Printemps 1149, château de Hastegard, Hendoire
Aujourd'hui c'est le grand jour. Ma main tremble tant d'excitation que mes mots peuvent paraître confus, mais j'attendais ce jour depuis ma naissance. Après la veillée, je serai enfin accolé chevalier par mon parrain le duc, et j'accomplirai enfin mon destin. Les Quatre en soient loués, comme mon père, et le père de mon père avant moi, j'apporterai gloire et prestige à ma famille.
J'abaisse la plume. Je suis trop fébrile pour continuer. Demain, mon rêve sera réalisé.
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Eté 1149, château de Hastegard, Hendoire
Voilà des lunes que je n'ai pas repris la plume. Le temps m'a manqué, car depuis mon accolade, je ne fais que caracoler à travers tout le pays avec mes braves compagnons d'armes, ceux-là même qui furent faits chevaliers à mes côtés. Il y avait avec moi le grand Arnulf, le beau Hans, mon cousin Athaulf mais aussi celui qui fut mon plus grand rival, Dagmar des Torrents. L'on ne peut imaginer ce que c'est avant de l'avoir vécu : chevaucher au vent, sur un canasson plein d'écume, entouré de ceux qui partagent un lien plus fort encore que celui du sang.
Nous avons traqué un groupe de maraudeurs, à l'est des terres de mon père. C'était notre premier fait d'armes avec nos nouveaux éperons. J'ai eu la sensation d'avoir la force de cent hommes, et avec pareille équipe, la victoire m'était déjà promise. Les survivants ont été vendus au marchand Leif, et le revenu partagé entre nous tous. Comme nous sommes restés la nuit au village, nos richesses ont attiré nombre de croquants, et nous avons fait la fête toute la nuit dans leur halle. J'ai perdu mon pucelage avec une fille du cru, bien que je dois avouer ne plus me souvenir de son nom, je me souviens d'une énorme paire de seins et d'un visage tout à fait charmant. Cela dit, maintenant que j'y repense, j'avais un peu bu.
Je n'écrirai plus guère souvent, l'appel de la route excite bien plus encore mes sens à présent.
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Eté 1150, château de Hastegard, Hendoire
Je reprends ces vieilles notes en main, car aujourd'hui fut un grand jour pour moi. Après maintes tractations matrimoniales, mon père a finalement renégocié la dot de la fille qui m'était promise, et nous nous sommes mariés dans le mois qui suivit. Ermentrude, fille du riche baron de Clairvallon, est à présent mienne. Je ne l'aime guère, elle est bien trop énorme et laide, et je dois avouer avoir eu un peu de mal pour notre nuit de noces. Mais elle me donnera des enfants, et mon nom perdurera dans l'Histoire, n'est-ce pas tout ce qui importe ? Un chevalier se doit d'avoir sa dame, même si celle-ci ne ressemble en rien aux demoiselles des romans courtois. Elle est riche, c'est déjà ça.
Cet été, le duc mon parrain souhaite marcher contre la ville de Bivesacre et récupérer son vasselage. Ce sera l'occasion pour moi de revenir couvert de gloire en le château de mon père. Peut-être le fruit du pillage m'aidera à constituer un début de fortune, car j'ai des projets, et que la rente de mon père ne m'est plus suffisante.
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Automne 1150, château de Hastegard, Hendoire
Je suis rentré de la campagne déclenchée par mon parrain, mais nulle gloire ne m'accompagne autre que celle d'avoir répondu à l'appel de mon suzerain. Je m'étais figuré chevauchant à toute allure sur le champ de bataille, frappant félons et mauvais vassaux au nom de mon seigneur, mais il n'en fut rien. Nous avons avancé sans rencontrer de résistance, et la ville s'est rendue après quelques jours de siège seulement. Nombre de mes pairs ont décidé de mettre la région en coupe réglée, mais cette pratique peu honorable me rebutait, et je n'ai pas longtemps participé au pillage, qui fut d'ailleurs rapidement condamné par le duc.
J'attends avec impatience la prochaine campagne. Je sais que mon destin s'inscrira dans un torrent de lames. Je l'ai vu en rêve, une fois. Les Quatre en soient témoins, je rivaliserai avec les meilleurs.
