[Animation Mai]Apparition de Rikni

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Esplanade

[Animation Mai]Apparition de Rikni Idalie11

Quelle utilité à cela ? Aucune, et pourtant comme chaque semaine elle frotte vigoureusement de son balais les pierres pour en dégager la mousse qui repousse sans cesse. Pourtant cette partie de la muraille ne touche même pas vraiment le domaine de sa maîtresse. Mais comme toujours, si elle peut le voir depuis sa fenêtre, c’est que dans son esprit, c’est un peu à elle. La pauvre femme soupire et se redresse, son dos craque d’être ainsi penchée depuis des heures et elle grogne. Au moins ce n’est pas comme en été, la température est douce pour l’effort.

Elle s’essuie le front et se permet de rêvasser quelques instants à un bouillon de légume bien chaud. Sa cadette doit passer son premier rite au temple aujourd’hui. S’ils sont encore en vie d’ici quelques années, ce sera la première de la famille à devenir prêtresse. Elle est tellement fière que sa poitrine en gonfle d’orgueil.

Pourtant, elle sent un point froid dans le creux de son dos. Elle se retourne et voit sa maîtresse qui la regarde depuis la haute fenêtre. Elle ne voit pas ses traits à cette distance, mais elle a tellement l’habitude de ses regards plein de jugements qu’elle pourrait dessiner son visage les yeux fermés. Elle retient un rire nerveux et se penche pour faire face à son travail qu’elle reprend prestement. C’est en passant les tiges de paille rigide dans un renfoncement plus profond que l’attaque survient. Ça pique à son mollet, très douloureusement. Elle frappe avec son ustensile et voit la chose se replier dans son trou. Un serpent. Elle hurle et s’enfuit à toute jambes vers la résidence. Heureusement la morsure ne fait déjà plus mal, ça devait être un tout petit…
Elle se sent presque bien, ça brûle mais sa jambe est toute engourdie, c’est surement mieux comme ça. Elle ralentit en émergeant dans devant le petit manoir. Pas qu’elle ait vraiment moins peur, mais sa jambe ne la porte plus. Encore quelques pas et elle s’effondre complétement. Tout tourne, elle se sent nauséeuse, mais sa bouche est toute sèche.
Elle se demande si elle sera à l’heure pour voir sa fille recevoir sa tunique. Tout devient noir…

Cette mort jette un froid dans le temple. Une perte est toujours terrible, mais c’est surtout le message qu’elle transporte cette fois qui inquiète le clergé. Les signalements sont de plus en plus nombreux. Des serpents hantent la muraille, plus encore près de l’esplanade, ces envoyés de Rikni tentent de faire passer un message, et les théologiens s’acharnent depuis plusieurs jours déjà à en comprendre la nature, mais maintenant une vie à été prise. C’est un sombre présage qui ne doit plus être ignoré. Il est temps d’envoyer sur place une des nôtres, qui saura lire la vérité dans le cœur des habitants et montrer que le clergé n’ignore pas son peuple. Le berger guidera ses brebis. Mais qui guidera le berger ?
L’esplanade est un nid de vipère par nature, même sans ce problème de serpent. La prêtresse aura besoin d’aide pour interpréter discours et comportement. Trouvons-lui une alliée, une habituée des us et coutumes de la cours, mais dont l’âme noble n’est pas pervertie par ses méfaits. Voilà l’idée qui vient aux hauts prêtres. Les candidates ne sont pas si nombreuses.

Concertations et discussions s’enchainent toute la journée durant. Et un nom ressort parmi les autres. Une missive est envoyée. D’un ton impérieux et respectueux, elle est écrite pour faire entendre que le temple requiert l’aide d’une croyante dévouée, mais lui ait grée d’être toujours prête à aider son prochain. Aujourd’hui c’est la cité qui a besoin de son aide, et ce sont les trois qui parlent. Que le sang bleu et la tunique bleue se retrouvent demain midi à la porte des anges afin d’unir leur force pour percer se mystère. Si responsable il y a, elles auront pour tâche de le trouver. Questionner, rassurer, chercher. Que leur foi les porte vers la vérité, que le message des dieux prenne sens entre leurs mains, ou que l’imposture soit punie sous leur talons.

Les trois ouvrent la voie.

Note HRP a écrit:: Bonjour à vous deux !

-A vous de choisir la manière procéder, enquête de voisinage, fouille de la muraille, prière. Vous êtes chargées d’une mission, à vous de choisir vos armes pour l’accomplir.
-Le choix de la résolution est à votre discrétion dans le respect la cohérence.

Amusez-vous bien !

La missive avait d'abord inquiété Idalie. Ce n'était, après tout, pas tous les jours que l'on recevait une lettre du clergé. Avait-elle péché au point de mériter un avertissement officiel de la part des représentants des Trois? Non, tout de même pas... Trouvait-on qu'elle ne donnait pas assez de son temps au temple? Si c'était le cas, elle en ferait davantage, bien entendu... Oh, à moins qu'il s'agissait là d'une missive innocente de la part du père Clay? Voilà une idée qui était beaucoup plus enthousiasmante.

Mettant de côté ces questions inutiles – la réponse était juste devant elle, après tout -, Idalie décacheta le parchemin et le parcourut du regard avec attention. Son contenu ne put que l'étonner. Le clergé lui demandait, d'un ton impérieux, mais respectueux, d'apporter son aide à la cité de Marbrume. Ses membres tentaient de faire la lumière sur un bien étrange et sordide mystère qui planait sur l'Esplanade depuis quelque temps et la jugeaient vraisemblablement digne de les guider. Honorée, elle sortit immédiatement un parchemin pour rédiger une réponse : elle ferait tout ce que les Trois et leurs représentants attendaient d'elle.

Ainsi, le lendemain, Idalie quitta le manoir d'Auvray pour rejoindre le lieu de rendez-vous : la porte des Anges. Vêtue d'une robe bleu clair d'une coupe simple, mais élégante, coiffée d'un chignon finement ouvragé, la jeune femme se posta sagement près de l'entrée qui séparait les quartiers nobles du reste de Marbrume. Elle était assurément beaucoup trop à l'avance, mais peu importe. Attendre ne la gênait pas.
Tandis qu'elle patientait, Idalie songea à la situation qui la poussait à venir en aide au clergé ce jour-là. Quel message se cachait-il derrière la présence de ces serpents, qui se faisaient de plus en plus nombreux sur l'Esplanade? Rikni tentait-elle de leur communiquer quelque chose? Avait-elle réellement quelque chose à voir avec la présence de ces animaux, qui avaient pris la vie d'une pauvre femme innocente, selon la missive? Si elle n'était pas responsable, qui gagnerait à laisser des serpents en liberté ici? Tant de questions sans réponses encore. Le prêtre ou la prêtresse qui viendrait aurait peut-être déjà un avis sur le sujet.

Après quelques minutes d'attente, Idalie vit finalement la robe bleue d'une prêtresse se dessiner devant elle. Une fois la représentante du clergé arrivée à sa hauteur, elle s'inclina poliment et élégamment.

« Ma Mère, salua-t-elle avant de se redresser et de sourire à la prêtresse. Je suis Idalie d'Auvray. On m'a mandatée pour vous aider dans votre entreprise aujourd'hui – mais sans doute le savez-vous déjà. »

Idalie joignit les mains devant elle et regarda sa vis-à-vis.

