Douce Lueur [Terminé]

Douce Lueur

Denea Alberick & Grim Torren

La nuit était déjà bien entamée. Un vent froid et sinistre soufflait dehors, s'infiltrant à travers la fenêtre mal isolée de sa chambre. Et Grim était couché.

Mais Grim ne dormait pas.

Allongé sur le dos, les bras le long du corps et les mains reposant sur son ventre, il tentait de calmer sa respiration saccadée. Ses yeux étaient grands ouverts, embués de larmes, et fixaient le plafond. Et dans sa tête, des cris.
Des hurlements, d'hommes en majorité, mêlés à des sortes de gémissements inhumains à faire frémir. Et il avait beau vouloir penser à autre chose, ce sont ces bruits qui revenaient sans cesse, raisonnant en écho à l'intérieur de son crâne, si fort qu'il avait l'impression que tout se déroulait à côté de lui.
Ça lui arrivait régulièrement. Il ne savait pas d'où ça venait, et c'était d'ailleurs demandé plusieurs fois s'il n'était pas fou, ou médium, ou quoique ce soit de ce genre.

C'était pénible. Non, vraiment pénible. Effrayant, même. Le jongleur se trouvait dans un état de semi-transe. Ses mèches bouclées étaient collés à son front, et une fine pellicule de sueur recouvrait sa peau. Il était seul ici. Personne ne pouvait l'aider, et de toute manière, personne ne serait en mesure de comprendre.

- Stop ! Souffla-t-il en se redressant subitement.

Il se tapa le crâne de la paume de sa main à plusieurs reprises pour chasser ces cris terrifiants.

- Stop, stop, stop, stop !

D'un coup de pied, il repoussa la couverture, la laissant choir au pied du lit. Il sauta sur ses jambes, les sourcils froncés, et enfila rapidement ses vêtements, désireux de prendre un peu l'air. Rester couché ne servait jamais à rien dans ces durs moments.

Le vent froid lui fit l'effet d'une douche glacée. Ses sombres pensées se dissipèrent peu à peu, laissant place à un mal de tête semblable à un lendemain de fête. De grosses et vilaines cernes se dessinaient sous ses yeux.
Grim marcha un moment ainsi, les bras refermés sur sa poitrine et le menton collé à son buste pour se préserver de la température hivernale.

Finalement, au détour d'une ruelle, non loin de chez lui, il discerna une ombre assise. Il faisait sombre, mais pas assez pour ne pas reconnaître cette silhouette élancée et féminine qu'il avait tant de fois croisée.
S'éclaircissant la voix, le petit homme s'approcha quelque peu.

- Denea ? Que faites-vous ici ?

Il se pencha un peu en avant pour pouvoir voir son visage. Il n'était pas totalement sûr qu'il s'agissait d'elle, mais dans le pire des cas, il allait très vite être fixé. Son regard parcouru les alentours avant de se replanter sur la jeune femme. Les deux personnes étaient seuls. La ville semblait dormir, mais l'atmosphère n'était pas reposante. Tout était tendu. Comme si le danger qui planait à l'extérieur de la cité s'était repercuté sur l'ambiance générale.

Le soleil s’était couché il y a déjà fort longtemps mais Denea n’avait toujours pas rejoint le monde des rêves. Ce n’était pas faute d’avoir essayé, mais à chaque fois qu’elle avait fermé les yeux et essayer de faire le vide dans son esprit tourmenté, de sale sensation l’avait parcourue. L’impression que des mains, ces mains-là, la parcourraient encore. Ce contact qui n’était même pas physique lui était insupportable, elle ne pouvait pas rester ainsi entre quatre murs, dans ce même lieu où …

Résolue, elle avait enfilé un pantalon, ses chaussures et avait attrapé sa vieille étole de laine.

Sortie sans se retourner, la jeune femme avait seulement pris le temps de fermer le porte de son officine et de s’emmitoufler correctement avant de disparaître dans l’obscurité des rues.

Il n’y avait rien ni personne, le vent glacé transperçait tout, donnant encore plus l’impression à Denea d’être nue et sans défense face à son destin, à la vie, à son esprit. Au moins, elle n’avait plus l’impression que les paumes du milicien essayaient de la posséder à nouveau. S’était comme si le souffle les emportait au loin, ne laissant à la place que la vivr brûlure du froid.

Elle avait erré un certain temps, évitant le cœur du goulot, elle fuyait les problèmes, ce n’était pas pour s’en attirer de nouveaux. Sans savoir combien de temps s’était écouler, la jeune femme avait terminé dans le Hanse. Le quartier marchand était encore plu clame et sans vie que son voisin. Il n’y avait pas âme qui vive, ni même un bruit autre que celui des pas de la demoiselle.

Malgré toute la détermination dont faisait preuve l’herboriste, la fatigue se faisait sentir. Elle allait juste s’asseoir quelque instant, juste de quoi se reposer un instant, juste le temps d’aviser de ce qu’elle allait faire. Rentrer ? S’était ce que la logique aurait voulu. Pourtant, il s’agissait bien de la dernière option qu’elle allait envisager.

Installé sur les marches d’une échoppe quelconque, aux prises avec ses pensées, elle n’avait pas perçu la frêle silhouette qui se dirigeait vers elle. D’ailleurs, il était presque heureux pour elle que ce ne fut pas le cas. Imaginez ce qui aurait bien pu se passer dans son esprit fatigué et à vif.

La voix qui lui parvint, elle la connaissait bien. Pourtant, la jeune femme ne put retenir un sursaut. Elle avait réellement eu peur de cette présence. Mais celle sensation de familiarité la calma assez vite, reprenant le dessus après cet instant de panique.

