pour l'établissement. Vraiment !" Lui dit-il doucement en attrapant ses doigts et en lui offrant une petite pression.

Bien qu'il aurait voulu ne pas aborder certains sujets, Merrick Lorren n'avait pas le choix. Il devait le faire pour comprendre ce qui était arrivé à Estelle et pour définir des pistes de réflexion ô combien macabres qui l'avait étreinte. Entre ce que lui avait dit Sydonnie vis-à-vis d'Eude de Chantauvent et Eliana concernant Adrien de Miratour, le coutilier commençait à percevoir des éléments se rejoignant entre les deux personnages et ça, ça l'inquiétait au plus haut point. "Estelle, il faut que tu saches qu..." L'ivrogne n'eut pas le temps de terminer sa phrase, alors que la clochette de la porte se fit entendre. Soupirant et offrant un haussement d'épaules contrit, il finit par définir les priorités. "Nous sommes aux alentours de l'heure du midi après tout, normale qu'il y ait beaucoup de clients en ce moment. Allons-y, nous reparlerons de tout cela après, d'accord ?" Déposant ses lèvres sur son front, l'homme d'armes prit les devants et repassa dans la salle principale.

Plus aide que véritable tenancier, Merrick transportait généralement ce qu'Estelle lui donnait et était plus qu'heureux d'être sous ses ordres lors des soirées achalandé. En quelque sorte, la dame de Chantauvent était la coutilière de l'endroit et lui le simple milicien qui effectuait les tâches qu'elle lui incombait. La regardant parler, virevolter et apporter ce que les clients désiraient, Lorren revit son jugement. Elle était plutôt le bailli en personne à la Chope Sucrée. Complètement dans son élément et tel un poisson dans l'eau elle ne manquait rien de ce qu'il y avait à faire. C'était probablement l'habitude de travailler seul au milieu d'une salle généralement comble qui lui donnait cette facilité à manœuvrer et œuvrer dans son établissement. Quant à lui, le jeune homme était nettement plus lent et oubliait la moitié des choses lors d'une commande. Peu habitué à "servir" et n'aimant aucunement cette idée d'êtres aux ordres d'inconnus, l'ivrogne manquait la plupart de leur propos. En outre, son regard allait généralement se perdre sur la silhouette d'Estelle, la couvant de ses yeux protecteurs. Le coutilier n'avait aucunement confiance en les ivrognes peuplant le monde de l'auberge. C'était un peu ironique, alors que lui-même en faisait partie, mais qu'importe.

Toujours est-il que l'homme d'armes comblait ses lacunes par un sourire et des pitreries à toute épreuve. Plus habitué à être au centre de la fête qu'autre chose, il aimait parler de la pluie et du beau temps avec les différents clients. Évidemment, bien que cela était apprécié, il passait trop de temps à le faire, ralentissant par le fait même le reste du service. À dire vrai et au final, Merrick Lorren était peut-être plus un boulet et un fardeau qu'une réelle aide. Ça, c'était à la dame de Chantauvent d'en décider réellement. Peut-être s'aveuglerait-elle par amour pour sa personne ? Finalement, le flot de badauds se tarit jusqu'à ce que l'endroit soit complètement vide. Les clients étaient retournés travailler et la prochaine vague serait celle de la soirée. Le duo avait encore beaucoup de temps devant eux avant l'arrivée des veilleurs nocturnes.

S'asseyant sur une chaise de l'endroit, laissant ses bras tomber à gauche et à droite de son assise, Merrick rejeta la tête vers l'arrière et souffla. "C'est infâme de devoir servir et non pas se faire servir !" Dit-il en envoyant un regard en coin à Estelle, ainsi que l'un de ses sourires. "Ne me demande pas en plus de faire le ménage !" Se relevant et se dirigeant derrière le comptoir, il prit une chope qu'il remplit de bière. Il ne l'avouerait pas à Estelle, mais l'ivrogne commençait à ressentir le manque d'alcool dans son organisme, lui qui n'avait pas quasiment pas bu de la journée d'hier et d'aujourd'hui. Ses gestes avaient été plus malhabiles et il était la cible de tremblement incontrôlable. En outre, ses sens et sa conscience l'appelaient à consommer -ou se consumer?- dans un quelconque alcool. Fermant les yeux, alors qu'il prit une première rasade, il finit par s'appuyer sur le bar et regarder la dame de Chantauvent. Ils avaient encore beaucoup à se dire. Sans plus tergiverser ou tourner autour du pot, l'homme d'armes continua où il en était lorsqu'ils avaient été dans la cuisine.

-"La femme d'Adrien est venue me voir hier à la caserne. Elle m'a mis en garde contre ton frère, me disant qu'il n'accepterait jamais notre union." Prenant une pause et cherchant à définir comment il l'avait ressenti, Merrick se passa une main sur la nuque avant de poursuivre. "Elle ne parlait pas simplement du fait que nous n'aurions jamais sa bénédiction. Elle semblait plutôt me mettre en garde contre les risques et les dangers." Lorren commençait de plus en plus à croire qu'Adrien était coupable de la mort d'Eude. Ainsi, les propos d'Eliana trouveraient cohérence. Si tel était le cas, lui-même serait en danger. Or, il ne voulait le définir ainsi, désirant Estelle se faire son propre avis et peut-être en venir à la même conclusion que lui. Se laisserait-elle leurrer par son lien familial, ou verrait-elle le danger de la chose ? Il ne le savait aucunement. En outre, peut-être qu'il se trompait complètement..." J'ai tendance à vouloir la croire. Eliana m'a dit qu'elle ne t'appréciait guère vu que son époux était obnubilé par ta personne au détriment de sa propre famille. Je crois que pour elle, notre mariage est peut-être un moyen pour voir de Miratour se focaliser et se concentrer sur elle." Poursuivit-il en haussant les épaules, incertain. " Bref, elle voulait qu'on se revoie." Qu'en penserait Estelle ?

Se pinçant l'arrête du nez, se perdant à nouveau dans le perfide venin de sa boisson houblonnée, le milicien se fit couler une seconde chope. Tournant le dos à la dame de Chantauvent, il continua. "Je ne reviendrais pas sur ton mutisme vis-à-vis de l'emblème de ta famille sur le document, Estelle." Sa voix était amère et quelque peu blessée. Encore une fois, elle lui avait caché un élément plus qu'important. Or, couard comme il l'était, Lorren ne voulait aucunement renouer avec la confrontation qui l'avait amené à affronter la rouquine par le passé. Secouant la tête en proie à la déception, il soupira et continua. "Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Je me doute bien que tu n'aides pas des bannis à rentrer, mais je ne peux en dire autant de ton frère." Se retournant, l'avisant il déposa ses mains en part et d'autres de sa chope, sur le comptoir. " Ne trouves-tu pas que ça fait beaucoup d'éléments qui reviennent en direction de ce salopard ?" Son visage se crispa sous la hargne et la colère. "L'homme qui t'annonce la mort d'Eude est le même qui le retrouve en fangeux. Cet idiot était un banni et maintenant, nous retrouvons la marque de ton frère sur un document expliquant comment ce criminel a pu rentrer à Marbrume par les égouts. " Son esprit hurlait à qui voulait l'entendre qu'Adrien de Miratour était un meurtrier et un assassin. Toutefois, sa bouche ne le disait aucunement, ayant trop peur de la réaction d'Estelle. Assentirait-elle à ses propos, ou se révulserait-elle de ses accusations ? " Que penses-tu que cela signifie, Estelle de Chantauvent ?"

À dire vrai, Merrick Lorren savait ce qu'il voulait entendre. Or, la tenancière de la Chope Sucrée devait et devrait se faire une raison par elle-même. La faisant cheminer le long de ses réflexions, le coutilier espérait la mener à la même perception qui l'étreignait de plus en plus fortement; Adrien de Miratour était un tueur et il n'aurait pas peur de récidiver sur sa propre personne. Couard et peureux, l'homme d'armes n'arrivait pas à se départir de cette idée et des risques qu'il encourrait. Il devait ce débarrasser de se scélérat non plus simplement pour l'éloigner de la jeune femme, mais aussi pour se protéger lui-même. Il n'abandonnerait pas sa promise. Or, il ne resterait pas inactif alors que sa vie ne tenait potentiellement et possiblement plus qu'à un fil alors que ce dernier pour attenter à sa vie. "D'ailleurs, tu m'as dit qu'il était venu tout à l'heure ? Que voulait-il ?"
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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyJeu 11 Juin 2020 - 0:53


- « Si tu veux un secret Merrick, je suis sur le point d’épouser un homme qui me rend complètement folle de lui chaque jour davantage » murmura-t-elle en glissant un sourire sur ses lèvres ainsi qu’un doigt pour mimer un secret précieusement gardé, les yeux luisants de cette satisfaction agréable.


Ses prunelles n’avaient pu que détailler l’homme qu’elle aimait, avec une affection non feinte qu’elle camouflait désormais difficilement. Il existait sans doute bien des addictions dans le domaine de l’amour et Merrick Lorren semblait la rendre accro à chacune d’entre elles, couche par couche, drogue par drogue. Ça commençait par son odeur, par ses caresses, sa manière de la regarder, sa façon de glisser ses mains à l’arrière de sa chevelure, les papillons qu’il faisait émerger, le goût de sa bouche, de ses lèvres, de son corps, l’addiction était bien que psychique, elle était physique. Chaque que le coutilier se tenait-elle loin de lui, Estelle ressentait ce manque, sentait sa peau et son ventre brûler, se consommer de son absence. À cet instant précis, sans doute le constatait-elle pleinement, alors que ses yeux gris effleuraient dans cette douceur la silhouette encore semiment endormi. Ses cheveux bruns emmêlées, ses yeux encore un peu flous, ses mains chaudes qui se déposaient sur les siennes avant de se retirer.

Un léger froncement de sourcils s’était dévoilé, furtif, à peine visible, alors qu’il lui avait semblé remarquer des marques sur le dos de la main de son presque mari. Estelle se souvenait de ses mouvements, de ses mauvais songes, n’avait-elle rien pu y faire, hormis sans doute encaisser parfois quelques mauvais mouvements, ou murmurer des mots qui ne trouvaient aucun écho dans un esprit endormi. Par crainte sans doute de s’aventurer dans un terrain glissant, la rousse n’avait rien dit, préférant rester dans cette attention, dans ce réveil doux qu’elle avait souhaité lui offrir. Un moyen sans doute inconscient de se ranger de son côté, de lui faire comprendre qu’elle acceptait. Merrick Lorren était coutilier et souhaitait le rester, avec toute son amertume, ses doutes, ses craintes, Estelle De Chantauvent avait décidé d’être sa femme et de le soutenir.

La tenancière s’était fait une promesse, ne plus mentir à son cher et tendre, bien que l’exercice semblait encore difficile, bien qu’elle n’était pas toujours en mesure de respecter son engagement en temps et en heure, Estelle finissait toujours par dire les choses. Ainsi, juste avant de disparaître avait-elle notifié qu’Adrien était pensé, simplement pour qu’il en soit informé, simplement pour que ce soit dit et non camouflé. Descendant les marches, la gérante de l’établissement s’était appliquée à satisfaire les clients, prenant le temps de discuter, d’échanger, elle qui prétendait ne plus réellement apprécier semblait évoluer comme un poisson dans la mer : parfaitement. Estelle riait parfois, d’autres fois ronchonnait légèrement, elle communiquait avec cette sincérité de commerçante, celle qui sait que fidélité les clients est importants.

Face à l’habitué, elle fit surprise de sentir une main dans son dos et une silhouette masculine qu’elle connaissait se glisser à ses côtés. Fermant les yeux pour profiter de ce bref instant de proximité, elle fit mine pour le plus grand fou rire du client d’hésiter encore vis-à-vis de ce fameux soir réservé à son mari. Laissant ses doigts effleurer son menton, la rousse se contenta de prendre une mine de réflexion.


- « Je ne suis pas certaine que je parlais de toi…. Peut-être parlais-je du Merrick du lundi ou celui du vendredi… Je nomme tout le monde de la même façon, comme ça, je suis certaine de ne pas me tromper ! Astuce de tenancière. »

Un bref clin d’œil plus qu’exagéré avant qu’elle ne fasse des yeux ronds au murmure qu’il venait de lui glisser, non sans grand élan de spontanéité Estelle avait bousculé le coutilier. Aucun doute qu’il aurait pu rencontrer Brigitte avec autant d’amour que de douceur, si elle avait été à portée de main. Ses joues étaient devenues aussi flamboyantes que sa chevelure, alors qu’elle s’éloignait pour faire mine de s’occuper, de servir, de répondre à une multitude de clients. C’est le moment que l’homme d’armes avait choisi pour la kidnapper, puisqu’il s’agissait bien de cela alors qu’elle avait dans un premier temps secoué la tête négativement vis-à-vis de l’ensemble des clients présents. Entraînée dans l’arrière-cuisine, la rousse n’avait pu retenir un léger gonflement des joues, rapidement atténué par la voix de son amant bientôt plus que ça.

- « Je ne m’enfuyais pas j’avais…. » du travail tenta-t-elle de dire alors que la suite manqua de lui offrir une réaction d’enfant alors qu’elle sautillait presque sur place à l’idée de l’avoir juste pour elle pour quelques jours. « Vraiment ?! »

La joie retomba rapidement, alors que comme une flore dont les pétales venaient de se faire emporter par le vent, Estelle s’immobilisait à l’évocation des égouts et de sa mission. Sur l’instant, devait-elle détester Sydonnie De Rivefière aussi fortement que Merrick, néanmoins faisant silence, la jeune femme s’était contentée de détourner les yeux, de prendre une inspiration, d’hésiter vis-à-vis de ce qu’elle devait dire ou non. Réalisant qu’elle devait le soutenir, pour le meilleur et pour le pire, la rouquine se contenta d’opiner avec lenteur. Comme un sorcier habile, Merrick attira l’attention d’Estelle non pas sur sa future mission, mais bien sur son envie d’aller à la plage, sur son besoin de s’échapper de passé du temps avec lui. La réaction fut presque immédiate alors qu’elle étirait ses lèvres en un sourire plus doux, alors que le plus sincèrement du royaume Estelle aurait voulu croire que tout pouvait devenir simple.

Sa bouche se déforma en une grimace alors qu’il évoquait l’ensemble des événements, de celui qu’elle avait agressé parce qu’elle-même avait été victime. L’évocation d’une punition, de coup, de cachot la fit froncer les sourcils, cette fois elle ne pouvait faire semblait de ne pas le voir, de ne pas avoir le temps. Merrick avait attrapé ses mains, avait-elle baissé le regard pour observer les marques, avant de remonter les yeux avec lenteur jusqu’à lui. Penchant la tête, de ce regard presque triste, elle osa du bout des lèvres l’interroger, parce qu’elle avait besoin de savoir si sa supposition était juste, elle avait besoin de comprendre ce que Merrick avait fait :


- « C’est toi, n’est-ce pas ? Qui l’a sanctionné ? Je me trompe ? »

Il n’y avait pas de jugement dans sa main, simplement cette culpabilité, elle qui semble avoir le don de l’entraîner dans des situations délicates, elle qui ne semble pas nécessairement être celle qui lui faut. Cette pensée l’a hante, alors qu’elle l’imagine père à cet instant précis, elle qui quelques heures avant aurait eu la certitude d’être choisie, mais qui à cet instant doutait. Elle se pinça les lèvres, alors que sa gorge se nouait, que ses yeux durent soudainement paraître humides, que sa voix se faisait plus difficile.

- « Tu es là plus que tu ne le devrais, tu n’as pas à culpabiliser de ne pas avoir été là » souffla-t-elle en glissant une main sur son visage « Cela arrive plus souvent que tu ne l’imagines, des ivrognes il y en a des tas, ils oublient l’espace d’un instant que je suis la tenancière et la tentation se fait plus forte avec les effets de l’alcool ! » elle se veut rassurante en ce sens « J’ai toujours eu Brigitte pour m’aider, je l’aurais toujours. Tu peux donc travailler l’esprit tranquille. »

La conversation aurait pu se poursuivre, l’un comme l’autre ayant des choses à dire, mais la clochette de la porte sembla ramener le couple à la réalité de l’instant. Un sourire sur les lèvres, la tenancière avait opiné, fermant les yeux au contact des lèvres de Merrick sur son front avant de le retenir par la main lorsqu’il partait en direction de la salle. Estelle l’avait simplement ramené à elle, simplement pour venir se hisser sur la pointe des pieds, unir leurs lèvres en un baiser, le consommer, un peu, savourer ce vent de proximité. Elle aurait voulu être rassurante, elle aurait voulu être rassurée, mais n’était-elle sans doute pas celle étant marquée le plus par un excès de confiance.

- « Je serais toujours là, tu sais ? Peu importe tes choix ou tes doutes… » susurra-t-elle si proche de sa bouche « Et puis, là ton choix est tout fait, tu as du travail, monsieur chope sucrée ! »

Elle s’était éloignée pour passer la porte, rapidement submergée par le travail et par habitude de travailler seul, n’avait-elle reproché aucunement à Merrick sa lenteur, sa sympathie ou quoi que ce soit d’autre. De temps à autre lui mettait-elle entre les mains un plateau avec des commandes, parfois passait-elle derrière lui pour lui fouetter les fesses avec un torchon, ou le bousculait-elle avec amusement lorsque trop bavard préférait-il parler de la pluie et du beau temps plutôt que de l’accompagner dans son surmenage.

Lui en voulait-elle de sa lenteur, son éparpillement, sa capacité à être très vite distrait par tout et n’importe quoi ? Aucunement. Travailler l’empêchait de penser, travailler était un plaisir et de voir qu’il s’impliquait à son niveau était à la fois touchant et rassurant. Ne pouvait-elle néanmoins s’empêcher de ressasser, d’essayer de définir la manière dont elle allait aborder avec Merrick la notion des enfants, de son possible enfant. Convaincue que si elle prononçait le mot d’Adrien… Il réfuterait l’ensemble immédiatement. Estelle avait dû soupirer à de nombreuses reprises, alors qu’avec toujours une infime tendresse elle portait son regard sur la silhouette masculine, ses yeux trahissant sans aucun doute les sentiments qu’elle éprouvait à son égard.

Après plusieurs longs aller-retour entre la cuisine et la salle, après avoir de nouveau très mal aux pieds par manque de pratique dernièrement, après avoir eu cette satisfaction de pouvoir servir tout le monde, l’ensemble des clients commençaient à disparaître ce qui signifiait qu’elle allait pouvoir enfin se retrouver seul avec Merrick Lorren. L’avisant s’installer à une table, la rousse s’était mise à rire spontanément alors qu’il évoquait à quel point c’était difficile de faire le service.


- « As-tu fait le service ? Mince, je croyais que tu distrayais les clients pour qu’ils consomment plus ! Aurais-je loupé la preuve du royaume que mon coutilier était un homme parfaitement doué en service ? Flûte alors ! » suivant des yeux celui qui se relevait, elle fut presque surprise de le voir consommer si vite « Mh, je crois que tu viens de consommer, donc tu me dois du travail monsieur Lorren… Comme il n’y a pas encore participation financière dans la chope… » elle eut ce sourire en coin « Tu vas payer en ménage ! Je suis trop bonne, je sais ! »

Une lueur d’inquiétude avait fini par traverser son regard, alors que ses prunelles effleuraient les gestes non maîtrisés de son coutilier, alors que sa tête se penchait légèrement sur le côté. Prenant une inspiration elle avait fini par s’approcher du comptoir, se hisser sur la pointe des pieds pour se pencher au-dessus et extirper des torchons afin d’attaquer le rangement et le nettoyage des différentes tables.

- « Est-ce que ça va ? » ne put-elle s’empêcher de demander, penché au-dessus d’une table frottant le bois de celui-ci avec le tissu.

Aurait-elle sans doute dû s’abstenir, alors que ses mouvements s’immobilisaient avec une lenteur presque détestable, lui qui revenait sur le sujet qu’elle aurait voulu ne plus jamais entendre. Eliana. Fermant les yeux, la poitrine d’Estelle dû se soulever dans une inspiration puis expiration bruyante, alors qu’elle recommençait son ménage avec beaucoup plus de dynamique, écoutant Merrick, elle hochait la tête de temps en temps pour lui notifier qu’elle suivait ses paroles. Pour autant, bien qu’Estelle s’applique à se fermer comme elle savait si bien le faire, elle ne semblait ni partager les suppositions de Merrick, ni réellement accepter qu’il revienne remuer le couteau dans une plaie bien trop ouverte pour être titillée de la sorte. Le silence avait fini par être présent, alors que Merrick semblait avoir dans l’idée de revoir la femme de son frère, alors qu’il lui tournait le dos, se pinçant le nez pour venir piquer perfidement. Se redressant, droite, elle dévisageait celui qui venait de la blesser, alors qu’elle estimait ne pas lui avoir ni menti, ni cacher.

- « Et moi je ne reviendrais pas sur le fait que tu as tabassé un homme, que tu l’as fouetté et que tes mains avaient encore de son sang sur la peau alors que tu t’es couché dans notre lit. »

L’avait-elle regretté ? Presque immédiatement, mais la réaction était presque devenue vitale pour la sauver de son agonie alors que Merrick avait le pensait elle en toute consciente tapé lui aussi où ça faisait mal. La rousse s’était bien évidemment mordu la lèvre inférieure, pestant intérieurement de ce tac au tac presque désagréable. Elle avait fini par retourner à son ménage, avec toujours plus de peps, de force, elle qui cherchait à extérioriser sa contrariété d’une autre manière qu’en attaquant l’homme qu’elle aimait.

- « Merrick, tu parles de mon frère ! » finit-elle par réajuster en redressant les yeux vers lui. C’était aussi douloureux que ce que sa voix laissait transparaître, elle qui ne pouvait pas changer après avoir vécu sous emprise depuis autant d’années, elle qui ne parvenait pas à ne plus cesser de l’aimer, de ne plus le percevoir comme un membre de sa famille « Et puis qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas elle, hein ?! Pourquoi ça serait lui ?! Et pourquoi ça ne serait pas quelqu’un qui tente de faire chuter ma famille, les places sont chères à l’esplanade ou dans les beaux quartiers ! »

Est-ce qu’elle le pensait ? Oui et non. Estelle ne parvenait pas à envisager pleinement la chose. Accepter déjà que son frère avait pu abuser d’elle avait été une étape, un étape qui n’était pas entièrement faite, bien qu’elle laisse souvent entendre le contraire. Une petite voix ne parvenait pas à y croire, lui murmurait que cela ne pouvait être le cas, que c’était son frère… Son frère oui. Après avoir été à ce point sous la coupelle d’un autre être qu’elle-même, il était difficile de changer du tout au tout, d’abandonner l’influence. Bien souvent faisait-elle trois pas en avant, pour y retomber avec davantage de violence. Là, c’était un peu trop difficile, un peu trop douloureux, elle qui avait demandé à Merrick de tourner la page, se retrouvait confronté de nouveau à une situation qu’il lui imposait, sans qu’elle ne comprenne véritablement pourquoi.

- « Je ne pense rien Merrick, tu as déjà ton idée en tête, n’est-ce pas ? Tu voudrais que je te dise qu’Adrien est un meurtrier, qu’il trafique avec des bannis, qu’il est le monstre que tu vois… » elle lâcha un soupir « Je ne peux pas te dire ça Merrick…. Je ne peux pas. Je sais, tu as sans doute raison, peut-être, au fond non je ne sais pas. » nouveau soupir alors qu’elle s’acharne davantage sur une tâche d’alcool « Des bannis il y en plein qui rentre Merrick, des brigands et même des pirates, ce n’est pas la nouveauté du jour, ou tout n’est pas au fait d’Adrien non plus ! Ce qu’il m’a fait est horrible, ce qu’il nous fait est horrible et je suis certaine que les Trois sauront nous aider lorsque le temps sera venu, mais il reste mon frère, ma famille. Il n’y a pas que du négatif… Je ne peux pas oublier tout ça ? Lorsque je pleurais, il était là, lorsque je tombais il me relevait, lorsque j’étais en colère il m’écoutait… Tu comprends ? Je ne peux pas voir que le sombre, je ne peux pas…..»

Les mains d’Estelle avait dû s’animer de petit tremblement, alors que sa gorge se nouait de nouveau, alors que c’était simplement « trop », comme souvent. Les choses acquises ne l’étaient pas forcément, ne vivait-elle pas aussi bien la séparation, l’absence, sa colère, sa haine, sa tristesse et le mal la rongeant. Fermant les yeux, prenant simplement une grande respiration, elle ne pouvait que relativiser.

