Une rencontre très amicale (terminé)

12 juillet 1166:

Et une feinte à gauche, une feinte à droite, un vigoureux coups sur la tête et je vois mon adversaire d’entrainement s’écrouler d’un seul coup. Je le pousse du pied pour le faire sortir de l’arène, mais il se relève péniblement et reprend sa garde, ce qui fait très plaisir, enfin quelqu'un qui a du cran ! Je lui fais donc signe de m’attaquer mais son coup d’épée rebondit sur mon armure de plaque, sans me faire de mal. Je ne lui laisse pas le temps de se reprendre et pour varier les plaisirs, je le frappe dans les tibias.

Comme j’ai retenu mon coup ; je n’entends pas craquer les os, ce qui me déçoit un peu quand même, et mon partenaire de combat se traine sur le sol pour quitter les lieux. Je peux ainsi m’adresser aux quelques gardes qui sont encore debout :

Allez, au suivant, bande de mollasson !

Je vois les soldats se regarder, apparemment personne n’est volontaire, je m’apprête donc à en désigner un d'office, quand un serviteur nous annonce la dernière rumeur du manoir.

Une femme ? Victor engage des femmes ? C’est quoi ce bazar ? Quand j’entend dire que mon seigneur a engagé une mercenaire je suis d’abord restée sans voix, puis j’ai eu envie de rencontrer cette donzelle qui a su persuader le comte de l’embaucher. C’est pourquoi, après une rapide toilette, j’attends en dehors du manoir, sur l’Esplanade, de manière à la rencontrer sur un terrain neutre, vêtu d’une tenue civile noire, avec juste les armes de ma famille et celle des Rougelac brodé dessus.

Dès que je la vois sortir de la résidence en passant par les grilles gardées par les hommes du gouverneur de Sombrebois, je me mets devant elle et la regarde quelques secondes, sans rien dire. Je constate qu’elle est jeune, blonde, peau blanche, bien armé, habit en cuir suffisamment serré pour ne pas gêner ses mouvements, bref, elle semble avoir quelques connaissances en termes de combat, mais est-ce que cela sera suffisant ? C’est toute la question et prenant enfin la parole, je lui indique, d’une voix courtoise :

Je suis le Chevalier Desmond de Rochemont, au service du Comte de Rougelac.

Je la laisse le temps de se présenter si elle le souhaite, puis j’enchaine :

J’ai la charge de la protection de Compte de Rougelac, j’ai entendu dire que tu avais été engagé et je souhaiterai parler avec toi.

C’est très rare que je parle aussi correctement à une représentante du sexe faible, d’habitude, je leur demande juste d’écarter les cuisses, mais je dois être poli, car je ne veux pas faire taper dessus par mon employeur. Par contre, je ne la vouvoie pas, je ne le fais que pour les nobles et non les mercenaires, il ne faut pas pousser ! Je lui montre ensuite une belle taverne non loin, situé dans un parc verdoyant, en lui demandant :

Ils y vendent un très bon whisky et cela nous permettra de mieux nous connaitre.

C’est quand même bizarre d’être aussi attentionné, mais nécessité fais loi, je dois me montrer sous mon meilleur jour, étant juste sous les fenêtres de Victor.

Cela faisait à peine quelques heures que j'étais embauchée. J'avais imaginé que j'aurais au moins quelques jours avant que les serviteurs habituels du comte m'abordent. En général, la maisonnée commençait par m'ignorer. Parce que j'étais une femme et que je n'étais pas dans mon rôle. Enfin celui attribué généralement aux personnes de mon sexe. Cependant, je m'étais trompée. J'étais un peu étonnée et pas tout à fait rassurée. Pas vraiment que j'avais peur, mais tout de même. Cela aurait été stupide de ma part de sous estimer la force que ce gars là pouvait avoir, surtout que je ne savais même pas ce qu'il voulait. Mais je fus vite fixée.

Je sortais à peine du manoir quand ce gars m'aborda. Je ne pouvais pas le louper ni ignorer qui il était, vu sa stature. Il se présente pendant que je le détaille. Je me demande vraiment quelles sont ses intentions. Voulait il se débarrasser de moi? Ce n'était pas idiot comme supposition. J'avais déjà eu à faire avec ce genre de cas. Des hommes qui estimaient que je n'avais rien à faire là. Il se présenta. Ce n'était pas vraiment utile, je me doutais bien de son identité, mais c'était un signe. Il n'était peut être pas juste une brute stupide dévouée à son maître, le rendant encore plus dangereux que sa force le faisait.

«Alana Vieilgarde. Enchantée. Mais je me doutais de qui vous étiez.»

La précision n'était pas utile. Mais c'est aussi comme ça que je remarquais un peu de familiarité. Elle ne me dérangeait pas trop, cela ne semblait pas trop agressif. Il semblait amical ou tout du moins curieux d'en savoir plus sur moi, sans doute. Cependant, je me méfiais un peu. Ce désir était associé à un lieu de rencontre en dehors de l'habitation du noble. Cela pouvait aussi faire penser à un traquenard. Cependant, je n'étais pas décidée à me laisser intimider ou à me montrer timorée. Cela ne collait pas ni avec mon caractère ni avec ma fonction. Je devais rester prudente, mais refuser l'invitation serait stupide.

«D'accord pour le verre.»

Déclarais je avec un sourire. S'il pensait que boire de l'alcool me faisait peur, il se trompait lourdement. J'avais l'habitude et je le tenais assez bien, par la force des choses. Je me dirigeais donc vers l'établissement et sélectionnait une table assez bien placée. Ni trop vers le centre, pas trop non plus ostensiblement vers la porte, mais je savais que je pouvais sortir rapidement si jamais le besoin s'en faisait sentir. Je m'installais sans gêne ni lui demander si la place lui convenait, commandait même une bouteille dès que le tavernier vint demander ce que nous voulions.