Le duc m'a tout de même octroyé quelques lopins aux alentours de Bivesacre. L'argent des pressoirs et des fours m'offrira quelques revenus supplémentaires, mais ce n'est pas assez. Je veux plus.
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Automne 1153, château de Hastegard, Hendoire
Cela fait bien longtemps que je n'ai plus écrit. La vie d'un chevalier est bien remplie, et voilà déjà trois campagnes que j'arpente le pays à mater des révoltes et subjuguer des seigneurs pour leur imposer l'autorité de mon suzerain. J'ai réussi à réunir autour de moi un fort parti de vaillants compagnons, avec lesquels je me suis déjà distingué lors d'escarmouches. Le feu de la bataille coule dans mes veines, mais je n'ai pas encore participé à de grands engagements. Les ennemis du duc sont bien trop faibles, bien trop peu nombreux. En attendant mon jour de gloire, je passe mes nerfs sur des bandits et des esclaves en fuite. Nous sommes beaucoup à être frustrés par ce manque de gloire. Athaulf a même suggéré d'exciter nos voisins pour déclencher une véritable guerre. Et je dois avouer que ce projet, complètement fou et irresponsable, a tout de même de jolis chatoiements qui me titillent la rétine.
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Eté 1153, château de Hastegard, Hendoire
Ah, par Rikni, quelle occasion ! Celle-là, il nous faut nous en saisir, car elle est trop belle pour être jetée aux orties !
La gloire est à nos portes : une armée d'invasion se dirige vers nos terres. Guère plus qu'une horde de barbares puants qui ne vénèrent même pas nos dieux, mais qu'importe ! Mes frères d'armes et moi allons enfin récolter la gloire que nous promettaient nos pieux lignages. Le duc a levé le ban, et déjà mon père et moi nous apprêtons à plonger dans la bataille. Voilà bien la première campagne que j'effectue au côté du paternel, et je dois dire que mon cœur s'en serre de joie. Avec l'argent de mes possessions à Bivesacre, et les deniers de mon père, j'ai pu investir dans une nouvelle monture, un fougueux étalon avec du mordant. Je l'ai baptisé Grendel, comme le géant des contes pour enfants, car sa taille est superbe !
Je reviendrai écrire ici tous mes faits d'armes, une fois que les pendards auront rendu gorge !
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Hiver 1153, château de Hastegard, Hendoire
Comment aurais-je pu être préparé à tout cela ? Par les Quatre, comment ?
La guerre n'est pas du tout comme je l'avais imaginée. La véritable guerre, celle qui prend de plus grandes dimensions que les vaines escarmouches auxquelles j'avais prêté mon épée naguère. Je connaissais la vue du sang, la vue des cadavres et le son que faisait l'homme blessé ou proche de la mort. Pourtant, à cela, je n'étais pas préparé.
Tant de vaillants compagnons sont passés de vie à trépas. Hans est parti rejoindre Anür, Dagmar des Torrents restera dans sa civière pour le restant de ses jours. L'entendre me hurler de l'achever m'avait fendu le cœur comme la pioche une pierre. Père est mort, lui aussi, emporté par la déferlante des ennemis.
Lorsque le duc a envoyé ses miliciens au massacre, j'ai cru halluciner. C'était comme envoyer des brebis contre des loups, et sur le haut de la colline, j'avais assisté au plus dérangeant de tous les massacres : car je n'étais pas dans la mêlée, je la regardais depuis les hauteurs. La honte me tiraillait les tripes, je n'avais qu'une envie : frapper mon ennemi pour me venger de ce terrible sentiment. Alors j'ai chargé, bien évidemment. Pour la gloire. Et tous m'ont suivi, le duc lui-même s'est précipité avec moi. Si mon geste inconsidéré nous a octroyé la victoire, il a aussi provoqué l'hécatombe chez mes frères d'armes. Entre nous, nous avons fêté l'issue de cette bataille en nous saoulant de vin et en torturant les ennemis vaincus. Mais en définitive, la victoire avait un goût bien plus amer encore que la maigre bière que l'on nous servait au campement.