« Je pourrais vous poser la même question. »

Rétorqua-t-elle essayant d’esquisser un sourire, mais le cœur n’y était pas vraiment. Pourtant, d’habitude, elle était plutôt contente de le voir. Grim était un client assez régulier, il était gentil, inoffensif et très bavard. Mais ce soir lui aussi n’avait pas exactement bonne mine.

« Vous avez l’air gelé… entre autres… »

Ne put-elle s’empêcher d’ajouter, prévenante, en défaisant son étole, libérant la longueur de ses cheveux qui furent vite entraînés par le vent. Elle en ouvrit un pan pour l’inviter à venir se réchauffer. Le tissu était assez grand pour pouvoir s’envelopper à deux dedans, surtout deux gabarits plutôt restreint, comme l’était le jongleur et l’herboriste.

- Je pourrais vous poser la même question.

Il s'agissait bien de la douce Denea. Un petit rire nerveux échappa au jongleur. Il se mordit la lèvre inférieure, un peu gêné. Comme s'il avait été pris en flagrant délit. Comme si la jeune femme avait deviné la raison de sa balade nocturne.

Quand elle l'invita à s'abriter sous son étoffe pour se réchauffer, le saltimbanque eut un court instant d'hésitation. Était-ce correct ? Après tout, ils ne se connaissaient pas tant que cela … il ne voulait pas paraître irrespectueux, même si c'était elle qui avait proposé. Mais, en même temps, il commençait réellement à avoir froid. Il ne sentait plus le bout de ses doigts.

Alors, rougissant légèrement, il s'installa près d'elle, sous la chaleur du bout de tissus. Il huma discrètement le parfum qui émanait des cheveux de la jeune femme. Intimidé par cette proximité, il laissa planer un petit silence, qu'il comblait en soufflant dans les paumes de ses mains avant de les frotter l'une contre l'autre.

- Fais pas chaud, hein ? Lâcha-t-il.

Ou comment parler de la température et de tomber totalement dans le ridicule.
Il eut un petit sourire niais, bien conscient de son introduction inintéressante, avant de regarder un peu plus intensément le visage de Denea. Et son sourire disparu, petit à petit. Car le visage de l'herboriste ne transmettait rien de joyeux. Ses traits étaient tirés, et de petits tics faisaient trembloter ses lèvres, peut-être même sans qu'elle ne se rende compte. Cela perturba énormément Grim.

- Ça ne va pas ? Osa-t-il finalement demander. Vous êtes toute pâle …

Lâchant une petite exclamation, il enchaîna aussitôt.

- Oh mais je ne veux pas être indiscret. Pardonnez si ma question vous embarasse. Ce ne sont pas mes affaires après tout, n'est-ce pas ?

Il rit un peu, pour la forme et pour se donner un semblant de contenance et regarda ses pieds en se mordillant l'intérieur des joues. Mais son regard revint machinalement vers l'intéressée. Il n'aimait pas voir les gens malheureux, surtout quand lesdits gens étaient gentils. Et encore moins quand ils étaient des femmes et qu'ils sentaient aussi bon.

- Si je peux vous être utile en quoique ce soit, Denea, n'hésitez surtout pas. Vous n'êtes pas forcée de tout me dire, mais le minimum pour que je puisse vous venir en aide … Je ferai ce que je peux. Vous avez toujours été là pour mon père, c'est peut-être à moi d'être présent.

Il termina par un petit sourire encourageant. De toute manière, ce ne devait pas être si grave que cela … non ?

S’était bête, pourtant Denea se sentait mal à l’aise d’avoir quelqu’un si proche d’elle. Surtout un homme, et ce, malgré le fait qu’elle avait la conviction que Grim ne ferait rien contre elle. Ce n’était pas qu’il était proches, mais à force de le côtoyer il était inévitable de les connaître, ne serait-ce qu’un peu.

Ensemble, sous ce bout de tissu, ils allaient peut-être réussir à se tenir chaud.

Elle aurait voulu sourire à sa remarque désuète sur le temps, pourtant, elle était quelque peu ailleurs. Loin dans un endroit assez peu plaisant. La chaleur que dégageait son compagnon d’infortune lui évoquait salement celle du corps du milicien contre elle. Ce n’était qu’une impression, un ressentit baisé par la fatigue et de traumatisme, rien de rationnel ou de fonder, mais la jeune femme ne pouvait pas le contrôler. Cependant, elle prit sur elle pour ne pas s’éloigner. Ce pauvre Grim n’avait rien fait, il aurait été malvenu de lui faire payer, même indirectement, surtout que s’était elle qui lui avait proposé de l’abriter.

S’était vraie, ce n’était pas ses affaires. Pourtant, cette compassion touchait Denea, à part Beth qui avait manifesté de l’inquiétude, s’était comme si son mal-être n’avait touché personne. Pour elle qui avait été une oreille attentive pour beaucoup d’âme en peine, l’indifférence avait quelque chose de brutal.

Plus Grim parlait, plus les yeux de la jeune femme s’humidifiaient. Tout ce qu’elle essayait en vint de réprimer remontait, s’était trop, trop dur. Pourtant, elle se refusait à craquer complètement, ça aurait été lui donner de pouvoir ou d’importance. Et elle se refusait d’admettre qu’il avait autant compté, autant détruit.

Mais ces belles résolutions étaient bien loin là au cœur de la nuit. L’herboriste renifla essayant d’empêcher une larme de tomber en l’essuyant avec du bout des doigts.

« C’est gentil, Grim, mais j’ai bien peut que vous ne puissiez faire grand-chose, mon problème est plus grand, plus fort et plus mauvais que vous. »

Dit-elle, tentant un sourire assez peu convaincant.
S’était assez peur dire. Puis elle ne voulait attirer d’ennui à personne, surtout pas aux braves gens.
Elle remit nerveusement une mèche derrière son oreille. Elle en avait peut-être trop dit.