- « Je voudrais qu’on laisse Eude en dehors de ça… J’aimerais avancer et arrêter de regarder le passé, tu comprends ? Si chaque fois que je fais un pas j’ai la sensation d’avoir une corde du passé se nouer à mon poignet, ma cheville ou ma gorge, je ne vais pas y arriver. » elle avait fini par tirer une chaise, pour se laisser tomber dessus, glisser les mains dans sa chevelure, alors que ses coudes sur ses cuisses maintenaient l’ensemble de sa tête « Parfois tu sais, je voudrais me souvenir de rien, je voudrais juste vivre des moments comme hier soir et m’y accrocher… Parfois une odeur me ramène à un moment, parfois un objet, une voix… Et je ne sais pas si c’est vrai, si j’ai imaginé, si c’est véridique, si ça existait ou si j’invente tout » elle sent ses lèvres trembler « C’est dur Merrick ce que tu me demandes… C’est difficile, ça fait mal, j’ai l’impression de brûler de partout. Je te plonge dans tout ça et je sais que tu veux m’aider, mais ne me demande pas de trahir mon frère. »

Parce qu’elle ne savait pas si elle serait capable, vraiment capable de témoigner contre lui, d’avouer l’ensemble, de salir sa propre image, celle de ses parents, celle de sa famille. Estelle était incapable de faire ça, pas maintenant, pas tout de suite, il fallait du temps pour digérer et sans doute du courage pour se dresser contre tout ce qu’elle connaissait, mais comment le faire, quand cette même fourbe de petite voix venait susurrer ici et là que Merrick partirait pour aller vers celle qui pouvait lui offrir ce qu’elle était incapable. Etait-ce le bon moment pour aborder ce sujet ? Etait-ce vraiment le bon instant pour évoquer la raison de la présence d’Adrien ? Estelle ne pouvait qu’en douter. Elle avait la sensation que le couple ne se comprenait pas toujours, était-ce la vérité d’ailleurs, malgré un attachement sincère. De nouveau debout, s’avançant vers une autre table pour reprendre son activité elle s’était immobilisée :

- « Tu me fais avancer Merrick, grandir, réfléchir, tu me donnes encore envie de croire, alors que parfois, croire était devenue un peu difficile… Mais je ne peux pas… Enfin, tu sais, j’ai réfléchi beaucoup et c’est vrai que peut-être mon passé n’était pas aussi beau que je l’imaginais… Mais, tout n’était pas si moche ni mauvais, si sombre, y avait parfois un peu de lumière et cette lumière, je ne veux pas l’oublier non plus. » elle se mordilla l’intérieur de la joue « Je veux aller à la plage, je veux devenir ta femme et je veux pouvoir t’offrir tout ce que tu as besoin pour être heureux et p’tetre que ça passera pas des disputes… P’tetre que parfois on rira jusqu’à s’en faire mal au ventre, parfois on pleurera ensemble…. Mais je veux vivre tout ça avec toi, n’en doute pas. Parce que je sais ce que ça veut dire s’engager… »

Elle ne sous-entendait pas que Merrick ne savait pas, mais Estelle avait cette loyauté, elle avait enduré, elle avait encaissé, accusé les trahisons sans jamais renoncer, sans jamais trahir. Elle ne s’engageait pas sans raison, sans fondement.

- « Écoute Merrick, j’ai besoin… » elle soupira « Prend une chaise, j’ai besoin de te demander quelque chose » elle tira une chaise face à lui, ou avait été le chercher pour se faire s’installer avant de le faire « Est-ce que… Ne me juge pas sur cette question, mais j’ai besoin de savoir avant de te parler d’Adrien, de sa présence, tu comprends ? » elle fit silence, le détaillant un long moment « Ferme les yeux, prend le temps de réfléchir, vraiment, d’accord ? Est-ce que tu as déjà eu une histoire sérieuse avant moi Merrick ? » elle faisait des pauses « Si tu ne veux pas que je sache, alors gardes la réponse pour toi, mais prends le temps de réfléchir » un long silence « Est-ce que… Est-ce que tu faisais attention avec tes conquêtes ? » elle se mordilla la lèvre inférieure avec force « Est-ce qu’il y a une chance Merrick, est-ce que tu penses qu’il y a une chance que tu… » ça lui vrillait les entrailles le ventre, lui donnait la sensation d’étouffer « Que tu … » c’était atroce, horrible « Est-ce que tu penses que tu pourrais avoir un enfant ? Est-ce que tu as déjà eu un retour quelque chose, un doute Merrick ? »

Elle avait glissé ses mains sur ses cuisses, cherchant le contact de ses doigts, Estelle voulait lui montrer qu’elle était là, qu’elle restait là. La rouquine lui avait parlé de ce sentiment de se consumer sur place et clairement là chaque parcelle de sa peau semblait prendre feu, chaque poil semblait être une aiguille, chaque battement un poignard qui s’enfonçait dans sa poitrine. Chaque respiration tout, oui absolument tout devenait insurmontable.

- « Je te demande ça, parce que Adrien est venu m’informer que tu avais une famille et qu’il te le dirait… Et… Ça ne change rien pour moi tu… tu comprends ? Mais… Moi… » elle ne pourrait jamais lui offrir, elle en était convaincue et ça devait la tuer presque autant que le reste « Alors, je comprends » que comprenait-elle exactement, rien n’était moins sur « Je comprends vraiment et ça me semble important. Il ment peut-être… Il doit mentir, hein Merrick ? Il veut me faire du mal, te faire du mal… C’est ça ? Tu n’as pas.. »

C’était un supplice, un supplice de se retrouver confronté à cette vérité ou ce mensonge. Un supplice de voir non pas son passé venir rendre la situation instable, mais celle de Merrick. Estelle voulait croire que cela ne changeait rien, mais était-ce véritablement le cas ? Comment réagirait-il lui ? Aurait-il envie de le retrouver cet enfant, cette femme ? Aurait-il envie de tout recommencer ailleurs ? Alors elle avait simplement serré ses doigts sur les siens avec ce petit tremblement.

- « Adrien… Sa femme, je n’ai pas envie de la voir Merrick, j’ai besoin de construire avec toi… je veux.. » et puis ce fut ce silence, cette hésitation avait-elle quelque chose à offrir pour construire ? « Je ne lui fais confiance ni à elle, ni à lui. Mais je te fais confiance à toi, alors si tu me dis que tu veux la rencontrer, si tu veux l’écouter, si tu veux…. Je suis d’accord. »

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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyVen 12 Juin 2020 - 8:08
-" Pour le meilleur et pour le pire, il n'y a qu'un seul et unique Merrick Lorren !" Cette exclamation qui prenait place après la plaisanterie d'Estelle de Chantauvent concernant les différents Merrick qui existait et qu'elle côtoyait fut dite et présentée sous les auspices d'une moue empreinte de fierté. Redressant le buste, relevant le menton et sortant les épaules, le coutilier tenta de présenter et dresser un flegme impénétrable. S'aveuglant de façon éhontée, il estimait que personne ne lui arrivait à la cheville. Dès lors, comment la tenancière de la Chope Sucrée pouvait-elle présenter l'idée qu'elle côtoyait d'autres individus affublés du même diminutif que le beau salopard qu'il était ? C'était impossible et impensable. Évidemment, il avait conscience que ce n'était que pitrerie et taquinerie. Toujours est-il qu'au travers de cette outrecuidance et de l'assurance qu'il présentait, une petite lueur de doute avait germé au fond de ses prunelles et de son esprit. Parlant ainsi, la jeune femme tapait sur une de ses faiblesses. En avait-elle conscience ? Possiblement.

De fait, ce n'était pas un secret dans leur couple; l'homme d'armes était affreusement et horriblement jaloux. Ici, il n'était pas question de confiance. Après tout, il avait la certitude que la dame de Chantauvent ne le trahirait pas ou ne jouerait dans son dos. Or, il ne pouvait affirmer que cette présomption était véridique envers autrui. Ayant de nombreux doutes quant à la respectabilité des fêtards d'un soir à la Chope Sucrée, il n'aimait aucunement voir ces drôles de personnages tourner autour de celle qui maniait aussi bien les mots que Brigitte. Ainsi, lorsqu'elle présenta l'idée de l'"astuce de tenancière" et le fait qu'elle voyait prétendument différentes personnes se nommant Merrick, son esprit perçut un sous-entendus qui n'avait probablement pas sa place. Elle le présentait comme un énième soupirant, comme un autre ivrogne de la pléthore constituant la masse avinée de la Chope Sucrée. Certes, il savait qu'il se dressait au-dessus des masses dans son cœur. Toutefois, il avait réellement peur de la décevoir un jour et de ne représenter qu'une erreur dans sa vie. De revenir au stade de simple client parmi les masses de l'endroit. Il craignait qu'elle réalise qu'il n'était pas assez bien pour elle. Bref, le couard de Merrick Lorren percevait au travers des plaisanteries des choses qui n'avaient pas lieu d'être pour le moment, mais qui pourrait s'avérer exact à l'avenir. Par ailleurs, il ne fallait pas oublier une chose. Autant que le duo était épris l'un de l'autre, l'incompréhension entre eux était encore et toujours monnaie courante. La suite allait en être la preuve.

Mais, ne brûlons pas les étapes...

Laissant les clients partir sans proférer le moindre son, Merrick avait fini par entraîner Estelle dans la cuisine pour commencer une discussion qui devait être menée à son terme. Trop de choses s'étaient passées dans le quotidien nocturne de la tenancière et du milicien. Ensemble, ils devaient rassembler leurs informations et définir la suite des choses. Oui, l'homme d'armes aurait voulu abandonner ces sujets qui posaient problème aussi bien à la rouquine qu'à lui-même. Or, ayant mis les pieds dans ce bourbier, le jeune homme avait du mal à le quitter en oblitérant l'ensemble des macabres découvertes qu'ils avaient faite. En outre, si son intuition était exacte, sa vie était en danger. Dès lors, pouvait-il réellement pousser la stupidité jusqu'à s'aveugler au profit des beaux yeux d'Estelle ? Son amour pour sa fiancée lui soufflait d'accepter le risque pour ne pas la blesser. Sa couardise inhérente à sa vie d'ivrogne lui dictait de ne pas laisser cela au point mort, alors qu'il pouvait potentiellement finir comme Eude de Chantauvent à cause d'Adrien de Miratour. C'est-à-dire un cadavre qui se relèverait en un prédateur de l'humanité et un mari qui disparaître et laisserait une Estelle esseulée. Esseulée et prête à être malmené par ce salopard de frère.

Usant du même stratagème qu'avec Sydonnie de Rivefière, définissant tout d'abord les bonnes nouvelles avant de plonger dans les mauvaises, le milicien parla tout d'abord de son congé puis de la possibilité de gagner la plage. L'idée était de s'arrimer au bonheur avant de sombrer dans le malheur, au milieu des supplices et des vices. C'était une technique de lâche, mais qui avait fait ses preuves. Certains préféraient définir les difficultés rapidement et en bloc pour passer rapidement à autre chose. L'ivrogne, lui, prenait son temps, hésitant durant de longues secondes avant de dire ce qui risquait de déchirer la conscience de la dame de Chantauvent. Il voulait croire qu'il faisait ça par amour. Certes, probablement qu'une partie de lui faisait cela à cause de son affection pour Estelle. Or, une autre, plus infime, mais plus vicieuse et perfide, le faisait aussi pour se préserver et par peur d'une quelconque répartie acrimonieuse de celle qui était en mesure de souffler le calme et la tempête dans son esprit. À même d'apporter une accalmie dans une mer de tourment, Estelle de Chantauvent pouvait aussi déchaîner un déferlement de doute et d'indécision grâce à la force de ses mots. "Oui, je ne te mentirais pas !" Il retint à la dernière minute un "moi" qui aurait incriminé la rouquine. Après tout, elle lui avait caché l'information concernant le parchemin qu'elle avait trouvé. Du moins, elle avait attendu le dernier moment pour l'avertir. Non, il ne voulait pas parler de ce sujet. Du moins, c'était ce qu'il pensait et croyait sur l'instant, alors que la suite s'annoncerait bien différente...

La discussion ne put s'arrimer plus longuement au bonheur et aux bonnes nouvelles. La montagne de maux était simplement trop grande et trop haute pour être passé sous silence plus longtemps. Commençant lentement, le coutilier avait défini sa prochaine affectation dans les égouts. Enfin, il en vint à la vengeance, à la punition de celui qui avait tenté d'agresser Estelle. Sa question le surprit et Merrick en sursauta quasiment. Était-ce lui ? Évidemment. Or, il aurait aimé passer cela sous silence. Non pas mentir de façon éhontée, mais plutôt par omission. Se passant une main dans la chevelure, plus lentement qu'à son habitude en profitant du geste pour rester muet, il finit par laisser retomber son bras le long de son corps, comme si ce dernier était aussi lourd qu'un poids mort. Il avait fouetté ce scélérat au sang, et bien que son esprit avait été torturé de la chose, son corps n'en éprouvait aucun souvenir, aucun stigmate. Cette facilité à apporter le mal et la douleur à autrui sans rien ressentir de cettedite violence physique lui semblait anormale et aberrante.

-" Oui, c'est moi."
Que dire de plus ? S'excuser pour être devenu un monstre par la force des choses ? Tenter de lui dire qu'il n'avait pas voulu, mais que son devoir et sa hiérarchie l'avaient forcé ? Non, rien de tout cela n’en serait suffisant. Ses mots sonneraient creux aux oreilles de celle qui devait désormais le voir d'une tout autre façon. Il avait fait preuve de violence hier soir. Le voyait-elle maintenant comme un individu féroce et forcené ? Aurait-elle peur de le voir perdre le contrôle ? Craignait-elle pour sa propre personne ? S'aveuglant lui-même dans son désarroi, désarmé par les remords qui l'écartelaient, tandis qu'il avait désiré cette vengeance pour la Chantauvent, mais qu'il s'était exécré pour l'avoir poussé à son paroxysme et à son terme, Lorren ne vit pas qu'Estelle vivait plutôt au travers d'états d'âme inverse et contraire. Elle ne le percevait pas comme un ignoble tortionnaire, mais s'en voulait plutôt de l'avoir fait endosser son rôle de bourreau.

Secouant la tête, évitant le regard de sa tenancière et n'y lisant donc pas ses remords, l'ivrogne tenta de sourire et de changer rapidement de sujet. Il ne voulait pas en parler plus longuement, alors que les réminiscences de ses viles actions d'hier le torturaient aussi sûrement que le fouet d'hier avait meurtri le dénommé Julien Fumé. "...Je suis plus souvent là que je ne le devrais ?" Le jeune homme en resta interdit. Était-ce une façon détournée de dire qu'il était trop présent ? Par la Trinité, comment pouvait-elle présenter cela, tandis qu'elle avait accepté de passer le reste de ses jours avec lui ? C'était incohérent !... Non ? À moins qu'elle ait dorénavant peur de lui. Défini comme un ivrogne, était-il désormais aussi étiquette comme quelqu'un d'agressif dans la conscience de la rouquine ? Est-ce que le sang sur ses jointures le transformait en monstre ? Fermant les yeux sous le passage des doigts de la Chantauvent sur son visage, préférant ne pas réfléchir plus longuement à ces propos qui venaient de souffler le froid sur son âme, il attendit la suite et la répartie de la tenancière de la Chope Sucrée.

La suite le ramena en arrière, avec l'idée qu'il n'avait aucunement appréciée; celle qui définissait l'existence de plusieurs Merrick, celle qui présentait à ses yeux d'idiots qu'il n'était qu'un ivrogne comme les autres. Lorsque la jeune femme présenta l'élément qu'il y avait des tas de gens avinés qui oubliaient qu'elle n'était que tenancière, le coutilier grimaça. Était une façon voilée de lui faire passer un quelconque message là encore ? Que devait-il y voir ? Qu'elle pouvait le remplacer par n'importe qui ? Qu'elle lui avait fait une fleur en acceptant ses avances, tandis que les autres se voyaient repoussés violemment ? Après tout, lui-même avait agit contre les règles de l'établissement et pousser la tentative plus loin que la limite permise... bref, l'intention d'Estelle était difficile à cerner et ô combien difficile à savoir pour le coutilier qui s'enfonçait tout seul dans une mer de doute et d'indécision concernant la perception de la Chantauvent." Je sais bien que cela arrive. Après tout, j'ai fais la même chose..." Ses mots furent prononcés dans un souffle, définissant qu'il acceptait ce qu'il pensait être des remontrances voilé. "C'est plus facile à dire qu'à faire, de travailler avec l'esprit tranquille." Finit-il par avouer en dressant une moue hésitante. "J'ai confiance en toi et Brigitte, mais pas envers les autres engeances des tavernes." Cela avait le mérite d'être honnête et quelque peu sensé. "Je...je ne veux pas t'étouffer de mon inquiétude en te disant ça !" Se dépêcha-t-il de dire par la suite, ayant peur de la voir l'incriminer ou l'incomber d'une autre faute. "Ou quoi que ce soit d'autre de négatif ou de néfaste..." Termina-t-il plus lentement, presque avec hésitation, pensant qu'à ratisser plus large il s'éviterait une quelconque bévue. Déjà qu'il estimait qu'Estelle le voyait désormais comme un être violent, autant éviter d'autres maux ou problème la concernant vis-à-vis de lui, non ?

Finalement, la conversation aurait certainement pu et dû se poursuivre. Or, le brouhaha de la salle principale et le son de la clochette d'entrée de la Chope Sucrée les rappelèrent à l'ordre. C'était peut-être la première fois pour l'homme d'armes d'être heureux d'avoir des tâches à accomplir. Cela permettait un temps mort à cette discussion qui semblait l'incriminer d'une prétendue faute à chaque fois qu'il disait ou proférait le moindre mot. Toutefois, avant qu'il n'est eu la chance de s'enfuir pour se préserver d'un courroux imaginaire, Merrick fut attrapé par Estelle qui vint l'embrasser et le rassurer quelque peu de par sa démonstration d'amour et ses mots." Même si..." même si quoi ? Même si elle le percevait désormais comme quelqu'un d'agressif elle ne le quitterait pas ? Ayant peur d'entendre la réponse, il secoua la tête et finit par sourire faiblement. "Merci." Dit-il d'un ton lâche, alors que le contact de leur lèvre avait été hésitant de par les doutes assaillant son esprit alanguit par son idiotie.

Finalement, le travail avait été source d'oublis. Du moins, s'il était réellement possible d'appeler un travail l'aide qu'apportait le milicien. S'évertuant à parler plus qu'à servir, Lorren apporta sans doute un vent d'amusement dans l'établissement, sans pour autant accélérer le processus qui permettrait aux individus de manger, de boire, puis de partir. Plus fardeau que réel secours, l'ivrogne n'en avait pas réellement confiance et préférait agir de la sorte plutôt que de devoir s'efforcer de faire quelque chose qui ne l'amusait pas le moins du monde. Il était enfantin et puéril ? Tout à fait. En aviez-vous déjà douté ?

Lorsque le service fut terminé, laissant le couple de nouveau seul, Merrick finit par choir sur une chaise, mentionnant l'affront et l'infamie qui se cachait derrière l'idée de servir plutôt que d'être servit. Évidemment, la Chantauvent vint se moquer gentiment de lui. Secouant la tête en présentant un faciès à moitié contrarié et amusé, hésitant à y lire un sous-entendu, mais préférant ne pas se pencher dessus, l'ivrogne alla se positionner derrière le bar pour se consumer dans la consommation d'une boisson houblonnée. Il en avait besoin. Ses gestes avaient été moins précis au fur et à mesure du service. Pris de tremblement, il se sentait comme malade et déconnecté de la réalité. Son esprit baignait dans une torpeur anormale, tandis que le jeune homme réalisait qu'il était en manque d'alcool. Ses sens le poussaient à se diriger vers l'ivresse et son corps le trahissait par le manque. "Oui, je vais bien. Pourquoi n'irais-je pas bien ? J'ai l'air de ne pas aller bien ? Pourtant c'est bien, le service est terminé, non ? Tout est bien qui finit bien !" Blafard, il avait rougi de honte alors qu'il réalisait qu'Estelle avait aperçu ou perçut son mal-être. Mal-être qui s'inscrivait dans une ivrognerie qui n'était pas source de fierté en cette heure et en cet instant. Se tournant pour prendre une autre chope, ainsi que pour éviter son inspection et son observation attentive, Merrick Lorren fit une erreur, énervant Estelle de Chantauvent. Peut-être n'avait-il pas suffisamment réfléchi avant de proférer ses paroles. Or, impacté par le manque d'alcool, ainsi que soucieux et douteux, suite aux différents propos de la jeune femme, l'esprit de l'homme d'armes manquait de clarté. Aussi bien pour discuter que pour analyser ce qu'il lui était dit. Dès lors, la suite ne pouvait être qu'une seule et unique chose...

Un discours de sourd.

Tout d'abord laissé à lui-même avec ses mots, tandis qu'ils n'échangeaient aucunement, mais qu'il actait plutôt un monologue, alors qu'Estelle ne lui répondait pas, son amertume enfla vis-à-vis de cela. Ne se sentait-elle pas concernée par les problèmes ? Leur problèmes ? Finalement, lorsqu'il mentionna le parchemin avec le signe distinctif de sa famille, et qu'elle avait été longue à le lui mentionner cet élément qu'elle avait perçut, il avait voulu se montrer, en quelque sorte, magnanime de ne pas l'incriminer pour un nouveau silence qui sonnait à ses oreilles et dans sa conscience comme un énième mensonge. Or, Estelle n'accepta aucunement cette repartie qu'elle vécut comme une remontrance. Dès lors, celle qu'il définissait souvent comme une jeune femme en mesure de jouer des mots usa de ses qualités d'oratrices et de sa répartie pour le meurtrir avec violence et fracas. Elle revint parler et mentionner son rôle de tortionnaire dans l'affaire d'hier où elle avait été la victime.

-"Pardon ?" Lentement, acrimonieusement, Merrick Lorren venait de poser sa question. Comment pouvait-elle oser mentionner cela, alors qu'il avait agi pour la venger elle ? Assez. Il en avait assez. Lui qui avait fuit la lutte et les risques de la rixe verbale n'y pouvait plus et n'y tenait plus. Avec autrui, jamais il n'aurait réfléchi, plongeant rapidement et drastiquement dans l'inimitié des mots pour se défendre. Or, avec la Chantauvent, son affection pour cette dernière lui soufflait de faire attention. Toutefois, elle venait de dépasser la limite. Dressant un index rageur et accusateur, il pointa la dame de Chantauvent. "J'ai fait ça pour toi, Estelle !" Comment pouvait-elle lui jeter cela au visage et à la figure ? "J'ai toujours essayé de faire de mon mieux et de mon possible. Moi au moins je ne récidive pas avec mes mauvais plis alors que toi tu continues à me mentir !" Rongeant sa lèvre inférieure, laissant la colère retombée, il poursuivit d'une voix nettement plus atone et faible. "Tu crois que j'ai aimé ça, que j'ai fait ça par plaisir ? Me prends-tu à ce point pour un monstre ?" Il ne voulait pas entendre sa réponse. Encore moins la suite des choses.

Soufflant, regrettant probablement autant qu'elle ses mots, le milicien décida de continuer son monologue concernant ses perceptions et la vision des choses concernant Adrien de Miratour. Aigre et hargneux, l'ivrogne tentait d'oublier ce qui venait de se passer. Toutefois, cette prise de bec, prémices d'une situation probablement plus ardue et difficile, ne voulait quitter son esprit. Sur la défensive, il se renfermait, parlant sans chercher à comprendre ou définir la position ou d'où provenait l'indécision de la rouquine sur le sujet. "De ton frère ? C'est un monstre et un salopard avant tout !" Secouant la tête avec force, il lui répondit de nouveau après une énième rasade d'alcool. "C'est elle ou quelqu'un d'autre qui l'aurait poussé à te...". Non. Aussi amer qu'il l'était, le milicien ne pouvait proférer ces dires qui risquaient de la blesser encore plus. "Comprends-moi, Estelle." Cette fois-ci, son ton était nettement plus implorant. Il la suppliait quasiment, passant d'une émotion, d'un état d'âme à l'autre. " Nous savons qu'il peut être horrible. Pourquoi est-ce que cela serait différent concernant ce banni et son entrée dans la cité ?" Voilà. Peut-être était-il mieux de présenter des faits et la réalité pour tenter de la faire concevoir ce dont lui-même croyait.

-"Tu... tu ne penses rien ? Vraiment ?" Sa mâchoire tomba, alors qu'il continuait à l'écouter. Puis, fronçant les sourcils et laissant tomber son coude sur le comptoir, il déposa son front dans sa main, n'arrivant pas à concevoir les mots de sa promise. Secouant la tête, alors qu'elle continuait à définir son déni concernant ce qu'il avançait, il releva lentement le visage pour la regarder n'arrivant pas à comprendre comment elle pouvait s'aveugler de la sorte. Sa main qui avait précédemment été déposée contre son front recouvrait désormais sa bouche, dans une mimique de stupeur complète. Comment cela pouvait-il être possible ? " Tu es sérieuse ? Non, c'est une plaisanterie, c'est ça ?" Demanda-t-il rapidement, se redressant, s'imaginant un bref instant qu'elle s'amusait à ses dépens. Or, réalisant rapidement que ce n'était pas le cas, il plia et ploya en redéposant son menton dans sa paume. "Par la Trinité, Estelle. Tu es réellement sérieuse..." Soupirant et soufflant il ferma les yeux avant de corriger sa posture courbée. Roulant des épaules, il commença à parler lentement comme s'il parlait à une enfant. " Comment ne peux-tu pas me dire qu'il est un monstre ? Comment ne peux-tu pas le savoir ? C'est insensé !" Ça l'était, à tout le moins. Or la suite eut le mérite de lui offrir une piste de réponse.

Grognant, interdit et indécis entre l'envie de lui ouvrir les yeux et de ne pas la faire souffrir plus qu'il ne le faisait déjà, l'homme d'armes finit par se maintenir dans son mutisme en se perdant dans le fond de sa chope. Cette dernière se vidait affreusement vite, même pour l'ivrogne qu'il était. Lorsqu'elle lui demanda d'abandonner et de laisser Eude et Adrien derrière, il secoua la tête. "Crois-tu qu'un individu prêt à commettre des méfaits aussi grands va simplement disparaître et ne plus rien tenter pour nous séparer ? Moi, je ne peux pas accepter cette idée." Non, il ne voulait ni la perdre, ni perdre la vie. "C'est peut-être douloureux de plonger dans le passé, mais si cela nous permet d'avoir un futur sans tracas ni danger, je baignerais cent fois dans ces souvenirs macabres et machiavéliques." Était-il mal placé pour parler, lui qui fuyait son propre passé, préférant ne pas le ressasser et prendre la fuite dans l'ivresse et la débauche ? Peut-être. Toutefois, pour la Chantauvent, il avait accepté de faire face et d'avancer. Ne pouvait-elle faire de même ?

