...tout peut arriver [PV Victor de Rougelac] - [2/2]

S'il portait une attention particulière à ce seconde rendez-vous avec la Baronne de Sibran, Victor avait bien évidemment prit toutes les mesures necessaire dans l'éventualité où cette promenade à travers les jardins royaux aboutissait à une soirée en compagnie de la jeune veuve. En qualité d'intrigant mondain, Rougelac avait donc anticipé une telle demande pour ainsi prolongé la découverte d'une dame vertueuse qui par définition était à même de servir ses intérêts. Si cette dernière semblait paraître désintéressée par la tournure des événements et l'aide que le sang-bleu était en mesure de lui apporter, pour Victor il s'agissait encore et toujours d'une affaire où son esprit s'afférait à calculer chaque tenante et aboutissant et ce même si un parfum d'attachement sincère semblait bien vivace.

S'afficher au bras de la Dame d'Hagerth était en soit un acte calculé, comme pour indiqué à quelques détracteurs ou sympathisant qu'il était toujours bien présent et actif sur l'Esplanade, toujours en quête de trouver un parti qui saurait renforcer sa position. Nombreux étaient ceux qui souriaient face à la malédiction que portait sur ces épaules le Gouverneur de Sombrebois, incapable de préserver sa lignée et de fait lèguerait en l'état toute sa fortune et ses biens au Roi.

C'était sans compter la persévérance du Comte qui malgré trois malheureux unions, semblait encore déterminer à trouver une Dame pour lui offrir un héritier. Il ne croyait pas Esméra si naïve au point d'omettre une telle perspective en s'affichant à son bras et plus encore en l'invitant pour la seconde fois dans son humble demeure et ce à une heure tardive qui laisserait indéniablement courir quelques ragots alors que plusieurs nobles qui croisaient leur chemin les virent disparaître derrière la porte de la résidence loué par le Roi.

L'échiquier du Comte de Rougelac etait en perpétuel changement. Des pions apparaissaient puis disparaissaient. Certains avançaient tandis que d'autres reculaient, il en était ainsi depuis des dizaines d'années maintenant. Lorsqu'il pénétra pour la seconde fois dans ce salon, l'atmosphère y était bien plus intimiste que la veille, la raison en provenait sans doute de l'âtre et des quelques bougies allumées de ci de là qui rendait la pièce bien plus propice à l'ivresse des sens. Victor n'aurait su dire ce que pouvait bien penser la domestique de la baronne mais elle devait certainement se sentir dérouté par la situation.

Mais lorsque la Baronne retira sa cape, Rougelac ne pouvait que rester subjugué par cette robe que portait Esméra. Homme de goût, il raffolait de la complexité des étoffes de ces dames. Certains dirons que le plaisir n'était que physique mais pour Rougelac il etait bien plus complexe et tous ses sens semblaient éveillés à la vision des complexes tissus qui venaient dissimuler certainement un corps appelant à la débauche. Ce lassage dans le dos, cette boucle tombante sur le haut de son dos subtilement découvert appelait à une tentation terrible d'être dénouée. Comme l'on effeuille un objet révélant ensuite un précieux trésor, Esmera tenait cette comparaison dans l'esprit du Comte semblant sur l'instant envouté par cette vision.

Interdit par l'appel de la luxure, il noya alors ces peu chastes pensées à travers l'âtre où danser sensuellement quelques flammes avant de reporter son attention sur Esméra qui revenait d'une console armée de deux coupes de vin épicé. Elle avait décidé de se passer des services de Sophie sa domestique et Victor n'avait pas manqué ce details alors qu'il se saisissait d'une coupe. Leur proximité était réelle et pourtant le jeu d'ombre et de lumière rendait la silhouette et les charmes du visage d'Esmera encore plus complexe et attrayant qu'en temps normal. Ne la quittant également pas du regard, Victor, dans sa tunique de très riche facture devait également être sublimé par cette pénombre éphémère. Ce dernier l'écoutait religieusement, comprenant aisément le refus des étoffes de sa précédente épouse.

- Je comprends, naturellement. Mais peut-être que ces pièces de soie pourraient vous etes utile lorsque vous prodiguez certains soins. L'offre tient toujours et mes domestiques se montrerons fort généreux, soyez en sûre.

A sa suite, Victor leva également sa coupe pour trinquer à cette rencontre fort attrayante, donnant par la même occasion la réplique à la baronne.

- Elle l'est peut-être plus encore mon amie. Vous êtes une dame d'une grande beauté, a la fois extérieure et intérieure. Et je vous le concède volontiers, d'un charisme peu commun. Je boie au succès prochain de notre humble projet et qui sait s'il ne sera pas le point de départ d'un nouveau dessein.

Il portait un regard appuyé sur la baronne tout en prenant en bouche ce liquide carmin aux saveurs épicées. Se rapprochant d'un pas, le quadragénaire se permit une dernière remarque.

- Ce vin, si je puis me permettre, vous caractérise bien. Doux et piquant à la fois... à la robe d'une beauté saisissante.

Lui décochant un charmant sourire, Victor s'offrait dans son port le plus altier et la pénombre ainsi que ce jeu de lumière attisé par les flammes venaient renforcer une allure aux notes déroutantes, à la fois attirante et ténébreuse.

Esméra n’est pas naïve, non, ce serait même franchement le contraire. Quoiqu’il en soit, les ragots peuvent bien courir, les rumeurs peuvent bien s’amplifier, il n’en reste pas moins que même si Victor de Rougelac est sans nul doute un très beau parti, elle n’est pas ici présente ce soir, en sa compagnie, dans le but premier de le séduire afin de devenir son épouse. La baronne est rompue à ce jeu là, elle a déjà donné et payé chèrement sa vie maritale en lui sacrifiant tout, y compris l’essence même de ce qu’elle est, par devoir, par raison, par obligation. Si époux elle doit reprendre, elle compte bien se donner l’occasion de ne pas regretter son choix. Et là où Victor a marqué une extraordinaire avance sur les anciens prétendants de la baronne, c’est qu’il ne s’est pas moqué. Il n’a pas ri. Il a réfléchi. Et a fini par se ranger à son opinion, répondant favorablement à une demande somme toute complexe qui n’est rien de plus qu’un test. Un test que le comte a brillamment réussi.

Sortir de sa zone de confort. Enfiler de pauvres habits ou, à tout le moins, des vêtements moins seyants, moins précieux que ceux qu’elle observe avec attention en ce moment, savamment mis en valeur par la douce et vibrante lumière dorée qui provient de l’âtre. Bien sûr, elle n’est pas idiote au point d’imaginer une seule seconde que le Comte sacrifie son orgueil aussi facilement sans avoir pensé à tout en amont. Elle le sait. Cela étant, il a accepté. Peu importe s’il s’agit de redorer son blason, de rétablir une réputation malmenée, cela ne change rien au fait qu’il a dit oui. Et cela change tout pour Esméra. Cette réponse, couplée à son attitude si douce d’hier, la conforte dans l’idée qu’elle s’est fait à son sujet depuis la veille. Cet homme a deux visages. Et l’homme derrière le comte lui plaît. Cela la fait sourire d’ailleurs. Quel mal y a-t-il à cela, après tout ?

