15 novembre 1166 – une nouvelle arme pour Desmond de Rochemont

Six mois plus tôt Alban avait perdu tragiquement sa sœur et son beau-frère lors du couronnement du Duc, tout comme une large part de la population qui avait subi les conséquences de l’attaque des fangeux au cœur même de Marbrume. Les premiers mois avaient été les plus rudes, tout le monde souffrait et devait tenter de s’adapter à ce nouveau couvre-feu passible de peine de mort. Il avait fallu s’occuper rapidement de tout ces morts et les cérémonies aux dieux se multipliaient sans apporter le réconfort souhaité.
Vivre seul ne réussissait à pas Alban, lui qui était né avec un grand-frère et deux sœurs, puis qui avait vu la famille s’agrandir encore… Et puis la vie était bien plus facile quand sa sœur s’occupait de tous les repas, du ménage, de la lessive, de la couture et j’en passe… et que son beau-frère au charme indéniable négociait les prix d’achats des marchandises à la baisse et ceux de vente à la hausse. On lui proposait 10 œufs ? Lui arrivait à les faire doubler, grâce à un baratin bien rodé qui lui permettait d’entamer toutes les faiblesses du client, et il ne lâchait jamais contrairement à Alban qui n’avait pas le cœur à ça.
Du coup, l’échoppe et la forge souffraient de cette absente, tout comme Alban souffrait de sa solitude. Toiles d’araignées dans les coins, fouillis parmi les articles proposés aux clients… mais tout cela était encore pire côté maison, derrière la porte close où s’entassait un bazar monstrueux qui heureusement restait dissimulé. Parfois Alban travaillait toute la journée sans prendre de déjeuner car il n’avait de toute façon rien à se mettre sous la dent et plus envie de dépenser ses possessions en alcool qu’en nourriture.
La situation n’était pas glorieuse, néanmoins elle s’améliorait le temps passant. Alban avait réussi à trouver un rythme à lui, et s’était rendu compte que s’il pouvait tolérer le fouillis dans sa vie privée, sa forge se devait de rester aussi propre que possible pour ne pas ternir sa réputation et celle de la famille Laforge dont il était le dernier représentant.

Le soleil était déjà haut dans le ciel en cette journée fraîche mais agréable auprès du feu du foyer rougeoyant. Pas de demande urgente à traiter, ce qui n’empêchait pas le forgeron de taper brutalement son marteau sur un pauvre morceau de métal qui n’avait rien demandé. Qu’il le veuille ou non, il deviendrait la pointe d’une lance dont pourrait user la milice pour défendre la ville, ou de téméraires commerçants qui s’éloigneraient de la sécurité de Marbrume pour tenter d’accéder aux anciennes ressources qui faisaient défaut aux habitants.
La fatigue commençait à remonter le long de son bras, et la sueur qui perlait sur son froid avait bien besoin d’être essuyée. Alban termina son martellement. Le métal avait besoin d’être à nouveau chauffé, mais il faudrait pour cela actionner le soufflet pour faire augmenter la chaleur du foyer, il déposa son marteau et la pointe qu’il forgeait, s’essuya le front d’un grand mouvement et chercha des yeux l’eau qui permettrait d’étancher la soif qui lui déchirait la gorge.

Le voyage de Sombrebois à Marbrume a été une nouvelle fois très usant aussi bien pour moi que pour mon matériel, la différence, c’est qu’après quelques jours, je me remets complètement alors que mon arme par exemple, malgré le fait que je la nettoie et l’entretien avec beaucoup d'attention, commence sérieusement à vieillir.

Il faut dire que je l’ai bien utilisé, que ce soit pour chasser des créatures, tuer des bandits, des cultistes ou des gens qui me gênaient. Il n’y a que les fangeux que j’ai laissé tranquille, préférant toujours la fuite à l’affrontement. Mais le résultat est là, ma lame va s’ébrécher et il est temps que je la remplace, c’est pourquoi je me dirige vers le quartier de la Hanse, ou je suis sûr de trouver un bon forgeron.

En effet, il y en pas mal de commerçant, mais lorsque je leur parle avec eux, il y a toujours quelque chose qui ne va pas, ce peut être le prix, trop élevé car certain me prenne pour un noble très riche avec la livrée des Rougelac sur mon costume noir ou bien il est trop surchargé de travail et ne pourra me fournir une nouvelle lame que dans plusieurs semaines. Le délai est important pour moi, car mon allié peut avoir besoin de mes compétences et je dois pouvoir compter sur mon épée pour le protéger, sinon, ce serait trahir sa confiance.

C’est donc contraint et forcé que j’entre dans une échoppe, où sont exposé quelques armes, mais personne à l’accueil, ce qui me semble bien imprudent, un voleur aurait tôt fait de partir avec une dague. J’entends alors des coups de marteau sur du fer, sans doute une enclume et je fais le tour pour trouver l’entrée de la forge, qui est vraiment grande.

Près du foyer se trouve un homme, grand, bien bâtit et vêtu avec des vêtements typiques de forgeron. Je le salue d’un bref signe de tête, car c’est un homme du peuple et il est inutile d’en faire d’avantage et lui indique simplement, puisqu’il a l’air d’être en pause :

Je suis le chevalier Desmond de Rochemont.

Je dénoue mon ceinturon et lui tends à bout de bras mon épée à deux mains, je ne la dégaine pas pour pas qu’il se trompe sur mes intentions qui sont pacifiques et je lui précise :

Ma lame a bien vécu et j’aimerais la remplacer par une équivalente, si possible de meilleure qualité.

Voilà, je le laisse me dire ce qu’il est possible et à quel prix, espérant que mon interlocuteur sera quelqu’un de raisonnable.