Sortant de derrière son comptoir qui avait été tel un rempart pour faire face à la jeune femme, le coutilier s'approcha d'elle sans pousser plus loin, retenu dans les derniers mètres les séparant. "Je sais que ça fait mal, mais comment peux-tu le protéger et espérer qu'il ne reviendra pas à l'assaut ou à la charge avec un plan encore plus perfide ou vénal pour se venger ou nous distancer ? Qui te dit qu'il n'irait pas jusqu'à commettre un acte irréparable, jusqu'à tenter de nous séparer au travers de la mort ?" La regardant s'éloigner vers une autre table au lieu de venir vers lui, il subit cela comme une attaque directe, comme si elle se rangeait dans le camp du bâtard qui l'avait pourtant abusé. L'écoutant, il secoua la tête de dépit et de tristesse. "Je t'aime et je veux la même chose que toi. Je le veux tellement que je ne peux pas accepter le moindre risque à même de mettre en danger notre vie à deux. Je suis prêt à faire face aux disputes, aux rires et aux larmes. Je suis prêt à passer l'ensemble de mes jours avec toi. Mais je ne peux pas accepter de vivre avec la terreur. Je ne veux pas avoir toujours besoin de regarder par-dessus mon épaule. Je ne peux pas vivre et me concentrer sur l'avenir si je dois avoir peur pour ma vie parce que tu veux un statu quo vis-à-vis de ton frère, alors que lui n'aura pas de cesse de vouloir mettre un terme à notre histoire." Blessé par ses derniers mots, il le laissa entendre. "Ivrogne, coureur de jupons et maintenant tortionnaire. Veux-tu rajouter une énième caractéristique à ton futur époux avant que l'on continue ?" Il secoua la tête. "Je ne sais peut-être pas aussi bien que toi ce que cela veut dire de "s'engager", mais je pense comprendre la définition du mot amour. À mes yeux, la priorité c'est la sécurité de l'autre." À la fois, Lorren la critiquait pour ne pas concevoir les risques qu'il encourrait et il tentait de définir pourquoi il voulait agir. En l'occurrence, pour la préserver et la protéger.

Lorsqu'elle lui demanda de prendre une chaise, il resta hésitant et campé sur sa position avant de finir par hocher la tête et s'asseoir devant elle. Bras croisé, dans une posture aucunement définie par l'écoute il s'enferma dans le silence, ne comprenant pas trop où elle voulait en venir. Il ne ferma pas les yeux, mais les plissa plutôt. Au fur et à mesure que ses dires trouvaient un sens dans sa conscience, sa mâchoire tombait et son regard s'embrasait. " Que...? Pourquoi ?" Dire qu'il était sur la défense était un euphémisme. Lorsque les doigts de la Chantauvent tentèrent de se lier au sien, il ne la repoussa pas et décroisa les bras. Merrick avait été hésitant, mais n'avait pas refusé le contact. Lorsqu'elle mentionna Adrien, il finit tout de même par les lâcher, se levant dans un bond et renversant sa chaise. " Tu le crois ?" Pointant de son index la porte de la Chope Sucrée pour parler de ce scélérat, il continua. "Ne vois-tu pas ce qu'il tente encore de faire ?" De les séparer, évidemment. "Comment serait-ce possible qu'il en entende parler avant moi ?" Peut-être que le frère avait simplement mené son enquête au détriment du milicien. Or, pourquoi la prétendue mère de l'un de ses enfants ne serait pas allée le trouver ? "Il veut encore nous séparer ! Il te veut pour lui seul !"

Se retournant, une main sur la hanche et l'autre sur son front, il se mit à faire les cent pas. " Je n'ai jamais eu une histoire sérieuse avec personne d'autre." Ça, c'était vrai. "Même, je ne pense pas avoir consommé plus d'une fois avec la même femme." Ça aussi, c'était réel, lui qui courtisait par attrait plutôt à cause d'un désir insatiable. "J'ai toujours aimé charmer, mais pas forcément pousser le vice perpétuellement et continuellement plus loin. Même si beaucoup de personnes semblent le penser ou l'oublier." La visait-il ? Qui sait... " Oui, je faisais attention ! Mais... mais j'ai déjà été ivre aussi. Peut-être, d'accord ? C'est, peut-être, possible." Grogna-t-il en s'arrêtant, plus blême que précédemment. "Mais ce n'est pas plausible ! J'en aurais entendu parler avant lui ! Je ne peux croire que c'est vrai. Il invente tout. C'est qu'un énième coup de ce monstre. Qu'une autre vile tentative pour nous séparer". Merrick Lorren ne croyait pas être père, mais il ne pouvait le certifier à cent pour cent. En outre, le doute l'étreignait.

Relevant finalement la chaise, il retourna prendre assise dessus et ce fut à son tour d'attraper la main de sa compagne. "Tu es ma famille et rien d'autre. Ça ne change rien pour moi." Enfin, il sortait de son aveuglement. Enfin, il percevait une pointe de détresse chez la rouquine maintenant qu'il n'était plus que focalisé sur ce qu'il ressentait lui. Croisant son regard, il tenta de définir la suite des choses. " Je veux construire avec toi, mais pouvons-nous prendre le risque de tout laisser derrière nous, malgré les hypothétiques dangers de cette décision ?" Là était le problème. S'ils ne faisaient rien, Lorren avait le pressentiment qu'ils le regretteraient. " C'est peut-être notre vie que nous mettons en danger si on décide d'abandonner la recherche." Puis grimaçant; "Et...et même si je me trompe. Le temps qu'on lui donne à ne rien faire, c'est des jours supplémentaires qu'on offre à ton frère pour qu'il puisse créer un nouveau mensonge, ou pour en développer un autre. Prends par exemple l'idée que je..." C'était aussi dur à croire que difficile à dire. "Que je suis père. Si nous ne cherchons pas à en savoir plus, là, maintenant, il serait en mesure de sortir, de retrouver une femme que j'ai côtoyée et de lui mettre un nourrisson dans les bras." Baissant les yeux sur les doigts d'Estelle, il poursuivit. " Je ne fais pas confiance à l'un ou l'autre non plus. Mais à choisir, je préfère encore laisser une chance à la moins pire que de ne rien faire et d'attendre une nouvelle attaque."

Soufflant par le nez, il tenta de définir précisément ce qui l'habitait sans se laisser submerger par son ressentiment. "Nous ne gagnerons jamais et nous n'aurons jamais gain de cause sans nous battre. Qu'on le veuille ou non, c'est un combat, Estelle. Depuis le premier jour de notre relation, Adrien est en guerre. Contre moi, contre toi, contre nous. Nous, nous n'avons jamais tenté une contre-attaque ou nous ne nous sommes jamais défendus. Nous ne faisons que subir et résister. Encore et encore. Pour le moment, nous tenons. Mais, à ne rien faire, pouvons-nous réellement espérer sortir vainqueurs de ce conflit que nous ne désirons pas, l'un comme l'autre ? Avons-nous réellement une chance de le repousser pour de bon et de construire quelque chose ensemble, si à chaque fois que nous le tentons il vient saper nos efforts ? Combien de temps encore tiendrons-nous ce siège ? Combien de temps encore avant qu'on le regrette et qu'on soit défait pour de bon ? " C'était dur à dire s'il avait réussi à être clair. Or, l'ivrogne avait pensé que de le présenter sous les traits d'une lutte armés entre deux groupes de belligérants l'aiderait à simplifier sa pensée sur la chose. En parlant, il réalisait à quel point la situation ressemblait en tout point à une guerre, tandis que les coups bas et les tentatives de victoire s'enchaînaient encore et encore. C'était à leur tour de tenter de vaincre s'ils voulaient avoir une chance de créer quelque chose de solide et de durable.

Finissant par se laisser tomber sur les genoux, au sol devant la Chantauvent, il attrapa son visage pour la forcer à le regarder. "Je suis désolé, Estelle." Avec un peu de recul, maintenant qu'il avait perçu une pointe de détresse chez sa tenancière concernant l'idée qu'il y ait une femme qui ait porté son enfant, Merrick relativisait le reste et réalisait l'étendue de son agressivité et de ses erreurs dans son discours. "Je ne voulais pas être agressif, mais j'ai... peur de te perdre." Pinçant les lèvres il hocha lentement la tête. "Aujourd'hui, c'est ma plus grande terreur. Je sais que c'est idiot, mais je pense toujours que tu finiras par regretter ton choix de me choisir au détriment de tous. Je suis plein de défauts, après tout. Et puis, me voilà désormais un tortionnaire comme tu l'as dit. Je suis un ivrogne, un couard et maintenant j'ai même du sang sur mes mains."C'était suffisant pour faire fuir quiconque, non ?

Se relevant, debout, il lui fit face avec un visage et un regard nettement moins fermés que précédemment. De fait, Merrick était presque suppliant, supplicié par ses erreurs et ses mots qui avaient dépassé ses pensées. " Tu ne veux pas croire qu'Adrien puisse pousser les vices encore plus loin. Mais...bref. Même si on n'est pas d'accord sur le sujet, ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ?" Se passant inconsciemment la main sur la gorge, il poursuivit avec hésitation. "Je ne veux pas mourir. " Par peur, certes, mais aussi pour ne pas la laisser seule. Toujours est-il que Lorren craignait réellement pour sa vie. "Mais j'ai besoin de toi, Estelle. J'ai besoin de ton avis et de ta vision des choses. Ta vraie vision des choses et non pas seulement la définition de ton aveuglement. Si tu dis qu'il n'y a réellement aucun risque, pour toi comme pour moi... j'a...j'acc...j'accepte." Réalisait-elle ce que cela lui demandait d'accepter de vivre avec la peur? Lui le couard qui avait fui devant la fange en abandonnant sa famille lui faisait la promesse de faire face à sa terreur si elle lui présentait qu'ils n'encourraient aucun danger. Peut-être était-il un ivrogne, un être craintif et un bourreau. Toutefois, pour Estelle de Chantauvent, Merrick Lorren changeait. Ou à tout le moins, tentait de changer.

-"C'est la même chose pour rencontrer Eliana. Je veux qu'on soit d'accord, pas que tu te ranges simplement et seulement à mon opinion." Continua-t-il en se massant l'arrière de la nuque. "Je veux une compagne de vie, je veux la tenancière avec la repartie facile et qui donne son avis sur tout. Pas d'une femme-objet qui n'est là que pour m'accorder l'ensemble de mes caprices." Restant silencieux durant quelques instants, il finit par sourire faiblement, tentant de renouer avec l'amusement et les pitreries. Éléments qui avaient été beaucoup trop absents dans leur dernier échange. "Quoique, tu peux oublier la fin de ma sentence. Toujours accepter mes caprices est un élément plus qu'important. Comme présentement, je voudrais ne pas faire le ménage et passer le plus de temps possible avec toi." Est-ce que ce vent de douceur suffirait à oblitérer le machiavélisme de leur dialogue et les manigances de De Miratour ? Rien n'était moins sûr...

Tendant une main hésitant vers Estelle pour l'inviter à la prendre et à la lever, il poursuivit. "On est ensemble ?" Libre à elle de choisir et de définir si tel était le cas, si elle voulait prendre sa main. Est-ce que ses derniers mots l'avaient rassurée, ou le mal était-il déjà fait ? Allez savoir. Ça, ça se jouait dans l'esprit et la conscience de la dame de Chantauvent. "Que veux-tu faire ?" S'enfoncer dans les vices du passé pour espérer un avenir, ou vivre dans le présent en risquant de ne pas connaître le futur ? Partir en guerre pour assurer un lendemain, ou survivre sans escompter cedit lendemain ?

Affronter Adrien de Miratour une bonne fois pour toutes, ou abandonner et espérer ne pas connaître le goût amer de la défaite ?
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyVen 12 Juin 2020 - 16:43


Parfois, nos mots dépassent notre pensée, entraînée dans un échange, entraîné par des blessures, une contrariété ou de l’instant ou simplement un besoin de faire mal là afin de rendre la miette d’une cicatrice. Estelle le réalisait pleinement à cet instant, elle qui en une phrase seulement avait eu la sensation de poignarder Merrick, la rousse l’avait vue dans son regard, dans la lenteur de ses paroles, dans la déception s’affichant au fond de ses yeux. Le regrettait-elle ? Amèrement, intensément, pour autant, sur le moment présent, elle était incapable de revenir en arrière, incapable de lui pardonner sa presque même perfide attaque, incapable de ne pas ressentir la douleur des mots, des doutes, des sous-entendus. Blessée à vif, avait-elle sans le moindre doute la sensation de mourir sur place, alors qu’elle luttait contre elle-même pour la moindre bouffée d’air, pour ne pas taper plus fort. Oui Estelle réalisait une chose qu’elle avait oubliée, aimer était aussi offrir à l’autre la possibilité de nous achever. Merrick avait ce pouvoir sur elle et l’inverse était tout aussi juste. Ses lèvres s’étaient pincées sans qu’elle ne pivote vers lui, sans qu’elle ne suspende les mouvements en cercle du le bois de la table qui lui donnait la sensation de se détendre, de peser ses mots. La tenancière était coupable du pire, tout comme lui. N’y avait-il pas pire châtiment que d’utiliser ses connaissances sur celui qui représente tout, pour le faire succomber, tomber ou simplement souffrir. Malheureusement, même cette prise de conscience à retardement ne pouvait guère lui éviter l’impulsivité de l’instant.

- « De te mentir ? Moi je fais ça ?! » ne pu-t-elle que s’emporter manquant presque de lui jeter le torchon « Moi je te prends pour un monstre ? Qu’est-ce que tu crois, que j’ai attendu de te donner l’indication pour le plaisir ? Que je ne redoutais pas ton regard, c’est ça ? C’est moi l’immondice menteuse, la sorcière, c’est ça ?! Mais oui c’est ça hein ! Je suis la pire future épouse qui veut épouser une horrible personne sans raison juste pour le plaisir de lui rappeler chaque jour quelle ordure il est c'est ça ?! »

Son souffle se faisait rapide, saccadé alors qu’à cet instant elle le dévisageait plus sévèrement que jamais, le cœur en miette, les tambours irréguliers à l’intérieur de sa poitrine. Elle s’en serait donné mal à la tête, tant son cœur tapait fort dans ses oreilles, tant elle aurait pu se faire violente alors que l’image que Merrick se faisait d’elle lui semblait horrible. Sa bouche c’était entrouverte, oui, son regard durcit davantage. Alors, était-ce ainsi qu’il percevait sa future femme, comme une menteuse qui n’avait de cesse de le faire, comme celle qui le perçoit comme une chose absolument ignoble que même les Trois ne pourraient l’accepter ? Vraiment ? Ce fut le début de la fin. La tenancière avait fini par se refermer, s’enfermant dans son silence habituel qui se faisait pourtant plus rare dernièrement. Le coutilier, qui n’était plus à cet instant son coutilier s’enfonçait dans un monologue douloureux qui lui rappelait cette sensation étrange de coupure. Oui, chaque parole lui semblait être une lame venant égorger sa peau, alors que chaque fois qu’elle tentait de lui faire comprendre, d’essayer, elle s’enfonçait et se faisait davantage amocher. Alors la gérante de la chope avait fait silence, laissant sa gorge se nouer, laissant son regard s’humidifier alors qu’il se rivait sur la table qu’elle essuyait maintenant depuis un long. Et puis ce fut le coup de trop, la blessure de trop, alors qu’hargneuse elle relevait les yeux.

- « De me quoi Merrick ? » l’assassinat-elle « Dis-le, de me quoi ?! », mais elle n’eut pas de réponses, l’homme d’armes tentant sans doute de se rattraper et quand il lui demanda de la comprendre, elle se ferma davantage grognant un « Non » ferme et définitif.

Il y avait des choses qu’elle ne pouvait pas entendre, qu’elle ne voulait pas entendre. Merrick avait cette vision extérieure qui éclipsait tous les bons souvenirs, qui ne voyait que le pire et sans doute avait-il raison. Estelle en était incapable, voulant s’accrocher plus que de raison à ce morceau de bois flottant encore sur la mer de ses tourments. Accepter de ne voir que le pire, ne serait-ce pas réaliser que sa vie n’avait été que souffrance, or, n’avait-elle pas ressenti de la joie parfois ? La rousse s’accrochait à ça, là où Merrick involontaire détruisait le peu de branches à laquelle elle s’accrochait, ce qui lui permettait de tenir. Personne n’était tout noir ou tout blanc, personne… Même pas eux. Avait-elle tenté de lui faire comprendre, suppliante. N’était-il pas possible d’imaginer un peu, juste un peu avancer et ne plus regarder en arrière, n’était-il pas possible une fois seulement de voir les choses autrement. Estelle essayait de s’accrocher à ses espoirs, là où Merrick semblait vouloir en terminer avec ce passé. Qu’avait-il à proposer ? Une guerre, contre son frère ? Avait-il conscience que cela la tuerait sans jamais la libérer ? Le peu de regards qu’elle lui jetait encore confirmait l’incompréhension de son amant, une main sur le front, devant la bouche, les yeux hurlant l’incompréhension. Était-ce si difficile de comprendre que jusqu’à peu il était encore son tout ? Était-ce difficile de comprendre qu’il représentait le dernier membre de son propre sang ? Que tout n’était pas que souffrance ? Sans doute.

Finalement, Estelle redevenait Estelle, cette femme qui avait été battue, abusée et malmenée. Elle s’était repliée sur elle-même honteuse, pleine de culpabilité, ne pouvait-elle qu’apporter le malheur, si elle n’était pas capable de soutenir son mari, de lui offrir ce qu’une femme doit pouvoir offrir. Incapable non plus de sortir de sa tête cette histoire d’enfant, cette famille qu’elle visualisait sans doute dans la mesure d’offrir tellement mieux à Merrick. Se poignardait-elle toute seule désormais, alors que ses doigts se faisaient plus forts sur le tissu, alors qu’elle frottait encore et encore dans ce silence digne des condamnations à mort. La rouquine avait fait silence, dans un silence en binôme un temps, avant que son futur mari ne décide à continuer l’investigation, à violenter son esprit pour essayer de lui faire entendre raison. N’était-ce pas ironique à bien y penser, lui qui souhaitait la voir lutter, alors que lui-même n’avait de cesse de fuir. Lui demandait-il ce que lui n’avait jamais réussi à faire concernant sa propre histoire, ses propres souvenirs.

S’approchant, elle avait eu ce mouvement de recul, alors que son regard s’écarquillait devant la lourdeur et la gravité des suppositions de Merrick. Oui, à cet instant précis, Estelle était comme un château de cartes venant de s’envoler en tous sens malmené par le vent. Ne pouvait-elle pas le rejoindre à ce moment, ce n’était pas possible ni envisageable, ne pouvait-elle pas lui donner raison, c’était au-dessus de ses forces. Les rôles s’inversèrent donc et la fuyarde devint Estelle, alors que l’homme d’armes semblait prêt à affronter tout le reste. Une nouvelle fois, la gérante de la chope sucrée fut blessante, mais son presque mari sembla lui rendre parfaitement, en évoquant que visiblement contrairement à elle, il connaissait la définition du verbe aimer. Suspendant ses gestes, lui offrant un regard criant sa peine, Estelle ne put que se mordre l’intérieur de la joue pour se retenir de ne pas hurler, ne pas s’emporter, ne pas s’enfuir en le laissant en plan dans ce qui était pourtant chez eux. Plutôt que de reporter à plus tard la conversation et les informations qui la rongeaient depuis le début de la journée, Estelle prit la décision ne non pas désamorcer la situation, mais de l’empirer.

Tirant une deux chaises pour venir demander à Merrick de s’installer sur l’une d’entre elle, le cœur toujours en dépression et la voix plus fébrile, Estelle attendait sans doute de cette manière inconsciente que les révélations fassent fuir l’homme d’armes, qu’il admette ce qu’elle redoutait, que sa famille était prioritaire sur la femme indigne qu’elle était. Elle s’y était attendue oui, mais certainement pas à voir Merrick s’emporter, se révolter… Idiote. L’homme d’armes s’était relevé d’un bond, provoquant ce mouvement de recul presque instinctif, alors qu’elle était déjà prête à se protéger devant la colère du coutilier. Jamais Estelle n’avait eu peur de Merrick, d’ailleurs, même à cet instant la peur n’était pas la raison de son comportement, non, ce fut un souvenir, quelque chose dont son corps se souvenait alors qu’elle levait instinctivement les bras pour protéger son visage. Le geste fut rapide et s’effaça rapidement lorsqu’elle le réalisa, alors que son souffle se faisait plus douloureux, plus hésitant et que l’homme d’armes semblait prendre enfin le temps de réfléchir à la question.


- « Merrick je » tenta-t-elle de plaidoyer sans qu’il ne lui laisse l’occasion de le faire, Estelle aurait pu s’excuser d’avoir cru Adrien, avait-il raison, il aurait été au courant, non ?

Pour autant… Elle en oubliait une autre règle primordiale dans un couple et la douleur dans sa poitrine qui se faisait ressentir lorsqu’il évoquait les autres conquêtes, aussi furtives soient-elles sembla très rapidement venir lui rappeler. Merrick réfléchissait à voix haute, elle en était convaincue, les paroles ne lui étaient pas destinées alors qu’il confirmait avoir eu pas mal d’aventures, uniques bien souvent. Dans sa réflexion, elle eut la sensation qu’il lui reprochait un élément non identifiable, elle qui ne lui avait vraiment reproché son passé, elle qui s’était sentie souvent bien inférieure au nombre incalculable de femmes qu’il avait pu mettre dans son lit. Était-ce ça le reproche, le fait d’accepter la réalité ? La rousse s’était relevée, sans trop savoir quoi faire, s’avançant d’un pas avant de reculer, elle aurait voulu l’attraper, l’amener à elle, trouver un rapprochement physique qui avait souvent eu l’occasion de permettre à l’un et l’autre de se concentrer sur la réalité, sur l’amour, sur leur sentiment. Lui était pâle, elle aussi, alors qu’enfin le peut-être tomba, Estelle ne put qu’en retomber sur sa chaise, alors sa respiration s’était bloquée. Le peut-être se transformait dans son esprit comme une certitude, celle que son mariage même pas encore prononcé venait de voler en éclat, celle que jamais elle ne pourrait faire le poids face à une femme lui ayant offert ce qu’elle ne pourrait sans doute jamais faire : un enfant.

Elle eut la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds, que la chope tournait autour d’elle dans un sens puis dans l’autre, oui, Estelle réalisait à quel point l’information semblait la blesser. Elle ne perçut pas la fin de la phrase de Merrick tout du moins dans un écho lointain, alors qu’elle imaginait déjà cette femme et cet enfant. Une brune magnifique aux courbes alléchantes, un gamin avec une tignasse sombre et le regard aussi espiègle que son père, comment pouvait-elle lutter contre cette imagine ? Aucunement. Estelle aurait pu pleurer à cet instant, alors que ses mains étaient venues récupérer son visage, alors qu’elle frottait ses yeux qu’elle aurait eu envie d’arracher à cet instant précis, alors que son cœur l’étouffait que sa gorge se serrait et que l’âme à vif elle aurait voulu lui faire autant de mal… Mais n’était-ce pas ce qu’elle avait fait ? N’était-ce pas ce que toute cette conversation entraînait, des blessures, de la souffrance, d’un côté puis de l’autre, comme une balle passant d’un camp à un autre… D’un camp à un autre, alors que le couple aurait dû dès le départ se trouver du même côté.

Merrick avait repris place, avait fini par murmurer des mots, les mots nécessaires, ce qui presque naturellement avait détendu un peu les muscles de la rousse. Elle dont les troubles n’avaient de cesse de se mélanger encore et encore et encore et encore. Adrien, Eliana, l’enfant, la famille… Merrick parlait de construire, mais elle n’avait rien à lui offrir, Estelle était convaincue de ne pas être béni de Serus et n’était-ce pas là, la preuve la plus ultime que tout son passé l’avait bien trop entaché pour l’obliger à être renié des dieux. Estelle l’avisait, le détailler, jusqu’à manquer de sombrer alors qu’il évoquait cette fameuse possibilité qu’il soit père. Estelle était incapable de répondre, de lui parler, pourtant ses lèvres s’entrouvraient se mettaient à vibrer, mais non, les sons ne sortaient pas, pas le moindre mot, pas le moindre bruit, alors elle tentait de se défaire de l’emprise de ses doigts sur son menton pour aviser le sol, ou plutôt les jambes non loin d’elle. La rousse tentait de retenir les larmes, le goût des regrets, sa colère sourde et aveuglante et tout le reste de ses émotions aussi contradictoire qu’étrange, que révoltante.

Merrick imaginait déjà la guerre, le combat, alors qu’Estelle imaginait le repli, la fuite, l’oubli. Une nouvelle fois leur manière d’affronter l’ensemble était particulièrement opposée. Qui était véritable le couard des deux ? Puis il était venu tomber à genoux, effleurer son visage de ses doigts, l’obligeant à le regarder, l’obligeant oui. Il s’excusait, elle tremblait, il proposait, voulait absolument qu’elle lui donne son avis… Mais, chaque fois qu’elle le faisait, Merrick ne l’écoutait pas ? Après tout, lui avait-elle notifié être contre la milice, restait-il milicien, avait-elle notifié vouloir laisser le passer et Merrick annonçait vouloir partir en bataille toute armes dehors. À quoi bon alors ? Laissant un soupir s’échapper, elle s’était relevée la première, s’éloignant, se rendant compte que malgré les différents il souffrait du même mal, la peur de l’abandon. Croisant les bras sous sa poitrine, Estelle réalisa sans doute réellement à ce moment à quel point il était important et sans doute, honteuse des paroles prononcées, ou trop chamboulées émotionnellement, c’est de dos qu’elle reprit pour la première fois la parole.


- « Tu pourrais être un meurtrier que je continuerais à t’aimer, tu pourrais me demander d’enterrer un corps que je continuerais à t’aimer, tu pourrais partir avec cette femme que je continuerais à t’aimer… Je pourrais être ta maîtresse, le deuxième choix que je continuerais à t’aimer… Tu pourrais être bien pire que mon frère, que je pourrais continuer à t’aimer. »

C’était terriblement violent de le réaliser, surtout d’entendre sa propre voix révéler à voix haute ce qu’elle ne disait pas, ce qu’elle n’admettait pas vraiment jusque-là. La réalité était pourtant juste là, sous le nez de Merrick, sous son nez à elle depuis un moment déjà. Peu importe les difficultés, peu importe les blessures des mots, peu importe les disputes, Estelle, autant que Merrick revenait toujours, toujours. C’était indéchiffrable, inexplication, mais cette certitude était si réelle, si effrayante, mais si réaliste. La rousse en avait honte en réalité, elle qui était incapable de lui en vouloir, elle qui n’avait semble-t-il pas appris de ses erreurs, dépendantes, elle l’était, accro, elle l’était, détruite sans doute aussi par moment. Elle avait fini par s’appuyer à son comptoir, avisant la chope vide que Merrick avait laissée, la faisant tournoyer entre ses doigts, hésitante, pleine de réflexion, plein de supposition. Lui évoquait sa peur de mourir, elle ne parvenait pas encore à accepter l’idée que son frère en soit capable.