Il est ici parce qu’elle a envie d’apprendre à le connaître, au contraire de tous les autres qui ont pu croiser sa route dans l’espoir d’obtenir d’elle bien plus qu’une promenade ou un baiser sur ses jolis doigts diaphanes. Elle a offert au comte en deux jours tout ce qu’elle n’a jamais offert à d’autres : une présence, une conversation, un échange d’opinion, et même un projet. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un grand et magnifique projet mais ne dit-on pas que les petits ruisseaux font les grandes rivières ? Si le Comte arrive à percevoir la misère telle qu’elle la perçoit, alors tant de gens auront à y gagner ! Gagner Victor de Rougelac à une cause, ce n’est pas rien. Et sa cause à elle, ce sont tous ces gens qu’elle aide en mémoire de tous ceux qu’elle n’a pas pu secourir quand la Fange a envahi ses terres. C’est bien le moins qu’elle puisse faire pour eux. C’est sa rédemption et ce depuis son arrivée en ces murs.

Debout face à lui, la baronne penche un instant la tête tout en le dévisageant avec amabilité, l’œil luisant de plaisir. Suivant son geste, elle but à son tour une gorgée de vin avant de reprendre, d’une voix douce :

- Vous me flattez, Victor mais je vous pardonne cette manœuvre pour le plaisir qu’elle m’apporte. J’espère de tout cœur que ce petit projet que nous avons ne sera pas le dernier et que nous aurons d’autres occasions de conjuguer nos efforts pour cette cité.

Libre à lui d’interpréter ce qu’elle vient de dire. Elle, elle se contente de sourire, encore. Le verre à la main, elle le regarde combler l’espace entre eux en effectuant un pas dans sa direction. Il est si proche désormais qu’elle doit lever la tête légèrement pour maintenir le contact. Elle sent même son souffle sur sa gorge et son visage. Quel homme étrangement attirant…Dangereux. Comme tous les hommes qui ont croisé sa route.

- Et vous me flattez encore, mon ami. Cette robe n’est jamais qu’une coquetterie, une façon d’être à la hauteur de votre rang, même si j’admets qu’elle est magnifique.

Un petit silence s’installa à nouveau. La baronne contemple les reflets de la lumière sur le visage du comte, une lumière qui met en valeur toute son attitude altière et noble, la tenue qu’il porte, le regard qu’il pose sur elle. Esméra rougit un peu, soudain. Une rougeur qu’elle dissimule en buvant une nouvelle gorgée de vin avant de briser le silence, prise en défaut comme une débutante.

- Quand serez-vous disponible pour ce projet dont nous parlons depuis tout à l’heure ? Vous devez sans doute être très occupé. En ce qui me concerne, je suis disponible pratiquement tous les après-midis.

Se reprendre. Avant de céder à la lumière et à cette ambiance douce. Ce qui serait totalement déraisonnable.

Peut-être bien que leur intérêts étaient à la fois convergeant et divergeant, mais après tout chacun des deux partis en présence semblait se satisfaire de la tournure des événements. Si Esméra trouvait en Victor une oreille attentive et bienveillante doublée d'une perspective de voir ces aspirations personnelles prendre de l'ampleur, ce dernier quant à lui y voyait un personnage doué de facultés certaines à prendre à bras le corps ce à quoi elle était destiné, en l'occurence, aider les plus défavoriser. Il s'agissait bien là d'un domaine où le mondain était en souffrance.

Prendre du recul, de la hauteur et analyser l'ensemble des paramètres. Victor s'y employait malgré cette irrésistible attirance qui chaque minute passé en compagnie de la Baronne, se révélait être un élément perturbateur à son esprit calculateur et manipulateur. Mais force est de constater qu'en bien des points, la Dame d'Hagerth incarnait ce coefficient, cette résultante d'une équation qui semblait au finale se résoudre par un résultat favorable. S'évertuant à la flatter, Victor n'était pas naïf, Esméra comprendrait aisément qu'il tentait de jouer une seconde partition à cette symphonie qui se créait avec une spontanéité certaine. Cela ne semblait la dérangement aucunement et elle avait suffisement de présence d'esprit pour ne pas tomber dans ces vils filets d'intrigant.

Leur proximité devenait de moins en moins conventionnelle, bien qu'aucun geste déplacé ne fut à réprimer. Rougelac se montrait prudent et attendrait le moment opportun pour tenter de poser sa marque sur la veuve. Apres tout, elle avait été mariée et même fiancée, elle était donc une femme qui avait connu les joies et les déconvenues d'une union. Elle ne possédait nulle oisiveté de ces petites dames en quêtes d'un juteux parti qui leur permettaient de s'assurer le confort et l'opulence, enfermées bien volontiers dans quelques cages dorées.

Pourtant, face au regard et aux mots de son invité, la jeune femme ne pouvait raisonnablement pas rester insensible et elle dissimula sa gène derrière la coupe qu'elle portait à ses lèvres, un subterfuge que connaissait fort bien le Comte et qui provoqua chez ce dernier un malin sourire satisfait alors qu'Esméra tentait de reprendre constance en appelant le Gouverneur de Sombrebois à la notifier d'une date pour que leur commun projet se réalise. Seulement, avant de répondre à ses attentes, Victor, comme à son habitude, cherchait à faire durer se plaisir malsain.

- L'on peut obtenir bien des choses par la flatterie, plus encore lorsque celle ci est sincère. Vous êtes exquise et vos riches atours que vous portez ne me laisse nullement insensible. Je suis un homme après tout et pourquoi bouderais-je mon plaisir de contempler une telle merveille dans cet écrin qui sublime le joyau s'y dissimulant.

Il bu une seconde gorgée de ce vin épicée qui semblait lui faire délier sa langue, restait à savoir si cela était volontaire ou non.

- On dit qu'un vin s'associe à un plat et je trouve donc que celui ci s'associe parfaitement à vous. Croyez bien que je ne vous fait pas injure, nul désire de vous comparer à quelques viandes de quelques nature que ce soit... à part de vous avouer le plaisir de la chair noble que vous m'offrez à mon regard et qui en tout point doit être respectée à sa juste valeur.

Sa main libre vin alors discrètement se poser sur la hanche de la baronne, les doigts venaient lentement, presque sensuellement apprivoiser la qualité du tissu qu'ils touchent.

- N'ayez nulle honte à rougir...

Dit-il en inclinant la tête vers Esmera afin que ses lèvres ne viennent l'espace d'un instant flatter son cou, laissant volontairement un énième souffle chaud parcourir sa peau tout en reniflant le parfum florale se dégageant de son épiderme. Il se redressa alors, reprenant sa main qui avait outrageusement briser les codes de convenances puis recula de quelques pas avant que le mondain ne se mette à déambuler dans le salon comme pour s'imprégner de chaque élément de décor, brisant volontairement le contact visuel qui semblait les irradier tout d'eux d'un commun accord.

- Vous avez raison, je suis un homme fort occupé que ce soit ici à la capitale ou auprès de la petite place forte de Sombrebois. Il serait donc bon de s'atteler à cette tâche soit dans les prochains jours, soit après ma prochaine expédition à Sombrebois. Je ne vais pas vous tenir en haleine trop longtemps, je sais que vous attendais avec impatience que cela se concrétise. Alors convenons cela pour après demain. Le temps que je réunisse les effets dont nous aurons besoin et car j'ai également une affaire que je ne pourrais repousser demain.

Il s'arrête soudainement devant l'âtre pour pivoter de profils et raccrocher le regard de la Baronne dont il se délectait d'entendre les "r" rouler dans sa bouche.

- Cela vous sied ? Je passerais vous prendre après le déjeuner.

- L’on dit dans ma contrée natale que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Vous êtes bien trop habile, Victor, pour dépendre de quiconque. Ou alors...me serais-je trompée à votre sujet ?