Si Alban était plutôt dans la moyenne haute des carrures que l’on pouvait croiser à Marbrume, Desmond pouvait, lui, être qualifié de montagne. Le géant faisait deux ou trois têtes de plus que le forgeron qui se retrouva dans son ombre. La surprenante apparition éleva la voix, qui n’était pas aussi grave que l’on aurait pu imaginer, presque une voix douce tant elle semblait harmonieuse et adaptée pour son corps. Le problème étant que c’était pour se présenter comme chevalier. Pas de quoi rigoler. Ce qui fit rapetisser à nouveau Alban. Ce dernier s’étrangla à moitié en attrapant un gobelet en bois remplis d’eau, qu’il vida d’un trait avant de tenter de retrouver sa voix.

« Bonjour monseigneur, je ne vous avais pas vu, pardonnez-moi. »

Desmond de Rochemont ne semblait pas avoir de cicatrices sur le visage, pourtant il n’en avait pas besoin pour que tout son être dégage un sentiment de force et de dangerosité. Cet homme était très certainement un combattant hors pair et l’épée à deux mains qu’il tendait en était une preuve supplémentaire. Pas quelqu’un à prendre à la légère, son regard sérieux le prouvait. Desmond avait les yeux de quelqu’un qui en a trop vu, ou qui est fatigué de chercher. Ce n’était certainement pas le moment de le contrarié ou même de le décevoir. Le costume noir sévère n’était pas là pour aider, néanmoins un client reste un client… Repensant aux bons conseils de son beau-frère, Alban chercha au plus profond de la lui un sourire qui se voulait confiant et accueillant. Puis il tend les mains pour saisir le fourreau qui attend dans les airs depuis un peu trop longtemps.

« Merci. »

Tout simplement. C’était un bon début, n’est-ce pas ? D’un signe de tête Alban indiqua un tabouret qui était posé près d’un mur.

« Si vous souhaitez vous poser. Faites comme chez vous. »

Il se sentit obliger de s’expliquer comme un enfant.

« Je dois d’abord l’examiner. »

Ce qui fut dit, fut fait. Après s’être écarté un peu pour n’embrocher personne Alban sortit l’épée pour l’examiner. La lame semblait malhabile entre ses mains, pas à cause du poids mais surtout du manque d’entrainement à user de grâce avec ce genre d’outils. L’arme blanche était longue, large et terriblement usée par les coups. Il fallait à cet homme une arme solide, pas une de ces épées bâtardes trop courte et légère.

« J’aimerais comprendre. Qu’est ce qui vous importe le plus : l’allonge ou la force de vos coups ? »

On pouvait certes faire une arme qui serait un mélange des deux, toutefois pourquoi faire une arme médiocre lorsque l’on pouvait jouer sur les points forts de son porteur ? Alban passait en revue les armes qu’il avait à disposition et qui pourraient convenir tout en examinant la lame usée, qui lui racontait l’histoire de son porteur, un chevalier qui prenait soin de son arme car elle avait dû lui sauver la vie maintes fois.

Au moins, ce forgeron a des manières, ce qui est une bonne chose, en plus me faire appeler Monseigneur me rend toujours de bonne humeur, cela fait du bien à mon ego. Il s’excuse même pour m’avoir fait patienter et me propose une chaise pour que j’attende tranquillement, vraiment la grande classe ! Il regarde ensuite mon épée et me pose une question qui me laisse pensif, je réfléchis un petit moment avant de lui répondre :

J'aimerais privilégié la puissance de mes coups, j’arrive presque à couper un homme en deux, en y mettant toute ma force, mais j’ai à chaque fois peur de casser mon arme, comment vous pouvez le voir, elle est assez endommagée, ce sont surtout les colonnes vertébrales et les crânes de mes opposants qui lui font le plus mal.

Oui, j’en parle comme d’un être vivant, mais elle m’a accompagné dans toutes mes aventures et elle ne m’a jamais fait défaut, alors c'est normal, je précise même :

Je pensais peut-être que vous pourriez me faire une arme sur-mesure pour la remplacer, j’ai quelques économies et si vous avez besoin de métaux spécifique, je peux aller vous en chercher au Labret.

La ville d’Usson comporte quelques gisements de métal encore en activité et pourraient faire l’affaire, je lui indique d’ailleurs :


J’ai besoin que ma nouvelle lame puisse être coupante et bien équilibrée. Je sais qu’elle sera lourde, mais cela ne me fait pas peur, je me suis longuement entrainé pour la manier.

Et pendant que je suis là, autant y faire toutes mes courses et je lui demande :


J’ai également une armure de plaque complète avec casque qui aurait grand besoin d’être redressé, mes adversaires n’étant pas tendre avec elle. Est-ce que vous avez les connaissances nécessaires ?

Je préfère m’en assurer avant de lui amener, il ne semble pas déborder, mais c’est peut-être parce qu’il est spécialisé dans les armes et non les protections, alors autant m’en assurer. J’attends d’ailleurs la réponse à ma question, avant de l'interroger sur le temps que cela va prendre :

Bien sûr, c’est assez pressé, est-ce que vous seriez en mesure de tout faire dans les quinze jours ?

Je sais que le délai est assez court, mais je n’ai pas le choix, et puis, je peux donner mon amure à un autre établissement si ce n’est pas possible ici. Bref, il y a pas mal de possibilité et je n’ai plus qu’à attendre l’avis de mon interlocuteur qui semble bien seul ici. Je ne vois en effet aucune présence d’apprentis, ce qui est étonnant, vu le nombre d’enfants qui trainent dans tout Marbrume.