«Et bien, qu'est ce qui t'amènes à vouloir me rencontrer aussi vite?»

Alana Vieilgarde accepte mon invitation en souriant, ce qui me plait, cette jeune femme ne manque pas de volonté, c’est un bon point, et lorsque je la vois choisir la table idéale en cas d’attaque, je commence même à sourire. Après avoir commandé une bouteille, elle aborde directement la raison de ma rencontre, et je lui réponds sans détour :

C’est assez simple, j’ai la charge de la sécurité du Comte et tu vas devoir m’aider à la garder en vie, je peux donc dire que mon avenir va dépendre en partie de toi et cela ne me plait pas.

Je vois l’aubergiste revenir avec la bouteille et j’ouvre le bouchon d’une simple pichenette grâce à ma force, je remplis ensuite les deux verres et j’en pousse un vers mon interlocutrice avant de reprendre :

Toutefois, je n’ai pas le choix, Victor t’a engagé et je me dois de respecter sa décision, de plus je ne peux pas gérer les soldats présents à Sombrebois et c’est donc à toi que revient cette tâche.

Je bois une gorgé de mon verre avant de reprendre :

Le fais que tu sois une femme n’entre pas en ligne de compte car si la Maisonnée des Rougelac t’as embauché c’est que tu es compétente, maintenant nous allons bosser ensemble et j’aurais bien aimé te tester avant mais je vais devoir me contenter de te voir en action.

Je vide mon verre d’un trait et je me ressers aussitôt, puis j’enchaine, regardant le mercenaire droit dans les yeux :

J’ai besoin que nous définissions clairement chacun notre domaine de compétence, je vais évoquer quelques idées et tu me diras ensuite si tu es d’accord. Dans le cas contraire, je reste ouvert à la discussion jusqu’à un certain point.

Parlez ainsi me fait revenir des années en arrière, avant que les Fangeux ne débarque dans ma vie. C’est comme cela que je faisais mes campagnes militaires, discutant stratégie autour d’une carte avec mes pairs, chacun commandant ses propres hommes mais œuvrant ensemble pour le bien commun. Je lui indique donc :

Lors des trajets entre Marebrume et Sombrebois, je te laisse le commandement de l’ensemble de l’expédition, mes deux hommes seront à tes ordres, combattant quand tu le demanderas et faisant toutes les tâches que tu imposeras. Mais en cas de danger trop important, c’est moi qui prendrai la décision d’évacuer le Comte.

En effet, qu’un convoi avec son personnel disparaisse, ce n’est pas bien grave, tant que Victor reste en vie. Les soldats et les marchandises sont remplaçables, pas le dirigeant des Rougelac. Je continu ensuite, gardant en tête le fil de notre discussion :

A Sombrebois, mes hommes retourneront sous mon autorité et ne dépendront que de moi et en cas d’attaque, ne compte pas sur nous pour t’aider à la défense du bourg, nous resterons près de notre employeur, jusqu’à ce que la situation soit stabilisé.

Parler autant m’a donné soif et je vide d’un trait le second verre, l’alcool à cette petite dose ne me faisant pas grand-chose, ma limite étant aux alentours de cinq bouteilles à moi tout seul. Je lui demande ensuite :

Est-ce que cela te convient ?

Au moins, ce gars est franc et cela n'est pas pour me déplaire, même si je n'aime pas forcément tout ce qu'il me dit. Mais il aborde le problème sans tourner autour du pot. La sécurité du noble. Je n'ai pas l'intention de marcher sur ses plates bandes, ni de mettre en danger mon employeur, ce serait ridicule. Je ne sais pas si je dois l'aimer ou en avoir peur. Son discours est fluide et ne comporte pas d'approximation. Quelqu'un d'éduquer, voir d'intelligent. Allié à sa force, cela donne une combinaison dangereuse. Je suis même en train de me demander s'il est rapide … Mais le premier verre est servi, ce qui me permet de commencer à répondre à son discours.

«Je pense que nous sommes d'accord sur le point de la sécurité du comte. Je n'ai aucun intérêt à perdre mon employeur dans des circonstances tragiques.»

Non, ça me ferait mauvaise presse. Déjà que je suis une femme, autant ne pas me compliquer encore plus les choses. Pour la suite, je bois mon premier verre sans frémir, histoire de me donner contenance et évacuer un début de colère qui guettait. Il croyait quoi? Que j'allais foncer vers le danger tête baissée? Non, il ne me connaît pas et il ne me fait pas confiance. Dans un sens, c'est normal, mais je suppose qu'il aurait été moins méfiant si j'avais été un homme. Mais je ne fais aucune remarque dans ce sens. J'ai l'impression que c'est totalement inutile et même hors propos. Autant continuer à parler travail plutôt que de faire des digressions.

«Je compte bien qu'il n'y ai pas besoin d'évacuer Victor. En tout cas, je ferais tout pour. Je fais mon travail, tu fais le tien. Mais tu as raison, nous sommes complémentaire lors de cette expédition. Pour le reste, jamais je ne remettrais en cause tes aptitudes à le garder en sécurité et je ne vois pas pourquoi je viendrai te chercher des poux sur ce point.»

Je ressers un verre à tout les deux. Je ne sais pas trop comment convaincre ce type. Les paroles n'apportent rien. Je suppose qu'il me jugera sur le terrain, mais je me vois mal faire une passe d'arme avec lui. Physiquement, je ne fais pas le poids et je ne suis même pas sûre de pouvoir compter sur mon agilité et ma rapidité pour avoir raison de lui. Je ne suis pas du tout du même gabarit que lui. Imaginer me battre contre Desmond me fait sourire et je partage avec lui la raison de mon léger amusement. Je pense qu'il sera d'accord avec moi sur ce point là aussi.