La baronne ne peut s’empêcher de sourire en écoutant les paroles du Comte. Il et si proche désormais, par les Trois. Indécemment proche. Est-ce sa main, là, sur sa hanche, effleurant le doux tissu de sa robe ? Elle lève son visage vers le sien, ne le quittant pas des yeux une seconde. Aussi surprenant que cela puisse paraître, elle ressent à nouveau cette espèce de tension tout à fait irrésistible qui l’étreint après chaque entraînement en compagnie de Dorian. Comme si la proximité du danger lui apportait ce petit plus, ce sentiment étrange d’être invulnérable et désirable. C’est tellement troublant. Elle n’a pourtant pas croisé le fer avec le Comte. Et cela n’arrivera probablement jamais d’ailleurs. Mais…

- Victor…Je…

Elle n’a pas vraiment le temps de dire quoique ce soit de plus. Elle voit l’azur de son regard lui échapper pour disparaître dans sa gorge. Le souffle considérablement raccourci, elle tourne la tête à demi, les yeux mi-clos, tout son dos traversé par un frisson qu’elle ne parvient pas vraiment à dissimuler. Tout au plus a-t-elle une petite toux alors qu’il s’éloigne déjà, afin de reprendre une contenance malgré le petit écart de conduite qu’il vient de s’autoriser et qu’elle n’a pas eu la volonté de repousser. Parce que c’était agréable. Quel mal y a-t-il à cela, après tout ?

Cela étant, les choses reprennent déjà leurs cours, tant et si bien qu’elle croit avoir rêvé ce qui vient de se produire. Elle inspire profondément tout en suivant l’évolution de son invité au milieu de son salon, le regardant s’arrêter près de la petite cheminée.

- Dois-je en conclure que je dois me rendre au manoir Rougelac après-demain ? Vous rappelez-vous notre conversation ? Vous avez besoin de mon aide afin de choisir pour vous les vêtements les plus adaptés à cette escapade. A moins bien sûr que vous ayez changé d’avis.

La baronne est remise. Elle vient même prendre place dans son fauteuil face aux flammes, après avoir déposé son verre de vin sur la table basse. Elle s’affaire à déployer la jupe de cette robe, imposante et lourde, de telle sorte qu’elle figure désormais une rivière de carmin ondulant sur son corps.

- Après-demain me convient très bien.

Du bruit se fait entendre derrière la porte. Sophie frappe et entre, tenant à la main un grand plateau de métal chargé de victuailles diverses, du pain, des fruits, un peu de viande sèche, quelques légumes soigneusement lavés et taillés, le tout présenté avec élégance malgré le peu de variété de mets proposés. Elle dépose le plat sur une petite table non loin des deux sangs bleus et avise les coupes. Visiblement…Ils n’ont pas besoin d’elle. Elle exécute donc une petite révérence et sort de la pièce, discrète comme une ombre, pour les laisser seuls.

Dehors, la nuit est tombée. La pièce semble désormais tout ornée de couleurs chatoyantes et chaudes, issues de l’âtre comme des bougies. Esméra observe le comte, toujours debout devant la cheminée et lui sourit, en disant enfin :

- Victor…Puis-je vous poser une question indiscrète ?

Ne vient-il pas de prendre quelques libertés avec elle ? La baronne lisse la jupe à hauteur de cuisse et poursuit, de sa voix douce, sans avoir reçu de réponse à sa demande :

- C’est un peu délicat, j’espère que vous me pardonnerez cette audace mais…Il y a quelque chose qui m’intrigue. L’on vous dit sous la coupe d’une malédiction. Or…ce genre de choses ne se produit que si on a gravement offensé les Trois, à mon sens. Pourquoi voudraient-ils s’en prendre à vous en vous privant…d’amour, d’un mariage heureux ? Pensez-vous sincèrement être sous la coupe d’une telle malédiction mon ami ?

Esméra est directe. Un peu comme lui, en quelque sorte, mais dans un domaine bien différent. Et elle ne comprend pas pourquoi de telles choses lui arrivent à lui.

- Les Trois m’ont privée de mon époux pour que je puisse venir me réfugier ici, j’en suis absolument convaincue. Serait-il possible, selon vous, qu’ils n’aient jamais approuvés les dames sur lesquelles vous avez jeté votre dévolu ?

Les questions sont posées de manière douce et sincère, sans aucun désir de le brusquer ou de lui faire de la peine, elle désire juste obtenir son opinion véritable à ce sujet. Elle le regarde presque avec tendresse maintenant, se rappelant la chaleur de ce souffle dans son cou.

Cette proximité avec la baronne avait sans nul doute éveillé certains appétits chez le Comte. Une tentation qu'il ne connaissait que trop bien. Durant toute sa vie, il avait déflorer, effeuillé tant de donzelles de bonnes naissance, tout autant qu'il avait troussé les putains de petites naissances, seulement voilà, face à Esméra si son corps lui criait de dévêtir la Dame d'Hagerth, son esprit semblait l'en interdit et la remarque quand à ses flatteries le poussa à lui décocher un sourire entendu. La répartie de la veuve était des plus brillante, ce qui forçait le respect et la retenue.

Se libérant alors de cette emprise qu'il avait lui-même initié, le Comte de Rougelac reprit une distance convenable non sans avoir la certitude qu'il avait sans doute troublé la jeune femme, suffisamment pour que cette dernière ressasse après cette soirée ce délicieux moment où son invité s'était retrouvé à deux doigts de briser toute convenance pour qui sait, laisser dans son esprit quelques doux ou salaces fantasmes à son égare. Pourtant, la sang-bleu semblait rapidement reprendre constance, comme si rompue à l'exercice, cette tentation éphémère lui avait permit de surmonter une épreuve voir même une forme de test de personnalité.

Fégnant l'oubli, il eut un rictus en posant son regard sur les flammes dansantes dans l'âtre avant de faussement répliquer.

- Je n'ai point changé d'avis. J'ai... vous m'avez troublé au point d'en perdre une partie de ma raison sur l'instant. Veuillez m'excuser pour ce fâcheux oubli. Je vous attendrais donc en mon Manoir après demain.

Ce faisant, il senti dans son dos une brise légère causée par l'étoffe de la donzelle en mouvement, avant que le bruit subtile des plis de sa robe lui indique qu'elle venait de reprendre place dans son fauteuil. L'ouïe en alerte alors qu'il était sur le point de faire volte face, il resta dos tourner à la pièce laissant la domestique interrompre ce huit clos avant que la quiétude de ce tête a tête ne reprenne tout son saoule. Là, Esméra, forte d'initiative, interpella le mondain sans que ce dernier n'eut l'occasion de lui accorder l'indiscrétion dont elle se voulait force de proposition. Évoquant sa dite Malédiction, Victor l'écoutait religieusement, toujours dos à son hôte, préparant déjà sa réplique dans sa tête. Lentement, il se retourna alors pour la toiser d'un regard aussi énigmatique, charmeur que pesant. S'approchant du fauteuil de l'audacieuse curieuse, allait-il lui répondre tout aussi directement ou s'offrirait-il le luxe d'une certaine forme de fourberie bien habile ?

- Dois-je vous pardonner une telle audace ? Voilà qui me rend perplexe. Peut-être vais-je vous demander le change... ou vous me montrer inquisiteur... j'y songe mon amie...

Il contourna alors son fauteuil, ses mains se posant de part et d'autre du haut du dossier, ses doigts frôlant les frêles mais non moins délicates épaules de la Baronne. Il inclina alors la tête, soufflant dans la nuque de la curieuse noble, sans langue frôlant son globe d'oreille droit avant qu'il ne murmure.