HRP : Une super vidéo d’explication sur les différences entre épées longue et épée bâtarde
https://www.youtube.com/watch?v=iF_kxAqS_8k

La montagne de muscle qu’était Desmond semblait être un client sérieux, qui savait l’importance d’une bonne arme et donc d’un bon forgeron. Certains se seraient offusqué qu’un simple du peuple ose leur poser une question ou veuille connaître le fond de leur pensée. Pas Desmond, qui prit sérieusement le temps de considérer le pour et le contre, comme s’il discutait avec un égal, ce qui n’était pas le cas. Certes la réponse faisait froid dans le dos, et… chaud au cœur d’avoir un aveu sincère de cet inconnu. S’il avait dû parier Alban aurait misé sur la force, cela se devinait bien lorsqu’on examinait l’arme, toutefois c’était rassurant d’avoir une confirmation à l’oral de son client, pour être certain de ne pas le décevoir.
Une épée sur-mesure ? Monseigneur de Rochemont devait avoir les moyens pour proposer sans se poser de question. Alban avait réfléchi à lui présenter les armes qu’il avait déjà, se doutant qu’un chevalier n’était pas grand-chose sans son arme et que Desmond devait être pressé. Cette proposition ouvrait un tout nouveau champ des possibles, bien plus vaste et bien plus intéressant. Oui, il pourrait faire une épée, grande, forte et robuste comme son porteur ! Et voilà qu’il ajoutait du poids dans la balance, en suggérant un rééquipement complet. Aucune hésitation à avoir pour Laforge, c’était une opportunité à ne surtout pas manquer.

« Oui, je suis libre dès maintenant monseigneur. Et je peux m’occuper des deux.»

Il faudrait sûrement embaucher temporairement un apprenti pour assurer la cadence supplémentaire que demanderait ce travail précis, cependant c’était possible. Qu’il était agréable d’avoir un but et un défi qui régulerait sa vie pour quelques jours.

« Avant tout j’aurais besoin de prendre quelques mesures et de vous faire tester différentes armes pour avoir une idée du poids idéal. »
« Si bien sûr, vous avez un peu de temps à me consacrer. »

Alban était en train de réfléchir à tout ce dont il aurait besoin, ce qu’il lui fallait envisager, la proposition d’aller chercher des métaux spécialement… Mais peut-être oubliait-il un détail important.

« Ah, j’oubliais… il faudrait aussi que l’on voit quel prix vous souhaiteriez mettre. Et j’aimerais examiner votre armure pour savoir combien de temps de travail supplémentaire je devrais passer dessus.»

Il pourrait engager le gamin des voisins qui venait régulièrement s’asseoir pour le contempler travailler, il était fiable et s’il ne l’était pas il serait simple d’aller le chercher par la peau des fesses pour lui remonter les bretelles.

Voilà une nouvelle plaisante à mes oreilles, j’ai vraiment bien fait de m’arrêter ici, si ce forgeron qui a de bien belles manières, peut tout réaliser ! Quand il me demande une partie de mon temps, je lui indique bien volontiers :

Je suis libre pour la journée, je vais juste envoyer mon suivant pour récupérer mon armure.

Je fais signe à Milas qui était en train d’observer l’étalage d’un marchand de vêtement et je lui demande :

Va me chercher mon armure de plaque, emmène Robert avec toi car ce sera très lourd. Interdiction de traîner en chemin.

Je rajoute cette petite précision, car je sais que mon valet de douze ans peut être un parfait paresseux, comme tous les serviteurs d’ailleurs. Une fois cette tâche réalisée et Milas partit comme une flèche, je peux me retourner vers mon interlocuteur :

Je suis à ta disposition.

Je suis, en effet, capable, de porter de très lourdes charges et tester différentes armes, toutefois, je lui précise :

Je veux une épée à deux mains, tout d’abord car mon style est assez sommaire, ne souhaitant pas m’embarrasser d’un bouclier et ensuite c’est le symbole même des chevaliers.

Ou en tout cas, c’est ma vision des choses, plus l’épée est grande, plus la personne est noble, après tous les va-nu-pieds n’ont pas d’arme, les voleurs ont des dagues, les miliciens ont des épées courtes, les soldats des épées longues et les représentants de l’ordre le plus haut, les épées à deux mains.
Au cours des guerres menées avant l’arrivée de la Fange, j’ai vu une seule fois une arme aussi redoutable que la mienne, c’était une hache de bataille, qui avait fais des ravages dans les rangs adverses. Mais cela reste une arme de mercenaire, car en ville ou dans un bal, ce n’est guère bien vu et je risque de passer pour un véritable barbare.

Pour le paiement, je vous propose la moitié maintenant et le reste à la livraison. Cela peut se faire en monnaies sonnantes et trébuchantes, bijoux, nourritures ou biens de consommation, c’est à vous de voir ce qui vous convient. Je pense que comme c’est une épée sur mesure et de qualité, nous pouvons partir sur trois fois le prix d’une arme standard.

Je réfléchis ensuite pour être sûr de n’avoir rien oublié et je conclus :

Pour l’armure à redresser, vous me direz quelle partie de la valeur, le travail représente.

Je suis un noble alors je n’ai pas vraiment de notion de l’argent, n’en ayant jamais gagné par moi-même, je pourrais même dire que je n’ai jamais travaillé de ma vie, et cela me convient parfaitement, car il y a des serviteurs pour cela. Il y a des gens né pour diriger et d’autre pour obéir et faire tout ce que je n’ai pas envie, et c’est un monde parfait.

HRP : tu as glissé un tutoiement, je le considère en jeu mais si ça pose trop soucis, je m’éditerai

Le chevalier était venu accompagné d’un jeune garçon qui semblait travailler pour lui. Celui-ci fut sommé d’aller chercher les éléments manquants, pour faire gagner du temps à tout le monde. Une bonne chose de faites. Quand le seigneur de Rochemont revint à la boutique, il lança comme à un ami « être à sa disposition ». Le vouvoiement s’était un instant envolé. Faisant bondir le cœur d’Alban. Il ne pouvait pas, il ne pouvait plus le décevoir !
Il écouta attentivement les précisions de la requête qu’on lui adressait, tout en hochant plusieurs fois la tête. Le chevalier détaillait ce à quoi il pensait déjà : on ne change pas l’arme d’un combattant sur un coup de tête, il savait se battre avec une épée à deux mains et c’était bien entendu ce qu’Alban allait lui forger.