« Puis de toute façon, c’est trop tard. »

Conclut-elle de manière quelque peu sinistre. Si consciemment, elle refusait de l’admettre, inconsciemment, Denea avait compris que plus rien ne serait comme avant et ce pour un très long moment. Il avait brisé quelque chose et fêler bien d’autres principes et certitudes…

L'expression du visage de Grim devenait de plus en plus peinée, de plus en plus touchée par Denea. Très empathique, il l'était. Et ce n'était pas toujours une partie de plaisir que de ressentir la détresse d'autrui.

- C'est gentil, Grim, mais j'ai bien peur que vous ne puissiez faire grand-chose, mon problème est plus grand, plus fort, et plus mauvais que vous.
- Oh.

Il hocha plusieurs fois la tête en se pinçant les lèvres, comprenant l'allusion. Le petit 'oh' était sorti comme ça, un 'oh' empli de scepticisme et de questions. Ces petites onomatopées qui incitaient parfois à en dire plus.

- Puis de toute façon, c'est trop tard.

À son avis, il s'agissait-là d'autre chose qu'une histoire de cœur. Quoique. À vraie dire, il n'en savait rien. Grim n'était pas bien placé pour parler d'amour. Il n'avait jamais vraiment eu d'histoire, si ce n'est quelques fois, quand il était adolescent. Il avait même pas mal de succès à cette époque, avec sa petite bouille espiègle. Malheureusement, il arrive un moment où les filles deviennent femmes, et où, normalement, les garçons deviennent hommes. Et les femmes recherchent alors les hommes. Et Grim a encore aujourd'hui beaucoup de mal à se considérer comme tel.

- Vous a-t-il frappé ? S'enquit-il, la voix chargée d'une certaine appréhension.

S'il y avait bien une chose qu'il ne supportait pas, c'était la violence contre les femmes. Grand féministe, s'il avait pu lui-même régler leur compte aux machos qui usaient de leurs gros bras, il ne se serait pas gêné. Malheureusement, la Nature en avait décidé autrement.

- Vous ne devriez pas en rester-là. Denea … je sais que cela ne me regarde pas, et cela me met fortement mal à l'aise d'insister sur le sujet. Mais il pourrait recommencer. Peut-être a-t-il déjà recommencé, d'ailleurs. Et … oui, je ne peux pas faire grand-chose de mon côté. Mais il y a bien des proches, ou n'importe qui ayant les capacités de vous aider. Non ?

Il pencha la tête sur le côté pour mieux l'observer. Ses yeux brillants ne le rassuraient pas.

- Non ?

Un soupir teinté de peine et de colère lui échappa. Elle était donc réellement seule ?

- Je ne souhaite pas vous importuner davantage. Mais sachez que je suis une oreille attentive, et que je sais me taire quand il le faut. Si ce que vous avez vécu est trop dur à garder pour vous …

Craignant de paraître insistant, Grim se tut et plongea son regard au loin. Devant eux, une lignée de maisons les surplombaient. Les lumières, aux fenêtres, étaient toutes éteintes. Au loin, le vent faisait frémir les arbres et claquer une porte. Ce n'était pas vraiment le temps pour sortir. Mais se trouver proche de cette jeune femme était beaucoup plus réconfortant que sa chambre froide et son lit inconfortable.

« Il m’as pas frappé… pas vraiment… »

Au final, elle aurait presque préféré se faire cogner. Au moins, il aurait été dur d’ignorer les bleus, il aurait été également dur de prétexter une certaine mélancolie de la jeune femme, quelque chose sur lequel il était aisé de ce dire qu’on avait aucun contrôle.

Par contre, il avait été violent, brutal.

S’était tellement dur de se retenir. D’ailleurs, Denea n’y arrivait pas vraiment. Si elle essayait d’endiguer la marée montante se déversant en larmes toujours plus grosses, mais rien n’y faisait.

« Même si j’avais quelqu’un pour m’aider, qui se risquerais à s’interposer contre un garde ? »

Car elle n’avait personne pour vraiment veillée sur elle, toujours sans père, une mère morte, le seul frère qu’elle ait jamais eu n’avait pas de nom et n’avait même pas vécu une semaine. Il y avait bien Beth, la petite rouquine, qui s’était attachée à elle. Mais une gamine d’une quinzaine d’années ne pouvait rien faire contre qui que ce soit. Tout ce qu’elle pouvait faire était offrir sa présence familière et parfois réconfortante à Denea.

Son affaire avait l’air d’être tellement une peine perdue de même la jeune femme derrière la solide couche de colère et de tristesse se sentait résignée. Il n’était qu’un garde, mais il symbolisait l’ordre, cette force qui les préservait du fléau. Qui oserait réellement s’élever contre cela pour le simple sort d’une petite herboriste des bas quartiers ?
A son sens personne.

Il y eut un long silence gêné.

Denea essayait de ne pas sombrer. Peut-être qu’en parler …
Comme pour chercher une raison de garder le silence, elle regarda nerveusement autour d’elle, mais il n’y avait pas un rat dans la rue balayée par le vent. Toutes les fenêtres affichaient une teinte sombre et brillante. Aucune bougie ne brillait derrière l’une d’elle.

« Il était passé à l’officine pour un motif complètement grotesque. Il tenait le petit Martin par l’oreille et voulait absolument lui faire dire pour qui il travaillait. Il le menaçait de lui faire boire une potion, d’un vieux compte de grand-mère. J’ai marché, je lui ai sorti un peu de macérât d’ortie. Je me disais qu’au moins comme ça, il échapperait peut-être à une correction. Le pauvre gamin, il a jamais été très futé, mais il n’est pas méchant. Ça a marché, Martin à cracher le morceau et il partit.
Puis … »

Puis sa voix eue un raté, la jeune femme n’osait même pas regarder Grim. Elle avait peur de ce qu’elle pourrait lire sur son visage, dans ses yeux. Est-ce qu’elle était responsable de ce qui lui était arrivé ?