«Tu es fort et tu es intelligent. Je ne sais pas si je pourrais t'offrir un combat digne de ce nom sur un terrain d’entraînement. Il y a trop de différence de puissance.
Pour le reste, nous sommes parfaitement d'accord. Je ne voyais guère les choses autrement. Autre chose à voir avec moi pour cette expédition?»

Les réponses de la jeune femme sont claires et précises comme j’aime. De plus elle a bien compris son rôle, et où commençait le mien, sans compter qu’elle me ressert un verre, elle est vraiment parfaite cette petite ! Mais ce n’est pas fini car elle me fait deux compliments coups sur coups et je ne peux m’empêcher de lui répondre quand elle me demande s’il y a d’autre point que je souhaite aborder :

Finalement, je t’aime bien, j’ai bien vu que tu n’avais pas choisis cette table par hasard, elle est suffisamment proche de la sortie, tout en t’offrant une bonne visibilité des lieux.

Je bois mon verre, puis si le sien est vide, je la ressers, avant de continuer :

Oui, j’ai une dernière chose à voir avec toi, c’est la notion de sacrifice. Tu as roulé ta bosse et tu sais que les fangeux ne peuvent être vaincu sans une force conséquente et que même ainsi, il est pratiquement impossible de s’en sortir sans des morts et des blessés.

On dit même qu’il faut dix hommes solides pour battre un fangeux, mais le problème c’est que le bruit du combat en apportera forcément d’autre et ainsi de suite jusqu’à être débordé. Je continue donc sur un ton grave :

Bref, il est parfois nécessaire de sacrifier un de ses hommes pour protéger Victor et je souhaite être sûr que tu n’hésiteras pas. C’est toujours dur de le faire, mais mieux vaut perdre un seul membre plutôt qu’une dizaine, surtout si notre employeur fais partit des survivants.

J’ai en effet déjà eu recours à ce stratagème et si j’étais impressionnable, je pourrais dire que j’entends leurs cris d’agonie dans mon sommeil. Heureusement pour moi, ce n’est pas le cas, et je dors très bien, l’avantage d’être une brute je suppose.

Juste au moment où je finis ma phrase, je vois entrer une demi-dizaine de miliciens et je leur fais signe pour les accueillir. Je les connais pour la plupart, ayant fait de nombreuses missions avec eux et pour certain donné de jolies sommes d’argent pour qu’ils regardent ailleurs pendant que je « m’occupais » de régler les problèmes de Victor.

Ils viennent tous vers moi, souriant et prennent naturellement des chaises pour se mettre à la même table que nous, le plus jeune me demandant même :

Chevalier, qui est la jeune femme qui vous accompagne ? Elle n’a pas l’air commode.

Je leur réponds en souriant :

Fais attention à ne pas perdre la main, le puceau. C’est le comte de Rougelac qui l’a engagé lui-même et tu sais qu’il n’embauche que des durs.

Comme j’en suis la preuve vivante, je les regarde tous, droit dans les yeux, défiant quiconque de me contredire. Bien sûr, personne n’ose, et je continue :

Dame Vieilgarde, je vous présente la fine fleur de la milice, des hommes d’exception, capable de véritables prouesses martiales et qui sont prêt à donner leurs vies pour Marbrume, d’ailleurs c’est moi qui offre votre premier verre pour vous remercier.

Je les brosse dans le sens du poil, en ne sait jamais quand on peut avoir besoin des forces de l’ordre. Je fais donc signe à la serveuse de nous apporter une nouvelle bouteille, rien n'est trop beau pour entretenir l'amitié.

Et bien, si je m'attendais à une déclaration aussi rapide … Je souris au colosse. J'espérais juste qu'il n'allait pas regretter ce jugement un peu prompt. Mais avoir déjà son aval, au moins temporairement, était une bonne chose. Vu la montagne de muscles, je m'attendais à plus de réticences que cela. Non, même que je sois une femme ne semblait pas le déranger outre mesure, mais je supposais qu'il me restait encore à faire mes preuves sur le terrain. D'ailleurs, la question qu'il me posa ensuite le prouvait bien. Je pris le temps de me poser avant de lui répondre. Autant dire la vérité, je supposais.

«Je ne sais pas trop. Je n'ai jamais eu à prendre une telle décision mais je suppose que oui, surtout avec un groupe restreint. S'il faut en sacrifier un pour sauver les autres, j'espère que je saurais quand le faire.»

J'étais encore un peu mitigée sur cela. J'espérais que l'instinct de survie parlerait, mais je n'aimais guère la notion de sacrifice, même si le comte m'avait tenu à peu près le même discours. Heureusement, une interruption salutaire, pour ma part en tout cas, vint changer le sujet de la conversation. Je me dis que je verrais bien si le cas se présentait. Des soldats de la milice pénétrèrent dans l'établissement. Je les dévisageais et je n'en aperçus pas que je connaissais au prime abord. Il était vrai que je ne les fréquentais pas beaucoup en dehors de mes tours de garde sur les barricades de la ville.

Il y eu quelques échanges d'une certaine amabilité, je dirais, et après quelques menaces, Desmond finit par leur offrir un verre. Tant que ce n'est pas moi qui paye, je n'ai rien contre. Mon salaire précédent est presque épuisée et je n'avais pas encore touché celui pour lequel je venais d'être embauchée. Peut être même qu'il faudrait que je demande une avance. Je verrais ça à mesure. Mais voilà qu'en fait, nous n'en avions pas fini avec les membres de la milice ou du moins, plutôt un. Il était dans les derniers entrés et je ne l'avais pas encore aperçu. Quand je le vis, mon visage se ferma. Merde, pas ce type! Il ne m'aimait pas et je lui rendais la pareille tout autant. En me voyant, il s'avança vers moi, le regard mauvais.