« J’entends bien vos désirs monseigneur. Malheureusement présente dans mon atelier, mon arme la plus lourde reste une hallebarde. J’aurais souhaité, s’il vous était possible, que vous me disiez comment vous ressentiez le poids de celle-ci. »

Joignant le geste à la parole, il partit chercher l’arme sus-cité qu’il apporta en bandant ses muscles. En effet l’arme, par sa forme et ses besoins en métal était d’un poids plus difficile à manier de façon prolongée.

« Entre votre ancienne arme et le poids de celle-ci, pourriez-vous m’indiquer quelle serait votre limite ? »

Alban imaginait déjà l’arme, comme la décrivait Desmond, une belle épée à deux mains, très solide donc plus lourde, plus difficile à mouvoir pour le commun des mortels, mais adapté à son porteur. Et quoi de mieux qu’une épée faisant tellement corps avec son possesseur qu’un voleur serait bien ennuyé de la récupérer ? Une épée trop lourde pour être retournée contre Desmond ! Ou alors au moins par un colosse similaire.
Desmond de Rochemont semblait évoquer le prix comme si cela n’était qu’une bagatelle et une formalité. Pour Alban c’était tout une prise de tête pour faire un calcul qui aurait dû être relativement simple. Fort heureusement le chevalier était un homme honnête et qui semblait de parole. Alban acquiesça pour approuver le paiement en deux fois, cela était équitable pour les deux parties, et il précisa.

« Si cela est possible, je préfèrerais en nourriture ou bien de consommation. »
Et il commenta l’annonce du prix triplé pour son travail.
« Merci monseigneur pour votre générosité. »

Bien sûr il faudrait attendre que l’armure arrive pour faire une estimation. En attendant, il fallait tester cette hallebarde. Enfin pour le forgeron il fallait surtout rester suffisamment éloigné pour que Desmond puisse la manier sans l’embrocher.

« Je vais aussi avoir besoin de mesurer vos mains, pour que la fusée de votre épée soit suffisamment confortable. Que pensiez-vous de celui de votre précédente épée ? »

Le forgeron me demande de soulever une hallebarde et je la prends donc de ses mains, elle est assez lourde, mais je n’ai pas de difficulté à la soulever et à la manipuler, faisant attention à ne rien casser avec. Il me pose ensuite une question technique et je réfléchis quelques secondes avant de lui répondre :

Pour moi, le poids de cette hallebarde est bon, elle est un peu plus lourde que mon épée, et je pense qu’il s’agit de ma limite.

Je dois en effet prendre en compte qu’un combat peut durer un certain temps, malgré ma stratégie de foncer tête en avant, je peux tomber sur un adversaire particulièrement mobile ou alors ils peuvent être nombreux et dans ce cas, il faut que je limite mon épuisement. C’est en effet particulièrement fatiguant de manier une lame de plusieurs kilos et je sais que le temps joue contre moi, en cas d’affrontement prolongé.

Je hoche la tête quand il m’indique qu’il veut être payé en nature, c’est d’ailleurs le cas de la plupart des artisans et cela me convient tout à fait, les pièces d’or étant devenu relativement rare. Il en profite pour me remercier pour ma générosité, ce qui est bien normal, après tout, je suis un ami du petit peuple, du moins tant que ceux-ci ne sentent pas trop mauvais et savent rester à leur place.

Maintenant, ce sont mes mains qu’il veut mesurer et lorsqu’il me parle de ma précédente épée, je lui réponds en souriant :

Mon ancienne épée était également faite sur-mesure, avant l’arrivée de la Fange, vous pouvez-vous donc prendre exactement les mêmes dimensions, elles sont parfaites.

Je dois également lui préciser une chose importante :

Vous allez devoir également réaliser un fourreau, je veux qu’il soit le plus étanche possible. Je dois en effet me rendre souvent à l’extérieur, dans les marécages de Sombrebois si vous connaissez et il est important qu’elle ne rouille pas.

Ce serait quand même ballot que ma nouvelle lame devienne bonne à jeter après quelques jours dans ces conditions difficiles. Et encore, j’ai de la chance, car je connais certains miliciens qui patrouillent toute la journée dans le quartier du port et le sel marin détruit encore plus facilement tout ce qui contient du métal.

Pour ma part, je graisse souvent mon épée, ce qui la protège de l’humidité, mais ce produit coûte cher maintenant, vu le peu de viande disponible et je ne peux plus en mettre autant qu’avant. Vraiment, les temps sont durs et d’ailleurs, je demande à mon interlocuteur :

Vous êtes seul à travailler ici ?

C’est, en effet, très calme et je me demande bien pourquoi personne de sa famille n’est là pour l’aider.

Voilà un bon point d’éclaircir, Alban avait donc un poids maximum qu’il ne pouvait dépasser. Bien entendu le forgeron n’allait pas charger l’épée inutilement, néanmoins sa solidité était directement corrélée à son poids et sa masse, il ne fallait donc rien laisser au hasard.
Pour ce qui est de l’odeur, pas de chance pour Desmond, mieux valait éviter de croiser Alban en pleine journée de travail, ou pire à la fin de celle-ci, car indubitablement il avait fortement transpiré et son odeur s’en ressentait. C’était le contrecoup d’avoir un métier manuel demandant de rester près d’un foyer extrêmement chaud à longueur de temps.