- Qui sait... peut-être suis-je le Mal incarné ? Un énième Fléau que les Trois ont permi d'offrir à Marbrume...

Il réfutait donc toute opinion véritable sur ce sujet, ne souhaitant surtout pas déshonorer la mémoire d'aucune de ces funestes liaisons sentimentales jusqu'alors. Une réponse des plus effrayante donc qui mettrait sans doute à l'épreuve un possible intérêt de la Baronne pour le Comte qui avait tant souffert en amour.

Le regard qu’il lui lance, depuis la cheminée, est aussi énigmatique que lourd de sens. Serait-elle allée trop loin ? Elle penche légèrement la tête sur le côté, ne sachant pas vraiment comment réagir à un pareil regard. La baronne n’a jamais fait que répéter un lieu commun, une rumeur dont tous les salons marbruméens bruissent, une rumeur qui trouve même écho dans les tripots à tel point qu’elle est hissée au rang de légende. La malchance du Comte prend presque des allures de fable. Quoiqu’il en soit, elle attend patiemment sa réponse, bien droite sans son fauteuil, jusqu’à ce qu’il se déplace vers elle, à la façon d’un fauve, tout en prenant son temps.

Ses paroles ont la froideur de la glace alors même qu’il se penche vers elle, pour susurrer ce qui ressemble étrangement à des menaces. Il ne peut le voir mais elle esquisse un sourire presque semblable au sien.

- Prenez garde, Victor. Quand on souffle sur les braises, il n’est pas rare d’aviver un brasier.

Tournant légèrement la tête vers lui, sans jamais l’envisager en entier, elle retient un court moment sa respiration alors qu’il est si proche. Il pourra le voir sans aucune difficulté de là où il se tient, les épaules et la nuque de la baronne sont traversées d’un nouveau frisson. Le Mal incarné ? Un Fléau ? Esméra se tourna alors vers lui, son visage si proche du sien qu’il peut voir toutes les nuances de gris qui colorent le regard de la jeune femme. Un regard franc et direct, dans lequel ne réside aucune trace d’une quelconque peur.

- Ou peut-être s’agit-il d’un masque derrière lequel vous vous cachez pour décourager les aventurières et les crédules, mon ami. Un masque bien habile, certes, quand on a face à soi une créature jeune et influençable, qui n’a aucune expérience des hommes. Ce n’est pas mon cas, Victor.

La baronne plisse un bref instant les yeux avant de tendre la main et de la poser sur la joue de son noble opposé. La main d’Esméra est fine et délicate, fraîche. Et elle s’applique, en cet instant, à caresser avec une tendresse surprenante la peau sous ses doigts, sans que cela ne lui semble le moins du monde inconvenant. Ils n’en sont plus là. Chacun s’autorise à conquérir, petit à petit, la présence de l’autre par des gestes d’une infinie douceur. Et à ce jeu-là…Victor vient de trouver un challenger de taille, disciplinée, joueuse sans vulgarité, directe sans être grossière, séductrice sans être légère. Un fin sourire étire les jolies lèvres de la baronne alors qu’elle ajoute dans un souffle sucré :

- Et puis…quel être malfaisant proposerait des robes de soie afin d’en faire du matériel de soin ? Aucun…

Les doigts de la baronne viennent se poser sur les lèvres du comte, dans un effleurement d’une seconde, peut-être deux, durant lesquelles elle ajoute, de la même façon :

- C’est entendu, gardez vos secrets. Je sais maintenant que vous les aimiez.

Elle ôte ses doigts et se détourne de lui pour se lever avec grâce et prendre sa place face aux flammes. Récupérant son verre au passage, elle en boit une gorgée, silhouette délicate et noble soulignée par les vibrantes lueurs de l'âtre.

- Si tel n’avait pas été le cas, vous auriez agi comme tous les autres hommes, vous les auriez rendues responsables de vos malheurs. Ce que vous n’avez pas fait.

Esméra jette un petit regard amusé à son invité et ajoute :

- Plus les heures passent, plus vous me surprenez. C’est assez rare pour que je savoure sincèrement votre présence à mes côtés, mon ami.

Évoquer la Malédiction qui entourait le personnage du Comte de Rougelac avait rendu l'atmosphère dans le salon de la Baronne de Sibran plus particulière. Si le mondain s'employait à réfuter toute responsabilité de ces défuntes conquêtes par une attitude aux saveurs machiavéliques, tout portait à croire que ces réactions n'effrayaient pas le moins du monde son hôte. Certes, à son contact, un frisson trahi la jeune femme mais elle n'en semblait pas dérangé par les menaces que lui faisait sous entendre le noble intriguant. Pire, elle se prêta au jeu, acceptant volontiers de jouter par la verbe et par les gestes.

À ces paroles, pleines de bon sens et de défi, le Gouverneur de Sombrebois esquissa un rictus de satisfaction avant qu'il ne reçoive la gratitude de cette main posée sur sa joue. Un geste d'affection ? Certainement, à moins que cela ne soit la marque d'une tentative pour contrôler l'homme qui se définissait lui-même comme le mal. Contre toute attente, Rougelac venait de trouver une femme capable de relever un challenge aussi dangereux que plaisant. Sous couvert d'un parfum de mythe, légende ou fable au caractère ténébreux, la soirée promettait donc d'être riche et la dame d'Hagerth ne semblait pas désireuse de subir les événements. Non, elle s'évertuait à en être actrice et peut-être même s'arroger le rôle principal que le Comte souhaitait jusqu'alors s'accaparer. Esmera le priva de toute réaction tandis que ses doigts effleuraient ses lèvres après avoir tendrement caressé sa joue. Si elle venait de comprendre la vérité au sujet des défuntes, elle ne désirait en savoir d'avantage, cela semblait lui suffir. La baronne maitrisait son sujet et a mesure du temps, commençait à dompter l'homme à la réputation sulfureuse, ce même homme qui la veille l'avait prise pour une fille de joie.

Se redressant, la donzelle choisit de poursuivre son jeu d'actrice dans un cadre plus ardant où sa silhouette délicate et noble pouvaient être soulignée par les vibrantes lueurs de l'âtre. Un spectacle qui subjugua le sang-bleu resté figé, accoudé au dossier du fauteuil. Il contempla quelques instants ce tableau que la Baronne lui offrait non sans prendre la mesure de ces paroles se voulant à présent plus avenantes et intimiste. Elle appréciait sincèrement sa présence et il lui aurait volontiers retourner le compliment s'il n'avait pas à lui aussi jouer sa partition aux saveurs démoniaques.

Ajustant les plus de sa tunique, il avança vers l'âtre, les émotifs sur son étoffes se révélant à la lueur des flammes, se dissipants aussi vite qu'ils n'apparaissent. Son regard se fit plus carnacier à mesure qu'il réduisait la distance et lorsqu'il arriva dans le dos de la baronne, une main regagna la hanche de la donzelle tandis que la seconde venait jouer, titiller, tourmenter le lacet qui tenait solidement en place le corsage que portait la jeune femme.

- Je savoure votre présence tout autant que vous et... j'applaudis volontiers votre prestation qui me...

Il vint alors lui susurrer à l'oreille la fin de sa phrase.

- ... pousserait sans craintes à souffler sur ces braises. Je n'ai point peur de me retrouver consumer très chère.

Sa main sur la hanche de la donzelle se fit plus oppressante, flattant l'étoffe avec tendresse mais vigueur tandis que l'autre main parcourait le dos de la baronne avec douceur et sensualité.