«Ho, mais c'est la petite qui se prend pour un mec. Marie toi et fait des gosses au lieu de t'occuper des affaires des hommes. T'as couché avec le sang bleu, pour ce poste?»

Mon regard noir droit dans les yeux du mal veillant disait sans doute tout le bien que je pensais de lui. Je lui aurais bien mis mon poing dans la figure, mais je n'avais guère envie de déclencher une bagarre dans l'établissement. Je lui aurais bien aussi dit une répartie bien cinglante, mais cela ne servait pas à grand chose. J'avais déjà eu des échanges de mots avec ce type, mais il finissait toujours par revenir à la charge. Mais il fallait que je fasse quelque chose. Je sentais des regards posés sur moi, ceux de la milice qui étaient entrés pas longtemps avec ce type et les consommateurs autours de nous.

«Et toi, tu as couché avec le chien, pour aboyer aussi fort?» Quelques rires s'élevèrent dans la salle. Ouais, touché, mais mauvaise idée, il fut sur moi en un bond, près à en venir aux mains, mais j'étais prête à me défendre.

Alors que la serveuse venait juste de partir avec ma commande et que je me resservais un verre de bon vin pour accompagner les miliciens, l’un d’eux se permet une réflexion déplacée. Bon il est vrai que je suis d’accord avec tout ce qu’il dit, mais il ajoute qu’elle a dû coucher avec Victor pour obtenir ce poste et là c’est aller trop loin, mon allié ne va pas se compromettre avec une femme pareille, il a quand même beaucoup plus de goût !

D’ailleurs la jeunette lui rabat bien son caquet avec une injure pas piquée des hannetons. Tellement même que le soldat ne le supporte pas et s’apprête à lui sauter dessus. Je décide de prendre les choses en main et je l’attrape au vol, le prenant par le cou, tout en rigolant très fort pour dédramatiser la situation.

Je vois ces collègues miliciens qui n’ose pas vraiment intervenir, se demandant sans doute ce que je compte faire dans ce lieu public. Je commence donc par le déposer à terre, puis, je l’enserre comme je le voulais le prendre par les épaules avant de lui dire en souriant :

Tu as des corones toi, tu insultes mon invité, qui est en plus au service de la famille des Rougelac, insinuant même que le comte ne respecte pas les enseignements des Trois, et enfin tu l’attaques devant des miliciens et pendant ton service.

Je continue à lui sourire mais mon regard deviens de plus en plus intimidant, je le rapproche à seulement quelques centimètres de moi de mon visage, le dominant de toute ma hauteur et je lui dis d’une voix très douce :

Je te propose un duel pour laver cet affront, qu’en penses-tu ? Tu prends ton épée courte, moi mon épée à deux mains et on s’arrête au premier sang, tu ne perdras ainsi qu’un seul bras, qu’en penses-tu ?

Je le vois complètement paniqué et une odeur que je connais fort bien arrive à mes narines et je vois que mon interlocuteur vient de mouiller ses braies !

Je le lâche donc rapidement et l’effronté en profite pour se carapater le plus vite possible sous les rires de l’assistance hilare de ce spectacle. Les autres miliciens rient également, sauf deux, qui me connaissant fort bien, se demandent si je plaisantais vraiment ou si j’allais couper le bras du jeune homme.

Heureusement, la bouteille arrive pile à ce moment-là, je sers copieusement les agents des forces de l’ordre pour leur faire oublier cet incident. Je m’adresse ensuite à Alana :

Désolé d’être intervenu, je suis sûr que tu aurais pu facilement en venir à bout mais je ne supporte pas que l’on insulte le comte de Rougelac.

Je lui précise ensuite à voix basse :

De plus, Victor a besoin de toi en liberté et non en prison.

Je reprends ensuite d’une voix forte, m’adressant à la cantonade :

Je vous propose de porter un toast, au Roi et à la noblesse de Marbrume !

Je suis sûr que personne ne pourra refuser de boire et qu’ainsi nous allons pouvoir tous devenir amis, après tout, nous sommes tous des gens d’épées.

Alors que je me préparais à me défendre de cette attaque, je vois le garde du corps du comte se mettre entre nous deux et attraper le malveillant. Je ne m'attendais pas vraiment à cela et j'ai un moment de flottement, où mon corps veut encore y aller alors que mon esprit lui ordonne de s'arrêter. Finalement, c'est ma volonté qui gagne et je me rassois en observant la scène et en écoutant attentivement les propos échangés. Oui, ce que je crois, c'est qu'il ne fait pas ça pour moi, mais plutôt pour le noble qu'il sert. Mais bon, cela ne me vexe pas et cela m'arrange qu'il s'en soit mêlé. Cela arrête les autres bien plus efficacement que moi, j'en suis certaine.

«Je n'avais pas l'intention de finir en prison. J'aurais bien trouvé un moyen de le neutraliser sans mettre sa vie en danger.»

Finis je par déclarer une fois que le calme est revenu. Encore une fois, je constate qu'il a fait preuve d'une certaine finesse. Offrir à boire était la meilleure chose à faire pour que l'incident soit clos pour tout le monde, sauf pour l'intéressé qui continue de nous jeter des regards noirs de temps en temps, pensant sans doute que nous ne nous regardons plus. Mais je ne sais pas pour Desmond, mais de mon coté, je préfère tout de même continuer à le tenir à l’œil, on ne sait jamais ce qui peut se passer dans sa tête, l’alcool aidant.