« Malgré les circonstances inquiétantes, voire tragiques de notre rencontre, sachez que je suis honorée de pouvoir vous prêter assistance et que je ferai tout en mon pouvoir pour répondre à toutes vos demandes. »

Apparition de Rikni

◈ 3 août 1166 ◈

C'est avec une mine peinée qu'Edwige quitte le Temple en cette chaude journée d'août. La fille de la défunte s'est avérée inconsolable, pleurant toutes les larmes de son corps. Comment justifier à une novice à peine entrée dans les ordres que les Trois ont décidé de lui prendre un parent? En cela, sa foi sera grandement mise à l'épreuve, la brune n'en doute pas. N'étant elle-même qu'une jeune prêtresse fraîchement officialisée, elle n'a pas su trouver les mots pour atténuer son mal. Il sera du devoir de tous que de s'assurer que son éducation religieuse n'en soit pas compromise.

Quelques pensées la traversent tandis que le soleil est à son point culminant. Elle repasse pour la énième fois dans sa tête cet ordre énigmatique intimant sa présence à la porte des anges. Une requête inhabituelle, et sa première tâche en nom propre au service de Marbrume. Bien qu'honorée, la dévouée croyante s'en était angoissée toute la nuit. L'avait-on choisie pour sa piété? Pour son regard neuf? Son contact avec le peuple? Lui avait-on sciemment imposé la lourde responsabilité de se faire la potentielle oracle de Rikni sur la base de quelques observations? Ou jugeait-on l'affaire si inconséquente qu'elle fut confiée à une novice inexpérimentée?

Ces hypothèses s'évaporent dès lors que son regard croise celui d'une belle jeune femme aux cheveux roux. De par son attitude, Edwige devine sa noble ascendance, et il devient clair que toutes deux formeront le binôme promis. La chatelaine se présente avec un sourire et une révérence que la prêtresse s'empresse d'imiter.

- La Trinité vous garde, s'exprime-t-elle d'une voix modeste. C'est un plaisir que de faire votre connaissance. Mais de grâce, sentez-vous libre de m'appeler Edwige.

L'enthousiasme de la demoiselle est encourageant, songe la religieuse. Il lui est soulageant de se savoir en compagnie d'une bonne âme pour cette occasion. Peut-être tout cela se passera-t-il pour le mieux.

- Je regrette moi aussi que cette rencontre ne se fasse à l'ombre d'un si lugubre évènement, lui concède l'adepte. Notre quête est trouble et nos pistes multiples. Visiter la muraille incriminée me semble être une approche directe et factuelle, mais aussi très dangereuse. Rendre visite aux bonnes gens pourrait permettre des les rassurer et d'obtenir quelques subjectives informations. Pour finir, nous pourrions demander guidance aux Trois et espérer un signe de leur part.

La brune reprend son souffle. Il ne lui est pas facile de prendre les devants, aussi préfère-t-elle impliquer sa partenaire dans les choix qui s'offrent à elles. Malgré leur nature sacrée, Edwige ne se sent pas extrêmement à l'aise à l'idée de pourchasser des serpents. Elle ignore si ses connaissances en médecine suffiraient à sauver une vie dans le cas de morsure. Ce sont des risques qu'il leur faut considérer ensemble.

Lorsqu'elle se présenta à elle, Idalie sourit à la religieuse et la détailla discrètement. Elle semblait plutôt jeune, probablement approchait-elle la vingtaine. Elle semblait timide et réservée et peiner à savoir par où commencer. Idalie la comprenait parfaitement. La situation à l'origine de leur rencontre était des plus mystérieuses et les avenues qui s'offraient à elles pour tenter d'y voir clair étaient, pour leur part, multiples. La noble écouta les suggestions de la prêtresse avec grande attention. Puisque celle-ci paraissait chercher son avis, elle pesa les avantages et les désavantages de chaque idée soumise.

« Je suis d'accord avec vous, ma Mère, commença-t-elle avant de se reprendre, réalisant qu'elle avait oublié le souhait de son interlocutrice de se faire appeler par prénom. Edwige. Pardon, je n'ai pas l'habitude. »

La jeune femme eut un sourire gentil et sincèrement désolé, puis continua :

« Il me paraît aussi dangereux de partir à la recherche de ces serpents... Ils ont après tout pris une vie – qu'Anür garde l'âme de cette pauvre femme. Au lieu de cela, peut-être pourrions-nous questionner les miliciens de garde? La présence de serpents doit leur être signalée et, en leur parlant, nous pourrions parvenir à cibler les endroits précis où ces animaux ont été le plus souvent aperçus, s'il y en a. »

C'était une idée comme une autre, mais il fallait bien commencer quelque part. Ainsi, elles éviteraient également de risquer inutilement une morsure mortelle.

« Une fois les possibles régions déterminées, nous pourrions effectivement aller à la rencontre des familles vivant près des lieux touchés et des passants... Nous pourrions leur demander s'ils ont été témoins d'événements anormaux ces derniers temps. Je songe évidemment à d'autres signes qui pourraient être liés à Rikni, mais aussi à des présences inhabituelles, à des bruits suspicieux, etc. Je crois qu'il ne faut écarter aucune possibilité vis-à-vis de la provenance de ces serpents... »

Se trouvaient-elles devant un fait de Rikni elle-même ou d'une personne malveillante profitant des croyances des fidèles pour faire passer un message? Idalie n'en avait pas la moindre idée, mais elle savait le cœur des Hommes assez sombre pour mettre en branle des plans aussi sordides. Usurper l'identité de la déesse... Elle eut un frisson devant l'hérésie de la chose.

« Que pensez-vous de cette histoire, ma M... Edwige? demanda doucement Idalie. Vous qui êtes si près des Trois... Avez-vous déjà vu Rikni se manifester de cette façon? Pensez-vous plutôt qu'une âme mortelle soit derrière ces étonnantes et inquiétantes apparitions? Votre instinct vous pousse-t-il davantage vers une hypothèse en particulier? »
Consciente d'avoir posé un nombre incalculable de questions à Edwige, Idalie se tut et s'excusa :

« Pardonnez-moi, je suis seulement curieuse de connaître votre opinion.

Apparition de Rikni

La jeune religieuse ne peut cacher un sourire amusé en constatant les difficultés de sa comparse à l'adresser par son simple prénom. Les aînés du Temple seraient probablement opposés à ce genre de familiarités, mais le titre de prêtresse lui est encore difficile à assumer. Ses propres doutes ont encore trop d'emprise sur sa foi, aussi Edwige se sent-elle angoissée à l'idée que l'on puisse la percevoir comme une figure d'autorité. Plus encore lorsqu'elle se trouve être la moins âgée.

- C'est une excellente idée, se réjouit la brune face aux propositions d'Idalie. Les miliciens seront rassurés de voir le Temple et la noblesse se joindre à eux sur leur terrain quotidien. Je gage qu'ils seront heureux de nous recevoir.

Une perspective un peu idéaliste, mais qui dans l'immédiat n'a aucune raison d'être contredite, ou du moins le pense-t-elle. L'apprentie officiante emboîte le pas à sa nouvelle partenaire, sa marche initialement cripsée par l'anticipation se changeant lentement en un rythme plus naturel. Il est infiniment plus agréable d'accomplir ce devoir en équipe qu'il ne l'aurait été seule.