La guerre n'est pas l'affaire des gens du peuple. La guerre est notre affaire, une sombre affaire. A eux le travail des champs, à nous le feu des batailles. Et maintenant que je suis le seigneur de mon propre castel, j'ai le pouvoir de mettre en place le plus grand de tous mes projets : l'Ordre de la Lame Ecarlate.
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Hiver 1157, château de Hastegard, Hendoire
Quel curieux hasard de retomber sur mes notes, après que tant d'années se soient écoulées ! Curieux hasard, car aujourd'hui je viens de rentrer après avoir effectué mon plus grand tour de force, et pas des moindres : c'est grâce à moi et à la Lame Ecarlate que la cité rebelle de Bivesacre est tombée.
Mon cœur se gonfle de fierté rien qu'à y penser. Me revoir prendre la barbacane, avec mes flamboyants frères d'armes, suffit à m'échauffer les billes et le grand mât. Quelle raclée nous leur avons mise, à ces bourgeois vaniteux.
Le duc était malade, et je faisais partie du conseil de guerre qui menait l'offensive. Depuis trois ans déjà mon ordre accueillait les braves du pays, et le campement assiégeant était en grave difficulté : la peste qui avait touché le duc avait aussi envahi les allées du camp, et le moral était au plus bas depuis la dernière tentative pour prendre la muraille. Le beffroi avait brûlé, et sa silhouette encore fumante ne faisait que noircir plus encore les lignes de notre échec. C'est alors que l'on me présenta une idée fort commode. La richesse de Bivesacre, outre ses nombreux marchands, résidait dans le cœur de la montagne accolant la ville. Les mines de la cité étaient bien entendu à l'extérieur, proche des faubourgs, mais un détail avait retenu notre attention, lorsque nous avions décidé de passer au peigne fin toutes les galeries. L'une d'elles allait dans la direction de Bivesacre. Jour et nuit, sans le dire aux autres généraux, j'ai ordonné à ma gueusaille de creuser. Cela prit des semaines, tandis que notre moral chutait et que la maladie dévorait les tripes de notre bande de guerre.
Et quand l'espoir lui-même venait à s'éteindre, je déclenchai mon plan de bataille. A la brune, à cette heure où sentinelles et chiens somnolent, j'ai mené l'Ordre tout entier avec moi pour passer par les mines de Bivesacre. Avant qu'ils n'aient pu comprendre quoi que ce soit, avant même que la moindre corne ait sonné, nous étions déjà dans la place, un monceau de cadavres à nos pieds, à nous activer pour abaisser le pont-levis. Ce n'est que lorsque les chaînes commencèrent leur lente descente que notre présence fut remarquée. Par les dieux, quelle bataille dans la salle des treuils ! Nous avons tenu, contre vents et marées, mettant en échec tous les démons que nous envoyait la ville. Et lorsque nos propre forces pénétrèrent par la grande porte, la victoire nous fut acquise. A ce jour encore, personne ne sait comment Bivesacre fut prise, et c'est un secret que mes compagnons et moi tenons à garder, afin de nourrir les rumeurs et les légendes. J'ai fait couper la langue à mes ouvriers, pour ne pas qu'ils puissent le révéler.
La cité est maintenant mienne, offerte de bonne grâce par le duc, qui s'est remis d'aplomb. Mes richesses s'accroissent, mais mon ordre aussi. Après le coup d'éclat à Bivesacre, de nombreux jeunes gens ont voulu joindre leur épée à la mienne. La Lame Ecarlate grandit de jour en jour. Je vais avoir énormément de travail.
Oh, et j'oubliais. Ma femme s'est enfin décidée à me donner un enfant. Manque de bol, c'est une fille. Il va me falloir encore retrouver le chemin de sa couche, et réessayer. Elle se prénommera Victoire, car elle est née quelques jours après mon coup d'éclat.
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Automne 1163, château de Hastegard, Hendoire
En fouillant mon bureau, je n'imaginais pas retrouver ces vieilles reliques. Je n'écris plus autant que lorsque j'étais jeune, et pour cause : je n'étais pas encore le Grand-Maître de l'Ordre de la Lame Ecarlate.