« Puis ça à dégénérer… il était en colère et … et il y avait cette grosse bassine d’alcool et de plante que je laissais macérer pour en faire de la teinture. »

Il y eu une nouvelle interruption, juste le temps d’étouffer un sanglot. Cependant elle reprit un peu de contenance, elle devait finir, au moins cette partie.

« Il a insisté pour que je la jette, prétextant qu’il n’y avait que le teinturier qui avaient le droit de faire de la teinture. Pourtant j’avais essayé de lui dire que s’était pour soigner les gens, mais il était sourd à tout ce qui sortait de ma bouche puis … puis j’ai eu le malheur d’essayer de résister. Je ne voulais pas mettre tout ce travail à la poubelle, pas pour son caprice. »

On sentait quelque étranglement dans la voix et de temps à autre Denea cherchait comment formuler ses phrases.

« Alors il m’attraper les cheveux …. J’ai cru que j’allais mourir noyée. »

La jeune femme tremblait de tout son être. On sentait la rage le chagrin et la peur se mêler dans ses mots.

« Il s’y est repris à trois fois avant que … avant que … avant que je ne finisse pas renverser le bac sur le sol. Mais … mais … s’était pas assez …»

Ses mots n’étaient plus très clairs, entrecoupés de reniflement et de pleurs.

- Contre un garde ? …

Il porta sur elle un regard empli de scepticisme. Pourtant, il était forcé de la croire. Pourquoi mentirait-elle ? Pourquoi pleurerait-elle s'il s'agissait d'un mensonge ? Elle n'avait rien à gagner.
Grim retint son souffle, les mains tremblantes, appréhendant la suite comme s'il était lui-même touché de son histoire. À la voir ainsi pleurer, par mimétisme ou par compassion – ou les deux -, les larmes grimpèrent à ses yeux. Il se retint pourtant, de justesse, pour ne pas que Denea ne se sente encore plus mal.

Et enfin, elle parla.

L'expression du visage du jongleur se décomposa à la deuxième partie de son récit. Lentement, il porta une main à son visage pour en cacher la bouche, choqué et ferma fort les yeux pour chasser ces terribles images qui voyaient le jour à l'intérieur de son crâne.
Il déglutit péniblement et osa de nouveau affronter le regard de la jeune femme quand elle eut terminé. Sa dernière phrase, 'mais ce n'était pas assez' sonnait sinistrement et était teintée d'un brin d’écœurement. Comme si on avait un goût de vomis dans la bouche.

Grim se tourna un peu plus vers elle et voulut, pour la rassurer, poser une main sur son épaule, qu'il garda finalement pour lui. Il ne savait pas ce qu'il avait pu lui faire endurer par la suite, mais il pouvait le deviner. Le contact n'était donc pas spécialement recommandé.
Il ouvrit la bouche pour prendre une goulée d'air – il avait retenu son souffle tout le long de son explication -, et osa s'exprimer à son tour.

- Vous n'êtes pas obligé de m'en dire plus. Ce devait être déjà assez douloureux pour vous de me raconter cela. Sauf si cela peut vous soulager …

A vraie dire, il n'était pas vraiment sûr de vouloir en entendre davantage. C'était dur pour lui aussi qui vivait encore dans son monde de douceurs et de rêveries, mais il était prêt à encaisser d'autres atrocités, si cela pouvait l'aider à se sentir mieux.
Il voulut lui dire que c'était très grave ce qu'elle avait vécu, mais se rendit compte avant qu'elle le savait sûrement. Il ne voulait pas parler pour rien dire, bien que ce soit compliqué. Que pouvait-il faire, après tout ? Elle avait raison … Si en plus, il s'agissait d'un garde, il y avait encore moins de chance que justice soit rendue. Après tout, plus d'une fois il avait entendu que tout le monde était corrompu. Si quelqu'un comme lui, ou même comme Denea venaient à raconter cette histoire, probablement que personne de plus haut placé qu'eux n'en prendrait compte. Ils n'étaient que des 'bouseux', tout juste bon à fournir la haute en nourriture et autres denrées.

- Pouvez-vous me donner son nom ? S'enquit-il après un silence.

Il doutait pouvoir faire quelque chose de concret, mais au moins, s'il venait à croiser le chemin de cet être inhumain, il aura déjà un aperçu de ce qu'il pouvait faire. Et peut-être Grim pourrait-il accidentellement partager à tout ceux qu'il connaissait des rumeurs le concernant, et pourrir un peu sa réputation … Accidentellement bien sûr. Avec un peu de chance, cela reviendrait aux oreilles des supérieurs, et il sera puni. Si Grim n'était pas puissant ni résistant, il avait la langue bien pendue. Et cela pouvait lui être utile. Et, non, il ne voulait pas laisser Denea sans rien faire. Il avait la rage contre ses hommes pourris jusqu'à la moelle, et il voulait qu'ils disparaissent tous.

- Je vous soutiens, Denea. Si vous avez besoin de mon aide, pour n'importe quoi, n'hésitez pas à faire appel à moi.

Il hocha la tête pour valider ses paroles et lâcha un petit sourire piteux.

Les mots de Grim parvenaient à Denea comme un lointain écho de la réalité. Elle était aux prises avec ses idées et ses souvenirs.