Son attention est de nouveau solicitée par la demoiselle qui l'accompagne. Ses remarques sont justes et ses questions légitimes, et pourtant Edwige ne parvient pas immédiatement à répondre. Se prétendre être proche des Trois serait présomptueux. Jamais de sa vie n'a-t-elle assisté au moindre miracle, hormis celui de voir Marbrume encore debout après deux ans de Fléau. Sa confiance en la Trinité est grande, mais il n'en va pas de même concernant sa propre spiritualité. A moins que les serpents ne se mettent à s'agencer au sol pour épeler des mots, la brune doute de pouvoir authentifier un quelconque message divin.

Tout cela, évidemment, n'est pas une pensée à dévoiler.

- Eh bien, commence la novice d'une mine incertaine, malgré le côté lugubre des évènements, il me semble prématuré de parler de présage. Nous sommes au mois d'août, n'est-ce pas la pleine saison pour les reptiles? Peut-être qu'ils accompagnent la prolifération des rats dans la ville...?

Ce sont des hypothèses en l'air. Les énoncer ne les avancera pas, mais c'est une bonne façon de se rassurer quant à l'issue de leur quête. Tout s'explique toujours, n'est-ce pas?

- La Nuit des Serpents n'aura pas lieu avant plus d'un mois, poursuit Edwige. Si les choses ne se sont pas améliorées d'ici-là, il sera toujours temps de se poser la question. Au moins nous ne manquerons pas de matière symbolique...!

Le rire qui suit est un peu gêné. Elle grimace et secoue la tête. Pourquoi faut-il toujours que ses nerfs ne trahissent son intelligence et ne s'extériorisent en plaisanteries stupides?

Fort heureusement, le poste de garde se profile déjà au prochain virage, et la prêtresse saute sur l'occasion pour changer de sujet. Trottant vers les marches de l'entrée, Edwige annonce leur présence en frappant quelques coups contre l'encadrement de la porte. Un clapet coulisse dans le bois, révélant une paire d'yeux surpris. Le milicien, qui doit approcher de la trentaine, se révèle enfin aux deux enquêtrices.

- Ma mère, ma dame, fait-il en réajustant son uniforme. On peut faire quelque chose pour vous?

- La Trinité vous garde, débute la novice après un rapide regard vers son accompagnatrice. Dame d'Aubray et moi-même sommes ici pour faire la lumière sur cette histoire de serpents. Votre témoignage et celui de vos pairs nous seraient très utiles.

Le garde conserve sa bouche entre-ouverte, l'air quelque peu médusé. Est-il heureux de voir enfin les autorités supérieures traiter ce sujet sensible, ou au contraire déçu qu'une telle affaire ait été confiée à deux jeunes femmes à la fleur de l'âge...?

Les miliciens seraient-ils heureux de les recevoir? Idalie n'en était pas certaine, mais elle espérait qu'ils voudraient bien répondre à leurs questions. Elle craignait quelque peu de tomber sur des hommes qui verraient d'un mauvais œil que deux femmes mènent leur propre enquête au sujet des serpents repérés près de la muraille. Ils ne pourraient néanmoins pas refuser de leur donner un minimum d'informations. Elles agissaient à la demande du clergé, après tout.

Tout en continuant de soumettre ses suggestions à Edwige, Idalie se mit en route. Après avoir exposé ses idées, elle posa quelques questions à la prêtresse, curieuse de connaître son avis sur la situation qui les poussait à se réunir ce jour-là. Elle resta songeuse devant les hypothèses de la religieuse. Elle n'y connaissait pas grand-chose en reptiles, voie rien du tout. Il lui était donc difficile de confirmer ou d'infirmer si ces créatures se faisaient plus présentes en août. Elle avait cependant l'impression que les serpents n'avaient jamais été un problème auparavant. Pas à l'Esplanade, à tout le moins. Pas depuis qu'elle y vivait. Peut-être venaient-ils effectivement avec les rats, mais ceux-ci étaient certainement moins nombreux dans les quartiers nobles que dans les bas quartiers. Elle retint malgré tout l'hypothèse, qui était loin d'être mauvaise.

Idalie sourit gentiment à la plaisanterie d'Edwige. La blague était plus ou moins amusante, mais la noble ne s'en offusqua nullement, d'autant plus que la prêtresse paraissait particulièrement gênée de sa maladresse. Edwige semblait nerveuse. Idalie espéra qu'elle n'était pas à l'origine de cette agitation, qu'elle n'avait rien dit ou fait pour la mettre mal à l'aise. Elle réfléchit un instant, puis se dit qu'elle s'en faisait pour rien. La prêtresse avait un poids important sur les épaules. Le clergé attendait sans doute des réponses de sa part. Elle aussi aurait été un peu nerveuse à sa place.

« En effet, mais je suis certaine que nous parviendrons à faire la lumière sur ce mystère bien avant cela, répondit-elle doucement. Je suis optimiste. »

Elles arrivèrent au poste de garde, où elles furent accueillies par un milicien trentenaire. Après avoir salué poliment leur interlocuteur, Idalie laissa la prêtresse exposer la raison de leur venue. Elle réprima une grimace devant l'air du milicien. Silencieux, perplexe, l'homme passa son regard de la noble à la religieuse. Il trouvait visiblement particulière l'équipe de choc dépêchée pour régler un problème de plus en plus préoccupant. Une petite noble et une religieuse sans expérience... Il tenta de retenir un soupir, sans grand succès.

« On a pas mal déjà tout dit au clergé, vous savez, ma Mère, dit-il finalement. On a eu plusieurs signalements de serpents près de la muraille, deux ou trois cas isolés dans des jardins privés... Personne avait été mordu avant cette domestique.

- Avez-vous remarqué si les signalements semblent plus nombreux dans une région particulière de l'Esplanade? demanda Idalie.

- On a eu quelques signalements à l'ouest, mais en général, selon les informations données, les serpents semblent être plus présents à l'est de la porte des Anges. Maintenant que j'y pense, les cas recensés sur les propriétés privées étaient tous plus ou moins dans le même coin. Chaque fois, on a retiré le ou les serpents qui terrorisaient les pauvres dames et on a fait des fouilles pour voir s'il y en avait pas d'autres. En général, rien du tout. Pourtant, il faut en général pas attendre plus tard que le lendemain pour avoir un autre signalement. Et chaque fois, on dirait qu'ils sont plus nombreux. C'est de plus en plus dur à gérer. Et de plus en plus dangereux, aussi. Sauf votre respect, c'est pas vraiment une enquête pour deux demoiselles fragiles comme vous. »

Apparition de Rikni

La prêtresse reste muette un instant, un sourire forcé grimpant lentement sur son visage. L'infériorité féminine lui a toujours été enseignée, inculquée depuis sa plus jeune enfance, au point qu'elle-même en reproduise les schémas. Son travail et son opinion, si assidus et éduqués soient-ils, auront toujours moins de valeur que ceux d'un confrère masculin aux yeux de la société. C'est ainsi que les choses fonctionnent, et c'est ainsi qu'elles doivent être. C'est le lot de toutes.

Alors pourquoi ressent-elle ce petit pincement au cœur à chaque fois...?

Edwige chasse rapidement cette réflexion de son esprit. Si elle souhaite faire reconnaître la valeur de son travail, qu'elle commence par le faire bien.