- Je pourrais me montrer fort inconvenant. D'un geste habile, le Fléau que je représente pourrait alors effeuiller votre tissu protecteur. Ce serait un scandale, un de plus à porter à mon effigie, seulement le simple plaisir du geste et de votre nudité sublimée par la délicieuse clarté des flammes, me ferait oublier mon insolence...

Il n'en fit pourtant rien, même s'il se plaisait à le faire croire en jouant de ses mains sans jamais pourtant passer à l'acte. La tourmenter pour ensuite se délecter de ces réactions était en soit jouissif car la donzelle se débrouillait fort bien et elle faisait bien plus que se défendre et c'était bien ce qu'escomptait voir le Comte.

- Et si les êtres malfaisants étaient des hommes de bien, voués aux Trois ? Tout est finalement question de point de vu ? Regardez où nous a mené notre ferveur pour ces Dieux... au Chaos. Quel est finalement mon délit ? Celui d'avoir retrouver les bancs du Temple ? Des années durant j'ai tourner le dos à ma foi et maintenant que je l'ai retrouver, le malheur s'abat sur moi, alors... soit, je dois accepter d'être maudit. Nous avons tous un rôle à jouer et ce sont les Trois qui nous les assignent et qui prennent un malin plaisir à nous mettre sans cesse à l'épreuve.

Ses lèvres frôlent alors les tissus recouvrant l'épaule droite de la Dame d'Hagerth, cette dernière pouvant sentir l'étau du corps de Victor se resserrer dans son dos.

- Peut etre seulement me punissent-ils de vouloir changer apres tout. Ils me préfèrent sans doute en intriguant fourbe, manipulateur et calculateur... qu'en dite vous ma chère...?

Victor est redoutable. Sur tous les plans. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il est invincible. Le Comte semble prendre le parti du jeu trouble, celui qui perdrait n’importe quelle femme et la placerait sans retour possible sur un chemin tout entier dédié au vice et à la luxure. Soit.

~Entrons dans la danse, Victor de Rougelac~

Elle a vu son sourire digne d’un fangeux en approchant d’elle. Elle a senti le déplacement d’air alors qu’il s’est lové dans son dos, apposant sa main sur sa hanche comme pour y laisser son empreinte, sa marque, alors que son autre main se joue, avec une feinte nonchalance, du pauvre lacet de tissu rouge qui maintient fermement cette robe en place. Cela ne l’empêche pas de continuer à siroter son verre de vin aux épices en regardant les flammes comme s’il n’était pas là.

- Je brûle mais ne consume pas. Quel intérêt aurais-je à vous voir réduit à un tout petit tas de cendre sur mon tapis, mon ami ?

Elle ajoute, alors que son visage est si proche de son oreille, un fin sourire aux lèvres, le regard obstinément vrillé sur les flammes qui dansent joyeusement sur les bûches.

- Si vous vous consumez en une seule fois, comme le papillon attiré par la flamme et qui y laisse ses ailes, vous perdrez toute saveur. Brûlez, Victor. L’ardeur d’un feu entretenu est mille fois plus appréciable qu’un incendie qui ravage tout sur son passage, après tout, n’êtes-vous pas de mon avis ?

La baronne prend une nouvelle gorgée de vin et garde son verre à la main avant de souffler, amusée :

- Mon cher, vous êtes l’inconvenance faite chair. Vous avez déjà vu chez moi bien plus que ce qui est moralement attendu d’une dame. Elle soupire. Je crains qu’il ne vous faille, pour le moment, vous contenter de cette vision, Victor. Quel respect auriez-vous d’une Dame qui se laisserait dévêtir chez elle sans au moins tenter de vous en dissuader ?

Un autre sourire, qu’il ne peut pas voir, s’affiche sur ses jolies lèvres. Nul doute que Dorian, son séduisant maître d’armes et partenaire d’affaire, ne serait pas de cet avis. S’il était là, il serait appuyé sur un mur, les bras croisés, son habituel sourire moqueur fiché sur les lèvres, avant de rire et d’apprécier le spectacle. Cela fait un moment maintenant qu’elle n’a plus de nouvelles de sa part. En attendant…

- Vous n’en auriez aucun.

Toutefois, malgré cette défense verbale, elle ne bouge pas, elle reste là, parce que tel est son bon plaisir. Le Comte souffle le froid comme le chaud et c’est cette façon si particulière de se conduire qui lui plaît. Victor est d’une douceur et d’une séduction rare, elle ne se prive donc pas de savourer ces quelques attentions qu’il se permet, comme ces subtils baisers sur ces minces barrières que sont les plis de sa chemise dissimulant son épaule. La tendresse, même si elle est jouée et donc totalement fausse, d’un geste comme celui-là est une chose assez nouvelle pour la baronne. Mariée pendant des années à un homme qui ne la jamais satisfaite et qui a fini par déserter sa couche, elle n’a connu d’autres joies que celles, brutales, animales, intenses, qu’elle a pu connaître entre les bras d’un contrebandier au sourire ravageur. Il n’y avait eu aucune tendresse dans ces gestes à lui. C’était du plaisir physique, une tension à assouvir, un besoin immédiat qui devait être comblé et qui l’a toujours été au prix de coupures, d’égratignures sauvages ou de genoux en miettes.

- J’en dis que les Trois ne vous rendront pas leur confiance uniquement parce que vous retournez au Temple. Tout ce qui nous advient est de leur fait. Je ne suis pas prêtresse, je ne peux parler qu’avec mon cœur, mon ami. Et mon cœur me dit que nous avons tous un rôle à jouer. Peut-être en effet…êtes-vous destiné à être cet être malfaisant, indigne et fourbe que vous vous plaisez à jouer en certaines circonstances. Peut-être est-ce là votre tâche. Et peut-être est-ce précisément pour cela qu’ils m’ont placée sur votre route…

Le corps du Comte est désormais si proche qu’elle en frissonne à nouveau. Elle se retourne, pour lui faire face, et le regarder d’un air mutin et amusé à la fois, vrillant son regard gris de tempête dans l’azur du sien.

- …Pour faire en sorte de vous rappeler que vous êtes bien plus que cela. Vous rappeler l’homme que vous êtes. L’homme. Pas le noble sang. Victor. Pas le Comte de Rougelac. Car ils sont distincts, j’ai pu m’en apercevoir à plusieurs reprises.

Elle finit son verre de vin d’un geste élégant, avant d’ajouter :

- Mais peut-être est-ce fort présomptueux de ma part. Qui me dit, après tout, que vous aurez envie d’écouter ma voix, mon ami ? L’écouteriez-vous ?

La baronne se penche un peu pour déposer son verre sur la table basse et reprend sa place face à lui les mains croisées sur sa jupe, tout sourire.

- Vous voyez ? Les points de vue peuvent se discuter à l’infini…

Malgré la dangereuse proximité du Comte de Rougelac, Esmera ne se montrait aucunement déstabilisée. Nombre de femmes se seraient laissées prendre au piège, dans les filets de l'intrigant manipulateur aux appétits de luxure. Le veuf œuvrait, avec un certain entrain, à instaurer une atmosphère aussi angoissante qu'intimiste et la réaction de la baronne n'avait rien pour lui déplaire. Loin de se montrer contrarié après s'être fait subtilement éconduire par la Dame d'Hagerth, Rougelac prenait un certain plaisir, presque jouissif même, de sentir toute la résistance que lui offrait en retour la baronne. Ces répliques s’enchaînaient tandis qu'elle montrait une forme d'insensibilité devant les manigances peu convenables qui pleuvait sur elle. Farouche n'était pas le terme approprié, Victor lui préférant l'adjectif de joueuse.