Parfait, si la poignée lui convenait, Laforge pourrait s’en inspirer et reprendre chaque dimension. Il était important que le client ne perdre pas ses habitudes et puisse s’adapter rapidement à sa nouvelle arme car les sensations au combat seraient similaires.
Une requête supplémentaire, on avait donc l’épée sur-mesure, l’armure à réparer et le fourreau à ajouter. C’était logique, si les dimensions de son arme changeaient, il lui fallait la compléter de la protection adaptée. Il insista fortement sur l’importance sur le besoin d’étanchéité. Il faudrait donc bien travailler la chappe située sur l’arme et sur le fourreau. C’était une demande logique puisque le chevalier passait dans les marécages et à Sombrebois qui comme Marbrume était une ville côtière. Cependant ce n’était pas la spécialité d’Alban. Rien de grave toutefois, il connaissait un voisin-ami qui pourrait lui rendre ce service, et il suffirait à Alban de lui fournir une partie des revenus qu’il obtiendrait. Le forgeron s’occuperait comme d’habitude du côté chappe et bouterolle du fourreau, tandis que le gainier s’occuperait de l’écrin de l’arme. Les deux familles travaillaient de concert depuis des décennies, l’une ayant régulièrement besoin de l’autre. C’était une des raisons pour laquelle Alban n’était pas uniquement spécialisé en métallurgie, mais aussi en ferronnerie. Il avait appris à travailler les détails qui pouvaient ornementer un équipement, ainsi que tout ce qui pouvait agrémenter une tenue. C’était encore loin d’être sa spécialité, néanmoins lorsqu’il en avait l’occasion il tentait de travailler ses faiblesses pour s’améliorer. Le dicton c’est en forgeant qu’on devient forgeron illustrait bien que seul l’expérience et la pratique permettaient de perfectionner son art, petit à petit.

« Oui aujourd’hui je suis seul, mais pas d’inquiétude, j’aurais de l’aide dès demain. »

Alban avait-il encore besoin de renseignements supplémentaires ? Pas actuellement, et au contraire, mieux valait qu’il soit désormais seul, pour aller recruter son apprenti temporaire et visiter son copain mi-cordonnier, mi-gainier.

« Je vous remercie, monseigneur, vous m’avez été d’une grande aide en me fournissant tous les renseignements nécessaires. Je vais me mettre au travail. »
« Vous serait-il possible de repasser d’ici quelques jours pour constater l’avancer de mes progrès ? Ou au moins d’ici une semaine sur les deux que vous me laissez ? Ainsi nous pourrons voir si tout vous convient et vous pourrez me déposer le premier acompte dont nous avons parlé. »

Il ne leur restait plus qu’à réceptionner l’armure qui était attendue et ensuite Alban pourrait se concentrer sur l’exécution du travail demandé.

Je suis rassuré quand le forgeron m’indique qu’il aura une aide dès demain, ce qui devrait lui permettre de tenir les délais. C’est juste étrange que personne de sa famille ne puisse l’aider, mais je suppose qu’ils sont occupés ailleurs. Le forgeron me met ensuite gentiment dehors, ce qui ne me dérange pas, il a beaucoup de travail à réaliser, la seule chose qui me gêne c’est quand il parle du premier réglement et je lui précise :

Il me semble m’être engagé à une première somme à la commande, vous recevrez donc ce premier versement dès demain et non dans une semaine. Mon suivant Milas, va venir pour vous remettre l’armure et ainsi, il écoutera ce que vous souhaitez comme nourritures et objets pour la moitié du paiement.

C’est en effet un gamin débrouillard et s’il en difficulté, il pourra compter sur l’aide du serviteur de la Maisonnée des Rougelac qui lui, connaît bien tout ce qui est transaction. Une fois cette précision annoncée, je continue mon monologue :

Je serais donc présent dans une semaine, à la même heure afin de constater votre avancement. À bientôt maître forgeron.

Après un bref salut, car mon interlocuteur reste un homme du peuple et non un noble, je quitte les yeux, satisfait du déroulement de cette journée. Les sept jours passent extrêmement vite, étant occupé à gauche et à droite, que ce soit pour le compte pour le compte de Victor, de la Milice ou encore du mien.
C’est donc un peu fatigué que je retourne à l’échoppe situé dans le quartier de la Hanse pour y découvrir les résultats d’une semaine de travail. Je ne m’attends pas à des miracles, car entre mon épée à créer, mon armure a redresser et mon fourreau à adapter, il va falloir pas mal de temps et d’effort.

Avant d’arriver là-bas, en compagnie de Milas, je prends quelques brochettes de légumes, la viande étant maintenant quelque chose de rare. Je les avale en moins de deux secondes, en proposant une à mon page, car je suis une personne généreuse et attentionné aux autres, du moins, tant que ce ne sont pas des gueux.

Il y a pas mal de monde dans les rues, car nous sommes le 22 novembre et c’est le jour du mariage de deux personnes importantes dans le monde du commerce. Je suppose que pour les petites gens, il est important de fêter les rares moments de joies, mais pour moi, cela représente des embouteillages supplémentaires et de la musique qui me casse les oreilles.

C’est donc légèrement en retard et à moitié sourd que j’arrive dans la forge, indiquant au maître des lieux :

Bien le bonjour, je suis de retour.