«Bon, je suppose que l'incident est clos. Et je vous remercie de l'avoir calmé, ça a été très efficace.
Mais revenons plutôt au sujet qui nous intéresse. Maintenant que nous sommes d'accord sur le rôle de chacun, pouvez vous me parler un peu plus de votre…. notre employeur.
Ho, je ne vous demande pas de répéter les rumeurs, je n'en ai que trop entendu à son sujet. Ni de me parler de sa vie privée, mais je ne le connais pas vraiment et j'aimerais savoir tout ce qui me sera utile de connaître à son sujet.
Même si c'est votre travail, je ne tiens pas à perdre mon employeur moi non plus, je vais donc tâcher de garder aussi un œil sur lui.»

Terminais je avec un petit sourire. J'espérais en apprendre un peu plus sur son caractère ou ses habitudes, voir les deux. A condition que l'homme en face de moi travaille depuis assez longtemps pour le sang bleu pour pouvoir me renseigner à son sujet. Pour ça aussi que je le laissais parler comme il en avait envie, je ne forçais en rien et resservis plutôt une bonne rasade d'alcool. Je pouvais encore tenir le choc, sans doute plus que ce que Desmond pouvait s'imaginer à ce propos. Les beuveries de salle de garde ne me faisaient pas peur. C'était comme ça que j'avais gagné un peu de crédit par rapport à mon sexe et mon travail.

Comme prévu, tout le monde lève sa chope et boit la bière fraiche, appréciant le goût simple de ce breuvage. Je peux voir toute la tension accumulée par l’incident entre le milicien et Alana disparaitre, comme si elle n’avait jamais existé, il n’y a pas dire, l’alcool, c’est vraiment fabuleux ! On devrait le rendre bien moins cher, car il résout vraiment tous les problèmes et encore une fois, je suis dépité par le fait qu’avec ma carrure il m’en faille énormément pour en ressentir les effets bienveillants.

Ma compagne de beuverie elle a su rester calme et me remercie même, ce qui est assez rare pour être souligné, d’habitude les femmes avec qui je partage un verre ont bien plus peur de moi. Elle souhaite ensuite aborder un autre sujet, Victor, et me demande ce que je sais à son sujet, je lui réponds en toute honnêteté :

Cela fait maintenant cinq mois que je suis à ses côtés et je peux te dire que le comte est un homme tout à fait respectable et respecté.

C’est vrai, du moins selon mes propres critères, je ne suis pas sûr qu’un prêtre des Trois aurait eu le même discours que moi mais comme il n’y en a aucun ici, je dis ce que je veux, je continue donc sur ma lancée :

Il est également ambitieux, ce qui normal pour un noble, mais son attitude lui a valu de nombreux ennemis et c’est eux qui m’inquiètent le plus. Certains habitants de l’Esplanade et au-delà ne le portent pas dans leurs cœurs pour rester poli.

Je fais une petite pause pour finir mon verre resservit par la jeune femme avant de reprendre :

Il y a également l’affaire Sombrebois où il a voulu se montrer utilise à Marbrume en aidant le baron Hector de Sombrebois. Le problème est que ce dernier a épousé une manante, une véritable folie si tu veux mon avis, et fort logiquement il a été mis au ban de la société, ce qui complique considérablement les relations.

Vraiment, je ne comprends pas ce qui a pu se passer dans la tête du noble pour réaliser un tel outrage aux bonnes mœurs, la gueuse, elle, doit être aux anges pour avoir réussie cette ascension sociale. Je ne sais pas s’ils sont toujours ensemble, mais le mal est déjà fait car le mariage a été prononcé. Avoir des maitresses de la plèbe c’est tout à fait normal, mais on n’épouse des gens du peuple, c’est sale. À la rigueur on peut épouser une prêtresse des Trois si on ne veut pas ou ne peut pas une personne bien née.

Parler autant m’a donné soif et comme nous avons fini le contenant que la serveuse nous avait apporté, je lui demande :

Une autre bouteille !

Elle revient très vite, ayant compris que j’étais un bon client et c’est à mon tour de remplir nos deux verres. Une fois ceci fait, je bois le mien d’une traite et je demande à la mercenaire :

Et toi, pourquoi as-tu choisis cette maisonnée ?

Pour tout dire, je ne m'attendais pas à un discours aussi long. Plutôt à un de quoi je me mêle ou quelque chose dans le genre. Mais l'homme semble plutôt bavard, même s'il ne part pas non plus dans des détails privés. Je ne veux pas en savoir, de toute façon. Le noble fait ce qu'il veut dans l'intimité, du moment que cela n'affecte pas trop mon travail. Pour le reste, le garde du corps ne fait que répéter, au moins au début, des rumeurs que j'ai entendu et auxquelles je n'ai guère apporté trop de crédit. Je n'aime pas les rumeurs et préfère me rendre compte par moi même.

Oui, j'avais bien compris que de nombreuses personnes à Marbrune ne l'aimaient pas vraiment. Mais je ne voyais pas ce qu'il y avait de mal à avoir de l'ambition. Mais cela dérangeait les gens, il n'y avait qu'à voir avec moi même. Tout ça parce que je n'avais pas du tout envie du destin qu'on essayait de m'imposer. Femme au foyer, tu parles! Pas que je n'aimais pas les enfants et que je n'en voulais pas, mais je n'avais pas encore trouvé le mari qui me laisserait continuer à faire ce que j'aimais. En attendant, j'étais toujours célibataire au grand désespoir de mes parents.

«Pas grand chose de nouveau sous le soleil, finalement. Pas vrai?»

Commençais je alors qu'il commandait une autre bouteille. Bon, il y avait cette histoire avec le noble de Sombrebois, mais je ne voyais pas le mal à être fidèle. Bref, pour moi il n'y avait pas de quoi fouetter un chat. Même si je trouvais le comte un peu trop familier et à l'aise en ma présence. Mais si le sang bleu s'attendait à ce que j'ouvre les cuisses docilement, il avait du mouron à ce faire. Il avait déjà dû comprendre que je n'étais pas ce genre de filles s'il n'était pas trop obtus. Je verrais ça avec le temps, mais j'avais bien l'intention que nos relations en reste à celles d'employeur et d'employée.