Je reprends la plume pour coucher sur papier toute ma gloire, l'oeuvre que je laisse aux générations futures. Des centaines de chevaliers ont juré dédier leur vie à l'Ordre, et à la défense de ses intérêts, et ont apporté avec eux nombre de sergents, de ressources et de lieux propices à l'établissement de mes commanderies. Le duc lui-même me craint, et nous nous sommes régulièrement querellé sur ma montée en puissance, qu'il juge comme menaçante. Je vis la vie que j'ai toujours rêvé d'avoir. Une simple chevauchée de mes frères fait trembler les puissants. Il n'est pas un homme en Hendoire qui ne connaisse mon nom. Les dieux eux-mêmes me sourient, car le gros tas m'a enfin donné un fils ! Ulric, comme son père, et lorsque je trépasserai, c'est baigné de toute ma gloire qu'il reprendra le flambeau familial. Si père me voyait, je sais qu'il serait fier de moi. Je rends grâce chaque jour à Rikni pour mes succès sur le champ de bataille.
Je pense conserver ces notes dans mon nouveau donjon. Hastegard n'est plus le petit château que mon grand-père peinait à entretenir, non. C'est une forteresse à présent ! L'on pourrait y résister des années sans que la défense ne faiblisse d'un pouce. Et aucune mine pour venir me contredire.
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Hiver 1164, à bord du Firmament, au large d'Allange
Les dieux nous ont-ils abandonné ? Qu'avons-nous fait aux Quatre pour qu'ils nous envoient pareil fléau ?
Quel enfer, quelle géhenne. Plutôt le royaume d'Etiol que le pays que nous laissons derrière nous. Nous avons pourtant tenté de résister, nous avons rencontré ces bêtes sur le champ de bataille. Quel désespoir de voir mon Ordre florissant se faire décimer en moins de deux jours.
Athaulf, Ô Athaulf, mon ami, mon frère. Que n'oublierais-je ton sacrifice. Il me couvre de honte, car c'est moi qui aurais dû mourir, pas toi, grand chevalier à la barbe fleurie. Tu me manques affreusement déjà. Tous vous me manquez, mes vaillants compagnons. De notre rêve chevaleresque ne subsistent qu'une vingtaine de nos frères. Arnulf, Angilram, Hermann, Lug et bien d'autres sont encore là pour chanter vos louanges. Même le Père Ambroise, mon confesseur, conserve dans ses écrits vos hauts-faits.
Ce bateau est infâme. Il y a trop de monde, et pas assez de bon sang noble pour tout mettre en ordre. Des rixes éclatent. Où nous mènerons les vents ?
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Printemps 1165, à bord du Firmament, côtes inconnues
L'hiver a emporté les plus faibles. Nous avons jeté les malades par-dessus bord. Premières escales en pays hostile : les choses qui nous ont attaqué sont partout. Faible ravitaillement.
Ermentrude est morte. Je n'avais pas imaginé à quel point je l'aimais, avant qu'elle ne trépasse. Elle était laide et obèse, mais elle était aussi ma femme, elle qui me donna de beaux enfants. Je m'en veux.
Angilram est mort, tué par les monstres.
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Eté 1165, à bord du Firmament, côtes inconnues
Pitié, rendez-le moi, dieux de misère. Rendez-moi Ulric, rendez-moi mon enfant. Qu'importe le sacrifice à faire dussé-je frapper à l'aveugle tous les mécréants de ce rafiot, rendez-le moi.
Rendez-le moi. Rendez-le moi.
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Automne 1165, à bord du Firmament, côtes inconnues
Victoire tient bon. Elle est en permanence surveillée par Arnulf, et le deuil de sa mère et de son frère suit lentement son chemin. J'ignore quel jour nous sommes, mais je sens venir le grand froid de l'hiver. J'ai peur pour ma fille.
Ravitaillement inespéré dans une ville portuaire. Grande bataille sur les quais, nous avons raflé tout leur poisson fumé, leur saumure et leur vin. Prix en vies humaines. Fredrik et son frère Sven ont trépassé dans l'escarmouche.