Baronne de Sibran se rangeait à l'avis du mondain quant au rôle que jouait chacun et dont les Trois en tiraient les ficelles. Loin de réfuter la vision de son comparse, elle semblait même accorder crédit aux possibles désirs des divinités de voir le Comte de Rougelac incarnait le Mal, seulement, elle affirmait qu'il possédait une personnalité bien moins sombre que son rôle le laissait entendre. Sa clairvoyance ne laissa pas insensible Victor. Mettant en avant l'homme et non le sang-bleu, Esméra semblait voir les choses sous un autre angle, ce que peu de gens semblait capable de faire lorsqu'il s'agissait de percer au grand jour l'illustre Gouverneur de Sombrebois.

Non contente de tirer son épingle du jeu et d'affronter son homologue dans une partie dont il avait lui-même fixé les règles du jeu, elle se retourna pour mettre physiquement à exécution son affront, se libérant de sa coupe de vin épicés pour défier le quadragénaire avec une pointe d'arrogance assumée et assurée. Relevant le menton, Victor la toisa, plongeant une fois de plus son azur sur ce gris tempête aux multiples facettes.

- Vous êtes... fascinante, je dois bien l'avouer. Il n'aurait fait aucun doute que vous auriez briller dans les salons de ces dames.

Il lui décocha un sourire admiratif avant de se lécher les lèvres après l'avoir dévorer du regard, de la tête aux pieds.

- Je suis l'inconvenance incarnée lorsque je le décide et je ne vous ferez l'affront d'exprimer mes soudaines pulsions en vous prenant séance tenante contre cette table basse.

Il s'offrit le luxe de réajuster le pli qui venait d’apparaître sur la robe de la baronne de Sibran avant d'ajouter.

- Une certaine Idalie d'Auvray, pieuse demoiselle, m'avait tenu le même discours. Seulement, contrairement à vous, elle s'est offusquer de ma conduite. Alors, peut-être bien que vous incarnez réellement cette étoile dans mon ciel obscure. Pour faire en sorte, comme vous le dites si justement, que je suis bien plus que ce que les rumeurs et la réputation sur mon personnage laissent entendre.

Il ne semblait pas prêt à la tourmenter ou jouer d'avantage, réalisant que peut être il venait de rencontrer la seule personne ayant réussi à le cerner et le comprendre. Attiré physiquement, il l'était plus encore intellectuellement.

- Vous êtes si surprenante. De prime abord, on ne pourrait se douter que ce petit bout de femme possède autant de maturité et de clairvoyant. Pire encore, il serait présomptueux que l'on vous codifie dans telle ou telle catégorie tant vous savez vous montrer déroutant. J'apprécie un tel trait de personnalité, même si pour cela je me risque à baisser ma garde pour en découvrir d'avantages sur vous et... volontiers réécouter votre voix. Et comme vous le dites à juste raison, les points de vu son infini, nul ne saurait se targuer d'avoir le monopole de la vérité.

Briller n’est pas le but premier d’Esméra. Quand on brille un peu trop, on est convoité et la baronne, à son arrivée en la cité, avait mis un point d’honneur à ne pas intégrer ces cercles mondains qui font la pluie et le beau temps sur l’Esplanade. Goûtant une liberté nouvelle où plus personne n’avait son mot à dire sur sa vie, son attitude ou même sa façon de s’habiller, elle a préféré longer les murs et garder un certain anonymat au milieu de ses pairs, évitant les soirées, refusant souvent les invitations sauf quand elle ne pouvait décemment les décliner comme le dernier bal royal. Toute une vie de privation, toute une vie à supporter l’insupportable…A Marbrume, la baronne a donc toujours agi de manière discrète et subtile, apparaissant aux événements importants mais sans qu’on ne s’en rappelle.

- Peut-être bien, en effet. Il serait intéressant d’en intégrer un, juste pour vérifier vos propos.

Elle sourit gentiment, en plissant les yeux avant que ses lèvres ne s’étirent plus encore à l’énoncé des désirs du Comte. Elle a un regard rieur pour Victor, avant de regarder la table basse encombrée par le petit plateau de nourriture apporté par Sophie et par les deux verres de vin aux épices. Une étrange expression, joueuse et mutine à la fois, s’affiche alors sur le visage de la baronne.

- Je n’ai aucun goût pour les tables basses. A confort égal, je préfère le solide maintient d’un mur, cela me semble plus convenable.

Esméra a le chic pour ponctuer ses discours d’images totalement décalées et sulfureuses, des images dépeintes avec le même calme et la même pondération que s’il s’agissait d’une conversation informelle sur la pluie et le beau temps. A irrévérence, irrévérence et demi. L’imagination du Comte pourra ainsi travailler tout son saoul tandis qu’elle s’éloigne un peu, récupérant les deux coupes avec grâce pour les remplir à nouveau, depuis la console, terriblement amusée.

- J’ai rencontré la demoiselle d’Auvray au bal royal. Une demoiselle d’une incroyable douceur et d’une gentillesse rare. J’aurais aimé la revoir mais je présume que nos occupations personnelles ne l’ont jamais permis, c’est regrettable.

Il y avait eu aussi cette incroyable fillette à l’esprit délié et au regard si vif, la petite Alix de Beauharnais. Délicieuse enfant. Elles avaient longuement discuté dans les couloirs du château, n’étant ni l’une ni l’autre très à l’aise avec ce genre de mondanité. Cependant, l’appel de la danse avait été le plus fort et la petite Alix s’en était allé danser avec son père. Elle avait été attendrie par ce ravissant portrait de famille tout comme elle avait été amusée de voir ces regards timides et hésitants, tendres, entre la jeune Idalie et le père de la petite Alix, le genre de regards qui précèdent les unions. Un autre souvenir surgit alors que la baronne ferme la console et revient vers Victor pour lui tendre son verre avec élégance, tout sourire.

- Je vous ai vu ce soir-là, mon ami. Vous discutiez sur une terrasse avec une dame. Je m’en rappelle maintenant. Et je me rappelle aussi avoir pensé que vous étiez d’une folle élégance.

Elle approche son verre du sien, inclinant légèrement la tête tout en levant sa coupe, tout sourire et boit une gorgée, toute en délicatesse, écoutant les propos du Comte à son sujet. La baronne garde ensuite son verre à la main et l’observe, les joues un peu rosies par le plaisir d’entendre ce qu’il dit. Les compliments sont toujours plaisants à entendre, après tout, et pour ce qui est de surprendre…la baronne se garde l’opportunité de donner satisfaction au Comte au moment opportun, peu importe le domaine. En cet instant, elle reste parfaitement maîtresse d’elle et dit enfin :

- Je suis touchée. Il est rare que j’entende de si jolis compliments à mon égard. J’essaye de rester fidèle à ma personnalité, peu importe qui se tient face à moi. C’est d’ailleurs ce qui vous a valu ces ravissantes nuances de pourpre autour de l’œil tout autant que cette promenade dans les jardins et cette conversation dans mon salon, Victor. Je ne m’arrête jamais à ce que je vois et à ce qu’on me dit. Je préfère me faire ma propre opinion…et je dois avouer que je ne regrette pas cette conduite. Cela m’a permis de découvrir une personne étonnante dont je me réjouis d’entrevoir les subtiles facettes au cours de cette soirée et lors de notre prochain rendez-vous.

Victor, en homme habitué à repérer les turpitudes et autres fourberies chez son prochain, saura que ce que dit la baronne est parfaitement sincère et non calculé. Elle lui parle en toute honnêteté, directe et douce à la fois, son regard accroché au sien, les joues un peu rosies par la chaleur du feu comme par le plaisir qu’elle a ressenti à l’écoute de son compliment.

