Description des marécages

Les marécages s'étendent sur des lieues entières. Succession de flaques, de boue, d'arbres décharnés, d'eaux troubles et noires, ils n'ont jamais attiré personne, surtout depuis qu'un Fangeux peut se cacher et vous observer n'importe où, jugeant le moment propice pour l'attaque. Certains sont pourtant parfois obligés de traverser ces terres hostiles, et l'on dit même que plusieurs Bannis auraient trouvé refuge au plus profond de ce bourbier.

S’il y a toujours eu un danger constant dans les alentours de Marbrume, et cela avant même l’apparition soudaine et incomprise des Fangeux, c’est bien l’ensemble de marécages et de marais qui entourent la cité. Avec ses forêts et ses bois infranchissables, plus que les remparts de la ville eux-mêmes, ils forment un mur naturel infranchissable pour toute armée désireuse d’assiéger la ville, mais sont aussi bien dangereux pour les étrangers que pour les citoyens. Ils muent et se meuvent au gré des saisons, en fonction de leur volonté propre, et certains crédules leur prêtent une conscience aussi fourbe qu’improbable. Les chemins semblent instables, incertains, et le sentier forestier de la veille qui aura conduit le voyageur égaré en lieu sûr mènera assurément d’autres pèlerins à la mort, conseillés par ce premier.

Trompeurs et malicieux, les marécages entraînent l’étranger dans ses tourbières vaseuses qui se referment sur lui, le plongent sous les racines crochues et acérées des arbres biscornus, l’emprisonnent dans ses buissons touffus et épineux, et le font simplement disparaître au détour d’un virage empli de brume. A la lumière diurne, sous le couvert des arbres, l’on parle d’abeilles, de guêpes et de frelons qui éconduiront le voyageur loin des sentiers battus de leurs piqûres. L’on raconte tout autant que les grognements sourds d’animaux inconnus déstabilisent le pèlerin, le poussant dans ses sables mouvants, sur un tapis de feuilles qui se dérobera sous ses bottes, le plongeant dans les abysses d’une eau croupie. Les simples flaques se transforment en puits sans fond, et, la nuit, de mystérieux feux-follets embrasent les eaux, hypnotisant l’ingénu jusqu’à le pousser au-delà des routes oubliées, au cœur de ces écharpes de brumes oppressantes.

Les légendes et les mystères ont la vie dure, dans les environs, et, selon bon nombre d’habitants, la pauvre âme égarée ne laissera en souvenir qu’un long cri qui vous glacera le sang, tandis qu’au loin s’envolera une flopée de corbeaux. Certains s’évanouissent à jamais, engloutis sous un tas de feuilles en décomposition, lorsque d’autres sont retrouvés, des mois voire des années plus tard, à des lieues de leur destination originelle. Il arrive fréquemment que lorsque de courageux et intrépides chasseurs s'engagent dans les sous-bois, empruntant les refuites sûrs d'un animal, ils finissent par tomber sur quelques vêtements oubliés, armes rouillées, squelettes à la chaire depuis bien longtemps disparue, et mettent la main sur d'antiques pièces d'or que l'on a arrêté de frapper depuis des années.

Mais si la région est réputée comme étant dangereuse, ses mystères cachent bien souvent des merveilles pour les intrépides. A l'ombre des arbres, sur les berges incertaines des marais, quantité de gibiers paraissent placidement en quête de fleurs et de branchages abondants. Ignorés par les Fangeux, bien moins chassés par les hommes depuis l'apparition de ces premiers, ils croient sans cesse et se multiplient dans la région. Il est coutumier que d'observer des cerfs franchir de petits fossés, des chevreuils bondissant des fourrés, des sangliers couvant leur portée de marcassins, des daims se déplaçant en troupeau, ou encore des loups à la recherche d'une proie.

Autrefois, bon nombre d'alchimistes parcouraient les marécages en suivant un guide qu'ils avaient loué pour la journée. Le climat tempéré, la lourde humidité de l'air, et les rayons du soleil qui pénètrent le couvert des feuilles sont propices aux croissances développées et aux champignons en tout genre, tout autant qu'aux herbes médicinales et aux fleurs ordinairement considérées comme étant rares. Désormais, il en va de même que pour la faune ; la flore s'est démultipliée depuis que l'Homme n'ose plus aller au-delà des enceintes rassurantes de ses murailles, et la forêt regorge de plantes qui ne demande qu'à être cueillies. Pour un herboriste ou un alchimiste de renom, presque toute potion est susceptible d'être concoctée grâce aux plants, aux racines, aux champignons et aux herbes qui poussent dans les alentours de Marbrume.

Véritables remembrances douloureuses pour certains, fantasmes pour d'autres, les marécages abritent leur lot de ruines et de villages dévastés. Au détour d'un sentier battu, derrière un rideau de branchages, se dissimulent parfois les vestiges d'un fortin oublié, les pierres de son rempart partiellement détruit baignant dans les eaux dormantes et immobiles. Les outrages du temps ont commis leur méfait, les rendant branlantes et susceptibles de s’effondrer à chaque instant, mais, pour quelques populations ou le voyageur égaré, ces bâtiments en-dehors du temps sont comme des refuges inespérés lorsque vient la nuit. Certains bannis en ont même fait leur résidence, se terrant en haut d'une tour facilement défendable comme claquemurant leurs huttes et leurs cabanes au sein d'une vieille enceinte craquelée. Les moins chanceux n'auront pas d'autre choix que de se terrer à l'orée d'une sombre caverne, sans même savoir ce qu'elle referme dans ses profondeurs, ou encore de s'enfermer dans une vieille bicoque d'un village déserté par ses habitants.