Si encore parler directement de ce que le milicien lui avait fait avant, n’était finalement pas si dur, parler d’après, elle ne s’en sentait pas capable, pourtant ses lèvres auraient voulu laisser passer les mots.

« Je ne pouvais pas l’en empêcher, il était trop fort pour moi ….S’était … »

Il n’y avait pas mot pour décrire ce sentiment d’impuissante, d’intrusion de résignation, de rage qu’elle avait ressentie, complètement anesthésié par la fatalité, elle l’avait laissé faire. Elle avait eu des occasions, mais jamais elle ne semblait les avoir saisies. Elle s’en sentait presque coupable.

« Et si … Et si j’étais enceinte… »

Les mots avaient eu du mal à sortie, et quand ils l’avaient enfin fait s’était d’une voix faible et étranglée. Comment le dire autrement, lui dire qu’il l’avait prise de force était trop dur, trop réel. Pourtant, s’était crument ce qui s’était passé.

L’éventualité qu’elle avait utilisée, pour en parler à Grim, elle y avait pensé, mais s’était impossible, impossible, ça ne se pouvait pas. Ça aurait été trop, son corps ne le permettrait pas, il n’allait pas la lâcher à ce point. Elle ne voulait pas admettre cette éventualité. Mais il fallait dire qu’avec les nuits toutes plus courtes les unes que les autres, elle avait perdu le compte des jours.

S’était trop, la jeune femme s’écroula d’un coup dans un long sanglot.

Le dire à quelqu’un avait ravivé ces souvenirs et ses instants. Elle était si seule à traverser tout cela.

La présence de Grim qui la mettait mal à l’aise quelque instant plus tôt, lui paraissait d’un relatif réconfort maintenant. Ils s’étaient trouvé tous les deux au cœur de la nuit, ce n’était pas peut-être pas une si saugrenue coïncidence.

Tout dans l'expression de Grim laissait à présager qu'il allait éclater en larme d'une seconde à l'autre. Denea avait craqué, elle lui avait dit, et à présent, elle était écroulée, vidée. Comme si le poids de cette histoire l'avait épuisé.
C'était étrange de se trouver ainsi devant une femme en détresse. De toute sa vie, Grim n'avait jamais connu ça. Et en plus d'être étrange, c'était vraiment, vraiment horrible. Il aurait désiré pouvoir aspirer son malheur, il aurait aimé la faire aller mieux sur le champs. Mais que faire ? Il était impuissant. Même s'il possédait la force nécessaire pour vaincre celui qui avait fait ça, jamais il ne pourrait réparer la petite part de Denea qui s'était brisée.

Il leva son bras pour le placer par-dessus ses épaules, mais garda son geste en suspend un instant, avant de commencer à le reposer, puis de le relever. Finalement, il enroula les frêles épaules de la jeune femme dans une très légère étreinte – pour ne pas qu'elle se sente agressée ou qu'elle ait la sensation d'étouffer -, et exerça un petite pression. Une toute petite pression, pour qu'elle sache qu'il était-là, que même si les mots lui manquaient, il la soutenait. Et heureusement qu'il ne parlait pas, car sa voix serait sûrement cassée par les larmes. Sur ses joues, de petits sillons d'eau salé se dessinaient lentement. D'un revers de manche, il les fit disparaître.

- Shhhh … soufflait-il pour tenter de la calmer. C'est terminé, maintenant. Il ne reviendra plus. Mais donnez-moi son nom, Denea. Je vous en prie.

Il chercha à capter le regard clair de la jeune femme.

- S'il vous plaît …

Sa voix se cassa à cet instant. De nouveau, il essuya ses joues.

- Je ferai tout ce qui est possible pour vous aider. Et pour ce qui est de savoir si … si vous …

Il se permit une petite pause pour prendre une grande inspiration. Tout cela lui semblait faux. Il devait être en train de rêver. Être ainsi confronté au malheur était vraiment insupportable.

- Si vous êtes enceinte, je … je ne sais pas. Il vous faudra être forte. Je sais que vous en êtes capable. Je vous soutiendrai !

Un élan d'optimisme avait marqué sa dernière phrase. Il se permit un grand sourire, qui tranchait bien avec son visage baigné de larmes.

- Oh, oui, vous pouvez compter sur moi, je ne vous lâcherai pas ! Je peux vous aider à beaucoup de choses. Je peux essayer de vous distraire, de vous changer les idées, et je sais même un peu faire la cuisine, même si je ne vois pas le rapport.

Animé par l'envie de bien faire, Grim s'était un peu redressé, les yeux brillants, et sa voix aux intonations chantantes raisonnaient dans les ruelles vides.

- Demandez-moi ce que vous voulez ! Je peux faire le pitre. Vous le savez, je suis artiste de rue. À la base, les sourires et la bonne humeur, c'est mon métier. Et puis … la vie continue, Denea. Je ne dis pas qu'il faut que vous oubliez, surtout quand c'est encore frais, mais … C'est cela qui nous forge. C'est cela qui fait de nous ce que nous sommes et ce que nous serons. N'est-ce pas ?

Il sortit de sous l'étoffe pour pouvoir mieux fouiller dans ses poches. Le nez en l'air et la langue un peu sorti, il sortit finalement un met précieux, l'extirpa de son emballage et le tendit devant lui, sourire aux lèvres.

- Prenez donc, Denea. C'est une bien maigre consolation, mais c'est tout ce que j'ai sur moi.

Entre ses doigts, deux carrés de chocolats trônaient fièrement.

Ce bras, autour de ces épaules l’avait apaisée, les tremblements et des sanglots s’était fait moins fort. Machinalement, la jeune femme s’était laissé aller contre ce corps chaud et rassurant. Sa respiration se fit plus lente, moins saccadée, sans pour autant rester parfaitement normale, toujours un peu forte.