Cette tension était perceptible sur ses doigts blanchissant autour de la paroi du verre, sur ce regard perdu qui vagabondait sur l’ensemble de ses bouteilles se trouvant face à elle. Estelle ne put que lâcher un soupir, alors que son coutilier –qui était redevenue son coutilier-, évoquait avoir besoin d’elle, de son avis, de son regard, d’elle simplement. C’est son doute ce qui évita à la rousse de voir le récipient exploser entre ses doigts, pivotant, alors qu’il évoquait vouloir Estelle et non une femme plus ou moins transparente. Merrick tentait de remettre de l’humour, c’était maladroit, pas si évident que ça, pourtant le sourire en coin d’Estelle laissait croire que elle aussi, voulait reprendre le même chemin. N’en était-elle cependant pas capable sur l’instant, elle dont le ventre se tortillait de douleurs, les interrogations, les doutes continuaient à faire trembler ses mains. L’homme d’armes avait tendu sa main vers elle, l’interrogeant sur son envie de continuer ensemble, et sur sa volonté de quoi faire. Le doute n’était pas présent, mais la peur réelle, la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas le combler, d’être le mauvais choix, d’être tout ce qui pouvait y avoir de négatif dans le royaume. Et si cela ne fonctionnait pas ? Si à force de s’entacher, de s’abîmer, ils ne parvenaient plus à se relever ? Si cette famille qu’elle envisageait dans l’ombre de Merrick était trop ? Si son incapacité à lutter contre son frère ne s’estompait pas ?

Immobile, comme tétanisée, elle avait fini néanmoins après un instant de silence par prendre cette main tendue vers elle. Enlaçant avec lenteur ses doigts dans les siens, elle l’attira jusqu’à sa silhouette, pour le capturer. Elle n’avait pas de mot suffisamment fort, même si sa répartie existait, était-elle sans aucun doute moins douée que lui. Estelle avait simplement eu besoin de savourer le contact, sans immédiatement l’entraîner dans ses bras, le capturer, non, d’abord juste le contact des doigts, le regard dans le sien, puis peu à peu la pression se fait plus forte et elle le tire à elle, oui, simplement, pour l’enlacer, le capture, le serrer contre elle, perdre sa tête au niveau de son torse alors que les larmes s’écoulent enfin de ses yeux. Elle s’excuse Estelle, sans que cela ne soit parfaitement compréhensible entre ses reniflements ses doutes, ses larmes, sa voix qui faiblis. La rousse demande pardon, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, puis ne compte même plus. Ses doigts passent dans son dos pour effectuer cette pression dans cette crainte qu’il s’éloigne, la repousse. Son visage reste dans un premier temps bien caché, parfaitement caché dans le buste de son homme d’armes, elle a peur de le regarder alors qu’elle sanglote. Peur de le décevoir encore alors que dans sa tête tout semble s’embrouiller, elle a beaucoup à dire, elle doit répondre, reprendre le fil de la discussion, mais n’y parvient pas.


- « On. Est. Ensemble » souffla-t-elle en relevant légèrement le nez, de cette manière hachée par les émotions et les soupirs incontrôlables qui lui échappent dans des petits sursauts de tristesse.

Elle se mord la lèvre, n’ose pas l’embrasser, elle ne sait pas trop quoi faire, quoi dire, c’est délicat et pourtant sa force contre son dos pour le maintenir contre elle ne ralentit pas, ne diminue pas. La tenancière inspire, expire, cherche à retrouver son calme, réfléchir est difficile, mais la rousse comprend que Merrick a besoin de réponse, d’échange. Elle se décroche avec lenteur, non sans hésitation perceptible pour l’entraîner de nouveau sur les chaises, pour converser cela lui semble plus judicieux et ne craindra-t-elle pas du coup de voir ses jambes s’effondrer. Assise face à lui dans un premier temps, l’avisant dans un silence, elle finit par ne plus supporter la distance. Estelle demande une autorisation silencieuse avant de venir se glisser sur ses cuisses, pour venir glisser ses bras autour de son cou.

- « Je t’aime. » c’était le plus important à ses yeux « Je t’aime » répéta-t-elle une deuxième fois, puis une troisième fois « Je veux avancer avec toi, chaque jour jusqu’à devenir grise, jusqu’à devoir marcher avec une canne, jusqu’à tout… » elle aurait pu enchaîner, mais sa voix avait faibli trahissant les larmes montant, alors elle fit silence, les lèvres pincées, le regard essayant de s’accrocher aux siens sans pouvoir s’empêcher de fuir par moment.

Elle laisse ses doigts effleurer son visage, le contourner avec douceur et maladresse en même temps, comme si elle le redécouvrait à ce moment précis. Avec hésitation, sans doute, avec souffrance, ses lèvres s’étirèrent en un sourire.

- « Je.. Je ne te vois pas comme tout ce que tu dis. Tu n’as pas un ivrogne, ni un couard, ni un tortionnaire, ni tout…. Tu es Merrick Lorren… MON Merrick Lorren qui me plaît pour tout ça et tellement plus. » elle laisse un doigt appuyer sur son nez « Je veux être ta femme, je veux t’écouter et je veux que tu m’écoutes, là, tout de suite… Pendant que je trouve un peu le courage, d’essayer…. De te dire ce que je pense. »

Elle prend une inspiration, lente et profonde, elle savait que cela ne plairait pas à Merrick.

- « Adrien est mon frère. Je le connais depuis que je suis petite. C’est mon frère. Mon frère m’a fait subir… » là ça devenait plus compliqué « Le pire. Oui. C’est vrai. J’en rêve la nuit, il me fait peur, il me donne envie de vomir, de mourir parfois. C’est mon frère. Il est ce côté-là, mais…» c’était sans doute le plus douloureux aussi « Il est aussi celui qui me consolait quand j’étais petite, celui qui me tendait la main quand je tombais, celui qui était là… Et si tu me demandes d’oublier tout ça…. Alors, il ne me restera… rien, tu comprends ? » c’est très difficile, elle détourne les yeux, son ventre se bloque, ses muscles se contractent doit-il sans aucun doute le senti « Est-ce que ça veut dire que j’accepte ? Non » elle est catégorique « Est-ce que ça me fait du mal ? Oui. Mais ce n’est pas si simple… Je sais… Je… Je ne peux pas le détester, je sais que je dois, c’est physique, ça me révulse… Mais, je n’arrive pas, tu comprends ? C’est comme si, si je te disais oui, je me condamnais aussi… D’avoir aimé mon frère, d’avoir apprécié mon frère, d’avoir ri avec lui, d’avoir été reconnaissante de son aide… Est-ce que tout ça a existé pourtant ? Je crois… »

Elle fait silence, sent cette larme silencieuse glisser le long de sa joue, alors que sa main quitte le visage de Merrick pour venir serrer la sienne.

- « J’ai peur que tu me détestes pour ça… Je voudrais que ce soit si simple, qu’il ne représente plus rien… Pardonne-moi… » elle laissa sa tête glisser dans le creux de son cou, dépose ses lèvres sur sa peau un infime instant « Je ne connais plus mon frère, je ne sais plus ce qui est vrai ou faux et parfois j’ai même peur d’avoir tout inventé parce que je refuse d’y croire, je n’y arrive pas… Mais… » elle redresse le visage « Toi, tu es devenu ma réalité, le seul. Je me moque des autres Merrick, c’est toi, juste toi et je te fais confiance. Je sais que tu as raison, j’ai besoin de temps… Alors » elle prend une grande inspiration « Déjà, tu vas faire mon ménage avec moi. » elle tente de l’humour, le même que le sien, maladroitement « Je veux que tu… Que tu demandes à tes conquêtes de passer à la chope, vérifier cette histoire de… de… d’enfant et moi, je vais demander à Eliana de passer, on va la rencontrer ensemble. »

Estelle l’a écouté, sincèrement, malgré l’aspect têtu, malgré les piques, les maladresses, elle est d’accord pour avancer avec lui, même si elle tremble comme une feuille morte à cette idée.

- « Si tu veux m’épouser… Encore… Alors je veux qu’on se prépare. » elle le regarde cette fois, sa phrase est bien une question « Je veux qu’on prenne le temps de se préparer eu temple, qu’on regarde pour choisir nos alliances et nos rubans… Je veux… aussi Merrick… » là, elle eut cette nouvelle larme « Je veux que tu prennes en compte que je ne pourrais peut-être pas t’offrir d’enfant… » c’était important finalement « Et que, bon, peut-être que ça sera difficile au début… Mais si jamais tu es… P… » là c’était un peu trop « Enfin, si… Tu vois… » elle triturait ses doigts nerveusement « Je l’accepte, d’accord ? »

Elle lâche un soupir, semble avoir besoin de venir capturer ses lèvres un instant, comme pour se rassurer, un infime instant, un infime moment furtif, chaste maladroit et particulièrement salée à cause de ses larmes. Lorsqu’elle se détache, elle se contenta de conclure en se relevant simplement, lentement :

- « Je ne t’ai pas dit pour le motif… Parce que je ne voulais pas gâcher le moment, je ne voulais pas te le cacher, je n’en avais pas l’intention…tu sais ? » elle était sincère avait glissé ses bras autour de sa taille, croisant l’ensemble comme si elle avait soudainement froid « Je te le promets… J’ai la peur que toi, qu’un jour tu ouvres les yeux, que tu me vois avec ma rousseur, moi et mon impureté, moi et mon incapacité de t’offrir un enfant… Moi et mon frère menaçant et ma capacité à t’obliger à devoir battre….. à avoir du sang sur les mains, à devoir être celui que tu n’es pas… Je suis désolée pour ça aussi, Merrick. »

Elle laissa un nouveau soupir fuir ses lèvres, avec cette sensation d’étouffer. Elle avait fini par s’occuper les mains pour s’occuper l’esprit en passant derrière le comptoir pour nettoyer le récipient et ce qui finalement avait été évité se réalisa, sous la force de son angoisse et de ses mouvements, l’objet éclata entre ses doigts entaillant la paume de sa main gauche et éraflant d’autres petits endroits. Un couinement avait fui ses lèvres, alors qu’elle retirait déjà le morceau coupant et responsable de sa blessure avant d’appuyer avec son torchon sur l’ensemble.

- « Merde » souffla-t-elle alors qu’elle avait sursauté en percevant un « boum » provenant de l’étage « Tu as entendu ? » l’interrogea-t-elle alors que tout était soudainement calme, était-ce sans aucun doute rien de particulier « Tu me racontes ta nuit, tu as beaucoup bougé et je voudrais apprendre à accepter ton métier et comprendre ce qui t’inquiète, ce qui te tracasse… »

Elle faisait cette pression sur sa paume, cherchant à se faire rassurante sur la blessure alors que torchon prenait déjà des teintes rougeâtres. Dans le fond, était-ce peut-être la première fois que le couple mettait à ce point à plat ses pensées, cela suffirait-il ? Elle n’en savait rien, mais un poids semblait déjà s’être évaporé de ses épaules.

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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyMer 17 Juin 2020 - 8:58
Aucune accalmie ne pointait à l'horizon. Leur échange n'était plus que tempête et fracas. Les paroles volaient en tout sens avec le désir de blesser. Qui avait raison et qui avait tort ? C'était difficile à dire. Aussi bien Merrick Lorren qu'Estelle de Chantauvent campaient sur ses positions, s'affrontant dans une lutte où les mots frappaient aussi durement que les poings. De fait, bien que moins douloureux physiquement, les sous-entendus et les critiques mordaient nettement plus perfidement et vicieusement qu'une véritable rixe. C'était leur conscience et leur sens qui étaient malmenés, alors que leur corps ne souffrait pas directement de cette lutte. L'esprit vacillant entre colère et tristesse, le coutilier tentait de s'arrimer à la hargne pour ne pas sombrer dans la peine. Désarmé par le désarroi, il s'enfermait dans son esprit, ne cherchant plus à comprendre, mais bien à ne plus être blessé. À cause de cela, il manqua la grande majorité des états d'âme de la Chantauvent. Mal-être qui, s'il l'avait perçu, l'aurait fait battre en retraite bien rapidement, tandis qu'elle n'en restait pas moins le centre de son univers et la femme qu'il aimait. Oui, lui faire entendre raison était à ses yeux plus qu'important. Or, cela ne serait jamais prépondérant sur l'idée et l'idéal de ne pas la faire souffrir. Lorren ne voulait pas être un idiot tel qu'Eude de Chantauvent ou un monstre comme Adrien de Miratour. Il ne voulait pas la blesser en la trompant, ou la torturer en l'agressant. Il voulait être son époux et son support. Point final.

C'est ainsi qu'il finit par sortir de son aveuglement, percevant enfin les tourments que l'échange faisait subit sur Estelle. Quoi de plus normal, après tout ? Lui-même n'en menait pas large, impacté par des propos acrimonieux et houleux. S'excusant et tombant à genoux, il tenta de ramener le calme et la paix sur cette zone devenue aride sous les contrecoups de la guerre. Était-ce une mission impossible ? Étaient-ils tous deux allés trop loin pour espérer revenir en arrière et se corriger ? Merrick voulait croire que non. Or, qu'en pensait réellement la propriétaire de la Chope Sucrée ? Sur le coup, il n'arrivait à le dire, tandis qu'elle n'avait pas voulu le regarder et qu'il avait été obligé de la forcer à le faire. Certes, le jeune homme avait agi doucement, égarant ses doigts sur son visage pour croiser ses yeux, mais le mal semblait être fait. En outre, percevoir la détresse au fond de ses prunelles lui fit le plus grand mal. Quel idiot il avait été, bon sang ! Les tremblements qu'il sentait chez la Chantauvent lui déchiraient désormais l'âme. C'était à cause de lui qu'elle se retrouvait dans tous ses états ? Lui qui avait fait la promesse de plus la blesser venait de récidiver. Torturé entre son désir d'agir pour les préserver l'un et l'autre de la perfide de son frère aîné, et l'idée de toute arrêtée pour ne plus la faire souffrir, il tenta de lui expliquer cette triste dualité qui avait alangui son esprit.

Aussi littéralement que métaphoriquement parlant, Estelle de Chantauvent lui glissa d'entre les doigts. Se relevant, elle s'éloigna peu à peu et lui tourna le dos. Est-ce que cette fuite était synonyme de glas sur leur relation ? Était-ce sa façon à elle de lui montrer qu'elle privilégiait les réminiscences de ses souvenirs avec son bestial de frère plutôt que l'avenir dans lequel ils s'inscrivaient à deux ? Était-ce la fin, le dénouement d'une histoire qui avait eu de nombreux chapitres, mais aucunement assez, aux yeux de cet insipide et stupide milicien ? Finalement, la rouquine lui offrit une réponse à son tortueux questionnement qui l'écartelait. "Merci... merci. Merci..." Soulagé, soufflant et s'appuyant à la table à ses côtés, Lorren ferma les yeux quelques instants. Ce n'était pas la fin. Du moins, pas encore. Sur une autre note, l'homme d'armes ne pouvait pas réellement dire qui il remerciait. Estelle, elle-même, pour ne pas l'abandonner ? La Trinité pour la bonne étoile qui semblait le préserver d'une rupture avec la dame de Chantauvent ? Il ne le savait pas lui-même. Or, Merrick savait une chose; qu'importe à qui il s'adressait, il était l'individu le plus reconnaissant que leur relation continue et ne se termine point.

Puis, lorsque cette information eu finit de prendre racine dans son esprit, l'idiot pu se concentrer sur la teneur des paroles de la jeune femme. Oui, elle laissait entrevoir qu'elle ne l'abandonnait pas. Mais elle disait aussi plus que cela. Beaucoup plus. "Je ne veux presque rien de tout ça, moi. Je ne veux pas que tu sois le second choix ou ma maîtresse. Je ne veux pas que tu sois complice d'un quelconque crime ou témoin innocente et silencieuse. Je ne veux pas être pire que ton frère ni égal à ce dernier. Je veux être meilleur que tout cela. Je veux ton amour et je te veux comme femme. Point final." Estelle de Chantauvent laissait entendre à quel point son attachement pour Merrick était fort et puissant en définissant tout ce qu'elle serait prête à faire ou à endurer tout en continuant à l'aimer. À son tour, il avait fait preuve de transparence. Or, au lieu de définir tout ce qu'il était prêt à sacrifier sur l'autel de cet amour qui était aussi intransigeant que puissant, le coutilier avait défini ce qu'il voulait offrir au travers de ce dernier. Elle ne serait jamais un second choix. Elle ne serait jamais trompée, bafouée, abusée, dupée ou agressée. Elle était et serait la seule et l'unique. Encore et toujours.

Suite à cela, Merrick continua à parler. Non pas pour définir pourquoi il l'avait poussé dans ses retranchements concernant son frère, mais plutôt ce qu'il attendait d'elle. Il désirait qu'elle soit une véritable compagne, pas un simple bibelot qui trônerait fièrement dans sa collection de coureurs de jupons. Son avis et ses envies l'intéressaient tout aussi sûrement que ses désirs et son bonheur. Était-elle en mesure de le comprendre ? Était-il en mesure de le définir convenablement ? Finalement, ses tirades qui n'avaient plus rien de brave se terminèrent lorsqu'il lui tendit sa main, espérant qu'elle viendrait la prendre et sceller en quelque sorte cet accord d'avancer ensemble et à deux plutôt que de déchirer l'un et l'autre. Ses doigts restèrent entre ciel et terre durant plusieurs secondes. Ce fut long, alors que l'ivrogne avait l'impression que son bras était un aussi lourd que de la pierre. Finalement, Lorren avait eu gain de cause et Estelle était venue glisser ses doigts entre les siens. Souriant doucement, presque craintivement, Merrick avait simplement apprécié ce contact retrouvé. Après ce genre de conversation houleuse, le retour à un semblant de normal et de promiscuité avait toujours quelque chose d'incongru. Non pas de douloureux ou de malheureux, mais plutôt de doucereux, tandis qu'il réalisait tout ce qu'il avait été sur le bord de perdre.

Ce bref contact de leur doigt s'était terminé dans un enlacement plus fort et plus sérieux. la dame de Chantauvent vint s'appuyer contre lui, enfouir sa tête contre son torse et laisser ses yeux déverser des trombes d'eau salines. Silencieux, hochant la tête avec conviction et force lorsqu'elle proféra ses excuses, il alla perdre une main à l'arrière de sa chevelure et de son crâne pour la rapprocher encore plus. Sa seconde main était allé se perdre dans le dos de sa partenaire. Ses assentiments muets ne prenaient aucunement place pour démontrer qu'il était d'accord avec ses excuses, mais simplement parce que lui-même en avait gros à dire sur le sujet. Or, sa gorge était nouée. Trop fier pour se laisser aller, il retenait le flot qui était devenu intarissable sur les joues de sa tenancière. Pinçant les lèvres, il avait finit par appuyer sa joue sur le haut du crâne d'Estelle. "Ensemble." Répèta-t-il difficilement, fortement impacté certes par la situation, mais surtout par les larmes de la femme qu'il aime. Après tout, cette vision de tristesse de la dame de Chantauvent et la chose qui le chamboule le plus et à chaque fois. Dès lors, comment rester neutre et de marbre face à ce faciès qui se décompose sous une expression de tristesse insondable ? C'est impossible et impensable.

Malmené par une tristesse qui n'est pas sienne, mais qu'il accepte d'être conjointe, Merrick se laisse entraîner jusqu'aux chaises qu'ils ont précédemment quitté. Oui, le jeune homme attend encore des réponses. Or, il n'est plus forcément et férocement en quête de ces dernières, préférant simplement voir Estelle retrouver un peu de calme et de sérénité au détriment de cette peine qui la voit s'épancher dans les larmes. Silencieux, l'homme d'armes se laisse faire et mener, complètement désarmé face à cette peine qui l'écartèle. L'acceptant plus que de bon gré sur ses genoux, déposant une main dans le creux de son dos et l'autre sur ses cuisses, il plonge ses iris dans les yeux de la Chantauvent et l'écoute, prêt à lui répondre. Tout commença par un sourire pour l'ivrogne. Elle l'aimait. Explicitement, elle venait de le proférer. "Je t'aime aussi." Sa réponse était logique, honnête et sensée. Elle le répéta encore et encore. Lui, son sourire s'agrandit encore et encore. Comme le calme après la tempête pouvait-il arriver si vite et être si doux ?

Continuant à l'écouter, Lorren se mit doucement à essuyer les larmes qui arrivaient encore à se frayer un chemin et à se déverser sur le visage d'Estelle. "Moi aussi." Murmura-t-il la gorge nouée lorsqu'elle définit ce qu'elle désirait. En l'occurrence, s'inscrire dans le temps avec lui. La suite de ses mots l'attendrit encore, mais il hocha la tête, prêt à l'écouter sans l'arrêter. Cela semblait déjà suffisamment difficile pour elle de s'épancher dans la vérité, Merrick ne voulait pas en plus couper son élan avec ses propres propos. Ainsi, comme ses larmes précédemment, ses paroles se déversèrent. Intraitable et inarrêtable, elle déblatérait sur tout ce qui s'était joué entre eux, sur son passé et leur avenir. La laissant discourir, l'écoutant sans esquisser le moindre geste, il attendit patiemment son heure pour répondre. Quelques fois, sa mâchoire se contracta et son regard se durcit. Lorsqu'elle nommait son frère, par exemple. À d'autres moments, ses yeux s'attendrirent et sa bouche s'ornementa d'un sourire tandis que la rouquine parlait d'amour ou de leur futur. Finalement vint le temps ou elle proféra le dernier de ses dires, ayant fini de mettre des mots sur les maux auxquels elle était accrochée. C'était à son tour, donc. Or, par où commencer ? Par le plus simple et les éléments qui ne souffraient d'aucun doute dans son esprit, évidemment.

-" Bien sûr que je veux encore t'épouser ! Ça, ça ne changera jamais !" Ces premiers mots étaient sortis avec force et fracas, alors qu'il les avaient retenus de peine et de misère attendant que la Chantauvent termine. "Je ne veux pas que tu en doutes une seule seconde, Estelle." C'était important pour Merrick, que cette hésitation, et que cette crainte disparaisse de son esprit. C'était tout ce qu'il voulait et désirait. "Nous nous préparerons et début octobre, nous pourrons nous marier. Personne ne pourra empêcher cela." Poursuivit-il avec conviction, tentant d'avoir l'air convaincu bien que le doute vis-à-vis d'Adrien continuait à le torturer. "Je serais même assidu au temple." Cela aurait pu être dit sur le ton de la plaisanterie. Or, il était on ne peut plus sérieux sur le sujet.

Puis, la suite devint un peu plus difficile bien qu'encore gérable. "Regarde-moi, Estelle..." dit-il en levant sa main et en la mettant devant son visage. Cette dernière tremblait, encore impactée par le manque d'alcool. "Je suis un ivrogne. Je suis aussi un couard..." Ils avaient décidé de jouer cartes sur table, non ? Dès lors, c'était aussi à son tour de s'ouvrir et de définir ses peurs et tourments. "Donc oui au travers de ça je suis Merrick Lorren. Oui, je suis tien. Mais je ne suis pas exempt de défaut." Qu'il était rare que cet être narcissique, puéril et fier le reconnaisse ! Décidément, Estelle de Chantauvent le transformait tout particulièrement. "À chaque fois que je me lève le matin et que je te regarde dormir..."Pour la suite, il ne put empêcher un petit sourire de poindre. Amusement qui disparu rapidement sous les contrecoups du sérieux."...ou que je tente de te réveiller bien vainement, je me demande si tu ne pourrais pas trouver mieux que moi. Je sais que tu m'aimes et je t'aime, mais..." Il écarte les bras pour se définir dans son intégralité et son entièreté. "Mais je suis ce que je suis. Et toi tu es..." Il était rare qu'il ne trouve pas les mots exacts pour définir le fond de sa pensée. Qu'était-elle ? Belle ? Horriblement belle. Intelligente ? Excessivement. En provenance d'une bonne famille ? Oui. Possédant un établissement qui fonctionne particulièrement bien ? Aussi. "Tu es...toi.". Pour lui, cela avait du sens et était logique. Estelle de Chantauvent était un incroyable parti et Merrick Lorren était parti pour n'être qu'un coutilier ivrogne à ses heures perdues. "L'ensemble des défauts que tu t'incombes n'en sont pas, comparativement à celui que je suis. Pour moi tu es parfaite et idéale. Tu es la femme que je veux épouser." Termina-t-il, revenant sur la longue liste de carence qu'elle présentait et prétendait avoir.

Finalement, l'homme d'armes en revint à l'idée de mariage et plus précisément à celle des enfants. "Pou...pourquoi ne pourrais-tu pas ?" Il ne comprenait pas d'où cela venait. Était-ce parce qu'elle n'en avait pas eu avec Eude ? Il ne savait pas à quel point ils avaient essayé. D'ailleurs, il ne voulait pas trop le savoir, lui qui était en mesure d'être jaloux même d'un mort. D'ailleurs, si un problème il y avait, peut-être était-ce dernier et non la Chantauvent qui en était l'instigateur, non ? " Dans tous les cas, nous aviserons en temps et en heure, non ? Pour moi..." Il repensait au mensonge d'Adrien vis-à-vis de l'hypothétique famille qu'il aurait avec l'une de ses anciennes conquêtes. Lorren secoua la tête pour s'enlever cela de l'esprit. C'était un mensonge. Un simple mensonge, voilà tout. "Pour moi cela ne change rien. Tu es ma fiancée et ma future femme. Un point c'est tout." Il termina par hocher la tête lentement, préférant la voir accepter quelque chose d'impossible et d'impensable plutôt que de les voir renouer autour de la divergence d'opinions tandis que l'ivrogne était convaincu que c'était impossible ce qu'avançais Adrien.