La blessure d'Hermann m'inquiète. Il ne passera pas l'hiver.
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Hiver 1165, à bord du Firmament, côtes inconnues
Tant de morts, tant de désespoir. Hermann a trépassé. Nouvelle rixe sur le pont : j'ai tué deux hommes aujourd'hui. Nous n'avons plus de vin. En fait, nous n'avons plus grand-chose.
Dieux tout puissants, où êtes-vous ?
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Printemps 1166, à bord du Firmament, côtes inconnues
L'hiver n'aura épargné personne. Moins de bouches à nourrir. Nous avons capturé et pendu le vieil Eorlund, après qu'il ait tué une jeune fille dans le but de la manger. Anür, je te prie chaque jour, mais tu ne me réponds pas.
Victoire a reparlé, aujourd'hui. Entendre le son de sa voix m'a remis un peu de baume au coeur. j'en avais besoin : trois autres de mes compagnons sont morts lors d'un ravitaillement sur la côte. Ces bêtes sont partout, sommes-nous les derniers ?
Alaric, Lug, Siegfried, reposez en paix. J'en viendrais presque à vous envier, mes amis, d'être sortis de cet enfer avant moi.
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Eté 1166, à bord du Firmament, côtes inconnues
Nous ne sommes plus que trois à encore porter le tabar de la Lame Ecarlate. Les couleurs ne sont plus ce qu'elles étaient, le sel a dénaturé les pigments. Je commence à croire que les Quatre nous ont abandonné.
Attaque de pirates. Butin inespéré : de l'eau douce. Mais qui dit pirate, dit repaire. Tout espoir n'est pas perdu. Les tempêtes grondent au loin.
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Hiver 1167, L'Esplanade, Marbrume
Je n'ai pas repris la plume, depuis le naufrage. Il faut dire que je n'avais guère le temps : entre le moment où mon corps a heurté le sable de ce pays maudit et aujourd'hui, j'ai été fort affairé. A présent, je suis le vassal direct du roi Sigfroi, bien que je ne lui ai ramené en cette cité qu'un piètre parti. Avec mes trois chevaliers restant, Arnulf, Sigbert et Sigvald, nous tentons de restaurer l'Ordre. Malheureusement, sans ressources ni amis dans le bastion marbrumien, autant dire que nos efforts se comptent en coudées de fourmis. Depuis mon arrivée, j'ai été très isolé du reste des nobles gens, notamment car ma religion leur est insupportable. J'ai même considéré renier le statut divin d'Etiol afin de rentrer dans les bonnes grâces de mes pairs, mais je crains encore bien trop le dieu des maladies pour risquer m'attirer ses foudres.
Victoire se rétablit bien. Je crois que le fait de quitter ce bateau infernal pour retrouver le confort d'un manoir lui aura redonné quelques couleurs. Le Père Ambroise prend bien soin de la petite, notamment de son éducation.
Je désespère cependant de trouver du soutien parmi la noblesse. Cette cité part à vau-l'eau, les rues sont défendues par des miliciens sans expérience, le nombre de chevaliers dans la place se compte sur le bout des doigts. C'est un miracle qu'elle ne soit pas encore tombée. Un doute affreux m'envahit soudain : si nous avions tenu Allange, aurions-nous également pu résister comme eux ?
Parfois, la nuit, les morts reviennent me hanter. Je vois encore les visages de mon épouse et de mes compagnons d'infortune. Mon fils Ulric vient lui aussi me rendre visite dans mes songes. Ce sont des moments terrifiants, où je rends grâce aux dieux d'être tout seul lorsqu'ils m'arrivent.
Qui sait, peut-être me préparent-ils à les retrouver ? Mais avant que je ne plonge dans la torpeur de la mort, je me battrai. Mon nom signifie encore quelque chose, et je peux le prouver. La Lame Ecarlate n'est pas morte, trois de ses cœurs battent encore à l'unisson. Les lions se battent encore, crocs apparents, griffes sorties.
Rikni je t'en conjure, prête-nous ta force dans les combats et l'adversité.