- Ayez foi, mon fils, rétorque la brune, qui finalement choisira de conserver l'autorité de "mère" auprès du garde. Nous sommes conscientes que le choix peut paraître curieux, mais la sagesse du Temple se révélera en temps voulu. Rien n'est impossible aux cœurs purs.

Que de promesses en l'air, songe la jeune femme. Elle n'est même pas certaine d'avoir le cran de s'approcher d'un serpent si elle en croisait un. Bien entendu, ce sont là encore des pensées qu'elle garde pour elle. Ce n'est pas mentir que d'entretenir la foi des fidèles, n'est-ce pas? Au-delà de leur devoir de recherche, Edwige se sait être ici pour rassurer la population.

Difficile cependant de faire bonne figure face à un mystère aussi complet. Que des serpents circulent, pourquoi pas, mais qu'ils apparaissent spontanément jour après jour?

- Je suppose que vous examinez les lieux avec diligence à chaque fois, pondère-t-elle, mais nous devrions envisager toutes les possibilités. Peut-être se déplacent-ils dans la nuit, ou émergent-ils du sol ou des arbres...

Conclure à un message divin trop hâtivement serait hasardeux. Le Temple n'est pas étranger au prosélytisme à outrance, mais dans le cadre de cette affaire, les retombées seraient trop graves. D'autre part, elle ne voudrait pas s'attirer la mauvaise faveur de Rikni en singeant un oracle imaginaire. Non, la bonne approche devrait avant tout être celle de la rationalité.

- ... Pensez-vous qu'il soit possible de tracer leur passage ? Lance-t-elle après un instant de silence vers Idalie. Vous savez, comme des empreintes ? Je suis consciente que ce serait difficile avec des reptiles, mais nous pourrions par exemple faire déposer une couche de sable sur les murs d'enceinte... Ainsi nous serions en mesure de localiser leurs lieux de passage, et nous pourrons localiser plus précisément leur point d'origine...

La brune cligne des yeux, laissant le temps à la demoiselle d'Auvray de se former une opinion. Edwige est une jeune femme intelligente, mais qui recherche sans cesse la validation d'autrui, et s'emporte parfois en complexité.

Idalie eut un soupir intérieur au commentaire du milicien. Elle avait conscience qu'elle et Edwige formaient une étrange équipe, mais qu'y avait-il de mal à tenter une nouvelle approche? Après tout, la milice n'avait jusqu'ici pas réussi à éclaircir l'affaire – ou elle n'y avait tout simplement pas apporté l'attention qu'elle méritait. Si la remarque de leur interlocuteur n'était pas inattendue, la noble la jugea malvenue. Elle garda toutefois le silence, laissant à la prêtresse le soin de répondre au milicien, ce qu'elle fit avec une grâce certaine. L'homme, qui ne souhaitait pas se mettre le clergé à dos, n'émit aucun autre commentaire sur la question. La noble et la religieuse pouvaient bien mener leur petite enquête si elles y tenaient, tant et aussi longtemps qu'elles ne venaient pas se plaindre d'avoir été mordues par un serpent...

Idalie écouta attentivement Edwige, affichant une mine songeuse à sa suggestion. La prêtresse proposait d'essayer de tracer le passage des serpents à l'aide, par exemple, de sable. La noble tenta de visualiser cette idée, puis songea à ce dont elles auraient besoin pour la mettre en œuvre. Elle plissa le nez, eut une petite moue. Le tout serait chronophage et demanderait certaines ressources humaines et matérielles. Pour plusieurs raisons, elle doutait également de l'efficacité du processus.

« Il s'agit d'une idée intéressante, mais je crois que les risques qu'elle nous mène sur une fausse piste sont trop grands, dit-elle calmement. Trop d'éléments pourraient venir perturber les résultats : les conditions météorologiques, le passage d'autres animaux ou même d'humains, les serpents eux-mêmes, qui ne doivent pas suivre une trajectoire linéaire... Je pense qu'il serait difficile d'obtenir des traces que nous pourrions lier avec certitude au problème qui nous occupée. »

Idalie jeta un coup d'œil au milicien. Celui-ci, qui ne paraissait pas avoir spécialement envie de donner son opinion, se contenta de hausser les épaules. Ce n'était pas à lui de juger de la qualité des idées d'une noble et d'une prêtresse qui avaient décidé de se reconvertir en enquêtrices d'un jour.

« Sauriez-vous retracer les familles qui ont repéré des serpents sur leur propriété? », demanda Idalie au milicien.

Avant de laisser l'homme répondre, elle pivota vers Edwige et ajouta à son adresse :

« Les questionner pourrait nous permettre de rassembler quelques indices, d'établir une corrélation entre les diverses apparitions. J'ignore si ces gens auront quoi que ce soit d'utile à nous dire, mais je crois que ne pas prendre en compte leur témoignage serait une erreur. Qu'en pensez-vous? »

Le milicien intervint alors brièvement :

« On a l'information, il faut dire que ça crée toujours tout un émoi, alors difficile de pas se rappeler qui a été touché. Je pourrais vous indiquer le chemin ou vous emmener si vous voulez, mais je pourrai pas vous escorter toute la journée. »

Idalie acquiesça avant de reposer son attention sur Edwige. Cela lui semblait suffisant. Encore fallait-il qu'Edwige soit d'accord avec la proposition.

Apparition de Rikni

La brune, restée silencieuse durant le reste de l'échange, hoche vivement la tête en direction d'Idalie. Il est bon d'avoir avec soi quelqu'un de plus socialement raisonable, qui lui évitera de s'attirer la désapprobation des beaux quartiers en y répandant des sacs de sable. Du reste, la présence comme l'absence du garde ne devrait pas faire grande différence. Edwige n'a encore jamais eu d'ennuis dans les rues les plus nobles, et n'imagine pas que cela puisse changer. Quant aux serpents, ils ne devraient probablement pas être approchés de toute façon.

- Cela nous convient, confirme la prêtresse. Montrez-nous simplement les habitations les plus touchées, nous aviserons une fois sur place. Nous reviendrons vous signaler le moindre reptile en liberté si nous en rencontrons.

Pour cela, le garde peut compter sur elle. Ce dernier hausse une épaule avant de visser son casque sur sa tête et de les rejoindre dehors. Il ne perd pas de temps, prenant les devants avec une certaine hâte. Peut-être a-t-il du travail, ou ne souhaite-t-il simplement pas s'éterniser avec deux enquêtrices d'à peine vingt ans. Edwige avise sa collègue d'un jour, lui offrant un sourire se voulant encourageant, et lui emboîte le pas.

La marche n'est pas bien longue en soit ; Le milicien commence déjà à pointer du doigt plusieurs portails après quelques minutes. Les premiers cas semblent cependant limitrophes, n'ayant guère eu de mauvaise surprise plus d'une fois, mais à mesure que le trio s'enfonce dans le quartier, les signalements se multiplient.

- Ici, y'en a eu trois, mais des p'tits, explique l'homme, continuant de leur désigner les terrains. Chez les Velmers, deux d'un coup hier. A partir de la maison Roseille ça commence à être sérieux. Trois pour eux cette semaine, quatre chez les Brunfils, quatre aussi dans le jardin des Durancastel. Six rien dans le cul-de-sac, là.