Puis il fut venu le temps de parler d'Adrien de Miratour. Des agissements qu'il avait commis et du titre de frère qu'il ne méritait pas selon Merrick. Oui, il pouvait comprendre la position d'Estelle. Du moins, en quelque sorte et pas complètement. Toujours est-il qu'il finit par se focaliser sur une chose. Sur l'idée qu'Estelle avait besoin de temps pour en venir aux mêmes conclusions que lui. Un peu comme lorsqu'il lui avait appris que son frère avait abusé d'elle, elle avait fini par le croire. Cela devrait être pareil pour ça, non ? Ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne se fasse une raison, voulait-il ainsi croire. Ce serait peut-être une période ou il mettrait sa vie en danger, mais c'était mieux qu'un refus complet, non ? " Je comprends... un peu." Il ne lui mentirait pas. C'était le plus qu'il pouvait lui offrir. Commença-t-il doucement en hochant vaguement la tête. Il aurait eu envie de lui dire que son frère c'était toujours montré gentil et civilisé lorsqu'il se savait en mesure de la contrôler. C'était lorsqu'il perdait la main mise sur la rousse qu'il devenait un monstre. Mais ça, Estelle devrait le réaliser elle-même, il semblerait. " Je ne peux pas dire que je suis complètement d'accord, mais c'est vrai que c'est impossible d'effacer complètement le passé, de penser qu'au néfaste sans réfléchir aussi sur le positif qu'il y a eu." Ça, il était d'accord. Mais de là à s'aveugler de la sorte ? Aucunement. L'ivrogne n'alla pas jusqu'à le dire, mais son air douteux le laissait probablement présager. "J'attendrais, Estelle." Pour elle, il pourrait attendre jusqu'à la fin des temps. En espérant qu'ils ne le regrettent pas l'un et l'autre...

-"Tu...tu es certaine ? Pour les conquêtes ?" Demanda-t-il en grimaçant, n'étant aucunement convaincu de la sorte. Hésitant, Merrick finit par hocher la tête. Si la dame de Chantauvent acceptait de faire venir Eliana, il devait aussi faire un bout de chemin de son côté pour répondre aux demandes de sa tenancière. Ici, c'était donnant-donnant. "D'accord." Assentit-il un peu à contrecœur bien qu'il essayait de faire preuve de bonne volonté. "Je vais tenter de contacter celle que je connais..." Termina-t-il en dressant une moue indécise. Après tout, qui aurait aimé voir se rencontrer sa promise et ses anciennes amantes ? Nul homme. Encore moi le coutilier...

Se laissant embrasser avec plaisir pour sceller l'ensemble de leur échange qui s'était inscrit sur le ton de la confrontation, Lorren ferma les yeux, savourant ce qui était un peu hésitant. Le goût salé du contact de leurs lèvres n'enlevait rien à la douceur du geste. C'était peut-être même mieux que les mots pour le rassurer. La laissant se lever, Merrick en fit de même, ne s'éloignant pas encore d'elle. Lorsqu'Estelle glissa ses bras autour de sa taille, il en fit de même. "Désolé d'avoir douté de toi." S'excusa-t-il concernant l'emblème de sa famille. "Tu l'as encore, hein ?" Demanda-t-il curieusement. Puis, avant qu'il ne puisse parler de son métier, il entendit un brouhaha incongru à l'étage. "Oui j'ai entendu..." Dit-il en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Le couard en lui imaginait déjà le pire. Laissant sa main traîner vers sa ceinture, il fut heureux d'y sentir sa dague. "Je..."

Le milicien fut coupé dans sa tirade par l'arrivée de deux clients à la Chope Sucrée. "Bonjour Estelle ! Merrick.". Fronçant les sourcils et finissant par hausser les épaules, Lorren finit par ne rien dire. De fait, la Chope Sucrée n'avait pas réellement été fermée lors de leur dispute. Le couple avait simplement profité d'un creux de vague pour discuter, et voilà que la pause semblait terminer, tandis que déjà, des nouveaux clients arriveraient sur les lieux. C'était bon pour les affaires, certes, mais cela exaspérait le milicien qui aurait voulu converser plus longuement. Ou du moins, avoir la chance de parler d'autres choses que des problèmes. "Déposant ses lèvres sur le front de la tenancière, il prit la parole. "Je vais aller voir en haut, je reviens t'aider." Puis, il partit en direction de l'étage.

Aux pieds de l'escalier, il entendit l'un des deux habitués questionner la propriétaire de l'établissement; "Tu vas bien ? Tu me sembles un peu... pâle !" Pâle et avec les yeux rougis, probablement. Coupable, l'ivrogne se mordit la lèvre inférieure de culpabilité et monta les marches quatre à quatre. Sur le palier, il entendait les bruits en contrebas des deux individus qui s'attablaient, mais rien ne provenait des différents pièges de l'étage. Restant immobile quelques instants à écouter, laissant sa crainte prendre de l'ampleur, il avança lentement et poussa la première porte à sa gauche. En l'occurrence, l'une des chambres qu'il était possible de louer à la Chope Sucrée. À l'heure actuelle, personne ne résidait dans l'endroit, tandis que l'établissement avait été fermé durant une plus ou moins longue période. Le dernier locataire de cet endroit avait été le banni décapité qui avait parlé d'Eude.

À l'intérieur, Merrick avisa que la fenêtre était ouverte et qu'une chaise était sur le sol. C'est cette dernière qui avait dû tomber sous les assauts du vent. Fronçant les sourcils, relevant la chaise et la déplaçant pour qu'elle ne soit pas directement en face de l'ouverture d'où les forts vents de la journée provenaient, il fut sur le point de redescendre, l'âme apaisée. Estelle devait probablement avoir fait aérer la chambre ce matin et les bourrasques avaient fait chuter l'assise, voilà tout ! Or, sur le seuil de la pièce, l'ivrogne se retourna et alla refermer la fenêtre. Prémonition ou suspicion ? Qu'importe. Il était plus à l'aise si cette dernière était obstruée. Finalement complètement soulagé, il redescendit et récupéra un torchon aux couleurs de la Chope Sucrée pour laver les tables. C'était rare qu'il s'astreigne lui-même au ménage. Toutefois, se sentant coupable de leur dernière prise de bec, Lorren voulait faire plaisir à Estelle et la soulager un peu. "Ce n'était que le vent, rien de plus." Lui dit-il en passant à côté d'elle avec un petit sourire qui se voulait rassurant.

La suite de la journée avait été plutôt simple pour Merrick Lorren. Il avait aidé Estelle jusqu'au commencement du service du soir. Là, il s'était éclipsé pendant un temps pour partir en quête de ses conquêtes. Ou du moins, de celle qu'il se savait en mesure de pister et de retrouver. Cela n'avait guère été long, mais tout de même fastidieux. Finalement, il avait eu gain de cause auprès de deux d'entre elles, attendant encore des nouvelles de la dernière. Cette dernière serait la plus difficile à convaincre de rallier la Chope Sucrée demain, mais qu'importe. Il avait promis à Estelle de le faire et il le ferait.

Finalement, il était rentré à l'auberge et avait fini par se noyer dans l'alcool. Les rencontres du lendemain ne lui disaient rien qui vaille. Ils ne les attendaient pas le moins du monde...

◈ ◈ ◈

Lendemain matin,

Une fois n'était pas de coutume, le couple était réveillé avant même l'ouverture officielle de la Chope Sucrée. Hier soir, Merrick avait réussi à convaincre plutôt facilement -pour des raisons bien différentes- ses certaines de ses anciennes conquêtes de passer à l'auberge. Sans en dire plus, il avait attendu leur assentiment avant de s'éclipser de nouveau. Désormais, faisant les cent pas dans la salle principale, celui qui avait une gueule de bois et qui n'avait pas dormi de la nuit n'était pas du tout convaincu que c'était une bonne idée. Enfin, il n'avait jamais cru que cela en était une. Toutefois, il avait pensé être en mesure de le faire et de l'accepter. "Es-tu certaine que tu veux être là ? Voir ça, Estelle ?" Demanda-t-il en s'arrêtant, interdit et indécis quant à la volonté de sa fiancée. Bien qu'il ne voulait pas faire ça dans son dos, il ne voulait aucunement la voir commencer à se comparer ou juger les femmes avaient qui il avait eu une affaire. "Tu sais, je ne pense pas que ça soit une si bonne idée. Peut-être ferions-nous mieux de laisser ça derrière nous ? Oui, concentrons-nous sur notre futur plutôt, non ?" Estelle ne voulait pas se pencher sur la barbarie d'Adrien et se focaliser sur ce qu'il pouvait créer à deux. Pourquoi l'ivrogne ne pouvait-il pas avoir la même chose ? Laissez ces femmes dans son passé oublié et passez à autre chose ?

-"Oui voilà, c'est une bien meilleure idée !" Commença-t-il en se dirigeant vers la porte pour la fermer pour de bon. "Ça ne sert à rien de...et merde."

Avant qu'il n'ait pu esquisser un autre geste, cette dernière s'ouvrit et laissa passer la première femme du cortège. Une milicienne. S'avançant d'un pas rapide, celle qui avait les cheveux courts et une posture droite et fière s'approcha de Merrick, main derrière le dos. Lorsque son regard se posa sur Estelle, elle fronça imperceptiblement les sourcils excessivement rapidement. Ici, il n'était aucunement question de jalousie, du moins pensait-il, mais plutôt d'incompréhension. "Que puis-je pour vous, coutilier ?" Le regardant droit dans les yeux sans siller, la jeune femme qui avait pris les armes pour défendre la cité attendait.

Surpris et aucunement prêt à faire ça, Lorren ferma la bouche qui s'était ouverte sous la stupeur. La refermant pour ne pas paraître encore plus idiot, il se retourna et se détourna de la nouvelle arrivante, manquant pas de glisser un regard à Estelle. "Bien le bonjour, Victoire." Soupirant et se passant les deux mains sur le visage il marcha en direction du comptoir.

Cette dernière salua d'un hochement de tête sec et bref Estelle avant de répéter la même phrase avec un flegme impénétrable. "Que puis-je pour vous, coutilier ?"

-"Voudrais-tu quelques choses à boire, peut-être ? Et toi, Estelle ?" Demanda-t-il en passant derrière le bar, sachant pertinemment que lui avait besoin de quelque chose d'affreusement fort. Aucune réaction de la milicienne. Bon, très bien... "Comment vas-tu ?"

-"Vous cherchez à savoir si on tente encore de se glisser dans mon lit contre mon gré à la caserne ? La réponse est oui. Quasiment à chaque soir. Vous faut-il autre chose, coutilier ?" Cette fois-ci, le ton n'était plus aussi impénétrable, tandis que la jeune Victoire n'était plus aussi imperturbable. Mais bon, qui le serait après être victime lubricité d'un groupuscule d'homme ? En outre, le fiel qu'elle ressentait à l'égard de Merrick était finalement perceptible lorsqu'elle nommait son grade. La jeune femme faisait attention de ne pas lui manquer de respect directement, mais elle ne cachait plus son ressenti envers le salopard qui lui faisait face. D'ailleurs, à ses yeux, il n'avait plus rien de bien charmant...

Surpris par la vilipenda ce de son ton et l'amertume qui venait de déformer ses traits, Merrick laissa s'écouler un tord-boyaux quelconque trop longtemps. Le contenant déborda et le contenu se déversa sur le comptoir, le rappelant à la réalité. "Et merde...!" Grogna-t-il en récupérant rapidement un torchon pour éviter que le liquide ne s'écoule en tout sens. Relevant rapidement la tête, regardant Victoire puis Estelle et Estelle puis Victoire, il corrigea un élément qu'il lui semblait important. "Je ne l'ai pas connu à la milice. C'était avant !" Pourquoi se dédouanait-il de la sorte ? Simplement et seulement parce que le coutilier ne voulait pas que la tenancière pense qu'il avait abusé du fait d'être un homme d'armes pour profiter de la jeune femme. Cette dernière avait été consentante comme toutes les autres.

La suppliant du regard, cette dernière fronça des sourcils, mais finit par hocher de la tête. "C'est vrai, je n'étais qu'une jeune fille un peu idiote. N'est-ce pas, Merrick ?" Où était le grade ? Envolé avec son impassibilité, elle qui affichait l'ensemble de son amertume en cette heure.

Se passa une main dans la chevelure, Merrick s'appuya au comptoir et vida son godet avant de parler. "As-tu un enfant, Victoire ?"

Cette dernière lui lança un regard noir et meurtrier. "Un enfant, moi ?! Avec qui stupide ivrogne, hein ? Je n'ai plus rien depuis la mort de mon père ! J'ai rejoint la milice pour survivre. Je n'ai plus le temps pour me laisser conter fleurette." Puis après quelques secondes de silences. "Je n'aurais jamais dû avoir le temps pour ça..." Lorren se mordit la lèvre inférieure, hésitant entre se dédouaner et garder le silence. De fait, il ne lui avait jamais faire miroiter des promesses d'avenir. Il n'avait jamais été question de relation non plus. Or, les perceptions semblaient bien différentes entre elle et lui sur le sujet.

-"Je vous connais." Dit-elle en se tournant cette fois-ci après avoir jeté un dernier regard assassin à son supérieur hiérarchique qui se faisait le plus petit possible. " Vous êtes la tenancière qui va marier ce..." Victoire ne savait pas trop comment le définir et préféra ne pas le faire. "Vous devriez fuir tant qu'il en est encore temps. Il va vous faire souffrir et disparaître aussi rapidement..."

-"Victoire !" L'admonesta un Merrick Lorren qui n'aimait pas entendre ce qu'elle disait. Or, rien n'y fit et elle continua.
-"...Qu'une autre. Il en a connu plein, vous savez ? Il..."

-"Taisez-vous, milicienne !" Cette fois-ci, ce n'était plus Merrick ou l'ivrogne qui parlait, mais bien le coutilier. Plus rare, il n'en était pas moins présent dans ce qui constituait le jeune homme. Loin d'être stupide, comprenant le sous-entendu du gradé, la jeune milicienne ferma la bouche, lui jeta un regard noir et tourna les talons. L'entrevue était terminée.

Lorsque la porte se referma, l'homme d'armes resta silencieux quelques instants, perdant son visage dans ses bras, lui qui étaient appuyé sur le comptoir. Puis se relevant vivement, il parla rapidement pour tenter de s'expliquer un moindrement. "Je ne lui ai jamais rien promis ni parlé d'un futur ! Ce n'est pas pareil ! Je..."

-"Meeeeeeeerick ?!"
-" Et merde..." Il se répétait, mais bon.

La nouvelle arrivante était aussi une jeune femme. Nerveuse, triturant le devant de sa robe, celle qui avait les cheveux blonds comme le blé cherchait du regard ledit scélérat qui s'était recroquevillé quelque peu pour lui comme pour éviter son regard. Ce faisant, il prit le temps de laisser couler l'alcool fort dans son godet avant de la saluer d'un petit geste. "Bonjour, Maria !"

-"C'est Marie." Dit-elle en s'approchant à grands pas du bar.
-"Marie." Corrigea-t-il en s'enfuyant de cette position cloisonnée pour se rapprocher de sa promise. "Je... je te présente Estelle !"

La femme du peuple n'avait même pas aperçu ladite tenancière, trop pressée de chercher le milicien. "Qui c'est Merrick, mh ?" Son regard allait de l'une à l'autre, tandis que son visage était penché sur le côté. Elle tentait de dresser un sourire de façade, mais derrière une certaine forme d'hystérie et de haine était perceptible.

Glissant un regard à sa promise, Lorren fut hésitant. S'éloignant encore un peu plus de la nouvelle intrigante, et se rapprochant de la rouquine, il finit par la présenter une fois qu'il se sentait suffisamment loin de ses poings pour sa propre sécurité. Il se rappelait encore lorsqu'elle l'avait attaqué parce qu'il ne voulait plus la voir. "C'est Estelle de Chantauvent. Ma fiancée."

-"Quoi ?"
-"C'est Est.."
-"J'avais très bien entendu la première fois !" Hurla-t-elle.
-" Oh !"

-"J'attendais que tu reviennes vers moi, Merrick ! Pas que tu te trouves une autre traînée !" Puis pointant de l'index Estelle, Marie poursuivit pleine de fiel en direction de cette femme qui lui avait volé "l'homme de sa vie". "Vous n'êtes pas assez bien pour lui ! Vous n'êtes pas assez belle et vous avez vu votre chevelure rousse ? Sorcière ! Lui avez-vous lancé un mauvais sort pour le capturer ? Pour le faire votre ? Vous ne le méritez pas ! Il est à moi. À MOI...!"

Merrick finirait pas la couper, n'arrivant à accepter qu'elle dénigre de la sorte la dame de Chantauvent si elle-même ne se défendait pas. "Assez, Marie !" Cette fois-ci, cela sembla suffisant pour la réduire au silence, elle qui ne voulait déplaire à l'ivrogne contrairement à Victoire qui était empreinte d'amertume à son égard. "Dois-je comprendre qu'il n'y a pas eu d'autres hommes ?"

-"Pas un seul !" Dit-elle suppliante.
-"Donc tu n'as pas d'enfants ?"
-"Non, pourquoi ?"
-"Merci, c'est tout !"

Finalement, Merrick était allé la poussé vers la sortie, évitant ses bras voulant s'agripper à son cou, et n'écoutant pas ses mots qui le suppliaient de la reprendre. Refermant la porte sur Marie et un dernier cri qu'elle poussa, Lorren s'appuya à cette dernière et regarda Estelle. "...Désolé." Pourquoi s'excusait-il ? Probablement pour tout. Plus blême qu'à l'accoutumée, il leva une main qu'il passa fébrilement dans sa chevelure. La dame de Chantauvent était en train de voir le pire de lui. La perception qu'il avait laissée à ses conquêtes. Voyait-elle des similitudes entre comment il l'avait traité elle et comment il avait traité ces femmes ? Commençait-elle à craindre qu'il soit volage ?

-"Ça devait être ça le stratagème de ton frère. Te faire rencontrer mes anciennes conquêtes pour... pour que tu voies à quel point je suis..." abject ? Infect ? "Que j'ai été peu recommandable et que je ne suis pas digne de toi." Se passant une main dans la tignasse encore et encore, il fit un pas pour s'approcher d'Estelle. Reculerait-elle ? Refuserait-elle de lui parler ? Se refermait-elle ? "Estelle, je suis désolé." Il l'était vraiment. Réellement. "Je ne veux pas que ta vision sur moi change. Je sais, c'est égoïste." Les traits de son visage se crispèrent. "Abandonnons, ça ne sert à rien, je suis certain qu'il n'y aura rien de plus. Il...il n'en reste qu'une, mais...", mais c'est la pire. Or, comment le dire, le proférer ? Ce qu'ils venaient d'affronter et de faire face ne serait rien en comparaison à celle qui allait apparaître. Secouant la tête, ne sachant plus trop que dire ou quoi faire, sa main qui passait continuellement dans sa tignasse se mit à tirer sur sa chevelure, comme pour l'arracher.

Encore une fois, comme une constante et une routine, un bruit en direction de la porte les coupa. Cette fois-ci, avant que le battant ne s'ouvre rapidement ou lentement, la personne de l'autre côté prit le temps de cogner contre le bois avant de pousser tranquillement et de rentrer dans la Chope Sucrée. Femme entre deux âges, cette dernière était habillée de noir et avançait lentement. Le port altier et ses vêtements laissaient présager à quel point elle était d'un autre milieu que Lorren. Ce dernier qui était déjà blême devient blafard. C'est de peu qu'il ne tourna pas de l'œil. Affolé, il alla au côté d'Estelle se cachant quasiment derrière elle.

-"Bonjour à vous, Estelle, Merrick." Dit-elle poliment, en hochant de la tête pour les saluer. "Eugène m'a fait le message. Que puis-je pour vous ?"

Ils avaient à faire à une ancienne amante de Merrick Lorren, mais pas n'importe laquelle. Cette femme était Rosalia, la veuve de De Marais, l'homme que le coutilier avait fait cocu et qu'il avait laissé mourir lorsque lui et la rouquine avaient tenté de rejoindre le Labret. Muet, l'ivrogne n'arrivait plus à proférer le moindre mot, tandis que c'était comme s'il était devant un fantôme.
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyMer 17 Juin 2020 - 18:43


Après la tempête venait le beau temps, une expression qu’Estelle trouva à cet instant particulièrement réaliste. Les sanglots dans la gorge, les larmes au bord des yeux s’écoulant parfois le long de ses joues dans des sillons plus clairs, humides, il était venu pour elle le temps de faire silence. Merrick l’avait écouté, sans l’interrompre, sans la couper, fort heureusement d’ailleurs sans quoi la Chantauvent n’aurait sans doute pas été en mesure de reprendre. Dans cette proximité qu’elle affectionnait, son coutilier avait finalement repris la parole, débutant par cette certitude, cette conviction qu’il voulait toujours l’épouser. Le cœur de la tenancière sembla sur l’instant exploser dans sa poitrine, avec une force si démesurée qu’elle sanglota davantage, non pas par tristesse cette fois, mais par véritable soulagement. Ses doigts trifouillèrent la chemise de Merrick avec lenteur et force, alors que dans ce geste presque enfantin, la rouquine semblait retrouver un peu de réconfort. Déglutissant, soupirant de cette manière involontaire que ses émotions provoquaient, elle ne put qu’opiner avec une lenteur démesurée. L’homme d’armes évoquait le mariage, utilisait des mots forts et une voix si convaincue que le coutilier ne pouvait être que convaincant. Opinant une deuxième fois, puis une troisième, le mouvement de son visage se relevant et s’abaissant semblait s’être soudainement accéléré alors que ses lèvres se retrouvaient mordiller sous les assauts de ses dents. Cela l’enchantait autant que cela la terrifiait, octobre lui semblait si loin et si proche à la fois.

- « Tu seras même assidu au temple » répéta-t-elle dans une voix qui trahissait sa surprise et dans une pointe sans doute de taquinerie « Moi aussi » souffla-t-elle devant cette évidence en opinant vivement « Promis ».

La suite fut plus délicate déjà, alors que son coutilier lui demandait de la regarder, ce qu’elle fit alors qu’elle percevait ses doigts tremblant sous son menton. Ce tremblement l’inquiétait, parce qu’elle n’en n’identifiait pas la source, mais aussi parce qu’elle craignait qu’il soit en colère, ou peut-être malade. La rouquine n’en avait cependant rien dit, préférant ou n’ayant pas d’autre choix que de se concentrer sur les mots que Merrick prononçait. Lorsqu’il débuta à se dénigrer, ses lèvres s’étaient entrouvertes, prêtes à le contredire. Avec elle, il n’avait été ni couard ni… Bon l’ivrogne peut-être un peu, fallait-il bien admettre qu’Estelle l’avait rarement vu sans une chope ou une bouteille à la main… Refermant ses lèvres pour faire silence, simplement pour lui offrir l’opportunité de s’exprimer, aussi longtemps qu’il lui avait permis de le faire. Lorsqu’il évoqua les souvenirs, qu’il avoua le regarder dormir, la douceur qu’exprimait le regard d’Estelle ne put que s’accentuer, alors qu’un sourire venait étirer ses lèvres, elle aussi, elle aimait le regarder dormir, même si les nuits de Merrick Lorren étaient bien souvent agitées par les mauvais rêves. Elle s’était mise à rire lorsqu’il évoquait qu’elle était elle, manquant de lui souligner que cette argumentation n’avait guère de sens et qu’il avait déjà fait beaucoup mieux. La suite lui fit néanmoins froncer les sourcils, ce qui la fit sortir de son écoute attentive, non, Estelle n’avait ni envie de mieux ni de pire, la rouquine ne désirait qu’une simple chose et elle se trouvait devant elle : Merrick Lorren.

- « Si je dois arrêter de douter, alors toi aussi » murmura-t-elle « Je ne veux que toi Merrick, peu importe tes défauts ou mes défauts, même si doit-on bien l’admettre suis-je bien évidemment parfaite et dénuée de toute zone d’ombre d’après toi »

La rousse avait tenté de renouer avec leur humour, elle qui avait l’habitude de le voir batailler pour conserver l’emprise de la conversation, elle qui le voyait plus se jeter des fleurs –toujours avec humour-, ne voulait pas voir autre chose. Merrick était cet homme avec des défauts –qu’elle oubliait ou ne voyait pas la plupart du temps-, mais c’était aussi pour ça qu’elle était complètement folle de lui. Là où lui se prétendait couard voyait-elle un homme courageux, qui ne fuyait pas devant les problèmes, là où il se définissait comme coureur de jupons ne pouvait-elle que réaliser que pour l’heure et à sa connaissance il lui avait été fidèle. L’unique point sur lequel la tenancière était en accord était sur sa relation avec l’ivresse. Lui reprochait-elle pour autant ? Jamais. Vint la suite de la conversation, celle-ci, elle aurait préféré l’oublier.
Son visage se déforma un instant, d’abord de tristesse, puis de doute. Son regard se détourna de la silhouette masculine, de son visage. La rousse avait honte de cet état de fait, pour autant, il était impossible à ses yeux de procréer, comment après un temps de mariage, comment après autant d’abus… Elle avait pu ne pas tomber enceinte ? Était-ce forcément que le problème venait d’elle. Jamais la rousse n’aurait dénigré en ce sens Eude, non elle était forcément responsable. Son regard s’attrista, car si Estelle avait toujours prétendu ne pas vouloir d’enfant, c’était plus parce qu’elle avait fini par s’en convaincre que véritablement par fait concret.


- « Parce que… » elle s’arrêta un instant, consciente que Merrick devait simplement dire tout ça pour la rassurer. Néanmoins voulait croire qu’à ses yeux cela n’avait pas la moindre importance, alors opina se raccrochant à la simple idée de voir ça plus tard, en temps et en heure. Était-ce repousser le problème à plus tard, sans aucun doute, mais sur l’instant, cela lui suffisait pleinement. « Merci… » murmura-t-elle simplement en venant déposer son front contre le sien.