«Pourquoi j'ai choisi le comte? Un peu par hasard, un peu par choix. Disons que j'en ai assez de Marbrune et quand j'ai su qu'il y avait moyen d'aller à Sombrebois, je voulais en être. Le destin a fait le reste.»

Je haussais les épaules. La chance avait été avec moi. Peut être était ce ma destinée de faire partie de cette aventure. Bon, j'avais quelques réserves concernant le caractère du noble, mais tant que cela ne dépasserait pas ce genre de pique, que j'avais eu après mon embauche, je pourrais le supporter. Et puis, faisant connaissance avec la maisonnée, je ne la trouvais pas trop désagréable, il n'y avait qu'Hans qui semblait pouvoir poser un problème, du moins pour le moment. Donc, puisque je discutais avec Desmond et que je voulais maintenant en savoir un peu plus sur lui, je me resservis aussi un verre et demandais.

«Et toi alors, comment en es tu venu à travailler pour ce noble en particuliers?»

La jeune femme me surprend quand elle m’indique qu’elle a choisis la maisonnée Rougelac en partie grâce à Sombrebois. Moi je n’avais jamais pensé que ce bled pouvait être intéressant et j’y vais uniquement parce qu’on me le demande et que je pourrais y construire une maison, sans tuer les précédents occupants avant, ce qui laissera des tâches difficiles à enlever partout.

Je lui demande donc :

Pourquoi tu veux aller dans ce village au confins des marais ? Il n’y a même pas un troquet !

Je fais semblant de frissonner d’épouvante devant cette hérésie et je suis lui dit d’un ton plus calme :

Le Labret est beaucoup plus accueillant et développé, d’après ce que me l’on m’a dit, je compte bien y aller le mois prochain saluer quelques connaissances et m’en rendre compte par moi-même.

J’ai en effet ce projet. J’écoute ensuite le mercenaire me poser une question personnelle, la première d’ailleurs et je lui réponds franchement :

A vrais dire, c’est assez simple, il m’a contacté et j’ai accepté parce que j’étais désireux de regagner mon statut.

Je me ressers un verre et je précise un peu plus ma pensée :

Tu as déjà été heureux avant que tout te soit prit en l’espace d’une nuit ? C’est ce qui m’est arrivé quand les Fangeux ont pris mon territoire, j’ai débarqué à Marbrume avec juste mon nom et mon titre de Chevalier, j’ai réalisé quelques missions pour les nobles de l’Esplanade, me permettant ainsi de survivre, mais c’est Victor, qui grâce à sa proposition, m’a permis de regagner une partie de ce que j’avais perdu.

Je m’arrête une minute, jouant avec le contenu de mon gobelet avant de le vider lentement.

C’est pourquoi je lui ai dédié ma vie, je ne veux pas tout perdre une nouvelle fois et c’est la raison principale qui m’a poussé à te parler. Je comprends que tu n’éprouves pas la même chose, mais je peux te dire une chose, le comte est généreux et te traitera correctement, tant que tu resteras à ses côtés, crois en mon expérience personnelle.

C’est en effet grâce à lui que j’ai un tout où dormir, que je peux manger à ma faim et que je ne manque de rien, j’ai même un lit sur mesure ! Je pense avoir répondu à sa question et je m’installe encore plus confortablement sur ma chaise, l’alcool m’ayant complètement détendu pour lui demander :

Tu n’as pas choisi la voie la plus simple, devenir milicienne aurait été plus facile que mercenaire, au moins tu aurais eu la sécurité de l’emploi, alors que tu es dépendante d’employeur qui peuvent changer d’avis du jour au lendemain. C’est familial ?

Je lui pose la question en ces termes car avant l’arrivée de la Fange, j’ai pas mal guerroyé lors des affrontements entre seigneurs et j’ai croisé de nombreux de soldat de fortune, des hommes, bien évidement. Certains étaient très courageux, d’autre lâches, mais il y avait soudain un parent dans la profession qui leurs avaient appris le métier des armes.

Comment ça, pas de troquet? Cet homme là ne pensait donc qu'à l'alcool? J'espérais que non. J'en avais connu à la pelle, des types comme lui. Ils commençaient à être gentils, puis la boisson aidant, cherchaient à me trousser et s’offusquaient quand je résistais. J'avais eu, jusqu'à présent, toujours de la chance de m'en sortir plus ou moins indemne, au moins au niveau vertu en tout cas, mais avec un colosse pareil, ça risquait d'être une autre histoire. Je ne me faisais aucune illusion. S'il me tenait, il ne serait pas près de me lâcher. Et je ne sais pas si mes ruses habituelles fonctionneraient avec lui. Mais je préférais ne rien montrer de mon inquiétude et le laissais poursuivre la conversation comme si de rien était.

Et puis, ça aurait été dommage de ne pas l'écouter. J'apprenais des choses intéressantes. Par exemple, qu'il voulait regagner son statut. Ha, il l'avait perdu? Je n'en savais rien et nos relations n'étaient pas encore suffisamment proche pour que je me risque à lui demander dans quelles circonstances. Peut être était ce avant qu'il soit en âge de comprendre, en plus, parce que ce n'était pas forcément de son fait. C'était un peu trop délicat, comme interrogation, du moins pour le moment. Je me contenterais de celle ci pour le moment, en la gardant dans le coin de mon esprit.