- Votre ciel n’est pas si obscur, mon ami. Peut-être refusiez-vous tout simplement de voir ce ciel dans toute sa belle simplicité. Pourquoi ne voir que l’obscurité quand de douces lumières peuvent vous apaiser et vous guider ?

La baronne prend une nouvelle gorgée de vin avant de déposer son verre sur la table basse et de reprendre sa place, les mains croisées sur sa jupe, face à lui. Elle observe Victor avec un tendre sourire et murmure de sa voix douce :

- Je n’ai pas la prétention d’être la plus belle, ni la plus éclatante de toutes, mais…je me ferai une joie d’être une de ces lumières si c’est ce que vous désirez, mon ami. Peut-être serez-vous, en échange, celui qui parviendra à me réconcilier avec ce que je tente de fuir depuis de nombreux mois. Peut-être serons-nous ainsi mutuellement profitables l’un envers l’autre. Qu’en dites-vous ?

C'était surtout avec une certaine forme de politesse que la donzelle exprima son accord à intégret un cercle mondain. Seulement, Victor n'y croyait guère et cela ne le dérangeait nullement. Après tout, Esméra se valorisait à ces yeux par une certaine liberté à la fois de pensée et de choix. Elle était née de bon sang, mais elle ne voulait suivre la même voie toute tracée de ses consoeurs et cela s'en trouvait être une qualité autant qu'un défaut. Peu désireux d'épiloguer sur ce sujet, le Gouverneur de Sombrebois semblait plus enclin à lui donner la réplique dans un cadre de discussion plus léger, voir déplacé. Après tout, lorsqu'il insinua quelques actes délicteux au parfum de luxure, voir son hôte prendre une expression joueuse et mutine le comblait de joie. Pourquoi ? Parceque dans le fond, cela n'était en effet qu'un jeu et la dame d'Hagerth ne prenait nullement au pied de la lettre l'insolence caractérisé de son compagnon de salon. Esméra avait en effet le chic pour ponctuer ses discours d’images totalement décalées et sulfureuses, de quoi laisser l'imaginaire du Comte nourrir des pensées salaces.

- Oh... mais vous savez vous montrer tout aussi insolent que moi. Prenez garde à ce que je ne vous influence point en ce domaine. D'ailleurs, vous me condamnez par le fait à de peu chastes pensées. Je vous prierez donc de ne point baisser votre regard en dessous de la ceinture... vous pourriez en être choqué.

Il est vrai que son noble septre de chair avait mécaniquement réagit aux visions que se faisait le mondain... Esméra, plaqué contre un mur, cuisses tendues et croupe redressée. Seulement, ce ne fut pas assez pour étrangler ce pauvre attribut dans sa prison de tissu. Quant bien même, la baronne n'avait nul envi de desiver plus longuement sur ce thème, lui préférant sucessivement celui de la cadette dde la maison d'Auvray puis des éloges dont pouvait le gratifier Rougelac. La baronne se Sibran ponctuait souvent ses répliques par des notes taquines et légères et c'est ce qui faisait à la fois son charme et sa personnalité "entière". Les amabilités se succédèrent, de part et d'autre et un sentiment semblait naître de manière réciproque, celui d'un affection qui sortait des chemins battus où tout à chacun semblait faire la part des choses entre tout en découvrant de multiple facettes, terreau d'une découverte commune qui n'aurait été possible sans ce concours de circonstance qui avait valu quelques nuances de couleurs sur le visage du Comte.

Les vérités semblaient donc fuser au détour de ce jeu verbal qui semblait plaisant pour chacune des parties en présence. Il y avait quelques notes poétiques dans la réplique de la donzelle, ce que su parfaitement reprendre le Gouverneur de Sombrebois sur l'instant.

- L'obscurité de veut pas dire noirceur. Afin de vivre, l'obscurité doit se nourrir de lumière, de son absence certes, mais d'une certaine présence dans un jeu subtile d'équilibre... Mais peut être que le terme le plus approprié serait la pénombre, je vous l'accorde. Vous venez en soit de me reprendre à juste raison sans vous en rendre compte.

Il lui décocha un ravissant sourire, comme si cet aveux, cette erreur de langage était la bienvenue finalement, ne se montrant nullement humbu de sa personne. Mais il appréciait d'autant plus la modestie de la veuve aussi jeune soit elle. Seraient-ils mutuellement profitables l’un envers l’autre ? Voilà l'escence même de leur attirence.

- Cela vaut la peine d'essayer. Après tout, qu'avons nous à y perdre ? Il hoche la tête avant de poursuivre. Si peut de chose finalement car il n'y a là l'ombre d'une rivalité. Vous ne désirez me ressembler et je ne désir vous ressemblez, cela nous écarte d'une certaine forme de discorde et de combat d'égo. Ce serait bien stupide de ne pas explorer pour moi, la lumière... et pour vous la pénombre... ou tout du moins de l'apprivoiser et de mieux la comprendre.

- Nous n’avons rien à y perdre, en effet. Tout cela est un échange de bons procédés, in fine. Je suis ravie que vous soyons en accord sur ce point, mon ami.

La baronne lui décocha un sourire doux avant de lui montrer le fauteuil qu’il a abandonné depuis tout à l’heure pour développer son jeu de séduction et de tentation. Esméra, elle, reprend sa place, non sans avoir au préalable récupéré son verre de vin. Etalant sa jupe pour ne pas abîmer les fibres et respecter les plis fastidieux qui la décore, elle garde une attitude digne, tout en observant le Comte, faisant mentalement le point sur tout ce qu’elle vient d’entendre et de voir, dans son petit salon.

Le Comte de Rougelac est connu de tous et sa réputation laisse à désirer sur beaucoup d’aspects. Il est craint à cause de son influence, de ses actes passés, de ses penchants sulfureux pour la chair, l’alcool et toutes les privautés que l’on garde communément pour soi, bien à l’abri dans un cercle intime. Selon les bruits qui circulent, il est imbu de lui-même, prétentieux, arrogant, vindicatif, fourbe, dangereux. C’est surtout ce mot là qui revient le plus. Dangereux. Or, qu’a donc vu la baronne en deux jours ? Elle a vu un homme qui noie sa tristesse et sa solitude chez les catins. Elle a observé en silence celui qui se cache derrière ce masque qu’il s’évertue à montrer à tout le monde, pour garder cette réputation ignoble qui lui colle à la peau. Et elle a découvert une chose à laquelle elle ne s’attendait pas. Un être capable d’affection, de remise en question et d’abnégation. Sous cette constante façon qu’il a de toujours jouer au séducteur, la baronne devine un manque cruel d’affection sincère. Elle sait qu’il est capable d’aimer, elle en a eu la preuve éclatante tout à l’heure en le mettant au défi de parler de cette malédiction qui plane au-dessus de lui. Il a aimé toutes les femmes de sa vie. Cela ne fait absolument aucun doute pour la baronne.
Victor est une énigme qui commence à peine à se dévoiler à ses yeux et elle veut en savoir plus. Elle en arrive à cette conclusion en esquissant un sourire avant de regarder pensivement le vin épicé qui roule dans son verre.