Comme il est toujours possible de faire pire, aucun doute que quand la conversation avait tourné sur le sujet d’Adrien, son frère, une nouvelle grimace vînt déformer le visage de la tenancière. Elle s’était un peu tendue, s’attendant au pire, avant de réaliser que Merrick ne repartait pas au front, mais bien vers l’apaisement. Sur l’instant, la rousse ne put que lui être reconnaissante, grandement même, ses lèvres s’étaient étirées dans un sourire tendre, alors qu’une nouvelle fois son visage venait opiner avec lenteur. Glissant ses lèvres au niveau de son oreille, sentant la boule d’angoisse dans son ventre se dissiper, elle se contenta de le remercier, sincèrement. Cruellement sincèrement même. La Chantauvent aurait voulu que cet instant ne s’arrête jamais, elle aimait retrouver cette promiscuité, elle aimait découvrir qu’après la tempête le couple parvenait toujours à s’entendre à se réconcilier. Oui, Estelle découvrait à chaque avec surprise que malgré les tempêtes, le duo semblait rester parfaitement encrer l’un à l’autre.

La suite provoqua inévitablement une nouvelle grimace. Est-ce qu’elle était certaine de vouloir rencontrer les conquêtes de Merrick ? Certainement pas. Pour autant, il le fallait, du moins à ses yeux, c’était obligatoire, sans quoi ni l’un ni l’autre ne pourraient avoir la certitude qu’Adrien mentait. L’idée même que Merrick puisse être père sans le savoir était un poids trop lourd dans sa poitrine, alors qu’elle maudissait égoïstement et jalousement cette possible femme qui avait su donner la vie et ainsi créer ce qui ressemblait de loin à une famille. Estelle n’avait donc pas répondu, laissant Merrick prendra son silence pour une confirmation qu’elle ne parvenait pas à assumer. La Chantauvent s’imaginait déjà voir un millier de femmes –au moins, au minimum- faire la queue derrière la porte de la chope sucrée pour venir échanger avec SON milicien. Aucun doute qu’il serait horriblement difficile de ne pas succomber à l’envie de sortir Brigitte.


- « Celle que tu connais ? » fit-elle par réagir surprise « Merrick si tu as… » l’image de lui et d’une autre femme s’était imposé dans son esprit, ce qui était absolument insurmontable « Enfin, c’est que tu l’as connais, non ? »

Peut-être était-il plus prudent de ne pas trop se renseigner sur la question, secouant vivement la tête de droite à gauche pour lui notifier qu’elle ne voulait aucunement connaître la réponse finalement, elle se contenta de plisser le nez, les lèvres avant de se relever pour disparaître et retourner à son ménage. En réalité était-ce aussi un moyen de fuir cette conversation qui la mettait autant mal à l’aise qu’elle lui semblait très importante. Lâchant un soupir, elle ne put qu’astiquer la chope qu’elle avait de nouveau en main avant de relever le nez vis-à-vis de cette histoire de cachotterie sur les armoiries de sa famille.


- « Je l’ai toujours » affirma-t-elle dans l’idée d’ajouter qu’elle lui confierait dans la soirée ou qu’il pouvait le récupérer s’il le souhaitait, mais…. Un bruit vint la déstabiliser, l’obligeant à relevant le nez vers l’étage. Un frisson désagréable avait remonté le long de son dos, alors qu’elle avisait Merrick.

Lui semblait déjà sur la défensive, prêt à dégainer sa lame, cette situation embarrassa légèrement la rousse qui regrettait de ne pas parvenir à se sentir en sécurité dans son propre établissement. L’échange fut néanmoins de nouveau coupé par l’arrivée des premiers clients. Affichant un sourire, Estelle n’avait pas pu s’empêcher de retenir un peu Merrick, du bout des doigts simplement, l’obliger à maintenir une légère proximité comme pour se rassurer, pour s’assurer qu’il n’allait pas disparaître soudainement en prenant conscience que l’un et l’autre avaient été terriblement violents verbalement. De là, elle dû pourtant faire son métier et laisser partir Merrick sur l’étage alors qu’elle attaquait son service, un sourire de circonstance… Ses yeux rouges, les traces sur ses joues ne pouvaient cependant que la trahir.

- « Bonjour, bonjour » fit-elle dans cette joie moins prononcée « Qu’est-ce que je peux vous servir ? »

Son visage s’était légèrement déconfit alors qu’on abordait sa pâleur, bien évidemment cherchant à donner le change, elle devait trouver une raison positive à son état. Réajustant un large sourire elle se contente d’hausser des épaules, un instant, de réfléchir tout en débutant de préparer la commande. Dans son esprit tout se bouscule, la conversation, les doutes, l’idée que Merrick est à l’étage, sa peur, ses larmes, les mots… Les mots, oui. Finalement elle finit par secouer la tête, place tout sur un plateau avant de venir déposer la fameuse commande d’alcool.

- « Non ça va » fit-elle « Vous savez ce que c’est, la préparation d’un mariage est particulièrement stressant… j’ai appris que je ne pourrais pas avoir le ruban souhaité… Ça m’a mis dans un état lamentable » mentit-elle bien trop naturellement.

Bien évidemment ce fut un fou rire général, chacun imaginant volontiers une femme faire preuve d’autant d’émotivité pour un simple ruban. Chacun y avait été de son avis, de son opinion, l’un lui disait que ce n’était pas bien grave, l’autre prétendait que tant que les deux étaient présents tout le reste ne devait pas avoir d’importance. Mimant un état de confusion avant de rouler des épaules, elle s’était bien évidemment auto moquée de sa propre sensibilité. Merrick avait fini par redescendre, la rejoignant pour venir l’aider PIRE faire même du ménage. Elle s’était immobilisée l’avisant avec de gros yeux de surprises, passant derrière lui, elle était venue capture ses lèvres, faisant fit du reste, ignorant les regards. Estelle en avait marre de faire attention et osait, elle osait un peu plus, beaucoup plus même. Ceci fait la rousse lui avait murmuré à l’oreille qu’il devait être gravement malade pour agir de la sorte.

La suite fut presque habituelle, chacun s’activant pour satisfaire les différents clients, Estelle n’avait pas vu le temps passer, chacun revenait, reprenait ses habitudes s’offusquaient parfois à raison ou déraison de la fermeture qui se faisait régulière depuis que la Chantauvent retrouvait une vie de couple. C’est durant l’absence de Merrick qu’une cliente un peu particulière avait fait son apparition. Eliana. Estelle avait mis un temps fou pour la servir, non pas parce qu’elle était débordée, mais parce qu’elle ne voulait ni lui parler, ni même la voir. La femme de son frère ne s’en était visiblement pas offusquée, attendant sagement que la rousse trouve le bon moment pour venir échanger. Ce ne fut qu’une fois la totalité des autres clients servis qu’elle vint s’installer face elle, tout en déposant du bout des doigts la boisson appréciée par sa belle sœur.


- « Merci Estelle, je venais voir Merrick, il est là ? »
- « Non pas vraiment » souffla-t-elle « Merrick est sorti, tu vas devoir te contenter de moi »

Cela ne semble pas plaire à celle qui se trouve face à rouquine, elle fronce les sourcils par trois fois, en s’enfermant dans un silence. La situation ne plait pas à Estelle qui n’apprécie pas franchement que Eliana s’intéresse ainsi à son mari. Prenant une inspiration, puis une autre, celle qui a déjà donné la vie se laisse glisser sur la chaise, s’appuyant davantage sur le dossier de celle-ci avant de reprendre la parole.

- « Bien, je n’ai rien à faire ici alors, je n’ai pas envie de te parler. » elle s’apprête à partir quand Estelle se relève pour la retenir par le bras
- « Attends. Merrick m’a parlé de votre conversation, tu n’as cas venir demain, après le service du soir ? D’accord ? »
- « Lâche- Il t’a parlé ?! » elle semble surprise, ne s’attendait-elle sans doute pas que le couple partage autant « Je prends bonne note Estelle, mais ne va pas croire que je fais ça pour toi, je suis juste moins inconsciente que toi visiblement et je refuse de perdre mon mari stupidement. »

Les mots sont durs, la rousse ne peut que la relâcher pour la voir repartir. Eliana l’a toujours détestée, sans que jamais la rousse ne comprenne pourquoi, depuis que la mémoire semble lui revenir, elle comprend. Après tout, quelle femme supporterait de voir son mari se perdre dans les draps de sa sœur ? Savait-elle qu’elle n’était pas consentante ? Savait-elle seulement quelque chose ? La silhouette disparaît par la porte principale et la rouquine ne peut que s’immobiliser un temps, pensive. Le bruit des clients avait néanmoins fini par la ramener dans la réalité de l’instant, avant qu’elle ne reprenne ses occupations.

Lorsque le dernier client disparu de sa vision il était tard, vraiment tard, elle avait tenu à prendre un bain pour se détendre, réellement. Merrick avait été dans son esprit la totalité de la journée, de la soirée. Estelle culpabilisait de son comportement et voulait sans aucun se rattraper. Lorsqu’elle sortit de son bain, elle avait rejoint son futur époux dans leur chambre -soit parce que Merrick s’était débarbouillé avant, soit parce qu’il était trop épuisé pour le faire et qu’il s’était simplement couché-. Elle n’avait enfilé aucune tenue de nuit et avait profité de l’obscurité régnante pour le surprendre. Se glissant contre lui, Estelle avait bien évidemment dans l’idée de se rabibocher et elle lui avait notifié de la plus douce des manières.

Aucune culpabilité cette fois pour la tenancière, les choses étaient très clairs après leur discussion : Merrick était son mari, ou était en phase de le devenir. De ce fait, elle était entièrement à lui autant qu’il était à elle et cette notion d’appartenance semblait la rassurer au niveau de sa croyance. Aucun doute que le clergé n’aurait pas cet avis, néanmoins… Elle, elle ne parvenait plus à lui résister aussi facilement et ceux même quand il ne faisait strictement rien pour la faire succomber. Ainsi la nuit se terminerait dans des élans d’affections tendres et plus poussés ou simplement sur une proximité douce avant de sombrer dans le sommeil. En fonction de Merrick, répondrait-il ou non à ses avances, rien n’était moins sur ?

Estelle était loin d’imaginer, très loin d’imaginer que le lendemain serait si différent et si compliqué à gérer. Le réveil avait été complexe, elle qui n’avait eu aucunement envie de sortir des draps de son lit, la rousse avait mis un temps fou à se préparer avant de daigner descendre pour préparer le service du midi, elle avait détaillé Merrick faire les cent pas dans la pièce principalement, sans vraiment comprendre son inquiétude. Pour la première fois depuis bien longtemps Estelle s’était surestimée, largement, démesurément même, la rouquine avait eu l’illusion de croire que cela ne lui ferait ni chaud, ne froid de rentrer les ex… relations de Merrick, le passé était le passé se répétait-elle. C’est qu’elle avait de l’humour parfois, elle se tendait ses propres pièges ou elle tombait plus que largement dedans.

Immobile, elle était sur le point sans le savoir de comprendre pourquoi chaque couple s’appliquait à ne pas parler des précédentes femmes ou hommes qui avaient fait partie de sa vie. Pour autant, sur l’instant, la tenancière tenait à se faire rassurante.

- « Pourquoi ne voudrais-je pas être là, il n’y aucune raison de t’inquiéter » souffla-t-elle avec sa tranquillité légendaire, elle, elle n’était aucunement anxieuse sur l’instant «Merrick, cesse dont de te faire du mal, ce n’est qu’une discussion, non ? Et puis franchement, après tout ce temps, tu penses sincèrement que ça va mal se passer ? »

Oooh Estelle sous-estimait largement à quel point Merrick avait pu mal se comporter, dans son esprit naïf, chaque fois qu’il avait eu une relation sans lendemain ou avec lendemain, cela se faisait d’un commun accord. Ainsi chaque partie savait à quoi s’en tenir. Pas de souffrance donc. Merrick lui avait déjà laissé entendre le contraire, mais sa manière de se comporter avec elle était si différente que la Chantauvent avait du mal à se faire à cette idée. Quoi qu’il en soit, ce fut donc sans jalousie et sans difficulté qu’elle envisageait les différents entretiens. Allait-elle découvrir très rapidement que la jalousie qu’elle ne pensait jamais l’avoir vraiment habité savait être une alliée parfois très discrète et parfois très très présente. Avisant son coutilier tenter de se défaire de ce plan organisé, elle ne put retenir un sourire enfantin de se former sur ses lèvres. Il était intenable. Pensait-elle à tort qu’il s’inquiétait inutilement et qu’il craignait simplement que le nombre impressionnant déstabilise la rousse. Estelle de son côté, pensait s’être suffisamment préparé et avait suffisamment accepté l’idée pour que tout se déroule bien. Grand mal lui pris.
La première à entrer fut une milicienne, cheveux courts, corpulence musclée, elle dégageait une assurance certaine. Les traits de son visage étaient fins, trop sans doute. La rousse s’était sentie défaillir, comme si le sol allait soudainement s’écarter pour l’engloutir, elle avait été incapable d’articuler un mot. C’était une évidence, à la façon dont chacun s’avisait qu’il s’était passé quelque chose entre eux. Était-ce seulement son imagination ou la réalité ? Elle n’en savait trop rien. La conversation sembla lui échapper cependant, alors que Merrick s’approchait et que Victoire faisait de même. La rousse n’avait pas attendu pour se servir un verre, silencieuse, elle crut s’étouffer alors que la fameuse victoire évoquait les abus qu’elle semblait subir ou avait subi… Sa bouche c’était entrouvert, son regard c’était porté sur Merrick, était-il dans le lot ? Impossible. Les pensées d’Estelle avaient semblés un instant se mélanger, plus que de raison… Et puis ce fut Merrick sa maladresse et l’alcool s’écoulant qui avaient fini par la ramener dans la réalité. Se précipitant pour retenir l’ensemble elle aussi, la rouquine préféra à raison laisser le coutilier gérer la situation. Bien évidemment ce qui aurait dû apaiser la situation l’avait quelque peu aggravé… Prenant une inspiration, la rousse se contenta de secouer la tête.


- « Vous ne m’avez pas l’air d’une femme idiote » souffla-t-elle « Plutôt forte même. » ajouta-t-elle maladroitement.

Estelle avait voulu apaiser les choses, essayées au moins, son appréhension avait fini par s’estomper. Ce n’était pas si…. Difficile finalement. Avisant tour à tour ceux prenant la parole, Estelle eut de nouveau cette impression étrange, celle d’avoir deux récits différents pour une même histoire. Se mordillant la lèvre, elle ne put qu’avaler son verre un peu trop rapidement. Plus la conversation avancée, plus Estelle semblait devenir pâle d’autant plus quand Victoire s’adressait directement à elle pour la mettre en garde devant un Merrick qui tentait de la faire taire, inutilement bien sûr. Les doigts de la rousse s’était enroulée, enfoncés sur le rebord du comptoir, ses lèvres s’entrouvraient puis se refermaient de cette manière douloureuse, non, elle n’avait pas réussi à en placer une. Lorsque Merrick usa de son autorité, Estelle sortit de sa torpeur :

- « Victoire… Victoire non attendez !! » elle avait contourné le comptoir pour venir attraper son bras, bien évidemment elle s’était débattue et devant la force de la milicienne Estelle s’était reculée « Je suis désolée » murmura-t-elle « Pour tout ça… Pour votre souffrance et ce que vous subissez… Vous êtes une femme remarquable je n’en doute pas un instant et… »
- « Vous avez terminé ? »
- « Non. » fit fermement Estelle « Je vous assure qu’il a changé. Je suis certaine que les Trois trouveront celui qu’il vous faut aussi. » elle aurait voulu rajouter que cela s’arrangerait dans la milice, mais elle n’en savait rien.
- « Vous êtes presque aussi naïve que moi avant » souffle-t-elle avant de partir

Estelle était restée un instant là, pivotant vers Merrick pour l’interroger sur les pratiques des miliciens sur les femmes et si il n’avait sans doute pas moyen de venir en aide à Victoire. Elle n’eut cependant pas le temps, puisqu’à peine était-elle de nouveau dernière son comptoir qu’une deuxième femme passait le pas de la porte. La tenancière avait senti son ventre se tordre un instant, avait-elle surestimé ses forces ? Derrière son comptoir, elle suivait Merrick des yeux, fuyant…. Vraiment ? La blonde qui se trouvait face à eux ne la remarquait même pas, du moins, jusqu’à ce que Merrick ne la présente, une nouvelle fois, la tenancière n’eut aucunement l’occasion de placer le moindre mot… Que celle à la chevelure des blés se transformait en une créature plus obscure encore que les fangeux…. Bien évidemment, la Chantauvent se ferma, son regard dut se durcir un long moment avant qu’elle ne réajuste presque simultanément à la jeune femme.

- Vous n'êtes pas assez bien pour lui ! « Je sais » Vous n'êtes pas assez belle « Je sais » et vous avez vu votre chevelure rousse ? Sorcière ! Lui avez-vous lancé un mauvais sort pour le capturer ? « C’est possible » Pour le faire votre ? Vous ne le méritez pas ! Il est à moi. À MOI...! « Ça, ce n’est pas possible »

Ce fut un silence alors que Merrick tentait non loin d’Estelle de faire taire la blonde, qui fit finalement silence. Estelle avait senti son cœur se serrer une nouvelle fois, elle n’était plus très à l’aise avec la situation et voyait s’éloigner de son esprit son utopie, dans l’idée que Lorren était toujours très au clair avec ses partenaires. La conversation sembla se terminer et contre toute attente ce ne fut aucunement Merrick qui raccompagna Marie, bien la rouquine qui s’extirpant de son comptoir avait attrapé par le bras celle qui se débattait pour tenter de se jeter dans les bras, l’évacuant avec force à l’extérieur Estelle fut raisonné une menace qui à la tonalité de sa voix trahissait une sincérité plus que dévorante.

- « Ma brave Maria » elle avait bien insisté sur le ‘a’ « si vous tentez ne serait-ce qu’un seul instant de revenir ou de vous approcher de lui, je vous fait la promesse de vous transformer en grenouille ou de vous jeter un sort pour que votre visage se part d’immondice pustule jusqu’à la fin de votre médiocre petite vie. Et pour votre gouverne…. » elle hésita, mais la colère, ou la jalousie avait fini par la posséder plus que de raison « Que mon prénom à moi, il ne l’a jamais oublié en…8 mois. »

8 mois. Ce fut en y réfléchissant qu’elle le réalisa, fermant la porte pour laisser la cinglée s’acharner un instant contre celle-ci son regard effleura la silhouette de son coutilier. Estelle se sentait soudainement épuisée, soudainement fatiguée. 8 mois. Jamais elle n’avait réalisé que leur relation durait depuis si longtemps, non…. C’était court et long, mais en 8 mois ils s’étaient pourtant passé tellement de choses. Immobile, elle eut besoin de respirer un instant, alors que les paroles s’entrechoquaient dans son esprit, les mises en garde, mais aussi toutes les différences qu’elle pouvait noter entre elle et les différentes femmes. Merrick s’excusait, non sans passer ses mains dans sa chevelure et la rousse secouait déjà activement la tête.

- « Ce n’est rien Merrick… Ca va ! » elle n’était pas complètement honnête et elle regrettait déjà le fait de lui avoir demandé de le faire « Vraiment » insista-t-elle en sentant sa gorge se nouer « C’est ton passé, je le sais, je comprends » pas vraiment non plus…. Enfin en partie. Estelle força un sourire.

S’appuyant contre son comptoir qu’elle venait de retrouver, elle ne pouvait que l’aviser, le ventre complètement noué. Ce n’était pas une bonne idée, cette fois-ci, la rousse en avait la certitude. L’homme d’armes avait fini par partir dans des explications, dans des excuses. Ses paroles étaient à la fois justes et fausses en même temps, la vision d’Estelle n’avait semble-t-il pas trop changé, bien que la blessure qu’elle s’était infligée elle-même n’en restait pas moins particulièrement douloureuse. Parcourant la silhouette du coutilier, elle lui offrit un sourire, tentant d’instaurer cet humour qu’elle avait l’habitude de voir se jouer entre eux :

- « À charge de revanche d’accord ? Je te présenterais aussi mes nombreuses conquêtes ! Et puis bon, c’est quoi deux femmes, bon allez trois… Franchement Merrick, j’imaginais bien bien bien bien bien pire ! Je m’attendais même à une file d’attente à l’extérieur de la chope, un tombeur comme toi ! »

La responsable du lieu avait fini par s’approcher, mais fut stoppée dans son élan par le bruit de la porte qui s’ouvrait une nouvelle fois, pivotant légèrement, elle ne reconnut pas la jeune femme immédiatement, pourtant elle connaissait son prénom… Alors, elle devait la connaître, Merrick était devenue si pâle que la rousse dû forcément prendre les devants…. Ce qui la rendit dans cette position inconfortable.

- « Bonjour…. Je suis navrée… votre nom m’échappe… je peux vous servir quelque chose ? »
- « Rosalie, Rosalie De Marais, Merrick m’a demandé de passer hier soir. »
- « Oh. »

Glissant sa main derrière sa nuque Estelle sentie tout le malaise l’envahir, alors qu’elle l’invitait à prendre place face au bar. C’était sans doute bien pire que Marie ou que Victoire… Se pinçant avec force les lèvres, elle ne put que retenir son souffle un instant alors que ses mains tremblantes déversaient l’alcool dans le récipient qu’elle poussait jusqu’à la veuve. Celle-ci ne quittait pas des yeux Merrick, avec cette tendresse d’une ancienne amante révolue, pas celle qui le réclame encore, mais qui l’a aimé fut un temps. Quand elle comprit qu’Estelle avait perçu, elle s’empourpra, s’excusant en détournant les yeux. Estelle eut ce sourire délicat, bien qu’intérieurement une nouvelle fois son cœur se brisa.

- « Ce.. Ce n’est rien Rosalie… Je suis au courant pour… Enfin… Entre femmes de goûts, on se comprend » tenta-t-elle de plaisanter bien sûr. « Je… Je suis désolée pour votre époux. »

Le visage de la jeune femme sembla pâlir un instant, Estelle comprit qu’elle s’aventurait sur un terrain glissant, ce qui l’obligea curieusement à faire silence. Dans le fond, la rousse n’était pas certaine que Merrick, ou qu’un collègue ne soit intervenu ? Avait-il dû simplement être porté disparu… Avait-elle eu notion de comment ? Estelle sentit inévitablement son ventre se nouer alors qu’elle se souvenait de l’instant, de la manière, que les images venaient inévitablement se rejouer dans son esprit. Merrick avait-il échangé ? Peut-être ? La rousse n’était pas en mesure de savoir de définir si le silence commun avait perduré ou avait été rompu, ce fut finalement Rosalie elle-même qui lui mit fin, ou qui réajusta :

- « Ne vous en faites pas… Vous savez, je sais que votre époux est mort aussi dans la milice. Je ne sais pas comment vous avez tenu… Moi c’est grâce à mes enfants ! »
- « Vos enfants ?! »

Estelle avait dû devenir aussi blanche que la jeune femme, qui s’en inquiéta même en se penchant vers la rousse pour déposer ses doigts sur son front. La tenancière était immobile, parfaitement accrochée à son comptoir manquait de succomber à cette envie de hurler, elle prit une inspiration, puis une autre alors que Rosalie tout sourire préférait largement s’accrocher à l’idée de parler de sa merveilleuse progéniture.

- « Alice va avoir bientôt 4 ans et Ludovic va bientôt atteindre sa première année, pas tout à fait, il a encore le temps et puis ça grandit beaucoup trop vite ! Enfin, je suppose que vous ne m’avez pas fait venir pour ça, si ? Merrick ? Vous n’avez pas l’air en forme Estelle… Vous avez un peu chaud !»

Son regard s’appuyait sur la silhouette du milicien et ce regard qu’Estelle avait toléré devenait soudainement insupportable. La rousse ne put que confirmer en inclinant un instant la tête, elle sentait la nausée poindre alors qu’elle avait cette image qui refusait de sortir de sa tête. Cette famille, en plus avec De Marais, lui qui culpabilisait déjà d’avoir perdu le mari… Forcément il voudrait consoler son épouse et son enfant non ? Oui Estelle sentait ses jambes trembler, elle sentait quelque chose remonter de son ventre, alors qu’une sueur froide descendait le long de son dos.

- « Oui… Oui… Excusez-moi, je ne me sens pas très bien… Je vais m’aérer juste un instant… »

Son regard s’était déposé sur Merrick, comme une redoutable mise en garde qu’il n’avait plutôt pas intérêt à s’approcher, à la suivre. Non, Estelle était suffocante et elle avait besoin de respirer, seule, avec elle-même. La rousse avait contourné le comptoir, offrant un pâle sourire en direction de Rosalie avant de sortir, simplement, elle n’avait rien pris avec elle, absolument rien. La cloche s’était fait entendre et c’était bien la Chantauvent qui quittait son établissement avec la sensation de succomber sur place, de mourir, de s’écrouler. Bien évidemment, elle aurait pu…. Non. Incapable de savoir où aller, le sol semblait se défaire sous ses pieds, pourtant elle n’avait eu aucune certitude après tout, que prouvait-il que Merrick soit le père… Mais celle qui encaissait toujours encore et encore n’avait pas réussi à apprivoiser se doute. Elle errait comme un fantôme dans la foule sur l’ancienne place des pendus, elle vagabondait le souffle court avec ce besoin de hurler sans qu’aucun son ne s’échappe de ses lèvres.

Le cœur terriblement lourd, Estelle ne parvenait plus ni à se raisonner ni à voir une éclaircie quelconque et alors qu’elle était prise dans ses tourments, elle percuta un homme… Un homme qui ne pouvait être que celui qu’elle détestait à cet instant peut-être autant si ce n’est même un peu moins que Rosalie.


- « Est… Estelle ? » fit cette voix qu’elle reconnaissait trop bien alors qu’elle était incapable de la comprendre « Estelle, ça ne va pas ? » ses bras étaient venus la capturer sans qu’elle ne trouve la force de le repousser alors que des sanglots s’échappaient de sa bouche que les larmes dévalaient de ses yeux.