Ha, il était chevalier en titre? C'est vrai que mon père était appelé comme ça aussi, mais c'était plutôt pour son habileté au combat et sa capacité à enseigner qu'il avait été nommé ainsi. Il n'avait jamais été noble. Et moi, je n'avais droit à rien. Je n'avais même rien à perdre, pas comme lui. J'avais du mal à me mettre à sa place, c'était certain. Je n'avais pas grand chose, à par mes parents, même pas de frère ou de sœur, et sans doute à cause de mon caractère, je devais le reconnaître, pas d'époux et encore moins d'enfants. Je supposais tout de même que ce qu'il avait vécu avait durement le marquer.

«Tu sais, comme je te l'ai dis, je n'ai rien à gagner à porter préjudice à mon employeur. Et puis, ça ferait mauvais genre en tant que mercenaire. Déjà que c'est compliqué quand on est une femme... oui.»

Je soupirais. Oui, je voulais bien le croire, j'avais du mal à trouver des emplois intéressants et surtout, bien payé. La milice me rémunérait un peu, mais ce n'était pas vraiment ça qui allait payer tout mes frais. Que le comte est bien voulu m'engager était en quelque sorte inespéré, doublement si on savait que je m'ennuyais un peu de Marbrune et que je voyais en ce voyage, en cette nouvelle cité, de nouvelles opportunités et de quoi casser un peu la routine d'ici. Ca ne serait pas facile, mais rien ne l'avait jamais été pour moi. J'avais dû toujours lutter pour obtenir quelque chose.

«Je ne le sais que trop. Tu sais, mon père est un bon combattant, mais il a reçu une mauvaise blessure et il ne rajeunit pas. Il peut encore un peu enseigner, mais ça ne suffit pas à nourrir la famille. Quand il a vu que j'avais un goût pour les armes, il a fini par céder à mes demandes et m'a appris tout ce qu'il savait. C'est ainsi que j'ai commencé ma carrière de mercenaire. Qui voudrait d'une femme combattante dans son lit, hein? Et j'aime aussi courir les bois, chasser … ce genre de chose. Pas vraiment ce qu'un mari attend d'une épouse. Et il faut bien que je gagne ma vie.»

A nouveau, je haussais les épaules et me resservis un verre. Je ne voulais pas avoir l'air de m’apitoyer sur mon propre sort, comme lui ne l'avait pas fait. Il avait énoncé des faits, tout simplement, comme je venais de le faire. Peut être même en avais je déjà trop dit.

«Je suis aussi du genre fidèle si on ne me fait pas d'ennuis, et la paye à l'air bonne, oui. Je pense que nous nous entendrons aussi sur ce point. Bon, et si on passait un peu à ce qui nous préocupera dans un avenir proche? Tu as déjà été en foret? Chasser, par exemple?»

Je me demandais quand le sujet du sexe de mon interlocutrice allait être abordé, mais je ne fais aucune allusion à sa réponse, car je l’entends soupirer, comme si c’était difficile pour elle d’en parler. J’en apprends également plus sur sa famille avec une information intéressante, son père enseigne le maniement des armes, ce qui m’ouvre de nouvelles possibilités.

Je l’entends à nouveau parler de sa vie sentimentale qui n’a pas l’air très réjouissante, encore plus que la mienne et elle fini sur un tout autre sujet auquel je réponds bien volontiers :

Je suis déjà allé en forêt, mon ancien domaine étant situé à l’ouest de Marbrume, mais je n’ai jamais été un grand chasseur, la patience n’étant pas mon fort. De plus, je ne sais pas tirer que ce soit avec un arc ou une fronde, je préfère donc laisser ça au professionnel, et si tu compte sur moi pour faire la cuisine, tu peux oublier tout de suite, les rares fois où je me suis essayé à cette activité, c’était complètement immangeable.

Je souris en repensant à cette expérience culinaire, c’était lors d’une campagne militaire, le cuisinier c’était pris une flèche dans le bide et comme un idiot je m’étais proposé pour le replacer, espérant ainsi avoir une double portion. J’ai fait trop cramer la viande quant à mon ragout, j’ai mis trop de sel avec des légumes à moitié cru, bref, un désastre complet. Je continue ensuite sur ma lancée :

Je sais bien monter à cheval et je pourrais éventuellement servir d’éclaireur ou d’arrière garde si besoin. Mais il faut plus que tu me voies comme une muraille entre Victor et les dangers du monde extérieur, s’il faut combattre ou faire peur aux gens, je le ferais, sinon je manque de compétence. Et toi, tu sait préparer un repas ?

Autant que pose également la question, car si aucun de nous ne sait cuisiner, il va falloir recruter des cuisiniers, pour pouvoir manger correctement durant le trajet, surtout la viande fraiche que la mercenaire ramènera. J’attends donc la réponse de la demoiselle avant de lui dire :

Tu m’as indiqué que ton paternel était professeur, est-ce que tu penses qu’il serait d’accord pour me donner quelques cours ? Bien sûr contre rémunération, j’essaye toujours de m’améliorer, apprendre de nouvelles techniques d’escrimes pour pouvoir rester en vie.

Encore, je laisse à mon interlocutrice le temps de répondre avant de continuer :

Finalement, tu es un peu hors norme comme moi, nous avons tout les deux choisis un métier violent où nous croisons la mort à chaque instant et pour cela, certains sacrifices ont été nécessaires. Après je compte bien me marier un jour à une noble, alors il n’y a aucune raison que tu ne puisses pas espérer trouver chaussure à ton pied, tu es jeune.

C’est vrai qu’elle doit bien avoir dix ans de moins que moi, l’avenir lui tends les bras, contrairement à moi qui ai déjà trente ans.

Au moins, il connaissait un minimum la forêt. C'était toujours ça de pris et je pouvais lui faire confiance pour protéger Victor. Oui, peut être le mettrais je à l'arrière, c'était un endroit stratégique pour une attaque surprise, si elle devait avoir lieu. Il n'y avait pas que les fangeux dont il fallait se méfier dans ce genre d'expédition. Il y avait aussi des bandits, aussi incroyable que ça puisse paraître. Je me demandais d'ailleurs parfois comment ces gens faisaient pour survivre, vu qu'ils n'avaient pas de place forte pour les aider à se défendre. Enfin, ce n'était pas mon problème, après tout.