« Gunof… Il s’appelle Gunof, il est de temps en temps à la porte de sortie de la ville. »

Sa voix était tout juste audible, encore légèrement saccadée et étranglée. Elle était si épuisée d’un coup. Pourtant ce n’était pas dû à son manque de sommeil. Tout le poids de cet affreux secret venait de la quitter, pour quelque instant et elle se sentait vaciller.

« Vous n’allez rien faire de stupide, hein ? Je m’en voudrais de vous avoir attiré des ennuis … En plus d’avoir pourri votre soirée. »

S’était peut-être un peu trop tard pour se sentir coupable, mais elle s’en voulait un peu d’avoir déballé son malheur ainsi. Sans compter qu’ils ne se connaissaient pas tant que cela après tout. Et elle l’aimait bien, lui au moins il était poli et agréable contrairement à beaucoup d’autres.

« Etre forte … »

Forte, s’était quelque chose de facile à dire. Ce n’était pas lui qui risquait la mort par empoisonnement ou hémorragie, ou qui allait endurer un accouchement. Elle aurait vraiment la force de porter cette chose ? Elle en parlait mais après tout, pour le moment, elle n’avait rien, ce n’était qu’une mauvaise pensée, une salle éventualité.

Au moins l’attitude de Grim lui mettait un peu de baume au cœur. Elle tenta même un sourire qui ne fut pas bien convainquant. Tant d’énergie et de générosité dans cet homme qui était à peine plus grand et pas vraiment plus imposant qu’elle. Ici, alors qu’il n’y avait pas âme qui vive à part eux sous la même étole, elle ne se sentait plus si seule.

« C’est gentil, mais ce n’est certainement pas votre rôle. »

Il n’allait pas payer pour les crimes d’un autre, toujours dans le pire des cas.

Sa petite mine lorsqu’il chercha dans sa poche arracha un petit souffle amusé à la demoiselle, qui essuya ses joues avec l’étoffe dans laquelle elle était enveloppée.
Il en sorti du chocolat, mais rare et précieux. Comment avait-il bien pu récupérer cela ?

Ne voulant pas le vexer, elle prit ce qu’il lui tendait et le cassa deux pour lui rendre une moitié.

« Vous m’avez écouté pleurer, vous le méritez amplement. »

Un bref silence s’installa.

« Et vous qu’est-ce qui vous empêche de dormir ? »

S’était vraie, elle n’avait fait que déballer sa vie, mais si il était là s’était surement que quelque chose le tracassait.

l'herboriste avait toujours l'air un peu éteinte, mais au moins désormais, elle était calme.

Gunof... Ce nom restera gravé dans sa tête. D'ailleurs, cela lui disait quelque chose. Peut-être avait-il déjà croisé sa route jadis.

- Vous n'allez rien faire de stupide, hein ? Je m'en voudrais de vous avoir attiré des ennuis … En plus d'avoir pourri votre soirée.

Il se permit un petit rire.

- Moi, prendre des risques ? J'en prendrai dans trente kilos … Je voulais savoir son nom au cas où, si je me retrouvais devant cet homme un jour. Qui sait ce qu'il peut se passer ?

Petit haussement d'épaule accompagné d'une moue espiègle.
Le regard de Denea quand elle découvrit le chocolat suffit à Grim pour qu'il retrouve toute sa bonne humeur. Il accepta d'en garder la moitié pour ne pas paraître lourd, bien qu'il était relativement simple pour lui de s'en procurer. Oh, il n'en était pas vraiment fier, mais pour deux carrés de chocolat de temps en temps... Personne n'allait lui trancher la tête. Ni même la main. Enfin, il l'espérait. Jusqu'à maintenant, il ne s'était jamais fais prendre.

Il glissa le carré de chocolat dans sa bouche et le laissa fondre sur sa langue tout en se rasseyant prêt de Denea.

- Et vous, qu'est-ce qui vous empêche de dormir ?

Ah, le retour de la balance. C'était le moment inévitable.

- Moi ?

Son regard fixa une porte, de l'autre côté de la rue. Mentir serait de grande mauvaise foi compte-tenue de ce qu'elle lui avait confié. Mais en même temps, il était difficile d'expliquer le pourquoi de sa présence ici. Il était difficile d'en parler sans être regardé bizarrement.

- Oh … De simples cauchemars.

Il aurait pu en rester-là, mais cela ne lui semblait pas juste. Et Grim aimait que justice soit faite, même pour ces petites choses qui paraissent sans importance.

- Vous savez, ce genre de cauchemars qui demeurent une fois les yeux ouverts. Ceux qui semblent tellement vrais qu'on se met même à douter de la réalité. Qu'on se dit qu'il s'agit peut-être de souvenirs. Binh, de ceux-là. Prendre l'air m'aide à remettre mes idées en place.

Un petit hochement de tête vint appuyer ses propos.

- Ce n'est pas grand-chose certes. Et ça m'a permis de croiser votre chemin et de pouvoir converser un instant avec vous. Quelle surprise de vous croiser ici … De loin, je crus avoir affaire à une ombre. S'en était presque effrayant.

Il détailla le visage de la jeune femme. La lumière de la lune se reflétait sur sa peau bronzée et faisait ressortir le bleu de ses yeux. Elle était belle, Denea. Même la peur et la fatigue ne venaient pas entraver à ce visage angélique. Le jongleur l'observa un instant avec une certaine admiration, avant de détourner le regard et de sourire.