L'exploration continue, et l'étendue des dégâts commence à se faire évidente. Avec une telle prolifération, rien de surprennant à ce que des accidents arrivent. Au beau milieu de son énumération, le garde s'interrompt pour désigner un manoir plus délabré.

- Croyez-le ou pas, rien chez dame Melchior, reprend leur accompagnateur. Elle a un grand verger pourtant, mais qui sait, elle sort pas beaucoup.

Edwige observe rapidement la demeure. L'endroit devait être beau autrefois, mais à présent, la prioriété semble négligée. Les herbes de la cour sont hautes et chaotiques, et les quelques arbres visibles derrière la maison ont l'air de dépérir sous le lichen. La nonne frissonne légèrement avant de rejoindre sa partenaire.

A partir de là, les signalements sont en baisse. La zone la plus sinistrée semble concerner la rue précédemment citée, et la proximité des remparts explique pourquoi certains miliciens ont eux-aussi croisés des bêtes sur la pierre. Le garde fait volte-face, la main posée négligement sur son fourreau. Il grimace en se râclant la gorge, sans doute peu habitué à monologuer de la sorte.

- Si c'est tout pour vous, je devrais y retourner, grince le soldat.

Après que son idée eut été approuvée par la prêtresse, Idalie se mit en route en compagnie de cette dernière et du milicien, qui s'était proposé pour leur montrer les demeures touchées si elles le souhaitaient. Elle répondit au sourire d'Edwige, puis reposa son attention sur leur guide, accélérant le pas pour tenir son rythme. Elle écouta ensuite avec soin les explications données, détournant le regard pour observer les résidences désignées. La quantité de serpents évoquée par le milicien était alarmante. Trois par-ci, quatre par-là, six là-bas... L'invasion était plus importante que ce que la rumeur avait jusqu'ici laissé entendre.

Songeuse, Idalie détailla la manoir de dame Melchior. Elle n'avait jamais eu l'occasion de parler avec cette noble. En fait, elle ne se rappelait même pas l'avoir déjà croisée depuis qu'elle habitait l'Esplanade – et elle n'était pas la seule à n'avoir jamais vu son visage. La dame Melchior était, selon les dires, trop triste pour se montrer dans la haute société depuis la perte de son mari. Ses domestiques, quant à eux, étaient de véritables fantômes. On les apercevait de temps à autre au marché, sans plus. Ils ne devaient s'occuper que de l'essentiel. Et pour la dame Melchior, l'essentiel ne comprenait visiblement pas l'extérieur d'une propriété qui, si elle avait reçu un peu d'avoir, ferait l'envie de nombreux résidents de l'Esplanade.

Après avoir laissé son regard se promener sur les longues herbes, non sans se demander si des serpents s'y cachaient, Idalie pivota vers le milicien et lui sourit aimablement.

« Oui, ces informations nous seront très utiles, dit-elle. Nous vous remercions de nous avoir accordé de votre temps. »

Le milicien acquiesça, puis salua les deux femmes en leur offrant une dernière recommandation :

« Restez sur vos gardes. On sait jamais quand une de ces bêtes peut surgir, en particulier dans le coin. »

Sur ces bonnes paroles, il s'éloigna sans plus un regard derrière lui. Pensive, Idalie observa un instant les alentours avant de revenir à Edwige.

« Je pense que nous pourrions commencer par interroger la famille Velmers, proposa-t-elle. Puisque les serpents ont été aperçus chez eux hier, leurs souvenirs de la situation doivent être encore très frais. Nous pourrions leur demander de nous indiquer l'endroit exact où ils ont vu les reptiles... Si nous devons éviter de nous approcher de trop près par mesure de sécurité, rien ne nous empêche de voir s'il existe une sorte de dénominateur commun à tous ces lieux. »

Idalie marqua une pause, puis ajouta :

« Je crois que nous devrions aussi interroger Dame Melchior... Elle ne sort effectivement pas beaucoup, voire jamais, mais elle a peut-être vu quelque chose malgré tout. Peut-être a-t-elle même aperçu des serpents sur sa propriété sans prendre la peine de les signaler, en se disant qu'ils partiraient d'eux-mêmes. Elle est d'une telle discrétion que je l'imagine mal sortir de chez elle pour aller voir des miliciens pour une chose autre qu'une question de vie ou de mort. Selon les dires, elle ne quitte plus sa demeure depuis la mort de son mari. Elle ne se présente même plus au temple, bien qu'elle ne manque pas d'y faire envoyer divers dons en son nom. »

Idalie haussa doucement les épaules et termina :

« Elle ne ouvrira peut-être pas, mais cela ne coûte rien d'essayer, selon moi. »

Apparition de Rikni

Edwige contemple les devantures encore quelques temps, l'air de se questionner sur leurs habitants. Comme pour Idalie, la maison Melchior semble retenir son attention. Un simple échange de regard suffit à confirmer leurs doutes respectifs. Les détails révélés par sa comparse ne sont pas suspects à proprement parler, mais leur caractère inhabituel suffit à éveiller l'attention. La vieille résidente pourrait bien être la variable inconnue de cette histoire. Ce n'est encore qu'une intuition bien entendu, mais celle-ci a le mérite d'exister.

- Je n'ai pas meilleure suggestion, reconnait la prêtresse. D'autre part, les Velmers ont une vue imprenable sur la façade de la demeure Melchior. Peut-être sauront-ils nous décrire les habitudes de cette dame et de ses serviteurs? Je ne voudrais pas créer de mauvaises rumeurs la concernant, mais étant donné l'état de la propriété, je ne suis pas convaincue que les portes nous soient ouvertes.

Un doute honnête, mais peut-être infondé. Il n'est pas assuré que la veuve se soit isolée par choix. Pour peu que les deux enquêtrices ne le sachent, Dame Melchior pourrait simplement être trop souffrante pour se déplacer.

C'est avec ces questions en tête qu'Edwige rejoint le portail des Velmers. Elle offre un sourire encourageant à son accompagnatrice, avant de sonner la cloche d'airain qui orne le mur d'enceinte. Un chien se met à aboyer quelque part sur la propriété. Dans la rue, plusieurs visages furtifs apparaissent aux fenêtres, probablement curieux de savoir qui vient rendre visite à leurs voisins. Il est presque amusant de voir la noblesse s'adonner à ses commérages habituels, à croire que les choses n'ont finalement pas beaucoup changé depuis l'avènement de la Fange.

Il ne faut guère plus de quelques minutes pour qu'un épais gardien ne sorte de sa dépendance, son trousseau de clés à la ceinture. L'homme d'âge mur plisse les yeux vers les nouvelles venues, jaugeant l'intérêt de leur répondre. A en juger par son approche, ses conclusions doivent être favorables.

- Ma Dame, ma très jeune Mère, les gratifie-t-il d'une voix chargée. Si vous veniez voir mes seigneurs, je crains que vous ne soyez mal tombées. Sire Velmers et son épouse passent la journée chez les Montricht pour arranger le mariage de leurs enfants. Si vous veniez en tant que soupirantes, je crains qu'il ne soit trop tard.

Edwige reste un moment surprise de l'assomption du gardien, avant qu'un rire gêné ne lui échappe.

- Bonjour, "mon fils", lui enjoint-elle. Ce n'est pas l'objet de notre visite, bien que je ne mette pas en doute les qualités du fils prodige. Dame d'Auvray et moi-même sommes ici à la requête du Temple.