«Non, je ferais l'éclaireur. Sauf que je m'éloignerai pas trop pour pouvoir vous avertir en cas de danger devant. Je pense que je te mettrais à l'arrière, comme ça nous couvrirons tout le champ de visions à nous deux.»

C'était une bonne chose d'avoir quelqu'un en qui je pouvais avoir un minimum confiance pour ce genre de travail. Cela m'éviterait à avoir tout à surveiller. Finalement, cette rencontre était fort utile. Dire que je redoutais le pire quand il m'avait invité. Je ne savais pas si c'était parce qu'il avait l'esprit ouvert ou juste qu'il ne voulait pas fâcher notre employeur commun mais le résultat était là. Du moment qu'il ne me tire pas dans les pattes et qu'il collabore de façon efficace. Vint ensuite une question d'intendance en rapport avec l'expédition qui allait avoir lieu.

«M'oui, je m'en sors à peu près. Disons que c'est mangeable. Mais autant emmener des choses tout de suite mangeable, ça sera plus sûr. Mais au cas où je peux préparer quelque chose.»

La cuisine n'était pas mon fort, mais comme ça m'était déjà arrivé de partir deux jours voir un peu plus en forêt, j'avais tout de même appris à cuire quelque chose de façon à ce que ça soit comestible. Il ne fallait guère m'en demander plus. Je pensais que les cuisines du noble pouvait nous préparer des patés, de la viande froide et ce genre de chose, ce qui éviterait l'écueil d'avoir à préparer. Mais on ne savait pas réellement pour combien de temps nous serions partis en expédition. Cela pouvait mal se passer et retarder l'arrivée. Mais la sollicitation suivante me prit par surprise.

«Mon père? Oui bien sûr, il sera toujours content d'avoir un élève de plus. Mais dis toi bien qu'il ne donne plus que des cours théoriques, il a beaucoup de mal à se déplacer. Mais je suppose que je peux toujours te servir de partenaire d'entraînement si tu veux mettre en pratique. Dans le cadre de nos fonctions.»

Je n'allais tout de même pas lui faire payer en plus ce genre de service. Il fallait que je fasse un effort pour bien m'entendre avec la maisonnée du comte. D'ailleurs, en parlant de ça....

«Peut être le comte aime t'il les personnes comme nous finalement. Comme tu travailles pour lui depuis un peu plus longtemps que moi, des choses notables à m'apprendre sur le caractère des autres membres de l'expédition? Plus j'en saurais mieux j'arriverais à gérer le groupe. Je ne prends pas ça à la légère et si je peux préparer ça encore mieux...»

J’écoute les réponses de mon interlocutrice qui me semble intelligente, du moins pour une femme, même si comparé à Victor, elle ne fait clairement pas le poids et je le hoche la tête pour marquer mon accord quand elle m’indique où sera ma place lors des différents voyages que nous serons amenés à faire. Surtout qu’elle sait cuisinier, il faut donc la protéger, car elle sera vraiment indispensable si nous sommes bloqués au milieu des marais.

Lorsqu’elle évoque les leçons, je suis satisfais, peut importe qu’elles soient uniquement rhétorique, j’ai pas mal de garde de Victor sur lesquels m’entrainer et je peux lui répondre :

Ne t’inquiète pas pour la pratique, Victor m’a laissé carte blanche pour garder ses troupes en forme et c’est ce que j’étais en faire quand on m’a indiqué que tu étais présente au manoir. Si nous combattions et que l’un de nous casse une jambe à l’autre, le comte ne sera pas content, alors je préfère rester prudent.

Bien sûr, je n’ajoute pas que c’est elle qui risque le plus dans l’affaire, car pour moi, c’est une précision inutile. Je hoche simplement la tête quand elle exprime sa pensée sur mon allié et je réponds à ses interrogations :

Tu devrais avoir sous tes ordres deux gardes et deux conducteurs de chariot. Si c’est les mêmes que la dernière fois je peux te dire qu’ils se plaindront tout le temps qu’ils ont faim et soif, pour les deux soldats, ils ne prendront guère d’initiative, mais ils savent ce qu’ils ont à faire. N’oublient pas d’être vigilant sur les tours de garde, ils ont tendance à paresser si on leur laisse l’occasion.

Voilà, je pense avoir tout dit, je peux maintenant aborder un autre sujet :

Concernant les étapes de la route, pour aller jusqu’à Sombrebois, les villages, qu'ils soient abandonnés ou non sont de bons lieux pour s’arrêter pour la nuit. J’ai quelques cartes des environs qui pourront t’aider à y voir plus clair, même si elles ne sont pas de très bonnes qualités.

Sur ces derniers mots, je nous ressers un verre, vidant ainsi une nouvelle bouteille. Et je m’empresse de le boire, car parler autant m’a donné soif. Une fois cette formalité accomplis, je demande à mon interlocutrice :

Tu es une personne qui tient bien l’alcool et rien que pour cela, tu as mon respect. Peux-tu prévenir ton père que je passerais demain le voir ?

J’ai en effet quelques courses à faire pour Victor dans différents quartiers de la ville et ce sera une bonne occasion d’aller prendre quelques cours, je continu ensuite sur ma lancé :

Pour le logement, est-ce que le comte t’a donné une chambre ou tu logeras à l’extérieur ?

J’espère pour elle que la première option est la bonne car les repas sont fameux au manoir, car réputé pour le bon goût du maitre de maison, un goût raffiné qui charme toujours les invités.