Alban fut surpris que son client insiste à ce point pour payer rapidement. Le forgeron lui avait accordé une semaine de délais, ayant peur qu’il ne puisse revenir facilement ou que cela l’importune, cependant le chevalier insista pour régler dès demain ses dettes. Voilà à quoi ressemblait donc un vrai chevalier avec des manières. Quelqu’un qui tient ses promesses et les termes de son contrat. Il semblait avoir toute confiance en son suivant, qui paraissait être un brave garçon assez sage pour son âge. Et ce qui fut dit fut fait. Milas apporta la lourde armure, Alban lui expliqua ce qu’il souhaitait et l’affaire fut conclue.
Dès qu’il se retrouva seul, Alban ferma boutique pour aller négocier avec ses voisins pour que leur fils vienne travailler avec lui pour une quinzaine de jours. Il alla ensuite jusqu’à son ami gainier, qui lui proposa l’aide de sa fille pour la semaine, ce qui soulagerait Alban des tâches ingrates de la maisonnée et lui permettrait d’avancer plus à la forge. Quand l’épée serait suffisamment avancée, la jeune fille pourrait prendre les mesures pour la création du fourreau tandis que le forgeron terminerait par l’armure qui serait la partie la plus facile de l’accord puisque ce serait un simple travail de remise en forme et non pas une création intégrale. Laforge leur avait fixé rendez-vous à tous deux dès l’aube. De retour chez lui, Alban prit un bon repas, et se coucha très tôt. Demain serait une journée pleine de promesses, d’essais et surtout de travail acharné.
La nuit se révéla agitée, l’impatience se mêlant à la crainte d’échouer, le cerveau bouillonnant d’idées à essayer et de planifications pour tout faire dans les temps. Résultat il fut debout dès le premier chant du coq. Le temps de s’habiller et il commençait déjà le travail. Rapidement le voisin, Arthur, apparu, enthousiaste de travailler et de gagner quelques récompenses. Bertille, elle, arriva un peu en retard. Toutefois Alban ne perdit pas de temps et leur confia des missions à chacun dès qu’ils franchirent le pas de la porte.

« Arthur, commence à activer le foyer, mets-y du bois et actionne le soufflet. Je vais avoir besoin d’une bonne chaleur continue pour au moins toute la journée. »
« Bertille, merci d’être là, tu peux aller nous chercher du bois, et ensuite on aura besoin de plus d’eau. Un jeune page nommé Milas va nous apporter un paiement, si tu pouvais voir pour tout bien ranger, faire un peu de nettoyage et bien sûr nous préparer de quoi manger avec ce qu’il nous donnera ? »

Et ils se mirent tout trois au travail. Ce n’était pas la première fois qu’Arthur et Bertille venaient aider à la forge, ils avaient déjà certains réflexes qui s’avérèrent utiles à Alban qui n’eut pas à leur réexpliquer tous les détails. La semaine passa très vite, et Alban dormit assez peu. Même lorsque ses apprentis rentraient dormir chez eux, il continuait à vouloir avancer sur le travail… Ce qui ne fut pas du goût, ou plutôt des oreilles de ses voisins. L’aide de Bertille fut considérable, tandis qu’Arthur se révéla une nouvelle fois un apprentis motivé et attentif.
Le forgeron n’aurait jamais eu le temps de transformer du fer en épée en à peine quinze jours, pas pour ce qu’il avait besoin de créer. Par chance, ayant eu peu de commandes dernièrement, il avait eu le temps de préparer de l’acier, c’est-à-dire s’occuper de la cémentation du fer en acier. Il n’avait donc pas besoin de repartir de zéro. De même il réservait la deuxième semaine pour la création de la fusée, c’est-à-dire la poignée, le pommeau, la garde ainsi que la chappe. Cela laisserait le temps au gainier de faire son affaire tandis qu’Alban pouvait avancer sur la suite et commencer à s’occuper de l’armure. La cuirasse de Desmond avait été mise de côté, en sécurité chez Alban, pour que personne ne vienne la voler. Il avait pris le temps un soir de l’observer à la chandelle et de mémoriser tout ce qu’il lui faudrait faire pour la réparer.

Aujourd’hui, 22 novembre, jour de célébration et de liesse, Alban et ses deux aides auraient bien souhaité s’arrêter et profiter des festivités, malheureusement il leur restait encore trop de besognes pour s’accorder le moindre repos. Ils s’étaient encore levés à l’aube pour reprendre leur activité qui était désormais bien rodée. Alban avait remis à plus tard toutes les autres demandes qu’il avait pu avoir, les notant mentalement comme des broutilles dont il pourrait s’occuper en fin de mois. Lorsque Desmond de Rochemont se présenta c’était à la fois trop tôt et parfaitement à l’heure.


« Bonjour monseigneur. Nous sommes ravis de vous accueillir. Arthur, Bertille, dites bonjour. »

Les deux jeunes gens s’exécutèrent avec un grand sourire, pour remercier celui qui les nourrissait depuis une semaine grâce à sa commande. Qu’il était grand et impressionnant pour ces deux enfants qui comprenaient mieux désormais pourquoi l’épée était si grande.

« Sachant le grand guerrier que vous êtes, j’ai concentré mes efforts sur votre lame. Elle est bien plus solide et massive qu'avant. La fusée n’est pas encore terminée, tout comme le fourreau qui sera fait spécialement par le meilleur gainier de la ville. Concernant votre armure, je m’en occuperai en dernier, car je l’ai bien examinée et elle ne me demandera pas tant de travail. »

Alban avait bien réfléchi et mémorisé ce qu’il avait à dire au chevalier. Il espérait que ce dernier comprendrait que tout ne soit pas terminé, puisqu’il restait encore la moitié du temps convenu. Le forgeron alla chercher la lame de l’épée pour la présenter à Desmond.

« Voulez-vous enfiler un gant en cuir pour la tester ? La poignée sera une réplique de celle de votre ancienne épée. »

Alban lui présenta un de ses gants en cuir, solide et résistant. C’était l’heure du premier jugement. Ils étaient tous les trois stressés de savoir si leur dur labeur serait reconnu, même s’il prendrait sa juste valeur seulement la semaine prochaine, lorsque tout serait complet.

J’entre dans la boutique, toujours accompagné de mon fidèle suivant et je vois que les lieux ont bien meilleures mines qu'il y a une semaine et en plus, le forgeron n’est plus tout seul, mais il a avec lui deux apprentis, plutôt bien élevés car ils m’accueillent avec un grand sourire. Leur patron commence à me complimenter, me prenant pour un grand guerrier, ce qui littéralement exact et il me fait plaisir en m’indiquant que mon épée sera bien plus solide qu’auparavant.