- Oh, enchaîne le portier, perdant un peu de son sourire. Mes seigneurs se sont déjà acquittés de multiples dons ce mois-ci. Je doute qu'ils soient en mesure de faire plus.

- Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, assure la brune, décidément pressée de chasser ses a priori. Nous venons recueillir des informations concernant la prolifération de reptiles dans le quartier. Cette résidence fait partie des propriétés touchées, n'est-ce pas ? Tout ce que vous pourrez nous dire à ce sujet nous sera grandement utile.

Les sourcils fournis du gardien se lèvent, laissant un instant entrevoir ses yeux rougis. Son attitude devient moins réservée, et à en juger par les poings qu'il visse sur ses hanches, sa participation à l'enquête semble très volontaire.

- Ces sales vermines ont bien failli m'avoir, s'indigne-t-il en désignant une plante grimpante à proximité. Deux serpents dans la glycine, et moi qui ai travaillé une bonne heure juste à côté sans rien voir ! Certes, ils n'étaient pas énormes, mais il se dit qu'avec ces choses la taille ne compte pas. Je peux remercier le limier de mon seigneur, c'est lui qui les a reniflé.

La prêtresse soupèse l'information quelques instants. A première vue, rien de bien exceptionnel. L'homme est de bonne foi, mais son témoignage n'apporte que peu de nouveaux indices. Pas assez pour étoffer leur dossier.

- Pardonnez-moi mesdames, poursuit le serviteur, mais d'après moi c'est d'exterminateurs dont le quartier aurait besoin. Ce serait bien dommage de laisser de jeunes filles s'empoisonner inutilement. J'sais bien qu'on dit que les femmes peuvent être de vraies vipères, mais tout de même !

Le portier se gausse de son trait d'esprit, laissant la nonne quelque peu navrée. Sans surprise, la question de leur condition féminine les poursuit. Edwige lève le nez vers Idalie, lui laissant la main pour les questions suivantes.

Aux paroles d'Edwige, Idalie jeta un dernier regard en direction de la demeure des Melchior. Malgré les doutes évoqués, elle ne perdait pas totalement espoir de voir les portes de la résidence s'ouvrir devant elles. Face au mystère qu'elles devaient tenter d'élucider, il fallait bien faire preuve d'un brin d'optimisme.

Reportant son attention devant elle, la noble emboîta le pas à la prêtresse, qui se dirigeait vers le manoir des Velmers. Les deux jeunes femmes échangèrent un sourire en attendant l'arrivée du gardien et, si elle les remarqua, Idalie ne s'attarda pas trop sur les regards que les aboiements du chien avaient attirés sur elles. Elle avait, après tout, l'habitude de la curiosité de ses pairs, qui avaient tendance à tromper l'ennui en jugeant chaque fait et geste des autres avec l'espoir d'avoir quelque chose à raconter à la prochaine soirée mondaine.

Lorsque, finalement, un homme d'un certain âge se présenta devant elle et sa compagne, Idalie resta quelque peu en retrait, se contentant d'observer et d'écouter. Elle se retint de froncer le nez en entendant le gardien supposer qu'elles venaient dans le but de convaincre les Velmers qu'elles devaient être considérées pour devenir la future épouse du fils de la famille. Elle passa outre cette indélicatesse, souriant simplement poliment tandis qu'Edwige commençait à interroger leur interlocuteur qui, fort heureusement pour les propriétaires des lieux, semblait manier son trousseau de clés nettement mieux que les mots...

Silencieuse, la noble écouta le témoignage du gardien, gardant son calme devant les commentaires quelque peu désobligeants de ce dernier. Même si l'envie de répondre au « trait d'esprit » de l'homme ne manquait pas, l'heure n'était pas aux leçons de bienséance offertes sous le couvert de banales politesses. Elle se contenta de glisser un regard furtif en direction d'Edwige pour partager son sentiment avant de revenir au gardien, qui avait au moins le mérite de ne pas refuser de répondre à leurs questions.

« Ne craignez pas, nous ne comptons pas nous aventurer là où nous pourrions être prises au dépourvu par une bête surgissant d'entre les herbes hautes, dit-elle. Nous récoltons simplement des témoignages pour tenter de donner un sens à cette histoire et, potentiellement, trouver la source du problème. Avez-vous remarqué quelque chose d'inhabituel près de la résidence ces derniers temps?

- Quelque chose d'inhabituel, répéta le gardien, l'air de réfléchir. Je sais pas, ma Dame, mes employeurs me tiennent bien occupé, alors j'ai pas trop le temps de remarquer les choses en général. J'ai trop de travail pour ça! Enfin...

- Enfin? insista doucement Idalie en voyant que l'homme semblait hésiter.

- J'ai entendu une histoire, mais ça n'a pas trop de lien avec ça, vous savez. Et puis, c'est une histoire de bonne femme, sans doute. Il y a une ou deux semaines, Dame Velmers a dit qu'elle a vu une paire d'yeux l'observer à travers les planches des volets un soir... Et apparemment que deux de ses amies nobles, la Dame Durancastel et je ne sais plus trop qui, ont vécu la même expérience. Mais bon, elles voulaient sûrement se rendre intéressantes, vous savez ce que c'est. Moi, je suis sorti aussitôt qu'elle a crié et j'ai vu personne. »

Le gardien haussa les épaules. C'était effectivement une drôle d'histoire qui n'avait peut-être rien à voir avec leur enquête, mais Idalie demanda tout de même :

« C'était avant ou après votre découverte des serpents?

- Un peu avant, mais ça n'a rien à voir, Dame. »

Idalie acquiesça, pensive, puis désigna d'un geste gracieux la façade de la résidence Melchior.

« Avez-vous eu vent de la présence de serpents chez les Melchior? Le terrain me semble propice à leur prolifération. »

Spoiler:

Apparition de Rikni

L'homme passe une main sur sa nuque, songeur. Sa fonction doit le rendre apte à se tenir au courant des histoires de quartier, pour peu qu'il n'ait pas le nez dans une haie ou dans sa remise. Son regard suit celui de la noble, se heurtant à la sinistre devanture de la maison Melchior. Il secoue la tête.

- Nan, la garde est jamais intervenue là-bas, confirme le gardien. Je vois où vous voulez en venir, peut-être bien qu'un couple de ces bêtes s'est installé sur le terrain et qu'ils y font des p'tits. C'est pas impossible je suppose. J'suis pas un expert en serpent mais il me semble que ça peut pondre des quantités! Peut-être qu'une tournée de troubadours en a laissé échapper quelques uns?

Edwige frissonne. Entre cette histoire de visiteur nocturne et le fait d'imaginer un verger infesté de rampants venimeux, il lui vient grand hâte de rentrer au Temple. Elle n'a aucune envie de s'éterniser dans cette rue après de telles histoires, et encore moins de visiter la propriété des Melchior. Malheureusement, il semble que cette piste ne soit désormais incontournable. La prêtresse cherche dans son esprit un lien possible entre ces évènements, sans toutefois parvenir à une conclusion.

- Pourriez-vous nous conter en détails le témoignage de votre maîtresse? interroge la brune. S'est-il passé quelque chose d'autre de suspect ce soir là?

De nouveau, le jardinier se montre négatif.

- C'est rien de plus que j'vous ai dit, ma mère, baragouine-t-il en se grattant. Le chien a aboyé depuis sa niche, mais ça pouvait bien être parce que mes seigneurs se disputaient dans leur chambre. On fait plus attention.