Adrien avait l’habitude de gérer les crises de panique de sa sœur, depuis sa jeunesse il l’avait vu devenir rouge, avoir du mal à respirer, hurler, crier, il l’avait vu plus d’une fois s’évanouir alors qu’elle se mettait elle-même dans un état déplorable. Il s’était fait violent, l’agrippant pour venir plonger son regard dans le sien, respirant avec force pour qu’elle adapte par défaut sa respiration, elle cherchait à le fuir, commençait à se débattre avec cette envie de vomir si forte. Puis ce fut une gifle, elle qui n’avait JAMAIS levé la main sur cet homme se retrouva sous le choc, la joue rouge et imprégnée des doigts de la Chantauvent alors qu’elle s’éloignait, qu’il s’éloignait aussi en plaçant sa main sur sa joue sous la surprise.

- « Estelle » souffla-t-il presque désespéré ne se souvenant plus de la dernière fois qu’il l’avait vu dans un tel état
- « Ordure » gémit-elle prêt à recommencer s’il s’approchait alors que la dispute commençait à attirer quelques regards
- « Mais enfin Estelle… »
- « Quoi ?! » s’offusqua-t-elle avec violence venant abattre ses poings contre celui qui était venu la capturer une nouvelle fois pour tenter sans aucun doute de la calmer « Je te déteste ! »
- « Estelle calme toi… Estelle, ça va aller… Dis-moi… Il est arrivé quelque chose à Merrick ?! »

Adrien ne se souvenait pas encore avoir programmé un quelconque agissement à s’en encontre et ne se doutait pas un seul instant que son mensonge avait pu prendre de telle proportion, puisqu’il avait bluffé bien évidemment, supposant à juste titre qu’un homme ayant eu autant de conquêtes n’avait pas pu ne jamais rencontrer d’accident. Sa sœur continuait à se débattre de ses bras avec violence, tellement de violence que finalement les passants s’immobilisaient pour regarder la scène. Son interrogation provoqua cet énorme doute, faisant écho dans l’esprit de la tenancière avec la discussion de la vieille avec son futur mari… Comme une mise en garde, alors que sur l’instant le frère n’était que véritablement inquiet pour celle dont le regard était si rouge et la voix si déchirée.

- « Pourquoi tu vas le tuer c’est ça ?! Comme Eudes ?! C’est ça Adrien ?! »

Ce fut un silence alors que le frère semblait à la fois dévasté par les propos de sa sœur, mais aussi profondément déstabilisé par cette agressivité et les propos qu’elle tenait. Digne comme le bourgeois qu’il était, il avait fini par l’applaudir, pour la faire réaliser du spectacle qu’elle était en train de donner. Ce ne fut que lorsqu’il effectua ce geste, qui l’enragea bien évidemment davantage que la rouquine réalisa qu’ils étaient en effet observés. À ce moment deux options étaient envisageables dans son esprit : fuir, ou aller au bout, aller au bout de sa crise, aller au bout de cette volonté d’en finir quitte à ternir son image à jamais. Dans ce genre d’instant, on ne réfléchit pas réellement non, si bien que ce fut finalement cette respiration difficile qui la fit définir son acte. Estelle se résigna fuyant en direction de la caserne sous le regard d’un frère presque sous le choc ne sachant que faire.

Dans une colère sans précédent, suivant des yeux celle qui s’échappaient, le frère déboula dans la chope sucrée. Merrick était-il seul ou avec Rosalie, cela n’avait pas d’importance, aucune. Sa joue portait encore les marques de la main d’Estelle, sa chemise était mal mise tant elle l’avait frappé au niveau du torse. Son regard était haineux, comme jamais il ne l’avait été et passant au-dessus du comptoir avec une fougue virulente pour attraper le beau salopard qu’il était hurlant son nom comme un animal enragé. Adrien avait bien positionné sa main pour sauter, sauf que mal lui en pris, l’avait-il déposé au mauvais endroit, là ou peu de temps alcool l’alcool avait coulé et où le torchon humide se trouvait déjà. Cela provoqua bien évidemment sa chute de l’autre côté du comptoir, heurtant les meubles contenant les bouteilles, ce fut dans un raffut monumental que l’ensemble s’écroula sur lui. Le frère ayant à peine le temps de protéger son visage de ses avant-bras. Une chose était une nouvelle fois certaine, ne s’attendait-il certainement pas à ça en débarquant avant dans l’idée de secouer le coupable des maux de sa cadette.


◈ ◈ ◈

Estelle n’entendait plus rien, les larmes inondaient son visage, sa respiration était sifflante et douloureuse et ses pas si rapides qu’elle se surprenait elle-même à courir aussi vite. La rousse venait de prendre une décision et avait bien dans l’idée de dénoncer la totalité des actes de son frère, s’en était trop, beaucoup trop. Son angoisse de perdre Merrick avait fini par devenir réalité alors qu’elle imaginait ne pas être de taille face à une femme dont le veuvage était plus ou moins causé par l’homme d’armes, si en plus… Elle avait porté fut un temps son enfant. Impossible. La rousse avait la sensation de se faire poignarder à de nombreuses reprises si bien que quand elle arriva enfin à la caserne elle ne put que se précipiter vers le seul qu’elle connaissait… Eugène. L’apostrophant non sans être dans un premier temps incompréhensible, Eugène sentit inévitablement que quelque chose n’allait pas –fallait-il vraiment être aveugle pour ne pas constater son état-.

- « Si c’est Merrick que tu cherches, il n’est… »
- « Non » fit-elle furieuse en reprenant son souffle et s’essuyant les yeux « Je veux parler à la sergente. Je veux parler à Sydonnie de Rivefière. »
- « Hein ?! Mais Estelle tu es sur que… »
- « Va la chercher. »

Oui, la tenancière avait dans l’idée de tout révéler peu importe si elle devait être enfermée ou suspectée il fallait que ça s’arrête, cela devait s’arrêter. Eugène cependant était resté un temps indécis, il avait fini par faire s’installer Estelle sur un banc, prenant le temps de la calmer un peu. La rousse était confuse, lui expliquait que Merrick n’était pas le problème, mais qu’elle devait révéler des faits importants. Comprenant sans doute à moitié les propos qui n’étaient ni précis, ni très explicatifs. Eugène avait simplement opiné avant de disparaître. Ce fut durant ce laps de temps qu’une silhouette de nouveau féminine vint s’installer à ses côtés.

- « Par tous les dieux, Estelle, je venais comme convenu te voir avec Merrick… Je t’ai vu te disputer avec Adrien… Puis partir… Est-ce que tout va bien ? »

Devant le silence de la rousse qui ne le regardait même pas, Eliana vint déposer ses mains sur celle d’Estelle.

- « Allons, Estelle, on est de la même famille, je veux la même chose que toi…. Peu importe ce que je pense, ça me fait mal de te voir comme ça.. Viens, je connais un endroit, on va en discuter un peu. »
- « Non » supplia une rouquine qui semblait pourtant hésitante et dont les larmes continuaient à dévaler de ses joues.
- « Allez… Estelle, c’est moi. On n’a pas toujours été en conflit toutes les deux. Viens, tu as besoin de parler tu ne peux pas rester comme ça… Viens… »

La main se glissant dans celle de la rousse fut plus directive, alors qu’elle la tirait pour se lever… Dans un dernier regard vers ceux qui ne revenaient pas, non sans croiser un Eugène un peu perdu, elle disparut dans la foule de la place, emportée par Eliana qui la maintenait par une épaule pour prendre la direction des bas quartiers. Estelle était dévastée, persuadée d’avoir perdu Merrick, sans en avoir la certitude, trouvait un peu de réconfort dans les bras de son unique famille Eliana. Elle lui avait bien sûr révélé que tout ça ne pouvait plus durer et qu’elle avait pris la décision de tout dire à la milice, sa belle-sœur ne semblait elle pas tout à fait l’entendre de la même oreille… Si bien qu’une fois devant un établissement peu fréquentable des bas quartiers une nouvelle dispute éclata entre les deux femmes. Les deux jeunes femmes semblèrent lutter un long moment dans la ruelle, attirant une nouvelle fois les nombreux regards des passants qui n’osèrent bien évidemment dans ce type de quartier intervenir. Les hurlements de hargne avaient même retenti, mais après un temps infini des cheveux et des bouts de vêtements déchirés/en moins, des griffures au visage de l’une ou de l’autre, ce fut bien celle à la chevelure de feu qui s’écroula la première, inconsciente, sur le sol humide des bas quartiers.

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Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: - Page 3 EmptyJeu 18 Juin 2020 - 7:07
Aux yeux de Merrick Lorren, c'était une mauvaise idée. Non. Ce n'était pas assez fort pour décrire à quel point il n'en menait pas large sur l'instant. C'était aussi effroyable que terrible, aussi dangereux qu'effrayant. De quoi est-il question, là, maintenant ? Du fait qu'Estelle de Chantauvent voulait rencontrer ses anciennes amantes. Toute personne sensée n'aurait jamais accepté pareille idée. Après tout, il fallait être quelque peu suicidaire pour faire se côtoyer des conquêtes aigre et amère et la femme avec qui il allait se marier et passer le reste de ses jours. Or, l'homme d'armes ne pouvait réellement faire autrement. Tous deux avaient besoin de savoir si l'ineffable idiot avait eu un fils avec l'une ou l'autre des femmes qu'il avait côtoyé. Personnellement, Merrick n'y croyait pas. Du moins, il ne voulait surtout pas y croire. Concernant Estelle, cette dernière semblait plus hésitante, quasiment prête à croire son despotique de frère; Adrien de Miratour.

Car encore une fois, tous les problèmes du couple prenaient racine et étaient en provenance de ses dires et ragots. Le fieffé scélérat avait encore soufflé le froid sur leur relation, tandis qu'il était venu dire à sa sœur que son milicien était père d'une progéniture quelconque. Autour de cette idée, le duo s'était échauffé, tandis que tous deux échafaudaient leur perception et leur pensée sur la question et une pléthore d'autres. Les mots avaient pris un goût de fiel et les risques de la peur s'étaient transformés en rixe verbale. Véritable joute, la finalité de l'échange s'était finalement commuée par le retour du beau temps, et non pas par une simple accalmie. Encore une fois, ils avaient triomphé des manigances d'Adrien. Du moins, en quelque sorte. Car en cette matinée, là, à faire les cent pas dans la Chope Sucrée, Merrick Lorren ne se sentait guère comme un vainqueur, mais plutôt comme un individu ayant tombé à pieds joint dans le piège de ce malveillant personnage.

Définissant verbalement encore et encore que c'était une mauvaise idée, le jeune homme suspendit sa démarche pour observer la dame de Chantauvent qui semblait affreusement calme. Comment cela se pouvait-il ? "Aucune raison de m'inquiéter ?" Sa voix était montée dans les aigus. Lui voyait plutôt cent mille raisons de se faire du souci ! "Évidemment que ça risque de mal se passer !" Il blêmissait. Où était le beau salopard au flegme exemplaire ? Disparu et envolé. Le couard prenait le dessus, tandis qu'il craignait la haine des femmes qu'il avait en quelque sorte abandonnée avant que leurs affaires deviennent sérieuses.

Regardant Estelle, il réussit à se calmer quelque peu. Pas à cause qu'elle affichait une sérénité incroyable et incomparable, non. Ce fait ne faisait que le surprendre, sans se transmettre à sa personne. C'était la simple vision de sa tenancière en voie de devenir son épouse, de celle qui était là, avec lui, contre vent et marée qui l'apaisait doucement, mais sûrement. Il n'avait jamais cru que la couleur de sa crinière faisait d'elle un monstre, une déviante d'Etiol ou une sorcière. Mais, elle n'était pas dénuée d'une certaine forme de magie, elle qui contrôlait ses états d'âme d'un simple regard, elle qui était en mesure de ralentir son rythme cardiaque ou de le faire partir dans une cavalcade effrénée d'une simple caresse. D'ailleurs, sur le sujet, son cœur avait manqué plus d'un battement hier soir, tandis qu'elle était venue le rejoindre dans leur lit complètement dénudé. Loin d'être en mesure de résister plus longuement, le duo s'était de nouveau abandonné l'un à l'autre, alors que Merrick ne résista aucunement et répondit à ses avances. Le contraire lui semblait ô combien impossible, et rien n'était moins certain qu'il agirait de la sorte. Leur étreinte avait été commuée dans la passion et avait le goût de la réconciliation. Ainsi, cela n'avait pas été identique que dans les thermes du temple. C'était différent, mais guère moins affriolant. Se mordant la lèvre inférieure, se remémorant la nuit qui avait été écourtée par le plaisir, son regard effrayé laissa plutôt désormais transparaître le désir qui l'habitait à l'égard de sa fiancée. Ils avaient promis de se retenir jusqu'au mariage et en l'espace d'une journée, ils avaient déjà échoué. En souffrait-il ? Pas le moins du monde. Recommencerait-il ? Continuellement et perpétuellement si Estelle lui posait la question.

Quand bien même ce souvenir avait été oblitéré de son esprit pour un temps les rencontres à venir, le bruit de la porte, puis de la cloche et enfin la venue de Victoire devant lui ramena Lorren à la réalité. Hier soir avait été une nuit incroyable. Cette matinée s'annonçait effroyable. Réussissant de peine et de misère à définir que la milicienne n'avait pas d'enfants, et donc qu'il ne pouvait être père de l'un de ses marmots, l'homme d'armes tenta de la faire fuir rapidement avant que tout ne dégénère. S'il y arrivait, la première intrigante n'aurait guère été "dangereuse". Or, évidemment, Victoire portait admirablement bien son nom et refusait de disparaître en laissant triompher le scélérat de coutilier. Pour la faire taire, Merrick dut user de son grade et parler à la milicienne et non plus à la jeune femme. Ce fut une réussite, mais leur relation risquait encore plus de souffrir de cette admonestation. Qu'importe, pour vu qu'elle disparaît... pensa l'ivrogne.

Toutefois, la suite le surprit. Estelle arrêta le mouvement de Victoire pour lui parler. La rouquine tentait même de définir qu'il n'était plus le même homme ! Attendri et heureux de voir que la vision de la Chantauvent sur sa personne n'avait pas encore changé, il laissa les deux femmes parler sans chercher à les couper de nouveau. Durant leur bref dialogue, Lorren imagina presque Estelle réussir à redorer son image. Or, la fin de la répartie de la femme d'armes le força à revoir ses attentes. Soupirant, il secoua la tête et se renfrogna. Tout n'était pas bien qui finissait bien. Grognant une salutation qui rimait plutôt avec "bon débarras", le jeune homme reporta son attention sur la propriétaire de la Chope Sucrée. Il tenta de s'expliquer, de définir qu'il n'était fautif ou coupable de rien, or il n'en eut pas le temps. Une nouvelle femme venait de rentrer en lice. Et pas des moins, cette fois-ci...

Marie, plus connue sous le nom de Maria, commença à chercher son ancien amant du regard, dès qu'elle eu posé les pieds dans l'auberge. Logiquement, le couard tenta de se cacher et de prendre en quelque sorte la fuite. Or, difficile de passer inaperçu dans une pièce où il n'y avait que trois personnes en présence. Toujours est-il qu'Estelle sembla réussir ce haut fait bien malgré elle, tandis que la femme du peuple n'avait pas encore réellement conscience de sa présence, certes, mais surtout de son importance... battant en retrait auprès de la tenancière susmentionnée, l'homme d'armes présenta enfin et finalement la rouquine comme sa future épouse. En l'occurrence, comme la seule et unique femme qu'il aimait vraiment et véritablement. La suite s'inscrivait dans l'évidence de ce à quoi il s'attendait. Car bien qu'il ne se rappelait plus de son nom, Lorren se souvenait parfaitement de son caractère bien peu acariâtre...

Tentant d'en placer une pour défendre la Chantauvent, il n'eut guère la possibilité de proférer le moindre son au travers de l'hystérie de Marie. Calmement, la rouquine menait Bataille, rivalisant d'adresse en ne répondant que de simples mots à ce long fleuve de fiel et d'immondice que sa belligérante faisait pleuvoir sur elle. Tout d'abord inquiet pour sa tenancière, Merrick avait fini par être rassuré quelque peu, bien qu'il n'aimait aucunement de la voir être victime d'opprobre de la sorte. Sous les contrecoups de la panique, il avait oublié qu'elle était en mesure de se défendre elle-même, et que lorsqu'il était question d'user des mots, elle ne donnait sa place à personne. Toujours est-il que l'ivrogne finit par mettre un frein à cette longue liste de maux dont elle incombait Estelle. Ils étaient convaincus qu'elle n'avait pas d'enfant, donc il était l'heure de la voir partir pour de bon et à jamais.

Faisant un pas vers l'avant, pour la pousser vers l'extérieur, Lorren fut surpris de se voir devancer par nul autre que la jeune femme à la crinière de feu. L'écoutant proférer ses menaces, un petit sourire pincé vint poindre sur son visage. Hochant doucement, mais sûrement de la tête derrière elle, Merrick croisa les bras et attendit. Or, lorsqu'ils se retrouvèrent de nouveau seuls, entre eux et avec le silence, sa superbe vola en éclat. Oui, les derniers propos de la Chantauvent avaient été plus que bien accueilli. Toutefois, le milicien n'oubliait pas ce qu'il lui faisait subir à devoir rencontrer ses conquêtes de la sorte. Déjà, bien qu'elle disait le contraire et que tout allait, il pouvait voir qu'elle n'était plus aussi confiante qu'avant ces entretiens. La réalité avait un goût bien plus âcre que l'imaginaire..."Oui, mais..." Elle comprenait, d'accord. Mais lui voulait tenter de s'expliquer ou bien de s'excuser. Or, comment définir ce qui ne pouvait l'être ? Il avait fait tout ça. Il était un coureur de jupons. Elle le savait et il ne le lui avait jamais caché. Or, un monde existait entre savoir et le voir. "Tu as des conquêtes ?" Demanda-t-il en fronçant les sourcils et en pinçant les lèvres, ne voyant pas la plaisanterie et laissant sa jalousie parler pour lui. Quel idiot il était... "Oui...oui, si tu veux. Je crois..." Non, lui savait pertinemment qu'il n’en avait aucune envie de les rencontrer. Il serait probablement aussi vil que Maria l'eût été. Enfin, que Marie.

-" Oui, oui, voilà ! Ce n'en est que trois !" C'était ceux dont il avait réussi à remonter la piste. Celle avec qui il y avait eu quelques récidives et non pas une fêtarde comme lui perdue au détour d'une venelle. Celle qu'il connaissait modérément, en quelque sorte. Du moins par leur nom, pour certain. Il tenta de sourire au reste de sa plaisanterie, mais son visage se para plutôt d'une grimace hésitante. Avant qu'ils n'aient pu continuer, la nouvelle -et dernière- femme fit son apparition. Rosalie de Marais. Face à elle, Merrick s'effaça derrière Estelle. Craintif et blêmissant en la regardant, il devint spectateur plutôt qu'acteur des prémices de l'échange. Sa compagne ne réalisait pas tout de suite à qui ils avaient affaire. Or, la réalité la rattrapa rapidement tandis que la veuve définissait et déclinait son identité.

Lorren ne l'avait pas revu depuis la mort de son époux. Certes, leur couple n'avait jamais été heureux. Du moins, pour la femme qui lui faisait face, tandis qu'elle allait chercher du réconfort dans les bras de cet incapable de milicien qu'il était jadis par le passé. Aujourd'hui beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts, mais sous l'insistance de son regard, il était mal à l'aise. De fait, Merrick ne pouvait oublier la mort de de Marais et la culpabilité qui l'étreignait d'en être le fomenteur involontaire par ses peurs et tourments. Rapidement, Rosalie tenta d'excuser la Chantauvent en mentionnant qu'elle avait tenu à cause de ses enfants. L'ivrogne fronça rapidement les sourcils. Il avait du mal à l'imaginer comme une veuve éplorée, elle qui n'avait jamais aimé son époux. C'était elle rendue compte de sa bévue avec la venue de son trépas ? Peut-être. Toujours est-il que la suite le fit aussi tressaillir. Elle savait qu'Eude était mort en service.

La gorge de l'homme d'armes était sèche et aride comme un désert. Comment connaissait-elle aussi bien Estelle ? Il ne lui avait jamais reparlé depuis qu'ils avaient arrêté de se voir. En l'occurrence, directement après sa rencontre avec celle qui était désormais sa fiancée. De fait, Merrick avait commencé à ne plus se présenter à leur rendez-vous, préférant simplement profiter de la présence et du charme de cette fière tenancière qu'il courtisait. Or, cette interrogation qui avait germé dans son esprit fut battue en brèche par la venue d'une information qu'il connaissait déjà; Rosalie avait un enfant. Alice. Or, une nouvelle donnée rentrait désormais en ligne de compte. Elle parlait au pluriel et ajoutait désormais un fils à l'ensemble. Ludovic. Interdit et indécis, la laissant parler, il resta muet hésitant entre crever le silence pour la première fois ou garder cette répartie digne d'un mort. La fuite d'Estelle le força à se bouger quelque peu. Se relevant, il tendit une main vers "Estelle, voyons ce n'est p...". Il fut renvoyé vers son mutisme d'un regard sombre et menaçant de la Chantauvent. La regardant partir, interdit devant un regard aussi blessé et blessant, sa main resta entre ciel et terre de nombreuses secondes. Elle l'abandonnait, là, maintenant ? Comme ça, elle prenait la fuite ? Comment était-ce simplement possible ?!

Merrick Lorren avait oublié Rosalie, ainsi que l'endroit où il se trouvait. Tout ce qu'il voyait, c'était cette image en boucle de la tenancière quittant leur demeure pour s'enfuir il ne savait trop où. C'était cette crinière rousse qui avait passé la porte dans un départ qui sonnait plus à ses yeux comme un adieu qu'un au revoir. Ne sachant que dire ou que faire, il reste stupidement debout à ne rien faire. Jusqu'à ce que ses jambes le lâche et qu'il se retrouve de nouveau assis sur la chaise, spolier de ses forces et le regard dans le vide. L'esprit vide, la conscience vierge et le regard atone, il ne savait plus quoi faire, que faire ou comment le faire. Il était tout simplement, échec et mat.

Or, il n'était pas seul. Pas encore. Se cachant le visage derrière les mains, Merrick finit par laisser retomber sa tête vers l'arrière et ses bras le long de son corps. Restant inerte, tel un cadavre, il espérait presque que sa vis-à-vis parte sans plus proférer le moindre son. Cependant, cette dernière restait assise devant lui bien droite et silencieuse. De longues secondes s'écoulèrent ainsi avant qu'il ne trouve le courage de se redresser quelque peu pour la regarder. "Pourquoi fallait-il que tu dises ça ?" demanda-t-il doucement.

-"Je ne comprends pas ce que tu veux dire, Merrick." Répondit-elle énigmatiquement. C'était quelque chose qui attirait l'ivrogne qu'il était au plus haut point. Cette tendance à ne pas réussir à lire ce qui berçait les pensées de sa cible, de devoir batailler pour tenter de la comprendre ou pour percer le voile de mystère qui planait sur cette dernière. Lorsque le défi était trop simple, alors qu'il savait déjà d'avance s'il était en mesure de gagner ou non, le jeu perdait irrémédiablement de sa saveur. C'était à cause de cela qu'il avait finit pas s'attacher et s'enticher plus que de raison à Estelle. Elle était surprenante, vive d'esprit et elle le poussait dans ses retranchements perpétuellement et continuellement. Avec Rosalie, il y avait eu cette part de mystère qui avait joué en sa faveur. Rien qui n'était de commune mesure avec la dame de Chantauvent, il va sans dire, mais tout de même.

Dès lors, aujourd'hui, il n'arrivait pas à comprendre cette veuve et ancienne amante. Mentait-elle ? Savait-elle parfaitement ce qu'elle avait instigué entre les deux, ce petit doute qui avait fait fuir la rouquine ? Jouait-elle à un quelconque jeu et si tel était le cas, que désirait-elle vraiment et réellement ? Soupirant, las, il secoua la tête. "Ce fils est ton hériter, je présume." Sur ces mots, elle se leva et commença à faire le tour du comptoir. Prêt à la rixe, il se redressa à son tour pour lui faire face.

-" Évidemment." Répondit-elle sans laisser transparaître la moindre émotion. "Puis-je maintenant y aller ?"
-"Bonne journée."
-"J'espère être invité à votre mariage." Termina-t-elle en le saluant poliment et en partant sans se retourner, laissant derrière elle plus de questions que de réponse...

◈ ◈ ◈

Merrick Lorren avait attendu le retour de celle qui ne revenait pas. Sans bouger de sa position prostrée derrière la barre, consommant verre sur verre et attendant qu'Estelle daigne revenir chez elle et chez eux, le coutilier ressassait tous les précédents événements. Plutôt que de s'abattre dans l'amertume, il s'abrutissait dans la hargne. Il n'y avait qu'un seul fautif à l'ensemble de leurs maux. Adrien de Miratour. Comme par magie, sa haine sembla suffisamment forte pour faire apparaître ledit quidam à l'intérieur de la Chope Sucrée. Or, le frère de la rousse apparut lui aussi avec son lot de colère, prêt à fondre sur le promis pour s'épancher dans la violence et punir celui qui était non-coupable.

La porte claqua plus fortement que la clochette sonna. Relevant la tête, apercevant cet être misérable et méprisable empli de ressentiment, le visage du milicien se décomposa tout d'abord sous l'effet de la peur. Venait-il le tuer comme il l'avait fait avec Eude ? Se relevant vivement, alors que le mécréant fonçait vers lui et sur lui, Lorren fut de nouveau habité par son courroux lorsqu'il vit les stigmates sur la joue de De Miratour. Ce dernier avait mangé une gifle. L'instigatrice de cette agression était toute désignée. C'était forcément Estelle. Dès lors, dans son esprit où il plaçait la jeune femme sur un piédestal, cela ne pouvait signifier qu'une chose. Elle avait fait preuve de légitime défense et lui était coupable d'une nouvelle et énième hérésie. "ADRIEN !" Expulsant à la fois la colère que la peur de ses poumons, il s'apprêtait à recevoir ce salopard de plein fouet, lui qui sautait par-dessus le bar. Pas encore sur ses pieds, tandis que le frère avait foncé avant qu'il n'ait eu le temps de se mettre complètement debout, l'homme d'armes se savait en fâcheuse posture pour les prémices de ce qui allait être un combat. Avec la sœur, Merrick avait lutté avec des mots. Avec le frère, Lorren ferait parler ses poings.