Lorsqu’il me la présente, je suis impressionnée, c’est un beau bloc d’acier qui semble littéralement capable de trancher un homme en deux sans la moindre difficulté. C’est donc avec une certaine impatience que je prends le gant en cuir qu’Alban me tends et je saisis ainsi la lame. J’ai un peu de mal à la bouger librement, car il manque la poignée, mais le poids me semble idéal et utiliser une lame neuve est vraiment quelque chose de plaisant.

Ma mémoire me ramène plusieurs années en arrière, à l’époque pour fêter ma victoire contre mon frère, j’avais fait forger ma première épée rien qu’à moi. C’était vraiment un moment béni des Dieux, où tout me semblait possible, je venais de venger l’assassin de mon père grâce à un duel rituel, emprisonner ma belle-mère, bref, réaliser tous mes objectifs.

J’espère que cette nouvelle arme va m’apporter une nouvelle ère de prospérité et que tout va bien se passer. Je sors enfin de mes pensées et je retourne vers le forgeron pour lui indiquer, en souriant :

Cette lame est magnifique, solide, bien équilibré, c’est dommage que je ne puisse pas l’essayer sur une véritable cible.

Avant, j’aurais pu aller chez un boucher et l’essayer sur un quartier de viande comme une carcasse de porc, mais vu la pénurie actuelle, je doute d’en trouver une seule intacte dans tout Marbrume. C’est en tout cas ce que j’avais réalisé lors de mon premier achat et j’avais été très satisfait du résultat.

Mais ce n’est pas terminé et je leur indique :

Je suis content du résultat, je ne doute pas qu’à la fin du délai, vous serez en mesure de me fournir ce que j’ai demandé. Je viendrais directement avec les biens et autres produits pour le paiement, afin que nous puissions conclure notre affaire.

Je m’approche ensuite du forgeron et je lui mets familièrement la main sur l’épaule :

Ça me fait plaisir de voir un homme capable de tenir ses engagements et je compte bien vous faire une bonne publicité si le reste de vos œuvres est au niveau de ce que vous venez de me montrer aujourd’hui.

Moment de suspense pendant la durée du test de Desmond de Rochemont avant le verdict positif. Comme depuis le début, le chevalier fit une remarque très pertinente pour aider le forgeron à s’améliorer. Bien entendu il aurait pu prévoir une cible ! C’était important pour connaître la vraie valeur d’une épée. Comment réparer son erreur ? Ses yeux se posèrent sur Arthur un instant. Et le jeune voisin prit peur, il était trop petit pour affronter la montagne de muscles qu’était Desmond et surtout trop jeune pour mourir… Arthur recula doucement, essayant de calculer quelle était la meilleure façon de prendre la fuite. Alban balaya de la main les doutes et la peur qui s’étaient installés dans les yeux de son apprenti.

« Arthur, les bûches sont juste derrière toi. Choisis-nous la plus grosse et la plus grande s’il te plaît et vient la mettre au centre de la pièce, tu veux ? »

Rassuré, ce dernier hocha la tête et se mis au travail aidé par Bertille. Généralement les bûches de bois qui correspondaient à cette description étaient en bas de la pyramide qu’ils formaient avec le bois destiné à alimenter le foyer. Il leur faudrait donc plusieurs minutes d’efforts pour accéder à leur objectif. Cependant il restait encore beaucoup de travail avant que tout ne soit finalisé.
Heureusement les compliments du chevalier leurs redonneraient de l’énergie pour cette nouvelle semaine de travail acharné. Desmond posa même sa main sur l’épaule d’Alban pour lui promettre une belle publicité si tout était de la même qualité que ce début d’épée. C’était exactement ce dont la forge (et Laforge) avait besoin. Des clients satisfaits qui parleraient en bien à leurs connaissances de l’endroit où ils pouvaient obtenir des produits de qualités! Pour toutes leurs envies en métal, acier... que ce soit de une armure, ou une broche délicate ou bien sûr une magnifique épée, une hache tranchante ou même une lance correctement équilibrée. Cela rendrait Alban d’autant plus heureux s’il savait que ses créations permettaient de lutter contre les fangeux, sous le regard bienveillant de la Trinité.
Les deux enfants finirent par réussir à extirper une grosse bûche qu’ils virent placer sur l’enclume de la forge. C’était un beau morceau de bois, bien sec et dur. Très différent d’une pièce de viande, mais en ces temps difficile le seul moyen de tester la lame facilement. Et puis, le morceau de bois serait toujours utile même réduit en miettes, c’était l’avantage. Alban désigna la cible nouvellement créée avant de proposer.

« Si monseigneur veut tester sa lame… »

Et comment refuser ? Vu qu’Arthur et Bertille s’était un peu éloignés mais attendaient côte à côté des étoiles dans les yeux de pouvoir admirer un preux chevalier manier sa lame.

Sans que je comprenne pourquoi, j’assiste à une bataille de regard entre le forgeron et un de ses apprentis, puis finalement ce dernier se bouge et m’amène une buche de belle taille, qui semble extrêmement solide. Je vois bien que l’on attend de moi que je la découpe, les deux jeunes, mon suivant et même le forgeron me fixe.
Le problème, c’est que ça va être loin d’être facile à fendre en deux, avec une hache, j’aurais déjà du mal, alors avec une épée sans poignée, c’est carrément mission impossible ! Pourtant, je ne peux pas abandonner alors que tout le monde me regarde, je leur indique donc :

Je ne pense pas pouvoir couper ce bout de bois, où alors je risque de le sentir passer dans les mes bras, avec le contre-coup sans poignée.