Denea avait poussé un bref soupire soulagé lorsqu’il lui avait assuré qu’il ne ferait rien de stupide. Elle s’en serait éternellement voulu qu’il s’attire des ennuis bêtement. Il ne faisait clairement pas le poids face au milicien. Puis s’était pas à lui faire quoi que ce soit, si la jeune femme voulait se venger, ou que justice soit faite, elle ne devait compter que sur elle-même et son courage, mais pour le moment, elle le cherchait encore, et quelque chose lui disait qu’elle n’allait pas mettre la main dessus avant un certain temps. Elle priait juste pour qu’il ne revienne jamais contrairement à ce qu’il avait annoncé…

Croquant dans son carré, elle écouta ce que Grim voulait bien lui dire de ce qui l’avait poussé à venir ici. Les cauchemars étaient de plus en plus répandus ces derniers temps, et ça n’allait pas en s’arrangeant.

« Si ça vous empêchez de dormir, c’est important. Il n’y a pas vraiment de petits ou de gros problème, tout dépend de l’importance qu’on veut bien leur donner. »

Ou plutôt qu’on voulait bien leur reconnaître. Si en journée Denea arrivait parfois à faire illusion, presque oublier quelques heures, à faire en sorte que son problème devienne si insignifiant, il suffisait qu’elle reste inactive plus de quelque instant pour qu’il grossisse, et prenne ses réelles proportions. Cependant, en avoir parlé ce soir lui avait permis d’alléger un peu sa peine, malgré le fait qu’elle s’en voulait un peu d’avoir infliger cela à son compagnon d’infortune.

« Pour ce que je vous ai dit, il aurait-peut-être mieux valu que nous ne croisions pas.»

Dit-elle un peu coupable.

La jeune femme ne comprit pas vraiment pourquoi, Grim la regarda ainsi, avec une certaine forme d’admiration. Elle lui adressa un regarde plein d’interrogation, cependant, il détourna le regard avec un sourire.

« Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai quelque chose sur le visage ? »

Demanda-t-elle presque enjouée.
La crise semblait passée, du moins pour quelques instants, mais elle pouvait revenir à n’importe quel moment. D’ailleurs il y avait fort à parier que dès qu’il se quitterait, Denea replongerait dans la sourde angoisse qui l’accompagnait depuis ce jour.

- Si ça vous empêchez de dormir, c'est important. Il n'y a pas vraiment de petits ou de gros problèmes, tout dépend de l'importance qu'on veut bien leur donner.
- Oh, on ne vit pas assez longtemps pour se prendre la tête pour des choses aussi futiles …

Il le pensait vraiment. Et généralement, les cauchemars étaient oubliés au matin. Ils étaient bien trop effrayants pour trop se pencher dessus. Alors peut-être que Grim était lâche, mais au moins, il vivait bien. Il n'aimait pas penser aux choses désagréables, alors, contrairement aux adultes qui n'avaient pas le choix, lui en faisaient abstraction. Les responsabilités, tout ça, ce n'étaient vraiment pas son truc.

- Je suis bien content de vous avoir croisé, Denea, dit-il en réponse à sa remarque. Je m'en serais voulu de ne pas avoir pu vous écouter. Enfin non car je n'aurais pas été au courant de votre mal-être mais si quand même inconsciemment, je pense. J'en sais rien. Voilà quoi.

Il eut un petit rire gêné, conscient d'avoir parlé pour ne rien dire, importé par son élan de loquacité intimidée.

La jeune femme remarqua qu'il la regardait. Intriguée, elle le questionna sur la raison de ce regard appuyé, le plongeant un instant dans l'embarra. Il aurait pu lui dire, simplement, que c'était car il la trouvait jolie. Mais il craignait qu'elle pense qu'il essayait une forme de rentre-dedans camouflée. D'abord, on écoute, on comprends, on console. Et après, on tente sa chance. Et vue ce qu'elle avait vécu, il se doutait que ce n'était pas une très bonne idée, et ne voulait pas du tout l'effrayer, ni véhiculer une mauvaise image de lui.

- Oh, euh... Une miette. De chocolat. Si, c'est vrai. Juste là.

Il tapota ses propres lèvres pour illustrer ses propos.

- Elle est tombée quand vous avez parlé. Ça m'a perturbé. Désolé, il m'en faut peu.

Un petit rire nerveux lui échappa. Un peu mal à l'aise, il glissa sa main dans ses cheveux et vint rouler une de ces mèches bouclées entre son pouce et son indexe.
La confidence de Denea passait en boucle dans sa tête. Grim était perturbé par ce qu'elle lui avait dit. Inquiet. Il redoutait que ce Gunof revienne pour elle, qu'il recommence, en pire. Et ça … rien que le fait de se l'imaginer le mettez hors de lui.

- Vivez-vous seule, Denea ? Y'a-t-il quelqu'un pour veiller sur vous ? Un parent, un proche, quelqu'un en qui vous avez confiance ? Ou même une voisine, qui pourrait vous entendre ?

Il se tourna vers elle, son visage redevint sérieux.

- Ou une arme ?

Même si elle en possédait, que pouvait-elle faire contre un milicien ? Ah, quelle frustration ! Être si faible, si inutile ! S'il avait été plus imposant, le petit homme se serait fait un plaisir de venger la jeune femme. Et qu'importe qu'il lui avait dit qu'il n'agirait pas : s'il pouvait faire quelque chose, il le ferait. Il tentera de se la jouer plus finement, rien de plus.

- Je suis inquiet pour vous. Et maintenant que je suis au courant, je refuse qu'il vous arrive quelque chose d'autre.

Sujet: Re: Douce Lueur [Terminé] Ven 1 Jan 2016 - 23:04

La raison de pourquoi elle Grim l’avait fixé quelques instants au part avant, fit doucement rire la jeune femme, mais son bref amusement disparu bien vite lorsque celui avec qui elle partageait son étole retourna au sujet, au fameux sujet.