- Une dispute? s'enquit la jeune femme.

L'homme marque une pause, visiblement embarrassé. La discussion doit entrer en territoire privé, car il s'approche un peu plus et baisse la voix.

- J'peux pas vous le répéter, ma mère, se confesse le bonhomme d'une mine mal à l'aise. Ca ferait jaser en ville. La famille Velmers va marier son premier fils, c'est pas un temps pour lancer des rumeurs. Et de toute façon, j'ai pas tout entendu.

- Je comprends, mon fils, lui assure la nonne avant d'insister. Mais soyez assuré que rien de ce que vous nous direz ne sera répété en public. Il est question ici d'éviter d'autres accidents mortels...

◈ Succès de charisme ◈

Le gardien mordille dans sa moustache, partagé. Il pousse un long soupir qui affaisse ses épaules. Lorsqu'il se redresse, l'employé jette un rapide coup d’œil par-dessus l'épaule des deux enquêtrices, puis leur fait son récit à voix basse.

- Il s'peut que ce soit rien, mesdames. Mais ce soir là, monseigneur Velmers faisait une petite crise de jalousie. Une histoire de vieille lettre d'amour, j'saurais pas vous donner les détails. Sa dame a beaucoup crié aussi, mais au final, ça s'est calmé. Enfin, jusqu'à ce qu'elle se mette à imaginer des fantômes... Comme j'disais, je suis sorti, et j'ai rien vu.

Edwige demeure incertaine de cette nouvelle information. Dans l'immédiat, cela ne semble pas apporter de nouvel élément à leur affair, mais elle garde tout de même le témoignage en tête. La novice remercie le gardien, avant de le saluer et de se détourner du portail. Il n'y a pas de raison de s'éterniser d'avantage devant le portail des Velmers. Ses pas la guident une fois encore devant la résidence délabrée, et la brune déglutit. Cet endroit à tout d'une maison hantée.

- On dirait que quelqu'un s'amuse à espionner les dames de la rue dans leur intimité, commente-t-elle à destination d'Idalie. Ou du moins, je préfères cette théorie que d'imaginer qu'un spectre peut nous regarder dormir la nuit... Vous croyez aux fantômes, vous?

La prêtresse a beau être rationnelle, elle demeure jeune et impressionnable. Son enseignement lui prête de nombreuses superstitions qu'il lui faut encore surpasser.

Idalie eut un soupir intérieur en écoutant la gardien des Velmers. Posait-elle les bonnes questions? Chaque nouvelle information transmise par l'homme, qui paraissait maintenant vouloir leur venir en aide, brouillait les pistes. Les révélations étaient-elles liées au problème qui les occupait ou étaient-elles de simples anecdotes? Un coup d'œil à son accompagnatrice permit à la noble de constater qu'elle partageait probablement ses interrogations.

Après avoir quitté le pas de la porte des Velmers, Idalie, perdue dans ses pensées, tentant d'emboîter les pièces de leur casse-tête, resta silencieuse un instant. Son regard vagabondait sur la sinistre résidence des Melchior lorsque la voix d'Edwige la tira de ses réflexions. Elle pivota vers la prêtresse, surprise par sa question. Elle y répondit toutefois sans hésitation :

« Aux fantômes? Non, pas tout à fait. Je crois toutefois qu'il est possible qu'Anür décide, pour réconforter ou punir, de brouiller un instant le voile qui sépare notre monde et son royaume afin de permettre à ceux que nous avons connus d'apparaître sous nos yeux un instant. Je crois que ces personnes peuvent également peupler nos rêves et nos cauchemars afin de nous transmettre des messages par la volonté de Rikni. Peut-être ai-je tort, cependant. »

Lorsqu'elle était arrivée à Marbrume, après avoir fui la Fange, Idalie avait été en proie à de nombreux et terrifiants cauchemars. Les images des gens de son domaine encerclés par les Fangeux, leurs cris tandis qu'ils luttaient en vain avaient troublé son sommeil et marqué son esprit à jamais. Un jour, alors qu'elle luttait contre une fièvre qui avait bien failli l'emporter, sa sœur, Gracianne, avait interrompu l'une de ces nuits de terreur dans une apparition qui avait su éclipser brièvement la souffrance de son âme. Elle s'était longtemps demandé si les Trois avaient été derrière cette apparition bienfaitrice qui avait contribué à sa guérison. Elle en était venue à la conclusion qu'un tel bienfait parmi tant d'épreuves ne pouvait être que le produit de leur générosité et de leur miséricorde.

« Je ne saurais prétendre détenir la vérité sur les Trois, poursuivit-elle à la suite d'une courte de pause. Leurs pouvoirs sont grands et leurs volontés sont un mystère que bien peu sont capables d'éclaircir. »

Idalie offrit un sourire rassurant à Edwige. La jeune prêtresse paraissait craindre que la résidence vers laquelle elles se dirigeaient soit hantée. Comment lui en vouloir? Une ambiance particulièrement lugubre se dégageait du manoir délabré.

« Je ne crois pas que nous ayons à craindre la présence de spectres, tenta-t-elle de rasséréner Edwige. Je penche plutôt vers votre première théorie, une personne qui cherche à espionner les dames ou à leur faire peur, peut-être un voleur qui tente de voir ce qui se trouve dans les résidences pour pouvoir s'y introduire plus tard et dérober quelques objets précieux aux propriétaires. Il peut également s'agir d'une simple mauvaise blague... Certains de mes pairs ont un sens de l'humour... particulier. »

Idalie fronça très légèrement le nez, puis sourit à Edwige. Elle s'arrêta devant la demeure des Melchior et en détailla la devanture. Les volets étaient fermés et l'endroit était si silencieux qu'il aurait été bien difficile d'affirmer hors de tout doute que quelqu'un vivait bien en ces lieux.
En s'avançait vers le portail, la noble regarda Edwige.

« Que pensez-vous de cette histoire de dispute? demanda-t-elle. J'ai du mal à... »

Idalie s'interrompit et stoppa sa progression vers le portail. Il lui semblait avoir entendu quelque chose bouger dans les hautes herbes qui bordaient chaotiquement le manoir. Avait-elle rêvé? Seul le vent semblait maintenant faire balancer d'un côté et de l'autre la verdure en piteux état.

« J'ai cru entendre quelque chose, expliqua-t-elle. Est-ce mon imagination qui me joue des tours? »

Apparition de Rikni

Le mouvement dans les herbes fait pâlir la prêtresse. Soudain, toute l'assurance offerte par la rationalité d'Idalie s'évanouit. Edwige recule maladroitement en saisissant le bras de sa voisine.

- Iik...! couine-t-elle.

Durant une poignée de secondes qui lui paraissent interminables, le bruissement se poursuit derrière la grille de la résidence, toujours plus proche. Lorsqu'enfin l'agitation atteint l'orée du bosquet... un mulot obèse apparaît, encore ébouriffé de sa promenade.

La prêtresse demeure muette quelques temps, le souffle coupé. Elle finit par expirer un long soupir de soulagement. Puis, réalisant qu'elle se cramponne à la bannerette comme si sa vie en dépendait, Edwige lâche prise et défroisse sa robe.