Je prends donc un morceau bien plus modeste, le mettant en place au-dessus du premier, puis, après avoir vérifié que j’ai la place suffisante pour manipuler mon arme, je fais une passe me donnant le maximum de puissance, me permettant grâce à un mouvement de balancier de lever bien haut mon épée que j’abats d’un seul coup !

La lame s’enfonce sans difficulté, séparant nettement les deux morceaux et entrant dans la bûche du bas sur plusieurs centimètres. Je suis plutôt fier de moi, même si j’ai beaucoup de mal à dégager ma future possession de la marque que j’ai laissée dans le bois. Je peux enfin rendre la lame à Alban et lui dire :

Le tranchant est parfait et elle est très bien équilibrée.

Je regarde ensuite la lame, mais il n’y a aucune entaille, ni marque qui aurait pu montrer qu’elle venant d’être utilisé, signe que c’est du solide ! Je peux donc complimenter encore une fois le maître artisan :

Cette épée me convient tout à fait, j’ai hâte de revenir pour voir le résultat final, mon armure ainsi que le fourreau.

Je réfléchis, mais je pense lui avoir tout dit, alors je lui annonce :

Je vais vous quitter et revenir dans une semaine avec l’autre moitié du paiement, à moins que vous n’ayez autre chose à me demander bien entendu.

J’attends donc son éventuelle réponse avant de rejoindre le manoir de Rougelac, très satisfait de cette rencontre et impatient de retourner à l’échoppe. Je vais pouvoir réaliser de véritables prouesses avec une arme pareille et je ne doute pas que toutes les jeunes femmes se retourneront sur mon armure réparée.

Le client était devenu l’attraction principale avec sa future épée à la main. Heureusement le chevalier savait reconnaître ses limites et ajusta la cible pour en prendre une plus adaptée tout en s’expliquant. Puis c’est le coup d’épée, vif et parfait qui tranche en deux le bois. Arthur en resta sans voix, la bouche ouverte tandis que Bertille sautait partout en applaudissant.

« Bravo, bravo ! »

Les deux gamins auraient une bien belle histoire à raconter ce soir en rentrant chez eux. Qu’il était agréable de travailler pour Alban et de croiser d’aussi admirable chevalier ! Desmond semble satisfait de son essai et c’est le plus important, il glissa même quelques compliments au forgeron.

« Merci monseigneur. Tout sera prêt pour la semaine prochaine, je vous le promets. »

Ainsi se conclu la visite expéditive de Desmond sur son exploit et sa promesse de repasser au moment décidé. La forge pu reprendre son activité mise en pause jusqu’à midi. A ce moment là Alban installa Arthur devant une assiette à grignoter raccompagna Bertille chez son père, avec l’épée pour que le travail du gainier puisse commencer avec l’aide de sa fille. Ils avaient ainsi toutes les dimensions dont ils avaient besoin pour commencer le travail. L’après-midi il n’y eu donc plus que le forgeron et son apprenti qui travaillèrent sur la poignée. Il leur fallu bien deux jours de travail pour obtenir le résultat souhaité avec une garde et une chappe travaillées pour éviter au maximum l’usure liée à la pluie et à l’humidité. La matinée suivante, on leur rapporta la lame pour qu’ils puissent l’ajouter à la poignée et le travail dura jusqu’au moins 16h. Il ne leur restait que quatre jours pour s’occuper de l’armure. Alban décida qu’il leur serait bon de faire une pause, surtout pour le pauvre Arthur qui avait du mal à tenir le rythme. Ils s’accordèrent donc la fin de l’après-midi et le forgeron passa au temple pour obtenir la bénédiction de Rikni pour qu’elle accorde ses faveurs à la lame. Les derniers jours furent entièrement consacrés à l’armure. Ils ne pouvaient travailler très tard car le soleil était indispensable. A la lueur d’une bougie, trop de zones d’ombres et de lumières jouaient sur le métal et compliquaient la tâche. Cependant ils avaient bien réparti leur temps et ils ne ménageaient pas leurs efforts en journée, ainsi la veille du jour J, tout était terminé et il ne leur restait que de détails qu’ils pouvaient peaufiner pour que l’arme et l’armure soient les plus propres possibles et resplendissent.

Lorsque Desmond de Rochemont se présenta, Alban était tout sourire, Arthur sur ses talons. Il présenta longuement l’épée complétée et la reproduction fidèle de la poignée de l’ancienne arme de Desmond, qui était toujours à la forge puisqu’elle avait servi de modèle. Puis le forgeron sorti l’armure et la fit examiner au soleil en présentant les éléments importants sur lesquels il avait beaucoup travaillé. Soudain une petite furie entra dans la forge en courant. Elle reprit difficilement son souffle d’avoir tant couru. Dans ses mains le fourreau qu’attendait Alban avec inquiétude : arrivera à l’heure ? Arrivera pas ? Serait-il parfait ?

« Papa a modifié le fourreau une dernière fois ce matin et il a dit qu’il était désormais parfait ! »

Tout avait été fait dans les règles et le gainier avait largement pu se reposer sur la lame pour sa création, néanmoins l’assemblage des deux devait être parfait pour que la lame soit bien protégée.

« Monseigneur, voulez-vous tester le fourreau et votre nouvelle épée ? »

Ils avaient prévu un nouveau morceau de bois, assez similaire au premier, mais un peu plus épais. Cependant il était mis de côté car ils ne savaient pas si Desmond se laisserait tenter ou si sa première expérience avait été suffisante. Cependant la rumeur avait grossi en une semaine et depuis qu’Arthur et Bertille vantaient les mérites du « grand chevalier immense qui avait tranché d’un seul coup d’épée un tronc d’arbre », les voisins avançaient une oreille et des paires d’yeux curieux d’observer le phénomène qui allait peut-être se reproduire. C’est qu’il n’arrivait pas grand-chose d’exceptionnel dans la Hanse par ces temps-ci.