Denea, pris un temps pour répondre. Son regarde se perdit un instant vers le bout de la rue. Il était vrai qu’elle n’avait pas l’existence la plus entourée qu’il soit. Si dans la journée l’herboriste voyait du monde, sociabilisait très bien, se retrouvait rarement seul, et pas mal de personne dans le quartier avait de sympathie pour elle. Mais une fois la boutique fermée et Beth partie, la jeune femme restait seule.

« La seule famille qu’il me reste est une tante qui était bien trop contente de se débarrasser de moi quand j’ai été assez grande pour pouvoir assumer le quotidien d’une boutique seule… Une voisine, des personnes de confiance j’en ai, mais que pourraient-ils bien faire ? »

Jamais de père, plus de mère, la famille elle pouvait bien faire une croix dessus. Jamais mariée un peu, ou beaucoup par choix, mais également aussi à cause de certaines sales connotations que pouvait avoir son métier. Non, vraiment la famille, ce n’était pas vraiment une valeur fondamentale de la vie de Denea.

« Je n’ai pas d’arme. Mais quand il est venu, il y avait bien de quoi le frapper, des bouteilles, un mortier, des fioles, des pots… Il me tenait si fort… J’étais si faible … ça n’aurait rien changé. »

Elle repensait encore à cette bouteille qu’elle avait essayé d’attraper en vint avant de finir par se résigner totalement. Elle avait vu cette dernière s’écraser au sol et éclater, comme une parfaite image de la dignité de la jeune la jeune femme quand…

Il était inquiet, s’était presque normal, Grim avait bon cœur au fond, ce qui ne devait pas vraiment l’aider dans la vie. En plus de la douleur et de la honte, la culpabilité prenait de plus en plus de place. Si seulement elle avait pu se taire, garder ça à jamais pour elle.

« Je m’en veux de vous l’avoir dit. J’ai l’impression de vous avoir impliqué dans quelque chose qui ne vous concerne pas. Je ne pense pas que vous puissiez quelque chose pour moi. Et même si je suis bien plus … méfiante … maintenant, cela ne m’assure pas qu’il ne m’arrivera plus rien. »

S’était la vie, avec ses bas parfois très bas, mais aussi ses petits moments d’apaisements et vois de réconfort.

Même si quelque chose semblait s’être éteint dans le regard de Denea quand Grim s’était remis à parler de ce que Gunof lui avait fait, elle semblait déjà un peu moins désespérée. Peut-être trop anesthésié par la fatigue pour se sentir encore complètement affecter par cela.

L’herboriste réprima un bâillement avant de poser sa tête sur l’épaule du saltimbanque.

« Je suis désolée. »

Dit-elle d’une petite voix.

Sujet: Re: Douce Lueur [Terminé] Sam 2 Jan 2016 - 16:27

Les révélations qu'elle lui fit le plongea plus encore dans l'inquiétude. Autant pour l'absence de proche chez elle que d'arme. De toute manière, elle avait raison : une arme ne servait pas à grand chose contre un homme robuste et entraîné. Surtout si elle avait été surprise.
Grim se mit à tripoter ses doigts, pensif, réfléchissant déjà à un moyen de lui venir en aide. Il avait déjà quelques petites idées mais … rien de vraiment concret.

- Je m'en veux de vous l'avoir dit. J'ai l'impression de vous avoir impliqué dans quelque chose qui ne vous concerne pas. Je ne pense pas que vous puissiez quelque chose pour moi. Et même si je suis bien plus … méfiante … maintenant, cela ne m'assure pas qu'il ne m'arrivera rien.

Le jongleur secoua frénétiquement la tête et gratifia l'herboriste d'un grand sourire assuré.

- Vous n'avez pas à culpabiliser ! Si nos chemins se sont croisés cette nuit, ce n'est sûrement pas pour rien ! Ce n'est pas un hasard, j'en suis certain.

Et la jeune femme posa sa tête sur son épaule. Aussitôt, Grim se tut et son sourire, doucement, disparut, pour laisser place sur ses joues à un léger teint rosé. Il baissa les yeux et, fraternellement, vint enrouler entre ses doigts une longue mèche des cheveux de Denea avant de la faire glisser derrière son oreille.

- Je suis désolée.
- Je le suis tout autant, Denea. C'est moi qui ai insisté, après tout.

Le silence s'installa un court instant. Une forte bourrasque vint faire frémir le petit homme qui referma ses bras sur son buste. Il observa le ciel, dépourvu d'étoile et camouflé d'un fin voile de brume que la lumière de la lune parvenait parfois à percer.

- Et je vous ai parlé de mes cauchemars. Disons que nous sommes quittes, alors.

Il remarqua alors qu'elle commençait doucement à se fatiguer. Ses cils papillonnèrent un peu et elle s’affaissait lentement sur lui.

- Je crois, Denea, que notre conversation touche lentement à sa fin, fit-il remarquer. Vos émois se sont calmés. Les miens aussi.

Il se mit sur ses jambes, s'étira longuement et tandis la main à la jeune femme pour l'aider à se mettre debout. Il engloba alors la main délicate de Denea des siennes et la frotta légèrement pour la réchauffer.

- Si jamais vous avez besoin de parler, ou simplement, que vous nécessitez une présence bienveillante, je suis toujours dans le coin. Enfin, je ne quitte jamais Marbrume. Comme tout le monde, en fait. Je vis là-bas, au-dessus de cette taverne.

De son indexe il montra le bout de la rue et de la fameuse taverne dont le panneau de bois remuait d'avant en arrière selon la force du vent. 'L'Oisif' de son petit nom. Là où il avait travaillé il y a quelques années, et où, également, il avait été viré. Trop timide pour ce travail qui pourtant, ne demande aucune vraie capacité.