- Excusez-moi... s’embarrasse la brune en passant une main sur sa nuque. J'ai cru qu'il s'agissait d'un serpent. Ou d'un fantôme. Ou d'un serpent-fantôme.

Edwige se racle la gorge. Cette histoire la met sur les nerfs. Une fois le rose de ses joues résorbé, elle se recentre sur leur discussion.

- Je ne suis pas sûre de ce que je crois, admet la novice. Cette dispute pourrait tout autant être une simple coïncidence. Il en va peut-être de même pour cet intrus qui épie aux fenêtres. Je pense qu'il va nous falloir d'avantage d'éléments pour nous aiguiller. Et même si cela ne m'enchante guère, la maison Melchior semble toute indiquée. Elle est la seule sur laquelle nous manquons d'information.

Résignée, la jeune femme lève le bras pour faire sonner la cloche du portail... qui chante brièvement avant de se décrocher du muret et de rester dans sa main. Ses yeux ronds croisent ceux d'Idalie, lui décrochant un sourire gêné. Le manque d'entretient s'étend visiblement aux murs d'enceinte.

Contre toute attente, le tintement a tout de même attiré l'attention de quelqu'un, puisqu'un visage se révèle au carreau de l'étage. L'apparition a quelque chose de sinistre, et provoque chez Edwige un frisson glacial le long de sa nuque. Serait-ce dame Melchior? Difficile à dire, les vitres sont opaques et la pièce est sombre.

Au même moment, la porte d'entrée s'ouvre, laissant apparaître une domestique à l'expression suspicieuse. Cette dernière les invite à s'approcher, sans prendre la peine d'ouvrir la grille qui laisse entrer d'une simple poussée. Prenant soin d'éviter les hautes herbes, la prêtresse marche jusqu'au seuil en compagnie d'Idalie. A l'étage, le visage a disparu.

- Bien le bonjour, ma fille, introduit la brune de nouveau. Voici dame Idalie d'Auvray, et je suis sœur Edwige. Nous ne souhaitons pas vous importuner longtemps, nous aurions juste quelques questions.

La servante pince les lèvres, décidément aussi aimable qu'une porte de prison. Âgée d'une cinquantaine d'années, ses cheveux gris dissimulés sous une coiffe blanche, celle-ci les toise de ses yeux sévères.

- La baronne ne reçoit pas de visiteurs, grince-t-elle. Elle fait bien assez de dons au Temple pour ne pas être importunée.

La porte s'apprête à se refermer sur les deux demoiselles quand une autre voix se fait entendre dans le hall, plus profonde et élégante.

- Laissez, Maggie, demande celle qui ne peut qu'être leur hôte. Je manque de nouvelles fraîches, et il y a bien longtemps que je ne me suis plus entretenue avec une représentante des Trois. Entrez.

Avec un geignement désapprobateur, Maggie s'exécute, leur laissant la voie libre. La lumière du jour révèle une figure émincée au centre de l'escalier, parée d'une robe qui, comme sa propriétaire, devait autrefois être magnifique. La demeure submerge les enquêtrices de ses odeurs de renfermé. Il ne fait aucun doute que la maison a connu ses moments de gloire avant de tomber en décrépitude.

La propriétaire des lieux leur tourne le dos, invitant ses convives à grimper les marches pour la rejoindre dans un petit salon somme toute fort élégant. Dame Melchior s'installe sur une chaise rembourrée face à une tasse de thé déjà entamée.

- Pardonnez le manque de préparation, reprend-elle d'un ton indifférent. Je reçois peu. Asseyez-vous, et dîtes-moi ce qui vous amène.

Edwige s'exécute, impressionnée par cette femme à la présence captivante. Si les années l'ont affaiblie physiquement, son caractère ne s'est en rien émoussé.

- Merci de nous recevoir, débute la novice. Le Temple nous envoie enquêter sur la présence anormale de serpents dans le quartier. Il y a déjà eu une victime, et...

La matriarche émet un rire court et sec, qui n'a rien de compatissant.

- C'est donc de ça qu'il s'agit, constate dame Melchior avec une nette lassitude. Je vous en prie. Maggie n'a eu que ce sujet à la bouche ces dernières semaines. La réponse à ce mystère est évidente, vous ne croyez pas? Les dieux nous punissent. Ils ont envoyé un océan de fange à nos murs, alors pourquoi pas quelques serpents?

La prêtresse marque une pause, hésitante. Elle s'apprête à parler lorsque la maîtresse de maison l'interrompt.

- Avant que vous ne me le demandiez, complète-t-elle, nous n'avons eu qu'un seul cas de vermine en ces murs. Un serpent noir en plein milieu du hall. Maggie l'a tué d'un coup de tisonnier. De ce que j'ai pu comprendre, nous avons eu l'honneur de recevoir le premier... mais nous n'en avons plus eu depuis. Maggie a fait fouiller le verger par ses cousins à cinq reprises pour s'en assurer.

Tandis que la matriarche se saisit de son thé, Edwige rassemble ses esprits. La maison Melchior aurait connu la première apparition de reptile du quartier... c'est peut-être ici que tout se joue.

- Vous n'avez rien signalé à la garde? questionne la brune.

- A quoi bon, ma jeune mère, répond la vieille femme. Le problème ne s'est plus jamais présenté.

- Hum... réfléchit Edwige. Cette prochaine question peut vous paraître étrange, mais avez-vous eu la visite d'une présence...? Une forme humaine qui regarderait par vos fenêtres?

La baronne laisse trainer la question, ses yeux vitreux posés sur la religieuse d'une mine perplexe.

- Maggie prétend que la maison est hantée depuis ce premier serpent, admet la veuve. Personnellement, je pense que ce sont ses nerfs. Mais qui sait, mes sens ne sont plus ce qu'ils étaient. Je dois avouer m'être sentie observée plus d'une fois.

Définitivement suspect. Curieuse, Edwige décide de poser une dernière question.

- Dame Melchior... Est-il arrivé quelque chose de significatif avant l'apparition de ce serpent?

Cette pause-ci dure plus longtemps. La matriarche semble réfléchir.

- Mmh, vous pourriez dire cela... grince-t-elle d'un air vague. Un ou deux jours avant, une petite illuminée en guenilles a débarqué à ma porte. Elle s'est mise à salir l'honneur de mon défunt mari avec d'ignobles mensonges. Je l'ai menacée de la faire enfermer si elle ne quittait pas ma propriété dans l'instant, ce qu'elle a fait. Elle avait à peu près votre âge.

Son menton désigne Idalie. La piste étant intéressante, Edwige l'invite à donner des précisions.

- C'est sans importance, jure la veuve qui se renferme perceptiblement. Je ne peux cacher cela à une prêtresse, mais sachez que ce n'était là que diffamation. La gueuse prétendait être la fille de mon époux. Elle prétendait qu'il aurait eu une aventure avec une vulgaire acrobate il y a des années! Mon mari était quelqu'un de respectable, vous savez? Jamais il n'aurait fait une chose pareille!

Un bruit sourd résonne dans une pièce voisine, comme une porte que l'on ferme, faisant sursauter Edwige. A en juger par le regard surpris de dame Melchior, ce n'est pas un son habituel. Intriguée, la nonne se lève de sa chaise, se dirigeant à pas feutrés vers ce qui semble être la chambre de leur hôte...

Au milieu du matelas, le corps sinueux et luisant d'écailles, trône une couleuvre noire.