Elle n’est pas bien riche, elle n’est pas bien puissante, elle porte le nom d’une patrie à jamais disparue et le sceau d’une baronnie qu’elle détestait. Elle a très très peu d’amis sur l’Esplanade, les plus proches étant ses deux serviteurs. Esméra a bien plus d’amis là en bas, là où elle est Essie, le gentilhomme au chapeau. En dépit de cela, elle reste elle-même, une femme qui avait perdu le goût de vivre et qui l’a retrouvé ici, en se jurant de ne plus jamais se lier à un homme et en trichant pour y parvenir. Utilisant ses titres et noms pour le bien commun et pas seulement sa petite personne, elle vit chichement, donnant beaucoup, gardant peu pour elle. A ses yeux, la vraie noblesse est là, dans le don de soi. Le don de son temps au Temple, le don de son temps aux malades et le don de ce qu’elle a pour les plus pauvres qui le lui rendent bien. Elle est donc bien loin de ces poupées de salon, toujours à manigancer des choses et à parler à voix basse. Elle en est même diamétralement opposée. Alors…Pourquoi un homme tel que le Comte de Rougelac serait-il intéressé par elle ?

Elle inspire un peu et boit une gorgée avant de le regarder à nouveau. Et elle sourit. Victor a réussi à intéresser la baronne pour ce qu’il est, pas pour ce qu’il prétend être. Elle espère secrètement qu’il en est de même pour lui. Elle a du mal à en convenir mais…il semblerait qu’un début d’inclination la porte vers lui, le plus naturellement du monde. Une conclusion qui la trouble assez pour qu’elle achève son verre de vin d’une traite, avant de déposer le récipient vide sur la table.

- La nuit vient de tomber, Victor…

Elle a un regard pour la fenêtre de laquelle l’obscurité est totalement visible. Il règne désormais une ambiance feutrée et douce, seulement illuminée par les flammes de l’âtre et les quelques bougies disposées ici et là.

- Ce qui ne devait être qu’une promenade s’est finalement transformé en rendez-vous sous couvert de confession et de découvertes. Est-ce que…Puis-je vous poser une question ?

Elle lisse pensivement les plis de sa jupe, tout en écoutant craquer les petites bûches dans l’âtre.

- Est-ce que ces découvertes vous incitent à en savoir plus à mon sujet, mon ami ? Parce qu’en ce qui me concerne…J’ai hâte d’en apprendre davantage sur vous, à vos côtés, si toutefois vous me le permettez.

La baronne relève les yeux vers lui et sourit doucement :

- Je vous avoue que j’ai déjà hâte de vous revoir même si vous n’êtes pas encore parti, Victor.

Le jeu de regard entre les deux sang-bleu en disait long quant à l'affection naissante qu'ils se portaient mutuellement. Et d'ailleurs, comme le souligna la baronne, il faisait déjà nuit au dehors. Un bref coup d'oeil pour ainsi constater que le ciel venait de se draper de sa robe noir et Victor se surprenait à n'avoir nullement bu le temps passer. En un sens, ceci était révélateur, le temps avait filé sans que le mondain s'en aperçoive, preuve que la compagnie de la veuve Sibran lui était plus qu'agréable au point que le temps s'était figé.

Lui adressant un sourire complice, le Comte resta debout non sans retrouver la pleine attention sur l'objet à la fois de ses fantasmes et de ses intérêts plus "moraux". Il était vrai que ce rendez-vous c'était transformer en moment de confession et de découverte, quoi de plus normal apres tout ? C'etait en tour cas ce qu'était venu chercher le Gouverneur de Sombrebois en foulant le parquet de ce modeste salon. Sous un atmosphère toujours plus intimiste, renforcé par la nuit au dehors et le jeu d'ombre et de lumière qu'offrait plus encore les bougies ainsi que l'atre nourrit par quelques bûches, Esmera semblait ne pas être rassasiée par la curiosité qu'elle portait à l'endroit de son noble invité. C'est alors que la question posée sembla presque faire rire aux éclats le Comte de Rougelac qui faillit d'ailleurs avaler sa gorgée de vin aux épices de travers. Une fausse route a son âge pouvait être fatale, il fallait le ménager et pourtant non intentionnellement la Dame d'Hagerth faillit l'envoyer à sa perte.

- Excusez moi Esmera, mais... cette question me semble ridicule voir presque naïve après ce que nous venons de vivre. Je crois n'avoir jamais autant parler à cœur ouvert. Croyez vous que je serais encore là si je n'étais pas intéressé par votre personne ? Voyons mon amie!

Il posa sa coupe lui aussi sur la table basse puis hésita à regagner son siège, il se faisait tard après tout.

- Je dois admettre également l'empressement de pouvoir vous revoir. Mais comme vous le dites très justement, je suis encore là et vous êtes seule juge de ma chasser. Il est certain que cela fera d'autant plus jazer nos semblables s'il s'avérait que je quittais votre demeure au matin.

Il lui adressa un sourire taquin à la commissure de ses lèvres avant de faire les cents pas autour du fauteuil vide.

- Il serait déraisonnable d'en arriver là si prématurément j'imagine ? Peut-être était ce la façon pour vous de m'inviter à quitter votre salon? Il inclina la tête sur le coté pour la toiser d'un regard énigmatique. En ce cas, je dois expressément me porter précepteur de vos façon à sous entendre bien mal habile. Fini t il sur un ton léger et moqueur sans vouloir le moins du monde offusquer la Baronne.

La baronne hausse un sourcil de surprise à le voir rire en s’étouffant. Ridicule, sa question ? Pas tant que ça non. Poser cette question n’a rien d’anodin pour Esméra, peu habituée à ce qu’on veuille la revoir parce qu’on manifeste un intérêt réel à sa personne. Cela étant, elle ne montre rien de plus qu’un affable sourire, se contentant de lisser la jupe de sa robe avant de répondre d’une voix douce :

- Vous me rassurez pleinement, en ce cas, Victor.

La jeune femme se lève avec grâce de son fauteuil et approche du Comte, le regard rieur.

- Nos semblables ne pourront s’empêcher de commenter. Vous pouvez être certain qu’à cette heure notre promenade est déjà commentée, augmentée et déformée. Que vous restiez ou non ne changera probablement rien aux yeux du monde…

Elle lui tendit alors sa main à baiser, ne le quittant pas des yeux :

- …mais cela modifierait l’opinion que j’ai de moi-même. Il est en effet préférable que vous vous retiriez, mon ami.

Très honnêtement, la baronne aurait volontiers gardé son invité jusqu’aux petites heures pour discuter, encore et encore, parce qu’elle n’a pas vu le temps passer, parce que sa conversation est piquante et stimulante, parce qu’elle en avait envie tout simplement. Cependant, il y a des choses qu’on ne fait pas, sur l’Esplanade, et garder un homme sous son toit quand il n’est pas son mari n’est pas bien vu.

- Ne vous avais-je pas dit que j’ai bien des choses à apprendre en termes de lecture entre les lignes, mon ami ? Cette lacune s’applique aussi aux sous-entendus, je suis parfois bien maladroite.

Elle le gratifie d’un large sourire complice avant de s’éloigner pour ouvrir en grand la double porte du salon, signifiant par là la fin de la rencontre et de cette petite réception impromptue.

- Je me rendrai chez vous après-demain, en milieu de matinée. Ne soyez pas surpris par la tenue que je porterai, je m’adapte à la situation des personnes que je visite, mon ami. Si pour vous je me drape de velours et de jolies étoffes, il n’en va pas de même pour eux. Le chanvre et le lin seront mes parures. N’en soyez pas choqué…

Elle fit alors une gracieuse révérence et murmura, tout en le regardant :

- A bientôt mon ami.

Lorsque le comte sera sorti, Esméra reviendra dans le salon et s’installera dans son fauteuil avant de prendre un morceau de légume qu’elle mange distraitement tout en regardant les flammes.