Voyant Adrien glisser et se vautrer derrière, dans les réserves d'alcool, le milicien ne crut pas sa chance. Immobile durant quelques secondes, il se reprit rapidement tandis qu'il savait que son opposant allait se relever rapidement du capharnaüm qu'il avait commis. Plus tonitruante que réellement douloureuse, la chute ne l'avait aucunement mis hors combat. "Foutu salopard !" Grogna d'ailleurs celui qui se mettait à quatre pattes pour se relever. Sans attendre, Merrick envoya son pied voltiger dans les côtes de l'aîné de la famille de Miratour. Logiquement le pied du coutilier toucha, frappant et coupant le souffle à Adrien. Rapidement Merrick enchaîna avec deux autres attaques du même acabit, forçant Adrien à se plier et se recroqueviller au sol pour se protéger.

Se penchant, Lorren prit la parole. Sa voix était écorchée et fielleuse, alors que lui-même ne la reconnaissait plus. " Il va falloir faire preuve d'un peu plus d'effort si tu veux me tuer, Adrien." Puis, crachant sur celui qui avait été l'agresseur, il poursuivit en se redressant. " Comment as-tu pu faire avec Eude, mmh ? Tu l'as eu en traître ? Tu as demandé à un tueur de faire ton sale boulot ?" Il y alla d'un nouveau coup dans les côtes de son opposant." Alors, comment as-tu fait, chien ?!"

Cette fois-ci, cela en était trop pour le fier frère d'Estelle. Son animosité avait atteint son paroxysme. Il ne sentait plus les coups de pieds, lui qui désirait seulement attraper et étriper le coutilier. Hurlant en se relevant, ignorant les frappes de l'ivrogne, il réussit à repousser Merrick contre le mur. Son regard promettait mille mort et souffrance. Aux yeux de Lorren, c'était un regard de tueur. Or, quelle image renvoyait-iul lui-même ? "Maintenant, c'est à mon tour !" Sa voix semblait sortir tout droit d'outre-tombe, démontrant l'ensemble de l'hystérie qui l'habitait en cette heure et en cet instant. Se jetant contre l'homme d'armes, ce dernier envoya voltiger son poing gauche en direction du visage de celui qui lui avait volé sa sœur. Concentré, mais de nouveau gagné par la peur d'une folie meurtrière qui ne semblait pas passagère chez Adrien, mais plutôt faite pour durer, Lorren réussit à bloquer facilement l'attaque féroce du forcené qui lui faisait face. Inconsciemment, il remercia son ancien coutilier Arthur d'avoir été aussi intransigeant sur les entraînements. Repoussant à son tour Adrien pour quitter le cloisonnement entre la paroi et son agresseur qu'il subissait, Merrick y alla à son tour d'un mouvement ample du poing droit en direction du visage de ce salopard.

Difficile à dire ce qu'il manquait dans son attaque. De la volonté et de la hargne ? Possiblement. Peut-être que le problème n'était pas ce qu'il manquait dans son coup, mais plutôt ce qu'il ressentait sur l'instant. La terreur gagnait du terrain sur ses sens. Ainsi, son agression n'avait pas été aussi féroce qu'elle n'aurait due. Hésitante, cette dernière avait laissé la fenêtre d'opportunité parfaite à de Miratour pour éviter l'assaut du coutilier. Se faisant, la main de Merrick ne rencontra aucunement la chair du visage de l'être qu'il exécrait plus que quiconque, mais le bois solide de la poutre qui supportait une partie du plafond de la salle principale. Un craquement sonore résonna lorsque ses jointures et sa chaire mordirent dans le madrier. Hurlant, sentant une douleur exploser dans ses doigts et remonter vers son épaule, Lorren retint de peine et de misère un sanglot, bien que ses yeux se gorgeaient de larme. Les grognements de colère laissèrent place à un halètement de douleur. Même trouver son souffle était difficile, comme si ses poumons s'étaient trouvés au bout des doigts de sa main gauche. Encore refermé en un poing, ne voulant aucunement les regarder, l'homme d'armes en oublia son opposant, se pliant et se mordant la lèvre jusqu'au sang, il réussit à rester debout.

-"Ça fait mal ? J'en pleurerais presque...de joie !" Loin d'en avoir finit avec lui, Adrien profita de sa malchance -ou de son incompétence- pour frapper de son pied au creux du genou du coutilier. Ce dernier finit par se prostré, tel un vaincu, devant l'aîné de la dame de Chantauvent. Trop fier pour accepter cela, le bras gauche recroquevillé contre lui, Merrick trembla, mais finit par se relever pour faire face à ce scélérat. Tout n'était pas encore joué. Il était mal en point, mais il ne pouvait accepter la défaite. Or, ce qu'il lisait dans les yeux d'Adrien le défaisait plus sûrement que les attaques de ce mécréant. C'était une lueur démente qui brillait dans ses pupilles. Le genre de regard d'un être qui n'a plus rien à perdre. Face à une telle détermination, pouvait-il réellement vaincre ? Rien n'était moins sur...

-"Merrick ! Estelle est dis... wow !"

Arrivant en trombe dans la Chope, passant la porte qui n'était pas fermée, Eugène débarqua dans la zone de bataille et potentiellement sur ce qui avait été une scène de crime en devenir. De fait, les raisons de l'altercation entre les deux hommes étaient trop importantes et trop grandes pour que tout se règle dans le calme et la sérénité. Aucun des deux ne voulait abandonner Estelle de Chantauvent à l'autre. Avisant les dégâts derrière le bar, les bouteilles brisées en mille morceaux et l'égouttement des différents liquides et spiritueux en tout genre sur le sol, le milicien du groupuscule de Lorren en avait été interdit sous la stupeur. "Bordel, il se passe quoi ici, Merrick ?" Son regard voltigea finalement en direction des deux belligérants, de son supérieur et du frère de la tenancière de la Chope Sucrée. Enfin, de ce qu'il en restait.

-"Est-ce...". Bien que l'homme d'armes ne connaissait pas l'ensemble de l'histoire, au fur et à mesure, voyant l'animosité de l'ivrogne envers la famille de la dame de Chantauvent, Eugène avait eu quelques doutes à l'égard d'Adrien de Miratour. Rien de bien affolant. Toutefois, il reconnaissait que c'était plutôt étrange que son coutilier, lui qui était généralement laxiste, lâche et qui préférait ne pas chercher la rixe, en vienne à détester à ce point un individu. Dès lors, il avait pensé que cela prenait racine dans l'idée qu'Adrien ne voulait simplement pas donner la main de sa sœur à Lorren. En un sens, il n'avait pas tort. Toutefois, il ne pouvait imaginer les ramifications tortueuses et horribles que cela impliquait. Cet attachement maladif de ce salopard de Miratour.

-"Eugène, je te présente Adrien de Miratour. L'exécrable frère d'Estelle de Chantauvent. Ma fiancée." Dit-il avec une lenteur qui venait encore plus de sa haine envers l'individu que de la défaillance de ses forces sous le contrecoup de la douleur à sa main. Finissant par perdre un peu de sa superbe, se pliant de nouveau et grognant sous les maux physiques qui lui vrillait les doigts, il se recula pour gagner une position plus sécuritaire. De Miratour n'avait pas encore desserré les lèvres, mais son regard était toujours aussi meurtrier. "Cet homme vient d'agresser un coutilier de la milice. Eugène, arrêtez-le."

-"Vous plaisantez ? Qui croira à votre histoire ?"


-"J'ai un témoin, ici présent, n'est-ce pas, Eugène ?" Ne lui laissant guère la chance de se positionner pour ou contre l'idée, Merrick continua. "En outre, je suis certain que je n'aurais pas trop de mal à trouver des témoins qui vont ont vu rappliquer ici ventre à terre. Je doute que vous soyez passé inaperçu." Merrick ne pouvait pas si bien dire, ne sachant pas la scène qui s'était déroulée à l'extérieur entre Estelle et son frère. Or, cette prise de bec entre les deux pouvait potentiellement et possiblement être néfaste pour le couple. Après tout, la dame de Chantauvent s'était elle aussi affichée à titre d'agresseur. Peut-être qu'aller plus loin dans ses revendications d'incriminations serait une mauvaise idée lorsque Lorren l'apprendrait ? Allez savoir...

-"Merrick !" Eugène s'extirpait enfin des limbes de sa surprise. "Estelle a disparu."
-"Quoi ?"
-"Quoi ?" Les deux hommes se fusillèrent du regard, détestant avoir eu la même réaction, mais rivant leur attention de nouveau et rapidement sur celui qui apportait de bien fâcheuses nouvelles.

-" Avec la femme qui est venue te voir hier soir."
-"J'avais raison !" Le regard défiant d'Adrien s'illumina. "Vous la trompez et vous la faites souffrir. Elle vient enfin de le découvrir !" Fier et convaincu d'avoir triomphé grâce à sa toile de mensonge, le perfide, vénale, et abominable de Miratour exultait.

Secouant la tête, n'arrivant pas à dressé une moue empreinte de sarcasme à ce scélérat à cause de la douleur, Lorren eu au moins la force d'agresser son opposant par les mots. "C'est de votre femme qu'il est question. Pas d'une autre conquête." Relevant ses yeux d'où se percevait sa douleur, il transperça du regard son homologue. "Alors, qu'est-ce que cela vous fait de voir que tout le monde se détourne de vous ? Votre sœur puis maintenant votre femme... vous êtes seul, Adrien. Dos au mur et fait comme un rat. Si ce n'est pas moi, c'est le destin qui vous aura et vous jugera pour vos actes !" Arrêtant de parler et blêmissant, alors que son regard s'était perdu sur sa main, il n'appréciait aucunement ce qu'il avait vu. Ses doigts enflaient et étaient couverts de sang. Attrapant son poignet gauche de sa main saine, il appuya ses doigts blessés et encore recroquevillés en poing contre son torse. Entre ses dents serrées, il s'adressa à Eugène. "Par où sont-elles parties ?"

-"Ta main je crois qu..."
-"Pas maintenant, Eugène. Réponds-moi."
-"Laissez-moi vous aider à les retrouver."
-"Plutôt mourir."
-"Je sais où Eliana peut avoir amené Estelle."

Silencieux durant quelques secondes, interdit et indécis, incapable d'accepter l'aide de celui qui avait été le tortionnaire silencieux de la Chantauvent, Lorren l'avisa d'un regard fiévreux de ressentis et d'affliction. "Dite le moi."

-"Je viens avec vous un point c'est tout." La lueur meurtrière dans les yeux du bourgeois avait disparu au profit... de l'inquiétude ? De la détresse ? Non, Merrick devait s'aveugler. Or, il n'était pas en mesure de faire cracher cette information par la force et il n'avait pas le temps de le faire. Hochant sèchement de la tête, il laissa Adrien passer devant eux. Était-ce une bonne idée ? Difficile à dire. Toujours est-il que pour Estelle de Chantauvent, Merrick Lorren aurait été prêt à s'allier avec Etiol lui-même pour la retrouver.

◈ ◈ ◈

-"On peut p't'être vous réconforter, m'dame...".

La rixe entre Éliana et Estelle avait attiré de nombreux regards. Aussi malfamé que pût être ce genre de quartier, les ruelles et venelles ne voyaient guère souvent une bataille entre deux femmes de si bon matin. Encore moins sachant que ces dernières venaient d'un milieu plus fortuné, tandis que leur vêtement et leur parure ne mentaient aucunement sur la chose. Dès lors, les uns avaient regardé l'affrontement avec curiosité, les autres avec lubricité. À l'ombre des regards, même quelques paris s'étaient faits, finissant par s'échanger les quelques objets qui traînaient dans leur poche à la fin de la rixe en guide de paiement. Les défaits étaient partis pour la plupart avec une moue déçue, mais certains étaient restés sur place, sentant potentiellement leur chance tourner. Une femme gisait au sol inconscient et l'autre était mal en point. Pour beaucoup, c'était une occasion à saisir. Que ça soit pour extorquer leur vertu ou voler leur argent, qu'importe. Il y avait un gain à faire.

Reprenant son souffle, Eliana blêmit en voyant la trogne de celui qui s'était adressé à elle. Bien qu'il tentait de se montrer avenant, sa mine patibulaire ne mentait guère sur ses désirs. Derrière lui, quatre autres quidams formaient un groupuscule qui semblait attendre la suite, tels des cerbères à l'écoute de leur maître. "Non, je n'en éprouve nullement le besoin, merci."Tenta celle qui voyait venir le pire. Par la Trinité, cela n'était guère une bonne idée de se mettre dans une position aussi difficile et faible dans pareille ruelle du dernier bastion de l'humanité. Le brouhaha et les effluves de l'estaminet qui juxtaposait leur position ne laissaient guère de doute sur le genre d'engeance qui se trouvait dans le secteur. En outre, le bruit de l'endroit n'aiderait aucunement la femme d'Adrien si elle devait appeler à l'aide, enterrant sa voix sous le ton assourdissant de la fête qui battait son plein à l'intérieur. Par ailleurs, les quatre hommes bloquaient l'unique sortie de la ruelle. Elle était seule avec la dame de Chantauvent qui semblait inconsciente et ces mécréants lui faisant face.

-"Allons. Vous savez, on peu p't'être s'entendre..." Dit-il en déposant une grosse main sur son épaule. Réprimant un frisson aussi bien de dégoût que de peur, la bourgeoise ne se démonta pas. Elle n'était pas sortie triomphante d'un combat pour perdre le suivant !

-" J'en doute." Dit-il en se reculant d'un pas. Ce qu'elle vit dans le regard de son homologue lui glaça le sang. "Vous ne pouvez pas vous en prendre à ma personne. Je suis une bourgeoise et j'ai de la famille très haut placée." Le sourire édenté de son opposant et les mines guère contrariées de ses larbins lui mirent la puce à l'oreille. Ce ne serait pas suffisant. "Mais...mais vous pouvez peut-être vous occup...enfin, réconforter cette jeune femme à la place, non ? Je vous laisserais faire et passerais mon chemin." Dit-il en pointant la Chantauvent qui était au sol.

-"J'touche pas des sorcières." Grogna le chef de la meute.
-"Allons, vous me rendriez un fier service. C'est une prostituée qui a couché avec mon mari. Et puis, je suis certain que vos hommes sont moins regardants, non ?"

Lançant un regard par-dessus son épaule et voyant l'assentiment de ses scélérats qui lui servait de compagnon, il grogna et hocha la tête. "Ça va l'faire. Donnez nous c'que vous avez pis on s'ocuppe de la réconforter, m'dame !"

-"Estelle !"
-"Estelle, où es-tu ?!"
-"Adrien, ici !"

Surprise, la troupe se retourna pour voir débouler trois individus à la mine aussi peu avenante que la leur. Adrien avançait avec un regard sombre, un bras appuyé sur les côtes. Son dernier combat semblait l'avoir meurtri plus sévèrement qu'il ne l'avait mentionné. Merrick arriva le premier, le poing gonflé et en sang, laissant s'écouler une traîné carmine derrière lui. Son regard enfiévré par la peur de ne pas retrouver Estelle et par la douleur lui donnait une allure féroce et folle. Eugène, dernier homme de la troupe, était le plus en forme. Or, il ne portait pas sa livrée de milicien, tandis que la dame de Chantauvent l'avait croisé juste avant son service. Aucun des trois hommes n'était bardé de la moindre arme. Tout comme leur opposant. Passant en trombe à côté d'Eliana, Merrick se jeta sur sa fiancée. "Estelle, réveille-toi, Estelle ! Tu m'entends ?" Se retournant, il avisa ceux qu'il pensait coupables." Qu'avez-vous fait, sale monstre ?!"

-"Rien, c'est l'aut femme qui s'battait avec. Nous on voulait qu'aider, m'sieur." Dit-il crânement en passant un doigt dans la ceinture qui trônait en dessous de son énorme panse.

-"Adrien, que je suis contente de te voir, je..."

Le frère dépassa sa femme sans lui jeter le moindre regard, laissant ses yeux se perdre sur sa sœur qui était au sol. Il était facile de voir pour laquelle des deux il était le plus inquiet. En outre, un œil avisé et extérieur pouvait aussi percevoir la haine qui s'empara durant un instant du visage d'Eliana lorsqu'elle comprit qu'elle arrivait encore seconde derrière la rouquine. "C'est vrai ce qu'il raconte ?"

-"Oui, mais..." Elle fut coupée dans sa tirade par le regard meurtrier de De Miratour. Quasiment le même qu'il décernait à Merrick. La jeune femme pâlit devant pareille menace silencieuse. Devait-elle s'inquiéter d'une quelconque punition ? Allez savoir. Toujours est-il qu'elle ne fut plus en mesure de proférer le moindre mot.

-"Estelle, je t'en supplie, ouvre les yeux..." Implorant et supplicié, Lorren avait soulevé le buste de sa promise pour l'appuyer contre son torse. Cette dernière restait obstinément les yeux clos. L'entendait-elle ? Il ne le savait guère. De Miratour se pencha à côté et tandis une main vers sa sœur. "Bas les pattes !" Grogna le milicien, feulant quasiment telle la bête blessée qu'il était. En l'occurrence, aussi bien physiquement que psychologiquement.

Soupirant de soulagement et fermant les yeux un instant, de Miratour les rouvrit. "Elle est simplement inconsciente. Il faudra la porter."

-"Eh oh, vous nous oubliez ? Personne ne part d'ici avant d'avoir répondu à nos attentes. On nous a promis une femme." Fier et arrogant, le chef de malandrins n'en démordait pas et ne laisserait personne partir d'ici avant d'avoir eu ce qu'il voulait. Certes, le groupe en face de lui était plus nombreux. Or, deux hommes étaient mal en point, deux autres étaient des femmes et l'une était inconsciente. Son regard porcin se glissa sur Eugène. Lui seul pouvait être une menace, mais à un contre quatre, il ne ferait pas le poids.

-"Déguerpissez ! Nous sommes de la milice !"

-"Oui et moi chu l'roi Sigrfroi de Silvrur lui-même !" Sa plaisanterie arracha des rires gras dans les rangs de sa troupe. "Alors, vous nous laissez la brune ou la rousse ?"

Adrien de Miratour glissa un regard sur sa femme. Cette dernière eut un frisson de peur, pensant peut-être qu'il allait l'abandonner, or le bourgeois rapporta son attention sur Merrick, tandis qu'Eugène tentait toujours de parlementer. Cela serait vain, mais au moins il gagnerait du temps. "Il va falloir fuir."

N'y avait-il pas un adage qui disait que "l'ennemi de mon ennemi était mon ami ?" Certes, le coutilier concevait qu'il avait besoin d'Adrien, même si cela le répugnait et le révulsait de faire alliance et sécession pour un temps. "Je vais la porter et on creuse un chemin en les prenants par surprise."

-"Avez cette main ?" Dit-il en pointant ses doigts malmenés. "Oubliez ça, c'est impossible."
-"Eugène le fera, alors ! Vous ne poserez plus vos sales pattes sur elle, Adrien !"

Grognant un assentiment, sachant pertinemment que l'ancien coureur de jupons était trop campé sur ses positions pour changer d'idée, Adrien accepta. Ainsi, la dame de Chantauvent se retrouva dans les bras d'Eugène, alors que Adrien et Merrick se positionnaient devant le groupe qui leur faisait face. Eliana au centre. "Alors ? Vous nous donnez qui ?" Rivant un regard sur Merrick il poursuivit. "On est pas très porté sur les hommes..." puis sur Adrien. "Quoiqu'toi, avec ta peau d'pêche, il y a moyen qu'on trouve notre plaisir dans ton fion."

-"Maintenant !" C'était stupide comme plan. C'était même insensé. Or, c'était la seule échappatoire possible dans ce coupe-gorge. Passer en force. Poussés par la peur, la haine et le désespoir, Merrick Lorren et Adrien réussirent à créer un chemin pour le reste de leur groupe qui s'engouffra dans la brèche entre les corps pour s'extirper du guet-apens. L'aîné d'Estelle avait frappé le chef au visage, écrasant son nez dans une gerbe de sang et l'homme d'armes avait poussé d'une bourrade de l'épaule un des individus du groupe vers les deux autres. Ils avaient gagné suffisamment de temps pour Eugène, Estelle et Eliana. Réussissant à se dégager, Adrien rejoignit ventre à terre ceux qui fuyaient. Voulant suivre le mouvement, Merrick fit de même, mais fut attrapé par les cheveux et rejeté avec force dans la ruelle. Il tomba au sol, là où Estelle s'était retrouvée quelques instants plus tôt. Ses compagnons étaient partis et ses agresseurs semblaient vouloir en découdre et se venger.

Le chef au visage ensanglanté se leva. "Tu viens d'me faire passer l'envie d'm'amuser, gamin. J'veux juste te casser la figure maintnenant." Se relevant, aussi blême qu'un cadavre, Merrick se mit à reculer. Il était cerné et seul. Que pouvait-il faire ? Au moins, la Chantauvent était sauve...

-"Merrick !" Se frayant de nouveau un chemin dans la ruelle, alors que personne ne s'attendait à le voir revenir, Eugène vint se placer aux côtés de son supérieur. Le regard fier et le menton haut, il fit face aux mécréants qui quémandaient du sang et de la violence.

-"Ne voilà pas qui r'vient ! Not' soi-disant "milicien". Ou ta laissé ta sorcière, hein ?"

-"Elle est sauve, elle est avec les autres." Dit-il en souriant à l'ivrogne. "Je ne pouvais pas te laisser seul contre eux avec cette main, non ? Adrien m'a dit qu'il préviendrait la milice en repassant sur la place des chevaliers. Il ne nous reste donc plus qu'à tenir et nous serons saufs !" Merrick Lorren aurait eu envie de hurler. Eugène venait de se jeter dans la gueule du loup en pensant l'aider. Or, il ne connaissait pas le bourgeois en qui il avait mis sa confiance. Adrien irait-il réellement interpeller la milice, maintenant qu'il avait remis la main sur sa sœur et qu'il pouvait potentiellement espérer voir le jeune homme mourir ? Dur à dire. Mais Merrick n'aurait pas pris le pari.

Défait, Lorren secoua la tête, retenant dorénavant un sanglot alors que son espoir s'étiolait. Pourquoi Estelle avait-elle fui de la sorte ? Comment tout cela avait-il dégénéré ainsi et de la sorte ? "Eugène ?" Que pouvait-il lui dire ? Qu'il avait été idiot ? Qu'il avait été stupide de laisser partir Estelle avec celui qui l'avait abusé et abrutis de revenir se mettre dans le pétrin avec lui ? Probablement. Or, il n'en avait plus la force. La terreur était trop grande dans sa conscience. Il s'inquiétait pour sa main, pour son sort, pour celui de son milicien et pour sa fiancée. Il commençait à paniquer. Sa respiration se faisait haché. Il manquait d'air. Il...il suffoquait. Il... le milicien déposa sa main sur l'épaule de l'ivrogne. Ce geste eut l'effet escompté.

-"Merci. Merci d'être revenus." C'était face aux pires tourments qu'on découvrait qui étaient les véritables amis. Eugène en faisait partie.

Il ne restait plus qu'à lutter, car Merrick Lorren n'en doutait plus; ils étaient seuls. Abandonné par la dame de Chantauvent qui avait fui sa présence et par Adrien qui ne reviendrait jamais maintenant qu'il avait mis la main sur ce qu'il désirait.

Il ne restait plus qu'à vaincre ou périr.

◈ ◈ ◈

Sur la place des chevaliers, Adrien tenait sa sœur dans ses bras. Lorsqu'il la vit battre des paupières, il suspendit sa marche et riva son attention sur elle. Eliana resta en retrait, défaite. Que pensait-elle derrière son masque de souffrance ? Difficile à dire... "Estelle ! Par la Trinité, je suis heureux de voir que tu te réveilles." Son sourire est tendre. Beaucoup trop tendre. Son regard se veut mielleux, mais une certaine forme de folie baigne au fond de ses pupilles. Son sourire est grand, mais les marques de son combat avec Merrick sont apparentes. Aussi bien sur son visage que sur ses vêtements. "Je te conduis au temple. Tout va bien aller." Surprotecteur et inquiet, il veut s'assurer que sa sœur n'a réellement rien. S’il n'avait aucun doute sur la question, où l'aurait-il amené ? Chez lui ou à la Chope Sucrée ?

Était-il obnubilé par ses tracas pour la Chantauvent, oubliant son fiancé qui allait devoir batailler et qui risquait de se faire rosser ? Ou faisait-il simplement fi de son sort ? Toujours est-il que toute son attention était tournée vers la rouquine. "J'ai eu une de ses peurs !" Il ne nommait pas Lorren. Estelle savait-elle qu'il avait lui aussi volé à son secours, ou s'imaginerait-il qu'il était encore avec Rosalie ? L'avait-elle entendue ou perçu sa présence lorsqu'il avait été au plus près d'elle ? Si oui, s'en rappelait-elle ou l'avait-elle oublié ? Finalement, serait-il aussi simplement et facilement l'oublié de cette histoire ? " Je m'excuse pour Eliana..." Continua-t-il doucement. "Femme, approche !" Ordonna-t-il plus violemment en direction de ladite mentionnée. Cette dernière sursauta, mais finit par sortir de l'angle mort d'Estelle. "N'as-tu pas quelque chose à lui dire ?!" Évidemment, Adrien de Miratour s'attendait à des excuses de la part de sa femme en direction de sa sœur.

Ainsi donc, comment tout allait-il finir ? En ces instants, nul ne le savait. Du moins, si ce n'est d'Estelle de Chantauvent...
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